\part{Des robots et des ours. Le travail de terrain et ses contraintes} \chapter*{Introduction} \begin{quote}{Choreography is a negotiation with the patterns your body is thinking.} Jonathan Burrows \end{quote} Cette partie résume mes observations empiriques après cinq laboratoires de recherche, six résidences artistiques, deux études de terrain et une présentation publique. Elle se conclut par des interrogations concernant les formes de conscience propres aux robots. Le premier chapitre traite des possibilités d'improvisation avec des machines. Ces machines consistent en objets électroniques inspirés par des principes de lowtech que j’ai construit et employé en dehors des robots du laboratoire. Le deuxieme chapitre présente deux études de terrain autour de la danse et des robots. Un premier en dehors du laboratoire, avec des lycées en danse travaillant avec les doubles virtuels (en anglais \gls{digital twin}) des robots. Le deuxieme au laboratoire LIRMM, avec un bras industriel et un humanoïde réel, conçu pour des étudiants en informatique. Le troisième chapitre intitulé \textit{Robots, danse et conscience artificielle}, traite de la créativité et la capacité d’adaptation lors des projets de danse avec des robots. Il détaille une présentation publique qui synthétise mers observations sur ce que peut être une \gls{conscience artificielle}, en lien avec la danse inspirée par des pratiques somatiques. Une notion clé pour la lecture de ces chapitres est celle de l'improvisation en danse. La danse improvisée en tant qu'outil de développement chorégraphique et de renouvellement de formes, est relativement récente dans l'histoire de cet art. Au début du 20e siècle May Wigman, Loie Fuller puis Martha Graham et Merce Cunningham l'ont mis en avant, puis dans les années 1970, Steve Paxton développe la \gls{contact improvisation}. Avec le temps cette pratique est devenue constitutive de la danse contemporaine, aidant les danseurs à explorer leur créativité et se connecter avec leurs émotions pour générer du matériel chorégraphié. Pour Paxton, la pratique de la contact improvisation est basée sur la communication entre deux corps en mouvement. Leur contact physique est influencé par les lois physiques qui régissent leur mouvement : la gravité, l'élan, l'inertie. Le corps, afin de s’ouvrir à ces sensations, apprend à libérer les tensions musculaires excessives et à abandonner une certaine volonté de contrôler le flux naturel du mouvement. La pratique consiste à rouler, tomber, être à l'envers, suivre un point de contact physique, soutenir et donner du poids à un partenaire. Avec Deborah Hay, Yvonne Rainer, Trisha Brown et d'autres membres de ce qui allait bientôt devenir le \textit{Judson Dance Theatre}, Paxton a suivi des cours de composition basés sur des combinaisons aléatoires, avec Robert Dunn, au studio de Merce Cunningham. Lors de cette période d’apprentissage, le jeune chorégraphe s'est familiarisé avec une vision postmoderne de la danse. Pour une de ses restitutions publiques, il a proposé un spectacle de danse d'un minute où il reste assis sur un banc pour manger un sandwich. En 1972, il réunit un groupe des étudiant pour un travail à la galerie John Weber, ouvrant leur processus d'expérimentation à tous ceux qui voulaient les voir improviser. Toujours en 1970, Paxton, Rainer et plusieurs autres membres du Judson Dance Theatre créent le collectif \textit{Grand Union} pour travailler en collaboration, sans structure hiérarchique. Les présentations du groupe font état des moments improvisés et prises de position anarchiques à l’intérieur du dispositif scénique. Lorsqu'il mentionne cette époque, Paxton parle d'un laboratoire de possibilités des formes. À partir de 1986, il se concentre sur une autre technique intitulée \textit{Material for the Spine} (1986-2008), en français \textit{matériel pour la colonne vertébrale}. Comme son nom l'indique, cette exploration vise les muscles, les vertèbres et les récepteurs sensoriels en lien avec la colonne vertébrale et son rôle dans la marche comme préambule à la danse. Pour mes échauffement en danse je me suis parfois servie de cet enregistrement qui dirige une session de préparation de contact improvisation\footnote{https://soundcloud.com/the-amam/audio-recording-of-steve-paxton-guiding-the-small-dance} En écoutant la voix de Paxton, cela ressemble à une méditation debout axée sur les micro-mouvements que le corps effectue pour rester droit. Son objectif est d'explorer des états d'immobilité et de désorientation,partie d'une enquête physique sur les états de chute, de position debout et d'attrapage qui précédent un contact. L'improvisation dansée facilite la création du mouvement spontanée, sans