diff --git a/sections/conclusion.tex b/sections/conclusion.tex index 9165b75..52b1c71 100644 --- a/sections/conclusion.tex +++ b/sections/conclusion.tex @@ -10,7 +10,7 @@ Au cours de ce projet de recherche et aussi de deux dernières années au LIRMM, Actuellement plusieurs acteurs publics et privés affrontent des problèmes complexes en matière d’IA pour promouvoir des pratiques responsables concernant le partage et la transparence des données. Au nombre des initiatives récentes, certaines ont échoué. Parmi eux le Conseil consultatif externe sur les technologies avancées de Googgle, ou bien ChatGPT dont l'opacité des données d'entrainement\footnote{ Un entretien avec le chatbot concernant ce sujet est disponible en Annexe.} a poussée certains de ses chercheurs s'investir dans la création de la fondation \textit{EleutherAI}. Sous l’amendement de ces chercheurs, EleutherAI a publié récemment des données d'entrainement pour des grands modèles linguistiques comme le dataset \textit{Proof-Pile-2}\footnote{https://www.eleuther.ai/releases}. En parallèle des organismes comme l'\textit{Algorithmic Justice League}, la \textit{Cooperative AI Foundation}, le \textit{Global Partnership on Artificial Intelligence}, continuent de sensibiliser la société aux préjugés et à l'impact écologique de l'IA. Leur mission est d'œuvrer pour une démocratisation des pratiques en lien avec l'AI. Dans les prochaines pages je m’apprête à évoquer certaines directions et considération éthiques en robotique et en IA. Cette taxonomie est certainement non exhaustive et je l’évoque pour souligner le caractère interdisciplinaire de ces approches et leur diversité, qui sont également un élément clé de mes pratiques. -Cette thèse devient ainsi une contribution pour faire progresser la recherche et le développement en éthique de l'IA et de la robotique, afin de mieux penser notre cohabitation avec les machines, dans les années à venir. Au sens large, mon intention est probablement de clarifier la place que nous accordons aux technologies dans nos vies. Autre que les robots qui sont pour l'instant moins accessibles, cela se traduit par des jeux vidéos, par notre présence accrue sur les réseaux sociaux, par l'utilisation des applications chargées sur notre portable, par le recours aux gadgets connectés à l’intérieur d'une maison. Nous vivons entourés par ces dispositifs, au point de les considérer comme des extensions de notre personnalité. Leur spécificité nous échappe, car nous imaginons que leur utilité désigne leur fonction. Cependant la plupart du temps c’est nous qui sommes à leur service, car ces machine sont besoin de nos données, notre attention et notre dévouement pour exister. Dans ce contexte, la question de la moralité devient centrale, car c’est très important d’interroger d’où vient ce besoin de déléguer aux machines nos décisions et préférences, de fantasmer sur leur capacités absolues et d'ignorer ou parfois excuser leur limitations. Mais quel type de moralité leurs est propre et en quoi cette nouvelle moralité influence nos interactions avec eux ? Selon \cite{dodig2012robots} une \textit{moralité artificielle} doit dépendre du niveau d’action, d’autonomie et d’intelligence d'un système. Elle doit se construire progressivement et vise plus généralement le \gls{transhumanisme} dont les robots cognitifs des prochaines générations impacteront des domaines comme la surveillance, l'ingénierie sociale, la robotique militaire, les services sexuels. Pour l'instant les enjeux éthiques de l’IA concernent l'accumulation de données, en ligne et hors ligne. Ces données peuvent manipuler des comportements humains envers des choix irrationnels, mais l’élément clé reste pour l'instant l'humain qui traite ces données. Une fois un robot capable de choix cognitifs, les enjeux éthiques ne seront plus les mêmes. Aujourd'hui la grande majorité des gens comprennent que des services supposément gratuits reposent en réalité sur une manque de transparence dans l'acquisition et la gestion des données qui les alimentent. Ces donnes qualifient l’expérience humaine comme une \textit{matière première gratuite}. La principale manière de les collecter par les GAFA (Amazon, Google/Alphabet, Apple, Facebook) implique de la manipulation envers des comportements addictifs. Cela est illustrée par le fait de penser les individus comme partie du marché\cite{zuboff2020age}. Shoshana Zuboff cite l’économiste Karl Polanyi qui a montré, il y a 70 ans, comment le marché du capitalisme industriel finit par détruire ce qu'elle est censé de vendre. La chercheuse se demande \textit{si le capitalisme industriel a mis en péril l’équilibre de la nature, quel peut-être l'effroyable effet du capitalisme de surveillance sur la nature humaine?}\cite{zuboff2020age}. Elle partage une question qui lui est posée par un jeune gérant d'une usine: +Cette thèse devient ainsi une contribution pour faire progresser la recherche et le développement en éthique de l'IA et de la robotique, afin de mieux penser notre cohabitation avec les machines, dans les années à venir. Au sens large, mon intention est probablement de clarifier la place que nous accordons aux technologies dans nos vies. Autre que les robots qui sont pour l'instant moins accessibles, cela se traduit par des jeux vidéos, par notre présence accrue sur les réseaux sociaux, par l'utilisation des applications chargées sur notre portable, par le recours aux gadgets connectés à l’intérieur d'une maison. Nous vivons entourés par ces dispositifs, au point de les considérer comme des extensions de notre personnalité. Leur spécificité nous échappe, car nous imaginons que leur utilité désigne leur fonction. Cependant la plupart du temps c’est nous qui sommes à leur service, car ces machine sont besoin de nos données, notre attention et notre dévouement pour exister. Dans ce contexte, la question de la moralité devient centrale, car c’est très important d’interroger d’où vient ce besoin de déléguer aux machines nos décisions et préférences, de fantasmer sur leur capacités absolues et d'ignorer ou parfois excuser leur limitations. Mais quel type de moralité leurs est propre et en quoi cette nouvelle moralité influence nos interactions avec eux ? Selon \cite{dodig2012robots} une \textit{moralité artificielle} doit dépendre du niveau d’action, d’autonomie et d’intelligence d'un système. Elle doit se construire progressivement et vise plus généralement le \gls{transhumanisme} dont les robots cognitifs des prochaines générations impacteront des domaines comme la surveillance, l'ingénierie sociale, la robotique militaire, les services sexuels. Pour l'instant les enjeux éthiques de l’IA concernent l'accumulation de données, en ligne et hors ligne. Ces données peuvent manipuler des comportements humains envers des choix irrationnels, mais l’élément clé reste pour l'instant l'humain qui traite ces données. Une fois un robot capable de choix cognitifs, les enjeux éthiques ne seront plus les mêmes. Aujourd'hui la grande majorité des gens comprennent que des services supposément gratuits reposent en réalité sur un manque de transparence dans l'acquisition et la gestion des données qui les alimentent. Ces donnes qualifient l’expérience humaine comme une \textit{matière première gratuite}. La principale manière de les collecter par les GAFA (Amazon, Google/Alphabet, Apple, Facebook) implique de la manipulation envers des comportements addictifs. Cela est illustrée par le fait de penser les individus comme partie du marché\cite{zuboff2020age}. Shoshana Zuboff cite l’économiste Karl Polanyi qui a montré, il y a 70 ans, comment le marché du capitalisme industriel finit par détruire ce qu'elle est censé de vendre. La chercheuse se demande \textit{si le capitalisme industriel a mis en péril l’équilibre de la nature, quel peut-être l'effroyable effet du capitalisme de surveillance sur la nature humaine?}\cite{zuboff2020age}. Elle partage une question qui lui est posée par un jeune gérant d'une usine: \begin{quote} Allons-nous tous travailler pour une machine intelligente ou y aura-t-il des personnes intelligentes autour de la machine ? \cite{zuboff2020age} @@ -33,7 +33,7 @@ L'une des premières initiatives abordant directement la question d'éthique des Le développement futur de la technologie robotique ne pourra dons pas se faire en dehors d'un cadre éthique. L’éthique des robots et l’éthique de l’IA, s'occupent de la manière dont les humains conçoivent, construisent, utilisent et traitent les robots et les algorithmes intelligents, mais aussi les effets de ces derniers sur les humains. Cependant les robots sont des machines physiques alors que une IA est dématérialisé via des logiciels. De plus, certains robots ne fonctionnent pas avec des systèmes d’IA et des systèmes d’IA ne sont pas désignés exclusivement aux robots. Confiants dans les nombreuses contributions que les robots apporteront à l'humanité, les chercheurs considèrent moins la manière dont les machines peuvent être utilisées pour nuire aux humains, ou leur impact sur l'autonomie de ces derniers. C'est pour cela qu'un dialogue pluridisciplinaire est nécessaire. En interrogeant les points de vue humanistes, certaines enjeux seront plus claires. -Dans la sphère du privé, ces questions sont traités par des organismes dont l'intitulé illustre bien les enjeux: le \textit{Future of Humanity Institute}, le \textit{Machine Intelligence Research Institute}, le \textit{Center for Human-Compatible Artificial Intelligence}, etc. Parmi eux, le\textit{Humanity Plus}, anciennement connu sous le nom de \textit{World Transhumanist Association}, a été fondé en 1998 par les chercheurs Nick Bostrom et David Pearce. Aujourd'hui \textit{Humanity Plus} se décrit comme une organisation internationale à but non lucratif dédiée à l'éducation, qui veut utiliser la technologie pour améliorer la condition humaine. En parallèle, l'\textit{Institut pour l'éthique et les technologies émergentes} est un groupe de réflexion à but non lucratif qui promeut des idées sur la manière dont le progrès technologique veut accroître la liberté, le bonheur et l'épanouissement humain dans les sociétés démocratiques. Ses membres considèrent le progrès technologique comme un catalyseur pour un développement humain positif, à condition de veiller à ce que les technologies soient sûres. Je rajoute à cette liste l'organisme \textit{Future of Life Institute} (FLI) ou \textit{Institut pour l'avenir de la vie} - une association à but non lucratif fondée en 2014 par des chercheurs de l'institut MIT et DeepMind. Son objectif est d'aborder les potentiels dangers et avantages des technologies provenant de l’intelligence artificielle, de la biotechnologie et des armes nucléaires. Parmi les parrains de l'institut, Wikipedia cite l'informaticien Stuart Russell, le biologiste George Church, les cosmologistes Stephen Hawking et Saul Perlmutter, le physicien Frank Wilczek et paradoxalement Elon Musk. Dés mars 2023, le Future of Life Institute appelle à un moratoire sur l'entrainement de systèmes d'IA type GPT-4. Cette lettre écrite en consultation avec des experts en IA tels que Yoshua Bengio et Stuart Russell, est actuellement signée par plus de 33000 chercheurs en IA et décideurs politiques. Sa version intégrale est disponible plus bas\footnote{https://futureoflife.org/open-letter/pause-giant-ai-experiments/}. Au défaut d'une instance globale neutre capable de régulariser ces initiatives, c'est intéressant de remarquer comment elles peut relever d'une pratique proche de \textit{greenwashing}. En effet des entreprises ou des personnalités publiques peuvent prétendre être plus préoccupées par ces questions qu'elles ne le sont réellement, pour gagner en popularité. L'exemple de Musk et les controverses de son entreprise Neuralink\footnote{https://www.scientificamerican.com/article/elon-musks-neuralink-has-implanted-its-first-chip-in-a-human-brain-whats-next/} quant aux implants BCI (Brain-Computer Interface) suscitent l'attention de la communauté scientifique. +Dans la sphère du privé, ces questions sont traités par des organismes dont l'intitulé illustre bien les enjeux: le \textit{Future of Humanity Institute}, le \textit{Machine Intelligence Research Institute}, le \textit{Center for Human-Compatible Artificial Intelligence}, etc. Parmi eux, le \textit{Humanity Plus}, anciennement connu sous le nom de \textit{World Transhumanist Association}, a été fondé en 1998 par les chercheurs Nick Bostrom et David Pearce. Aujourd'hui \textit{Humanity Plus} se décrit comme une organisation internationale à but non lucratif dédiée à l'éducation, qui veut utiliser la technologie pour améliorer la condition humaine. En parallèle, l'\textit{Institut pour l'éthique et les technologies émergentes} est un groupe de réflexion à but non lucratif qui promeut des idées sur la manière dont le progrès technologique veut accroître la liberté, le bonheur et l'épanouissement humain dans les sociétés démocratiques. Ses membres considèrent le progrès technologique comme un catalyseur pour un développement humain positif, à condition de veiller à ce que les technologies soient sûres. Je rajoute à cette liste l'organisme \textit{Future of Life Institute} (FLI) ou \textit{Institut pour l'avenir de la vie} - une association à but non lucratif fondée en 2014 par des chercheurs de l'institut MIT et DeepMind. Son objectif est d'aborder les potentiels dangers et avantages des technologies provenant de l’intelligence artificielle, de la biotechnologie et des armes nucléaires. Parmi les parrains de l'institut, Wikipedia cite l'informaticien Stuart Russell, le biologiste George Church, les cosmologistes Stephen Hawking et Saul Perlmutter, le physicien Frank Wilczek et paradoxalement Elon Musk. Dés mars 2023, le Future of Life Institute appelle à un moratoire sur l'entrainement de systèmes d'IA type GPT-4. Cette lettre écrite en consultation avec des experts en IA tels que Yoshua Bengio et Stuart Russell, est actuellement signée par plus de 33000 chercheurs en IA et décideurs politiques. Sa version intégrale est disponible plus bas\footnote{https://futureoflife.org/open-letter/pause-giant-ai-experiments/}. Au défaut d'une instance globale neutre capable de régulariser ces initiatives, c'est intéressant de remarquer comment elles peut relever d'une pratique proche de \textit{greenwashing}. En effet des entreprises ou des personnalités publiques peuvent prétendre être plus préoccupées par ces questions qu'elles ne le sont réellement, pour gagner en popularité. L'exemple de Musk et les controverses de son entreprise Neuralink\footnote{https://www.scientificamerican.com/article/elon-musks-neuralink-has-implanted-its-first-chip-in-a-human-brain-whats-next/} quant aux implants BCI (Brain-Computer Interface) suscitent l'attention de la communauté scientifique. Ce qui est sur c'est que la quantité dé-mesurable des donnés ne peut pas être traités à une échelle humaine. Le \gls{big data} devient un systeme récursif anonyme qui se renouvèle en grandissant. Nous ne comprenons pas l'utilité de ces données électroniques abstraits. Leur contenu double toutes les 3 ans, sorte de radiographie infinie de nos préoccupations - disponible à tout moment aux impératifs économiques. Pour des chercheurs comme Zuboff le capitalisme de surveillance s'est emparé de notre liberté et de notre savoir sans que nous nous rendons compte. En contrepoids certains sceptiques affirment que les craintes concernant l'IA reviennent sans cesse depuis sa création il y a plus de 60 années. À mi-chemin, l'éthique des machines\cite{anderson2007machine} trouve ses origines dans le travail du philosophe américain James H. Moor, connu pour ses réflexions sur l'éthique de l'intelligence artificielle et la philosophie de la technologie. Son contribution concernant les implications sociales, morales et éthiques des technologies émergentes est synthétisé dans l'article \textit{What is Computer Ethics?} (1985). Moor aborde des questions comme la confidentialité, la sécurité des données et la responsabilité des concepteurs de technologies tout en analysant la manière dont ces technologies modifient notre conception de l'humain et de la société. Le philosophe Mark Hunyadi cite le travail de Moor\cite{hunyadi2019artificial} pour appuyer l’hypothèse que le terme d’\textit{agent moral artificiel} est philosophiquement illégitime. Afin d’éviter toute spéculation ou d’idéologie en lien avec l'éthique des machines, Hunyadi cherche à fournir une compréhension claire de ce que c'est l'éthique, du type de rationalité qu'elle met en œuvre et de la nature de l'éthique et de la conduite éthique en général. Son argumentation se développe autour de plusieurs arguments : le premier argument concerne le choix des principes éthiques à programmer dans la machine ; le deuxième illustre les incompatibilité entre ces principes et leur forme algorithmique ; alors que le troisième et dernier argument met en avant les difficultés en lien avec la nature même du raisonnement moral spécifique aux humains. Cette approche est innovante, bien que les développements technologiques et leur rythme effréné suscitent des nouveaux défis. @@ -102,7 +102,7 @@ Plus loin, l'\textit{hypothèse du monde vulnérable} ou \gls{vulnerable world h Parmi les problématiques traitées par l’éthique des algorithmes d'IA, les chercheurs évoquent les biais et l’équité dans le traitement des données, la prise de décision automatisée, la transparence et la réglementation de politiques internationales. Issue de ces problématiques, l'éthique des machines supervise la fabrication des artefacts qui se comportent de manière éthique, appelles AMA ou \textit{Artificial Moral Agents}. Cela concerne en outre le bio-hacking, la course aux armements, la sécurité, le chômage technologique et la désinformation crée via des algorithmes d'IA. Dans un effort de clarification de ces enjeux, \cite{kazim2021high} décrit les caractéristiques d'une \textit{conscience éthique}. Cela concerne une personne, une institution ou une norme culturelle motivée par une position morale vis-à-vis des enjeux économiques (salaire et profit) ou légales (responsabilité, culpabilité et conformité). Le développement de ce type de conscience émerge dans le même temps que les préoccupations pour la philosophie ou la culture. C'est pour cela qu'une perspective philosophique (puis plus largement artistique) et éthique du question de la conscience est impérative. Les efforts collectives et pluridisciplinaires doivent aller dans une direction commune, constructive pour le bénéfice du plus grand nombre. La mise à disposition des informations afin de réfléchir collectivement à ces questions peut se faire au travers l'art, qui sait les adresser dans un registre moins complexe. -La danse raconte une histoire en engageant différentes parties du corps. La technologie peut être un moyen pour renforcer l'idée d'un spectacle, tout comme elle peut devenir partenaire actif dans un scénario. Tel a été le cas pour \textit{TIWIDWH} où HRP-4 devient personnage principal d'une danse sur une chaise. Le rendu est à la fois enrichissant pour le danseur qui a été obligé de trouver une autre façon de faire dans son corps, mais aussi pour l'spectateur qui s'est imaginé des intentions pour le robot danseur. L'art profite de cet endroit privilégié pour interroger les formes d'expression conventionnelles, tandis que les scientifiques analysent l'appropriation de leur outil numérique par des non-initiés. Cependant, malgré les récents développements des algorithmes en \gls{intelligence artificielle générative}, il n'est pas certain que nous partageons avec les machines la créativité. Pour le contexte particulier de la danse, cette créativité est définie au sens large, en incluant toute forme de mouvement générée dans un cadre de représentation artistique. Dans des futures projets, j’aimerais imaginer le point de vue des robots sur la danse, leur retour d'experience sur nos expérimentations et la possibilité d’une “collaboration” plus fructueuse. Des domaines tel la robotique culturelle, pourront nous aider à mieux comprendre ces rapports. Nous laisserons ouverte cette question concernant les robots sociaux et la manière dont ils participent à la culture, tout en soulignant le caractère dynamique de ces contributions. Dans son livre\cite{dunstan2023cultural}, Dunstan questionne le statut de robots et leur attribue une possible culture propre, différente de la culture humaine. Cette culture serait méconnaissable pour les humains tout en exerçant une certaine influence sur ces derniers. Certaines théories contemporaines sur les relations homme-machine décentrent l'humain et plaident pour une forme d'agence non-humaine. D'autres chercheurs prennent en compte le concept d'empathie kinesthésique de la danse\cite{foster2010choreographing} et de la théorie associée des neurones miroirs\cite{gallese1996action} pour construire une dynamique relationnelle entre humains et machines afin de mieux anticiper l’influence de ces derniers sur les humains. Le projet \textit{code\_red}\cite{loke2023rouge} (2021) présenté dans un chapitre du livre \textit{Cultural Robotics: Social Robots and Their Emergent Cultural Ecologies}\cite{dunstan2023cultural} (2023), traite des rapports intimes entre humains et robots. Ainsi un bras industriel apprends à dessiner des lèvres, pour mettre du rouge à lèvres sur une femme assise devant lui. Ce geste est interprété par les auteurs comme un acte de coquetterie mais aussi comme un acte d’engagement: marquer ses lèvres puis sa voix par une couleur rouge - symbole de la peinture de guerre, pour mieux réclamer ses droits. L’influence du robot sur l’humain est ici omniprésente, bien que le geste de peindre ses lèvres est propre qu'à l'humain. Plus loin les auteurs font une critique philosophique de cette démarche en utilisant le concept deleuzien de \textit{résonance}, où \textit{l'interaction des sensations entre les corps conduit à une fusion ou un brouillage des frontières entre l'humain et la machine}. Ils citent à leur tour Petra Gemeinboeck qui utilise le terme de \textit{résonances intra-corporelles}\cite{gemeinboeck2021aesthetics} pour désigner une forme d'empathie incarnée propice à une harmonisation des vibrations et des rythmes corporelles entre humain et machine. Ainsi à la place de modeler des robots à l'image des humains, les auteurs soulignent l'importance d'un langage primordial du mouvement, partagé entre les espèces\cite{loke2023rouge}, à différentes échelles et intensités. Ce langage, construit par la perception et l'adaptation entre des agents humains et non-humains, doit s’échapper à une monopolisation humaine de la rencontre. Au contraire, comme le montre Gemeinboeck, éviter délibérément la focalisation sur l'individualisme des agents interactifs favorise un croisement des flux perceptuels et des dynamiques de mouvement qui donnent naissance à des effets émergents de signification. +La danse raconte une histoire en engageant différentes parties du corps. La technologie peut être un moyen pour renforcer l'idée d'un spectacle, tout comme elle peut devenir partenaire actif dans un scénario. Tel a été le cas pour \textit{TIWIDWH} où HRP-4 devient personnage principal d'une danse sur une chaise. Le rendu est à la fois enrichissant pour le danseur qui a été obligé de trouver une autre façon de faire dans son corps, mais aussi pour l'spectateur qui s'est imaginé des intentions pour le robot danseur. L'art profite de cet endroit privilégié pour interroger les formes d'expression conventionnelles, tandis que les scientifiques analysent l'appropriation de leur outil numérique par des non-initiés. Cependant, malgré les récents développements des algorithmes en \gls{intelligence artificielle générative}, il n'est pas certain que nous partageons avec les machines la créativité. Pour le contexte particulier de la danse, cette créativité est définie au sens large, en incluant toute forme de mouvement générée dans un cadre de représentation artistique. Dans des futures projets, j’aimerais imaginer le point de vue des robots sur la danse, leur retour d'experience sur nos expérimentations et la possibilité d’une “collaboration” plus fructueuse. Des domaines tel la robotique culturelle, pourront nous aider à mieux comprendre ces rapports. Nous laisserons ouverte cette question concernant les robots sociaux et la manière dont ils participent à la culture, tout en soulignant le caractère dynamique de ces contributions. Dans son livre\cite{dunstan2023cultural}, Dunstan questionne le statut de robots et leur attribue une possible culture propre, différente de la culture humaine. Cette culture serait méconnaissable pour les humains tout en exerçant une certaine influence sur ces derniers. Certaines théories contemporaines sur les relations homme-machine décentrent l'humain et plaident pour une forme d'agentivité non-humaine. D'autres chercheurs prennent en compte le concept d'empathie kinesthésique de la danse\cite{foster2010choreographing} et de la théorie associée des neurones miroirs\cite{gallese1996action} pour construire une dynamique relationnelle entre humains et machines afin de mieux anticiper l’influence de ces derniers sur les humains. Le projet \textit{code\_red}\cite{loke2023rouge} (2021) présenté dans un chapitre du livre \textit{Cultural Robotics: Social Robots and Their Emergent Cultural Ecologies}\cite{dunstan2023cultural} (2023), traite des rapports intimes entre humains et robots. Ainsi un bras industriel apprends à dessiner des lèvres, pour mettre du rouge à lèvres sur une femme assise devant lui. Ce geste est interprété par les auteurs comme un acte de coquetterie mais aussi comme un acte d’engagement: marquer ses lèvres puis sa voix par une couleur rouge - symbole de la peinture de guerre, pour mieux réclamer ses droits. L’influence du robot sur l’humain est ici omniprésente, bien que le geste de peindre ses lèvres est propre qu'à l'humain. Plus loin les auteurs font une critique philosophique de cette démarche en utilisant le concept deleuzien de \textit{résonance}, où \textit{l'interaction des sensations entre les corps conduit à une fusion ou un brouillage des frontières entre l'humain et la machine}. Ils citent à leur tour Petra Gemeinboeck qui utilise le terme de \textit{résonances intra-corporelles}\cite{gemeinboeck2021aesthetics} pour désigner une forme d'empathie incarnée propice à une harmonisation des vibrations et des rythmes corporelles entre humain et machine. Ainsi à la place de modeler des robots à l'image des humains, les auteurs soulignent l'importance d'un langage primordial du mouvement, partagé entre les espèces\cite{loke2023rouge}, à différentes échelles et intensités. Ce langage, construit par la perception et l'adaptation entre des agents humains et non-humains, doit s’échapper à une monopolisation humaine de la rencontre. Au contraire, comme le montre Gemeinboeck, éviter délibérément la focalisation sur l'individualisme des agents interactifs favorise un croisement des flux perceptuels et des dynamiques de mouvement qui donnent naissance à des effets émergents de signification. Tandis que certains types de propriétés mentales peuvent être modélisables en informatique, d'autres sont seulement propres aux organismes biologiques. Pour le philosophe Steve Torrence, les agents artificiels devront émuler seulement certaines propriétés clés des organismes biologiques. Par exemple les formes d'auto-organisation et d'auto-entretien autonomes propres au vivat disposent de la sensibilité et d'une certain fonctionnement téléologique, ce que Torrence identifié chez les humains comme \textit{conscience de soi}: \begin{quote} @@ -197,8 +197,8 @@ Le premier rapport, rédigé par un panel de 17 auteurs et publié le 1er septem En 2016 les avancées en robotique visaient améliorer les formes de perception d'une machine, comme la fiabilité de la vision par ordinateur. Cette forme de perception artificielle la plus répandue à cette époque a prouvé depuis son impact dans le secteur médical. Quant aux transports autonomes, le rapport décrit une ville nord-américaine typique en 2030 où des camions, des véhicules volants et des véhicules personnels sont pilotés grâce aux robots ou à l'IA. De plus, les robots livreront les colis, nettoieront les bureaux et amélioreront la sécurité des événements. Le rapport anticipe également le progrès dans les LLM (modèles de langage de grande taille), la traduction et la reconnaissance vocale automatique. A la place des robots conscients, le rapport souligne les efforts concernant le développement du apprentissage automatique à grande échelle. Cela implique la conception d’algorithmes d’apprentissage, ainsi que la mise à l'échelle des algorithmes existants, pour fonctionner avec des ensembles de données extrêmement volumineux. Quant à l'apprentissage profond et à l'apprentissage par renforcement, le monde universitaire s'efforce toujours à partager des réussites pratiques et concrètes qui en réalité séduisent moins les GAFA. Presque 10 ans après ces observations, les \textit{travailleurs du clic}\cite{casilli2019attendant} fournissent un travail important de classification de procédures d'apprentissage, par l’étiquetage d'objets, lieux et visages ou par la reconnaissance d'activités dans les images et les vidéo. Aujourd'hui, travailler pour AmazonMechanical Turk\footnote{https://www.mturk.com/worker} pour des renumérotions dérisoires, permet en réalité d'entrainer des réseaux neuronales sophistiques avec des data set sur mesure. Le deuxieme rapport, datant de 2021, amende les prévisions annoncés dans le premier et décrit quelques préoccupations susceptibles de changer nos perspectives pour les années à venir. Le ton est cette fois plus inquiet. -Concernant le cadre éthique et les efforts de régularisation de l'IA, les chercheurs notent d'abord l'effort de l'UE qui vote en 2016 le \textit{Règlement Général sur la Protection des Données Règlement} (RGPD). Ils analysent certains aspects concernant la création d'organismes nationaux de contrôle des technologies à haut risque, comme celui des \textit{Système d'armes létales autonomes} dont ils publient un étude de cas concernant l’ouverture du feu qui devra rester conditionnée à une décision humaine. Ils évoquent également l'augmentation de l'influence des lobbies privés sur la recherche fondamentale, par la mise en place de plus en plus des études et des projets de recherche en partenariat avec les industriels. Cette mixité accrue entre la recherche académique et la recherche industrielle suscite des préoccupations éthiques. Les acteurs clé de ces transformations, les GAFA, ne font rien pour clarifier le contexte. -Tandis qu'une autre partie de ce rapport traite de la conscience humaine et son équivalent artificiel, avec les parti-pris des acteurs concernés. D'une manière pragmatique, l'étude reconnait les limites du traitement de l'information consciente dans la cognition humaine. Cela donne suite é des modèles de plus en plus basés sur des solutions émergents plutôt que sur une conception centrale de \textit{conscience}. Les humains intègrent des informations provenant de multiples sources : notre cerveau, notre corps physique, les objets physiques et les entités sociales (comme par exemple l'internet). D'une manière analogique, une machine intelligence devrait s'adapter à cette complexité, bien que nous ne comprenons toujours pas comment cela fonctionne: +Concernant le cadre éthique et les efforts de régularisation de l'IA, les chercheurs notent d'abord l'effort de l'UE qui vote en 2016 le \textit{Règlement Général sur la Protection des Données Règlement} (RGPD). Ils analysent certains aspects concernant la création d'organismes nationaux de contrôle des technologies à haut risque, comme celui des \textit{Système d'armes létales autonomes} dont ils publient une étude de cas concernant l’ouverture du feu qui devra rester conditionnée à une décision humaine. Ils évoquent également l'augmentation de l'influence des lobbies privés sur la recherche fondamentale, par la mise en place de plus en plus des études et des projets de recherche en partenariat avec les industriels. Cette mixité accrue entre la recherche académique et la recherche industrielle suscite des préoccupations éthiques. Les acteurs clé de ces transformations, les GAFA, ne font rien pour clarifier le contexte. +Tandis qu'une autre partie de ce rapport traite de la conscience humaine et son équivalent artificiel, avec les parti-pris des acteurs concernés. D'une manière pragmatique, l'étude reconnait les limites du traitement de l'information consciente dans la cognition humaine. Cela donne suite é des modèles de plus en plus basés sur des solutions émergents plutôt que sur une conception centrale de \textit{conscience}. Les humains intègrent des informations provenant de multiples sources : notre cerveau, notre corps physique, les objets physiques et les entités sociales (comme par exemple l'internet). De manière semblable, une machine intelligence devrait s'adapter à cette complexité, bien que nous ne comprenons toujours pas comment cela fonctionne: \begin{quote} ``De manière connexe, il y a une reconnaissance accrue de l'importance des processus qui soutiennent l'action intentionnelle, l'intentionnalité partagée, le libre arbitre et l'agence. Mais il y a eu peu de progrès fondamentaux dans la construction de modèles rigoureux de ces processus. Les sciences cognitives continuent de chercher un paradigme pour étudier l'intelligence humaine qui perdurera. Cependant, la recherche dévoile des perspectives critiques—comme la cognition collective—et des méthodologies qui façonneront les progrès futurs, comme les neurosciences cognitives et les dernières tendances en modélisation computationnelle. Ces perspectives semblent essentielles dans notre quête pour construire des machines que nous jugerions véritablement intelligentes\footnote{``Relatedly, there is increased recognition of the importance of processes that support intentional action, shared intentionality, free will, and agency. But there has been little fundamental progress on building rigorous models of these processes. The cognitive sciences continue to search for a paradigm for studying human intelligence that will endure. Still, the search is uncovering critical perspectives—like collective cognition—and methodologies that will shape future progress, like cognitive neuroscience and the latest trends in computational modeling. These insights seem essential in our quest for building machines that we would truly judge as intelligent.” }.” @@ -208,8 +208,8 @@ Malgré les opportunités dans l'utilisation de l'IA, les systèmes autonomes ne Le rapport de 2021 met donc en grade contre la hybridation entre la recherche universitaire et la recherche industrielle en IA. Les chercheurs identifient des défis sociotechniques telles que: \begin{itemize} \item le biais dans les modèles de machine learning qui reproduisent et amplifient les préjugés existants - \item la manque d'équité dans les algorithmes de prise de décision de l'IA et leur répercussions dans le système de la justice et des soins de santé - \item la manque de confidentialité dans la collecte de données + \item le manque d'équité dans les algorithmes de prise de décision de l'IA et leur répercussions dans le système de la justice et des soins de santé + \item le manque de confidentialité dans la collecte de données \end{itemize} Un danger plus concret que le rapport met en avant, concerne la construction de machines capables d'espionner et même de tuer à grande échelle. Cela peut s’avérer plus risquée qu'imaginé cinq ans auparavant. D'autant plus quand l'argument des industriels pour rassurer le grand public relevé plutôt du \textit{techno-solutionnisme} que de la recherche fondamentale. A la place d'un outil ciblé, ce phenomene désigne une IA comme solution universelle qui peut résoudre à la fois des problèmes sociaux, politiques et environnementaux. Cette approche conduit à une surestimation des capacités de la technologie et à une sous-estimation de la complexité des problèmes systémiques car souvent les adeptes du techno-solutionnisme négligeant ou minimisant les aspects éthiques et humains des problèmes. Le rapport encourage des nouvelles recherches pour re-conceptualiser les fondations des systèmes basés sur l'IA, souvent mal spécifiés: @@ -217,7 +217,7 @@ Un danger plus concret que le rapport met en avant, concerne la construction de ``Nous utilisons souvent le terme déploiement pour désigner la mise en œuvre d'un système d'IA dans le monde réel. Cependant, le déploiement porte la connotation de l'implémentation d'un système technique plus ou moins prêt à l'emploi, sans tenir compte des besoins ou des conditions locales spécifiques. Les chercheurs ont décrit cette approche comme une implantation sans contexte. Les systèmes prédictifs les plus réussis ne sont pas implantés de cette manière, mais sont intégrés de manière réfléchie dans les environnements et les pratiques sociales et organisationnelles existants. Dès le départ, les praticiens de l'IA et les décideurs doivent prendre en compte les dynamiques organisationnelles existantes, les incitations professionnelles, les normes comportementales, les motivations économiques et les processus institutionnels qui détermineront comment un système est utilisé et perçu. Ces considérations deviennent encore plus importantes lorsque nous tentons de faire fonctionner des modèles prédictifs aussi bien dans différents territoires et contextes qui peuvent avoir des objectifs politiques et des défis de mise en œuvre différents\footnote{ ``We often use the term deployment to refer to the implementation of an AI system in the real world. However, deployment carries the connotation of implementing a more or less ready-made technical system, without regard for specific local needs or conditions. Researchers have described this approach as context-less dropping in. The most successful predictive systems are not dropped in but are thoughtfully integrated into existing social and organizational environments and practices. From the outset, AI practitioners and decision-makers must consider the existing organizational dynamics, occupational incentives, behavioral norms, economic motivations, and institutional processes that will determine how a system is used and responded to. These considerations become even more important when we attempt to make predictive models function equally well across different jurisdictions and contexts that may have different policy objectives and implementation challenges.” }.” \cite{littman2022gathering} \end{quote} -Ainsi intégrer avec succès de l'IA dans des contextes de prise des décisions publiques à fort enjeu, nécessite une compréhension approfondie et multidisciplinaire du problème et de son contexte. Par l'amélioration des relations entre les développeurs et les communautés qui en bénéficient, ainsi que par une compréhension nuancée des limites des approches techniques, les chercheurs qui ont participé à cet étude, espèrent re-équilibrer le rapport entre les valeurs sociales et celles du marché de l'IA: +Ainsi intégrer avec succès de l'IA dans des contextes de prise des décisions publiques à fort enjeu, nécessite une compréhension approfondie et multidisciplinaire du problème et de son contexte. Par l'amélioration des relations entre les développeurs et les communautés qui en bénéficient, ainsi que par une compréhension nuancée des limites des approches techniques, les chercheurs qui ont participé à cette étude, espèrent re-équilibrer le rapport entre les valeurs sociales et celles du marché de l'IA: \begin{quote} ``Il est désormais urgent de réfléchir sérieusement aux inconvénients et aux risques que révèle l'application généralisée de l'IA. La capacité croissante à automatiser les décisions à grande échelle est une arme à double tranchant; des deepfakes intentionnels ou simplement des algorithmes incontrôlables faisant des recommandations cruciales peuvent conduire à ce que les gens soient induits en erreur, discriminés et même physiquement blessés. Les algorithmes entraînés sur des données historiques sont susceptibles de renforcer et même d'exacerber les biais et les inégalités existants. Alors que la recherche en IA a traditionnellement été du ressort des informaticiens et des chercheurs étudiant les processus cognitifs, il est devenu clair que tous les domaines de la recherche humaine, en particulier les sciences sociales, doivent être inclus dans une conversation plus large sur l'avenir du domaine. Minimiser les impacts négatifs sur la société et améliorer les aspects positifs nécessite plus que des solutions technologiques ponctuelles ; maintenir l'IA sur la voie des résultats positifs pertinents pour la société nécessite un engagement continu et une attention constante\footnote{``It is now urgent to think seriously about the downsides @@ -247,7 +247,7 @@ La version intégrale de leur analyse est disponible ici\footnote{https://nkluge En l'absence d’un corpus interdisciplinaire de connaissances, l’innovation et la transformation générées par les robots au niveau sociétal est issue des observations issues directement des laboratoires. Ainsi, l'ensemble des connaissances disponibles sur les robots ont tendance à se concentrer sur les aspects techniques. Les caractéristiques inhérentes à l’IA en tant que branche du développement technologique et de l'éthique en tant que branche de la philosophie privilégie une approche interdisciplinaire. \cite{anderson2022future} réfléchit à cette question de l'interdisciplinarité, compte tenu de l’histoire d’efforts similaires dans d’autres disciplines technologiques comme la robotique. Concernant le rôle que les experts extérieurs à la robotique peuvent jouer dans la réglementation efficace de la recherche en laboratoire, les chercheurs en robotique sont sensibles aux implications éthiques de leurs travaux. D’autre part, les chercheurs issus de disciplines traditionnellement préoccupé par les questions éthiques, comme la philosophie et d'autres sciences humaines, sont peu habitués de travailler dans un cadre pratique. Tandis que les deux remarquent des malentendus dans la façon dont les décideurs politiques perçoivent la robotique et l'IA, ainsi qu'un manque de compréhension et besoin de mystification de ces thématiques issue de la culture média. -Un étude plus récent envisage une nouvelle branche de l'AI, intitulé \textit{AI for Humanity} où la priorité est accordé à une symbiose avec les humains dans la manière dont l'IA est gouvernée, développée et commercialisée: +Une étude plus récent envisage une nouvelle branche de l'AI, intitulé \textit{AI for Humanity} où la priorité est accordé à une symbiose avec les humains dans la manière dont l'IA est gouvernée, développée et commercialisée: \begin{figure} \centering @@ -256,9 +256,9 @@ Un étude plus récent envisage une nouvelle branche de l'AI, intitulé \textit{ \label{fig:aiforhumanity} \end{figure} -Ce type d'intelligence vise l’amélioration des capacités humaines en interaction avec des agents non-humains. Elle est proche du concept de \gls{équilibre homme-machine} de Stiegler que nous avons décrit auparavant. Plus concrètement, au lieu d’être en compétition directe avec l’intelligence humaine, cette IA cherche à la sublimer. Cette approche utilise l’erreur comme outil d’apprentissage et intègre des principes de \textit{slow science}\cite{stengers2016another} pour permettre à l’humain de mieux intégrer les données de son environnement afin de coopérer avec la machine. En cherchant des analogies dans notre contexte particulier qui est le domaine de l’art, il est plus facile de se concentrer sur cet aspect de l’erreur comme outil d’apprentissage et donner place à l’expressivité de la machine. Les enjeux sont moins importants et les aboutissements technologiques pourraient correspondre à une forme de sérendipité. Néanmoins, même dans ce cas les considération éthiques\cite{ndior2019cairn}, les ressentis\cite{devillers2017robots} et les éventuelles réactions imprévisibles de la part des humains, dessinent une forme de moralité difficile à prédire pour chercher son correspondant artificiel. +Ce type d'intelligence vise l’amélioration des capacités humaines en interaction avec des agents non-humains. Elle est proche du concept d' \gls{équilibre homme-machine} de Stiegler que nous avons décrit auparavant. Plus concrètement, au lieu d’être en compétition directe avec l’intelligence humaine, cette IA cherche à la sublimer. Cette approche utilise l’erreur comme outil d’apprentissage et intègre des principes de \textit{slow science}\cite{stengers2016another} pour permettre à l’humain de mieux intégrer les données de son environnement afin de coopérer avec la machine. En cherchant des analogies dans notre contexte particulier qui est le domaine de l’art, il est plus facile de se concentrer sur cet aspect de l’erreur comme outil d’apprentissage et donner place à l’expressivité de la machine. Les enjeux sont moins importants et les aboutissements technologiques pourraient correspondre à une forme de sérendipité. Néanmoins, même dans ce cas les considération éthiques\cite{ndior2019cairn}, les ressentis\cite{devillers2017robots} et les éventuelles réactions imprévisibles de la part des humains, dessinent une forme de moralité difficile à prédire pour chercher son correspondant artificiel. -Si cette nouvelle AI saura mieux réconcilier projections et craintes, le facteur humain et notre sentience restent pour l'instant difficiles à quantifier ou à intégrer dans des algorithmes de prédiction. Dans son discours inaugural, intitulé \textit{Plea for slow science}\cite{stengers2016another} pour la Chaire Willy Calewaert 2011-2012, la chercheuse Isabelle Stengers évoque le licenciement de la chercheuse Barbara Van Dyck. Cette dernière a expliqué et dénoncé publiquement une action contre des recherches concernant de pommes de terre génétiquement modifiées à Wetteren. Stengers questionne la neutralité de la recherche universitaire, en proposant une réflexion sur les possibilités d'un débat face à un consensus dominant des faits et choix politiques. Elle défend le droit à une temporalité éloignée de toute logique capitaliste et insiste sur l'importance de se concentrer sur les possibilités futures, en s'imaginant les situations en termes de possibles. Stengers souligne la différence entre l'adhésion à une règle et la reconnaissance de son pouvoir, tout en cherchant des opportunités pour s'expérimenter en dehors de ces limites. Pour elle cela renvoie à un endroit atemporel où une autre type de science, à l’opposée de celle qui se développe à une vitesse fulgurante sous nos yeux, germe ses revendications pour les années à venir: +Si cette nouvelle AI saura mieux réconcilier projections et craintes, le facteur humain et notre sentience restent pour l'instant difficiles à quantifier ou à intégrer dans des algorithmes de prédiction. Dans son discours inaugural, intitulé \textit{Plea for slow science}\cite{stengers2016another} pour la Chaire Willy Calewaert 2011-2012, la chercheuse Isabelle Stengers évoque le licenciement de la chercheuse Barbara Van Dyck. Cette dernière a expliqué et dénoncé publiquement une action contre des recherches concernant de pommes de terre génétiquement modifiées à Wetteren. Stengers questionne la neutralité de la recherche universitaire, en proposant une réflexion sur les possibilités d'un débat face à un consensus dominant des faits et choix politiques. Elle défend le droit à une temporalité éloignée de toute logique capitaliste et insiste sur l'importance de se concentrer sur les possibilités futures, en s'imaginant les situations en termes de possibles. Stengers souligne la différence entre l'adhésion à une règle et la reconnaissance de son pouvoir, tout en cherchant des opportunités pour s'expérimenter en dehors de ces limites. Pour elle cela renvoie à un endroit atemporel où une autre type de science, à l’opposé de celle qui se développe à une vitesse fulgurante sous nos yeux, germe ses revendications pour les années à venir: \begin{quote} ``Je ressens de la honte devant ces jeunes qui entrent à l'université avec l'espoir de mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons. Nous savons que ceux qui entrent à l'université aujourd'hui appartiennent à la génération qui devra faire face à un avenir dont nous ne pouvons même pas imaginer les défis... Pouvons-nous prétendre que ce que nous leur proposons répond, même vaguement, à cette situation ? Pouvons-nous aussi prétendre que nous méritons la confiance que les gens ont encore dans le rôle que nous, qui travaillons à l'université, et ceux que nous formons, pouvons jouer dans cet avenir ? Il est entendu que nos modes de vie devront changer, et cela implique certainement un changement dans la manière dont nous nous rapportons à notre environnement, social et écologique. Pouvons-nous prétendre qu'un tel changement n'implique pas aussi un changement dans les façons dont notre savoir académique se rapporte à son environnement\footnote{en version originale: ``I feel ashamed before those young people entering university with the hope of getting a better understanding of the world we live in. We know that those who enter university today belong to the generation that will have to face a future the challenges of which we just cannot imagine… Can we claim that what we are proposing them meets, or even vaguely meets, this situation? Can we also claim that we deserve the trust people still have in the role we, who are working at the university, and those we train, can play in this future? It is heard that our ways of life will have to change, and this certainly entails a change in the way we relate to our environment, social and ecological. Can we claim that such change does not also entail a change in the ways our academic knowledge relates to its environment?”}?” @@ -272,10 +272,4 @@ Selon les expériences faits dans le cadre de cette recherche-création cela im \end{quote} -\section*{Conclusion chapitre 1} - -Au delà de leur message artistique, ces performances aident à comprendre l'impact de la technologie numérique sur les interactions sociales. Selon Kozel, nous découvrons les autres à travers des systèmes informatiques interactifs. - -Stiegler équilibre homme-machine avec l'IA for humanity. - diff --git a/sections/partie_1.tex b/sections/partie_1.tex index b0a9bf1..5fbe152 100644 --- a/sections/partie_1.tex +++ b/sections/partie_1.tex @@ -1,8 +1,8 @@ \part{Faire danser les robots - une approche pluridisciplinaire} \begin{quote} -´´Il y a les mouvements, les imprévus, les découvertes, les astuces et les pièges qui représentent +``Il y a les mouvements, les imprévus, les découvertes, les astuces et les pièges qui représentent chaque danse. Ces actions se déroulent dans un domaine expérientiel. Ensuite, il y a une sous-structure, un exercice proche d'une méditation, appliqué sans interruption tout au long de la -danse. Cette sous-structure est un ensemble de conditions qui existent dans l'imaginaire de chaque danseur. Le plus elle est pratiquée, le plus elle unifie la séquence et l’interprétation du matériel de danse. Sans cette sous-structure, il n'y a pas de danse\footnote{en original:´´There are the movements, occurrences, tasks, tricks, and traps that constitute each dance. These actions take place in the experiential realm. Then there is a substructure, an exercise not unlike a meditation, that is applied uninterruptedly throughout a dance. The substructure is a set of conditions that exists in the imaginative realm. It unifies, through practice, the sequence and performance of the dance material. Without the substructure there is no dance.”}.” +danse. Cette sous-structure est un ensemble de conditions qui existent dans l'imaginaire de chaque danseur. Le plus elle est pratiquée, le plus elle unifie la séquence et l’interprétation du matériel de danse. Sans cette sous-structure, il n'y a pas de danse\footnote{en original:``There are the movements, occurrences, tasks, tricks, and traps that constitute each dance. These actions take place in the experiential realm. Then there is a substructure, an exercise not unlike a meditation, that is applied uninterruptedly throughout a dance. The substructure is a set of conditions that exists in the imaginative realm. It unifies, through practice, the sequence and performance of the dance material. Without the substructure there is no dance.”}.” \cite{hay2000my} \end{quote} \begin{figure} @@ -28,20 +28,20 @@ Le troisième chapitre \textit{Corps performatifs en robotique} présente diffé \chapter{Pratiques somatiques et quête de l’intelligence sensorielle} -Je commence ce chapitre par une contextualisation des pratiques somatiques, en retraçant de loin leur histoire en lien avec la danse. Mon analyse commence au début du 20é siècle, avec des précurseurs de ce que nous connaissons aujourd'hui comme de l'\gls{éducation somatique} et de l'\gls{intelligence sensorielle}. La plupart des termes que j'emploie sont définis dans le glossaire à la fin du manuscrit. Cependant je précise dès le début de notre enquête, le contexte par lequel je désigne l'intelligence sensorielle et les pratiques somatiques comme notions clés de ce travail en recherche-création. D'abord l'intelligence sensorielle représente notre capacité d'affiner notre perception. Elle est notre faculté de sentir, de comprendre et d’organiser les informations sensorielles provenant de notre corps et de notre environnement. Ensuite les pratiques somatiques regroupent plusieurs approches corporelles dont l'objectif est la réappropriation de son corps en mouvement afin de mieux comprendre son propre mode de fonctionnement et créer de nouvelles possibilités d’expression. Ces approches sont d'abord expérientielles, basées sur une expérience subjective de chacun, en contrepoids des connaissances empiriques observées chez les autres. +Je commence ce chapitre par une contextualisation des pratiques somatiques, en retraçant de loin leur histoire en lien avec la danse. Mon analyse commence au début du 20é siècle, avec des précurseurs de ce que nous connaissons aujourd'hui comme de l'\gls{éducation somatique} et de l'\gls{intelligence sensorielle}. La plupart des termes que j'emploie sont définis dans le glossaire à la fin du manuscrit. Cependant, je précise dès le début de notre enquête, le contexte par lequel je désigne l'intelligence sensorielle et les pratiques somatiques comme notions clés de ce travail en recherche-création. D'abord l'intelligence sensorielle représente notre capacité d'affiner notre perception. Elle est notre faculté de sentir, de comprendre et d’organiser les informations sensorielles provenant de notre corps et de notre environnement. Ensuite les pratiques somatiques regroupent plusieurs approches corporelles dont l'objectif est la réappropriation de son corps en mouvement afin de mieux comprendre son propre mode de fonctionnement et créer de nouvelles possibilités d’expression. Ces approches sont d'abord expérientielles, basées sur une expérience subjective de chacun, en contrepoids des connaissances empiriques observées chez les autres. -Dans son livre \textit{The Thinking Body} (1937) l'américaine Mabel Todd (1907-1977) pose les bases d’une pédagogie corporelle qui intègre des principes de la physique, de la mécanique et de l’anatomie humaine. En prenant appui sur les travaux scientifiques de son époque, Todd souligne l'importance de l'équilibre des forces du mouvement pour privilégier une économie de l'effort. Elle note également le fonctionnement autonome du corps humain, en faisant référence à la proprioception et à l'équilibre postural, aux émotions et à une forme de ``conscience kinesthésique” ou \gls{intelligence du mouvement} (qu'elle décrit en relation avec les muscles que la rétine engage pour approximer des distances). En réfléchissant à la structure anatomique humaine, à la disposition des os, des nerfs et des muscles, elle cherche à déterminer un lien entre leur forme et leur fonction, sorte de ´´loi d'un développement organique”. Son approche est révolutionnaire pour son époque, puisqu'elle relie des principes mécaniques et biologiques avec les lois de la physique. Intuitivement elle désigne la forme comme résultat de la fonction, par exemple en expliquant la structure du squelette en lien avec les forces de la gravité. Sa méthodologie est fondée sur des procédures de visualisation des images mentales, en amont de toute exécution du mouvement. Son objectif est d’intervenir sur les mécanismes inconscients qui régissent la motricité, en travaillant sur la représentation la plus précise du mouvement pendant que celui-ci est accompli: +Dans son livre \textit{The Thinking Body} (1937) l'américaine Mabel Todd (1907-1977) pose les bases d’une pédagogie corporelle qui intègre des principes de la physique, de la mécanique et de l’anatomie humaine. En prenant appui sur les travaux scientifiques de son époque, Todd souligne l'importance de l'équilibre des forces du mouvement pour privilégier une économie de l'effort. Elle note également le fonctionnement autonome du corps humain, en faisant référence à la proprioception et à l'équilibre postural, aux émotions et à une forme de ``conscience kinesthésique” ou \gls{intelligence du mouvement} (qu'elle décrit en relation avec les muscles que la rétine engage pour approximer des distances). En réfléchissant à la structure anatomique humaine, à la disposition des os, des nerfs et des muscles, elle cherche à déterminer un lien entre leur forme et leur fonction, sorte de ``loi d'un développement organique”. Son approche est révolutionnaire pour son époque, puisqu'elle relie des principes mécaniques et biologiques avec les lois de la physique. Intuitivement elle désigne la forme comme résultat de la fonction, par exemple en expliquant la structure du squelette en lien avec les forces de la gravité. Sa méthodologie est fondée sur des procédures de visualisation des images mentales, en amont de toute exécution du mouvement. Son objectif est d’intervenir sur les mécanismes inconscients qui régissent la motricité, en travaillant sur la représentation la plus précise du mouvement pendant que celui-ci est accompli: \begin{quote} ``L’imagination libère de la puissance. Lorsqu’on apprend consciemment à se servir d’images motivantes pour conditionner les réactions motrices adéquates, il faut connaître précisément trois choses : où cela se passe, dans quelle direction et selon quel désir. Quand les conditions sont réunies, le mouvement peut avoir lieu. ``Ça bouge”, alors, exactement comme ``il neige”, ``il pleut” ou ``il grêle”. Les muscles obéissant instantanément à la pensée, l’action adaptée survient.” \cite{todd2012corps} \end{quote} Je précise déjà que cette notion de représentation va accompagner aussi des observations en lien avec les sciences cognitives dans le deuxieme chapitre de ce manuscrit, et plus tard en lien avec les contextes artistiques comme les spectacles avec des robots. -Toujours sur les muscles, en lien avec ses observations sur la forme, elle identifie le mouvement comme sensation globale analogue à la fonction des muscles. Pour expliquer la compréhension qu’elle a de cette partie du corps, elle note l'inexistence d'une expérience phénoménale de nos muscles. En général, nous sommes conscients d'une sensation globale de mouvement, sans comprendre individuellement comment chaque muscle active une partie de notre squelette. Le sens de la perception, que je vais traiter dans les prochaines pages, viendra compléter cette appréhension que nous avons de notre propre corps et sa motricité. Cependant son fonctionnement est autonome, indépendamment de notre concentration et attention sur une partie du corps. +Toujours sur les muscles, en lien avec ses observations sur la forme, elle identifie le mouvement comme sensation globale analogue à la fonction des muscles. Pour expliquer la compréhension qu’elle a de cette partie du corps, elle note l'inexistence d'une expérience phénoménale de nos muscles. En général, nous sommes conscients d'une sensation globale de mouvement, sans comprendre individuellement comment chaque muscle active une partie de notre squelette. Le sens de la perception, que je vais traiter dans les prochaines pages, viendra compléter cette appréhension que nous avons de notre propre corps et sa motricité. Néanmoins son fonctionnement est autonome, indépendamment de notre concentration et attention sur une partie du corps. A l’époque où Todd écrivait son livre, les médecins pensaient que les muscles étaient commandés instantanément par la pensée. Les dernières découvertes en neurosciences\cite{schmidt2018motor} confirment que la plupart des opérations impliquées dans le contrôle des mouvements corporels, comme la plupart des stimuli qui initient un mouvement réflexe en particulier, sont de nature inconsciente. D’où vient alors cette pensée et comment des sens comme la proprioception sont en charge, autant des sensations de nos organes, que des fonctions régulatrices en lien avec les muscles. Par exemple, lorsque nous nous penchons en avant, nous faisons presque instantanément un mouvement en arrière afin de préserver notre équilibre. Comment comprendre cette vitesse avec laquelle opère notre corps pendant qu’il utilise des mouvements anticipateurs? Tout cela sans que notre pensée le détermine. Que dire alors des processus d’apprentissage comme celui de la conduite auto ou d’un nouveau type de danse? -Notre corps apprends des nouveaux mouvements et aptitudes, cela étant un processus organique constitutif de notre existence. À part des chercheurs en biologie et médecine, la plupart d’entre nous ne sommes pas capables d’identifier l’instance de notre cerveau qui s’occupe de ce type d’apprentissage ou auto-réglage, ni ressentir le moment précis quand cela se produit. Je rejoins Todd pour qui une nouvelle capacité motrice devient automatique une fois apprise et exécutée un nombre suffisamment des fois. C'est intéressant de remarquer que cela n'est pas (encore) possible chez les robots, malgré le nombre illimité d'itérations dont ils sont capables. +Notre corps apprends des nouveaux mouvements et aptitudes, cela étant un processus organique constitutif de notre existence. À part des chercheurs en biologie et médecine, la plupart d’entre nous ne sommes pas capables d’identifier l’instance de notre cerveau qui s’occupe de ce type d’apprentissage ou auto-réglage, ni ressentir le moment précis quand cela se produit. Je rejoins Todd pour qui une nouvelle capacité motrice devient automatique une fois apprise et exécutée un nombre suffisamment des fois. Il est intéressant de remarquer que cela n'est pas (encore) possible chez les robots, malgré le nombre illimité d'itérations dont ils sont capables. Presque un siècle après les observations de Todd, le neurophysiologiste Alain Berthoz décrit la perception comme une action simulée, bien plus qu'une interprétation des messages sensoriels: \begin{quote} @@ -108,7 +108,7 @@ Lorsque j’ai découvert des pratiques somatiques en 2013, cette idée de s'app ``L’intelligence du mouvement habite le corps tout entier, pas seulement le cerveau. Le cerveau est informé et informe et l’intelligence du mouvement dialogue avec la pensée. Nous avons appris à considérer notre corps comme une machine, à faire en sorte de le contrôler le plus efficacement possible, à le gérer comme un lieu d’entrée sortie, à l’espérer plus silencieux qu’expressif, pour finalement somatiser lorsque notre corps exprime l’inexprimé.”\cite{jay2014pratiques} \end{quote} -Concernant mes propres expériences kinesthésiques et le travail de ``prise de conscience” de mon corps, j'ai remarqué que cela est plus facilement traduisible en mots, lors des moments de lâcher prise en improvisation. Les outils que j’ai retenus lors des sessions d'apprentissage que je vais détailler plus bas, servent principalement à affiner ma concentration et la facilité de mouvement. La plupart des méthodes que j’ai pu expérimenter visent l'utilisation d’une quantité d'effort appropriée pour une activité particulière, libérant les tensions du corps pour avoir plus d'énergie à utiliser ailleurs. Bien que la communauté des pratiquants puisse parler des effets thérapeutiques de ces pratiques, j'aimerais clarifier cet aspect. +Concernant mes propres expériences kinesthésiques et le travail de ``prise de conscience” de mon corps, j'ai remarqué que cela est plus facilement traduisible en mots, lors des moments de lâcher-prise en improvisation. Les outils que j’ai retenus lors des sessions d'apprentissage que je vais détailler plus bas, servent principalement à affiner ma concentration et la facilité de mouvement. La plupart des méthodes que j’ai pu expérimenter visent l'utilisation d’une quantité d'effort appropriée pour une activité particulière, libérant les tensions du corps pour avoir plus d'énergie à utiliser ailleurs. Bien que la communauté des pratiquants puisse parler des effets thérapeutiques de ces pratiques, j'aimerais clarifier cet aspect. Pour moi et probablement pour des autres danseurs, il ne s'agit pas des traitements à proprement parler, mais plutôt d'une volonté de rééducation du corps en libérant des tensions, des blocages émotionnelles et la pensée. @@ -122,7 +122,7 @@ Le Body-Mind Centering a été créé à la fin des années 70 par Bonnie Bainbr \end{quote} Ainsi le développement du mouvement est étudié à l'échelle de son développement ontogénétique (c'est à dire de l'embryon à l'adulte) et comme évolution progressive des espèces dans le règne animal (un exemple expliqué par cette pratique est la marche des amphibies - évoluée en marche bipède des mammifères). -BMC est aussi une pédagogie du corps orientée vers la recherche d’un équilibre entre le système nerveux sympathique ( responsable du contrôle d'un grand nombre d'activités automatiques de l'organisme, tel le rythme cardiaque ou la contraction des muscles lisses) et le système nerveux parasympathique (régule les fonctions corporelles qui ne sont pas sous le contrôle volontaire de l'individu). Ces deux systèmes ont un fonctionnement complémentaire, avec le système nerveux sympathique qui active le corps lors des situations de stress et le système nerveux parasympathique qui le ralentit pour créer des situations de détente. Ainsi cette pratique corporelle est utilisée non seulement dans la danse mais aussi dans de nombreux types de travail corporel en lien avec la gestion du stress comme la psychothérapie, le yoga ou la musicothérapie. À travers le mouvement et le toucher, les praticiens explorent des principes anatomiques et physiologiques multiples. Cela favorise une prise de conscience des divers systèmes du corps (cellules, tissus, organes, squelette, le système neuro-endocrinien) pour orienter une action basée sur la perception. +BMC est aussi une pédagogie du corps orientée vers la recherche d’un équilibre entre le système nerveux sympathique (responsable du contrôle d'un grand nombre d'activités automatiques de l'organisme, tel le rythme cardiaque ou la contraction des muscles lisses) et le système nerveux parasympathique (régule les fonctions corporelles qui ne sont pas sous le contrôle volontaire de l'individu). Ces deux systèmes ont un fonctionnement complémentaire, avec le système nerveux sympathique qui active le corps lors des situations de stress et le système nerveux parasympathique qui le ralentit pour créer des situations de détente. Ainsi cette pratique corporelle est utilisée non seulement dans la danse mais aussi dans de nombreux types de travail corporel en lien avec la gestion du stress comme la psychothérapie, le yoga ou la musicothérapie. À travers le mouvement et le toucher, les praticiens explorent des principes anatomiques et physiologiques multiples. Cela favorise une prise de conscience des divers systèmes du corps (cellules, tissus, organes, squelette, le système neuro-endocrinien) pour orienter une action basée sur la perception. Parmi ces systèmes, sont mentionnés: \begin{itemize} \item Le système squelettique - structure de soutien qui répartit notre poids sur la terre, en lien avec la gravité. @@ -167,7 +167,7 @@ Un autre concept employé dans cette méthode est le centrage, décrit par Botti \cite{bottiglieri2012soigner} \end{quote} -La relation entre le toucher du potier et le réglage fin du centre de sa forme est une belle métaphore de ce que représente une exploration BMC. La personne qui pratique est en constant renouvellement et amélioration de ses sensations internes. Ce vocabulaire, proche d'une expérience ontologique, peut prêter à des confusions. Cependant, pour citer la chorégraphe Deborah Hay, l'endroit où la \gls{conscience} et l’incorporation ou l'\gls{embodiment} se rencontrent, représente un état d'alignement interne pour que chaque cellule du corps devient réceptive et capable d'un changement: +La relation entre le toucher du potier et le réglage fin du centre de sa forme est une belle métaphore de ce que représente une exploration BMC. La personne qui pratique est en constant renouvellement et amélioration de ses sensations internes. Ce vocabulaire, proche d'une expérience ontologique, peut prêter à des confusions. En revanche, pour citer la chorégraphe Deborah Hay, l'endroit où la \gls{conscience} et l’incorporation ou l'\gls{embodiment} se rencontrent, représente un état d'alignement interne pour que chaque cellule du corps devient réceptive et capable d'un changement: \begin{quote} ``S'accorder à notre conscience cellulaire nous amène à un état de base d'où découlent les manifestations complexes de notre être physique, physiologique et spirituel.\footnote{ @@ -260,10 +260,10 @@ Un de ses poèmes ``HA-NE NO KI ou L'arbre Ailé” découvert lors de ces renco Lorsque plus tard, j'ai découvert que Bonnie Bainbridge Cohen a pratiqué une grande partie de sa vie le \gls{Katsugen Undō}\cite{eddy2002somatic} (mouvement spontané naturel, régénérateur du corps en relation avec certaines pratiques shinto au Japon), j'ai compris à quel point les traditions orientales nous aident à nous réapproprier le corps au travers des interactions avec des partenaires non-humains, dont les robots sont un exemple. \subsection{Gaga} -Mes pérégrinations ont continué et début 2020 je suis arrivée en Israël pour expérimenter le Gaga Movement, dont la pédagogie encourage le lâcher prise et le plaisir de la danse. Mouvement de danse non-conventionnelle, cette pratique a été développée par le directeur artistique de la Batsheva Dance Company, Ohad Naharin. Lors d’un accident au dos dans les années 90, Naharin s'est lancé dans un processus de recherche corporelle avec des personnes sans expérience en danse. Ces expérimentations ont donné place au laboratoire Gaga/people, étant ensuite demandées comme training régulier par les danseurs de sa compagnie, sous la forme de cycles Gaga/dancers. Selon le contexte, cette technique a plusieurs déclinaisons: training pour renforcer le corps et le préparer physiquement en termes de souplesse et d'endurance, échauffement avant les répétitions et outil d’exploration pour cultiver la créativité. +Mes pérégrinations ont continué et début 2020 je suis arrivée en Israël pour expérimenter le Gaga Movement, dont la pédagogie encourage le lâcher-prise et le plaisir de la danse. Mouvement de danse non-conventionnelle, cette pratique a été développée par le directeur artistique de la Batsheva Dance Company, Ohad Naharin. Lors d’un accident au dos dans les années 90, Naharin s'est lancé dans un processus de recherche corporelle avec des personnes sans expérience en danse. Ces expérimentations ont donné place au laboratoire Gaga/people, étant ensuite demandées comme training régulier par les danseurs de sa compagnie, sous la forme de cycles Gaga/dancers. Selon le contexte, cette technique a plusieurs déclinaisons: training pour renforcer le corps et le préparer physiquement en termes de souplesse et d'endurance, échauffement avant les répétitions et outil d’exploration pour cultiver la créativité. Dans son article - ``The Phenomenology of the Body Schema and Contemporary Dance Practice: The Example of \textit{Gaga}”, la chercheuse en danse Anna Foultier décrit les modalités de travail des danseurs du 21e siècle, devenus entrepreneurs de leur propre corps et de leur technicité: \begin{quote} -``En raison des tendances chorégraphiques et artistiques récentes, ainsi que de la difficulté croissante d'obtenir des contrats plus longs, les danseurs sont devenus des \textit{entrepreneurs} censés réinventer leur formation, s'adapter à divers styles et pratiques chorégraphiques pour souvent composer du matériel chorégraphique pour les projets pour lesquels ils travaillent. Que cela soit perçu comme promouvant leur agence et leur autorité ou comme une adaptation à un contexte sociétal marqué par le néolibéralisme, le danseur contemporain doit faire preuve d'une approche éclectique où son entraînement peut varier du ballet, moderne, jazz, capoeira, pilates ou yoga à la natation ou à la course. Dans le monde de la danse post-postmoderne, l'accent n'est plus donné par le moulage du corps à une certaine norme, comme dans le ballet classique, ou sur le démantèlement des habitudes afin de découvrir des modèles de mouvement naturels, comme dans la danse moderne, mais plutôt sur la déconstruction et le remodelage continus des corps\footnote{ne version originale: ``Due to choreographic and artistic trends as well as the increasing difficulty for dancers to obtain longer contracts, the dancer has become an “entrepreneur” supposed to fashion her training, adapt to various choreographic styles and practices, and often provide movement material to the pieces she works with. Whether this is seen as liberating the dancer’s agency and authority over her work or as an accommodation to a societal context marked by neo- liberalism where marketability is an imperative, the contemporary dancer has an eclectic approach where training can vary from ballet, modern, jazz, capoeira, pilates or yoga classes to swimming or running. In the post-postmodern dance world, emphasis is no longer on moulding the body into a certain form, as in classical ballet, or to dismantle habits in order to uncover natural movement patterns, as in early modern dance, but rather on continuously deconstructing and repatterning the body .”}.” +``En raison des tendances chorégraphiques et artistiques récentes, ainsi que de la difficulté croissante d'obtenir des contrats plus longs, les danseurs sont devenus des \textit{entrepreneurs} censés réinventer leur formation, s'adapter à divers styles et pratiques chorégraphiques pour souvent composer du matériel chorégraphique pour les projets pour lesquels ils travaillent. Que cela soit perçu comme promouvant leur capacité d'action et leur autorité ou comme une adaptation à un contexte sociétal marqué par le néolibéralisme, le danseur contemporain doit faire preuve d'une approche éclectique où son entraînement peut varier du ballet, moderne, jazz, capoeira, pilates ou yoga à la natation ou à la course. Dans le monde de la danse post-postmoderne, l'accent n'est plus donné par le moulage du corps à une certaine norme, comme dans le ballet classique, ou sur le démantèlement des habitudes afin de découvrir des modèles de mouvement naturels, comme dans la danse moderne, mais plutôt sur la déconstruction et le remodelage continus des corps\footnote{ne version originale: ``Due to choreographic and artistic trends as well as the increasing difficulty for dancers to obtain longer contracts, the dancer has become an “entrepreneur” supposed to fashion her training, adapt to various choreographic styles and practices, and often provide movement material to the pieces she works with. Whether this is seen as liberating the dancer’s agency and authority over her work or as an accommodation to a societal context marked by neo- liberalism where marketability is an imperative, the contemporary dancer has an eclectic approach where training can vary from ballet, modern, jazz, capoeira, pilates or yoga classes to swimming or running. In the post-postmodern dance world, emphasis is no longer on moulding the body into a certain form, as in classical ballet, or to dismantle habits in order to uncover natural movement patterns, as in early modern dance, but rather on continuously deconstructing and repatterning the body .”}.” \cite{foultier2021phenomenology} \end{quote} Dans les cours de Gaga que j’ai pris, l'enseignant et les participants sont en constant mouvement. Les participants reçoivent plusieurs types d’instructions: lever ses bras comme s'ils avaient un poids lourd sur le dos, les soulever et les laisser tomber en étant recouvert par du miel, sentir ses bras légers comme une plume, tomber au sol avec la même vitesse que les bras qui tombent, etc. L'objectif de Gaga est d'ouvrir de nouvelles possibilités d'exploration dans le corps et ainsi confronter les anciennes habitudes et facilités musculaires afin de développer une conscience du corps et une écoute intérieure. @@ -299,7 +299,7 @@ Tout d'abord, je me familiarise avec la pièce où je suis et la surface sur laq Petit à petit je sens les muscles de ma cuisse se fatiguer. Pour Berceli, cette phase provoque les shakes ou les tremblements. Au fur et à mesure que mes genoux s’approchent, les tremblements deviennent plus évidents et je peux les sentir remonter le long de mes jambes. Après vingt minutes, alors que mes genoux sont maintenant presque collés l'un à l’autre, je commence à saccader le bas de mon corps presque d'une façon comique. Pour prolonger l'expérience, je m'allonge sur le dos et prends quelques minutes pour expirer bruyamment. Lorsque je me sens prête, je m’assois sur mes talons. Je prends quelques respirations, puis je réfléchis à mon ressenti et à comment mon corps a réagi. Puis je remémore cette sensation pour la laisser m'accompagner dans mon improvisation. -Si dans BMC, le \gls{Basic Neuro Cellular Patterns} s'appuie aussi sur des analogies avec les vibrations des organismes non-vertébrées, je ne peux pas omettre la question du rythme (relatif à l'espace, au temps et aux relations) et la place que cela a lors des \gls{mouvements spontanés} qui semblent s'y extraire à son fonctionnement. Tout comme l'opacité des \gls{fascia}, sorte d'élément diffus à travers le corps (loin de la précision des articulations), qui nous fournit davantage un sentiment de connexion entre l'extérieur et l'intérieur du corps, une fois que nous apprenons à le reconnaitre. Lors d'une session de \gls{contact improvisation}, utiliser les informations sensorielles pour cultiver par exemple notre sens d'intéroception, ou bien celui de proprioception, nous aide à mieux résonner avec notre environnement et aussi à mieux nous connaitre. Cependant, lorsque nous nous concentrons sur ces sensations, la danse est vécue intérieurement. Alors est-il possible de pratiquer un état de présence en parallèle avec un état de concentration interne, ou faut-il osciller entre les deux? Dans les processus collectifs, les sens, et particulièrement celui de toucher, sont engagés. Un dialogue entre sensation et mouvement opère, sorte de fondement d'une perception individuelle et subjective, des autres et de nous-mêmes. Nous allons nous arrêter sur ce type d’expériences dans la partie pratique de ce travail en danse. Les pratiques somatiques ont apporté un nouveau souffle dans la compréhension du corps et de la subjectivité de chacun. J'ai pu expérimenter certaines de ces formes afin d’élargir ma vision de la danse, comme forme d'expression de soi en lien avec les autres. Comme nous avons vu plus haut, cet \textit{autre} dépend du contexte socio-culturel de chaque pratique. En général j'ai observé comment l’\gls{éducation somatique} réorganise l'attention sur le corps, en interrogeant la place du danseur et de son identité dans les formes contemporaines de la danse. Les pages qui suivent constituent une synthèse des chorégraphes qui ont marqué l'histoire de la danse. Je me suis arrêtée sur des chorégraphes dont le travail m'inspire, afin d'annoncer une certaine revendication d'une identité artistique en cours de définition. +Si dans BMC, le \gls{Basic Neuro Cellular Patterns} s'appuie aussi sur des analogies avec les vibrations des organismes non-vertébrées, je ne peux pas omettre la question du rythme (relatif à l'espace, au temps et aux relations) et la place que cela a lors des \gls{mouvements spontanés} qui semblent s'y extraire à son fonctionnement. Tout comme l'opacité des \gls{fascia}, sorte d'élément diffus à travers le corps (loin de la précision des articulations), qui nous fournit davantage un sentiment de connexion entre l'extérieur et l'intérieur du corps, une fois que nous apprenons à le reconnaitre. Lors d'une session de \gls{contact improvisation}, utiliser les informations sensorielles pour cultiver par exemple notre sens d'intéroception, ou bien celui de proprioception, nous aide à mieux résonner avec notre environnement et aussi à mieux nous connaitre. En revanche, lorsque nous nous concentrons sur ces sensations, la danse est vécue intérieurement. Alors est-il possible de pratiquer un état de présence en parallèle avec un état de concentration interne, ou faut-il osciller entre les deux? Dans les processus collectifs, les sens, et particulièrement celui de toucher, sont engagés. Un dialogue entre sensation et mouvement opère, sorte de fondement d'une perception individuelle et subjective, des autres et de nous-mêmes. Nous allons nous arrêter sur ce type d’expériences dans la partie pratique de ce travail en danse. Les pratiques somatiques ont apporté un nouveau souffle dans la compréhension du corps et de la subjectivité de chacun. J'ai pu expérimenter certaines de ces formes afin d’élargir ma vision de la danse, comme forme d'expression de soi en lien avec les autres. Comme nous avons vu plus haut, cet \textit{autre} dépend du contexte socio-culturel de chaque pratique. En général j'ai observé comment l’\gls{éducation somatique} réorganise l'attention sur le corps, en interrogeant la place du danseur et de son identité dans les formes contemporaines de la danse. Les pages qui suivent constituent une synthèse des chorégraphes qui ont marqué l'histoire de la danse. Je me suis arrêtée sur des chorégraphes dont le travail m'inspire, afin d'annoncer une certaine revendication d'une identité artistique en cours de définition. \section{Renouvellement des approches chorégraphiques dans l’histoire de la danse} @@ -357,7 +357,7 @@ En 1981 elle intègre les principes de cette pédagogie lors des ateliers de dan \footnote{``This way of working is now called the expressive arts approach, although it wasn’t called expressive art in those days. I was able to envision a kind of dance that had a purpose, a healing purpose, a societal purpose, an environmental purpose. I never considered myself a therapist, although I might be referred to as a therapist. I consider myself simply a dancer. I began to think of these dances I was making as rituals. I found that the word ritual enabled me to move more consciously into the realm of dancing for the people, dancing for change.”}.” \cite{halprin2015moving} \end{quote} -Cette danse a été d’abord performée un dimanche de Pâques, en pleine nature, sur une montagne où elle avait déjà l’habitude de danser. Halprin relate comment avec son groupe de participants, ils sont descendus du sommet de la montagne, après avoir accueilli le lever du soleil. Ils ont ensuite formé un cercle en dansant juste en dessous du sommet, pour pouvoir regarder dans les quatre directions. Chaque direction avait sa propre symbolique: le Sud est l'endroit d'où vient la vie, le Nord est l'endroit d'où vient la mort, l'Ouest est l'endroit où va la lumière et l'Est est l'endroit d'où vient la lumière. Après la session les danseurs partagent leur expérience, par petits groupes. En remémorant une de ses expériences de \textit{Danse Planétaire}, Halprin évoque le souvenir d’un participant qu’elle connaissait, qui était en larmes, profondément ému par l'expérience. En écoutant son récit, elle a compris qu'il a eu une prise de conscience des aspects spirituels de sa vie. Souvent parmi les participants, la recherche de la spiritualité peut donner l’impression de quelque chose de spécial, d'inatteignable. Cependant la personne en cause a trouvé un moment d’illumination en lien avec son travail. Il a mieux compris la relation qu’il avait avec ses employés au restaurant, de la façon dont il traitait ses collègues, de la façon dont ils avaient l'habitude d’interagir et de coopérer. Pour lui, cette expérience d’appartenir à un groupe, relevait de la spiritualité. +Cette danse a été d’abord performée un dimanche de Pâques, en pleine nature, sur une montagne où elle avait déjà l’habitude de danser. Halprin relate comment avec son groupe de participants, ils sont descendus du sommet de la montagne, après avoir accueilli le lever du soleil. Ils ont ensuite formé un cercle en dansant juste en dessous du sommet, pour pouvoir regarder dans les quatre directions. Chaque direction avait sa propre symbolique: le Sud est l'endroit d'où vient la vie, le Nord est l'endroit d'où vient la mort, l'Ouest est l'endroit où va la lumière et l'Est est l'endroit d'où vient la lumière. Après la session les danseurs partagent leur expérience, par petits groupes. En remémorant une de ses expériences de \textit{Danse Planétaire}, Halprin évoque le souvenir d’un participant qu’elle connaissait, qui était en larmes, profondément ému par l'expérience. En écoutant son récit, elle a compris qu'il a eu une prise de conscience des aspects spirituels de sa vie. Souvent parmi les participants, la recherche de la spiritualité peut donner l’impression de quelque chose de spécial, d'inatteignable. Cependant, la personne en cause a trouvé un moment d’illumination en lien avec son travail. Il a mieux compris la relation qu’il avait avec ses employés au restaurant, de la façon dont il traitait ses collègues, de la façon dont ils avaient l'habitude d’interagir et de coopérer. Pour lui, cette expérience d’appartenir à un groupe, relevait de la spiritualité. Anna Halprin a révolutionnée la danse, en la décloisonnant, en la rendant plus accessible. Les participants à ses stages ont appris à écouter leurs corps, ont formé une communauté temporaire, égaux dans leurs différences. Cette inclusion peut elle être appliquée aux non-humains une fois que nous aurons appris à danser avec nos différences ? @@ -389,11 +389,11 @@ Son premier livre, \textit{Moving Through the Universe in Bare Feet} (1975), con Son troisième livre \textit{My Body, The Buddhist}, est publié par la suite à Wesleyan University Press en 2000. Ce livre contient ses réflexions sur le bouddhisme et les leçons qu'elle a apprises en portant une attention particulière à son corps pendant qu'elle dansait. Le concept de \gls{mémoire cellulaire} est également décrit dans cette livre. Bien que difficile de définir, ce concept élargit l’expérience de la perception au niveau cellulaire. Ainsi pour Hay, l’expérience de chaque cellule peut être ressentie individuellement. Dans sa thèse \textit{Dance in the light of neuroscience : sharing the experience of Deborah Hay's performance : her work and reflections}, la chercheuse Gabriela Karolczak part du postulat que la danse est une expérience partagée entre un danseur et un spectateur, enracinée dans le mécanisme neurologique des \gls{neurones miroirs}\cite{karolczak2011dance, gallese1996action}. Pour elle, les point d'interrogation en danse, dont les neurosciences peuvent apporter des éléments de réponse, visent la validité écologique des expériences vécues. Le travail de Hay et la façon dont elle témoigne de ses observations empiriques à travers des décennies de pratique, transforment ses spectateurs en participants actifs à ses questionnements. D’ailleurs le credo artistique de Hay est défini de façon suivante: \begin{quote} - ``Sans que ce soit mon intention, la danse est devenue un moyen d’étude et d’application du détachement. En fait, je préfère le terme de détachement car il implique un rôle plus actif dans le lâcher prise. L’équilibre entre la fidélité et le désattachement de cette fidélité, d'une façon sensuelle et chorégraphique, est la manière dont la pratique de la danse reste vivante pour moi + ``Sans que ce soit mon intention, la danse est devenue un moyen d’étude et d’application du détachement. En fait, je préfère le terme de détachement car il implique un rôle plus actif dans le lâcher-prise. L’équilibre entre la fidélité et le désattachement de cette fidélité, d'une façon sensuelle et chorégraphique, est la manière dont la pratique de la danse reste vivante pour moi \footnote{``Without it being my intention, dance has become a medium for the study and application of detachment. Actually, I prefer the term dis-attachment because it implies a more active role in letting go. The balance between loyalty and dis-attachment to that loyalty, sensually and choreographically, is how the practice of dance remains alive for me.” December 2010}.” \end{quote} -Plus que des repères, ces œuvres et chorégraphes que j'ai mentionnés ont apporté leur contribution à l'histoire de la danse tout au long du 20e siècle. Par leur existence, elles ont ouvert le chemin de l’expérimentation en transformant la danse en moyen d’écriture corporelle. Reste à voir comment l'usage des nouvelles technologies va influencer les formes d'expression de cet art. +Plus que des repères, ces œuvres et chorégraphes, dont je revendique l'influence, ont apporté leur contribution à l'histoire de la danse tout au long du 20e siècle. Par leur existence, elles ont ouvert le chemin de l’expérimentation en transformant la danse en moyen d’écriture corporelle. Reste à voir comment l'usage des nouvelles technologies va influencer les formes d'expression de cet art. À travers une approche sensorielle du mouvement et de la performance, la chorégraphe Deborah Hay partage les ressorts intimes de sa création artistique avec les danseurs avec lesquels elle travaille. Son livre \textit{My body, the Buddhist} constitue un journal intime de ses expérimentations et hésitations concernant cette voie du corps et son vécu. @@ -419,7 +419,7 @@ Laban définit également \textit{la kinésphère} comme un espace imaginaire pe \end{figure} \subsection{La notation Benesh} -Apparu à Londres en 1955 sous le nom de Notation de Mouvement Benesh, ce système de notation a été créé par Rudolf Benesh, musicien et mathématicien. L’objectif de la notation Benesh est de codifier de façon concise par l'écriture, tous les mouvements possibles du corps humain - à la manière d'une partition de musique. Autre que l’analyse de mouvement chorégraphique, cette notation sera utilisée conjointement dans le domaine de l’ergonomie, de la médecine et de l’anthropologie de la danse. Entre autres, la notation Banesh fait partie d'un projet pilote réalisé avec le Centro di Educazione Motoria de Florence en 1967. Cela permet d’analyser les déficiences musculaires et contribue au traitement des enfants souffrant de paralysie cérébrale. Des physiothérapeutes basés en Suède et au Japon étudieront également le potentiel de la notation comme outil d’observation clinique et d’analyse pour des créations chorégraphiques. Cependant la notation Benesh est principalement utilisée aujourd'hui comme outil d'enregistrement et d'analyse du mouvement. Sa grammaire est claire et simple: lues de haut en bas, les cinq lignes du cadre de notation coïncident avec les positions de la tête, des épaules, de la taille, des genoux et des pieds. Des points ou des lignes délimitent la position et le mouvement de chaque articulation. +Apparu à Londres en 1955 sous le nom de Notation de Mouvement Benesh, ce système de notation a été créé par Rudolf Benesh, musicien et mathématicien. L’objectif de la notation Benesh est de codifier de façon concise par l'écriture, tous les mouvements possibles du corps humain - à la manière d'une partition de musique. Autre que l’analyse de mouvement chorégraphique, cette notation sera utilisée conjointement dans le domaine de l’ergonomie, de la médecine et de l’anthropologie de la danse. Entre autres, la notation Banesh fait partie d'un projet pilote réalisé avec le Centro di Educazione Motoria de Florence en 1967. Cela permet d’analyser les déficiences musculaires et contribue au traitement des enfants souffrant de paralysie cérébrale. Des physiothérapeutes basés en Suède et au Japon étudieront également le potentiel de la notation comme outil d’observation clinique et d’analyse pour des créations chorégraphiques. Néanmoins, la notation Benesh est principalement utilisée aujourd'hui comme outil d'enregistrement et d'analyse du mouvement. Sa grammaire est claire et simple: lues de haut en bas, les cinq lignes du cadre de notation coïncident avec les positions de la tête, des épaules, de la taille, des genoux et des pieds. Des points ou des lignes délimitent la position et le mouvement de chaque articulation. \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/benesh} @@ -463,7 +463,7 @@ Il se poursuit avec une présentation des chorégraphes qui ont œuvré pour un \textit{Affective schemas remain unconscious when not matched with accommodation.} J. Piaget -Notre recherche-création est pensée comme un exercice d'imagination et de spéculation. L’interprétation que je donne au concept de \gls{conscience artificielle} (CA) est pensée en lien avec des réflexions éthiques sur l'avènement de la technologie et son impact sur notre société. Des disciplines telles la psychologie, la neurologie et les neurosciences ou la philosophie, n’arrivent pas à se mettre d’accord sur ce que le terme \gls{conscience} humaine désigne. Imaginer l'équivalent artificiel de cette conscience reste ici une simple projection artistique. Cependant des artefacts comme les robots (dont elle pourrait un jour être issue), leurs spécificités et capacités sont des paramètres que j'ai pu étudier de près, en observant leur rapport à l'\gls{intelligence} et l’\gls{adaptation}. Je suis consciente que des termes telles la conscience, l'intelligence ou l'adaptation ont des significations spécifiques, selon le domaine où elles opèrent. Une grande partie de ces mots-clé et leurs notions complexes, sont définis dans le glossaire en fin de manuscrit. D'autres comme les pratiques somatiques, émergent en lien avec une discipline (la danse) et je cherche leur équivalent dans d'autres domaines. Pour lier pratiques somatiques et robotique, je tente d'abord identifier des sous-domaines dans la robotique qui pourraient être intéressés par cela. +Notre recherche-création est pensée comme un exercice d'imagination et de spéculation. L’interprétation que je donne au concept de \gls{conscience artificielle} (CA) est pensée en lien avec des réflexions éthiques sur l'avènement de la technologie et son impact sur notre société. Des disciplines telles la psychologie, la neurologie et les neurosciences ou la philosophie, n’arrivent pas à se mettre d’accord sur ce que le terme \gls{conscience} humaine désigne. Imaginer l'équivalent artificiel de cette conscience reste ici une simple projection artistique. Cependant, des artefacts comme les robots (dont elle pourrait un jour être issue), leurs spécificités et capacités sont des paramètres que j'ai pu étudier de près, en observant leur rapport à l'\gls{intelligence} et l’\gls{adaptation}. Je suis consciente que des termes telles la conscience, l'intelligence ou l'adaptation ont des significations spécifiques, selon le domaine où elles opèrent. Une grande partie de ces mots-clé et leurs notions complexes sont définis dans le glossaire en fin de manuscrit. D'autres comme les pratiques somatiques, émergent en lien avec une discipline (la danse) et je cherche leur équivalent dans d'autres domaines. Pour lier pratiques somatiques et robotique, je tente d'abord identifier des sous-domaines dans la robotique qui pourraient être intéressés par cela. Bien qu'ils sont au cœur des investissements économiques actuels, les robots ne sont pas encore accessibles à grande échelle. Pour ouvrir le débat, prenons le cas de l’ordinateur comme exemple d'artefact électronique auquel nous interagissons le plus. Il a été construit grâce à des modélisations mathématiques d'opérations logiques de calcul. Comme l'explique bien l'artiste et chercheur Simon Penny, la puissance de calcul d'un ordinateur est impressionnante, mais il n'est pas doté d'une intelligence propre: \begin{quote} @@ -492,20 +492,20 @@ Selon l'école qui la revendique, la cognition et ses propriétés sont sujettes \footnote{en version originale: ``the autopoietic conception of cognition is incompatible with the cognitivist conception (which is derived from Anglo-American analytic philosophy, though ana­lytic philosophers have accused cognitivists of being a bit sloppy). Continen­tal philosophers (phenomenologists) draw distinctions differently. When Lakoff and Johnson talk about the cognitive unconscious, their conceptions of the conscious and unconscious diverge from Freudian ideas. One reason for this confusion of terminology is precisely the condition of the paradigm shift itself. Neologisms (some of them clunky) and borrowings from other languages abound because existing language is built around dualist concepts. New language is needed. Maturana and Varela coine \gls{autopoiesis}. Gibson invented \gls{affordance}. Likewise \gls{umwelt} and \textit{enactivism} and other terms are now part of a new vocabulary.”.”