planifier à l'avance aucun pas de danse ou chorégraphie. Les danseurs répondent à des contraintes, sans s’appuyer sur des schémas de mouvement prédéfinis. Selon leur niveau de lâcher prise, ils peuvent chercher à créer des mouvements originaux ou à utiliser des mouvements familiers de manière unique. Dans notre contexte, un demi siècle après le début de la \gls{contact improvisation}, l'utilisation des outils numériques est une autre manière d'improviser, propre à la technicisation de nos sociétés. Cette improvisation représente une convergence entre le corps et la technologie, dont l'objectif est de faire émerger des gestes et mouvements qui sortent des motifs habituels des danseurs. Bien que les artistes ont utilisé des dispositifs numériques à partir des années 1960, ces pratiques étaient beaucoup plus expérimentales et exceptionnelles à l’époque. De nos jours, l’accès facile à ces technologies et le dynamisme de leurs avancées, encouragent chercheurs et artistes à comprendre comment leur utilisation transforme le mouvement. Les corps entrent dans un processus hybridation avec l'outil technique. Cette altérité est mise en avant comme ressort pour des nouvelles écritures du plateau où le corps devient un support technologique ou support \textit{pour la technologie}. Similaire à un jeu renouvelé, l'objectif n’est pas de savoir si les partenaires se ressemblent ou s’opposent, mais la façon dont leur imbrication facilité la créativité. Les codes culturels contemporains ont un impact sur le corps qui danse, notamment lorsqu'il s'agit d'une transcription gestuelle pour des interactions avec des agents non-humains. Lors d'une improvisation, les règles adaptatives de comportement sont influencées par l’expérience vécue et par les contraintes fixés en amont. Pendant un spectacle qui utilise des nouvelles technologies, la dialectique entre le corps expérientiel et le corps en état de \gls{représentation}, accueille un troisième facteur qui est celui de l’appareil technologique et son ubiquité. Il est important de comprendre les points de croisement entre ces trois dimensions avant de questionner leur impact sur la créativité. Nous considérons qu'improviser des mouvements de danse avec des robots peut être un enrichissement pour le renouvellement de la danse. Cela peut générer du matériel de danse innovant. Jusqu'à présent, les pratiques somatiques en danse, comme le Body Mind Centering ou Feldenkrais présentées dans la première partie, libérèrent le corps de l'appât d'une danse \textit{automatisée} ou standardisée. L’étape suivante est de rajouter l’altérité des agents non-humains, à ces expérimentations et d'observer les effets. Les robots et les humains peuvent exprimer des émotions au travers des gestes, cela implique principalement de contrôler des mouvements. Chez les humains, ces gestes peuvent être générés par des actions conscientes ou émerger de processus inconscients, comme l'improvisation. Notre intention est de vérifier dans quelle mesure des mouvements improvisés peuvent être recontextualisés ou esthétisés lorsqu’ils sont appliqués aux robots et autre agents non-humains en situation de représentation. Un exemple de représentation est la performance du robot HRP-4C pour le DC-EXPO au Japon. Le robot exécute une danse synchronisée, entouré par quatre danseuses\footnote{https://www.youtube.com/watch?v=LjbyxekEo6s}. Cette synchronisation est préprogrammée, réglée et apprise en amont, puis simplement reproduite sur scène plus comme un spectacle de danse automatisée, qui ne laisse aucun place à l'improvisation. Nous détaillons dans les prochaines chapitres nos expérimentations avec des robots et dispositifs automatisés capables de générer des mouvements improvisés, grâce aux algorithmes de planification et de contrôle. Tout au long de nos expériences de programmation en cours, les robots utilisent peu de retours de l'interprète. Sa présence seule produit un effet d’étrangeté et nous analysons dans les prochaines pages les possibles implications de ce type d'interaction. Les metteurs en scène ou chorégraphes travaillant avec des ingénieurs\cite{pluta2018laboratoire}, mettent en place une \textit{illusion théâtrale}, sortie de double convention selon laquelle les robots seraient autonomes et capable d’agir. A notre tour, en lieu de perpétuer cette illusion, nous considérons important que les robots apprennent à improviser. Ce processus imite l’improvisation humaine, en utilisant des techniques de programmation d’IA. Cependant, Penny souligne que les machines ne sont pas capables d’improviser et lorsqu’elles font quelque chose d’inattendu, il s'agit plutôt d'un bug ou d'un dysfonctionnement\cite{penny2016improvisation}. En échange, du