} \cite{penny2019mit} \end{quote} -Par exemple l'affordance, concerne les possibilités d'interaction d'un objet (une tasse sur la table peut servir pour boire aux humains qui la prennent en main, tandis qu'une mouche s'y noie et une insecte peut se faire écraser en marchant en-dessous). D'une manière analogique, si nous considérons les robots comme des objets, la manière dont nous les employions dépend de notre contexte (un robot médical est utilisé d'une manière en laboratoire lors de sa configuration, d'une autre à l’hôpital et d'une autre dans un spectacle de danse). +Par exemple l'affordance, concerne les possibilités d'interaction d'un objet (une tasse sur la table peut servir pour boire aux humains qui la prennent en main, tandis qu'une mouche s'y noie et une insecte peut se faire écraser en marchant en-dessous). De façon comparable, si nous considérons les robots comme des objets, la manière dont nous les employions dépend de notre contexte (un robot médical est utilisé d'une manière en laboratoire lors de sa configuration, d'une autre à l’hôpital et d'une autre dans un spectacle de danse). \subsection{Le cognitivisme} Les préoccupations actuelles de certains scientifiques s'orientent vers un renouvellement de la vision traditionnelle du cognitivisme. Ce courant a été fondé dans les années 1950, autour de représentations et de calculs mentaux. Ses principes ont été promus en outre par les recherches de l'épistémologiste suisse Jean Piaget (1896-1980) sur la biologie du développement des enfants. Les découvertes de Piaget ont ensuite influencé le \gls{constructivisme} qui place l'expérience au cœur de l'acquisition des savoirs. Des modèles théoriques inspirés par le cognitivisme, emploient les mécanismes de construction active des savoirs au centre des expérimentations pratiques. -Un des objectifs du cognitivisme est de démontrer comment les états intentionnels définis par des propriétés causales (c'est à dire désirs, intentions), sont physiquement possibles et capables d'induire un comportement. Pour illustrer cela, Valera utilise la notion de \textit{calcul symbolique} où les calculs sont définis comme opérations sur des symboles qui respectent ou sont contraints par des valeurs sémantiques. Cependant il souligne combien il est important de se rappeler qu’un ordinateur fonctionne seulement sur la forme physique des symboles qu’il calcule, puisqu’il n’a pas accès à leur valeur sémantique. Avec le temps, l’idée que la logique ne suffit pas pour simuler et comprendre le fonctionnement du cerveau a fait émerger des points de vue contradictoires parmi les chercheurs. Pour Varela l'intelligence réside dans la capacité de calcul des symboles: +Un des objectifs du cognitivisme est de démontrer comment les états intentionnels définis par des propriétés causales (c'est à dire désirs, intentions), sont physiquement possibles et capables d'induire un comportement. Pour illustrer cela, Valera utilise la notion de \textit{calcul symbolique} où les calculs sont définis comme opérations sur des symboles qui respectent ou sont contraints par des valeurs sémantiques. En revanche, il souligne combien il est important de se rappeler qu’un ordinateur fonctionne seulement sur la forme physique des symboles qu’il calcule, puisqu’il n’a pas accès à leur valeur sémantique. Avec le temps, l’idée que la logique ne suffit pas pour simuler et comprendre le fonctionnement du cerveau a fait émerger des points de vue contradictoires parmi les chercheurs. Pour Varela l'intelligence réside dans la capacité de calcul des symboles: \begin{quote} ``L’intuition centrale derrière le cognitivisme est que l’intelligence – y compris l’intelligence humaine – ressemble tellement au calcul dans ses caractéristiques essentielles, que la cognition peut en réalité être définie comme le calcul de représentations symboliques. Il est clair que cette observation n’aurait pas pu exister, sans les résultats obtenus au cours de la décennie précédente. La principale différence est qu'aujourd'hui l’une des nombreuses idées originales et provisoires, est désormais promue au rang d’hypothèse à part entière. Cela avec un fort désir de démarquer ses limites de ses racines exploratoires et interdisciplinaires, où les sciences sociales et biologiques occupent une place consacrée dans leur multiple complexité \footnote{en version originale: ``The central intuition behind cognitivism is that intelligence—human intelligence included—so resembles computation in its essential characteristics that cognition can actually be defined as computations of symbolic representations. Clearly this orientation could not have emerged without the basis laid during the previous decade. The main difference was that one of the many original, tentative ideas was now promoted to a full-blown hypothesis, with a strong desire to set its boundaries apart from its broader, exploratory, and interdisciplinary roots, where the social and biological sciences figured preeminently with all their multifarious complexity.”}.” \cite{varela2017mit} \end{quote} -Lorsqu’un système non-vivant est capable de calculs performants il devient intelligent. Cependant les sciences sociales apportent des nouvelles variables difficilement modélisables dans cette équation. Pas loin du début du 20e siècle, entre une vision matérialiste du monde et son contrepoids marqué par le dualisme corps-esprit, des philosophes tels Raymond Ruyer\cite{van1940raymond} ou Henri Bergson\cite{bergson1896matiere} traitent aussi de ces questions. Les deux expliquent l’activité cognitive par la réalité physiologique du cerveau et son lien avec le corps. Si Ruyer affirme que ``c’est du cerveau réel, de sa subjectivité, que naissent les sensations”, pour Bergson le cerveau est un instrument en relation avec le corps\cite{andrieu2005realite} dont le mouvement est compris grâce à sa mécanique. En contrepoids, Ruyer souligne le fait que le cerveau, comme siège de la conscience, a d'abord un fonctionnement sensoriel: +Lorsqu’un système non-vivant est capable de calculs performants il devient intelligent. Les sciences sociales apportent des nouvelles variables difficilement modélisables dans cette équation. Pas loin du début du 20e siècle, entre une vision matérialiste du monde et son contrepoids marqué par le dualisme corps-esprit, des philosophes tels Raymond Ruyer\cite{van1940raymond} ou Henri Bergson\cite{bergson1896matiere} traitent aussi de ces questions. Les deux expliquent l’activité cognitive par la réalité physiologique du cerveau et son lien avec le corps. Si Ruyer affirme que ``c’est du cerveau réel, de sa subjectivité, que naissent les sensations”, pour Bergson le cerveau est un instrument en relation avec le corps\cite{andrieu2005realite} dont le mouvement est compris grâce à sa mécanique. En contrepoids, Ruyer souligne le fait que le cerveau, comme siège de la conscience, a d'abord un fonctionnement sensoriel: \begin{quote} ``Le cerveau est le lieu de l’organisme par où passent les circuits externes, la fabrication des outils et des machines, la création des œuvres d’art, des institutions sociales, l’organisation et l’entretien de tous les produits de la culture. Le cerveau est en nous comme une partie embryonnaire conservée. (...) Le \textit{je} psychologique et cortical est le résultat d’un devenir mais second car il côtoie l’organique de sa mémoire corporelle. Cette coexistence est une intégration plutôt qu’un emboîtement, car l’activité de la conscience ne peut être séparée de son tissu vivant, se définissant ainsi comme une conscience sensorielle.” @@ -520,7 +520,7 @@ Ces observations théoriques vont être confirmées par des chercheurs en neuros %https://www.researchgate.net/publication/280447321_Introduction_to_the_Special_Issue_on_4E_Cognition -J'ai choisi de présenter le concept de cognition sous l’angle de la Théorie 4E de la Cognition ou \gls{The 4E Cognition Theory}, dont les recherches se concentrent sur le lien entre la cognition, la perception et l’action. Cette théorie défend l’hypothèse que la cognition est plus qu’un modèle cartésien d’opérations dans le cerveau. L’idée que le cerveau est similaire à un ordinateur, met en avant des phénomènes cognitifs entièrement déterminés par leur rôle fonctionnel. Cependant ici les phénomènes cognitifs sont étudiés en lien avec leur environnement. Les processus comme les détails biologiques et physiologiques du corps d’un agent, définies comme des processus extra-crâniens, sont analysés en lien avec son environnement naturel actif. +J'ai choisi de présenter le concept de cognition sous l’angle de la Théorie 4E de la Cognition ou \gls{The 4E Cognition Theory}, dont les recherches se concentrent sur le lien entre la cognition, la perception et l’action. Cette théorie défend l’hypothèse que la cognition est plus qu’un modèle cartésien d’opérations dans le cerveau. L’idée que le cerveau est similaire à un ordinateur, met en avant des phénomènes cognitifs entièrement déterminés par leur rôle fonctionnel. Cependant, ici les phénomènes cognitifs sont étudiés en lien avec leur environnement. Les processus comme les détails biologiques et physiologiques du corps d’un agent, définies comme des processus extra-crâniens, sont analysés en lien avec son environnement naturel actif. Les caractéristiques principales de cette théorie se déclinent en quatre types de cognition: \begin{itemize} @@ -587,7 +587,7 @@ Dans le même temps, les différentes approches concernant la cognition ont auss \begin{quote} ``Sur la base de son moi cognitif virtuel, mais néanmoins cohérent et autonome, le sujet fait émerger depuis son corps, « énacte » – dit Varela, ses propres significations au fil de l'histoire de son couplage à l'environnement. Avec l'énaction, la cognition est incarnée (embodied cognition). Le cerveau existe dans un corps, le corps existe dans le monde, et l'organisme bouge, agit, perçoit, se reproduit, rêve, imagine. C'est de cette activité permanente qu'émerge le sens du monde et des choses.”\cite{lestage2021approche} \end{quote} -Dans notre contexte l'action est la danse, les significations qui découlent de cette intention à danser sont faciles à déterminer. Cependant aucun robot ne saura nous aider à expliquer le siennes. Pourtant, participer à cette enquête subjective sous la forme d'une recherche-création avec des robots qui dansent (ou font semblant de danser), nous permet de faire des projections à leur place. +Dans notre contexte l'action est la danse, les significations qui découlent de cette intention à danser sont faciles à déterminer. En revanche, aucun robot ne saura nous aider à expliquer le siennes. Pourtant, participer à cette enquête subjective sous la forme d'une recherche-création avec des robots qui dansent (ou font semblant de danser), nous permet de faire des projections à leur place. \section{Définitions de la conscience} @@ -605,7 +605,7 @@ Pour cela nous nous appuyons sur la littérature\cite{friston2016mit}. Selon les Un premier critère est celui du niveau de conscience, propre aux créatures vivantes - ce niveau varie entre plusieurs étapes parmi lesquelles les états végétatifs, les états de sommeil sans rêve et l’état d’éveil conscient vif. Le deuxième se concentre sur le contenu de la conscience ou ce que cela veut dire d'avoir une connaissance \textit{auto-réflexive} de son propre état mental. Pour les créatures -vivantes, il existe des sortes de ``stimuli auto-référentiels”\cite{vanhaudenhuyse2007elsevier} - propres au fait de suivre son reflet dans le miroir. Évidement qu'à l'heure actuelle, ce phénomène n’est implémenté que très peu dans les machines et lorsque cela est fait, cela soulève des questions éthiques\cite{chatila2022pourquoi}. Vanhaudenhuyse propose une schéma qui détaille la corrélation entre le niveau d’éveil et la conscience de soi et de l’environnement: +vivantes, il existe des sortes de ``stimuli auto-référentiels”\cite{vanhaudenhuyse2007elsevier} - propres au fait de suivre son reflet dans le miroir. Évidemment qu'à l'heure actuelle, ce phénomène n’est implémenté que très peu dans les machines et lorsque cela est fait, cela soulève des questions éthiques\cite{chatila2022pourquoi}. Vanhaudenhuyse propose une schéma qui détaille la corrélation entre le niveau d’éveil et la conscience de soi et de l’environnement: \begin{figure} \centering @@ -634,7 +634,7 @@ for use in reasoning and rationally guiding speech and action.”}.” \cite{block2002oxford} \end{quote} -Ainsi la conscience phénoménale résulte d’expériences sensorielles et de notre perception mélangeant des sensations comme l’ouïe ou l’odorat, des sensations type douleur ou perceptions type proprioception, ainsi que des émotions telles la peur, parmi autres. À l’opposée, la conscience d’accès est disponible pour une utilisation dans le raisonnement et pour le contrôle conscient direct de l’action et de la parole. Des exemples de conscience d’accès sont les pensées, les croyances et les désirs. +Ainsi la conscience phénoménale résulte d’expériences sensorielles et de notre perception mélangeant des sensations comme l’ouïe ou l’odorat, des sensations type douleur ou perceptions type proprioception, ainsi que des émotions telles la peur, parmi autres. À l’opposé, la conscience d’accès est disponible pour une utilisation dans le raisonnement et pour le contrôle conscient direct de l’action et de la parole. Des exemples de conscience d’accès sont les pensées, les croyances et les désirs. Pour Block, la \textit{rapportabilité}, qu'il définit comme propriété de la conscience d’accès, a une grande importance pratique. Selon lui, la conscience d’accès doit être capable de \textit{représentations} mentales, car seul un contenu représentatif peut produire du raisonnement. @@ -650,7 +650,7 @@ En regardant de plus près ce que Block décrit comme conscience phénoménale n Parmi les théories des sciences cognitives, qui identifient les états psychologiques à des processus neurophysiologiques, \textit{la théorie de l’identité esprit-cerveau} est apparue dans les années 1960. Pour les partisans de cette hypothèse les états mentaux et les états du cerveau sont numériquement identiques. L’idée que les pensées et notre esprit résident exclusivement dans des processus neurophysiologiques étant une perspective naturaliste, les neurosciences permettent de comprendre en quoi certaines structures et certains processus neurophysiologiques du cerveau peuvent être prédictibles par des machines. -Cependant, nous savons aujourd'hui que les phénomènes mentaux sont multiples. Chaque individu les traduit différemment bien que les émotions qui y sont associés peuvent être similaires\cite{hu2022similar}. Nos perceptions, sensations, désirs et croyances sont influencés par notre contexte socio-culturel. Cela résulte dans des réactions émotionnelles variées. Pour les anticiper et modéliser au travers des prédictions, les scientifiques doivent faire appel à plusieurs méthodes et théories expérimentales. Un courant dérivé de cette théorie de l’identité esprit-cerveau est \textit{l’instrumentalisme}, mis en place par Daniel Dennett (n. 1942) à la fin des années 1980. Cette théorie considère les modèles scientifiques comme des instruments nous permettant d’analyser et modéliser les phénomènes pour ensuite les devancer par des prédictions. Pour Dennett un système est intentionnel s'il peut être prédictible. En allant plus loin dans cette direction, son point de vue concernant le libre arbitre et la conscience, a suscité beaucoup de controverses. Dans son livre le plus connu, \textit{Consciousness Explained}\cite{dennett1993consciousness} (1991), il explique comment la conscience est le résultat des processus cognitifs et physiologiques dans le cerveau. Il évoque une analogie de la conscience similaire à un article académique coécrit par une poignée de scientifiques\cite{dennett1993consciousness}. Par cela, il explique comment plusieurs processus mentaux peuvent exister simultanément dans le cerveau, sans être identifiés l’un de l’autre. Ce principe correspond à un état où plusieurs brouillons coexistent simultanément et indépendamment de chaque contribution - attestant l’existence du papier principal. En extrapolant ces principes au terme de conscience, il nie cependant l’existence de \gls{qualia}, en tant qu'expérience subjective directe et personnelle. +En revanche, nous savons aujourd'hui que les phénomènes mentaux sont multiples. Chaque individu les traduit différemment bien que les émotions qui y sont associés peuvent être similaires\cite{hu2022similar}. Nos perceptions, sensations, désirs et croyances sont influencés par notre contexte socio-culturel. Cela résulte dans des réactions émotionnelles variées. Pour les anticiper et modéliser au travers des prédictions, les scientifiques doivent faire appel à plusieurs méthodes et théories expérimentales. Un courant dérivé de cette théorie de l’identité esprit-cerveau est \textit{l’instrumentalisme}, mis en place par Daniel Dennett (n. 1942) à la fin des années 1980. Cette théorie considère les modèles scientifiques comme des instruments nous permettant d’analyser et modéliser les phénomènes pour ensuite les devancer par des prédictions. Pour Dennett un système est intentionnel s'il peut être prédictible. En allant plus loin dans cette direction, son point de vue concernant le libre arbitre et la conscience, a suscité beaucoup de controverses. Dans son livre le plus connu, \textit{Consciousness Explained}\cite{dennett1993consciousness} (1991), il explique comment la conscience est le résultat des processus cognitifs et physiologiques dans le cerveau. Il évoque une analogie de la conscience similaire à un article académique coécrit par une poignée de scientifiques\cite{dennett1993consciousness}. Par cela, il explique comment plusieurs processus mentaux peuvent exister simultanément dans le cerveau, sans être identifiés l’un de l’autre. Ce principe correspond à un état où plusieurs brouillons coexistent simultanément et indépendamment de chaque contribution - attestant l’existence du papier principal. En extrapolant ces principes au terme de conscience, il nie toutefois l’existence de \gls{qualia}, en tant qu'expérience subjective directe et personnelle. En contrepoids, des philosophes comme John Searle (n. 1932) considèrent qu’il y a quelque chose de fondamental dans l’expérience subjective. Cette dimension ne peut pas être capturée par les programmes informatiques conventionnels\cite{searle1990mystery}. Dans une de leurs correspondances, Searle répond à Dennett de la façon suivante, en employant une analogie avec des zombies: @@ -726,7 +726,7 @@ Pour l'instant, peu importe ce que nous identifions comme processus physiques qu D’autres philosophes tels Thomas Nagel (n. 1937) affirment qu’il est impossible de déterminer les points communs entre une expérience directe, évoquée à la première personne et les descriptions à la troisième personne des expériences passées qui forment à leur tour des modèles. Dans son article ``What Is It Like to Be a Bat?”(1974) traduit en français par ``Qu’est-ce que cela veut dire d’être une chauve-souris?”, le philosophe décrit la conscience comme un phénomène partagé par beaucoup des organismes vivants (notamment par les mammifères dont la chauve-souris). Nagel fait une distinction entre conscience et perception sensorielle\cite{nagel1980like}. Pour lui, ce que tous les organismes partagent, est ce qu’il appelle le \textit{caractère subjectif de l’expérience}. Cette nature subjective bloque toute tentative d’expliquer la conscience par des moyens objectifs comme en neurosciences ou en robotique. Les chauves-souris utilisent l’écholocalisation pour naviguer et percevoir des objets, cette méthode de perception étant similaire à la vision des humains. L’auteur affirme que des humains dotés de sens similaires, ne peuvent pas cependant expérimenter l’état d’esprit d’une chauve-souris, puisque leur cerveau ne s’est pas développé comme celui d’une chauve-souris dès sa naissance. En échange des comportements comme voler, naviguer en sonar ou se suspendre à l’envers comme une chauve-souris, faciliteront des expériences proches de ce qu’une chauve-souris peut vivre. \smallskip -Cette hypothèse est évoquée avec d'autres mots par Simon Penny qui met en avant le concept de \gls{umwelt} ou \textit{spécificité des capacités sensorielles}, dans le chapitre ``The biology of cognition” de son livre \textit{Making Sense} (2019). Pour appuyer cela il cite le travail du biologiste Jacob Von Uexkull (1964-1994), au début du 20e siècle : +Cette hypothèse est évoquée avec d'autres mots par Simon Penny qui met en avant le concept de \gls{umwelt} ou \textit{spécificité des capacités sensorielles}, dans le chapitre ``The biology of cognition” de son livre \textit{Making Sense} (2019). Pour appuyer cela, il cite le travail du biologiste Jacob Von Uexkull (1964-1994), au début du 20e siècle : \begin{quote} ``Pour Von Uexkull le monde expérientiel d'une créature est spécifique à cette espèce, qui lui est conférée en raison de son ensemble particulier de capacités sensorimotrices. Il a appelé cela l’umwelt de la créature, que nous pourrions traduire par monde de vie ou monde expérimenté. En termes simples, dans l’expérience sensorielle, il n’existe pas de monde objectif. Selon cette logique, l’esprit et le monde sont simultanément cocréés. Différentes espèces ne partagent pas d'umwelts, même si elles sont physiquement colocalisées. Les Umwelts peuvent se croiser, comme les diagrammes de Venn, auquel cas différentes espèces peuvent identifier des choses similaires. Les créatures peuvent cohabiter au même endroit et ne pas se connaître car leurs umwelts ne se croisent pas en raison de différences d'échelle, de capacités sensorielles, etc @@ -831,7 +831,7 @@ La philosophe souligne la distinction entre le concept d’\textit{intellect} et ``Ayant beaucoup travaillé sur le cerveau, je suis convaincue qu’il n’existe pas de lieu séparé qui abriterait les opérations mentales et cognitives, elles dérivent toutes de processus neuronaux. Il est donc impossible de ne pas associer intelligence et cerveau.” \end{quote} -Cependant réduire l’intelligence humaine à du calcul mathématique et des termes quantitatifs n’a pas de sens pour elle non plus. En échange, Malabou voit de l’intérêt dedans lorsque ce calcul invente les concepts sur lesquels il résonne. Plus spécifiquement, elle propose comme définition minima de l’intelligence : \textit{l’invention de son objet}. +Pourtant réduire l’intelligence humaine à du calcul mathématique et des termes quantitatifs n’a pas de sens pour elle non plus. En échange, Malabou voit de l’intérêt dedans lorsque ce calcul invente les concepts sur lesquels il résonne. Plus spécifiquement, elle propose comme définition minima de l’intelligence : \textit{l’invention de son objet}. Dans un entretien avec Malabou, le journaliste Ariel Kyrou (n. 1962) évoque le livre \textit{Cerveau augmenté, homme diminué} (2016) du philosophe Miguel Benasayag pour qui: \begin{quote} @@ -866,7 +866,7 @@ Le fondateur de cette discipline est Rodney Brooks (n. 1954), qui par ses expér Une des influences de Brooks est le travail du neurophysiologiste et pionnier de la robotique W. Gray Walter. À la fin des années 1940, Gray Walter a développé un certain nombre de robots simples basés sur des comportements ressemblant à ceux des animaux. Ces prototypes de robots ont aidé Gray Walter à mieux comprendre le fonctionnement du cerveau des animaux, par des modèles simples de leurs opérations de base. Les plus connus sont Elmer et Elsie (abréviation de ELectro MEchanical Robots, Light Sensitive), recouverts d’une coque en plastique transparent similaire à la carapace des tortues. Enfant, Brooks a lu le livre de Walter \textit{The Living Brain} (1963), pour ensuite construire ses propres prototypes. Ingénieur brillant, Walter décrit dans son recueil ses débuts dans les années 1930 à l’époque de l’électronique à tubes sous vide. D'une invention à l'autre, il finit par transformer son laboratoire de Bristol, en Angleterre, en l'un des principaux centres mondiaux de recherche en électroencéphalogramme (EEG). -Connu pour sa critique de l’IA symbolique, Brooks voit la logique et le raisonnement comme des processus mentaux propres aux humains. Au lieu de se focaliser sur le traitement des symboles et les représentations internes, il propose de construire des modèles basés sur l’interaction avec le monde réel. Ces modèles ont inspiré les théories sur l’incorporation (\gls{embodiment}) et la cognition incarnée (\gls{embodied cognition}) que nous avons mentionnées auparavant. Cependant que ce Brooks mettait en avant était la complexité du raisonnement humain et de l'intelligence acquise par le langage: +Connu pour sa critique de l’IA symbolique, Brooks voit la logique et le raisonnement comme des processus mentaux propres aux humains. Au lieu de se focaliser sur le traitement des symboles et les représentations internes, il propose de construire des modèles basés sur l’interaction avec le monde réel. Ces modèles ont inspiré les théories sur l’incorporation (\gls{embodiment}) et la cognition incarnée (\gls{embodied cognition}) que nous avons mentionnées auparavant. Plus loin Brooks met en avant la complexité du raisonnement humain et de l'intelligence acquise par le langage: \begin{quote} ``Ce qui différencie les humains des animaux est la syntaxe et la technologie. De nombreuses espèces d’animaux émettent de nombreux cris d’alerte. Pour les singes un seul cri signifie qu'il y a un oiseau de proie dans le ciel. Un autre signifie qu'il y a un serpent par terre. Tous les membres de l'espèce s'accordent sur la correspondance entre des sons particuliers et ces significations primitives. Mais aucun singe ne pourra jamais exprimer à un autre : \textit{Hé, tu te souviens de ce serpent que nous avons vu il y a trois jours ?. Il y en a un ici qui lui ressemble.} Cela nécessite une syntaxe. Les singes ne l'ont pas\footnote{en version originale: ``What separates people from animals is syntax and technology. Many species of animals have a host of alert calls. For velvet monkeys one call means there is a bird of prey in the sky. Another means there is a sneak on the ground. All members of the species agree on the mapping between particular soundsand these primitive meanings. But no velvet monkey can ever express to another: \textit{Hey, remember that snake we saw three days ago?. There's one down here that looks just alike.}Thant requires syntax. Velvet monkeys do not have it.”}.” @@ -950,7 +950,7 @@ Dans son livre \textit{Choreographing empathy: Kinesthesia in performance} (2010 La kinesthésie ou la proprioception détermine les positions et les mouvements du corps grâce aux capteurs nerveux dans les muscles et les articulations. La définition de ce terme a été révisée plusieurs fois au cours du vingtième siècle. Ultérieurement, les travaux du psychologue James J. Gibson\cite{gibson1966senses} ont aidé à clarifier ce terme, démontrant que la kinesthésie aide à intégrer les informations sensorielles des autres systèmes. Le domaine de la danse a beaucoup aidé à la popularisation de ce terme, en l’étudiant avec des phénomènes et valeurs culturelles. Selon Foster \textit{la kinesthesie}, tout comme \textit{l'empathie} sont apparus à la même époque - au tour des années 1880. Si la \textit{kinesthésie} trouve son applicabilité dans la danse, l’empathie est définie par des esthéticiens allemands comme l'acte de contempler la peinture et la sculpture en imaginant une sorte de connexion physique dans laquelle le corps du spectateur se déplacerait et habiterait les diverses caractéristiques de l'œuvre d'art. Ainsi lors de leur apparition au début du vingtième siècle, les deux termes connotaient une forte réactivité physique aux personnes et aux objets. Avec le temps, cependant, ils ont fini par appartenir au domaine de la psychologie et aux sciences cognitives. -Les émotions jouent un rôle clé dans la question de la conscience. Le professeur Asada supervise des études sur le développement de \textit{l’empathie artificielle} et le rôle de la \textit{contagion émotionnelle} dans la mimique motrice\cite{asada2015towards}. Son équipe met en place des études sur le type de cognition que les bébés développent dans leurs premiers mois, pour ensuite transposer ses principes à des robots. L’évolution corporelle et la croissance des humains est pour lui un des concepts clé de la robotique cognitive. Dans la sphère des études neuroscientifiques, des études en lien avec le concept d' \gls{expérience kinesthésique} facilitent l'émergence des concepts comme l'\gls{empathie kinesthésique}\cite{barrero2019dance} dans la danse. Ces états sont issus des processus internes comme l'introspection, propre à notre espèce. +Les émotions jouent un rôle clé dans la question de la conscience. Le professeur Asada supervise des études sur le développement de \textit{l’empathie artificielle} et le rôle de la \textit{contagion émotionnelle} dans la mimique motrice\cite{asada2015towards}. Son équipe met en place des études sur le type de cognition que les bébés développent dans leurs premiers mois, pour ensuite transposer ses principes à des robots. L’évolution corporelle et la croissance des humains est pour lui un des concepts clé de la robotique cognitive. Dans la sphère des études neuroscientifiques, des études en lien avec le concept d'\gls{expérience kinesthésique} facilitent l'émergence des concepts comme l'\gls{empathie kinesthésique}\cite{barrero2019dance} dans la danse. Ces états sont issus des processus internes comme l'introspection, propre à notre espèce. L’introspection permet aux humains d’être conscients de leurs propre processus mentaux. Ces processus semblent avoir une séquence linéaire comme la production de la parole ou des lignes de raisonnement. L’introspection influence également les actes artistiques. Pendant la phase de création, un artiste sonde son imaginaire pour clarifier ses intuitions. Lorsque nous nous rappelons de l’exemple donné par Block, c’est intéressant d'analyser un possible scénario où la personne aurait prêté attention au bruit auparavant ignoré. Cela pourrait produire un type d’expérience subjective, à la limite de la conscience d’accès, pour ensuite déterminer à partir de quand le bruit est devenu conscient. Cette introspection liée à un stimulus extérieur trouve son équivalent dans l’acte d’introspection de l’artiste qui veut mieux comprendre ses intuitions. Ainsi la distinction de Block entre conscience phénoménale et conscience d’accès a des implications importantes pour les neuroscientifiques et les informaticiens qui cherchent à modéliser une \gls{conscience artificielle} dans des dispositifs tels les robots. Mais une fois cette intention exprimée, comment pouvons-nous savoir si l’algorithme a produit une conscience semblable à celle de l’homme? Dans la même mesure, le fait de développer des expériences subjectives pour la conscience phénoménale des robots implique des considérations éthiques. Heureusement le moyen pour doter rationnellement les machines de nos expériences personnelles, parfois irrationnelles, n’est pas encore à notre portée. Même si la communauté scientifique est divisée et de nombreux neuro-biologistes et informaticiens estiment que les philosophes sont trop pessimistes quant à la capacité des algorithmes de modéliser la conscience humaine, il est important de comprendre nos motivations et intentions face à cela. @@ -1011,9 +1011,7 @@ Ce deuxieme chapitre présente les théories actuelles de la cognition pour tent Ce chapitre se concentre sur les enjeux des pratiques artistiques en lien avec le mouvement, dans le contexte des spectacles ou installations avec des robots. Il introduit la biomécanique comme manière d’appréhender le corps sur scène, ainsi que des défis dans les approches scéniques contemporaines, notamment celles qui utilisent des robots. -Dans son livre \textit{La robotique: une récidive d’Héphaïstos!}\cite{laumond2012robotique} (2012) Jean-Paul Laumond décrit la controverse entre la science - ``dont l’objectif est de déduire” par rapport à la technologie - ``préoccupé davantage par le faire” et les observations empiriques. Pour lui, la robotique est née de la tension entre ces deux approches contemporaines. Elles - s’inspirent à leur tour des lois du vivant, de la physique, de la biologie, des neurosciences, de la psychologie et d’autres théories complémentaires. Ainsi, la robotique peut être considérée comme un moyen de comprendre et de mettre en œuvre la complexité du vivant, à travers un -mélange des savoirs-faire et des pratiques. Dans une démarche parallèle, cette complexité du vivant pourrait être appréhendée +Dans son livre \textit{La robotique: une récidive d’Héphaïstos!}\cite{laumond2012robotique} (2012), le chercheur Jean-Paul Laumond décrit la controverse entre la science - ``dont l’objectif est de déduire” par rapport à la technologie - ``préoccupé davantage par le faire” et les observations empiriques. Pour lui, la robotique est née de la tension entre ces deux approches contemporaines. Elles s’inspirent à leur tour des lois du vivant, de la physique, de la biologie, des neurosciences, de la psychologie et d’autres théories complémentaires. Ainsi, la robotique peut être considérée comme un moyen de comprendre et de mettre en œuvre la complexité du vivant, à travers un mélange des savoirs-faire et des pratiques. Dans une démarche parallèle, cette complexité du vivant pourrait être appréhendée aussi grâce à l’art, définie ici comme une approche issue de ``ses intentions spéculatives et provocatrices”\cite{penny2019mit}. L’artiste Simon Penny utilise la dichotomie entre une forme de savoir qui réside dans l’abstraction et une autre qui réside dans la réalité concrète du monde, pour introduire une discipline émergente qu’il intitule la \gls{robotique culturelle}. Ce concept met en avant le lien entre les robots et les sociétés dans lesquelles ces derniers évoluent. Si dans les premiers chapitres nous avons pu comprendre le contexte transdisciplinaire que cette thèse défend, le présent chapitre traite du rapport du corps à la scène (qu'il s'agisse d'un corps humain ou non-humain) et les implications que cela peut avoir du point de vue de la robotique. @@ -1061,18 +1059,11 @@ qui s’est souvent prêtée à des collaborations avec d’ autres disciplines À ce stade de notre enquête sur les projets artistiques avec des robots, nous pouvons pressentir le rôle de l’\gls{art robotique} dans la réconciliation des projections fatalistes concernant notre cohabitation avec les machines. Il est intéressant d’investiguer dans quelle mesure cela peut devenir un miroir qui reflète des spéculations transhumanistes, ou une forme d'opposition à celles-ci. Actuellement des roboticiens, des artistes et des neuroscientifiques travaillent pour établir les prémisses d’une nouvelle éthique pour les robots et les développements technologiques, afin d’empêcher les éventuelles dérives sur le sujet. Les œuvres que nous avons sélectionnées informent la robotique sociale des possibilités d’interaction originales, tout en témoignant d’une relation complexe avec les machines, qui dure déjà depuis un siècle. Quelque part l’\gls{art robotique}, à l’instar des sciences traditionnelles comme la biologie ou la psychologie, peut faciliter une meilleure compréhension de nous-mêmes et nos attentes vis-à-vis des robots. -Si la robotique sociale développe actuellement des machines incroyables, les robots, -sous diverses formes et fonctionnalités, sont de plus en plus présents dans -notre vie quotidienne et nos cultures. La technologie est essentielle pour -définir ce que les humains sont, du moins dans notre tradition occidentale, où -la convergence entre l’homme et la machine est à la fois séduisante et -repoussante. En contrepartie, la culture japonaise entretient une certaine -distance avec la technologie, expliquant pourquoi les robots sont moins -problématiques là-bas, et comment ils ont été apprivoisés\cite{kaplan2004ws} avant d’être intégrés dans la société. En observant différents formats et expériences artistiques, ce qui m’intéresse est de comprendre comment les robots pourraient trouver à travers l’art, une condition indomptée, avant leur -industrialisation et en dehors leur commercialisation à grande échelle. Ainsi il est important de noter que cette sélection représente seulement un échantillon des œuvres d’\gls{art robotique} en lien avec la scène et la danse. Lorsqu’elles sont mentionnées par les artistes eux-mêmes ou la littérature, les spécifications techniques offrent un aperçu important sur les défis et les limites de ce type de processus de recherche-création. Puisqu'il n’y a pas actuellement une méthodologie officielle sur la manière dont l’\gls{art robotique} doit être évaluée, cette synthèse est parfois complétée par les retours artistiques des auteurs ou les archives des processus de création et de réception. Le format des œuvres va des sculptures et installations cinématiques, aux spectacles, performances et improvisations en direct. Pour mieux comprendre leur évolution, elles sont mentionnées en ordre chronologique. À cela, j’ai pensé inclure également les -apparitions dans le média où des robots se présentent comme maîtres spirituels\footnote{https://www.youtube.com/watch?v=RH3Yk1spxtk} ou artistes pour voir comment le rapport à la scène est influencé par ce statut publique. -De cette manière une caractéristique importante de cet étude, repose sur -l’hypothèse que les interactions homme-robot dans un contact rapproché ou \textit{close-contact}, au travers l’utilisation de gestes et d’interfaces haptiques\cite{dahiya2009tactile}, \cite{silvera2015artificial}, peut améliorer la façon dont les robots sociaux sont acceptés par les utilisateurs non expérimentés. Mon objectif est donc de voir comment ce processus d’apprivoisement opère dans des contextes artistiques et culturelles et qu’est ce que pourrait être son opposé - défini ici comme une condition indomptée ou sauvage des robots. Dans les prochaines pages, j’analyse la spécificité des robots présentés dans les œuvres sélectionnées, puis j’appréhende les facteurs qui ont influencé le développement de l’\gls{art robotique}. Pour argumenter ce processus, je m’appuie sur une première partie qui précise le contexte dans lequel la robotique et l’art aurait pu se rencontrer, leur lien commun et la façon dont elles se sont inspirées réciproquement. Souvent, l’impact des œuvres +Dans notre tradition occidentale la technologie est essentielle pour définir ce dont les humains ont besoin. Si la robotique sociale développe actuellement des machines incroyables, les robots, sous diverses formes et fonctionnalités, sont de plus en plus présents dans notre vie quotidienne et nos cultures. La convergence entre l’homme et la machine est à la fois séduisante et repoussante. En contrepartie, la culture japonaise entretient une certaine +distance avec la technologie, expliquant pourquoi les robots sont moins problématiques là-bas, et comment ils ont été apprivoisés\cite{kaplan2004ws} avant d’être intégrés dans la société. En observant différents formats et expériences artistiques, ce qui m’intéresse est de comprendre comment les robots pourraient trouver, à travers l’art, une condition indomptée, avant leur industrialisation et en dehors leur commercialisation à grande échelle. Ainsi il est important de noter que cette sélection représente seulement un échantillon des œuvres d’\gls{art robotique} en lien avec la scène et la danse. Lorsqu’elles sont mentionnées par les artistes eux-mêmes ou la littérature, les spécifications techniques offrent un aperçu important sur les défis et les limites de ce type de processus de recherche-création. Puisqu'il n’y a pas actuellement une méthodologie officielle sur la manière dont l’\gls{art robotique} doit être évaluée, cette synthèse est parfois complétée par les retours artistiques des auteurs ou les archives des processus de création et de réception. Le format des œuvres va des sculptures et installations cinématiques, aux spectacles, performances et improvisations en direct. Pour mieux comprendre leur évolution, elles sont mentionnées en ordre chronologique. À cela, j’ai pensé inclure également les +apparitions dans les médias où des robots se présentent comme maîtres spirituels\footnote{https://www.youtube.com/watch?v=RH3Yk1spxtk} ou comme artistes, pour voir comment le rapport à la scène est influencé par ce statut public. +De cette manière une caractéristique importante de cette étude, repose sur +l’hypothèse que les interactions homme-robot dans un contact rapproché ou \textit{close-contact}, au travers de l’utilisation de gestes et d’interfaces haptiques\cite{dahiya2009tactile}, \cite{silvera2015artificial}, peut améliorer la façon dont les robots sociaux sont acceptés par les utilisateurs non expérimentés. Mon objectif est donc de voir comment ce processus d’apprivoisement opère dans des contextes artistiques et culturels et quel pourrait être son opposé - défini ici comme une condition indomptée ou sauvage des robots. Dans les prochaines pages, j’analyse la spécificité des robots présentés dans les œuvres sélectionnées, puis j’appréhende les facteurs qui ont influencé le développement de l’\gls{art robotique}. Pour argumenter ce processus je m’appuie sur une première partie qui précise le contexte dans lequel la robotique et l’art aurait pu se rencontrer, leur lien commun et la façon dont ils se sont inspirés réciproquement. Souvent, l’impact des œuvres sélectionnées a facilité des découvertes en robotique sociale. Puisque les projets artistiques impliquant les robots ont été soumis à des contraintes technologiques (c'est à dire choix de matériaux influençant le message de l’œuvre @@ -1084,10 +1075,10 @@ création et comment ils ont été mis en scène. \subsection{L'apparition de l'art robotique} -L’histoire de la robotique est étroitement liée à celle de l’art\cite{stephens2016we}, le design des robots s'est inspirée de la sculpture anthropomorphe et la marionnette, puis des effets cinématographiques. Lorsque nous pensons à des robots, nous imaginons des dispositifs intelligents, autonomes du point de vue de l’alimentation, programmés pour ressentir et interagir avec nous et l’environnement. En contrepoids, l’art veut faciliter l’accès à une dimension sensorielle de notre existence. D’une manière prédictible, la définition de chacun de ces termes - art ou robotique - est soumise à des évolutions permanentes, prouvant leur importance dans les préoccupations courantes de notre société. Interroger ces transformations dans le contexte de l’\gls{art robotique}, permet de comprendre leurs trajectoires d'évolution dans les prochaines années. +L’histoire de la robotique est étroitement liée à celle de l’art\cite{stephens2016we}, le design des robots s'est inspiré de la sculpture anthropomorphe et de la marionnette, puis des effets cinématographiques. Lorsque nous pensons à des robots, nous imaginons des dispositifs intelligents, autonomes du point de vue de l’alimentation, programmés pour ressentir et interagir avec nous et l’environnement. En contrepoids, l’art veut faciliter l’accès à une dimension sensorielle de notre existence. D’une manière prédictible, la définition de chacun de ces termes - art ou robotique - est soumise à des évolutions permanentes, prouvant leur importance dans les préoccupations courantes de notre société. Interroger ces transformations dans le contexte de l’\gls{art robotique}, permet de comprendre leurs trajectoires d'évolution dans les prochaines années. -Pas si loin du monde de l’art, la fascination pour des artefacts et des machines qui pourraient éventuellement devenir vivants, a longtemps peuplé les rêves des humains. Quelques-uns de ces artefacts - les automates - ont été identifiés par des chercheurs\cite{bedini1964role} comme vecteurs du développement technologique de nos sociétés. La définition du terme implique l’existence des dispositifs mécaniques qui se déplacent de manière autonome sans être directement manipulés par des humains. Remontant l’histoire pour identifier +Pas si loin du monde de l’art, la fascination pour des artefacts et des machines qui pourraient éventuellement devenir vivants a longtemps peuplé les rêves des humains. Quelques-uns de ces artefacts - les automates - ont été identifiés par des chercheurs\cite{bedini1964role} comme vecteurs du développement technologique de nos sociétés. La définition du terme implique l’existence des dispositifs mécaniques qui se déplacent de manière autonome sans être directement manipulés par des humains. En remontant l’histoire pour identifier leurs origines, nous remarquons l’existence d’appareils mécaniques mobiles autonomes à Alexandrie vers le 4e siècle av. J.-C. ainsi l’utilisation des gardiens robotiques automatisés en bois, conçus à l’époque du roi indien @@ -1097,37 +1088,37 @@ roboticiens d’aujourd’hui - a construit plusieurs automates humanoïdes pend la période islamique du 13e siècle. Trois siècles plus tard Léonard de Vinci aurait présenté à la cour de Milan son chevalier mécanique\footnote{https://www.leonardodavinci.net/robotic-knight.jsp}. Dès le 18e siècle, Jacques de Vaucanson présente lors des salons et des expositions privées, des inventions comme son célèbre ``joueur de flûte” avec des poumons -artificiels, ainsi que un canard qui pouvait manger, déféquer et flotter sur +artificiels, ainsi qu'un canard qui pouvait manger, déféquer et flotter sur l’eau comme son double animal\cite{riskin2003defecating}. -Selon\cite{byrd2012man}, \cite{riskin2003defecating}, Vaucason aurait même été +Selon les études de \cite{byrd2012man} et \cite{riskin2003defecating}, Vaucason aurait même été mandaté par le roi Louis XV pour construire secrètement un androïde de taille -humaine vraisemblable dans les plus petits détails à des fonctions biologiques +humaine vraisemblable dans les plus petits détails des fonctions biologiques du corps humain - respiration, circulation, digestion, mouvement. Compte tenu -des limitations techniques et matérielles de cette période, ce projet a +des limitations techniques et matérielles de cette période ce projet a malheureusement dû échouer. Vers la même époque, Wolfgang von Kempelen trompe son public en cachant un vrai humain dans son automate joueur d’échecs appelé \textit{Le Turc}, en invitant les nobles à défier les capacités intellectuelles de sa machine. Un siècle plus tard, des inventions pratiques -des frères Lumière tells le phonographe ou le cinématographe confirment +des frères Lumière telles le phonographe ou le cinématographe confirment l’intérêt des spectateurs pour un goût du spectacle inspiré par la science, -mettant en avant des machines ressemblant à des humains et éventuellement des +mettant en avant des machines ressemblant à des humains et éventuellement à des robots. La différence entre les automates et les robots sociaux, indépendamment de leur utilisation ou de leur forme, est que les premiers sont -des artefacts uniques, créés à la main\cite{reilly2011automata} alors que les +des artefacts uniques, créés à la main\cite{reilly2011automata}, alors que les derniers sont produits en masse, de façon automatisée. Au début du 20e siècle, l’écrivain tchèque Karel Capek écrit \textit{R.U.R.