point de vue des roboticiens, l'improvisation sur scène peut s'apprendre et se programmer, grâce à des connaissances avancées en apprentissage automatique et en mathématiques statistiques aléatoires. En prenant état de ces observations contradictoires, notre objectif principal est d'analyser les possibilités de co-création avec des agents non-humains, à travers la danse improvisée. Nous mélangeons des techniques somatiques avec des dispositifs électroniques, dans un contexte artistique dynamique. Nous analysons l’effet de ces contraintes sur l’interprète, en mettant en place une méthodologie propre aux projets transdisciplinaires. Cette méthodologie nous aide à mieux comprendre la créativité dans les formes d'art basées sur l'interactivité homme-machine (H2M). Cela peut éventuellement faciliter la manière dont les robots sociaux sont intégrés dans la société. Dans ces expérimentations, nous employons un \textbf{modèle d'intelligence distribuée} en lien avec des principes de robotique cognitive. Cela s'approche d'une sorte d' \textit{Umwelt improvisé}\cite{penny2016improvisation} où des agents peuvent cohabiter le même espace (la scène) sans se connaître, puisque leurs \textit{umwelt} (c’est-à-dire leurs environnements sensoriels) ne se croisent pas. Cette cohabitation pourrait être suivie d'un état de co-création, à condition qu’un langage commun émerge entre ces entités humaines et artificielle. Afin de comprendre la complexité du comportement du robot HRP-4, nous considérons des principes de la cognition incarnée\cite{ziemke2016body}, comme le modèle d’intelligence distribuée présenté dans la première partie. Cela peut être décrit par des caractéristiques en lien avec l’incarnation, l’agence, l’émergence et l'extension de la machine dans son environnement. Dans notre cas particulier, l’émergence peut concerner plus directement la créativité, au sens où un comportement nouveau et complexe du robot peut être un source d'inspiration pour des expérimentations en danse. Alors que l'agence, l'incarnation et l'extension se traduisent différemment pour des agents virtuels ou physiques. Les danseurs sont habitués à exprimer leur maîtrise de ces éléments sur scène, peu importe leur environnement. Les possibilités d’interaction que nous étudions renouvellent plusieurs expériences Human-to-Robot (H2R), sur scène. Dans cette recherche, nous nous intéressons davantage à un état d'inconfort ou d'adaptation à des comportements peu incontrôlés du robot. Certains artistes appellent cela des \textit{petits gestes incohérents}\cite{zaven2014effets}. En les mettant en avant, à la place des comportements précises et gestes maitrisés, les artistes recherchent un \textit{effet de présence}\cite{zaven2014effets} chez les robots. Sur scène, cet effet est déjà perçu chez les humains, reste à voir comment le convoquer chez les robots. Une fois acquises, ces gestes peuvent stimuler l’attention de l’interprète et maintenir un effet de surprise lors des improvisations. Leur rôle est de renforcer les points de croisement entre un corps expérientiel, un corps en état de représentation et un corps technologique, mentionnés plus haut. Les effets de cette hybridation impliquent également des considérations éthiques que nous allons décrire en fin de cette partie. \chapter{Improviser avec des machines} \section{Performances dématérialisées} \subsection{A.VOID} A.VOID est un projet numérique co-crée avec Isadora Teles de Castro en 2020. Conçu comme une série des performance collectives dématérialisées autour du son, du geste et de l'image, ce projet a un format hybride mélangeant radio, applications web et gestes devant une webcam. Contexte de création Impactées par les contraintes en lien avec la pandémie Covid19, nous nous sommes demandées, comme beaucoup d’autres, quel avenir pour l’art performatif et comment agir dans ce contexte extraordinaire. Face à des lieux de diffusion fermés, nous avons pensé organiser des performances collectives avec des utilisateurs qui se connectent en même temps que nous, pour co-créer ensemble. Cela a commencé en juillet 2020, quand nous avons présente notre premiere maquette A.VOID v1. en direct sur les ondes de Radio Galoche. Six mois plus tard, en décembre 2020, nous avons présentée la deuxième version du projet. Ainsi l’isolement social et l'impossibilité de se rencontrer pour expérimenter et créer, nous à contraint d'inventer des nouveaux outils. Nous avons proposé une plateforme accessible en ligne pour simuler un espace de rencontre virtuel. Les participants se sont connectés grâce à leurs téléphone portables ou ordinateurs. Une fois détecté, chaque mouvement devant la webcam a été lié à un vecteur graphique dévénu agent virtuel