- Rossumovi Univerzalni Roboti} (Les Robots Universels de Rossum) - une pièce de théâtre sur des créatures artificielles travaillant en usine. Ces créatures -appelées \textit{roboti} étaient facilement confondus avec les humains en +appelées \textit{roboti} étaient facilement confondues avec les humains en raison de leur forme et de leurs capacités. Conçus pour remplacer le travail humain, ils apparaissent capables de réfléchir par eux-mêmes. D’abord heureux de travailler pour les humains, ils finissent par prendre conscience de leur état et décident de se rebeller. Lorsque ils comprennent que cela peut potentiellement provoquer leur propre extinction\cite{dixon2004metal}, ils changent de perspective et décident de sauver l’avenir de l’humanité. Le texte gagne -rapidement en notoriété et est traduit dans plus de trente langues à la fin du +rapidement en notoriété et est traduit dans plus de trente langues à la fin de 1923\cite{reilly2011automata}. Le terme robot\cite{hockstein2007history} est désormais employé pour désigner des androïdes et des automates (``robota” signifiant travail forcé en tchèque). Le nom du créateur des robots - Rossum\cite{philmus2001matters} - pourrait renvoyer au mot tchèque rozum signifiant raison, sagesse ou bon sens. Dans cette interprétation, les créatures de Capek correspondaient à des êtres inférieurs capables d'apporter de la raison aux humains. Aujourd’hui, les interactions avec les robots et leur impact à long terme sur nos vies\cite{shaw2009looking, shaw2011loving} sont en pleine expansion. Les applications robotiques\cite{thrun2004toward} impactent des domaines comme la médecine, l’aéronautique, le militaire. @@ -1137,10 +1128,10 @@ ingénierie - décide de construire de toutes pièces une créature autonome équivalente, baptisée \textit{Gakutensoku}. Ce terme signifie littéralement \textit{apprendre des règles de nature} en contrepoids avec les interprétations des médias de l’époque. Ainsi naît le premier robot fabriqué au Japon, selon son créateur ``le premier membre d’une nouvelle espèce, dont le but est d’inspirer les humains et de faciliter l’évolution humaine en -élargissant nos horizons intellectuels”\cite{frumer2020short}. Gakutensoku devient notre premier exemple sur la façon dont les robots pourraient devenir un jour une espèce à part entière, capables d’autonomie et d’une forme de \gls{conscience artificielle}. Comme déjà mentionne dans les pages antérieures, cette thèse analyse les ``pour” et les ``contre” d’une telle projection, avec la scène comme terrain idéal pour des expérimentations. +élargissant nos horizons intellectuels”\cite{frumer2020short}. Gakutensoku devient notre premier exemple sur la façon dont les robots pourraient devenir un jour une espèce à part entière, capables d’autonomie et d’une forme de \gls{conscience artificielle}. Comme déjà mentionné dans les pages antérieures, cette thèse analyse les ``pour” et les ``contre” d’une telle projection, avec la scène comme terrain idéal pour des expérimentations. Au début du 20ème siècle, les artistes s'intéressent à la cinétique et les -sculptures en mouvement. Après que le public s'habitue aux machines de Jean Tinguely\cite{stephens2016we} et de Marcel Duchamps\footnote{https://www.centrepompidou.fr/fr/ressources/oeuvre/dS9Z3Wr}, l’artiste coréen Nam June Paik crée l’œuvre \textit{Robot K-456} (1964) - désigné aujourd'hui comme le 1er robot humanoïde à être utilisé dans un projet artistique. Son nom vient de l’œuvre de Mozart \textit{Concerto numéro 456 pour piano n° 18 en Si bémol majeur}, témoignant des point d'accroche entre la musique et la robotique. Ce prototype de robot télécommandé sur 20 canaux, a été construit au Japon par Shuya Abe\cite{vidal2012robots} pour être présenté lors d’un festival annuel d’avant-garde à New York. +sculptures en mouvement. Après que le public s'habitue aux machines de Jean Tinguely\cite{stephens2016we} et de Marcel Duchamps\footnote{https://www.centrepompidou.fr/fr/ressources/oeuvre/dS9Z3Wr}, l’artiste coréen Nam June Paik crée l’œuvre \textit{Robot K-456} (1964) - désigné aujourd'hui comme le premier robot humanoïde à être utilisé dans un projet artistique. Son nom vient de l’œuvre de Mozart \textit{Concerto pour piano n° 18 en si bémol majeur K. 456}, témoignant des ponts d'accroche entre la musique et la robotique. Ce prototype de robot télécommandé sur 20 canaux, a été construit au Japon par Shuya Abe\cite{vidal2012robots} pour être présenté lors d’un festival annuel d’avant-garde à New York. \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/abder_K-456} @@ -1148,22 +1139,22 @@ sculptures en mouvement. Après que le public s'habitue aux machines de Jean Tin \label{fig:abderk-456} \end{figure} -Lors de son apparition publique, le robot K-456 a marché dans les rues de New York pour diffuser l’enregistrement du discours du président John F. Kennedy. Il a également été impliqué dans une série d’actions type happenings, comme celle dans laquelle il fait semblant de déféquer devant des passants. Célèbre par à son utilisation de la vidéo parmi les médias de l’époque, Paik crée également une œuvre où le chorégraphe Merce Cunningham est dédoublé en train de danser sur une toile graphique. Cette œuvre intitulée \textit{Merce by Merce by Paik} (1973), anticipe l’impact des moyens technologiques sur la perception humaine. Paik nous fait perdre le focus de la perception du mouvement dansé, en +Lors de son apparition publique, le robot K-456 a marché dans les rues de New York pour diffuser l’enregistrement du discours du président John F. Kennedy. Il a également été impliqué dans une série d’actions type happenings, comme celle dans laquelle il fait semblant de déféquer devant des passants. Célèbre grâce à son utilisation de la vidéo parmi les médias de l’époque, Paik crée également une œuvre où le chorégraphe Merce Cunningham est dédoublé en train de danser sur une toile graphique. Cette œuvre intitulée \textit{Merce by Merce by Paik} (1973) anticipe l’impact des moyens technologiques sur la perception humaine. Paik nous fait perdre le focus de la perception du mouvement dansé, en jouant avec l’environnement qui contient le danseur \cite{portanova2013moving}. Vingt ans plus tard, le robot K-456 prend part à une simulation d’accident intitulée \textit{La première catastrophe du 21e siècle}. Cette fois une voiture conduite par l’artiste Bill Anastasi\cite{pullen2018whimsical} lui rentre dedans en traversant la route. Dans ce premier exemple, nous soulignons l’intention de l’artiste de provoquer des interactions physiques et de donner l’illusion des processus physiologiques propres au robot, similaire au canard de Vaucanson. Les spectateurs de cette performance assistent à une rencontre entre deux machines -où un robot actionné par un humain (la voiture) heurte un autre. Leur rencontre +où un robot actionné par un humain (la voiture) en heurte un autre. Leur rencontre conduit à la destruction du premier, projetant, sans probablement vouloir, une relation de confrontation entre des humains et des robots qui combattent pour dominer la race humaine. Ce scénario menaçant des robots destructifs a été réitéré tout au long des années suivantes. Lors des représentations données par Survival Research Laboratories, des machines -à grande échelle rivalisent pour s’entre-détruire\cite{ballet2019survival,stephens2016we}. A la même époque, +à grande échelle rivalisent pour s’entre-détruire\cite{ballet2019survival,stephens2016we}. À la même époque, les artistes Bill Vorn et Louis Philippe Demers dépeignaient les robots comme -des animaux sauvages se contestant un cube de métal (qui représente un morceau -de viande) dans \textit{Au bord du chaos} (1995). Deux ans plus tard, Eduardo Kak est littéralement connecté à un robot, à travers une aiguille intraveineuse qui transfuse son propre sang à la machine. Cette performance intitulé \textit{A- positif} (1997)\cite{kac2001origin} allume avec l’oxygène de l'artiste, la flamme d'un dispositif électronique qui fait partie de l'installation\footnote{http://www.ekac.org/apositive.html}. +des animaux sauvages se disputent un cube de métal (qui représente un morceau +de viande) dans \textit{Au bord du chaos} (1995). Deux ans plus tard, Eduardo Kak est littéralement connecté à un robot, à travers une aiguille intraveineuse qui transfuse son propre sang à la machine. Cette performance intitulée \textit{A- positif} (1997)\cite{kac2001origin} allume avec l’oxygène de l'artiste la flamme d'un dispositif électronique qui fait partie de l'installation\footnote{http://www.ekac.org/apositive.html}. L’acte pourrait être interprété comme une métaphore pour alimenter la machine, la nourrir du sang de l'humain. Cela peut aussi signifier une tentative d'humaniser la machine, comprendre comment sa réalité physique peut transgresser les lois biologiques du @@ -1171,72 +1162,71 @@ vivant. Cette association de sang et de métal, du vivant et de l’artificiel, son origine dans la littérature du début de 19e siècle alors que des écrivains comme Mary Shelley, préconisent ce que les chercheurs ont depuis identifié comme le \textit{syndrome de Frankenstein}\cite{nomura2012social, kaplan2004ws}. -En analysant les facteurs qui influencent l’acceptation des robots humanoïdes, les chercheurs travaillent pour mieux expliquer nos attentes envers ceux-ci. Bien avant que la science les réalise, des projets cinématographiques\cite{alesich2017gendered, geraci2007robots} mettent en scène des humains artificiels. Depuis des études sociologiques\cite{nisbet2002knowledge, sundar2016hollywood} -[61], [62] examinent comment l’attitude envers ces robots est influencée par -leur antériorité et popularité dans le média. Bien que certains artistes +En analysant les facteurs qui influencent l’acceptation des robots humanoïdes, les chercheurs travaillent pour mieux expliquer nos attentes envers ceux-ci. Bien avant que la science les réalise, des projets cinématographiques\cite{alesich2017gendered, geraci2007robots} mettent en scène des humains artificiels. Depuis, des études sociologiques\cite{nisbet2002knowledge, sundar2016hollywood} examinent comment l’attitude envers ces robots est influencée par +leur antériorité et popularité dans les médias. Bien que certains artistes expulsent des pulsions morbides dans leurs projets d’\gls{art robotique}, d’autres se concentrent sur des émotions moins destructrices. Une approche originale est d’utiliser l’ennui et l’épuisement comme forme de résistance face aux capacités -infinies de la machine. L’œuvre \textit{Helpless Robot} (1987) de Norman White décrite dans l'anthologie\cite{wilson2002mit}, traite de ces questions d'une façon anecdotique. -Après presque un décennie des recherches, White développe des robots -capables de ce qu’il définit comme de ´´la santé mentale artificielle” et dans -une certaine mesure des ´´robots antisociaux”\cite{dixon2004metal}. Avec le sentiment de +infinies de la machine. L’œuvre \textit{Helpless Robot} (1987) de Norman White traite de ces questions d'une façon anecdotique\cite{wilson2002mit}. +Après presque une décennie des recherches, White développe des robots +capables de ce qu’il définit comme ``la santé mentale artificielle” et dans +une certaine mesure des ``robots antisociaux”\cite{dixon2004metal}. Avec le sentiment de l’ennui comme point de départ, il construit un robot qui suit les gens présents à sa performance. Ce robot soupire de temps en temps puis s’arrête lorsque quelqu’un lui donne trop d’instructions. La prochaine version est un tronc -pyramidal d’environ 2m de haut, ´´conscient” de son propre mouvement et du +pyramidal d’environ deux mètres de haut, ``conscient” de son propre mouvement et du mouvement autour de lui. Ce robot s’arrête pour demander aux visiteurs de le -tourner dans un certain sens, étant capable d’exprimer pas moins de 512 instructions vocales\cite{stephens2016we}. Après qu’un humain réponds à cette requête, le robot se plaigne en disant que le virage devrait être plus précis, obligeant le visiteur d'ajuster son emplacement encore et encore. +tourner dans un certain sens, étant capable d’exprimer pas moins de 512 instructions vocales\cite{stephens2016we}. Après qu’un humain a répondu à cette requête, le robot se plaint en disant que le virage devrait être plus précis, obligeant le visiteur à ajuster son emplacement encore et encore. Il est important de souligner que l’interaction physique entre le robot et l’utilisateur est initiée dans ce cas par le robot. D’autres expérimentations artistiques, comme par exemple \textit{Heart Robot} (2008) de David McGoran décrit dans les pages suivantes, s’appuient sur -un constat similaire. Les robots qui demandent de l’assistance à des humains\cite{jenkins2009is}, -ont plus de chance d’engager un contact physique avec eux et peut-être d’être ´´acceptés” dans la société. Plus tard, Norman White participe à une collaboration avec sa collègue artiste Laura Kikuka. L’œuvre, intitulée \textit{Them fucking robots}\cite{wilson2002mit} (1988), met en place une performance live où deux robots +un constat similaire. Les robots qui demandent de l’assistance à des humains\cite{jenkins2009is} +ont plus de chance d’engager un contact physique avec eux et peut-être d’être ``acceptés” dans la société. Plus tard, Norman White participe à une collaboration avec sa collègue artiste Laura Kikuka. L’œuvre, intitulée \textit{Them fucking robots}\cite{wilson2002mit} (1988), met en place une performance live où deux robots - mâle et femelle - simulent une relation sexuelle avec des voix enregistrées, des pistons et des fluides mécaniques pour caricaturer une forme de copulation biologique. Les deux artistes se sont mis d’accord sur les spécifications techniques (comme la taille des robots) en travaillant à distance. Je note ici l’utilisation du thème de la sexualité comme prétexte pour provoquer et éventuellement amuser le public. Les robots n’exprimant ni des traits humains érotiques, ni de la séduction. Le titre -de la performance est proche d’un ´´jeu de mots dénonçant un cri de sectarisme -contre une minorité déjà détestée”\cite{dixon2004metal}. Même type de promiscuité chez Marcel Li +de la performance est proche d’un ``jeu de mots dénonçant un cri de sectarisme +contre une minorité déjà détestée”\cite{dixon2004metal}. Même type de promiscuité chez Marcel.li Antunez Roca dont le premier travail intitulé \textit{Epizoo} (1994), met en scène un interprète dont le corps est resté à la discrétion des spectateurs. Ainsi son nez, ses fesses, ses pectoraux, sa bouche ou ses oreilles sont contrôlés en live -sur le plateau, via un exosquelette pneumatique. Vêtue uniquement d’un string, +sur le plateau, via un exosquelette pneumatique. Vêtu uniquement d’un string, Roca se tient debout sur la plateforme circulaire tournante de sa performance, tel un cobaye. Pendant ce temps son corps et ainsi les quelques éléments scéniques (lumière, son) sont contrôlés à distance par les spectateurs. De même, en utilisant les écrans d’ordinateurs, des parties de son corps nu seraient rassemblées et projetées dans une imagerie fétichiste. Cela conduit finalement au -développement d’un des concepts clés de Roca - ´´la méta-membrane”\cite{bosco2009metamembrana} où +développement d’un des concepts clés de Roca - ``la méta-membrane”\cite{bosco2009metamembrana} où l’artiste est transformé en une interface entre l’œuvre d’art et son public, grâce à la technologie. Membres d’une scène artistique émergente qui veut couper les traditions, afin d’y établir un nouveau courant, Antunez Roca et Kac résument leurs idées dans un manifeste\cite{kac1997marcel} où ils déclarent entre autres -que ´´les microprocesseurs sont aussi importants dans l’art robotique que les +que ``les microprocesseurs sont aussi importants dans l’art robotique que les brosses, peinture, et les toiles le sont en peinture”\footnote{http://marceliantunez.com/texts/robotic-art-manifest/}. Faisant référence à ces -projets artistiques, Dixon emploie les termes de ´´camp art” et de ´´´performances +projets artistiques, Dixon emploie les termes de ``camp art” et de ``performances métalliques” pour définir une sub-catégorie de l’\gls{art robotique} spécifique des années 80 et 90, où la chair et la mécanique se mélangent dans des associations kitsch. Ces œuvres d’art provocatrices et parfois violentes soutiennent que -´´l’humanisation des machines et la déshumanisation des humains” sont -implacables, avant de prôner un retour à la nature salvatrice\cite{dixon2004metal}. C’est -important de noter qu’à ce stade de l’expérimentation, la fascination humaine +``l’humanisation des machines et la déshumanisation des humains” sont +implacables, avant de prôner un retour à la nature salvatrice\cite{dixon2004metal}. Il est +important de noter qu’à ce stade de l’expérimentation la fascination humaine pour la technologie est étroitement liée à un sentiment indéfini d’impuissance traduit par la moquerie, la promiscuité ou la violence. Une tentative de transformer ces peurs et fascinations en quelque chose de plus concret, l’œuvre \textit{Petit Mal} (1995) de Simon Penny met en scène un robot complètement autonome. Ce robot va sentir et explorer son espace tout en suscitant des réactions ludiques chez les visiteurs\cite{penny2015emergence}. L’objectif de Penny -est de donner l’impression d’une intelligence et d’un comportement spécifiques -qui n'est ´´ni anthropomorphes ni zoomorphes, mais propre à sa forme physique -et nature électronique”\cite{penny2016improvisation}. Cela donnait évidement l’impression d’être plus +est de donner l’impression d’une intelligence et d’un comportement spécifique +qui n'est ``ni anthropomorphe ni zoomorphe, mais propres à sa forme physique +et nature électronique”\cite{penny2016improvisation}. Cela donnait évidemment l’impression d’être plus intelligent qu’il ne l’était en réalité. L’artiste a créé un robot capable d’imiter le comportement humain, soulignant l’importance de ce qu’il définit comme \textit{un mimesis dynamique} - le robot se déplaçant comme les humains, sans avoir réellement une forme humaine. Sur son site, Penny décrit \textit{Petit Mal} comme -un ´´anti- robot” dotée d’une autonomie d’environ 12 heures, ce qui représente -beaucoup compte tenu de l’époque de sa construction. Pour le construire, +un ``anti-robot” doté d’une autonomie d’environ 12 heures, ce qui représente +beaucoup compte tenu de l’époque de sa construction. Pour le construire l’artiste utilise le modèle d’un double pendule comme générateur de mouvement auquel il rajoute des mouvements hésitants et des petits gestes pour renforcer l’idée d’autonomie et de libre arbitre. Penny remarque également que parmi tous @@ -1247,26 +1237,26 @@ Dans une autre approche, l’artiste japonais Momoyo Torimitsu performe \textit{ (1997) dans les rues de New York\cite{kroker2013toronto}. Habillée en infirmière, l’artiste assiste un robot humain représentant un d’homme d’affaires. Ce qui choque les passants est que le robot rampe sur son ventre tandis que l’infirmière le suit -pour remplacer de temps en temps les batteries qui l’alimentent, pour -l’anecdote des batteries de motocyclette stockées dans les fesses du robot. Ce +pour remplacer de temps en temps les batteries qui l’alimentent; pour +l’anecdote, des batteries de motocyclette stockées dans les fesses du robot. Ce robot basique a un mécanisme de déplacement assez simple mais à cause de son -apparence réaliste, provoque un sentiment de malaise en sa présence\cite{mori2012ram}. +apparence réaliste provoque un sentiment de malaise en sa présence\cite{mori2012ram}. Encore une fois, l’interaction physique robot-performer est facilitée par la mise en scène du robot dans une position de vulnérabilité par rapport à l’humain. Cette fois le message artistique s’adresse aux humains, qui par leur -addiction au travail, ´´s’automatisent”. Pareil aux exemples de \textit{Robot K-456} ou +addiction au travail, ``s’automatisent”. Pareil aux exemples de \textit{Robot K-456} ou \textit{Petit Mal}, je souligne la présence du robot dans les rues, dans l’espace public, à la place des musées (où le robot serait davantage contemplé) ou du laboratoire (où le robot serait un simple outil de recherche pour des tâches industrielles). -Des champs comme la robotique développementale mentionnée dans le 2eme chapitre, se concentrent sur -la façon dont les robots sont perçues dans des environnements complexes. En comparaison avec un laboratoire, la personne qui interagit avec le robot dans une école ou un hôpital ne remarquera pas ses limites techniques, étant plutôt préoccupée par son comportement social\cite{sabanovic2006iwamc}. +Des champs comme la robotique développementale mentionnée dans le deuxieme chapitre, se concentrent sur +la façon dont les robots sont perçus dans des environnements complexes. En comparaison avec un laboratoire, la personne qui interagit avec le robot dans une école ou un hôpital ne remarquera pas ses limites techniques, étant plutôt préoccupée par son comportement social\cite{sabanovic2006iwamc}. Autour de la première décennie du 21e siècle, des chercheurs avancent l’hypothèse qu’environ 55\% de la communication humaine est basée sur du comportement non-verbal\cite{littlejohn2009sage}. Bientôt, les artistes deviennent -intéressés par les robots et les machines qui ´´s’expriment” à travers des +intéressés par les robots et les machines qui ``s’expriment” à travers des mouvements et des gestes à la place des signaux sonores. Comme mentionné précédemment, \textit{Heart Robot} (2008) marque une transition dans la façon dont les -robots sont présentés dans l’espace publique. Cette fois, les machines bruyantes +robots sont présentés dans l’espace public. Cette fois, les machines bruyantes et métalliques sont remplacées par une petite marionnette hybride capable de toucher et être touchée. Marionnettiste lui-même ainsi que roboticien, Goran met au défi la perception culturelle des robots grâce aux émotions artificielles et @@ -1281,7 +1271,7 @@ détendu. Les résultats de cet etude\cite{sefidgar2015tac} montrent comment dan mise en œuvre des capacités de toucher dans les interactions avec les robots a un potentiel thérapeutique sur les humains. Goran a présenté \textit{Heart Robot} lors de foires et d’événements culturels non liés à la robotique. La plupart des -utilisateurs adultes qui l’ont touche ou tenu dans leurs bras ont ressenti un +utilisateurs adultes qui l’ont touché ou tenu dans leurs bras ont ressenti un certain sentiment d’empathie - définie au sens très large ici\cite{leite2013ijhcs} - pour lui. Cependant, certains enfants et adolescents ont manifesté des réactions agressives et un enfant a donné un coup de poing au robot en face, pour voir comment il réagirait\cite{jenkins2009is}. Cet exemple, @@ -1293,21 +1283,21 @@ par Nishimura, il est important de se rappeler que cela dépend surtout de nous, humains, si les robots réfutent nos peurs les plus profondes, ou simplement les confirment. J’ai mentionné la peur et l’effet d’étrangeté ou \gls{the uncanny effect}\cite{mori2012ram} que la présence des robots peut avoir sur nous. J’aimerais donc par la suite analyser le travail de Hiroshi Ishiguro avec l’œuvre \textit{Telenoid R1} (2010). Professeur d’université -et chercheur sur des robots humanoïdes hyper-réalistes, il est le créateur de -\textit{Geminoid HI}\footnote{http://www.geminoid.jp/en/robots.html} (2006)- un androïde copie identique de lui-même\cite{nishio2007hr}. L’objectif de la recherche d’Ishiguro est d’enseigner l’expérience humaine aux androïdes. Pour un projet présenté lors du Festival Ars Electronica, le chercheur a conçu un robot +et chercheur sur des robots humanoïdes hyperréalistes, il est le créateur de +\textit{Geminoid HI}\footnote{http://www.geminoid.jp/en/robots.html} (2006) - un androïde copie identique de lui-même\cite{nishio2007hr}. L’objectif de la recherche d’Ishiguro est d’enseigner l’expérience humaine aux androïdes. Pour un projet présenté lors du Festival Ars Electronica, le chercheur a conçu un robot téléopéré de petite taille, sans membres et qui pouvait manifester son engagement qu’à travers des mimiques et du retour vocal. En comparaison avec \textit{Heart Robot}, ce robot a provoqué des réactions différentes. Puisqu’il était piloté par un opérateur humain, \textit{Telenoid R1} a été capable de passer d’une langue à l’autre -très rapidement, donnant l’impression d’être un \gls{ghost in the machine} ou ´´fantôme dans la machine” - +très rapidement, donnant l’impression d’être un \gls{ghost in the machine} ou ``fantôme dans la machine” - concept expliqué dans\cite{kroos2016springer} comme indépendant de la machine elle-même (plutôt un produit de l’influence des machines sur l’environnement). Cela peut aussi rappeler en quelque sorte les expériences up-close de Demers avec son -intention de rendre crédibles des robots ´´peu crédibles”. Plus probablement les -démonstrations d’élocution ou d’adaptabilité verbale des robots, motivent peu les +intention de rendre crédibles des robots ``peu crédibles”. Plus probablement les +démonstrations d’élocution ou d’adaptabilité verbale des robots motivent peu les interactions physiques des spectateurs. La peur de l’humain d’être contrôlé par un robot surpuissant augmente au fur et à mesure que le robot exprime plus -d’agence et d’autonomie. Cependant dans un étude avec des personnes âgées\cite{ogawa2011jaciii}, +d’autonomie et d'agentivité. Néanmoins, dans une étude avec des personnes âgées\cite{ogawa2011jaciii}, des chercheurs de l’équipe d’Ishiguro ont remarqué qu’en étreignant spontanément \textit{Telenoid R1}, les humains éprouvent de la sympathie pour lui. Selon les chercheurs, cela peut s’expliquer par le fait que les personnes @@ -1315,7 +1305,7 @@ les chercheurs, cela peut s’expliquer par le fait que les personnes d’autres robots d’Ishiguro ont participé à des projets de théâtre lors des collaborations avec le metteur en scène Oriza Hirata\cite{pluta2018publifarum}. Sur scène l’accent est mis sur l’intrigue narrative donc les robots jouent leur propre rôle\cite{demers2008springer} où -ils sont ´´acceptés” dans leur singularité. L’effet d’étrangeté diminue par +ils sont ``acceptés” dans leur singularité. L’effet d’étrangeté diminue par conséquence. Pour aller plus loin sur ces considérations, le chercheur Guy Hoffman introduit @@ -1326,15 +1316,15 @@ des usagers, une fois dans leur intimité. Dans ce contexte, les conventions sc Parmi les formes performatives, la danse est celle qui exige le plus de contact physique. Nous avons vu plus haut comment les paradigmes liés à la représentation du corps en mouvement impactent les nouvelles créations -scéniques. A la fin des années 1960, des chorégraphes comme Deborah Hay, Steve +scéniques. À la fin des années 1960, des chorégraphes comme Deborah Hay, Steve Paxton ou Lucinda Childs ont collaboré avec les ingénieurs en informatique des Bell Labs, pendant les événements E.A.T. (Experiments in Art and Technology)\footnote{mouvement crée à New York en 1966 par Robert Rauschenberg, Robert Whitman et les ingénieurs Billy Klüver et Fred Waldhauer}. Presque à la même époque, Merce Cunningham utilisait l’ordinateur pour créer des outils chorégraphiques\cite{schiphorst1993asssa} qui génèrent des mouvements artificiels. Puis récemment, avec le développement des robots industriels, les chorégraphes ont commencé à les inviter sur scène. Cela a encouragé la communauté scientifique à développer de plus en plus les capacités -d’adaptation physique\cite{peng2015thms} sur scène. Parmi les pionniers des projets de la danse robotique, j’aimerais mentionner deux artistes qui ont choisi de mettre des machines +d’adaptation physique\cite{peng2015thms} sur scène. Parmi les pionniers des projets de la danse robotique j’aimerais mentionner deux artistes qui ont choisi de mettre des machines non-anthropomorphes sur scène. Le premier est la performance \textit{Sans objet} (2009) d’Aurélien Bory, où deux danseurs impressionnants par leur précision, exécutent des acrobaties sur un bras industriel de General Motors\cite{maubert2018vp}. Face à -la taille du robot, ils ressembleraient à des insectes qui sautaient sur une +la taille du robot ils ressembleraient à des insectes qui sautaient sur une branche d’arbre. \begin{figure} \centering @@ -1343,7 +1333,7 @@ branche d’arbre. \label{fig:abdersans-objet-bory} \end{figure} -A l’opposé, la série \textit{Actor}\footnote{https://www.atwodogscompany.org/fr/projets/actor-1/} (2008-2010) de Kris Verdonk présente le spectacle \textit{Dancer 3} où la scène est vide, à +À l’opposé, la série \textit{Actor}\footnote{https://www.atwodogscompany.org/fr/projets/actor-1/} (2008-2010) de Kris Verdonk présente le spectacle \textit{Dancer 3} où la scène est vide, à l’exception d’un petit robot maladroit qui a du mal à se tenir débout\cite{eckersall2015tdr}. Chaque fois il retombe, sans jamais céder à son objectif, endurant inlassablement ce processus d’essais et d’erreurs. Comme la séquence se répète, des bips sonores @@ -1352,21 +1342,21 @@ du robot. Les spectateurs projettent une attitude empathique envers lui, comme ils le font probablement avec les danseurs de Bory - quand ceux-ci se mettent en danger pour escalader le bras robotique. Certaines questions importantes autour de l’automatisme et de l’autonomie émergent de ces deux exemples. Que se -passerait-il si le petit robot ´´abandonne” ses essais ? Ou si le robot géant +passerait-il si le petit robot ``abandonnait” ses essais ? Ou si le robot géant décidait de secouer les humains qui pendent dessus ? Pourquoi le manque de maîtrise du deuxième robot impressionne tout autant que la précision des -danseurs du premier exemple? +danseurs du premier exemple ? La persévérance d’un robot dans sa maladresse ou sa précision (qui sont évidemment des comportements pré-programmés) sont à l’opposé d’une figure humaine imparfaite qui vacille constamment entre ces deux états. -Fascinées par la haute précision et la ´´froideur automatique” des robots +Fascinées par la haute précision et la ``froideur automatique” des robots industriels, des chorégraphes émergents comme le finlandais Thomas Freundlich, la britannique Merritt Moore ou l’américaine Catie Cuan, continuent de défier -leur potentiel créatif sur scène. Le travail du chorégraphe taïwanais Huang Li, intitulé \textit{Huang Yi \& KUKA} (2012)impressionne par sa délicatesse et sa puissance. L’artiste a mis plusieurs années à s’habituer à programmer tout seul le bras KUKA\cite{lin2016ar}. +leur potentiel créatif sur scène. Le travail du chorégraphe taïwanais Huang Yi, intitulé \textit{Huang Yi \& KUKA} (2012) impressionne par sa délicatesse et sa puissance. L’artiste a mis plusieurs années à s’habituer à programmer tout seul le bras KUKA\cite{lin2016ar}. \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/abder_Huang_KUKA} - \caption{Captation du spectacle de Huang. Source photo:} + \caption{Captation du spectacle de Huang. Source photo: https://sozomedia.com/kuka.} \label{fig:abderhuangkuka} \end{figure} @@ -1381,9 +1371,9 @@ observation, je m’appuie sur le commentaire de Bory concernant son propre travail, pour qui un robot industriel hors de son contexte devient \textit{aussi inutile comme tout geste artistique devrait l’être}. Ceci est valable dans d’autres disciplines artistiques, par exemple en musique. Pour -appuyer cela,je fais une parallèle avec le projet \textit{Shimon live impro jazz performance} (2009) de Guy +appuyer cela, je fais un parallèle avec le projet \textit{Shimon live impro jazz performance} (2009) de Guy Hoffman. Ici la machine est extraite de son contexte industriel et conçue -exclusivement pour un jam d’improvisation jazz. Shimon est un robot - joueur de +exclusivement pour une session de jam d’improvisation jazz. Shimon est un robot - joueur de marimba et capable d’improviser - conçu par Hoffman qui est lui-même musicien. Le chercheur a utilisé une approche gestuelle pour son expression musicale, avec des alternances entre des mouvements lents et rapides, des gestes grands et @@ -1391,16 +1381,16 @@ petits pour travailler sa virtuosité. Comme dans la danse, chaque geste est divisé en plusieurs phases qui se succèdent\cite{hoffman2010ira}. Pour modéliser les imprévus du temps réel et faciliter des moments synchronisés non scénarisés lorsqu’ils jouent ensemble, Hofmann a utilisé une méthode d’anticipation spécifique au -théâtre. Pour lui, les roboticiens devraient s’en inspirer plus par des -techniques de formation d’acteurs comme le ´´monologue intérieur continuel” -lors de la conception des robots capables de comportements reactifs\cite{hoffman2011hri}. En +théâtre. Pour lui, les roboticiens devraient s’en inspirer pour la plupart des +techniques de formation d’acteurs, comme le ``monologue intérieur continuel”, +lors de la conception des robots capables de comportements réactifs\cite{hoffman2011hri}. En travaillant avec des systèmes robotiques orientés vers l’action et la perception, Hoffman a obtenu des mouvements rapides plus adaptés - son but étant -d’atteindre quelque chose proche de la ´´réactivité intuitive” d’un robot. Dans +d’atteindre quelque chose proche de la ``réactivité intuitive” d’un robot. Dans une approche connexe, l’Université Waseda conçoit également des robots qui improvisent de la musique en temps réel avec des partenaires humains. L’une de leurs premières expériences d’improvisation est le \textit{Waseda Flutist Robot} -(2008), un prototype ayant subi plusieurs améliorations depuis les années 1990\cite{peterson2010ar}, probablement version raffinée de l’Automate de Vaucanson du 18éme siècle. +(2008), un prototype ayant subi plusieurs améliorations depuis les années 1990\cite{peterson2010ar}, probablement version raffinée de l’Automate de Vaucanson du 18e siècle. Cependant la musique n’implique pas un contact physique entre interprètes, mis à part un contact étroit avec les instruments de musique. Néanmoins le niveau de complicité lors d’une improvisation musicale est suffisamment élevé pour établir @@ -1419,17 +1409,17 @@ acoustiques robotisées, du son et de la lumière. Semblable à une musique d’improvisation électroacoustique qui offre une grande liberté d’expression, le comportement des robots ainsi que leur interactivité avec les autres partenaires de scène stimulent l’imagerie artistique des spectateurs. -Cette panorama des +Ce panorama des possibilités d’expression artistique des robots continue avec un projet de recherche de l’Université du Tohoku\cite{hirata2005robio,takeda2007tie,wang2012toh} qui développe des robots qui -dansent. Leur l’hypothèse principale est qu’en comprenant et en anticipant -les intentions humaines, un robot peut s’engager plus activement dans +dansent. Leur hypothèse principale est qu’en comprenant et en anticipant +les intentions humaines un robot peut s’engager plus activement dans l’interaction avec un humain. Pour faciliter une synchronisation du couple, -les études actuels se concentrant sur la qualité des mouvements corporels - +les études actuelles - se concentrant sur la qualité des mouvements corporels - soulignent l’importance d’une analyse poussée des capteurs de mouvement\cite{de2019thms}. Une autre approche\cite{granados2017ral} est construite autour d'un robot enseignant la danse, pour évaluer les compétences nécessaires lors des processus d’apprentissage HRI, -basées sur le contrôle de l’impédance adaptative et le retour haptique. Le robot +basés sur le contrôle de l’impédance adaptative et le retour haptique. Le robot effectue un mouvement continu d’adaptation à la dynamique de l’interaction, tandis que l’humain assume le rôle de suiveur. Dans ce contexte particulier, le mouvement devient une clé pour l’acceptation des robots en tant @@ -1440,31 +1430,31 @@ Je continue cette synthèse d’\gls{art robotique} avec deux artistes qui ont b recherche scientifique à travers leur pratique. Tous les deux ont imaginé des installations et des performances où les dispositifs automatisés questionnent la capacité des robots à transgresser les -problématiques inter-espèces et éventuellement acquérir de ´´l’individualité” ou +problématiques inter-espèces et éventuellement acquérir de ``l’individualité” ou une personnalité propre. Commençons tout d’abord avec Stelarc et son \textit{Articulated Head} (2010), devenu ensuite \textit{Thinking Head Attention Model and -Behavior System} ou THAMBS\cite{stelarc2012leonardo}. Comparé au Bory, Stelarc a adapté +Behavior System} ou THAMBS\cite{stelarc2012leonardo}. Comparé au travail d’Aurélien Bory, Stelarc a adapté l’utilisation d’un bras robotique industriel Fanuc LR Mate 200ic. Il a mis un écran de 17 pouces sur le robot puis créé un rendu 3D de sa tête - devenue tête prothétique. Le système contient également un ensemble de capteurs comprenant de la localisation auditive, de la vision stéréo ainsi qu’une vision monoculaire pour faciliter une connaissance détaillée de la situation et de son environnement. Cette forme de présence qui simule une prise de conscience, -confrontée au paradoxe ´´ghost in the shell” (voir \gls{ghost in the machine}) des robots d’Ishiguro, s’échappe de +confrontée au paradoxe ``ghost in the shell” (voir \gls{ghost in the machine}) des robots d’Ishiguro, s’échappe de peu aux critères de la vallée de l’étrangeté, puisqu’il s’agit d’une machine peu réaliste, presque non-anthropomorphe et donc pas d’un humanoïde réaliste. Ceci -dit, dans\cite{herath2016springer} Hertah mentionne comment le robot a surpris (pour ne pas dire -effrayé) le personnel du laboratoire où ils travaillaient, en pleine nuit. Entré +dit, Damith Hertah (qui faisait aussi partie de l'équipe) mentionne comment le robot a surpris (pour ne pas dire +effrayé) le personnel du laboratoire dans lequel ils travaillaient, en pleine nuit. Entré en mode veille en raison de son inactivité, le robot a rapidement réagi dans le -noir, lançant un ´´Bonjour” enthousiaste à un employé qui effectuait son ronde de -nuit. Alors que l’interaction homme-robot s’est produite de façon accidentelle, +noir, lançant un ``Bonjour” enthousiaste à un employé qui effectuait sa ronde de +nuit\cite{stelarc2012leonardo}. Alors que l’interaction homme-robot s’est produite de façon accidentelle, la réaction du gardien a été d’avoir peur, prouvant une fois de plus que les humains craignent les robots quand ceux-ci sont imprévisibles. Dans une autre étude portant sur le rôle du toucher dans les constructions empathiques avec les robots et leur impact sur la santé\cite{bickmore2010tac}, des chercheurs ont associé à un -moniteur affichant un visage humain, un dispositif doté de deux degrés de +moniteur affichant un visage humain un dispositif doté de deux degrés de liberté simulant une main capable de pression. L’ensemble avait certaines -limitations techniques, car les participants devaient tenir la main du robot en +limitations techniques car les participants devaient tenir la main du robot en continu pendant les essais. Différents scénarios d’interaction ont été proposés pour analyser si le toucher combiné avec la parole ou les expressions faciales, peuvent améliorer la relation avec un agent artificiel. Il a été conclu que le @@ -1472,17 +1462,17 @@ toucher peut entraîner une interaction robotique réconfortante et emphatique, quel que soit le contexte des signaux multimodaux qui expriment un état d’affection. En ce qui concerne les critères qui relèvent de l’étrangeté sociale mentionnés plus haut, je remarque un détail intéressant. La littérature\cite{parietti2016tro} -offre de riches possibilités d’ expression dans le HRI. Cependant Stelarc a -toujours vu son corps ´´comme un prolongement des systèmes opérationnels”. En +offre de riches possibilités d’expression dans le HRI. Néanmoins Stelarc a +toujours vu son corps ``comme un prolongement des systèmes opérationnels”. En utilisant des prothèses et des exosquelettes qui actionnent ses mouvements, il s’estompe face à la technologie. Dans ses œuvres, c’est l’humain (et non le robot) qui devient étrange. Presque dans une approche contre-culturelle, Stelarc a réussi à inverser le rapport à la technologie en l’intégrant dans son corps\cite{zurbrugg1999tcs} à travers des dispositifs originaux, comme son troisième bras ou les pattes d’araignée\footnote{http://stelarc.org/?catID=20227}. Le travail de Ken Rinaldo, artiste et chercheur intéressé par l’hybridation homme-machine (ce qu’on appelle aujourd’hui bionique avancée) appartient à la même lignée. Son installation robotique \textit{Enteric Consciousness} (2010) est un exemple de biotechnologie, dont les principes sont similaires -aux celles des projets d’Eduardo Kac. Dès 1993 l’artiste crée une +à celles des projets d’Eduardo Kac. Dès 1993 l’artiste crée une installation pour que des vrais poissons explorent l’environnement humain en -pilotant un aquarium automatisé\cite{stephens2016we} - sorte d’un robot piloté par des poissons\footnote{https://www.kenrinaldo.com/portfolio/augmented-fish-reality/}. +pilotant un aquarium automatisé\cite{stephens2016we} - sorte de robot piloté par des poissons\footnote{https://www.kenrinaldo.com/portfolio/augmented-fish-reality/}. Semblable à la performance \textit{A-Positive} de Kac mentionnée auparavant, Rinaldo est un pionnier dans le domaine de la biotechnologie. Dans sa contribution intitulée: \textit{Trans-Species Interfaces : A Manifesto for Symbiogenesis}\cite{rinaldo2016springer}, @@ -1498,13 +1488,13 @@ machines, par l’intermédiaire du contact physique. La spécificité de chacun ces exemples est qu’ils défient le concept d’anthropomorphisme\cite{duffy2003anthropomorphism} chez les robots. Probablement ces deux artistes ont voulu créer des prototypes pour des nouveaux espaces robotiques propres à la création artistique. -Dans l’étude que nous avons cité plus haut\cite{sefidgar2015tac}, les chercheurs ont conçu un outil appelé ´´The Haptic Créature”, pour étudier les effets du toucher lors des HRI. Équipé d’un actionneur et des divers +Dans l’étude que nous avons cité plus haut\cite{sefidgar2015tac}, les chercheurs ont conçu un outil appelé ``The Haptic Créature”, pour étudier les effets du toucher lors des HRI. Équipé d’un actionneur et des divers capteurs de pression, température et vibrations, ce robot explore le potentiel thérapeutique du toucher, partageant certaines caractéristiques animales comme moyen d’exprimer un comportement affectif. Profitant de ce contexte innovant, j’aimerais avancer la projection anthropologique suivante. -Pour une grande majorité des humains, les robots sont, du moins actuellement, +Pour une grande majorité des humains les robots sont, du moins actuellement, hors de portée. Ils pourraient les rencontrer dans les médias ou lors d’un événement spécifique, mais pas interagir directement avec eux dans un contexte -privé. Ainsi, les robots peuvent apparaître comme différents (au sens ´´d’une +privé. Ainsi, les robots peuvent apparaître comme différents (au sens ``d’une nature inconnue”) par rapport aux autres humains, des animaux domestiques ou des dispositifs automatisés que nous connaissons dans notre vie courante. Autant les imaginer descendants d’animaux sauvages, par leur rareté et leur @@ -1512,9 +1502,9 @@ comportement peu connu. En supposant maintenant que l’interaction physique ent les humains et les animaux sauvages a principalement été provoquée par les premiers (puisque les animaux domestiques ont du interagir avec les humains pour survivre), comment un robot (ou système -robotique) qui a trouvé sa propre spécificité et son capacité d’agir, -interagissait avec nous? Le craindrons-nous, comme nous continuons à craindre -les animaux sauvages que nous n’avons pas réussi à apprivoiser ? Nous nous sommes attachés à ces questions lors de nos expérimentations pratiques en seconde partie de cette thèse. Par la suite, je présente quelques projets plus récents qui traitent la question des robots sous un angle post-contemporain afin d'identifier des problématiques et enjeux communes à ma démarche. +robotique) qui a trouvé sa propre spécificité et sa capacité d’agir, +interagirait avec nous ? Le craindrons-nous, comme nous continuons à craindre +les animaux sauvages que nous n’avons pas réussi à apprivoiser ? Nous nous sommes attachés à ces questions lors de nos expérimentations pratiques en seconde partie de cette thèse. Par la suite, je présente quelques projets plus récents qui traitent la question des robots sous un angle post-contemporain afin d'identifier des problématiques et enjeux communs à ma démarche. \subsection{Orientations contemporaines} @@ -1522,116 +1512,116 @@ les animaux sauvages que nous n’avons pas réussi à apprivoiser ? Nous nous s L’histoire est cyclique et nous avons vu par le passé que des archétypes et des leitmotivs se recyclent dans l’imaginaire collectif. Igor Stravinsky a composé \textit{Le Sacre du Printemps}, l’une des œuvres musicales les plus influentes du 20e -siècle. Cent ans après la première houleuse du ballet de Diaghilev, le +siècle. Cent ans après la première houleuse du ballet de Vaslav Nijinski, le réalisateur italien Roméo Castelucci reçoit une commande pour adapter l’original. La performance \textit{Le sacre du printemps} (2014) confirme le début d’une nouvelle tendance dans le milieu de la performance artistique, coupant net -avec les pratiques traditionnelles et installant une ´´esthétique de la +avec les pratiques traditionnelles et installant une ``esthétique de la disparition” sur scène\cite{dukanic2019sp}. Paradoxalement, le public présent lors de cette première n’a pas été contrarié quand les robots ont pris le contrôle d’une scène -vide, car cela n’était pas hors du commun. Des +vide, car cela n’était pas hors du commun. De nombreux projets d’opéra ont déjà envisagé l’idée de remplacer l’humain avec des robots -sur scène, il y déjà cent ans avec l’émergence de l’esthétique Bauhaus\cite{sigman2020mit}. +sur scène, il y déjà cent ans, avec l’émergence de l’esthétique Bauhaus\cite{sigman2020mit}. Penny’s \textit{Petit Mal} ou Verdonk’s robot maladroit entre autres, sont des exemples plus récents de robots agissant seuls sur un plateau. La différence réside ici dans le fait que les -robots remplacent les interprètes, ils ne jouent pas leur propre ´´rôle”, comme +robots remplacent les interprètes, ils ne jouent pas leur propre ``rôle”, comme nous l’avons vu dans la section précédente. Dans une scénographie apocalyptique sans humains sur scène, des os de vache devenus poudre pour les engrais, pourraient symboliser un avenir lointain sans des danseurs réels. Les bras -robotiques et les machines suspendus au plafond, répandent cette poudre au +robotiques et les machines suspendus au plafond répandent cette poudre au rythme de la musique de Stravinsky diffusée dans des haut-parleurs. La technologie facilite l’invention d’un nouveau langage artistique, tandis que la mythologie y est recyclée pour correspondre à de nouveaux défis. Ce n'est pas étonnant que les spectateurs assimilent ces codes avec moins d’étonnement qu’il y a soixante ans. -Habitués à ´´côtoyer” les robots, pour citer Laumond, ils sympathisent avec -leur ´´faire”, tout en assister à la représentation. De même, dans le spectacle -\textit{Nobody is an island} (2021), le chorégraphe Wayne McGregor défie le potentiel +Habitués à ``côtoyer” les robots, pour citer Laumond, ils sympathisent avec +leur ``faire”, tout en assistant à la représentation. De même, dans la captation du spectacle +\textit{No one is an Island} (2021), le chorégraphe Wayne McGregor défie le potentiel d’empathie d’une machine en mettant en place un écosystème hybride entre deux performeurs et une sculpture automatisée créée par le groupe Random International\footnote{https://www.random-international.com/news}. \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/abder_wayne_RI} - \caption{Captation du spectacle Nobody is an island. Source photo:} + \caption{Captation du spectacle \textit{No one is an Island}. Source photo: https://waynemcgregor.com/productions/no-one-is-an-island.} \label{fig:abderwayneri} \end{figure} La dynamique de cette rencontre tourne autour des possibilités d’expression de la machine, capable d’identifier une présence humaine et de réagir par le mouvement. Son design métallique pointu n’invite pas nécessairement à -l’interaction, cependant à travers ses mouvements et ses gestes doux, les -interprètes sont capables de s’approcher d’elle d'une manière ´´douce”. +l’interaction, cependant, à travers ses mouvements et ses gestes doux, les +interprètes sont capables de s’approcher d’elle d'une manière ``douce”. En contrepoids, dans l’installation \textit{Female Figure} (2014) de Jordan Wolfsen il y a un autre type de déconstruction des codes. L’artiste a conçu une femme-robot qui exécute une -danse lubrique devant un miroir, tandis qu’elle est attaché à une tige +danse lubrique devant un miroir, tandis qu’elle est attachée à une tige horizontale perçant son torse. Son apparence est similaire à un sex-toy avec les yeux couverts par un masque de sorcière, provoquant des sentiments mêlés de désir et de répulsion chez les spectateurs. Fixant les visiteurs et se -regardant dansant, ce robot remet en cause le concept de \gls{awareness of awareness} -en français ´´prise de conscience +regardant danser, ce robot remet en cause le concept de \gls{awareness of awareness} +en français ``prise de conscience d'une prise de conscience”\cite{goldberg2016springer}, en abordant des questions sur l’émancipation -féminine du regard masculin. En nous appuyant sur la manière dont le gendre influence les interactions +féminine du regard masculin. En nous appuyant sur la manière dont le genre influence les interactions dans notre société, des robots dont le genre est identifié comme féminin\cite{siegel2009iros} sont -sujet aux mêmes biais que les femmes. Pour traiter plus loin cette -question d’apparence, un étude montre comment les visiteurs de Disney’s Animal Kingdom sont déçus des +sujets aux mêmes biais que les femmes. Pour traiter plus loin cette +question d’apparence, une étude montre comment les visiteurs de Disney’s Animal Kingdom sont déçus des animaux puisque ceux-ci ne correspondent pas avec les versions animatroniques de Disney World\cite{broadbent2017ar}. Les participants reprochent aux animaux réels d’être moins sociables que leurs versions électroniques. -D’une manière analogique, je me demande alors comment l’exposition excessive à des silhouettes +D’une manière analogue, je me demande alors comment l’exposition excessive à des silhouettes hyper-sexualisées dans le media altère la vision des humains de la sexualité et de la séduction. Puis j'extrapole pour voir comment ce biais est transféré aux robots. Comme nous l'avons évoqué plus haut, White et Kikuka, entre autres, ont exploré la sexualité des machines d’une façon parodique. -Cependant est leur façon de considérer la sexualité des robots spécifique à leur époque? -Peut-être que cela correspond plutôt aux limites technologiques auxquelles ils étaient confrontés. +Pourtant leur façon de considérer la sexualité des robots est-elle spécifique à leur époque? +Peut-être que cela correspond plutôt aux limites technologiques auxquelles ils étaient confrontés, qu'à une prise de position concernant ce sujet. De nos jours, l’industrie pornographique a accéléré le développement des robots et dispositifs -animatroniques sexualisés réalistes. Des nombreux études\cite{maines2008ieee,cheok2019springer} traitent +animatroniques sexualisés réalistes. Des nombreuses études\cite{maines2008ieee,cheok2019springer} traitent ce phénomène avec intérêt. Les artistes ont également saisi l'opportunité en utilisant ces technologies hors de leur contexte initial. Pour questionner la notion de sexualité à travers une œuvre artistique, les spectateurs sont moins préoccupés -par la sexualité d'un robot, qu’ils sont avec la sexualité en tant que phénomène +par la sexualité d'un robot, qu’ils le sont avec la sexualité en tant que phénomène social. Dans cette idée, les biais en lien avec la sexualité des robots reflètent celle des humains. Idéalement, l’art devrait assurer un contexte neutre pour aborder ces questions à la fois anthropocentriques et -techno-centriques.Cependant sa réception est biaisée car les spectateurs d’une œuvre éprouvent leur propre individualité et subjectivité lors de ce processus. -En évoquant ces œuvres où le contact physique avec les robots n’est pas partie de l'intention artistique des auteurs, les mêmes questions ontologiques concernant l’éthique envers les robots, persistent. +techno-centriques. Toutefois sa réception est biaisée car les spectateurs d’une œuvre éprouvent leur propre individualité et subjectivité lors de ce processus. +En évoquant ces œuvres où le contact physique avec les robots n’est pas partie de l'intention artistique des auteurs, les mêmes questions ontologiques concernant l’éthique envers les robots persistent. -Comme déjà évoqué, les propositions artistiques qui nous intéressent sont celles où les +Il est important de souligner que les propositions artistiques qui nous intéressent sont celles où les humains engagent un contact physique avec les robots. Par exemple dans la performance \textit{Sayonara} (2010) de Hiroshi Ishiguro, Geminoid caresse la joue d’une femme qui pleure. Alors que dans le spectacle \textit{Spillikin} (2017) du Pipeline Theatre, un androïde tient la main d’une vieille -dame, et la console de la perte de son mari. Ce robot, construit par -Engeneering Arts company au Royaume-Uni est un ´´ancêtre” de l’Ameca Android\footnote{https://www.engineeredarts.co.uk/robot/ameca/}- -impressionnant par le hyper-réalisme de ses expressions faciales. La même +dame et la console de la perte de son mari. Ce robot, construit par +Engeneering Arts company au Royaume-Uni est un ``ancêtre” de l’Ameca Android\footnote{https://www.engineeredarts.co.uk/robot/ameca/}- +impressionnant par l'hyperréalisme de ses expressions faciales. La même technologie sera utilisée ultérieurement pour développer Ai-Da, le premier robot-artiste au monde. Pour ces exemples, le récit qui accompagne l’interaction théâtrale aide à -maintenir un lien sur avec les robots. Alors qu’en danse, +maintenir un lien sûr avec les robots. Alors qu’en danse, comme nous l’avons vu plus haut, les danseurs se mettent parfois en danger, se produisant dans la proximité des robots industriels. Cette tendance a légèrement changé, lorsque la société française -Aldebaran Robotics a développé un robot de 58cm appelé NAO, facile à programmer -et configurer pour des expériences artistiques. Des chorégraphes tels Bianca Li ou Emmanuelle Grangier ont +Aldebaran Robotics a développé un robot de 58 centimètres appelé NAO, facile à programmer +et configurer pour des expériences artistiques. Des chorégraphes telles Bianca Li ou Emmanuelle Grangier ont travaillé avec ce robot, d’une façon moins démonstrative. NAO prends sa place parmi les danseurs, ils participe à la création. Dans la performance de Li, \textit{Robot} (2013), l’un des danseurs aide un NAO à se tenir debout, tandis -que d’autres NAO exécutent une séquence de danse en synchron avec huit danseurs déguisés en robots. +que d’autres NAO exécutent une séquence de danse de manière synchronisée avec huit danseurs déguisés en robots. Quant au travail de Grangier, passionnée par influence de l’arbitraire, nous découvrons comment elle intègre les bugs techniques dans son expérience. Dans \textit{Link Human/Robot} (2015), on peut voir un NAO trébuchant au sol proche du corps inanimé d'une danseuse et plus tard la serrant -dans ses bras. Suivant des questions analogues, le travail \textit{School of Moon} (2016) du chorégraphe français Eric Minh Cuong Castaing se concentre sur des mondes fictifs entre des humains pourraient et des robots. La force de sa proposition réside dans la double nature de la forme - quelque part entre art visuel et objet chorégraphique. Coproduit par le Ballet National de Marseille, ce projet a impliqué une collaboration avec le roboticien Thomas Peyruse qui a configuré cinq robots NAO et deux Poppy pour les différents étapes du projet. Leur travail a été présenté sous divers formats, qui ont conduit à des moments performatifs dans des centres d’art et des écoles. +dans ses bras. Suivant des questions analogues, le travail \textit{School of Moon} (2016) du chorégraphe français Eric Minh Cuong Castaing se concentre sur des mondes fictifs entre des humains et des robots. La force de sa proposition réside dans la double nature de la forme - quelque part entre art visuel et objet chorégraphique. Coproduit par le Ballet National de Marseille, ce projet a impliqué une collaboration avec le roboticien Thomas Peyruse qui a configuré cinq robots NAO et deux Poppy pour les différentes étapes du projet. Leur travail a été présenté sous divers formats qui ont conduit à des moments performatifs dans des centres d’art et des écoles. \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/abder_shonen} - \caption{Captation du spectacle School of Moon. Source photo: profile instagram de la compagnie Shonen.} + \caption{Captation du spectacle \textit{School of Moon}. Source photo: profil Instagram de la compagnie Shonen.} \label{fig:abdershonen} \end{figure} L’artiste a mis en scène des enfants, des danseurs et des robots de petite taille avec l’intention de représenter un communauté post-humaniste où les humains et les robots performent ensemble des rituels sacrés. L’attention est portée sur la perception et les mouvements lents grâce au mapping vidéo en direct. Les enfants apparaissent imiter les robots de -manière délicate, suggérant une possible complicité avec eux. À un moment donné, une fille tenant un faux pistolet le pointe vers un robot. Ce geste ambivalent illustre à la fois un appel à la destruction, mais aussi une forme de résignation face aux possibilités et capacités infinies de la machine. Un autre projet qui attire notre attention est \textit{My Square Lady} (2015). Cette production d’opéra implique un robot Myon dotée d’une forme de conscience proprioceptive et de la rétroaction sensorimotrice, qui lui permettent d’improviser pendant la -représentation. A travers sa participation dans le spectacle, il nous fait comprendre assez vite que son principal objectif est de comprendre la musique et les émotions humaines. Il est amené à exprimer ses limites sur scène, forçant +manière délicate, suggérant une possible complicité avec eux. À un moment donné, une fille tenant un faux pistolet le pointe vers un robot. Ce geste ambivalent illustre à la fois un appel à la destruction, mais aussi une forme de résignation face aux possibilités et capacités infinies de la machine. Un autre projet qui attire notre attention est \textit{My Square Lady} (2015). Cette production d’opéra implique un robot Myon doté d’une forme de conscience proprioceptive et de la rétroaction sensorimotrice qui lui permettent d’improviser pendant la +représentation. À travers sa participation dans le spectacle, il nous fait comprendre assez vite que son principal objectif est de comprendre la musique et les émotions humaines. Il est amené à exprimer ses limites sur scène, forçant les interprètes à s’adapter à son comportement. Son processus d’apprentissage est authentique et se déroule dans des conditions réelles en live sur le plateau\cite{sigman2020mit}. Hild Manfred, le chercheur qui a configuré le robot au Laboratoire de Recherche en Neurorobotique de l’Université Humboldt de Berlin, est également -présent sur scène pendant le spectacle. Plus tard ce humanoïde modulaire est -démantelé pendant que des chanteurs, des musiciens et des chercheurs passent les +présent sur scène pendant le spectacle. Plus tard cet humanoïde modulaire est +démantelé pendant que des chanteurs, des musiciens et des chercheurs se passent les parties de son corps de l’une à l’autre. Ce geste est effectué de manière calme et douce par rapport aux performances bruyantes de vingt ans auparavant. Probablement la problématique est restée la même depuis soixante ans et nous @@ -1645,7 +1635,7 @@ Le projet \textit{Scary Beauty} (2018) en première mondiale au Musée National \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/abder_scary_Beauty} - \caption{Captation du spectacle Scary Beauty. Source photo:} + \caption{Captation du spectacle \textit{Scary Beauty}. Source photo: https://yellrobot.com/android-opera-scary-beauty-conducted-robot-uae/.} \label{fig:abderscarybeauty} \end{figure} @@ -1661,8 +1651,8 @@ bas de l’épaule, plutôt que sur les mouvements de ses bras et mains. Résult ainsi une performance synchronisée où les musiciens suivent les indications de l’androïde, pour jouer différemment d’un concert à l’autre. Comme dans les journaux du début du 20e siècle qui ont poussé Nishimura à imaginer Gakutensoku, les robots d'aujourd'hui -sont intensivement diffusés dans le média. Leurs technologies sont mises en accès libre sur -les plateformes de développement, pour encourager le développement des robots qui +sont intensivement diffusés dans les médias. Leurs technologies sont mises en accès libre sur +les plateformes de développement pour encourager le développement des robots qui peuvent se déplacer et interagir avec une grande précision. Pour cela, les chercheurs poussent leur inspiration dans des concepts pluridisciplinaires provenant des différentes disciplines. Si je reviens à la projection @@ -1671,7 +1661,7 @@ qui surprennent les tendances actuelles. Des artistes héritiers de la tradition cyberpunk, comme l’italien Marco Donnarumma ou la chanteuse néerlandaise d’origine iranienne Svedaliza, approchent des laboratoires afin de développer leurs propres outils pour aborder d’une façon -originelle ces questions. En parallèle, des artistes à la lisière d'art et sciences, continuent à +originale ces questions. En parallèle, des artistes à la lisière de l'art et sciences, continuent à imaginer la place que les robots occupent dans nos vies. Leur mission et de s’imaginer les formes les plus extrêmes et les scénarios les plus paradoxaux de co-habitation avec les robots. \textit{Inferno} (2015) de Bill Vorn et Louis-Philippe Demers fait @@ -1681,35 +1671,34 @@ différents niveaux de l’enfer décrit dans l’œuvre éponyme de Dante. Tren bénévoles parmi les spectateurs ont la possibilité d’expérimenter les limites de leur corps, en abandonnant leur contrôle moteur à des dispositifs robotiques type exo-squelettes pneumatiques, qu’ils portent pendant la performance. Par son -esthétique, \textit{Inferno} pourrait être inclus dans la classification -´´performances des métaux”\cite{dixon2004metal} que j’ai mentionné précédemment. Au-delà de la peur +esthétique \textit{Inferno} pourrait être inclus dans la classification +``performances des métaux”\cite{dixon2004metal} que j’ai mentionnée précédemment. Au-delà de la peur de perdre le contrôle de son corps, l’humain plonge ici dans les possibilités de la machine, comme pour éprouver ses propres limites. J'ai pu participer à cette performance, en mai 2023, lors de la conférence ISEA à Paris\footnote{https://isea2023.isea-international.org/}. -Mon intérêt a été évidement de voir si lors de l'utilisation de l'exosquelette, -mon corps peut s’engager dans des mouvements exploratoires\cite{vorn2018alborg} qui dépassent -de la chorégraphie originale. Quelques conclusions sont listés dans la partie pratique de mes expérimentations. +Mon intérêt a été évidemment de voir si, lors de l'utilisation de l'exosquelette, +mon corps pouvait s’engager dans des mouvements exploratoires\cite{vorn2018alborg} qui dépassent la chorégraphie originale. Quelques conclusions sont listées dans la partie pratique de mes expérimentations. Ces performances revendiquent une nouvelle complicité entre l’homme et les robots: faire confiance à la machine, la considérer comme son égal. Nous pouvions difficilement imaginer la même adhésion du public à l’invitation de Demers et -Vorn, sans considérer l’héritage des propositions artistiques dans son ensemble. Il fallait que -des artistes comme Marcel Li Antunez Roca testent sur eux-mêmes ces technologies +Vorn, sans considérer l’héritage des propositions artistiques dans leur ensemble. Il fallait que +des artistes comme Marcel.li Antunez Roca testent sur eux-mêmes ces technologies vingt ans plus tôt, afin de les rendre accessibles aux participants. Créer avec ces technologies une œuvre chorégraphique est à la fois original et contraignant. En danse, les partenaires de scène contribuent en égale mesure à la synergie du plateau. -D’après\cite{wolf2018tac}, le mouvement est considéré comme un facteur prioritaire dans le perception du -comportement et de l’autonomie d’un agent. Bien que les artistes attendent avec impatience le moment où les robots pourraient devenir créatifs, les roboticiens considèrent à leur tour la créativité comme un aspect important de +D’après\cite{wolf2018tac}, le mouvement est considéré comme un facteur prioritaire dans la perception du +comportement et de l’autonomie d’un agent. Bien que les artistes attendent avec impatience le moment où les robots pourront devenir créatifs, les roboticiens considèrent à leur tour la créativité comme un aspect important de l’autonomie\cite{kahn2016hri, brezeal2021frai}. En 2019, Ai-Da, premier robot humanoïde artiste au monde, fait une intervention publique\footnote{https://www.youtube.com/watch?v=XaZJG7jiRak} pour expliquer sa démarche artistique qui utilise la peinture comme moyen d’expression. Tout de même, Ai-Da est conçue avec des algorithmes d’IA complexes pour rendre son bras robotique capable de toucher et de peindre. Nous ne pouvons pas parler de sa spécificité puisque son rôle est d’imiter à la perfection les artistes humains. -Probablement les humains qui interagissent avec elle, tout en écoutant son discours comme s’ ils -écoutent le discours de n’importe quel artiste, sont moins intéressés par un +Probablement les humains qui interagissent avec elle, tout en écoutant son discours comme s’ils +écoutaient le discours de n’importe quel artiste, sont moins intéressés par un contact physique - comme ils le feraient, par exemple, en touchant \textit{Helpless Robot} ou tenant dans leurs bras \textit{Heart Robot}. De plus, les moments où Ai-Da est -capable de feedback verbal ´´spontané”, sont plutôt maladroits et imprécis. Alors +capable de feedback verbal ``spontané”, sont plutôt maladroits et imprécis. Alors que le robot déclare qu’il crée de l’art avec d’autres artistes humains, nous devons garder à l’esprit que dans les exemples précédents où des robots et des humains co-créent ensemble à travers la musique, les bases de l’improvisation @@ -1719,15 +1708,15 @@ la créativité. Dans une tentative originale de répondre à ces questions, une équipe de scientifiques du Canada met en place une expérience où les humains interagissent avec un robot auto-stoppeur. Ils ont ainsi -conçu \textit{HitchBot} - un véritable aventurier qui voyage au travers le monde. Hitchbot ne peut pas +conçu \textit{HitchBot} - un véritable aventurier qui voyage à travers le monde. Hitchbot ne peut pas se déplacer mais il est doté de l’expression orale, de la reconnaissance vocale et des interactions visuelles. Proche du design de \textit{Heart Robot}, il n’est pas assisté par ses développeurs lorsqu’il interagit avec les humains. Pour être -autonome, il utilise une batterie solaire, une connexion internet pour envoyer des donnes de géolocalisation. +autonome, il utilise une batterie solaire, une connexion internet pour envoyer des données de géolocalisation. Son voyage se repose ainsi sur les bonnes intentions des personnes qui le prennent dans leur voiture. Ses concepteurs n’ont pas de contrôle à distance HitchBot. Ils ont vérifié son itinéraire lors d’un premier voyage de 26 jours au Canada, documenté toutes -les 20 min par une caméra envoyant des photos du trajet. Suite à une +les 20 minutes par une caméra envoyant des photos du trajet. Suite à une forte médiatisation du projet, le robot a ensuite participé à des expériences de voyage en Europe. En 2015, il est même arrivé aux États-Unis pour finir peu de temps après démantelé et abandonné près d’une autoroute \cite{smith2016leonardo}. @@ -1736,15 +1725,15 @@ créé en 2019 le spectacle \textit{Killing robots}. Le projet aborde des questi d’éthique concernant les robots, mêlant documentaire et fiction. Il est important de souligner le fait que \textit{HitchBot} ne fait pas partie de la catégorie des robots capables des effets d’inquiétante étrangeté, puisqu’il n’est pas un robot -hyperréaliste. Il n’avait certainement pas une grande autonomie, ni de l’agence -et, comme dans le cas du projet \textit{Heart Robot}, il comptait sur l’empathie +hyperréaliste. Il n’avait certainement pas une grande autonomie, ni une capacité d'action +proprement parler. Comme dans le cas du projet \textit{Heart Robot}, il comptait sur l’empathie humaine pour compenser sa vulnérabilité. Ne pas pouvoir bouger ou faire des gestes, à moins d’être porté par des humains, nous pouvons le décrire plutôt comme une créature -vulnérable. Dans une certaine mesure, il pourrait être comparée au robot +vulnérable. Dans une certaine mesure, il pourrait être comparé au robot aveugle que Louis Philippe Demers a créé en 2013\footnote{https://ars.electronica.art/aeblog/en/2013/10/28/the-blind-robot-bei-the-lab/}. Ce robot, fixé à une table, est composé de deux bras mécaniques montés sur une même base. J’ai délibérément choisi de clore cet état d’art avec lui, même si sa mise en scène est très -basique. Je suis convaincue que la force de proposition, réside dans son +basique. Je suis convaincue que la force de proposition réside dans son cadre simple. Dans un espace théâtral peu éclairé, le robot explore délicatement le visage de la personne assise devant lui. Ce geste est ce que les humains aveugles sont censés faire lorsqu’ils reconnaissent les personnes ou les objets @@ -1754,12 +1743,12 @@ le robot - permettant aux visiteurs de s’observer pendant l’interaction. Ain le milieu artistique garantit un espace sûr pour l’expérimentation. Les spectateurs finissent par se laisser toucher par le robot. La différence entre les expériences de Demers et la triste fin de \textit{HitchBot} est qu’aucune convention -éthique\cite{whitby2008ic} n’a été établie avec les utilisateurs de \textit{HitchBot}. Cette convention est inhérente aux projets artistiques, or le robot faisait partie d'une étude sociologique. Des autres recherches confirment que les gens sont attribuent plus facilement de la raison et des états mentaux aux robots\cite{kahn2012hri}, plutôt que des états émotionnels ou des sentiments. En retournant à nos observations initiales, une fois de plus +éthique\cite{whitby2008ic} n’a été établie avec les utilisateurs de \textit{HitchBot}. Cette convention est inhérente aux projets artistiques, or le robot faisait partie d'une étude sociologique. Des autres recherches confirment que les gens attribuent plus facilement de la raison et des états mentaux aux robots\cite{kahn2012hri}, plutôt que des états émotionnels ou des sentiments. En retournant à nos observations initiales, une fois de plus le contexte de la scène artistique apparaît comme un environnement sûr et neutre pour apprendre à connaître les robots. Il y a vingt ans, les roboticiens craignaient un processus imprévisible et opaque concernant notre transformation en -machines. Cependant, certains ont réfuté cette hypothèse\cite{brooks2003flesh}, insistant sur le +machines. Au demeurant, certains ont réfuté cette hypothèse\cite{brooks2003flesh}, insistant sur le fait qu’aucun robot ne pourra prendre le contrôle de nos vies, puisque nous aurions tous déjà muté le moment où les robots auraient atteint la \gls{Singularité}. Comme l’art a presque toujours anticipé les transformations dans nos sociétés, @@ -1767,26 +1756,26 @@ parfois sans même s’en rendre compte, peut-être que certaines œuvres post-c sont étroitement liées à cette intuition. Comme dans les spéculations en robotique, elles pourraient annoncer un point de non-retour pour nos perspectives en tant qu’espèces. Au fur et à mesure que les deux disciplines -évoluent, nos croyances en l’avenir changent également. Les lignes deviennent -floues et ce n’est pas très clair où les humains et les robots se rencontreront +évoluent nos croyances en l’avenir changent également. Les lignes deviennent +floues et il n'est plus très clair de savoir où les humains et les robots se rencontreront à la fin de l’Anthropocène\cite{haff2014ar, youngs2016springer}. -Les robots pourront coloniser les villes actuelles ou hybrider les modèles familiaux posthumains\cite{robertson2007cas}, tout comme l’\gls{art robotique} actuelle pourrait concilier cette projection fataliste concernant +Les robots pourront coloniser les villes actuelles ou hybrider les modèles familiaux posthumains\cite{robertson2007cas}, tout comme l’\gls{art robotique} actuel pourrait concilier cette projection fataliste concernant notre cohabitation avec les machines. Si l’art devait être inutile, comment -pourrait-elle éviter le piège d'une prédiction concernant la domination de la +pourrait-il éviter le piège d'une prédiction concernant la domination de la technologie sur l’humanité? Le sujet de l’adversité envers les robots, présent dans les premiers exemples où les robots étaient manipulés par la force ou la violence, se dissout lentement dans les prémisses post-humaines d’un monde en -mutation. Quels gestes seraient appropriés dans ce contexte? Devons-nous +mutation. Quels gestes seraient appropriés dans ce contexte ? Devons-nous concentrer notre attention sur des manières douces d’interagir avec les robots au lieu de s’amuser à les démonter ? Cela éviterait un biais lié à la condition -prédéterminée des humains qui les créent(et donc établissent sans vouloir une +prédéterminée des humains qui les créent (et donc établissent sans vouloir une relation de concurrence ou de domination avec eux). -Bien que cet état de l'art est dense, nous allons évaluer dans les prochaines pages les caractéristiques communes, ainsi que les points de divergence. Cela nous aidera à comprendre les éventuelles directions de ce champ d’expérimentation. +Bien que cet état de l'art soit dense, nous allons évaluer dans les prochaines pages les caractéristiques communes, ainsi que les points de divergence. Cela nous aidera à comprendre les éventuelles directions de ce champ d’expérimentation. \textbf{Observations pratiques} -Dans la plupart des exemples de cet état d’art, les humains +Dans la plupart des exemples, les humains considèrent les robots et leurs caractéristiques avec les critères d’évaluation spécifiques aux œuvres d’art. Pour résumer notre prémisse initiale, j’ai avancé l’idée que les robots peuvent être mieux perçus et compris à travers les @@ -1800,117 +1789,115 @@ d’art robotique (12\%) ou des performances (68\%), ces œuvres traitent des su liés à la société (35\%), au domaine du vivant et à la biologie (9\%) ou un mélange entre des deux (9\%), ainsi que la musique (12\%), la danse (23\%) ou une combinaison entre les deux (12\%). Comme vu plus haut, l’apparence est un -facteur important pour facilliter la comprehension de la spécificité des robots. +facteur important pour faciliter la compréhension de la spécificité des robots. Les robots ou les dispositifs robotiques déployés sont majoritairement anthropomorphes (65\%) variant d’une majorité des dispositifs de taille humaine (59\%) à des plus petits (26\%) ou plus grands (15\%) que l’échelle humaine. -Suite à ma projection anthropologique sur les robots comme animaux sauvages, +Suite à ma projection anthropologique concernant les robots comme animaux sauvages, je reviens sur une publication scientifique\cite{hoffman2020social} où les participants décrivent les robots collaboratifs comme étant similaires aux animaux. Les auteurs expliquent cette analogie par l’attribution et l’exécution des tâches simples des robots. Ils notent également une auto-dépréciation des capacités humaines par rapport aux performances des robots. En ce qui concernent l'apparence du robot, l’anthropomorphisme est dans notre contexte -la ´´faculté d’attribuer des caractéristiques humaines à des objets inanimés, animaux et +la ``faculté d’attribuer des caractéristiques humaines à des objets inanimés, animaux et autres en vue de nous aider à rationaliser leur actions”\cite{duffy2003anthropomorphism}. Autrement dit, lorsque les robots dansent ou exécutent des mouvements, nous leur déléguons une présence anthropomorphique, quelle que soit leur apparence. Comme vu précédemment et également mentionné dans\cite{hwang2013effects}, les robots pourraient déclencher encore plus des réactions empathiques parmi les -spectateurs à travers de la mise en scène. Les spectateurs interprètent les récits +spectateurs au travers de la mise en scène. Les spectateurs interprètent les récits subjectivement et aiment donner des sens cachés aux actions des robots. -D’autre part, le concept d'une ´´HRI centrée sur les robots” développé dans\cite{dautenhahn2007rsl}, met l’accent sur le robot en tant qu' ´´entité +D’autre part, le concept d'une ``HRI centrée sur les robots” développé dans\cite{dautenhahn2007rsl}, met l’accent sur le robot en tant qu' ``entité autonome qui poursuit ses propres objectifs sur la base de ses motivations, ses -pulsions et ses émotions.” De plus, ´´l’interaction avec les gens lui sert à +pulsions et ses émotions.” De plus, ``l’interaction avec les gens lui sert à répondre à certains de ses besoins” (tels qu’identifiés par le concepteur du -robot et modélisé par l’architecture de contrôle interne); par exemple, les +robot et modélisés par l’architecture de contrôle interne); par exemple, les besoins sociaux sont satisfaits par l’interaction, même si l’interaction -n’implique aucune tâche particulière. Intéressant de mentionner comment, selon +n’implique aucune tâche particulière. Il est intéressant de mentionner comment, selon d'autres critères dans la société occidentale\cite{kaplan2004ws}, un robot doit aussi être présenté comme un dispositif utile. Puisque nous avons parlé plus haut du sens dans l'art, il y a peu de place pour des robots utilitaires, dans les travaux sélectionnés. En revenant à la question d’apparence, le comportement - impliquant les gestes et les mouvements de robots - est également -important. Suivant les notions théorique développés dans le 2éme chapitre, leur \gls{embodiment} +important. Suivant les notions théorique développées dans le deuxième chapitre, leur \gls{embodiment} est un aspect clé dans l’interaction avec des humains\cite{aymerich-franch2016cc}. Selon leurs interactions sociales, les robots\cite{breazeal2003ras} peuvent être -\textit{socialement évocateurs, socialement réceptifs ou sociables}. \cite{dautenhahn2002csr} mentionne également les robots \textit{socialement situés} ou intégrés dans un environnement social qu’ils perçoivent et auxquels ils réagissent. De plus ´´un robot interactif nécessite des capacités spécifiques: il +\textit{socialement évocateurs, socialement réceptifs ou sociables}. \cite{dautenhahn2002csr} mentionne également les robots \textit{socialement situés} ou intégrés dans un environnement social qu’ils perçoivent et auxquels ils réagissent. De plus ``un robot interactif nécessite des capacités spécifiques: il va pouvoir exprimer et percevoir des émotions, communiquer dans un dialogue complexe, apprendre et reconnaître les modèles d’autres agents”\cite{hegel2009hci}. Par leur fonction, les projets artistiques facilitent ce type d'interactions, qu’il s’agisse d’une illusion ou pas. Les chercheurs montrent comment la créativité peut s’améliorer par des interactions avec des robots\cite{kahn2016hri}. Nous avons vu dans nos exemples, que les robots au design particulier comme par -exemple \textit{Telenoid R1} tout comme les robots hyper-réalistes comme \textit{Ai-Da}, +exemple \textit{Telenoid R1} tout comme les robots hyperréalistes comme \textit{Ai-Da}, sont bien reçus lors des divers événements sociaux type foires d’art et vernissages. Puisque 38\% des œuvres présentées ont lieu dans l’espace public : dans les rues -(par exemple, \textit{Miyata Jiro}, \textit{Petit Mal}) ou dans les laboratoires (par exemple, \textit{Telenoid R1}, \textit{Heart Robot} entre autres), il parait que l’\gls{art robotique} n’ait pas un espace de +(par exemple, \textit{Miyata Jiro}, \textit{Petit Mal}) ou dans les laboratoires (par exemple, \textit{Telenoid R1}, \textit{Heart Robot} entre autres), il parait que l’\gls{art robotique} n’a pas un espace de représentation prédisposé. Revenant aux exemples précédents, il est important de comprendre que le fait de créer des projets artistiques avec des robots pourrait éventuellement apaiser les craintes techno-centriques actuelles concernant l'avenir de la robotique. Alors que les humains se comprennent mieux grâce aux développements dans les sciences cognitives, la figure du robot devient -également plus complexe. Pour certaines chercheurs, ´´la version +également plus complexe. Pour certains chercheurs, ``la version synthétique numérique mécaniste de l’homme” n’est qu’une représentation de -l’idée de l’homme\cite{duffy2003anthropomorphism}. D’autres études\cite{fong2003ras, macdorman2006jb} considèrent les robots humanoïdes, les meilleurs outils pour identifier quel type de comportement et -d’actions sont perçus comme propres à notre espace et importants pour notre +l’idée de l’homme\cite{duffy2003anthropomorphism}. D’autres études\cite{fong2003ras, macdorman2006jb} considèrent les robots humanoïdes les meilleurs outils pour identifier quel type de comportement et +d’actions sont perçus comme propres à notre espèce et importants pour notre évolution. Reste à comprendre quel comportement et attitude nous attendons des robots lorsque nous interagissons avec eux sur scène. De même, le langage corporel et le -comportement pourraient compenser les éventuels effets d’étrangeté causés par la +comportement pourraient compenser les éventuels effets d’étrangeté causés par le manque des expressions faciales ces artefacts\cite{beck2010acm}. Puisque la communication tactile a un contenu informatif complémentaire avec la communication visuelle ou vocale, les usagers recherchent de plus en plus -l’interaction par le toucher et s’attendent même qu'un jour les robots -d’apparence inanimée peuvent répondre à une stimulation tactile\cite{silvera2015ras}. En +l’interaction par le toucher et s’attendent même à ce qu'un jour les robots +d’apparence inanimée puissent répondre à une stimulation tactile\cite{silvera2015ras}. En conséquence, de plus en plus de roboticiens conçoivent des dispositifs d’identification par le toucher, sur toute ou une partie de la surface du robot\cite{bolotnikova2018roman}, également définie comme peau artificielle\cite{silvera2014springer}. Plusieurs types d’interactions corporelles qui font appel à ce type de stimulations tactiles, contribuent à une meilleure perception des robots\cite{alenljung2018mti, silvera2015artificial}. -Même si peu de robots que j’ai mentionné, ont été délibérément conçus pour ce type +Même si peu de robots que j’ai mentionnés, ont été délibérément conçus pour ce type d’interaction tactile, cet aspect a été intuitivement abordé dans certaines œuvres d’art\cite{demers2015playmouth, kac1997marcel, rinaldo2016springer}. Concernant l’interaction physique, alors que la majorité des œuvres (82\%) impliquent une certaine forme d’interaction -physique(29\%) ou de toucher (53\%), le type de contact avec le corps entier -prévalait (41\%), suivi des contacts ponctuels (20,5 \%) et des contact avec les +physique (29\%) ou de toucher (53\%), le type de contact avec le corps entier +prévalait (41\%), suivi des contacts ponctuels (20,5 \%) et des contacts avec les membres (12\%). Dans cette mesure, la mise en œuvre des concepts de neuroscience comme le \gls{schéma corporel} chez les robots, peut augmenter leurs capacités d’interaction. Les recherches dans\cite{de2021oxford} soulignent l’importance de ce concept -dans la planification et le contrôle de mouvement. Quant aux technologies -employés : 24\% impliquent des téléopérations, 14\% divers types de logiciels -commercialisés, 6\% de biotechnologies tandis que 56\% sont des solutions sur -mesure. Ainsi mieux développer la mobilité des robots pourrait nous aider à -comprendre des concepts paradoxaux comme celui de ´´ghost in the shell”, de -´´l’étrangeté sociale” ou ´´le syndrome de Frankenstein” mentionnés plus haut. Cela nous aidera à +dans la planification et le contrôle du mouvement. Quant aux technologies +employées : 24\% impliquent des téléopérations, 14\% divers types de logiciels +commercialisés, 6\% des biotechnologies tandis que 56\% sont des solutions sur +mesure. Ainsi, mieux développer la mobilité des robots pourrait nous aider à +comprendre des concepts paradoxaux comme celui de ``ghost in the shell”, de +``l’étrangeté sociale” ou du ``syndrome de Frankenstein” mentionnés plus haut. Cela nous aidera à comprendre comment la peur et la fascination pour les robots coexistent dans notre imaginaire, quelle que soit leur apparence ou comportement. Alors que 62\% des robots et appareils robotiques sont conçus exclusivement pour les artistes, 20\% sont personnalisés à -partir des robots industriels et le reste de 18\% sont des robots industriels +partir des robots industriels et le reste, 18\%, sont des robots industriels très peu modifiés. \cite{duffy2003anthropomorphism} suggère qu’une fois que les robots domestiques -progressent du statut outil à celui de compagnon au travers différents +progressent du statut d'outil à celui de compagnon à travers différents environnements et contextes comme l’art, leur rôle et leurs interactions changent aussi sensiblement. De plus, d’après\cite{hoffmann2021body}, plus les caractéristiques -corporelles sont des copies identiques du fonctionnement humain, plus les robots -sont jugées comme intéressants.En contrepoids\cite{muller2021springer} illustre comment +corporelles sont des copies identiques du fonctionnement humain plus les robots +sont jugées comme intéressants. En contrepoids \cite{muller2021springer} illustre comment l’apparence humaine peut contribuer à induire des sentiments négatifs chez les utilisateurs. En s’appuyant sur les aspects technologiques des représentations du corps, les chercheurs espèrent identifier des propriétés du \gls{schéma corporel} biologique que nous -avons mentionné plus tôt. Ces propriétés pourraient être transférés aux robots pour les rendre encore -plus adaptatifs et autonomes. Certaines chercheurs comme\cite{hoffman2019thms} relient ces +avons mentionné plus tôt. Ces propriétés pourraient être transférées aux robots pour les rendre encore +plus adaptatifs et autonomes. Certains chercheurs comme\cite{hoffman2019thms} relient ces propriétés à une forme d'aisance collaborative, en anglais \gls{collaborative fluency}. -Parmi les œuvres mentionnés, 38\% sont des dispositifs robotiques mobiles, œuvrant sur des surfaces scéniques +Parmi les œuvres mentionnées, 38\% sont des dispositifs robotiques mobiles, œuvrant sur des surfaces scéniques d’environ 100 m2 pour 35\% d’entre eux, plus de 500 m2 (tout en se produisant -dans les rues et divers espaces non-conventionnelles) pour 9\% des cas et moins -de 5 m2 pour 56\% d’entre eux. Pour la majorité de robots mobiles,la zone d’interaction varie de plusieurs centimètres (dans +dans les rues et divers espaces non-conventionnels) pour 9\% des cas et moins +de 5 m2 pour 56\% d’entre eux. Pour la majorité de robots mobiles la zone d’interaction varie de plusieurs centimètres (dans le cas du \textit{The Blind Robot} par exemple) à plusieurs milliers de milles lorsque le robot voyage avec des gens (comme dans le cas de \textit{HitchBot}) - révélant la -proxémie, en anglais \gls{proxemics} comme un facteur important qui pourrait influencer à l’avenir, les interactions H2R. +proxémie, en anglais \gls{proxemics} comme un facteur important qui pourrait influencer, à l’avenir, les interactions H2R. - - -Pour l’instant les androïdes hyper réalistes ont une base fixe et ne peuvent pas +Pour l’instant les androïdes hyperréalistes ont une base fixe et ne peuvent pas encore se déplacer, en attendant que les technologies émergentes impliquant de la MoCap et les alorithmes qui favorisent la marche, augmentent leurs capacités. Dans une étude impliquant deux robots Wakamaru\cite{kim2014ijhcs}, les chercheurs @@ -1919,13 +1906,13 @@ des robots par des utilisateurs. Les résultats confirment que l’expérience utilisateur peut être améliorée lorsque le robot superviseur est proche et le robot subordonné est distant par rapport à l’utilisateur. Loin des prédictions initiales, la performance des participants -semblent se détériorer lorsque le robot est trop proche, quelle que soit sa -distance d’action. Évidemment ceci est un étude scientifique dont l’objectif est +semble se détériorer lorsque le robot est trop proche, quelle que soit sa +distance d’action. Évidemment ceci est une étude scientifique dont l’objectif est loin de celui des œuvres artistiques, où, au contraire, un contact proche peut renforcer la complicité entre les interprètes et les robots, du moins du point de vue des spectateurs. Puisque les espaces où cette interaction a lieu varient de plusieurs mètres (\textit{Helpless robot}) à -des centaines de mètres carrés mètres (\textit{My Square Lady}), il me paraît que +des centaines de mètres carrés (\textit{My Square Lady}), il me paraît que l’interaction renforce le sentiment de complicité avec les robots, à condition que la convention artistique soit adaptée en fonction de l’objectif de l’œuvre, le thème et son contexte de la représentation. @@ -1933,17 +1920,17 @@ Un aspect important confirmé tout au long de cette enquête est que très peu d été fournies sur la stratégie de contrôle et les spécifications de sécurité des robots employés lors des performances artistiques. Des œuvres utilisant des robots industriels qui ne sont pas certifiés pour l’évaluation des risques, -mettent la vie des artistes et des spectateurs en péril. Ainsi c’est important +mettent la vie des artistes et des spectateurs en péril. Ainsi il est important de mentionner que l’industrie du divertissement s’adapte partiellement à ces règles et réglementations, tandis que les robots industriels doivent se conformer à des procédures de sécurité très strictes. Lorsqu’un robot est employé lors des événements largement diffusés, comme par exemple lors du concours Eurovision en 2016, le chorégraphe Fredrik Benke Rydman a du respecter un cahier de charges et des restrictions importantes. Pareil pour la -Tournée ´´Timeless” de l’artiste internationale Mylene Farmer en 2013. La +Tournée ``Timeless” de l’artiste internationale Mylène Farmer en 2013. La distance entre les interprètes et le robots est très grande. Plus récemment, des normes comme l’ISO/TS 15066 et l’ISO 102101845, qui assurent la cohérence des -caractéristiques essentielles telles la sécurité et la fiabilité des cobots, +caractéristiques essentielles telles la sécurité et la fiabilité des robots collaboratifs - cobots - deviennent très importantes pour tout contexte de travail en dehors de l’industrie. Avec 53\% des robots ou dispositifs robotiques étant le moteur de l’interaction et 15\% supplémentaires, ayant à la fois le rôle de suiveur et de leader\cite{noormohammadi2023adapting} dans les @@ -1953,54 +1940,47 @@ environnements complexes. J’aimerais également souligner que, même si les ro jouaient un rôle principal (76\%) dans le cadre de l’œuvre d’art, la plupart des rôles de leader/suiveur qui leur étaient assignés étaient en fait des interactions simulées, bien répétées à l’avance. Cela prouve que les technologies -actuelles sont moins performantes que ce que les humains imaginent. Lorsque j’ai -mentionnés au début de cette analyse les craintes au sujet du potentiel -destructeur de la technologie et la maniere dont cela va modifier nos vies – il -reste toujours l’espoir qu’une sécurité et éthique renforcée sont les facteurs -clé pour améliorer l’impacte de la technologie sur nos vies en général, et -projets artistiques en particulier. -En conséquence, les perspectives enrichissantes de la -nouvelle robotique, l’IA et les capteurs intelligents, accompagnées d’une -éthique interdisciplinaire forte, améliorent les possibilités -d’interaction non simulées, en temps réel. +actuelles sont moins performantes que ce que les humains imaginent. Au début de cette analyse, j'ai mentionné +les craintes au sujet du potentiel destructeur de la technologie et la manière dont cela peut modifier nos vies. +Pourtant une éthique renforcée est un facteur clé pour améliorer l’impact de la technologie et la manière dont nous l'utilisons. De plus, les perspectives enrichissantes des +nouvelles approches dans la robotique, dans l’IA et dans l'usage des capteurs intelligents, accompagnées d’une +éthique interdisciplinaire forte, vont améliorer les possibilités d’interaction non simulées, en temps réel, dans les années à venir. -Cet état d’art orientée autour de l’interaction homme-robot en contact proche, +Cet état de l’art orienté autour de l’interaction homme-robot en contact proche, relève à quel point les artistes ne sont peut-être pas conscients des subtilités technologiques actuelles -développées dans les laboratoires, dont certains déjà déployés dans les -industries. Ils ne sont moins au courant des certifications appropriées en -matière de cobotique et de sécurité. En absence d’une méthodologie officielle, -les artistes invités à exploiter le plein potentiel de la technologie, décident -de l’utiliser avec parcimonie. C’est le cas de chorégraphies de renommée +développées dans les laboratoires, dont certaines déjà déployées dans les +industries. Ils sont moins au courant des certifications appropriées en +matière de robotique collaborative et de sécurité. En absence d’une méthodologie officielle, +les artistes invités à exploiter le plein potentiel de la technologie décident +de l’utiliser avec parcimonie. C’est le cas de chorégraphes de renommée internationale comme le suédois Pontus Lidberg ou la canadienne Isabelle Van -Grimde qui ont développé des projets utilisant des algorithmes ML, autour des rencontres entre une intelligence humaine et une intelligence +Grimde qui ont développé des projets utilisant des algorithmes de \gls{machine learning}, autour des rencontres entre une intelligence humaine et une intelligence artificielle sur scène. Comprendre les effets de la proximité et l’utiliser avec -justesse dans la robotique, reste un défi. Au moins dans le domaine de l’art les possibilités de +justesse dans la robotique reste un défi. Au moins dans le domaine de l’art les possibilités de création et d'expression sont infinies. -A travers cette synthèse, j’ai tenté fournir une liste +À travers cette synthèse, j’ai tenté de fournir une liste non exhaustive de ces possibilités, ainsi que de possibles convergences entre plusieurs domaines et leur lien avec l’industrie, une fois que les prototypes attirent l’attention des scientifiques. De même, les artistes pourraient utiliser des techniques de reconnaissance des émotions issues des neurosciences -et de la psychologie cognitive. Des capteurs physiologiques(comme la réponse -galvanique cutanée (GSR), l’électromyographie (EMG), la fréquence de la -réspiration (RR), la fréquence cardiaque (FC) et l’électroencéphalographie (EEG) ) -peut être portés et utilisés par les artistes pour fabriquer des robots -\textit{conscientset} et construire une œuvre interactive à +et de la psychologie cognitive. Des capteurs physiologiques (comme la réponse +galvanique cutanée (GSR), l’électromyographie (EMG), la fréquence respiratoire (RR), la fréquence cardiaque (FC) et l’électroencéphalographie (EEG)) +pourraient être portés et utilisés par les artistes pour fabriquer des robots +\textit{conscients} et construire une œuvre interactive à partir de ces bases. Des domaines comme la robotique de développement -élargissent notre compréhension de phénomènes importantes pour la danse, telles la synchronie\cite{delaherche2012tac} pour mieux décoder les signaux non verbaux en question. +élargissent notre compréhension de phénomènes importants pour la danse, tels la synchronie\cite{delaherche2012tac} pour mieux décoder les signaux non verbaux en question. -\section{Nouvelles paradigmes dans la danse avec des robots} +\section{Nouveaux paradigmes dans la danse avec des robots} -Pour comprendre quelles sont les possibilités lorsque nous mettons en scène les robots, je commence cette analyse avec les problématiques liées à la représentation du corps dans les propositions scéniques contemporaines. Ici une certaine partie de la communauté artistique en danse, semble œuvrer à une compréhension phénoménologique de l’expérience de l’\gls{embodiment}. Les danseurs et chorégraphes proches de ce mouvement, s’intéressent à la conscience du corps -ainsi qu’à l’évolution des formes de corporéité, avec l’émergence des principes neuroscientifiques et somatiques. Le livre \textit{Disjunctive Captures of the Body and - Movement}\cite{cvejic2015disjunctive} interroge les formes de corporéité qui déconstruisant la façon d’habiter le corps. Bojana Cvejic -cite des chorégraphes tels Ingvartsen et Jefta VanDinther ou Eszter Salamon pour qui la danse est, avant tout, un lieu d’expérimentation. Ce questionnement de l’expérience subjective du mouvement, est partagée avec la chercheuse Stamatia -Portanova dont Cvejic nous fait découvrir le travail. À son tour, Portanova travaille sur les nouvelles technologies et leur impact sur la danse\cite{portanova2013moving}. Dans le chapitre \textit{Can objects be processes?}, elle se demande comment le geste dansé peut s’échapper à la linéarité du temps et faire émerger un contenu original, atemporel. Son analyse se concentre autour du travail du chorégraphe William -Forsythe. Le spectacle \textit{One Flat Thing, reproduced}(2000) a comme contrepoids numérique \textit{Synchronous Objects for One Flat Thing reproduced} - un outil de visualisation des paramètres chorégraphiques dont l'apparence est proche d'un site vidéo, créé par la -compagnie de danse Forsythe en collaboration avec l’Université d’Ohio. Les paramètres captés lors du mouvement des danseurs sont transposés en données statistiques en lien avec la musique, l’architecture, ou la géographie. Cela permets d'explorer sous un autre ongle les possibilités de composition entre le mouvement et l’espace. Le site \textit{Synchronous Objects}\footnote{https://synchronousobjects.osu.edu/} ne peut pas reproduire la chorégraphie à posteriori, malgré la multitude des données capturées et l’infinité des possibilités de représentation, puisque le temps de la performance est unique dans sa temporalité. Pour Stamatia, l’analogie avec le glitch trouve son correspondant dans l’instantanéité du présent quand chaque mouvement répétée en dehors de la représentation, donne suite à une œuvre inédite et éphémère. +Pour comprendre quelles sont les possibilités lorsque nous mettons en scène les robots, je commence cette analyse avec les problématiques liées à la représentation du corps dans les propositions scéniques contemporaines. Ici une certaine partie de la communauté artistique en danse semble œuvrer à une compréhension phénoménologique de l’expérience de l’\gls{embodiment}. Les danseurs et chorégraphes proches de ce mouvement s’intéressent à la conscience du corps +ainsi qu’à l’évolution des formes de corporéité, avec l’émergence des principes neuroscientifiques et somatiques. Le livre \textit{Disjunctive Captures of the Body and Movement}\cite{cvejic2015disjunctive} interroge les formes de corporéité qui déconstruisent la façon d’habiter le corps. Bojana Cvejic +cite des chorégraphes tels Mette Ingvartsen, Jefta van Dinther ou Eszter Salamon pour qui la danse est, avant tout, un lieu d’expérimentation. Ce questionnement de l’expérience subjective du mouvement est partagé avec la chercheuse Stamatia +Portanova dont Cvejic nous fait découvrir le travail. À son tour, Portanova travaille sur les nouvelles technologies et leur impact sur la danse\cite{portanova2013moving}. Dans le chapitre \textit{Can objects be processes ?