pour des interactions son-image-texte. Des gestes ont été analysée pour extraire la direction et vitesse du mouvement et ainsi influencer le déplacement de l'agent virtuel, lors d'une succession de scénarios d'exploration appelés ``scènes”. Parmi les objectifs du projet, nous avons cherché à: \begin{itemize} \item tester l’impact des technologiques numériques sur la créativité \item s'approprier des outils de création qui échappent aux contraintes du monde physique \item improviser avec une entité autonome virtuelle \item provoquer des synergies son-mouvement-image et convoquer l'aléatoire dans le processus de création \item proposer une manière inédite de s’impliquer dans une expérience artistique en tant que créateur \item proposer un cadre alternatif de réception d’une oeuvre artistique \item questionner le rapport performeur-scène, dans une situation de présence dématérialisée \end{itemize} Pour ma propre recherche en danse, ce projet m'a donné l'opportunité de comprendre intuitivement l’impact que la dématérialisation des gestes peut avoir sur le corps d'un danseur, tout comme cet impact peut influer les autres médiums comme le son ou les images. J'ai pu également observer comment l’abstraction d'un geste modifie le comportement autonome d’un agent virtuel et l'inverse. Lorsque les participants nous ont partagé leur incertitude quand au comportement attendu et à la synchronisation avec les outils numériques j'ai pu confirmer mes intuitions quant au rôle des dispositifs numériques dans la co-création. Ce moment flou, ou l'humain se sent abandonné devant l'opacité du dispositif technologique est devenu pour moi un vrai moment de lâcher prise, catalyseur d'une expérience créative. Vidée de ses attentes et projections quant au résultat, le participant ne se regarde plus faire mais intègre le dispositif en pleine conscience, avec toutes ses sens. L'outil se transforme ainsi en véhicule d'exploration, dont les possibilités d'expression sont infinies. Dans le cas d'AVOID, selon le rythme et la vitesse du mouvement devant la webcam, le son a été plus fort, ou plus vite. Cela à confirmé l'importance des outils technologiques dans les processus de recherche-création. Persuadée que ce type d'état de pleine conscience à une composante synesthesique, j'ai poussée plus loin le lien entre son et geste. Les gestes ont fini ainsi se produire guidées par le son, dans l'intimité de chaque espace de représentation. Autre que moi et Isadora qui regardons la régie de la performance collective, chaque participant explorait son espace virtuel à son propre rythme. Des changements du son ou moments de silence ponctuait les transitions, encourageant une liberté d'expression pour chaque participant. Ainsi la fin était différente pour chacun d'entre eux, selon la dynamique d'exploration et les moments d'errance. Parfois des participants ont ignoré des instructions, ou manqué les observer, sans que cela soit contraignant pour notre processus. A titre personnel, cette opacité et manière de travailler est un moment privilégié loin des préoccupations pour un résultat visible. L'expérience subjective du spectateur, devenu performeur à l'intérieur de notre dispositif a été le vrai résultat de notre expérimentation. Cela a orienté mes recherches ultérieures sur la figure du robot et l'effet qu'il produit en tant que partenaire de scène. Parmi les notes de mon journal de bord de cette époque, j'écrivais le 4 novembre 2020: \textit{Comment le geste du robot, par son caractère aléatoire et imprévisible, peut changer/transformer le geste du danseur? Interagir avec une machine à laver, c’est comme interagir avec un robot? Quelque chose du comportement humain est déjà inconsciemment modifié face à un non-humain...} Description du projet: A.VOID cherche à modifier le rapport à une salle de spectacle, en créant des forme artistiques hybrides qui appartient aux spectateurs autant qu'aux artistes, capables d'exister indépendamment d'eux. La performance propose un espace virtuel d’exploration collective, où les participants questionnent leur identité à travers des sons, d'images et des textes qui interagissent avec eux. Les participants intègrent notre plateforme à travers le webcam d'un dispositif numérique portable (ordinateur ou téléphone). Nous proposons un cadre d'improvisation avec des instructions donnés via une plateforme radio ou vidéo. Des données de position du souris dédoublent les participants en agents virtuels dont les gestes devant la webcam influencent le comportement des agents autonomens virtuels. Ainsi dans notre système multi-agents, il y a deux catégories de participants: \begin{itemize} \item{A.G.A. qui signifie agent generatif autonome} \item{D.V.P. qui