}, elle se demande comment le geste dansé peut s’échapper de la linéarité du temps et faire émerger un contenu original, atemporel. Son analyse se concentre autour du travail du chorégraphe William +Forsythe. Le spectacle \textit{One Flat Thing, reproduced} (2000) a comme équivalent numérique \textit{Synchronous Objects for One Flat Thing reproduced} - un outil de visualisation des paramètres chorégraphiques dont l'apparence est proche d'un site vidéo - créé par la +compagnie de danse Forsythe en collaboration avec l’Université d’Ohio. Les paramètres captés lors du mouvement des danseurs sont transposés en données statistiques en lien avec la musique, l’architecture, ou la géographie. Cela permet d'explorer sous un autre angle les possibilités de composition entre le mouvement et l’espace. Le site \textit{Synchronous Objects}\footnote{https://synchronousobjects.osu.edu/} ne peut pas reproduire la chorégraphie à posteriori, malgré la multitude des données capturées et l’infinité des possibilités de représentation, puisque le temps de la performance est unique dans sa temporalité. Pour Stamatia, l’analogie avec le glitch trouve son correspondant dans l’instantanéité du présent quand chaque mouvement répété en dehors de la représentation donne suite à une œuvre inédite et éphémère. -Mettre en scène des robots est souvent sujet à des contingences et erreurs de dernière minute. Nous l'avons aussi constaté lors des expérimentations en improvisation présentées dans la seconde partie de cette thèse. Le caractère imprévisible des robots est aussi catalyseur d'une inspiration artistique, leurs partenaires humains développent une forte capacité d'adaptation et de présence. Souvent un spectacle avec des robots, n'est pas le même d'une représentation à l'autre. Les œuvres que nous allons évoquer dans les prochaines pages en témoignent. +Mettre en scène des robots est souvent sujet à des contingences et erreurs de dernière minute. Nous l'avons aussi constaté lors des expérimentations en improvisation présentées dans la seconde partie de cette thèse. Le caractère imprévisible des robots est aussi catalyseur d'une inspiration artistique, leurs partenaires humains développent une forte capacité d'adaptation et de présence. Souvent un spectacle avec des robots n'est pas le même d'une représentation à l'autre. Les œuvres que nous allons évoquer dans les prochaines pages en témoignent. \subsection{Défis chorégraphiques dans la représentation du corps} @@ -2008,31 +1988,30 @@ Mettre en scène des robots est souvent sujet à des contingences et erreurs de Les œuvres chorégraphiques analysées par Cvejic ne remplacent pas les danseurs par des agents non-humains ou des systèmes numériques comme dans l’étude de Portanova. En échange, elles mettent en scène le corps comme support physique du mouvement. Cvejic insiste sur la manière dont la relation entre le corps et le mouvement est rendue impersonnelle, \textit{dé-subjectivé}, mais aussi \textit{dé-objectivé} sur la base de celle qu'elle définit comme une perturbation délibérée entre sujet et objet. Pour elle, la subjectivation traite le corps comme une source d’expression de soi. Ainsi par le mouvement jaillit l’envie du corps d’exprimer son expérience émotionnelle intérieure. A l’inverse, l’objectivation restreint le corps à un simple instrument d’articulation physique, dont le mouvement se fait ``en” et ``pour” lui-même. La chercheuse nous introduit au \textit{concept deleuzien de reconnaissance} où le corps et le mouvement se situent dans des relations d’interdépendance. L’identité subjective du danseur est reflétée et représentée -dans l’identité objective du mouvement. Comprendre les facteurs qui facilitent ce processus de symbiose, nous aide à mieux définir un corps en mouvement. Déconstruire le corps humain sur scène signifie également donner l'impression d'une multiplicité de corps à partir de ses membres. Par le fait d’éviter l’unification d’une seule figure reconnaissable dans sa forme et son image, le corps est objectivé. Comme -Cvejic le souligne dans son livre, partitionner le corps pour recomposer ses parties dans un processus de devenir, laisse apparaître des nouveaux corps différents et méconnaissables. Cette volonté d'effacer le corps, de le déconstruire, anticipe l'apparition d'autres corporéités, non-humaines et artificielles sur le plateau. +dans l’identité objective du mouvement. Comprendre les facteurs qui facilitent ce processus de symbiose nous aide à mieux définir un corps en mouvement. Déconstruire le corps humain sur scène signifie également donner l'impression d'une multiplicité de corps à partir de ses membres. Par le fait d’éviter l’unification d’une seule figure reconnaissable dans sa forme et son image, le corps est objectivé. Comme Cvejic le souligne dans son livre, partitionner le corps pour recomposer ses parties dans un processus de devenir, laisse apparaître des nouveaux corps différents et méconnaissables. Cette volonté d'effacer le corps, de le déconstruire, anticipe l'apparition d'autres corporéités, non-humaines et artificielles, sur le plateau. -En ce qui concerne mon contexte particulier de spectacles avec des robots, je rajoute une dimension dans la dialectique corps-mouvement. Le corps en mouvement doit être en symbiose avec la machine. Là où les danseurs réalisent une synthèse entre leurs corps et le mouvement (ou ils accordent leurs corps à un mouvement spécifique), les machines deviennent la structure qui oriente cette symbiose dans le temps et l'espace. Le robot détermine comment les corps bougent sur un plateau, bien que souvent nous sommes encouragés de croire le contraire. Cette objectivation opère à plusieurs niveaux, physique et phénoménologique, avec pour seul indicateur l’expressivité humaine qui compense là où la machine n'arrive pas (encore) à s'exprimer. Dans l'optique de Cvejic, les philosophes Deleuze et Guattari voient ce résultat hybride des objets détachées et des corps réorganisés, comme un processus perpétuel: +En ce qui concerne mon contexte particulier de spectacles avec des robots, je rajoute une dimension dans la dialectique corps-mouvement. Le corps en mouvement doit être en symbiose avec la machine. Là où les danseurs réalisent une synthèse entre leurs corps et le mouvement (ou ils accordent leurs corps à un mouvement spécifique), les machines deviennent la structure qui oriente cette symbiose dans le temps et l'espace. Le robot détermine comment les corps bougent sur un plateau, bien que souvent nous sommes encouragés à croire le contraire. Cette objectivation opère à plusieurs niveaux, physique et phénoménologique, avec pour seul indicateur l’expressivité humaine qui compense là où la machine n'arrive pas (encore) à s'exprimer. Dans l'optique de Cvejic, les philosophes Deleuze et Guattari voient ce résultat hybride des objets détachés et des corps réorganisés, comme un processus perpétuel: \begin{quote} - ``Les objets fragmentés ne dérivent qu'en apparence des personnes(sujets) entiers; + ``Les objets fragmentés ne dérivent qu'en apparence des personnes (sujets) entiers; ils sont en réalité produits en étant prélevés d'un flux ou d'une matière non personnelle, avec laquelle ils rétablissent le contact en se re-connectant à d’autres objets fragmentés\footnote{en version originale: ``Partial objects are only apparently derived from (prélevés sur) global persons; they are really produced by being drawn from (prélevés sur) a flow or a nonpersonal hyle, with which they re-establish contact by connecting themselves to other partial objects.”.}” \cite{cvejic2015disjunctive} \end{quote} -Cette perspective de la fragmentation perpétuelle, peut représenter un véritables impasse chorégraphique sur le plateau. Pour illustrer, Cvejic évoque le spectacle \textit{Nvsbl}(2006) d’Ester Salomon. L'artiste hongroise met en scène quatre performeuses gravitant à partir de quatre coins de la scène vers le centre - parcourant 5,5 mètres pendant une période d’environ 80 minutes. La trajectoire qu’elles effectuent est si alambiquée et prolongée dans la durée que ni les spectateurs, ni les interprètes n’arrivent à saisir complètement le déplacement dans l’espace. Alors que les spectateurs peuvent enregistrer la transformation rétrospectivement - en détournant le regard puis en regardant en arrière pour vérifier s’il y a eu un avancement, cette expérience reste en dessous du seuil de perception. +Cette perspective de la fragmentation perpétuelle, peut représenter un véritable impasse chorégraphique sur le plateau. Pour illustrer, Cvejic évoque le spectacle \textit{Nvsbl} (2006) d’Eszter Salamon. L'artiste hongroise met en scène quatre performeuses gravitant à partir de quatre coins de la scène vers le centre - parcourant 5,5 mètres pendant une période d’environ 80 minutes. La trajectoire qu’elles effectuent est si alambiquée et prolongée dans la durée que ni les spectateurs, ni les interprètes n’arrivent à saisir complètement le déplacement dans l’espace. Alors que les spectateurs peuvent enregistrer la transformation rétrospectivement - en détournant le regard puis en regardant en arrière pour vérifier s’il y a eu un avancement, cette expérience reste en dessous du seuil de perception. -Pour parler de sa démarche, Salomon cite à son tour la critique d'art Peggy Phelan pour qui toute performance à sa propre réalité. Cette réalité existe seulement pendant le temps de la représentation: +Pour parler de sa démarche, Salamon cite à son tour la critique d'art Peggy Phelan pour qui toute performance a sa propre réalité. Cette réalité existe seulement pendant le temps de la représentation: \begin{quote} ``La vie d'une performance réside seulement dans le présent. Une performance ne peut pas être sauvegardée, enregistrée, documentée; elle ne peut pas participer d’une autre manière à la circulation des représentations de représentations : une fois que cela se produit, elle devient autre chose que de la performance\footnote{en version originale:``Performance's only life is in the present. Performance cannot be saved, recorded, documented, or otherwise participate in the circulation of representations of representations: once it does so, it becomes something other than performance.”.}” \cite{phelan2003unmarked} \end{quote} -Pour créer \textit{Nvsbl}, la chorégraphe hongroise s’est inspirée des techniques somatiques comme le Body Mind Centering, mentionné dans le chapitre antérieur. Comme le souligne Cvejic, tous les paramètres par lesquels le mouvement est habituellement perçu et reconnu sont suspendus lors de cette représentation. Aucun élément corporel ne peut être distingué comme initiateur du mouvement, puisque chaque performeuse est impliquée dans un mouvement perpétuel qui opère à son intérieur. Certains chercheurs\cite {royo2016mit} évoquent le concept de regard oscillatoire, en anglais \textit{oscillating gaze}, pour faire référence au mouvement d’attention qui sollicité le spectateur pour regarder différemment ce que se déploie devant ses yeux. Lors de cette expérience, des nombreuses parties du corps s’engagent simultanément dans un processus de dépliage des formes, pour devenir objet. Performeur et spectateur vivent ce processus différemment, mais saisissent ses enjeux de la même manière. +Pour créer \textit{Nvsbl}, la chorégraphe hongroise s’est inspirée des techniques somatiques comme le Body Mind Centering, mentionné dans le chapitre antérieur. Comme le souligne Cvejic, tous les paramètres par lesquels le mouvement est habituellement perçu et reconnu sont suspendus lors de cette représentation. Aucun élément corporel ne peut être distingué comme initiateur du mouvement, puisque chaque performeuse est impliquée dans un mouvement perpétuel qui opère à son intérieur. Certains chercheurs\cite {royo2016mit} évoquent le concept de regard oscillatoire, en anglais \textit{oscillating gaze}, pour faire référence au mouvement d’attention qui sollicite le spectateur pour regarder différemment ce qui se déploie devant ses yeux. Lors de cette expérience, de nombreuses parties du corps s’engagent simultanément dans un processus de dépliage des formes, pour devenir objet. Performeur et spectateur vivent ce processus différemment, mais saisissent ses enjeux de la même manière. -Une analogie plus simple fait référence à la manière d'employer des objets ou dispositifs non technologiques sur un plateau. Cvejic prend comme exemple le spectacle \textit{It’s in the air}(2008) par Ingvartsen and Jefta VanDinther dont il est question de réinventer le corps et ses limites dans un contexte où les lois physiques sont transgressées. Ce spectacle où un homme et une femme performent sur deux trampolines géantes, s’organise autour de plusieurs rencontres mouvement-machine. Le mouvement reste partagée entre le corps et le trampoline, entre le volontarisme de l’action et le lâcher-prise de -la personne qui subisse le rebond: +Une analogie plus simple fait référence à la manière d'employer des objets ou dispositifs non technologiques sur un plateau. Cvejic prend comme exemple le spectacle \textit{It’s in the air} (2008) par Mette Ingvartsen et Jefta van Dinther dont il est question de réinventer le corps et ses limites dans un contexte où les lois physiques sont transgressées. Ce spectacle où un homme et une femme performent sur deux trampolines géants, s’organise autour de plusieurs rencontres mouvement-machine. Le mouvement reste partagé entre le corps et le trampoline, entre le volontarisme de l’action et le lâcher-prise de +la personne qui subit le rebond: \begin{quote} ``Nous ne cherchons pas à savoir ce que nous pouvons faire sur un trampoline, mais plutôt ce qu'un trampoline peut faire pour nous. En utilisant les trampolines comme contrainte pour @@ -2045,16 +2024,15 @@ la personne qui subisse le rebond: \cite{cvejic2015disjunctive} \end{quote} -Les deux performeurs multiplient les possibilités d’expression, alternant entre le lâcher prise et la maîtrise totale du geste, un corps tonique et un corps mou, un saut haut et un saut très bas. Le rythme de leurs sauts donne l’impression d’un visionnage des images cinématographiques à la façon d'un étude de mouvement de Muybridge. Le corps apparaît comme une figure, à la fois humaine, animale et -mécanique, en compétition avec la gravité. Sa dé-subjectivation en relation avec des trampolines, montre comment des dispositifs techniques moins complexes que les robots peuvent nous interpeller tout autant. +Les deux performeurs multiplient les possibilités d’expression, alternant entre le lâcher-prise et la maîtrise totale du geste, un corps tonique et un corps mou, un saut haut et un saut très bas. Le rythme de leurs sauts donne l’impression d’un visionnage des images cinématographiques à la façon d'une étude de mouvement de Muybridge. Le corps apparaît comme une figure, à la fois humaine, animale et +mécanique, en compétition avec la gravité. Sa dé-subjectivation en relation avec des trampolines montre comment des dispositifs techniques moins complexes que les robots peuvent nous interpeller tout autant. \subsection{Déconstruire la corporéité des robots qui performent} -Dans notre contexte particulier de la danse, analyser les changements dans la conception et la configuration des projets, interroger les nouvelles formes de corporéité, nous aident à mieux évaluer nos possibilités d’interaction physique avec des robots lors d’une performance. En suivant l’évolution des principes concernant la notion d'incorporation (\gls{embodiment})\cite{clark1998being}, \cite{dautenhahn2002csr}, \cite{ziemke2013s}, \cite{ziemke2016body}, \cite{demers2015playmouth} les artistes s'inspirent de ces principes pour créer des formes d'art hybrides. -Plusieurs approches de la danse postmoderne, dont la \gls{contact improvisation}, trouvent également un contrepoids dans la philosophie contemporaine, entre autre dans le travail de Felix Guattari et Gilles Deleuze\cite{babych2023paxton}. Chez eux, la question du corps est traitée en parallèle avec celle du \textit{devenir} lors qu'ils emploient des termes comme le \gls{corps sans organes} (BWO), ou le concept d'objet ou \textit{machine} dans des œuvres comme \textit{Thousand Plateaus} -ou \textit{Anti-Oedipe}. Le concept de \textit{BWO}, par exemple, propose un modèle de corporéité \textit{dont la structure est proche des mouvements browniens}\footnote{body bupon which that which serves as organs is distributed according to crowd phenomena in a Brownian Move\cite{deleuze1996plateaus}}. Selon cette théorie, les organes correspondent à des objets partiaux ou des machines de désir telles des graines, tandis que le corps qui les contienne peut correspondre à un champ, lorsque ces graines ont éclos. Cette vision fragmentée du corps est aussi celle d'un robot humanoïde, dont les articulations fonctionnent parfois indépendamment de l'ensemble. Au cours des dernières décennies, des chercheurs dans différents domaines de la robotique (notamment la robotique cognitive mentionné auparavant) ont étayé l’importance du mouvement dans la mise en place des interactions avec les robots. Pour la grande majorité d’entre eux, le contrôle optimal est le facteur clé pour améliorer tout travail collaboratif homme-robot. Leur objectif est de générer des commandes motrices adaptées à plusieurs contextes et contraintes. Certaines études mesurent l’effet de l’imitation sur le HRI, alors que d’autres se concentrent sur l’improvisation et l’apprentissage par renforcement. A notre échelle, cette thèse en recherche-création s’attache à comprendre comment la perception du mouvement peut augmenter le sentiment de complicité avec les systèmes artificiels. De manière large, elle interroge la façon dont le comportement et plus particulièrement le mouvement (qu'il soit dansé ou simple geste quotidien) en relation avec des robots, augmentent la créativité et la capacité d'improvisation, concepts que nous allons aborder dans les prochains chapitres consacrés aux observations pratiques de nos expérimentations. +Dans notre contexte particulier de la danse, analyser les changements dans la conception et la configuration des projets pour identifier des nouvelles formes de corporéité, nous aide à mieux évaluer nos possibilités d’interaction physique avec des robots lors d’une performance. En suivant l’évolution des principes concernant la notion d'incorporation (\gls{embodiment})\cite{clark1998being}, \cite{dautenhahn2002csr}, \cite{ziemke2013s}, \cite{ziemke2016body}, \cite{demers2015playmouth} les artistes s'inspirent de ces principes pour créer des formes d'art hybrides. +Plusieurs approches de la danse postmoderne, dont le \gls{contact improvisation}, trouvent également un contrepoids dans la philosophie contemporaine, entre autre dans le travail de Felix Guattari et Gilles Deleuze\cite{babych2023paxton}. Chez eux, la question du corps est traitée en parallèle avec celle du \textit{devenir} lors qu'ils emploient des termes comme le \gls{corps sans organes} (BWO), ou le concept d'objet ou \textit{machine} dans des œuvres comme \textit{Thousand Plateaus} ou \textit{Anti-Oedipe}. Le concept de \textit{BWO}, par exemple, propose un modèle de corporéité \textit{dont la structure est proche des mouvements browniens}\footnote{body bupon which that which serves as organs is distributed according to crowd phenomena in a Brownian Move\cite{deleuze1996plateaus}}. Selon cette théorie, les organes correspondent à des objets partiaux ou des machines de désir telles des graines, tandis que le corps qui les contient peut correspondre à un champ, lorsque ces graines ont éclos. Cette vision fragmentée du corps est aussi celle d'un robot humanoïde, dont les articulations fonctionnent parfois indépendamment de l'ensemble. Au cours des dernières décennies, des chercheurs dans différents domaines de la robotique (notamment la robotique cognitive mentionnée auparavant) ont étayé l’importance du mouvement dans la mise en place des interactions avec les robots. Pour la grande majorité d’entre eux, le contrôle optimal est le facteur clé pour améliorer tout travail collaboratif homme-robot. Leur objectif est de générer des commandes motrices adaptées à plusieurs contextes et contraintes. Certaines études mesurent l’effet de l’imitation sur le HRI, alors que d’autres se concentrent sur l’improvisation et l’apprentissage par renforcement. À notre échelle, cette thèse en recherche-création s’attache à comprendre comment la perception du mouvement peut augmenter le sentiment de complicité avec les systèmes artificiels. De manière large, elle interroge la façon dont le comportement et plus particulièrement le mouvement (qu'il soit dansé ou simple geste quotidien) en relation avec des robots, augmente la créativité et la capacité d'improvisation. Nous allons aborder ces concepts dans les prochains chapitres consacrés aux observations pratiques de nos expérimentations. \begin{figure} \centering @@ -2063,48 +2041,41 @@ ou \textit{Anti-Oedipe}. Le concept de \textit{BWO}, par exemple, propose un mod \label{fig:abderheart-robot} \end{figure} -Pour programmer des robots qui dansent, trouvons d'abord des analogies entre les symboles abstraits des programmateurs et les signaux physiques des corps en mouvement. Selon le roboticien Jean-Pierre Laumont, ``un mouvement est perçu par les autres dès son achèvement dans l’espace physique”\cite{laumond2016dance}. Pour lui, toute analyse du mouvement humain qui peut être transmise aux robots, se concentre sur la relation entre l’espace physique et l’espace corporel. Les roboticiens sont confrontés à ces questions quand ils modélisent un espace physique comme l'\textit{espace opérationnel} dans lequel les actions du robot sont exprimées, alors que \textit{l’espace du corps} est, pour eux, l’espace de contrôle ou l’espace de configuration du système robotique considéré. Leur travail se concentre sur la prise en compte des informations cinématiques d’un mouvement tout comme sur les informations dynamiques - par exemple les forces de contact avec l’environnement lors d’un mouvement. La dynamique permet entre autres, de contrôler la stabilité du robot pour générer des mouvements fluides et sûrs. Comparativement à la biomécanique, qui permet d’affiner l’interaction du corps humain avec son environnement, la dynamique est un critère important pour observer la qualité d’un mouvement et mesurer sa performance. Ainsi les humains, comme les animaux, utilisent des forces de contact pour générer du mouvement et se tenir debout face à la gravité. Pour cela, ils effectuent des tâches complexes où ils adaptent leur corps à l’environnement de façon spontanée. La communauté scientifique à formalisé ces propriétés innées dans la théorie des primitives de mouvement dynamique\cite{saveriano2023dynamic}, ou en -anglais \gls{Dynamic Movement Primitives} (DMP)\cite{dermy2018prediction}. Pour programmer des mouvements similaires dans un robot qui danse, il faut décomposer sa séquence dans une série de mouvements élémentaires, basée à son tour sur des primitives de mouvements dynamiques. Lorsqu’il s’agit de modéliser les processus psycho-somatiques ou les émotions qui déterminent une danse, les choses deviennent en général plus compliquées. Des avancées en neurosciences s’intéressent à ce type de défis et j'ai pu découvrir quelques travaux robotiques dans ce sens\cite{damiano2020emotions, stock2022ijsr}. +Pour programmer des robots qui dansent trouvons d'abord des analogies entre les symboles abstraits des programmateurs et les signaux physiques des corps en mouvement. Selon le roboticien Jean-Pierre Laumont, ``un mouvement est perçu par les autres dès son achèvement dans l’espace physique”\cite{laumond2016dance}. Pour lui, toute analyse du mouvement humain qui peut être transmise aux robots se concentre sur la relation entre l’espace physique et l’espace corporel. Les roboticiens sont confrontés à ces questions quand ils modélisent un espace physique comme l'\textit{espace opérationnel} dans lequel les actions du robot sont exprimées, alors que \textit{l’espace du corps} est, pour eux, l’espace de contrôle ou l’espace de configuration du système robotique considéré. Leur travail se concentre sur la prise en compte des informations cinématiques d’un mouvement tout comme sur les informations dynamiques - par exemple les forces de contact avec l’environnement lors d’un mouvement. La dynamique permet entre autres de contrôler la stabilité du robot pour générer des mouvements fluides et sûrs. Comparativement à la biomécanique, qui permet d’affiner l’interaction du corps humain avec son environnement, la dynamique est un critère important pour observer la qualité d’un mouvement et mesurer sa performance. Ainsi les humains, comme les animaux, utilisent des forces de contact pour générer du mouvement et se tenir debout face à la gravité. Pour cela, ils effectuent des tâches complexes où ils adaptent leur corps à l’environnement de façon spontanée. La communauté scientifique à formalisé ces propriétés innées dans la théorie des primitives de mouvement dynamique\cite{saveriano2023dynamic}, ou en +anglais \gls{Dynamic Movement Primitives} (DMP)\cite{dermy2018prediction}. Pour programmer des mouvements similaires dans un robot qui danse il faut décomposer sa séquence dans une série de mouvements élémentaires, basée à son tour sur des primitives de mouvements dynamiques. Lorsqu’il s’agit de modéliser les processus psycho-somatiques ou les émotions qui déterminent une danse, les choses deviennent en général plus compliquées. Des avancées en neurosciences s’intéressent à ce type de défis et j'ai pu découvrir quelques travaux robotiques dans ce sens\cite{damiano2020emotions, stock2022ijsr}. -De façon pratique, chaque mouvement peut être modélisé sous la forme d’une équation mathématique qui respecte les lois physiques. Cette équation est à son tour traduite en langage de programmation. Des modèles mathématiques susjacents à l’analyse de la dynamique du mouvement humain correspondent à des modèles descriptifs basés sur une multitude de variables mécaniques. Dans ce sens, les équations de mouvement ont une terminologie spécifique, selon leur domaine d’utilisation. De façon générale, elles décrivent le mouvement d’un objet physique selon les lois de la mécanique newtonienne. Ce mouvement peut être représenté sous la forme de coordonnées sphériques, cylindriques ou cartésiennes. Il comprend l’accélération de l’objet en fonction de sa position, de sa vitesse, de sa masse et les variables connexes. \smallskip +De façon pratique, chaque mouvement peut être modélisé sous la forme d’une équation mathématique qui respecte les lois physiques. Cette équation est à son tour traduite en langage de programmation. Des modèles mathématiques sus-jacents à l’analyse de la dynamique du mouvement humain correspondent à des modèles descriptifs basés sur une multitude de variables mécaniques. Dans ce sens, les équations de mouvement ont une terminologie spécifique, selon leur domaine d’utilisation. De façon générale, elles décrivent le mouvement d’un objet physique selon les lois de la mécanique newtonienne. Ce mouvement peut être représenté sous la forme de coordonnées sphériques, cylindriques ou cartésiennes. Il comprend l’accélération de l’objet en fonction de sa position, de sa vitesse, de sa masse et des variables connexes. \smallskip -Toujours selon Laumond, une équation de mouvement en robotique est définie comme un moyen de comprendre la relation qui varie entre le temps pour un mouvement spécifique, le moment des forces appliquées sur l’environnement et les forces générées par les muscles et transmises par couples articulaires. Pour les humains, la capacité de combiner et d’adapter des unités de mouvement de base en tâches complexes, se produit par la coordination entre des muscles et des articulations. Puisque le corps humain dispose d’approximativement 700 muscles, 360 articulations et 206 os\cite{tozeren1999human}, le même mouvement peut être réalisé en activant différentes parties du corps. Définir le mouvement à partir des multiples stratégies possibles devient encore plus compliqué lorsque nous prenons en compte la spécificité de chaque individu. Cette spécificité est souvent observée lors des séances d’\gls{éducation somatique} comme le Feldenkrais où l’intuition et le ressenti du praticien comptent plus que les statistiques et les équations mathématiques des scientifiques. Néanmoins une fois une hypothèse émise, elle doit être vérifiée scientifiquement pour pouvoir être validée et acceptée par la communauté scientifique. C’est en cela qu’un travail intuitif et instinctif en danse contemporaine est à ce jour difficilement transposée en robotique. +Toujours selon Laumond, une équation de mouvement en robotique est définie comme un moyen de comprendre la relation qui varie entre le temps pour un mouvement spécifique, le moment des forces appliquées sur l’environnement et les forces générées par les muscles et transmises par couples articulaires. Pour les humains, la capacité de combiner et d’adapter des unités de mouvement de base en tâches complexes se produit par la coordination entre des muscles et des articulations. Puisque le corps humain dispose d’approximativement 700 muscles, 360 articulations et 206 os\cite{tozeren1999human}, le même mouvement peut être réalisé en activant différentes parties du corps. Définir le mouvement à partir des multiples stratégies possibles devient encore plus compliqué lorsque nous prenons en compte la spécificité de chaque individu. Cette spécificité est souvent observée lors des séances d’\gls{éducation somatique} comme le Feldenkrais où l’intuition et le ressenti du praticien comptent plus que les statistiques et les équations mathématiques des scientifiques. Néanmoins une fois une hypothèse émise, elle doit être vérifiée scientifiquement pour pouvoir être validée et acceptée par la communauté scientifique. C’est en cela qu’un travail intuitif et instinctif en danse contemporaine est à ce jour difficilement transposé en robotique. -En fonction des mesures disponibles et de la partie du corps qui initie le mouvement humain, différentes approches peuvent être envisagées. Certaines chercheurs se concentrent seulement sur le mouvement des extrémités ou du torse, ce que correspond au \gls{task-space} ou l’espace des tâches en robotique\cite{kajita2014springer}, \cite{bouyarmane2018quadratic}. +En fonction des mesures disponibles et de la partie du corps qui initie le mouvement humain, différentes approches peuvent être envisagées. Certains chercheurs se concentrent seulement sur le mouvement des extrémités ou du torse, ce qui correspond au \gls{task-space} ou l’espace des tâches en robotique\cite{kajita2014springer}, \cite{bouyarmane2018quadratic}. En effet, la plus grande partie du corps humain est le torse; représentant en moyenne 43\% du poids corporel total alors que les cuisses, le bas des jambes et les pieds constituent les 37\% restants du poids total - suivis par les membres supérieurs (13\%) et la tête et le cou (7\%)\cite{tozeren1999human}. Pour les mouvements courants, ces primitives ont l'origine dans notre inconscient et sont pour la plupart des gestes automatiques ou des mouvements réflexes. Hubert Godard fait appel au concept de pré-mouvement comme langage non conscient de la posture, pour expliquer ce type de mouvement: \begin{quote} - ``Tout un système de muscles dit gravitaires, dont l’action échappe pour un grande part à la conscience vigile et à la volonté, est chargé d’assurer notre posture; ce sont eux qui maintiennent notre équilibre et qui nous permettent de nous tenir debout sans avoir à y penser. Il se trouve que ces muscles sont aussi ceux qui enregistrent nos changements d’état affectif et émotionnel. Ainsi, toute modification de notre posture aura une incidence sur notre état émotionnel, et réciproquement tout changement affectif entraînera une modification, même imperceptible, de notre posture.”\cite{ginot1998danse} + ``Tout un système de muscles dit gravitaires, dont l’action échappe pour une grande part à la conscience vigile et à la volonté, est chargé d’assurer notre posture; ce sont eux qui maintiennent notre équilibre et qui nous permettent de nous tenir debout sans avoir à y penser. Il se trouve que ces muscles sont aussi ceux qui enregistrent nos changements d’état affectif et émotionnel. Ainsi, toute modification de notre posture aura une incidence sur notre état émotionnel, et réciproquement tout changement affectif entraînera une modification, même imperceptible, de notre posture.”\cite{ginot1998danse} \end{quote} -A partir de ces postulats théoriques (task space, équations de mouvement, pré-mouvement), j'ai voulu commencer mes propres explorations. Les bras sont la partie de mon corps que je connais le mieux, alors une chorégraphie inspirée par cette partie de mon corps, a peu à peu fait son chemin dans mon imaginaire. Cependant les ressentis acquis à travers des pratiques somatiques sont difficilement traduisibles en robotique. C'est en cela que trouver les notions équivalentes entre neurosciences et pratiques somatiques, représente une clé pour transposer ces concepts dans la robotique. +À partir de ces postulats théoriques (task space, équations de mouvement, pré-mouvement), j'ai voulu commencer mes propres explorations. Les bras sont la partie de mon corps que je connais le mieux, alors une chorégraphie inspirée par cette partie de mon corps, a peu à peu fait son chemin dans mon imaginaire. Toutefois les ressentis acquis à travers des pratiques somatiques sont difficilement traduisibles en robotique. Trouver les notions équivalentes entre neurosciences et pratiques somatiques représente une clé pour transposer ces concepts dans la robotique. -Pour illustrer, je mentionne l’expérience du neurologue américain Benjamin Libet (1916-2007) cité par Chalmers dans le chapitre précédent sur la conscience. Liebt a étudié les phénomènes qui opérant dans le cerveau au moment où une action intentionnelle a lieu\cite{libet1993brain}. Plus spécifiquement, il a organisé une expérience où il demande aux participants de bouger leur doigt spontanément, quand ils veulent. En parallèle, +Pour illustrer, je mentionne l’expérience du neurologue américain Benjamin Libet (1916-2007) citée par Chalmers dans le chapitre précédent sur la conscience. Liebt a étudié les phénomènes qui opèrent dans le cerveau au moment où une action intentionnelle a lieu\cite{libet1993brain}. Plus spécifiquement, il a organisé une expérience où il demande aux participants de bouger leur doigt spontanément, quand ils veulent. En parallèle, ils doivent regarder une horloge avec un point de lumière tournant, afin d’indiquer l’endroit où est le point sur l’horloge lorsqu’ils prennent leur décision consciente de vouloir exécuter leur mouvement de doigt. -Pendant ces instructions, Liebt et son équipe analysent l’activité cérébrale avec des capteurs d’électroencéphalographie (EEG) et mesurent le mouvement réel des doigts avec des capteurs électromyographiques (EMG). Leurs résultats prouvent que le début de l’activité cérébrale commence plus d’une demi-seconde avant le mouvement réel des doigts et plus de 300 ms avant que les sujets ne prennent conscience qu’ils veulent bouger leur doigt. Ils définissent alors le facteur de \gls{readiness potential} ou potentiel de préparation - pour illustrer le fait que la volonté consciente de bouger le doigt se produit un intervalle significatif après le début de l’activité cérébrale correspondante au mouvement. Cette expérience démontre que le concept de libre arbitre est plus complexe à définir que ce que nous entendons. Les travaux de Liebt sont au cœur des débats actuels concernant l’intelligence artificielle. Si 40 ans après cette expérience, il nous est toujours difficile de modéliser ce potentiel de préparation, modéliser ce que c'est la conscience reste encore un projet en cours. -Évidement cela n’empêche pas la communauté scientifique d’imaginer d’ autres pistes d’exploration et hypothèses de recherche. Comme nous avons montré dans les chapitres précédents, une de ces pistes réside dans l’importance de l’interaction avec l’environnement. Si un agent ou un système a un corps physique (en anglais \textit{is embedded}, il est soumis aux lois de la physique qui impliquent de s’habituer à la gravité et aux forces de friction, ainsi qu’à l’approvisionnement en énergie pour survivre. Tout cela engage des multiples scenarios de négociation entre les processus et calculs internes et les actions directes: +Pendant ces instructions, Liebt et son équipe analysent l’activité cérébrale avec des capteurs d’électroencéphalographie (EEG) et mesurent le mouvement réel des doigts avec des capteurs électromyographiques (EMG). Leurs résultats prouvent que le début de l’activité cérébrale commence plus d’une demi-seconde avant le mouvement réel des doigts et plus de 300 ms avant que les sujets ne prennent conscience qu’ils veulent bouger leur doigt. Ils définissent alors le facteur de \gls{readiness potential} ou potentiel de préparation - pour illustrer le fait que la volonté consciente de bouger le doigt se produit dans un intervalle significatif après le début de l’activité cérébrale correspondant au mouvement. Cette expérience démontre que le concept de libre arbitre est plus complexe à définir que ce que nous entendons. Les travaux de Liebt sont au cœur des débats actuels concernant l’intelligence artificielle. Si 40 ans après cette expérience, il nous est toujours difficile de modéliser ce potentiel de préparation, modéliser ce qu'est la conscience reste encore un projet en cours. +Évidemment cela n’empêche pas la communauté scientifique d’imaginer d’autres pistes d’exploration et hypothèses de recherche. Comme nous l'avons montré dans les chapitres précédents, une de ces pistes réside dans l’importance de l’interaction avec l’environnement. Si un agent ou un système a un corps physique (en anglais \textit{is embedded}), il est soumis aux lois de la physique qui impliquent de s’habituer à la gravité et aux forces de friction, ainsi qu’à l’approvisionnement en énergie pour survivre. Tout cela engage de multiples scénarios de négociation entre les processus et calculs internes et les actions directes: \begin{quote} - `` - la véritable clé pour comprendre l'incorporation réside dans l'interaction entre les - processus physiques et ce que nous pourrions appeler des processus informationnelles ou d’information. - Pour les agents biologiques, cela représente le lien entre les actions physiques et les processus neuronales – ou, d'une façon plus informelle, entre le corps et le cerveau. Le - équivalent dans un robot serait la relation entre les actions du robot et ses - programmes de contrôle\footnote{en version originale: ``the real importance of embodiment comes from the interaction between physical - processes and what we might want to call information processes. In biological - agents, this concerns the relation between physical actions and neural - processing—or, to put it somewhat casually, between the body and the brain. The - equivalent in a robot would be the relation between the robot’s actions and its - control program.”}.”\cite{pfeifer2006mit} + ``la véritable clé pour comprendre l'incorporation réside dans l'interaction entre les + processus physiques et ce que nous pourrions appeler des processus informationnels ou d’information. + Pour les agents biologiques, cela représente le lien entre les actions physiques et les processus neuronaux - ou, d'une façon plus informelle, entre le corps et le cerveau. L' équivalent dans un robot serait la relation entre les actions du robot et ses programmes de contrôle\footnote{en version originale: ``the real importance of embodiment comes from the interaction between physical processes and what we might want to call information processes. In biological agents, this concerns the relation between physical actions and neural processing - or, to put it somewhat casually, between the body and the brain. The equivalent in a robot would be the relation between the robot’s actions and its control program.”}.” + \cite{pfeifer2006mit} \end{quote} -Pour illustrer cela, \cite{pfeifer2006mit} font une comparaison entre l’action d’attraper un verre par un humain et par un robot. Si pour l’humain, le tissu de ses bout des doigts s’adapte à la forme du verre, le calcul de forces à appliquer se fait en conséquence. Cependant pour une main de robot le tissu est rigide, il n’y a pas cette possibilité d’adaptation et plus souvent le verre se casse car la force appliquée n’est pas la bonne. Cela avance l’hypothèse que l’intelligence humaine est distribuée dans tout le corps, et pas seulement dans le cerveau. +Pour illustrer cela, \cite{pfeifer2006mit} donne l'exemple de l’action d’attraper un verre par un humain et par un robot. Si pour l’humain, le tissu de ses bouts des doigts s’adapte à la forme du verre, le calcul de forces à appliquer se fait en conséquence. Cependant pour une main de robot le tissu est rigide, il n’y a pas cette possibilité d’adaptation et plus souvent le verre se casse car la force appliquée n’est pas la bonne. Cela avance l’hypothèse que l’intelligence humaine est distribuée dans tout le corps, et pas seulement dans le cerveau. -Dans notre contexte, une approche moins compliquée est celle où les robots humanoïdes imitent des mouvements de danse capturés lors des démonstrations humaines. La simulation numérique du système musculo-squelettique humain permet de travailler avec un grand nombre de données expérimentales. La capacité de traiter ces données de façon itérative en temps réel dépend de la fréquence d’enregistrement des données. Les roboticiens utilisent des techniques de \gls{motion capture} ou MoCap, combinées à des technologies comme le \textit{Learning from observation paradigme\cite{nakaoka2007learning}} qui propose des modèles pour faciliter la danse - tels la cinématique inversée ou les modèles de contrôle prédictif - ainsi que de la dynamique inversée de l’espace opérationnel\cite{ramos2015dancing} ou OSID. L’objectif de ces technologies est d’enregistrer et générer des mouvements avec un coût de calcul optimal. +Dans notre contexte, une approche moins compliquée est celle où les robots humanoïdes imitent des mouvements de danse capturés lors des démonstrations humaines. La simulation numérique du système musculo-squelettique humain permet de travailler avec un grand nombre de données expérimentales. La capacité de traiter ces données de façon itérative en temps réel dépend de la fréquence d’enregistrement des données. Les roboticiens utilisent des techniques de \gls{motion capture} ou MoCap, combinées à des technologies comme le \textit{Learning from observation paradigme} qui propose des modèles pour faciliter la danse - tels la cinématique inversée ou les modèles de contrôle prédictif\cite{nakaoka2007learning} - ainsi que de la dynamique inversée de l’espace opérationnel\cite{ramos2015dancing} ou OSID. L’objectif de ces technologies est d’enregistrer et générer des mouvements avec un coût de calcul optimal. -Une grande majorité des projets artistiques actuels font appel à des robots préprogrammés par des humains pour répondre à des signaux spécifiques et se comporter d’une certaine manière. Sur scène, le fardeau des mouvements synchrones qui garantissent l’interaction repose sur la réactivité et l’adaptabilité de l’artiste. En danse par exemple, le performeur doit garder le tempo, ce qui lui limite les possibilités d’improvisation. De plus, il n’a pas le droit à des erreurs, car le robot continuerait alors à exécuter son programme quels que soient les événements imprévus qui se déroulent en parallèle. Cette situation est généralement évitée grâce à un opérateur humain disponible pour prendre le contrôle du robot à distance. En utilisant les technologies de suivi existantes comme des capteurs XSENS que nous allons présenter dans la partie pratique de notre recherche-création, l’artiste peut se connecter directement au robot, pendant que ses mouvements sont analysés en temps réel. Alternativement, ses mouvements peuvent être utilisés pour contrôler le mouvement du robot ou déclencher des changements de rôle. D’autres techniques basées sur la reconnaissance thermique ou la vision et le suivi haptique du mouvement humain, font l’objet des études en cours qui pourront éventuellement inspirer la communauté artistique.\smallskip +Une grande majorité des projets artistiques actuels font appel à des robots préprogrammés par des humains pour répondre à des signaux spécifiques et se comporter d’une certaine manière. Sur scène, le fardeau des mouvements synchrones qui garantissent l’interaction repose sur la réactivité et l’adaptabilité de l’artiste. En danse par exemple, le performeur doit garder le tempo, ce qui lui limite les possibilités d’improvisation. De plus, il n’a pas le droit à des erreurs, car le robot continuerait alors à exécuter son programme quels que soient les événements imprévus qui se déroulent en parallèle. Cette situation est généralement évitée grâce à un opérateur humain disponible pour prendre le contrôle du robot à distance. En utilisant les technologies de suivi existantes comme des capteurs XSENS que nous allons présenter dans la partie pratique de notre recherche-création, l’artiste peut se connecter directement au robot, pendant que ses mouvements sont analysés en temps réel. Alternativement, ses mouvements peuvent être utilisés pour contrôler le mouvement du robot ou déclencher des changements de rôle. D’autres techniques basées sur la reconnaissance thermique, ou la vision et le suivi haptique du mouvement humain, font l’objet des études en cours qui pourront éventuellement inspirer la communauté artistique.\smallskip En 2012, lors d’un spectacle de danse de 10 minutes avec un robot HRP-2 et un danseur de hip-hop, l’humain rencontre l’humanoïde sur scène. Les mouvements ont été calculés grâce au modèle OSID développé par le Laboratoire de recherche spécialisé dans l’analyse et l’architecture des systèmes (LAAS) à Toulouse. Le geste du danseur - ouvrant ses bras devant l’humanoïde - peut être interprété rétrospectivement comme une réaction empathique d’abandon devant la machine, une invitation pour devenir amis, ou bien l’acte de reconnaître un ami de longue date. \begin{figure} @@ -2115,87 +2086,39 @@ En 2012, lors d’un spectacle de danse de 10 minutes avec un robot HRP-2 et un \end{figure} -Une fois interpellé, le robot a attendu quelques secondes - probablement dû au délai de traitement de l’information- avant d’ouvrir ses bras pour faire un câlin à l’humain. Chaque spectateur projette sa propre interprétation concernant le message du spectacle et finalement les deux interprètes ont des motivations indépendantes l’un de +Une fois interpellé, le robot a attendu quelques secondes - probablement dues au délai de traitement de l’information - avant d’ouvrir ses bras pour faire un câlin à l’humain. Chaque spectateur projette sa propre interprétation concernant le message du spectacle et finalement les deux interprètes ont des motivations indépendantes l’un de l’autre. Si dans le cas de l’humain c’est clair que son action a été déterminée et consciente, dans le cas du robot, nous nous imaginons qu’il a été programmé pour répondre à un comportement spécifique. -Dans\cite{nakaoka2011synthesiology} Nakaoka et al. avancent l’idée qu’une version améliorée des robots HRP peut générer une technologie de contenu innovante à partir des technologies MoCap à l’origine des animations de personnages vidéo. Pour rendre cela possible, les développements technologiques ont été influencés par le feedback des utilisateurs en phase test, afin de mieux comprendre leurs attentes. Lors de cette expérimentation, le robot HRP-4C (l’équivalent féminin de HRP-4) a chanté et présenté une danse lors d’une performance au DC-EXPO 2010, en utilisant l’interface \gls{Choreonoid} pour programmer les mouvements. Tout en mettant en œuvre des mouvements de danse d’un chorégraphe apprécié par le public japonais, l’équipe a travaillé sur de nouvelles possibilités d'expression corporelle propres aux robots. En adaptant le sens artistique des idées aux contraintes techniques du robot et l’inverse, ils ont proposé un projet innovant avec un robot réaliste qui s’est confondu parmi des danseuses humaines habillées et maquillées de façon identique. Ceci est un exemple de robot qui imite à la perfection un humain. Tout ceci est évidement loin des projections concernant la spécificité des robots comme espèces à part entière, mais les prochaines pages nous aideront à étudier de plus prêt ce phénomène. +Dans\cite{nakaoka2011synthesiology} les auteurs avancent l’idée qu’une version améliorée des robots HRP peut générer une technologie de contenu innovante à partir des technologies MoCap à l’origine des animations de personnages vidéo. Pour rendre cela possible, les développements technologiques ont été influencés par le feedback des utilisateurs en phase test, afin de mieux comprendre leurs attentes. Lors de cette expérimentation, le robot HRP-4C (l’équivalent féminin de HRP-4) a chanté et présenté une danse lors d’une performance au DC-EXPO 2010, en utilisant l’interface \gls{Choreonoid} pour programmer les mouvements. Tout en mettant en œuvre des mouvements de danse d’un chorégraphe apprécié par le public japonais, l’équipe a travaillé sur de nouvelles possibilités d'expression corporelle propres aux robots. En adaptant le sens artistique des idées aux contraintes techniques du robot et l’inverse ils ont proposé un projet innovant avec un robot réaliste qui s’est confondu parmi des danseuses humaines habillées et maquillées de façon identique. Ceci est un exemple de robot qui imite à la perfection un humain. Tout ceci est évidemment loin des projections concernant la spécificité des robots comme espèces à part entière, mais les prochaines pages nous aideront à étudier de plus près ce phénomène. -Dans \textit{Les corps multiples d’une machine performative}\cite{demers2016multiple} Louis Philippe Demers utilise le terme de ``machine performative” pour illustrer une qualité des corps mécaniques dotées d’une ``saveur de vivacité”. Pour lui, les expérimentations artistiques up-close\cite{demers2019up} avec les robots relèvent les défis concernant l’embodiment\cite{demers2015playmouth}. Dernièrement, grâce à des concepts comme le ``body- schema\cite{johnson2008makes, de2021body, iscen2014body}” il est possible d'implémenter toute une série d'interactions close-contact. Ces concepts empruntés des sciences cognitives ouvrent des nouvelles possibilités d’expression pour les artistes et les formes d’art hybride.\smallskip +Dans \textit{Les corps multiples d’une machine performative}\cite{demers2016multiple} Louis Philippe Demers utilise le terme de ``machine performative” pour illustrer une qualité des corps mécaniques dotés d’une ``saveur de vivacité”. Pour lui, les expérimentations artistiques up-close\cite{demers2019up} avec les robots relèvent les défis concernant l’embodiment\cite{demers2015playmouth}. Dernièrement, grâce à des concepts comme le ``body- schema”\cite{johnson2008makes, de2021body, iscen2014body}, il est possible d'implémenter toute une série d'interactions close-contact. Ces concepts empruntés aux sciences cognitives ouvrent de nouvelles possibilités d’expression pour les artistes et les formes d’art hybride.\smallskip Le domaine de Human-Robot-Interaction ou HRI a beaucoup évolué au cours des dernières années. Actuellement il se décline dans des sous-domaines comme Natural HRI mettant en œuvre des émotions artificielles dans les robots, grâce aux modèles de classification hybrides multimodaux et de l’apprentissage robotique interactif\cite{yu2021robot}. Il est probable qu’au fur et à mesure que la compréhension de nous-mêmes s’élargisse, ces machines deviendront plus complexes également. Par l’utilisation de telles technologies, l’artiste n’est plus astreint à un choix binaire de suivre ou pas les cues des robots pré-programmés. Au lieu d’exécuter des mouvements préprogrammés, les robots peuvent être contrôlés en ligne par les mouvements de l’artiste et même par les émotions de celui-ci, en temps réel. Des nouveaux espaces centralisés de contrôle multi-robot et multi-objet\cite{bouyarmane2018quadratic} pourraient également offrir la possibilité de manipuler plusieurs robots à la fois par un seul artiste ou combiner le contrôle de plusieurs robots par plusieurs artistes. Grâce aux techniques récentes de ML, les robots pourraient apprendre directement des mouvements artistiques en observant l’humain, puis proposer des améliorations en temps réel sur scène. D’autres modèles qui utilisent des techniques de \gls{reinforcement learning} sont actuellement en cours de développement, apprenant aux robots à créer leur propre carte de réseaux sociaux et comportements afférents, tout en interagissant avec les humains. \section*{Conclusion} -Ce chapitre présente plusieurs manières d’appréhender le corps sur scène, ainsi que des défis -dans les approches chorégraphiques contemporaines. Cela est confronté avec un état d’art -d’œuvres d’interaction robotique. -Son titre \textit{Corps performatifs en robotique}, introduit des notions en biomécanique comme façon d’appréhender le corps, proche de robots. Une fois la question de la corporalité traitée, il est nécessaire d’aborder les défis chorégraphiques dans la représentation du corps dans les spectacles postmodernes. Puis mettre en parallèle cela avec les observations des roboticiens comme J.P. Laumond concernant les robots qui performent. La dernière section de ce chapitre présente différents formats de présentation, faisant un court historique des robots, des automata et de l'\gls{art robotique}. -Elle se conclut avec une panorama des tendances de ces dernières décennies, pour anticiper la suite dans les expérimentations pratiques présentées dans la deuxieme partie de cette thèse. +Ce chapitre présente plusieurs manières d’appréhender le corps sur scène, ainsi que des nouveaux paradigmes dans les approches chorégraphiques contemporaines. Cela est analysé en parallèle avec un état de l’art d’œuvres artistiques d’interaction robotique en contact étroit. Indépendamment de leur message artistique, ces œuvres aident à comprendre l'impact de la technologie numérique sur les interactions sociales. Ensuite j’introduis des notions en biomécanique comme façon d’appréhender le corps qui est proche de robots. Une fois la question de la corporalité posée, j'aborde quelques défis chorégraphiques dans la représentation du corps, dans des spectacles postmodernes. Cela nous aide à mieux comprendre le point de départ d'un spectacle de danse avec des robots, la où la question du corps objectivé et partitionné du performeur est centrale. Je met en parallèle ces enjeux avec les observations du Jean-Paul Laumond concernant l'interdisciplinarité de la robotique comme science et comme technologie qui cherche à faire et à savoir. La dernière section de ce chapitre présente différents formats de représentation, faisant un court historique des automates et de l'\gls{art robotique}. Elle se conclut par un panorama des tendances de ces dernières décennies, pour anticiper la suite des expérimentations pratiques présentées dans la seconde partie de cette thèse. \clearpage \chapter*{Conclusion de la partie I} \addcontentsline{toc}{chapter}{Conclusion} -Dans cette première partie, je pose les bases théoriques des disciplines qui ont inspiré les recherches-créations détaillés par la suite. +Dans ces trois chapitres - \textit{Pratiques somatiques et quête de l’intelligence sensorielle}, \textit{Conscience du corps dans la robotique} et \textit{Corps performatifs en robotique} - je pose les bases théoriques des disciplines qui ont inspiré les recherches-créations détaillées par la suite dans la seconde partie. Les notions clé de chaque sous-partie témoignent d'une approche pluridisciplinaire entre danse, robotique et sciences cognitives. +Les pratiques somatiques type B.M.C., Feldenkrais ou Gaga, tout comme les approches chorégraphiques qui les intègrent (voir les exemples des chorégraphes Anna Halprin et Deborah Hay), puis les notations en danse et les laboratoires en recherche du mouvement comme le \gls{contact improvisation}, contribuent aux avancées en neurosciences cognitives et indirectement en robotique. La quête d'une forme d'\gls{intelligence sensorielle}, tout comme l’intérêt pour l'\gls{empathie kinesthésique} revisitent des concepts comme \gls{body schema}, \gls{kinesthesie}, \gls{expérience kinesthésique}, pour mieux modéliser les interactions avec les robots. -Corps performatifs et robots sur scène -Conscience du corps dans la robotique -Pratiques somatiques et quête de l’intelligence sensorielle +Plus loin, je pose les définitions de la \gls{conscience} dans la philosophie et les sciences cognitives pour évoquer une idée de conscience du corps dans la robotique. En parallèle, je présente quelques approches contemporaines au cœur de ces recherches, comme la théorie 4E de la cognition, en anglais \gls{The 4E Cognition Theory}, le \gls{Free Energy Principle}, ou la \gls{boucle perception-action-cognition}. Des domaines comme la robotique cognitive développementale s'inspirent fortement de ces concepts pour avancer dans la recherche d'une forme de \gls{conscience artificielle} et permettre un cycle continu d'apprentissage des agents non-humains. Dans ce cycle le corps, donc la réalité physique d'un robot, est un des éléments fondamentaux. Des robots capables d'apprendre et d'acquérir des compétences de manière similaire aux êtres humains, doivent pouvoir réaliser des interactions dynamiques avec leur environement, analyser le feedback reçu et adapter leur comportement en conséquence. -Bases théoriques -notions clé -Cette analyse révèle que les attentes et les angoisses envers les -robots sont également présentes dans les œuvres d’\gls{art robotique}, quel que soit -de leur thème, leurs contraintes techniques ou leur design. Dans nos écosystèmes -sociaux complexes, il n’est souvent pas facile de distinguer les raisons qui -génèrent l’un ou l’autre. Quant à l’exemple du \textit{HitchBot}, après l’analyse des -derniers données le concernant, ses créateurs n’ont pas pu déterminer pourquoi -le robot a été démantelé. Ils ont décide d’arrêter le projet et ne pas réparer -le robot. Peut-être des prochaines études sociologiques ou anthropologiques -pourrait déterminer si sa destruction a été causée par un acte inconscient de -peur de la part de quelqu’un qui ne voulait pas comprendre les robots. Certes -est qu’à la fin du 21e siècle, l’Art et la Robotique vont entreprendre des -transformations majeures, laissant place à l’imagination quant à leur possible -relation et impact dans nos vies. Dans\cite{dautenhahn1995ras}, les auteurs affirment que -l’intelligence originaire des primates a évolué pour résoudre des problèmes -sociaux et seulement plus tard a été étendue à des problèmes extérieurs du +Nos observations appuient une nouvelle manière de considérer les corps performatifs en robotique, sorte d'agents conçus pour des états ontologiques multiples\cite{demers2015playmouth}. Toutefois, à la différence du travail de Louis-Philippe Demers, ces corps interagissent avec des humains en mouvement, pour chercher une danse qui leurs est propre. Cette quête implique des formes d'\gls{intelligence sensorielle} issues des pratiques somatiques, tout comme une déconstruction de l’idée du corps en état d'improvisation. Le devenir de ce corps est objectivé, sorte de \gls{corps sans organes} imprégné par des mouvements browniens, qui va rapprocher la figure du robot de celle de l'animal sauvage dans la seconde partie de ce travail. Toujours lors de ces expérimentations pratiques, la question des émotions et de l’empathie vont soulever quelques observations critiques concernant la \gls{Singularité} et les dérives transhumanistes. Il est certain qu’à la fin du 21e siècle, l’art et la robotique vont entreprendre des transformations majeures, laissant place à l’imagination quant à leur possible relation et impact dans nos vies. Nous restons convaincus que grâce à l'art et à la notion de \gls{représentation}, la \gls{robotique culturelle} pourra proposer une nouvelle éthique des robots. + +Si les artistes inspirent le développement de la robotique ou l‘inverse, les deux disciplines continueront de surprendre nos attentes lors des prochaines années. Tout au long de cette premier partie, j’ai souligné comment +les robots pourraient trouver, à travers l’interdisciplinarité, une condition indomptée\cite{kaplan2004ws} différente des expectations humaines. Idéalement notre relation avec eux pourrait s’améliorer à l’aide d’expérimentations artistiques centrées sur l’interaction de contact proche et du toucher\cite{wong2022thms}. +En revanche, les attentes ou les angoisses\footnote{dans nos écosystèmes sociaux complexes, il n’est souvent pas facile de distinguer les raisons qui génèrent l’un ou l’autre.} envers les robots sont également présentes dans les œuvres d’\gls{art robotique}, indépendamment de leur thème, leurs contraintes techniques ou leur design. Quant à l’exemple du projet \textit{HitchBot}, après l’analyse des dernières données le concernant, ses développeurs n’ont pas pu déterminer pourquoi le robot a été démantelé. Ils ont décidé d’arrêter le projet et ne pas réparer le robot. Peut-être des prochaines études sociologiques ou anthropologiques vont pouvoir mieux déterminer si sa destruction a été causée par un acte inconscient de peur de la part de quelqu’un qui ne voulait pas comprendre les robots. Dans \cite{dautenhahn1995ras}, les auteurs affirment que l’intelligence originaire des primates a d'abord évolué pour résoudre des problèmes sociaux. Seulement plus tard cette intelligence a été étendue à des problèmes extérieurs au domaine social, comme la technologie. Depuis il est important de se rappeler que -l’intelligence des robots est conçue et exploité dans la mesure du possible pour -se conformer aà des lois et droits fondamentaux, y compris de la vie privée\cite{boden2017cs}. En réfléchissant à ces questions, les roboticiens, les artistes et les -universitaires posent les bases d’une éthique envers les machines\cite{kahn2012hri} pour que -´´des robots personnifiés et d’autres systèmes informatiques incarnés peuvent -représenter une nouvelle catégorie ontologique.” Pour cela\cite{kahn2011hri}, voient les -humains, pas les machines, comme le principal agents responsables dans -l’équation. Compte tenu de ce principe éthique dans l’évolution de -l’intelligence, applicable à la fois aux systèmes naturels et artificiels\cite{dautenhahn1995ras}, -j’imagine avec impatience la contribution de la robotique sociale et de l’art aux prochaines transformations de notre société. -Si les artistes inspirent le développement de la robotique -ou l ‘inverse, les deux disciplines continueront de surprendre nos attentes pour -lors des prochaines années. Tout au long de cette analyse, j’ai soulignée comment -les robots pourraient trouver à travers l’art, une condition -indomptée\cite{kaplan2004ws} avant l'intervention humaine. Idéalement notre relation avec -eux pourrait s’améliorer à l’aide d’expérimentations artistiques centrés sur -l’interaction de contact proche et le toucher\cite{wong2022thms}. Puisque les robots -ne sont pas capables d’intentions jusqu’à présent, nous ne pouvons que espérer -mieux nous comprendre\cite{ishiguro2018gs} nous-mêmes en tant qu’espèce, en les observant eux nous imiter. +l’intelligence des robots est conçue pour se conformer à des lois et droits humains fondamentaux, y compris celle concernant la vie privée\cite{boden2017cs, zuboff2020age}. En réfléchissant à ces questions, les roboticiens, les artistes et les universitaires posent actuellement les bases d’une nouvelle éthique\cite{kahn2012hri}, que nous allons traiter dans les conclusions de la seconde partie. Ainsi des ``robots personnifiés et d’autres systèmes informatiques incarnés” vont pouvoir représenter cette nouvelle catégorie ontologique dont parlait Demers. Bien que les auteurs du \cite{kahn2011hri} voient les humains, et non les machines, comme principaux agents responsables dans +l’équation, il est important de questionner nos privilèges en tant qu’espèce dominante sur Terre. Personnellement, j’attends avec impatience la contribution de la robotique sociale et de l’art aux prochaines transformations de notre société. +En attendant, puisque les robots ne sont pas capables d’intentions jusqu’à présent, nous ne pouvons qu'espérer mieux nous comprendre\cite{ishiguro2018gs} nous-mêmes en tant qu’espèce, en les observant eux, nous imiter. -chatgpt: -Oui, la robotique cognitive développementale s'inspire fortement de la boucle perception-action-cognition. Ce domaine de recherche se concentre sur le développement de robots capables d'apprendre et d'acquérir des compétences de manière similaire aux êtres humains, notamment en s'appuyant sur des interactions dynamiques entre la perception, l'action, et la cognition. -Comment la boucle perception-action-cognition influence la robotique cognitive développementale : -Apprentissage par l'interaction : Les robots cognitifs développementaux apprennent en interagissant avec leur environnement. Comme les êtres humains, ces robots utilisent des boucles perception-action-cognition pour percevoir leur environnement, traiter ces perceptions pour comprendre et prendre des décisions, puis agir en conséquence. Le résultat de ces actions fournit un retour d'information (feedback) qui affine leur perception future et leurs actions, créant un cycle continu d'apprentissage. - -Adaptation et développement : Tout comme les enfants apprennent en explorant et en interagissant avec leur monde, les robots développementaux sont conçus pour développer leurs capacités au fil du temps. En utilisant la boucle perception-action-cognition, ils peuvent adapter leur comportement en fonction de l'expérience, en modifiant leur compréhension du monde et leurs actions en fonction des résultats obtenus. - -Autonomie et exploration : Un des objectifs de la robotique cognitive développementale est de créer des robots capables d'explorer et de découvrir de manière autonome. La boucle perception-action-cognition est essentielle pour permettre à ces robots de naviguer dans des environnements inconnus, d'apprendre de nouvelles tâches sans supervision directe, et de s'adapter à des situations changeantes. - -Intégration de la cognition : En intégrant la cognition dans la boucle perception-action, les robots ne se contentent pas de réagir à des stimuli immédiats. Ils sont également capables d'anticiper les résultats futurs de leurs actions, de planifier, et de prendre des décisions complexes en fonction de leurs expériences passées et de leurs objectifs actuels. - -Influence des Théories Humaines : - -Les théories du développement humain, de l'apprentissage moteur, et des neurosciences cognitives ont grandement inspiré les approches en robotique cognitive développementale. Les chercheurs cherchent à reproduire, de manière artificielle, les processus par lesquels les humains apprennent et s'adaptent, en exploitant des boucles similaires de perception, d'action et de cognition. - -En résumé, la robotique cognitive développementale s'appuie sur la boucle perception-action-cognition comme fondement pour créer des systèmes robotiques capables d'apprentissage, d'adaptation, et d'évolution de manière autonome, en s'inspirant des mécanismes du développement humain. %^\iffalse ... \fi diff --git a/sections/partie_2.tex b/sections/partie_2.tex index b7dc70e..2c23a56 100644 --- a/sections/partie_2.tex +++ b/sections/partie_2.tex @@ -13,7 +13,7 @@ Avec Deborah Hay, Yvonne Rainer, Trisha Brown et d'autres membres de ce qui alla Toujours en 1970, Paxton, Rainer et plusieurs autres membres du Judson Dance Theatre créent le collectif \textit{Grand Union} pour travailler en collaboration, sans structure hiérarchique. Les présentations du groupe font état des moments improvisés et prises de position anarchiques à l’intérieur du dispositif scénique. Lorsqu'il mentionne cette époque, Paxton parle d'un laboratoire de possibilités des formes. À partir de 1986, il se concentre sur une autre technique intitulée \textit{Material for the Spine} (1986-2008), en français \textit{matériel pour la colonne vertébrale}. Comme son nom l'indique, cette exploration vise les muscles, les vertèbres et les récepteurs sensoriels en lien avec la colonne vertébrale et son rôle dans la marche comme préambule à la danse. Pour mes échauffement en danse je me suis parfois servie de cet enregistrement qui dirige une session de préparation de contact improvisation\footnote{https://soundcloud.com/the-amam/audio-recording-of-steve-paxton-guiding-the-small-dance} En écoutant la voix de Paxton, cela ressemble à une méditation debout axée sur les micro-mouvements que le corps effectue pour rester droit. Son objectif est d'explorer des états d'immobilité et de désorientation,partie d'une enquête physique sur les états de chute, de position debout et d'attrapage qui précédent un contact. -L'improvisation dansée facilite la création du mouvement spontanée, sans planifier à l'avance aucun pas de danse ou chorégraphie. Les danseurs répondent à des contraintes, sans s’appuyer sur des schémas de mouvement prédéfinis. Selon leur niveau de lâcher prise, ils peuvent chercher à créer des mouvements originaux ou à utiliser des mouvements familiers de manière unique. Dans notre contexte, un demi siècle après le début de la \gls{contact improvisation}, l'utilisation des outils numériques est une autre manière d'improviser, propre à la technicisation de nos sociétés. Cette improvisation représente une convergence entre le corps et la technologie, dont l'objectif est de faire émerger des gestes et mouvements qui sortent des motifs habituels des danseurs. Bien que les artistes ont utilisé des dispositifs numériques à partir des années 1960, ces pratiques étaient beaucoup plus expérimentales et exceptionnelles à l’époque. De nos jours, l’accès facile à ces technologies et le dynamisme de leurs avancées, encouragent chercheurs et artistes à comprendre comment leur utilisation transforme le mouvement. Les corps entrent dans un processus hybridation avec l'outil technique. Cette altérité est mise en avant comme ressort pour des nouvelles écritures du plateau où le corps devient un support technologique ou support \textit{pour la technologie}. Similaire à un jeu renouvelé, l'objectif n’est pas de savoir si les partenaires se ressemblent ou s’opposent, mais la façon dont leur imbrication facilité la créativité. +L'improvisation dansée facilite la création du mouvement spontanée, sans planifier à l'avance aucun pas de danse ou chorégraphie. Les danseurs répondent à des contraintes, sans s’appuyer sur des schémas de mouvement prédéfinis. Selon leur niveau de lâcher-prise, ils peuvent chercher à créer des mouvements originaux ou à utiliser des mouvements familiers de manière unique. Dans notre contexte, un demi siècle après le début de la \gls{contact improvisation}, l'utilisation des outils numériques est une autre manière d'improviser, propre à la technicisation de nos sociétés. Cette improvisation représente une convergence entre le corps et la technologie, dont l'objectif est de faire émerger des gestes et mouvements qui sortent des motifs habituels des danseurs. Bien que les artistes ont utilisé des dispositifs numériques à partir des années 1960, ces pratiques étaient beaucoup plus expérimentales et exceptionnelles à l’époque. De nos jours, l’accès facile à ces technologies et le dynamisme de leurs avancées, encouragent chercheurs et artistes à comprendre comment leur utilisation transforme le mouvement. Les corps entrent dans un processus hybridation avec l'outil technique. Cette altérité est mise en avant comme ressort pour des nouvelles écritures du plateau où le corps devient un support technologique ou support \textit{pour la technologie}. Similaire à un jeu renouvelé, l'objectif n’est pas de savoir si les partenaires se ressemblent ou s’opposent, mais la façon dont leur imbrication facilité la créativité. Les codes culturels contemporains ont un impact sur le corps qui danse, notamment lorsqu'il s'agit d'une transcription gestuelle pour des interactions avec des agents non-humains. Lors d'une improvisation, les règles adaptatives de comportement sont influencées par l’expérience vécue et par les contraintes fixés en amont. Pendant un spectacle qui utilise des nouvelles technologies, la dialectique entre le corps expérientiel et le corps en état de \gls{représentation}, accueille un troisième facteur qui est celui de l’appareil technologique et son ubiquité. Il est important de comprendre les points de croisement entre ces trois dimensions avant de questionner leur impact sur la créativité. @@ -31,7 +31,7 @@ En prenant état de ces observations contradictoires, notre objectif principal e Dans ces expérimentations, nous employons un \textbf{modèle d'intelligence distribuée} en lien avec des principes de robotique cognitive. Cela s'approche d'une sorte d' \textit{Umwelt improvisé}\cite{penny2016improvisation} où des agents peuvent cohabiter le même espace (la scène) sans se connaître, puisque leurs \textit{umwelt} (c’est-à-dire leurs environnements sensoriels) ne se croisent pas. Cette cohabitation pourrait être suivie d'un état de co-création, à condition qu’un langage commun émerge entre ces entités humaines et artificielle. -Afin de comprendre la complexité du comportement du robot HRP-4, nous considérons des principes de la cognition incarnée\cite{ziemke2016body}, comme le modèle d’intelligence distribuée présenté dans la première partie. Cela peut être décrit par des caractéristiques en lien avec l’incarnation, l’agence, l’émergence et l'extension de la machine dans son environnement. Dans notre cas particulier, l’émergence peut concerner plus directement la créativité, au sens où un comportement nouveau et complexe du robot peut être un source d'inspiration pour des expérimentations en danse. Alors que l'agence, l'incarnation et l'extension se traduisent différemment pour des agents virtuels ou physiques. Les danseurs sont habitués à exprimer leur maîtrise de ces éléments sur scène, peu importe leur environnement. Les possibilités d’interaction que nous étudions renouvellent plusieurs expériences Human-to-Robot (H2R), sur scène. Dans cette recherche, nous nous intéressons davantage à un état d'inconfort ou d'adaptation à des comportements peu incontrôlés du robot. Certains artistes appellent cela des \textit{petits gestes incohérents}\cite{zaven2014effets}. En les mettant en avant, à la place des comportements précises et gestes maitrisés, les artistes recherchent un \textit{effet de présence}\cite{zaven2014effets} chez les robots. Sur scène, cet effet est déjà perçu chez les humains, reste à voir comment le convoquer chez les robots. +Afin de comprendre la complexité du comportement du robot HRP-4, nous considérons des principes de la cognition incarnée\cite{ziemke2016body}, comme le modèle d’intelligence distribuée présenté dans la première partie. Cela peut être décrit par des caractéristiques en lien avec l’incarnation, la capacité d'action (ou agentivité), l’émergence et l'extension de la machine dans son environnement. Dans notre cas particulier, l’émergence peut concerner plus directement la créativité, au sens où un comportement nouveau et complexe du robot peut être un source d'inspiration pour des expérimentations en danse. Alors que la capacité d'action, l'incarnation et l'extension se traduisent différemment pour des agents virtuels ou physiques. Les danseurs sont habitués à exprimer leur maîtrise de ces éléments sur scène, peu importe leur environnement. Les possibilités d’interaction que nous étudions renouvellent plusieurs expériences Human-to-Robot (H2R), sur scène. Dans cette recherche, nous nous intéressons davantage à un état d'inconfort ou d'adaptation à des comportements peu incontrôlés du robot. Certains artistes appellent cela des \textit{petits gestes incohérents}\cite{zaven2014effets}. En les mettant en avant, à la place des comportements précises et gestes maitrisés, les artistes recherchent un \textit{effet de présence}\cite{zaven2014effets} chez les robots. Sur scène, cet effet est déjà perçu chez les humains, reste à voir comment le convoquer chez les robots. Une fois acquises, ces gestes peuvent stimuler l’attention de l’interprète et maintenir un effet de surprise lors des improvisations. Leur rôle est de renforcer les points de croisement entre un corps expérientiel, un corps en état de représentation et un corps technologique, mentionnés plus haut. Les effets de cette hybridation impliquent également des considérations éthiques que nous allons décrire en fin de cette partie. @@ -64,7 +64,7 @@ Parmi les objectifs du projet, nous avons cherché à: \end{itemize} Pour ma propre recherche en danse, ce projet m'a donné l'opportunité de comprendre intuitivement l’impact que la dématérialisation des gestes peut avoir sur le corps d'un danseur, tout comme cet impact peut influer les autres médiums comme le son ou les images. J'ai pu également observer comment l’abstraction d'un geste modifie le comportement autonome d’un agent virtuel et l'inverse. -Lorsque les participants nous ont partagé leur incertitude quand au comportement attendu et à la synchronisation avec les outils numériques j'ai pu confirmer mes intuitions quant au rôle des dispositifs numériques dans la co-création. Ce moment flou, ou l'humain se sent abandonné devant l'opacité du dispositif technologique est devenu pour moi un vrai moment de lâcher prise, catalyseur d'une expérience créative. Vidée de ses attentes et projections quant au résultat, le participant ne se regarde plus faire mais intègre le dispositif en pleine conscience, avec toutes ses sens. L'outil se transforme ainsi en véhicule d'exploration, dont les possibilités d'expression sont infinies. +Lorsque les participants nous ont partagé leur incertitude quand au comportement attendu et à la synchronisation avec les outils numériques j'ai pu confirmer mes intuitions quant au rôle des dispositifs numériques dans la co-création. Ce moment flou, ou l'humain se sent abandonné devant l'opacité du dispositif technologique est devenu pour moi un vrai moment de lâcher-prise, catalyseur d'une expérience créative. Vidée de ses attentes et projections quant au résultat, le participant ne se regarde plus faire mais intègre le dispositif en pleine conscience, avec toutes ses sens. L'outil se transforme ainsi en véhicule d'exploration, dont les possibilités d'expression sont infinies. Dans le cas d'AVOID, selon le rythme et la vitesse du mouvement devant la webcam, le son a été plus fort, ou plus vite. Cela à confirmé l'importance des outils technologiques dans les processus de recherche-création. Persuadée que ce type d'état de pleine conscience à une composante synesthesique, j'ai poussée plus loin le lien entre son et geste. Les gestes ont fini ainsi se produire guidées par le son, dans l'intimité de chaque espace de représentation. Autre que moi et Isadora qui regardons la régie de la performance collective, chaque participant explorait son espace virtuel à son propre rythme. Des changements du son ou moments de silence ponctuait les transitions, encourageant une liberté d'expression pour chaque participant. Ainsi la fin était différente pour chacun d'entre eux, selon la dynamique d'exploration et les moments d'errance. Parfois des participants ont ignoré des instructions, ou manqué les observer, sans que cela soit contraignant pour notre processus. A titre personnel, cette opacité et manière de travailler est un moment privilégié loin des préoccupations pour un résultat visible. L'expérience subjective du spectateur, devenu performeur à l'intérieur de notre dispositif a été le vrai résultat de notre expérimentation. Cela a orienté mes recherches ultérieures sur la figure du robot et l'effet qu'il produit en tant que partenaire de scène. @@ -594,7 +594,7 @@ La place que le corps prends à l’intérieur de ce projet concerne sa des-iden Début 2023, après trois ans de travail individuel, j'ai eu l'occasion d'ouvrir ma pratique aux membres du collectif OpenSource. Crée en 2014, ce collectif propose un espace de rencontre, de réflexion et d’échange artistiques fondé sur la pratique de la mise en scène, dans une optique de mutualisation, de partage et de décloisonnement. Leur intérêt pour la recherche pratique en mise en scène, met en avant son caractère solitaire et individualiste. Cela faisait écho à ma recherche doctorale, puisque la recherche-création autour des robots m'a contraint a moins travailler en collectif ces derniers années. -J'ai ainsi proposé une séance de travail sur le lâcher prise, dans le cadre d'une session d’expérimentation à Anis Gras-le lieu de l'autre à Arcueil, du 16 au 20 janvier 2023. +J'ai ainsi proposé une séance de travail sur le lâcher-prise, dans le cadre d'une session d’expérimentation à Anis Gras-le lieu de l'autre à Arcueil, du 16 au 20 janvier 2023. Cette séance a été co-dirigé avec Erika Guillouzouic, comédienne et metteuse en scène, membre active du collectif. Son titre - \textit{Le lâcher-prise : Pensée du corps et intelligence sensorielle} - laisse deviner le postulat de départ de ce laboratoire collectif. Mon idée était de questionner la possibilité d'un restart au travers le corps, à l'intérieur d'un processus créatif intense et contraignant. Comme si je rêvais inconsciemment trouver une recette magique à mes propres tourments. @@ -605,13 +605,13 @@ Nous avons expérimenté des mouvements différentes de la danse contemporaine, En s'appuyant sur des repères dans des disciplines comme la philosophie, la robotique ou les neurosciences parmi d’autres, nous avons tenté définir ce que pourrait correspondre à une \gls{intelligence du mouvement} propre au corps et son vécu, dans un contexte artistique. Ainsi nous nous sommes concentrés sur ce qui échappe à notre quotidien, sur ce qui met l’intelligence analytique à l'arrêt pour faire place au spontané et à l’inattendu. En d'autre mots, nous avons cherché à laisser les corps s'exprimer. -En amont de la séance, nous avons demandé aux participants de nous faire parvenir un récit en lien avec une expérience de lâcher prise, sous la forme d’un enregistrement audio entre 3 et 10 minutes. Parmi les exemples réçues, il y avait la question du lâcher prise lors d’une représentation en tant qu’interprète, puis en tant que spectateur, mélangés avec des exemples de la vie privée. Nous avons mis en place des ressources collectives pour encourager le partage des sensibilités, des goûts et des expériences. Cela a pris la forme des repères bibliographiques, fichiers audio, supports vidéo et images. Les participants ont du réfléchir à une musique, une image ou un objet qui leur évoque le sentiment de lâcher-prise. Un coin détente et aussi une enceinte audio ont été mises à disposition pendant toute la session, pour que chacun puisse lancer un fichier sonore et interrompre le rythme des échanges, à tout moment. +En amont de la séance, nous avons demandé aux participants de nous faire parvenir un récit en lien avec une expérience de lâcher-prise, sous la forme d’un enregistrement audio entre 3 et 10 minutes. Parmi les exemples reçues, il y avait la question d'abandon lors d’une représentation en tant qu’interprète, puis en tant que spectateur, mélangés avec des exemples de la vie privée. Nous avons mis en place des ressources collectives pour encourager le partage des sensibilités, des goûts et des expériences. Cela a pris la forme des repères bibliographiques, fichiers audio, supports vidéo et images. Les participants ont du réfléchir à une musique, une image ou un objet qui leur évoque le sentiment de lâcher-prise. Un coin détente et aussi une enceinte audio ont été mises à disposition pendant toute la session, pour que chacun puisse lancer un fichier sonore et interrompre le rythme des échanges, à tout moment. Afin d’encourager les débats et les échanges sur les disciplines transversales, j'ai mis à disposition une liste des articles scientifiques. Bien que parfois leur contenu était trop ciblé ou spécifique, cela a inspiré notre processus de travail. Selon les échos et les discussions, cette liste s'est étouffé avec des extraits des livres, vidéos et articles partagés collectivement. -Plus bas une liste de questions soulevées pendant la session, ainsi que des réflexions et observations quant à l'idée de lâcher prise: +Plus bas une liste de questions soulevées pendant la session, ainsi que des réflexions et observations quant à l'idée de d'abandon de soi: \begin{itemize} \item Lâcher-prise, ce ne serait pas de l’ordre de l’abandon ? @@ -642,8 +642,8 @@ Plus bas une liste de questions soulevées pendant la session, ainsi que des ré \end{itemize} Le fait de traiter ces thèmes collectivement, d'ouvrir sa boite aux outils et sa méthodologie quant aux défis et objectifs, implique une mise en commun des ressources, des objectifs et des envies. -Concernant le lâcher prise, si le thème m'intéresse depuis longtemps, la pratique de la danse a été un des premiers moyens pour y accéder. Avec le temps, j’ai combiné et adapté certains exercices et échauffements afin de ``faire baisser ma résistance” ou enlever mes éventuels attentes orientés résultat. Par le biais de cette session de recherche, j’ai pensé les partager avec d'autres personnes pour avoir un retour d’expérience. Parmi les membres du collectif, très peu ont une expérience avancée en dance. Il y a eu certains qui ont avoué n'aimer pas du tout cette pratique, ou pas se sentir à l'aise danser en publique. Aborder le lâcher prise par la danse leur est paru contre-intuitif au premier abord. -Mon défi a été de voir s’il y a, en danse, une façon de convoquer le lâcher prise de façon directe, puis retrouver une dimension somatique dedans, indépendamment du rapport à la danse des participants. Alors que les processus Open Source sont collaboratives, le cadre proposé initialement s'est beaucoup élargi au fil et à mesure que nous avons avancé dans l'exploration. +Concernant ce sentiment d'abandon de soi ou de lâcher-prise, si le thème m'intéresse depuis longtemps, la pratique de la danse a été un des premiers moyens pour y accéder. Avec le temps, j’ai combiné et adapté certains exercices et échauffements afin de ``faire baisser ma résistance” ou enlever mes éventuels attentes orientés résultat. Par le biais de cette session de recherche, j’ai pensé les partager avec d'autres personnes pour avoir un retour d’expérience. Parmi les membres du collectif, très peu ont une expérience avancée en dance. Il y a eu certains qui ont avoué n'aimer pas du tout cette pratique, ou pas se sentir à l'aise danser en publique. Aborder le lâcher-prise par la danse leur est paru contre-intuitif au premier abord. +Mon défi a été de voir s’il y a, en danse, une façon de convoquer un abandon de soi de façon directe, puis retrouver une dimension somatique dedans, indépendamment du rapport à la danse des participants. Alors que les processus Open Source sont collaboratives, le cadre proposé initialement s'est beaucoup élargi au fil et à mesure que nous avons avancé dans l'exploration. \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/lp_3} @@ -656,7 +656,7 @@ Les quatre dernières années j’ai peu travaillé collectivement en dehors de J’avais préparé un planning et imaginé des portes d'entrée selon les niveaux d’intérêt de chacun. Cela s'est fait en lien avec mes recherches scientifiques sur l'\gls{intelligence sensorielle}. J'ai même pris quelques unes de mes hypothèses de recherche concernant les robots comme exemple. Comme souvent dans ce groupe de travail, une synergie collective s’est installée et je me suis retrouvée à devoir littéralement ``lâcher” certains objectifs initiaux et surtout accueillir des besoins nouveaux, autres que ceux anticipés par moi. Notamment la question du lâcher-prise collectif et la question du groupe qui s'auto-organise par inertie. -Dès lundi, les quelques définitions du mot lâcher-prise, puis les extraits sonores avec les expériences de chacun m’ont confirmé que cela sera une exploration propre à l’énergie de chacun des participants. Un processus hétérogène entre les initiés à la danse, les curieux et les paniqués, entre regard critique et auto-dérision. Le retour méfiant quant aux rapprochements entre la technologie et l'\gls{intelligence sensorielle} que vous pouvez lire \textbf{dans les annexes de ce travail de thèse}, m’ont fait comprendre que le groupe trouvera son cheminement et moi mon apprentissage avec, comme une sorte de ``méta” lâcher-prise à l’intérieur d’un processus de recherche sur le lâcher prise. +Dès lundi, les quelques définitions du mot lâcher-prise, puis les extraits sonores avec les expériences de chacun m’ont confirmé que cela sera une exploration propre à l’énergie de chacun des participants. Un processus hétérogène entre les initiés à la danse, les curieux et les paniqués, entre regard critique et auto-dérision. Le retour méfiant quant aux rapprochements entre la technologie et l'\gls{intelligence sensorielle} que vous pouvez lire \textbf{dans les annexes de ce travail de thèse}, m’ont fait comprendre que le groupe trouvera son cheminement et moi mon apprentissage avec, comme une sorte de ``méta” lâcher-prise à l’intérieur d’un processus de recherche collaboratif. Mercredi, le troisième jour de travail lors d’un moment d’échange collectif, certains participants ont voulu mettre de côté la question du corps, comme un sorte de rébellion quant au dictat de la sensorialité. Ils prônait un retour aux textes, à la pensée critique, loin du vécu expérientiel. J'ai interprété cette réaction comme une sorte de panique quant à la perte de repères que ce type de travail peut provoquer. Comme si quelque part, ils aimeraient toucher de la terre, du solide après s'avoir laissés porté par les courants. Retrouver leur repères. J'ai pensé que mon travail en tant que co-directrice de la session était d'aider le groupe clarifier son cheminement, le guider sans le diriger. Comme je l'avais fait plusieurs fois pour mes projets de théâtre...une metteuse en scène finalement. J'étais donc prête à abandonner. A ma surprise, des autres participants ont proposé faire juste une pause pour y revenir vendredi en fin de séance. Signe que notre travail préoccupait bien les esprits, nous avons eu un débat sur ce que c’est une \gls{intelligence sensorielle} dans le train de retour d'Anis Gras. Un de membres du collectif me rappelle que les objectifs de la session ne sont pas forcément ceux d’une recherche académique, qu'il faut accepter la nouvelle direction que la session puisse prendre. Cette idée de proposer un cadre puis le laisser se transformer collectivement m'était claire en début de session. Cependant je n'arrivais pas à trouver les arguments pour exprimer mon ressenti émotionnel. Pour moi, ce moment de remise en question faisait partie du processus. Il devenait tout aussi important de repréciser le cadre et ses permutations que de se mettre d'accord sur ce que peut provoquer une \gls{intelligence sensorielle} se manifester. Savoir reconnaitre ``ses symptômes”. Le lendemain, suite à une greve RER nous avons travaillé chez un des participants. Nous avons décidé faire une improvisation collective in situ. Nous avions visité la Gare du Nord en tant que touristes en repérant bien l’environnent sensoriel de ce lieu - les odeurs, les images, les son et la texture de choses. @@ -672,8 +672,8 @@ Cela a déplacé les limites du jeu ailleurs, encore une fois. J’ai eu plusieu ``Il y a quelque chose de jubilatoire dans le fou rire, lorsqu’il est honnête. Comme une relâche, probablement la respiration, le sommeil ont beaucoup à voir avec le lâcher-prise. Cependant j’entend par intelligence quelque chose d’adaptatif, qui se met en œuvre pour faire émerger du nouveau. Comme voir quelque chose qu’on a déjà vu, mais sentir qu’on le voit différemment.” \end{quote} -Puisque le terme de lâcher-prise a été très présent dés le début de la session, il nous a fallu du temps pour comprendre comment evaquer les attentes envers une possible définition universelle de ce terme. Pour certains participants la question du corps et de l'\gls{intelligence sensorielle} a été vécue en lisière de cette question du lâcher prise, parfois sans une prise de conscience directe. Cependant la question de la robotique et même plus large celle du numérique à effleuré à peine l'esprit des membres du collectif. Alors que cela fait partie des problématiques sociétales où chacun donne un avis et s'y intéresse (d'autant plus mes collègues d'Open Source). Avec le temps, j'ai compris pourquoi cela s'est produit. Si pour moi le lien entre la robotique et le corps ou la sensorialité est évident, pour certains cela peut paraître tiré par les cheveux justement parce qu'un robot est l'opposé d'un corps vivant, sensoriel. -Parmi les retours d’expérience, le danseur et chorégraphe Gerry Quévreux évoquait l'exercice de sieste volontaire pratiqué ensemble, pour témoigner de la rapidité avec laquelle son esprit s'est remis en marche après: ``je parvenais à raccrocher les wagons ensuite, à me relier d’une manière à ce qui s’est joué sans moi pendant un moment.” Curieusement il reliait cela à un autre exercice pratique, celui d'écriture automatique que j'avais proposé le premier jour d'exploration et qui est devenu ensuite un sorte d'exercice préféré du groupe: ``la pratique de l’écriture spontanée a été une vraie retrouvaille et je décèle là-dedans quelque chose qui me fait toucher un lâcher prise créatif. Je veille moins au sens, il y a la présence du rythme, la scansion.” Je déduis de son témoignage à quel point la créativité est dissocié de l'exactitude et de la précision. Alors que les robots sont justement conçus pour cela - être précis et exacts dans leurs actions. Probablement si nous aurions cherché plus les antonymes de l'état de lâcher prise, nous aurions tombé d'accord que le mot ``concentration” en fait partie. Tout en ne faisant pas partie proprement. Puisque dans un autre témoignage Gerry parle d'état modifié de conscience pour illustrer le lâcher-prise. Alors peut-être un autre type de concentration? +Puisque le terme de lâcher-prise a été très présent dés le début de la session, il nous a fallu du temps pour comprendre comment evaquer les attentes envers une possible définition universelle de ce terme. Pour certains participants la question du corps et de l'\gls{intelligence sensorielle} a été vécue en lisière de cette question du lâcher-prise, parfois sans une prise de conscience directe. Cependant la question de la robotique et même plus large celle du numérique à effleuré à peine l'esprit des membres du collectif. Alors que cela fait partie des problématiques sociétales où chacun donne un avis et s'y intéresse (d'autant plus mes collègues d'Open Source). Avec le temps, j'ai compris pourquoi cela s'est produit. Si pour moi le lien entre la robotique et le corps ou la sensorialité est évident, pour certains cela peut paraître tiré par les cheveux justement parce qu'un robot est l'opposé d'un corps vivant, sensoriel. +Parmi les retours d’expérience, le danseur et chorégraphe Gerry Quévreux évoquait l'exercice de sieste volontaire pratiqué ensemble, pour témoigner de la rapidité avec laquelle son esprit s'est remis en marche après: ``je parvenais à raccrocher les wagons ensuite, à me relier d’une manière à ce qui s’est joué sans moi pendant un moment.” Curieusement il reliait cela à un autre exercice pratique, celui d'écriture automatique que j'avais proposé le premier jour d'exploration et qui est devenu ensuite un sorte d'exercice préféré du groupe: ``la pratique de l’écriture spontanée a été une vraie retrouvaille et je décèle là-dedans quelque chose qui me fait toucher un lâcher prise créatif. Je veille moins au sens, il y a la présence du rythme, la scansion.” Je déduis de son témoignage à quel point la créativité est dissocié de l'exactitude et de la précision. Alors que les robots sont justement conçus pour cela - être précis et exacts dans leurs actions. Probablement si nous aurions cherché plus les antonymes de l'état de lâcher-prise, nous aurions tombé d'accord que le mot ``concentration” en fait partie. Tout en ne faisant pas partie proprement. Puisque dans un autre témoignage Gerry parle d'état modifié de conscience pour illustrer le lâcher-prise. Alors peut-être un autre type de concentration? \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/lp_1} @@ -684,14 +684,14 @@ Parmi les retours d’expérience, le danseur et chorégraphe Gerry Quévreux é \end{figure} Cela rejoint l’intervention du chercheur en musique et science cognitives Luc Pererra que j'avais invité pour nous parler de son travail sur le rythme. Selon lui, le rythme structure la connaissance: ``même inconscient le cerveau peut enregistrer des choses, par le rythme, de manière rythmique. Le fœtus fait ça dès 4 mois.” L'intervention de Luc, ainsi que les extraits musicaux qu'ils a partagé ont beaucoup éveillé notre sensibilité. Au tel point que cela risque de devenir le souvenir le plus marquant de notre semaine de travail. Presque tous, nous gardons aujourd'hui un souvenir précieux de la voix de la chanteuse indienne Nina Burmi dont le chant, indéchiffrable au niveau de paroles, à résonné en nous à un autre niveau d'entente\footnote{https://www.youtube.com/watch?v=kfBvz2rG-NI}. -Cette expérience collective d'adhésion à une musique inconnue a été pour moi, une belle preuve de notre synergie en tant que groupe. Je n'ai pas les arguments pour analyser cela d'un point de vue neuro-scientifique, mais probablement quelque chose du caractère imprévu de cette proposition, sa fréquence sonore et son rythmique a su induire en nous, au moment de l'écoute, un état de concentration et d'éveil sensoriel. Pendant ce moment nous nous sommes sortis de notre cadre de recherche et probablement vécu un véritable lâcher prise collectif. Est-cela a cause du caractère imprévu de la situation? Est-cela plutôt du au niveau d'investissement de la performeuse dans son chant? Ou