signifie dedoublement virtuel d'un participant} \end{itemize} Le D.V.P est le résultat des données de position du souris et des gestes devant la camera, que chaque participant fait lors de sa connexion. \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/avoid_schema} \caption{Schéma d'interaction pour le systeme multi-agents} \label{fig:avoidschema} \end{figure} Chacun se connecte et explore cet espace dématérialisé, accessible seulement le jour de la performance. La durée de chaque expérimentation ou improvisation est d'environ 15 minutes. Selon les temps de connexion de chaque utilisateur et son interet pour la performance, nous maintenons la connexion au serveur ouverte environ 30min supplémentaires. La première scène est collective, montrant les avatars correspondants à chaque participant. La suite est une exploration individuelle. Au fur et à mesure que la performance avance, d’autres agents autonomes interagissent avec les participants. L'apparence des agents autonomes est similaire aux avatars des autres participants, afin d'entretenir une ambiguïté sur l'interaction entre des participants humains dédoublés ou des agents virtuels. A.VOID v1. est une proposition sonore d’isolement graphique. Les utilisateurs se connectent sur une plateforme en bougeant un objet de couleur rouge devant leur caméra. Ce déplacement est traduit sous la forme d'un point de couleur d'un canevas numérique. Sur ce canevas, un point central rouge représentant un mini-robot doit être touché pour lancer une nappe sonore. Nous captons le robot directement dans le plateau de la webradio via une webcam. Il est en train de danser maladroitement accompagné par les bruits faites par des utilisateurs connectés. Lorsque des autres points de couleur se touchent, d'autres sons émergent, le tout forme une nappe de bruitage sonore, doublé par les mouvements des utilisateurs. La performance diffusée en juillet 2020 est accessible online, sur le site de Radio Galoche\footnote{http://www.galoche.online/emission/31/2020-07-03-10-30-avoid-i} A.VOID v2. continue notre questionnement sur la relation son-images-mouvement, dans une perspective synesthésique. Cette fois-ci nous avons imaginé une performance individuelle en plusieurs étapes, dont la durée reste à déterminer pour chaque participant. Nous diffusons la performance en direct à la radio pendant ses premières 15 minutes, mais un algorithme de vie artificielle évolutif continue d’interagir avec les inputs webcam de chaque utilisateur. Il s’agit donc d’une exploration personnelle sur la notion de soi et d’identité numérique. Lors de la dernière scène, une image pixelisée de la webcam de chaque participant est envahie par des agents virtuels évolutifs. Selon sa couleur, chaque pixel devient de la nourriture ou du poison pour ces agents virtuels, déformant l'image de fond qui capte le background de chaque participant. Par cela, notre intention est de questionner l'identité numérique ainsi que la possibilité de performer avec des entités generés par un contexte virtuel. L'interaction ne suit plus règles des systèmes physiques et c'est difficile de distinguer les agents réels des agents virtuels de cet ecosysteme. La présence humaine est traduite par des moyens d'expression propres à l’ordinateur ou au portable qui se connecte à l'application. C’est un type d'interaction re-contextualisée avec des entités autonomes virtuelles qui agissent directement sur l'humain. La performance diffusée en décembre 2020 est accessible online, sur le site de Radio Galoche\footnote{https://www.galoche.online/emission/307/2020-12-12-12-20-avoid-ii} Parmi les mots-clés qui décrivent la dernière maquette du projet, nous nous sommes arrêtées sur: exploration synesthésique, performance dématérialisée, comportement aléatoire, geste dématérialisé,écosystème virtuel, dédoublement numérique. Nos notes de 8 décembre 2020 décrivent le scénario d'A.VOID v2, qui se déroule sous la forme d'un tableau en 10 scènes. Scène 1 L’utilisateur se connecte et voit une interface graphique où il y a une ligne qui bouge (déplacement inspiré par l'algorithme flow fields) Scène 2 Écran noir, un contour de main apparaît avec une ligne qui suit ce contour Scène 3 White Noise Flock statiques comme un ciel la nuit avec des étoiles filantes Scène 4 Flock qui bougent suivant le mouvement de l'utilisateur Scène 5 SON1 Ecran noir avec des flow fields et moment long d’improvisation son + flow fields Scène 6 SON2 Flow fields qui se transforment en shadder, improvisation musicale continue Scène 7 Juste shadder avec SON2 Scène 8 Shadder avec l'apparition du visage de participant (stop SON2) Scéne 9 White Noise Image du webcam pixelisée avec le flock qui revient 10sec puis des les algorithmes évolutifs Scène 10 White Noise Lecture du texte puis encore 10sec avec les flock évolutifs FIN fin de l’antenne alors que chaque participant peur continuer l'expérience individuellement pour voir les algorithmes évolutifs modifier l'image de fond \textbf{Extrait du texte qui a accompagné Avoid v2. lors de sa diffusion en decembre 2020: } \textit{Ce voyage commence par l’empreinte d’une main, tel les empreintes à l’ocre des hommes préhistoriques sur les murs des grottes. Cette main dont le mouvement peut modifier le son de notre dispositif, est le salut d’une personne dont on ne connaît pas l’identité, vers des autres, anonymes connectés à un serveur qui diffuse notre expérimentation.} \textit{Comme d’autres avant nous, nous aimerions dire que nous vivons un moment particulier dans l’Histoire de l'humanité. Est-ce que ce moment coïncide - en termes de mutation de l’esprit - avec ce que les humains préhistoriques ont ressenti lorsqu’ils ont créé ce que nous appelons aujourd’hui l’art rupestre? Peut-on dire que l’art numérique d’aujourd’hui sera l’art préhistorique de demain? Nous ne le saurons jamais. Mais ce que nous savons c’est que les possibilités qui se dessinent devant nos yeux sont infinies. Et notre rapport au monde, tel qu’il a été défini par nos ancêtres, est lui aussi en train de s'hybrider avec des machines dont l’existence ordonne la notre.} \textit{Le dernier repère de cette expérimentation est le reflet d’un visage. Notre propre visage à l'intérieur du dispositif numérique. Sur l'écran de votre ordinateur, ce visage se dédouble dans des matrices de 0 et de 1. Puis un algorithme de vie artificielle s’inscrit dans l'interface pour modifier ce reflet qui change au fur et au mesure que les algorithmes opèrent. Les personnes connectées au serveur- participants à notre expérimentation - peuvent rester regarder cette transformation un temps indéfini. Chaque portrait est modifié d'une façon unique et personne n'a accès au rendu final à part l'utilisateur lui-même.} \textit{Qui regardons-nous dans l'abysse de cette dématérialisation numérique? Est-ce nous, notre propre visage qui est altéré par des \textit{organismes numériques} ou ce sont des sosies d'une vie parallèle ? Sommes-nous ici et ailleurs? Et si oui, est-ce que nos sens se dédoublent, et ainsi se diluent, elles aussi dans l'absolu algorithmique?} \textit{Des étoiles filantes tombent sur le ciel virtuel de notre monde numérisé. Pas de réponse directe à toutes ces questions. } Paris, 12 décembre 2020, midi trente Le travail pour A.Void m'a permis d'explorer des intuitions quant à une dimension universelle de l'art, reliée aujourd'hui par la technologie. Quand un participant regarde le contour de sa main se dessiner sur l'écran, je ne peux pas m'empêcher penser aux premiers dessins pre-historiques, notamment celui de la grotte de Chauvet: \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/chauvet} \caption{dessin avec de la poudre de pigments en ocre pour réaliser des mains en négatif, il y a plus de 30000 ans} \label{fig:chauvet} \end{figure} La première fois que j'ai vu je n'ai pu pas m'empêcher de réfléchir à la signification de ce geste. La capture de mouvement est une pratique qui a été exploitée dans de nombreux domaines, mais particulièrement dans l'analyse biomécanique des populations sportives et cliniques. Est-cette image une première tentative de capture de mouvement, ou un acte artistique? \smallskip En octobre 2021, lorsque j'ai donné le cours \textit{Perception, emotion and aesthetics of movement} (PEAMO), j'ai eu l'occasion de tester un format différent de la performance, avec les étudiants en Mastère Spécialisé Intelligence Artificielle et Mouvement pour la Robotique et les Systèmes Interactifs (MS AIMOVE) de l'école Mines Paris Tech. La performance a été adaptée au contexte, avec Isadora me rejoignant via skype pour présenter le projet et le lancer à distance. Les participants ont interrogé les caractère spontané des interactions, leur participation collective n'étant pas la meilleure façon d'interagir avec le dispositif puisqu'ils nt pu regardes les écrans d'autres participants pour comparer leur parcours. Pendant ce cours j'ai également fait une démonstration avec un capteur Leap Motion (LMC), pour montrer une alternative accessible à la captation des mouvements de mains. LMC est un petit périphérique USB qui se branche sur l'ordinateur. Il scanne une zone d'environ 0.22 m3 au-dessus de l'appareil, à l'aide de lumières LED et de capteurs de caméra. Cela lui est suffisant pour détecter les deux mains et les 10 doigts lorsqu'ils se déplacent dans l'espace devant l' ordinateur. Ensuite il traduit les données de position en