plutôt à cause de la fréquence du chant? +Cette expérience collective d'adhésion à une musique inconnue a été pour moi, une belle preuve de notre synergie en tant que groupe. Je n'ai pas les arguments pour analyser cela d'un point de vue neuro-scientifique, mais probablement quelque chose du caractère imprévu de cette proposition, sa fréquence sonore et son rythmique a su induire en nous, au moment de l'écoute, un état de concentration et d'éveil sensoriel. Pendant ce moment nous nous sommes sortis de notre cadre de recherche et probablement vécu un véritable lâcher-prise collectif. Est-cela a cause du caractère imprévu de la situation? Est-cela plutôt du au niveau d'investissement de la performeuse dans son chant? Ou plutôt à cause de la fréquence du chant? Ces questions ont continué nourrir ma recherche bien après la session Open Source. \smallskip -Au moment de ces observations rétrospectives, je ne peux pas m’empêcher de considérer le témoignage des deux autres participants à la session. Pour des raisons éthiques et personelles, je préfère garder leur anonymat. Le hasard à fait que deux metteurs en scène avec de maladies impliquant des sérieux problèmes locomoteurs et neurologiques, ont exprimé leur intérêt pour la session. Un d'entre eux est un ami, âgé d'une soixantaine d'années qui suite à une maladie auto-immune s'est retrouvé en incapacité motrice pendant une période de temps. Depuis il a retrouvé une certaine mobilité mais reste dépendant de son traitement. L'autre a la trentaine, mais en proie d'une maladie neurodégénérative sérieuse avec des soins hospitaliers récurrents. Il m'avait fait part, lors de nos échanges par Whatsapp, des expériences de réveil de coma, puis de sa vie actuelle avec une dilatabilité qui conditionne son travail lourdement. Les deux ont intégré la session de façon ponctuelle. L'un d'entre eux n'a pas pu être finalement présent qu'en distanciel, tandis que l'autre a participé à une de nos expérimentations collectives. Leur attitude envers le travail, leur contribution et engagement (même à distance) m'ont beaucoup touché. Les mots ``somatique” et ``thérapie” ont eu tout d'un coup une autre portée pour moi. Malgré son dis-confort physique, mon ami s'est coordonné admirablement, comme si rien n'était. Il était là, actif et tonique, engagé avec son travail corporel, à l'écoute de ses partenaires. Il avait envie d'essayer, de se mettre en jeu collectivement. De ``jouer” au sens que les enfants donnent à ce terme. Tout comme les autres participants avait envie qu'il soit là, que nous explorons ensemble nos différences dans un état d’ingénuité et nativité. A un moment donné, quelqu'un a donné la consigné d'oublier une partie de son corps. J'ai pensé à lui, à nos échanges auparavant et au fait qu'il y a quelques années c'était son corps qui a oublié de répondre, comme si une partie de lui s'est mise en veille volontairement. Je l'ai regardé et vu qu'il était ailleurs, à l'écoute de son exploration sensorielle. Je me suis sentie l'observer pendant que nous nous deplaceons dans l'espace et j'ai senti que c'était moi celle qui n'était pas là. Il était dedans. Dedans lui-même si je puisse le dire. Je ne sais pas si ce type d'encontre que nous faisons avec nous-même est quelque chose dont nous nous apercevrons lorsque cela se produit. Probablement que non. Cependant cet état, j'ose dire ``de grâce” devient moteur de l'énergie dont nous disposons pour toutes nos actions qui le précédent. Probablement, la fréquence avec laquelle nous pouvons faire cet aller-retour de reconnexion avec nous-mêmes, détermine notre tonus ou degré de fatigue. Les plus lointaines ces moments de reconnexion, le plus fatigués nous devenons. Comme si en puissant au plus profonde for de nous-mêmes, nous activons une énergie propre sous-jacente. Je me rends compte que cette façon de parler, d'évoquer des observations, des impressions perceptives peut s’apprêter à un registre ambigu, proche de la ``thérapie”. Le jour d'avant alors qu'il n'était pas là, nous avons lu le premier chapitre du livre de Peter Levine\cite{levine2010unspoken} où il évoque son accident de voiture et la perte de contrôle de son propre corps. J'avais découvert ce livre alors que je cherchais à comprendre d'où vient mon intérêt pour les tremblements. Je vais repréciser cela dans un autre chapitre, alors que je décrirai plus en détail ma recherche en danse. Le travail de Levine faisait partie des ressources de l'atelier sur le lâcher prise, bien avant que je connaisse la volonté de participer à la séance de mon ami. +Au moment de ces observations rétrospectives, je ne peux pas m’empêcher de considérer le témoignage des deux autres participants à la session. Pour des raisons éthiques et personelles, je préfère garder leur anonymat. Le hasard à fait que deux metteurs en scène avec de maladies impliquant des sérieux problèmes locomoteurs et neurologiques, ont exprimé leur intérêt pour la session. Un d'entre eux est un ami, âgé d'une soixantaine d'années qui suite à une maladie auto-immune s'est retrouvé en incapacité motrice pendant une période de temps. Depuis il a retrouvé une certaine mobilité mais reste dépendant de son traitement. L'autre a la trentaine, mais en proie d'une maladie neurodégénérative sérieuse avec des soins hospitaliers récurrents. Il m'avait fait part, lors de nos échanges par Whatsapp, des expériences de réveil de coma, puis de sa vie actuelle avec une dilatabilité qui conditionne son travail lourdement. Les deux ont intégré la session de façon ponctuelle. L'un d'entre eux n'a pas pu être finalement présent qu'en distanciel, tandis que l'autre a participé à une de nos expérimentations collectives. Leur attitude envers le travail, leur contribution et engagement (même à distance) m'ont beaucoup touché. Les mots ``somatique” et ``thérapie” ont eu tout d'un coup une autre portée pour moi. Malgré son dis-confort physique, mon ami s'est coordonné admirablement, comme si rien n'était. Il était là, actif et tonique, engagé avec son travail corporel, à l'écoute de ses partenaires. Il avait envie d'essayer, de se mettre en jeu collectivement. De ``jouer” au sens que les enfants donnent à ce terme. Tout comme les autres participants avait envie qu'il soit là, que nous explorons ensemble nos différences dans un état d’ingénuité et nativité. A un moment donné, quelqu'un a donné la consigné d'oublier une partie de son corps. J'ai pensé à lui, à nos échanges auparavant et au fait qu'il y a quelques années c'était son corps qui a oublié de répondre, comme si une partie de lui s'est mise en veille volontairement. Je l'ai regardé et vu qu'il était ailleurs, à l'écoute de son exploration sensorielle. Je me suis sentie l'observer pendant que nous nous deplaceons dans l'espace et j'ai senti que c'était moi celle qui n'était pas là. Il était dedans. Dedans lui-même si je puisse le dire. Je ne sais pas si ce type d'encontre que nous faisons avec nous-même est quelque chose dont nous nous apercevrons lorsque cela se produit. Probablement que non. Cependant cet état, j'ose dire ``de grâce” devient moteur de l'énergie dont nous disposons pour toutes nos actions qui le précédent. Probablement, la fréquence avec laquelle nous pouvons faire cet aller-retour de reconnexion avec nous-mêmes, détermine notre tonus ou degré de fatigue. Les plus lointaines ces moments de reconnexion, le plus fatigués nous devenons. Comme si en puissant au plus profonde for de nous-mêmes, nous activons une énergie propre sous-jacente. Je me rends compte que cette façon de parler, d'évoquer des observations, des impressions perceptives peut s’apprêter à un registre ambigu, proche de la ``thérapie”. Le jour d'avant alors qu'il n'était pas là, nous avons lu le premier chapitre du livre de Peter Levine\cite{levine2010unspoken} où il évoque son accident de voiture et la perte de contrôle de son propre corps. J'avais découvert ce livre alors que je cherchais à comprendre d'où vient mon intérêt pour les tremblements. Je vais repréciser cela dans un autre chapitre, alors que je décrirai plus en détail ma recherche en danse. Le travail de Levine faisait partie des ressources de l'atelier sur le lâcher-prise, bien avant que je connaisse la volonté de participer à la séance de mon ami. \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/lp_2} - \caption{Brainstorming pour mieux définir le concept de lâcher prise.} + \caption{Brainstorming pour mieux définir le concept de lâcher-prise.} \label{fig:lp2} \end{figure} @@ -705,7 +705,7 @@ to what the world is made of. Such is the great virtue of this definition: there \cite{latour2004talk} \end{quote} -Alors je souligne ici l'importance de cette perspective du corps-interface que Bruno Latour a su anticiper bien avant les avancements du numérique. Comprendre par quoi nous sommes agis, avec quoi nous sommes en lien, nous aide à mieux nous connaitre. Comme Anna Halprin l’évoque mieux que moi, ce type d'introspection est individuelle et a beaucoup plus à voir avec des chemins de vie et des personnalités qu'avec de thérapies. En d'autre mots, l'art peut etre une thérapie pour soi-même, mais elle ne peut pas faire du prosélytisme pour une solution universelle. Peut-etre que cela se réduit à ce que le metteur en scène Mathieu Hout a partagé avec nous à la fin d'une journée d'exploration. Pour lui le fait de s'appliquer et d’être honnête dans cette recherche collective est ce qui compte le plus, au delà des résultats de la session. En cherchant ce qui peut-être un lâcher prise collectif, il nous partage ses notes de la journée, parmi lesquelles figurent ces mots: ``Je suis avec toi. Peut-être qu’il ne s’agit que de ça. Être avec.” +Alors je souligne ici l'importance de cette perspective du corps-interface que Bruno Latour a su anticiper bien avant les avancements du numérique. Comprendre par quoi nous sommes agis, avec quoi nous sommes en lien, nous aide à mieux nous connaitre. Comme Anna Halprin l’évoque mieux que moi, ce type d'introspection est individuelle et a beaucoup plus à voir avec des chemins de vie et des personnalités qu'avec de thérapies. En d'autre mots, l'art peut etre une thérapie pour soi-même, mais elle ne peut pas faire du prosélytisme pour une solution universelle. Peut-etre que cela se réduit à ce que le metteur en scène Mathieu Hout a partagé avec nous à la fin d'une journée d'exploration. Pour lui le fait de s'appliquer et d’être honnête dans cette recherche collective est ce qui compte le plus, au delà des résultats de la session. En cherchant ce qui peut-être un lâcher-prise collectif, il nous partage ses notes de la journée, parmi lesquelles figurent ces mots: ``Je suis avec toi. Peut-être qu’il ne s’agit que de ça. Être avec.” J'aimerais revenir à l'impact que cette session d’expérimentation a eu sur mon propre laboratoire de recherche-création, en quatriéme année de thèse. Cela m'a aidé à comprendre que le cheminement n'est jamais fini, qu'il s'agit d'un travail qui s'affine au fur et à mesure que j'avance. J'ai pu également confirmer mes motivations, mieux accepter mes doutes quant aux risques d'une appropriation thérapeutique de ma démarche en danse. Puisqu'il s'agit des notions vagues, j'ai mis cette fois à l'écart les robots, pour mieux comprendre comment travailler cela entre humains. J'ai cultivé une sorte d'écoute polymorphe, en pensant toujours que cela m'aidera à mieux comprendre les robots. Puis l'écart entre le mode de penser des metteurs en scène, comparatif à celui des roboticiens fait encore ressentir ses ondes de choc. D'autant plus que pour moi quand le corps est en veille, loin du plateau c'est compliqué de s'écouter, de se comprendre entre humains. Intégrer une pluralité de points de vue, des interrogations et des critiques m'a fait du bien, car cela m'a rappelé que l'art est l'endroit qui peut intégrer toutes ces différences. Cela m'a également aidé à mieux structurer les cadres conceptuels et méthodologiques de ma recherche quant à la danse et à la robotique. Les mots d'Erika m'accompagnent encore, bien après que cette séance de travail s'est achevée: @@ -1045,7 +1045,7 @@ Il s’agit d’attribuer des états cognitifs ou émotionnels à quelque chose \begin{quote} ``les humains attribuent, souvent sans le savoir, des traits de personnalité aux machines en fonction non seulement de leur apparence extérieure, mais aussi de leur fonctionnement et de leurs compétences.” \end{quote} -Nous faisons ici référence à l’anthropomorphisme dans une perspective humaniste plus large, en tant que propriété d’un système autonome qui permet d’attribuer des caractéristiques et des intentions humaines à des entités non humaines comme les robots. Récemment, la littérature a intégré une interprétation proposée par le philosophe français Bruno Latour - où le sens de l'anthropomorphisme est défini par \textit{ce qui a une forme humaine} et \textit{ce qui donne forme aux humains} \cite{stojnic2015digital} - encourageant les chercheurs à envisager l'anthropomorphisme numérique comme concept qui intègre les deux points de vue. En utilisant ces bases, nous explorons des notions clés comme l'agence\cite{jochum2017computation} et l'autonomie\cite{bisig2022generative, jochum2013deus} pour notre cas particulier de danse avec des robots, afin de mieux souligner le lien de ces notions avec l'anthropomorphisme numérique dans l'établissement d'une société humaine durable. interaction avec le robot (HRI). +Nous faisons ici référence à l’anthropomorphisme dans une perspective humaniste plus large, en tant que propriété d’un système autonome qui permet d’attribuer des caractéristiques et des intentions humaines à des entités non humaines comme les robots. Récemment, la littérature a intégré une interprétation proposée par le philosophe français Bruno Latour - où le sens de l'anthropomorphisme est défini par \textit{ce qui a une forme humaine} et \textit{ce qui donne forme aux humains} \cite{stojnic2015digital} - encourageant les chercheurs à envisager l'anthropomorphisme numérique comme concept qui intègre les deux points de vue. En utilisant ces bases, nous explorons des notions clés comme l'agentivité\cite{jochum2017computation} et l'autonomie\cite{bisig2022generative, jochum2013deus} pour notre cas particulier de danse avec des robots, afin de mieux souligner le lien de ces notions avec l'anthropomorphisme numérique dans l'établissement d'une société humaine durable. interaction avec le robot (HRI). Dernièrement, la robotique a amélioré ces perspectives, en développant des artefacts qui remettent en question l'idée d'humanité\cite{romic2021ijsr}. Nous nous appuyons sur les chercheurs\cite{breazeal2004social, breazeal2005robot} pour définir la place que les robots peuvent occuper dans notre étude, en les considérant comme des outils (aider l'humain à accomplir une tâche - dans notre cas développer une chorégraphie), comme des avatars (puisque le robot s'engage dans une certaine présence sociale avec d'autres personnes - dans notre cas les spectateurs d'un spectacle de danse) et surtout en tant que partenaires (établir un processus de co-working avec un collaborateur - dans notre cas co-créer un spectacle de danse). De\cite{duffy2003anthropomorphism} nous remarquons qu'un robot social \textit{peut être perçu comme l'interface entre l'homme et la technologie}. C’est l’utilisation de fonctionnalités socialement acceptables dans un système robotique qui contribue à briser la barrière entre l’espace d’information numérique et les personnes. Alors que la conception des robots devient modulaire\cite{siedel2011concept} et que les extensions corporelles inspirent des performances artistiques qui remettent en question les capacités humaines\cite{jochum2018becoming}, une étude anthropologique\cite{vidal2007anthropomorphism} compare l'HRI au type de connexion exprimée dans les rituels religieux antérieurs entre dieux et humains - soulignant l'influence que les robots pourraient avoir sur nous dans un avenir proche. Alors que nous évoluons actuellement vers une ère technologisée post-humaniste, où les humains étendent leurs capacités à l’aide d’exosquelettes et de divers appareils connectés, la définition du corps humain et la façon dont il interagit avec son environnement change en conséquence. Notre étude s'intéresse à la manière dont ces paradigmes affectent notre créativité et leur impact sur les pratiques sociales collaboratives comme la danse. \cite{villard2016propos} évoque l'analogie étymologique entre la danse (de l'indo européen dix, racine de tension) et les émotions (du latin émovere : ou mise en mouvement). Dans notre quête d’une interactivité significative entre performeurs et robots, nous analysons l’impact de ces projections anthropologiques sur la danse. Dans les pages suivantes, nous décrivons comment nous créons notre séquence de mouvements en discutant de nos hypothèses de travail et de notre méthodologie et en expliquant nos phases de travail menant au concept d'hybridation humain-robot (H2R). Nous adaptons et testons ensuite la séquence sur plusieurs interprètes humains. Nous discutons ensuite des résultats et des perspectives de cette expérimentation et de ses implications dans les pratiques de danse actuelles. @@ -1108,7 +1108,7 @@ Les ingénieurs peuvent facilement pré-programmer des intentions liées à des Lors de la conception de notre première séquence de danse avec HRP-4, nous avons dû prendre en compte différentes contraintes : la manière dont le robot stabilise son centre de masse, son autonomie en position debout et le mécanisme de sécurité qui lui permet de se déplacer. Ces contraintes nous ont fait envisager dans un premier temps une interaction dansée assise. Nous avons choisi de travailler sur les postures de dirigeants politiques célèbres. Le fait qu'ils étaient assis, en train de réfléchir, mais que par leur raisonnement ils ont influencé le résultat de notre vie quotidienne, a transformé la figure du robot en une figure totémique habitée par des gestes de pouvoir. La séquence de danse a été transposée dans le \gls{digital twin} du HRP-4, sur scène lors du projet \textit{Le mythe de l'Immorta}. -Dans une instanciation différente de ce projet, l’interprète a interagi en temps réel avec les deux systèmes autonomes de la performance – en utilisant la même séquence de danse avec l’environnement virtuel de la performance E.V.E. (non anthropomorphe) ainsi que le HRP-4 virtuel (anthropomorphe). Le résultat de cette expérience nous a montré comment les mouvements répétitifs de HRP-4 génèrent un sentiment d’oppression et de limitation chez l’interprète, déclenchant le besoin de se réfugier dans des divers mouvements similaires aux réponses kinesthésiques mentionnées précédemment. A l'opposé, la réactivité d'E.V.E. lui a permis facilement d'oublier la séquence initiale et construire une rythmique sur place. Les deux systèmes ont été identifiés comme partenaires de scène par l'interprète, le robot évoquant un sentiment d'absence ou un phénomène de \gls{ghost in the machine}\footnote{https://www.imdb.com/title/tt0113568/}. Une fois ces observations ressorties de notre cadre de recherche initial, nous avons ressenti le besoin de les confronter à un contexte plus large. +Dans une instanciation différente de ce projet, l’interprète a interagi en temps réel avec les deux systèmes autonomes de la performance – en utilisant la même séquence de danse avec l’environnement virtuel de la performance E.V.E. (non anthropomorphe) ainsi que le HRP-4 virtuel (anthropomorphe). Le résultat de cette expérience nous a montré comment les mouvements répétitifs de HRP-4 génèrent un sentiment d’oppression et de limitation chez l’interprète, déclenchant le besoin de se réfugier dans des divers mouvements similaires aux réponses kinesthésiques mentionnées précédemment. À l'opposé, la réactivité d'E.V.E. lui a permis facilement d'oublier la séquence initiale et construire une rythmique sur place. Les deux systèmes ont été identifiés comme partenaires de scène par l'interprète, le robot évoquant un sentiment d'absence ou un phénomène de \gls{ghost in the machine}\footnote{https://www.imdb.com/title/tt0113568/}. Une fois ces observations ressorties de notre cadre de recherche initial, nous avons ressenti le besoin de les confronter à un contexte plus large. \begin{figure} \centering @@ -1133,7 +1133,7 @@ La suite de notre expérimentation est une étude de cas proposée à 25 étudia \label{fig:isealearningmercy} \end{figure} -Dans\cite{jochum2017computation, duffy2003anthropomorphism}, les chercheurs relient la notion d'agence à la question de l'anthropomorphisme, citant la théorie de D.C. Dennett\cite{dennett1993consciousness} sur les \textit{systèmes intentionnels}. Dans les contextes artistiques, outre le comportement cinétique de l’objet, un autre facteur d’influence est la stratégie du spectateur pour comprendre et prédire le comportement de l’objet performant. Nous avons donc souhaité ouvrir notre démarche de recherche-création à des acteurs extérieurs, en organisant une expérimentation pratique avec des étudiants en danse. +Dans\cite{jochum2017computation, duffy2003anthropomorphism}, les chercheurs relient la notion d'agentivité à la question de l'anthropomorphisme, citant la théorie de D.C. Dennett\cite{dennett1993consciousness} sur les \textit{systèmes intentionnels}. Dans les contextes artistiques, outre le comportement cinétique de l’objet, un autre facteur d’influence est la stratégie du spectateur pour comprendre et prédire le comportement de l’objet performant. Nous avons donc souhaité ouvrir notre démarche de recherche-création à des acteurs extérieurs, en organisant une expérimentation pratique avec des étudiants en danse. Parmi les questions auxquelles devaient répondre les participants à notre étude, certaines concernaient le processus d’apprentissage par imitation du mouvement. La plupart des participants n'ont trouvé aucune différence significative dans la manière dont le robot (56\%) présentait le mouvement, par rapport à l'humain (76\%). Cependant, la plupart des participants étaient fortement d'accord sur le fait qu'il était plus facile de suivre les mouvements du robot humanoïde (64\%), par rapport au bras industriel (8\%). Concernant la qualité du mouvement, la plupart des participants pensaient que le robot humanoïde (44\%) et le bras robotique (44\%) avaient des mouvements intentionnels. Alors que 56\% estiment qu'il leur a été facile de détecter les \textit{mouvements parasites} de la séquence. Une légère différence a été observée lorsqu'on a demandé aux participants s'ils pouvaient distinguer les mouvements intentionnels des mouvements non intentionnels, 28\% des participants étant d'accord et 24\% tout à fait d'accord que c'était facile. Une partie importante des participants ne savait pas (36\%) si les robots sont des créatures étranges, 24\% étant tout à fait d'accord avec le fait qu'ils le soient et 20\% étant d'une manière ou d'une autre d'accord qu'ils ne le soient pas. Même répartition en considérant si les robots ont ou non une conscience, avec 28\% en quelque sorte en désaccord et 24\% en quelque sorte d'accord. Quant à l'interactivité créative, la majorité des participants (68\%) ont ressenti le besoin d'ajouter d'autres mouvements, une fois la séquence devenue répétitive. Aucun d'entre eux n'a convenu qu'ils appliquaient habituellement les mouvements appris lorsqu'ils dansaient, tandis que très peu d'entre eux ont convenu que les mouvements étaient naturels pour le robot HRP-4 (8\%) et le robot Franka (16\%). Il est intéressant de noter que pour le robot Franka, 4\% des participants étaient tout à fait d'accord que ses mouvements étaient naturels, alors qu'aucun pour le robot humanoïde. Concernant les émotions, seulement 12\% des participants étaient d'accord que le robot HRP-4 communiquait leurs émotions par la danse, une majorité (64\%) étant en désaccord et 24\% étant indécis. Quant aux émotions du robot Franka, 80\% des participants n'étaient pas d'accord avec le fait qu'il les exprimait à travers la danse, tandis que 8\% étaient indécis et 4\% d'une manière ou d'une autre d'accord. Il est intéressant de noter que 8\% des participants pensaient que le robot Franka communiquait des émotions à travers sa danse. La plupart des participants à notre étude (64\%) pourraient consacrer plus de temps à comprendre le mouvement grâce à l'interaction robotique. Un processus d’hybridation a également été observé après la séquence, lorsqu’il a été demandé aux participants d’interpréter librement les mouvements du robot qu’ils avaient expérimentés plus tôt. Cela a facilité l’exploration d’un état où les sens étaient plus présents et où les \gls{mouvements spontanés} apparaissaient plus facilement. Un état que nous définissons comme créatif, dans le sens où il permet une expressivité corporelle inhérente à la spécificité de l'incarnation - où par imitation ils se sont appropriés et transformés la séquence de danse robotique. En bougeant, leurs corps semblaient habités par la présence robotique. @@ -1261,7 +1261,7 @@ Cela nous permets d'envisager les composantes sociales et culturelles du corps, Cette section présente la relation entre la danse improvisée et la robotique, dans le contexte de la performance \textit{This is where I differ with Herzog} (TIWIDWH). Considérant des concepts comme la figuration, l'intention, l'\gls{exaptation}, nous mettons en avant une inter-subjectivité entre la figure d’un ours sauvage et celle d’un robot, comme métaphore des considérations féministes d'un nouveau type de matérialisme. -\textit{TIWIDWH} est d'abord une mise en abyme de mon processus de recherche-création, revu dans l'optique du documentaire \textit{Grizzly Man} (2005) de Werner Herzog. Rapprocher la figure du robot à celle du vampire puis de l'ours sauvage m'a aidé clarifier le statut qu'un robot peut avoir, à l'intérieur de mon expérience artistique. Par ce biais, j'ai pu également approfondir mes intuitions quant au potentiel scénique des robots - en tant que source d'inspiration pour une expressivité corporelle qui cherche à déconstruire le rapport au corps. J'ai aussi pu parler ouvertement des peurs et incertitudes quant à mes ambitions de traiter le sujet de \gls{conscience artificielle} lors de cette thèse. En contrepoids de ces projections artistiques, j'ai mis en avant le réalisme excentrique de Herzog, artiste visionnaire qui a passé des années à poursuivre des projets impossibles à réaliser. Dans son journal \textit{Conquest of the Useless: Reflections from the Making of Fitzcarraldo}\cite{herzog2009conquest} - qui m'a accompagné tel un livre de bord dans plusieurs projets artistiques - Herzog évoque les difficultés qu'il a rencontré pour réaliser le film \textit{Fitzcarraldo} (1982) où il tourne en plein milieu de la forêt péruvienne. L'historie suit les aventures d'un personnage original, parti construire une opéra pour inviter Enrico Caruso et Sarah Bernhardt se produire dans la jungle. Lorsqu'un de ses plans initiaux échouent à cause de la météo, il décide de poursuivre son voyage, en faisant tirer le bateau, avec des cordes sur une montagne. Pour réaliser ce projet, Herzog s'est investi au point de mettre en danger sa vie, en tombant gravement malade sur le tournage, ou en négociant avec des chefs de tribu de la jungle péruvienne. Loin d’être proche de ses exploits, je m'inspire de ce journal pour trouver le juste milieu entre engagement, ambition, lâcher prise et auto-dérision. +\textit{TIWIDWH} est d'abord une mise en abyme de mon processus de recherche-création, revu dans l'optique du documentaire \textit{Grizzly Man} (2005) de Werner Herzog. Rapprocher la figure du robot à celle du vampire puis de l'ours sauvage m'a aidé clarifier le statut qu'un robot peut avoir, à l'intérieur de mon expérience artistique. Par ce biais, j'ai pu également approfondir mes intuitions quant au potentiel scénique des robots - en tant que source d'inspiration pour une expressivité corporelle qui cherche à déconstruire le rapport au corps. J'ai aussi pu parler ouvertement des peurs et incertitudes quant à mes ambitions de traiter le sujet de \gls{conscience artificielle} lors de cette thèse. En contrepoids de ces projections artistiques, j'ai mis en avant le réalisme excentrique de Herzog, artiste visionnaire qui a passé des années à poursuivre des projets impossibles à réaliser. Dans son journal \textit{Conquest of the Useless: Reflections from the Making of Fitzcarraldo}\cite{herzog2009conquest} - qui m'a accompagné tel un livre de bord dans plusieurs projets artistiques - Herzog évoque les difficultés qu'il a rencontré pour réaliser le film \textit{Fitzcarraldo} (1982) où il tourne en plein milieu de la forêt péruvienne. L'historie suit les aventures d'un personnage original, parti construire une opéra pour inviter Enrico Caruso et Sarah Bernhardt se produire dans la jungle. Lorsqu'un de ses plans initiaux échouent à cause de la météo, il décide de poursuivre son voyage, en faisant tirer le bateau, avec des cordes sur une montagne. Pour réaliser ce projet, Herzog s'est investi au point de mettre en danger sa vie, en tombant gravement malade sur le tournage, ou en négociant avec des chefs de tribu de la jungle péruvienne. Loin d’être proche de ses exploits, je m'inspire de ce journal pour trouver le juste milieu entre engagement, ambition, lâcher-prise et auto-dérision. \begin{figure} \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/fizzcaraldo} @@ -1276,7 +1276,7 @@ Lorsqu'il parle de \textit{Fitzcarraldo}, Herzog impressionne par son honnêtet Le rapport que Herzog a vis à vis de son propre travail, a toujours été un exemple pour moi. Son humilité, tout comme son ambition démesuré, touchent à quelque chose de primitif, qui contrarie. Il se désigne plutôt témoin que créateur, dont la mission est d'articuler les rêves qui peuplent notre époque. Pour lui, chaque humain aspire au fond de lui aux mêmes idéaux, il a les mêmes angoisses, parfois sans le savoir, et le travail d'un artiste est de mettre en place les conditions pour que cela se manifeste. Dans ses films, il part du particulier et de l'intime pour parler de l’universel. A mon tour, j'ai essayé d'appliquer ces principes, observer et laisser le corps s’exprimer au travers la danse, plutôt que de \textit{le faire danser} telle une marionnette. J'ai passé du temps à me connecter avec mes sens, trouver une écoute du corps pour mieux renouer avec mon intention de créer. Cela m'a permis de me sentir plus disponible dans mon interaction avec des robots. J'ai vécu cet apprentissage comme un sorte d'encrage dans un avenir possible, où les machines envahissent notre quotidien et nous absorbent dans leur monde. Je me rends compte à quel point cela est vecteur d'une disruption. L’altérité des machines, tout ce qu'il y a de non-dit et caché dans une \textit{relation} avec eux, ont fortement perturbé ma liberté artistique. Danser avec des robots reste une expérience singulière, à l'opposé d'une immersion dans la nature, ou d'une expérience sensorielle partagée avec un humain. Dans le même temps, bien qu'ils sont inanimés, leur fonctionnement s'inspire des lois biologiques, ils simulent l'autonomie, l'intelligence et dernièrement l'émotion humaine. Grace à leur présence accrue dans nos sociétés, nous commençons les envisager comme des êtres à part entière. -J'ai donc arrêté de penser à leur place, de danser à leur place pour me demander si cela est juste ou pas. J'ai voulu mieux les connaitre, sans que cela soit très clair ce qu'ils représentent pour moi, ou pour notre société, une fois que leur performance et fonctionnalité passent en second plan. Évidement dans ce type de projection, il n'y a pas de meilleure façon de faire. Mon expérience au laboratoire est peu à peu devenue proche d'une expérience anthropologique, qui m'a permis de rencontrer une autre culture- celle des robots et des roboticiens. +J'ai donc arrêté de penser à leur place, de danser à leur place pour me demander si cela est juste ou pas. J'ai voulu mieux les connaitre, sans que cela soit très clair ce qu'ils représentent pour moi, ou pour notre société, une fois que leur performance et fonctionnalité passent en second plan. Évidemment dans ce type de projection, il n'y a pas de meilleure façon de faire. Mon expérience au laboratoire est peu à peu devenue proche d'une expérience anthropologique, qui m'a permis de rencontrer une autre culture- celle des robots et des roboticiens. \subsection{Présentation publique} @@ -1408,7 +1408,7 @@ En marge des repères théoriques, nous vous proposons un exercice d'imagination \subsection{La puissance du glitch} -Notre objectif est d'interroger la façon dont les robots influencent des nouvelles formes d’expressivité corporelle dans \textit{TIWIDWH}, une performance de danse improvisée. Pour cela nous accordons une grande importance aux accidents et erreurs qui surgissent dans ce type d’interaction, en les utilisant comme catalyseurs pour l'inspiration artistique. Bien avant que des penseuses féministes s'emparent de la question des machines et leur matérialité, les développements technologiques avancent à leur rythme dans une direction proche de la science fiction. Parfois issue des défis personnelles des auteurs hétéro-normées en quête d'une hégémonie du savoir, la science perd son capacité d'auto-critique. Cette capacité est réhabilitée au début des années 80, lorsque des approches pluridisciplinaires donnent suite à des échanges et des mises en question des enjeux. +Notre objectif est d'interroger la façon dont les robots influencent des nouvelles formes d’expressivité corporelle dans \textit{TIWIDWH}, une performance de danse improvisée. Pour cela nous accordons une grande importance aux accidents et erreurs qui surgissent dans ce type d’interaction, en les utilisant comme catalyseurs pour l'inspiration artistique. Bien avant que des penseuses féministes s'emparent de la question des machines et leur matérialité, les développements technologiques avancent à leur rythme dans une direction proche de la science fiction. Parfois issue des défis personnelles des auteurs hétéro-normées en quête d'une hégémonie du savoir, la science perd sa capacité d'auto-critique. Cette capacité est réhabilitée au début des années 80, lorsque des approches pluridisciplinaires donnent suite à des échanges et des mises en question des enjeux. Au cours des dernières décennies, les possibilités d’interaction des robots humanoïdes ont été évaluées sous différents environnements et conditions\cite{circu2023roman}. Faire passer des robots du laboratoire à la scène reste un défi à bien des égards\cite{pluta2018laboratoire, circu2021lausanne}, malgré le fait que nous sommes habitués à les idéaliser comme des \textit{objets sociaux totaux}\cite{zaven2014effets}. Alors qu'ils sont déjà présents sur le marché du travail dans les secteurs privés et publiques, pourquoi pas les inviter sur scène ? Tout comme les humains, les robots peuvent être vulnérables, surtout lorsqu'ils sont utilisés comme des plateformes de recherche académiques, comme dans le cas du robot HRP-4, protagoniste dans \textit{TIWIDWH}. L'apparence physique de HRP-4 est le résultat des observations en design ergonomique. Avec une taille de 151 cm et pesant 39 kg, son apparence est similaire à celle d'un humain. Une fois les contraintes techniques résolues, le faire danser devient un exercice de mise en scène factice. Cependant lorsque nous aimerions voir des mouvements surgir spontanément de ses actuateurs, tels les muscles d'un danseur en improvisation, les choses deviennent plus difficiles, voir impossibles. @@ -1475,7 +1475,7 @@ Dans chacun des expérimentations pratiques que j'ai évoqué, j'ai pu utiliser \end{figure} -Après notre petit exercice de fiction, il nous semble évident que la beauté des imperfections, cette forme hybride de \textit{glitch}, c'est aussi ce qu'anime notre intérêt pour les robots. A l'opposé, leur caractère identique lors des fabrications en série s'annonce comme une contrainte vis-à-vis des caractéristiques impermanentes et précieuses du vivant. Comme l'explique le neurologue Stanislas Dehaene, la puissance de calcul du cerveau humain avec son réseau de 16 milliards de neurones corticaux, dépasse notre imagination actuelle. Pour des entrées sensorielles strictement identiques, le cerveau humain ne réagit pas de la même façon\cite{dehaene2014odile}, influencé par les émotions et les souvenirs de chaque individu. A l’intérieur de chaque boite crânienne, la vie cachée de représentations subjectives, fluctue sans cesse d'une manière partiellement autonome. En écho à ses penses, le philosophe de sciences Michel Bibtol nous demande si nous sommes prêts à mourir à l'instant où la science nous garantit la \gls{Singularité}, ou par ses mots lorsque ``notre structure cognitive et nos habitus comportementaux ont été intégralement téléchargés dans un robot”\cite{bitbol2018cp}. +Après notre petit exercice de fiction, il nous semble évident que la beauté des imperfections, cette forme hybride de \textit{glitch}, c'est aussi ce qu'anime notre intérêt pour les robots. À l'opposé, leur caractère identique lors des fabrications en série s'annonce comme une contrainte vis-à-vis des caractéristiques impermanentes et précieuses du vivant. Comme l'explique le neurologue Stanislas Dehaene, la puissance de calcul du cerveau humain avec son réseau de 16 milliards de neurones corticaux, dépasse notre imagination actuelle. Pour des entrées sensorielles strictement identiques, le cerveau humain ne réagit pas de la même façon\cite{dehaene2014odile}, influencé par les émotions et les souvenirs de chaque individu. A l’intérieur de chaque boite crânienne, la vie cachée de représentations subjectives, fluctue sans cesse d'une manière partiellement autonome. En écho à ses penses, le philosophe de sciences Michel Bibtol nous demande si nous sommes prêts à mourir à l'instant où la science nous garantit la \gls{Singularité}, ou par ses mots lorsque ``notre structure cognitive et nos habitus comportementaux ont été intégralement téléchargés dans un robot”\cite{bitbol2018cp}. N'ayant pas de réponse à sa question, nous savons que vivre c'est précieux, car c'est unique. Dans l'acte artistique, l'humain accomplit ce qu'il y a d'ordre d’irrationnel, il cherche aveuglement émouvoir et s’émouvoir. Avoir un robot comme partenaire pour un tel exploit, n'a pas fini de nous interpeller. Accepter les états de conscience que ce robot pourra vivre dans sa spécificité, c'est arrêter une vision anthropocentrique du monde et prendre sa place parmi les autre organismes vivants et non-vivants qui la constituent. Dans la suite du monde imaginé par K. Dick, le robots capables de CA occuperont une catégorie à part parmi les carnivores et herbivores qui existent déjà. Cela sera contre-intuitif d'imaginer des machines carnivores et herbivores. Si l'empathie est le dernier rempart pour l'acceptation de l'autre, comment ferions-nous pour être surs que les machines en ont aussi besoin? @@ -1493,7 +1493,7 @@ Les conclusions de cette deuxieme partie des expérimentations pratiques, nous r \end{quote} Lorsque j'ai parlé du \textit{glanage}, de l'\gls{exaptation} et du \textit{slow science} dans les chapitres précédents, j'ai fait appel à des formes de validation par de l'identification et de l'appartenance à des écoles de pensée déjà confirmés. Ces expérimentateurs, proche des prestidigitateurs à la manière de Brian Eno, qui fabriquent de la science sans objet comme Aurélien Bory, m'ont rassuré pendant mes moments de doute. Ma base théorique reste en permanente mise à jour, ou \textit{work in progress} et contient un mélange des références scientifiques en robotique, sciences cognitives, tout comme des notes sur la danse et les pratiques somatiques, évoqués dans la première partie de cette thèse. La partie robotique s'attache aux principes de robotique cognitive développementale, tout en s'inspirant des exemples de la \gls{robotique culturelle} et sociale. Les chercheurs que je cite font appel à des avancées théoriques comme celles de la théorie 4E de la cognition - \gls{The 4E Cognition Theory}, ou celles du principe de l'énergie libre - \gls{Free Energy Principle} (FEP), pour m'aider questionner des hypothèses de recherche en lien avec la \gls{conscience artificielle} et la créativité. Dans le cadre théorique inspiré par les neurosciences et l'intelligence artificielle, décrit dans le deuxieme chapitre de la première partie de cette thèse, le FEP propose une explication unifiée de divers aspects des systèmes biologiques. Selon cette théorie, le cerveau humain s’efforce de minimiser une quantité d'énergie disponible pour calculer l'écart entre les états internes et l'environnement externe. Cela permets de vérifier si le modèle interne du cerveau correspond aux entrées sensorielles réelles qu'il reçoit de l'environnement, son objectif étant de minimiser cette énergie libre en mettant à jour son modèle interne afin de mieux prédire les entrées sensorielles. De façon concrète, ce processus de minimisation de l’énergie est réalisé par la perception, l’action et l’apprentissage. Comme ces processus sont également propres à des actes de création artistique, nous élargissons la projection en évoquant l'\gls{exaptation} comme possible conséquence méthodologique d'une danse propre aux robots. L'adaptation opportuniste à des contextes comme la danse (qui à la base n'est pas une activité spécifique aux robots), nous permet d’élargir notre projection initiale, en nous imaginant des formes de \gls{conscience artificielle}. Dans ce nouveau cadre, proche du \gls{posthumanisme}, nourri par des observations propres au \gls{matérialisme féministe}, les robots sont à leur tour considérés comme des espèces à part entière, en co-évolution avec des humains à la recherche d'une nouvelle manière de danser. Si cette projection tient plus du spectre de la robotique culturelle, que de la robotique cognitive développementale, elle reste néanmoins une pure spéculation artistique, nourrie par les concepts et théories qui m'ont accompagné ces quatre derniers années et aussi par mon intention créative. -La créativité est un phénomène complexe, qui se manifeste sous diverses formes et contextes. Comme pour la \gls{conscience}, il n’existe pas de définition unique, englobant tous les aspects multiformes de la créativité. Celle-ci est souvent décrite comme une capacité d'innovation, mais en danse elle relève aussi d'une capacité d'adaptation, d'agence et d'improvisation. Dans les processus collaboratifs, cette créativité est autotélique. Pour amener plus loin cette idée, des artistes comme Michel Paysant\footnote{https://www.michelpaysant.fr} évoquent une sorte d'utilité \textit{des-appliquée} de l'art. Au fil des mois d' expérimentations, nous nous sommes interrogés à notre tour sur la fonction de l'art robotique. Dans son livre \textit{Feminist speculations and the practice of research-creation: Writing pedagogies and intertextual affects} (2021) la chercheuse Sarah Truman entreprend une pensée spéculative basée sur la théorie des affects. Elle questionne la notion de \gls{représentation} (en anglais \textit{representationalism}) comme résultat d'une recherche quantitative dans les arts, en proposant des laboratoires de recherche-création en échange. Selon Truman ce que distingue la recherche-création de toute pratique artistique, est le fait d'incorporer directement une composante théorique dans le projet artistique, et d'employer le cadre académique comme structure de référence pour l'acte artistique. Ainsi \textit{la théorie fait partie intégrante du processus, elle informe les méthodes et la pensée pendant et après le projet\footnote{Theory primes the projects: it informs the methods and thinking during the projects and after the project is over.\cite{truman2021feminist}}}. En outre, Truman relie la recherche-création à une forme de spéculation située, en anglais \textit{situated speculation}. Ce concept est propre au \gls{matérialisme féministe}, imprégné par la philosophie des systèmes, l’écologie, les sciences humaines et les études queer parmi autres. Une spéculation située cherche à défier l'humanisme traditionnel, dans une approche post-humaniste. Dans notre contexte, cela a impliqué imaginer des autres formes de danse, et aussi un autre statut, différent de celui d'outil, pour les robots impliqués dans nos processus de co-création. +La créativité est un phénomène complexe, qui se manifeste sous diverses formes et contextes. Comme pour la \gls{conscience}, il n’existe pas de définition unique, englobant tous les aspects multiformes de la créativité. Celle-ci est souvent décrite comme une capacité d'innovation, mais en danse elle relève aussi d'une capacité d'adaptation, d'agentivité et d'improvisation. Dans les processus collaboratifs, cette créativité est autotélique. Pour amener plus loin cette idée, des artistes comme Michel Paysant\footnote{https://www.michelpaysant.fr} évoquent une sorte d'utilité \textit{des-appliquée} de l'art. Au fil des mois d' expérimentations, nous nous sommes interrogés à notre tour sur la fonction de l'art robotique. Dans son livre \textit{Feminist speculations and the practice of research-creation: Writing pedagogies and intertextual affects} (2021) la chercheuse Sarah Truman entreprend une pensée spéculative basée sur la théorie des affects. Elle questionne la notion de \gls{représentation} (en anglais \textit{representationalism}) comme résultat d'une recherche quantitative dans les arts, en proposant des laboratoires de recherche-création en échange. Selon Truman ce que distingue la recherche-création de toute pratique artistique, est le fait d'incorporer directement une composante théorique dans le projet artistique, et d'employer le cadre académique comme structure de référence pour l'acte artistique. Ainsi \textit{la théorie fait partie intégrante du processus, elle informe les méthodes et la pensée pendant et après le projet\footnote{Theory primes the projects: it informs the methods and thinking during the projects and after the project is over.\cite{truman2021feminist}}}. En outre, Truman relie la recherche-création à une forme de spéculation située, en anglais \textit{situated speculation}. Ce concept est propre au \gls{matérialisme féministe}, imprégné par la philosophie des systèmes, l’écologie, les sciences humaines et les études queer parmi autres. Une spéculation située cherche à défier l'humanisme traditionnel, dans une approche post-humaniste. Dans notre contexte, cela a impliqué imaginer des autres formes de danse, et aussi un autre statut, différent de celui d'outil, pour les robots impliqués dans nos processus de co-création. Différentes techniques en danse et dans les pratiques somatiques fournissent aujourd'hui des informations sur la manière dont le mouvement affecte la structure du corps, et l'inverse. Deux ou plusieurs corps s'équilibrent selon la règle d'un contact continu, transférant le poids et composant des mouvements de manière spontanée. Comme nous avons vu plus haut, suite à ses recherches au sein de \textit{Judson Dance Theater} et ultérieurement \textit{Grand Union}, Paxton pose les bases du \gls{contact improvisation}. Cette approche, devenue entre temps discipline, analyse les effets d'un changement d'orientation spatio-kinesthésique du corps, lors des contacts tactiles. Suivant des contraintes de temps, le performeur se concentre sur les limites de son espace corporel par rapport à l'espace extérieur. Cela permet au mouvement d'apparaitre en coordination avec les autres corps qui l'entourent. Généralement ce type de mouvement est soutenu et spontané, décorrélé d'un rendu final, représentable. Comme la plupart des pratiques de \gls{danse postmoderne}s, la \gls{contact improvisation} s’intéresse d'avantage à une transformation de l'expérience esthétique lors des processus de recherche du mouvement. Elle promut ainsi un spectre des possibilités qui définissent le mouvement, et des multiples manières pour l’exécuter. Le motif de la chaise a traversé divers moments dans l'historie de la danse. Autre que Burrows que j'ai cité plus haut, dans une de ses œuvres de jeunesse intitulé \textit{Smile}, Steve Paxton utilise une chaise pour deux performeurs qui sourient devant le public, cherchant à trouver leur place. Cela élargit le cercle d'Anna Theresa de Kaersmaeker, Anna Halprin ou Ohad Naharin parmi autres, qui ont crée toute une partition pour une danse assise, avec d'autres moyens et intentions que les miennes. Mettre un robot sur une chaise, peut paraître quelque-part anachronique car si nous considérons le statut d'objet outil de la chaise, nous cherchons à déconstruire ce statut pour le robot. Cependant, travailler avec la contrainte est un autre outil important pour tout processus méthodologique et c'est aussi ce qui nous a permis de nous rentre compte à quel point l'humain assis à son tour sur une chaise, peut devenir un outil au service du robot, à son tour. En d'autre mots, la chaise permet d’égaliser ces deux présences et leur status dans un contexte de \gls{représentation}.