informations numériques qui peuvent entre transformées en indices sonores ou visuels. Ce type de capteur offre un moyen peu coûteux de suivi des mains, sans utiliser des marqueurs de position. Son utilité est limitée par un petit champ de vision mais la précision de sa détection le rend intéressant pour des projets DIY. \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/leap_motion} \caption{Mise en place d'une démonstration de capture de main avec la librairie open source LibFreenect} \label{fig:leap-motion} \end{figure} Les participants ont pu observer comment deux technologies différentes peuvent produire les mêmes effets. \textbf{Repères techniques} Pour ce projet, nous avons utilisé le langage de programmation P5.JS, dont les brouillons, en anglais \textit{sketches}, facilitent une connexion multi-utilisateurs pour co-créer ensemble. P5 est une librairie open source JavaScript accésible online pour facilliter le \textit{creative coding}- une façon de programmer simplifiée, propre aux artistes. Ce langage est dérivé de Processing - une solution software imaginé comme façon simplifiée de programmer, grâce au contenu visuel de ses modules. Avec le temps, la communauté à fait évoluer le software dans un outil de création avec multiples applications, dont le P5. \smallskip Bien que P5 est accessible dans un browser, pour pouvoir inviter plusieurs utilisateurs se connecter à la même page, nous avons du créer un server qui traite des demandes HTTP avec l'aide de la plateforme \textit{Heroku}\footnote{https://devcenter.heroku.com/categories/nodejs-support} et du code source \textit{Node.js} dédiées aux applications réseau- \textit{JavaScript network applications}. Grâce aux tutoriels open source du module \textit{sockets.io} nous avons pu inviter plusieurs participants accéder simultanément à notre performance. Le principe a été de transmettre les coordonnées mouseX, mouseY du souris de chaque utilisateur, sur une canevas graphique partagée en temps réel. Isadora a choisi explorer les possibilités graphiques de notre performance par les \textit{Shaders} - des effets visuels spéciaux qui s'exécutent sur la GPU (Graphic Processing Unit) d'un ordinateur. Cela lui a permis de traiter de nombreux pixels à la fois pour générer du bruit et appliquer des filtres inspirés par des algorithmes de vie artificielle. Le travail de recherche sonore, nous a conduit à employer la librairie \textit{P5sound}. Les fichiers utilisés comme bases sonores sont: \textit{le Piano Concerto \#2 in C Minor, Op. 18} (1901) par Serguei Rachmaninoff et \textit{le Concertino pour harpe et piano} (1927) par Germaine Tailleferre, en complément d'une nappe sonore de BruitBlanc, \textit{WhiteNoise} qui accompagne certaines scènes de la performance. Parmi les algorithmes de composition, nous avons choisi de détourner la fréquence et le volume sonore de ces fichiers, selon la position de chaque utilisateur sur le canevas et la vitesse de ses mouvements. Alternativement, dans la première version de la performance, nous avons associé un son au robot et un son à chaque interaction entre les positions des utilisateurs, créant un espace sonore qui illustrait les déplacements dans l'espace. \subsection{Émission radio sur la conscience artificielle} En juillet 2020, j'ai eu l'occasion d'animer l'émission radio \textit{Conscience Artificielle. Mythe ou Réalité?} dont les invités ont été des artistes-chercheurs. Parmi les invitées: Sooraj Krishna du laboratoire ISIR, puis Chu-Yin Chen, Isadora Teles de Castro et moi-même du laboratoire INREV\footnote{http://www.galoche.online/emission/33/2020-07-03-11-30-conscience-artificielle-mythe-ou-realite}. L'objectif de cette émission, structurée sous la forme d'un débat, a été d'échanger des points de vue personnels sur la question de la \gls{conscience artificielle}. La motivation principale a été de comprendre comment la science peut modéliser un phénomène qu'elle n'arrive pas à définir entièrement. Plus exactement, nous avons cherché à comprendre et aussi spéculer sur l'éventualité qu'une conscience humaine peut-être reproduite par des moyens artificiels (ou pas). J'ai préparé une série des références qui ont été distribués en amont de l'émission. Parmi eux, quelques extraits ont été écoutés en direct. La première mention a été le projet \textit{The Humain Brain Project} ou HBP. Ce projet scientifique d'envergure crée en 2013 vise à simuler le fonctionnement du cerveau humain grâce à un superordinateur, dont les résultats obtenus auraient pour but de développer des nouvelles thérapies médicales en réponse aux maladies neurologiques de notre époque. Dans le déroulée de l'émission nous avons également diffusé un extrait sonore du chercheur Stanislas Dehaene, ancien élève de l'École normale supérieure et docteur en psychologie cognitive. Professeur au Collège de France depuis 2005, il est responsable de la chaire de Psychologie Cognitive Expérimentale. Ses recherches se concentrent autour des bases cérébrales d'opérations les plus fondamentales du cerveau humain: la lecture, le calcul ou la prise de conscience. La prochaine référence partagée a été un extrait sonore qui évoque le concept d'\textit{Umwelt}, à la croisée des chemins entre biologie, communication et sémiotique. Selon Jakob von Uexkull et Thomas A. Sebeok, l'\gls{umwelt} (pluriel : Umwelten) désigne l’environnement sensoriel propre à une espèce ou un individu, traduit en français par l'expression de \textit{monde propre}. La théorie de von Uexkull explique comment des organismes qui partageant le même environnement, font l'expérience de différents réalités sensorielles. Par exemple, une abeille qui partage le même environnement qu'une chauve-souris, sera sensible à la lumière polarisée tandis que la chauve-souris réagira aux ondes issues de l'écho-location. Les deux stimuli leur étant réciproquement inaccessibles, produisent une perception différente du monde extérieur pour chacun. Un autre article partagé, fait état d'une définition de la conscience en lien avec des états d'éveil\cite{vanhaudenhuyse2007elsevier}. Nous nous sommes inspirés par ce graphique qui met en relation le niveau d'éveil et l'environnemt: \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/conscience} \caption{Corrélation du niveau d'éveil avec la conscience de soi et de l'environnement. } \label{fig:conscience} \end{figure} Ensuite j'avais lu un extrait de l'article \textit{ Action \& Enaction - Emergence de l'oeuvre d'art}\cite{lambert2017action} que Chu-Yin CHEN avait écrit en 2017: \begin{quote} ``Quand je lance un caillou, je peux prévoir sa trajectoire et savoir où il ira. Mais, si je lâche mon chat, et bien que je l’aie apprivoisé, il s’échappe de ma main : il fuit pour se cacher ou il cherche à s’amuser. Quand je l’appelle, il joue à cache-cache, il fait tout ce qu’il veut dans cette maison. En fait, toutes les entités vivantes s’administrent par leurs propres lois qui caractérisent leur autonomie.” \end{quote} L'intelligence ou la conscience sont des concepts dont la définition varie suivant les domaines. C'est pourquoi, dès que notre raisonnement touche à l'intangible, il devient difficile de quantifier et rationaliser la conscience sans la réduire au seul fonctionnement du cerveau. Parmi les idées véhiculés lors des interventions, je mentionne celle où les émotions et la perception sont vues comme des composantes en lien avec la \gls{conscience}, tout comme les pensées ou le sens du soi. D'un point de vue psychologique, elle représente une sensation intériorisée immédiate qu'un être établit avec le monde. Dans ce sens, elle peut aussi être reliée aux notions de connaissance, d'intuition et de réflexivité. La conscience est également représentée par un parcours graduel entre le sommeil profond et la veille peuplé par des états intermédiaires. Selon le paradigme de la recherche scientifique utilisé, un état modifié de conscience (EMC) est un état mental différent de l’état de conscience ordinaire. Cet état représente une déviation dans le fonctionnement psychologique d'un individu, par rapport à certaines normes générales de la conscience à l'état de veille. De cette façon les rêves, les états hypnotiques, les hallucinations, la transe, la méditation, les états sous l'influence des drogues psychotropes ainsi que l'état végétatif ou le coma sont des exemples d'EMC. \textbf{illustration courbe EMC} Dans l'introduction de son livre \textit{Les États modifiés de conscience} (1987) Georges Lapassade, décrit les EMC comme: \begin{quote} ``un certain nombre d’expériences au cours desquelles le sujet a l’impression que le fonctionnement habituel de sa conscience se dérègle et qu’il vit un autre rapport au monde, à lui-même, à son corps, à son identité.”\cite{lapassade1986emc} \end{quote} Plus tard, l'ethnologue évoque l'importance du dédoublement vu comme une dissociation spontanée entre deux dimensions fondamentales de la conscience modifiée. Pour Lapassade il existe une dimension passive de la conscience où le sujet semble subir ce qui lui advient, en contrepoids d'une dimension active d’observation par laquelle le sujet prends acte de ce qu'il traverse. Le miroir d'une réalité propre, selon les capacités sensorielles de chacun, illustre ce que le sujet arrive à traduire consciemment. A leur tour, les invités illustrent ce problème sous la forme d'une paradigme recursive dont l'objectif est la connaissance de soi. Isadora parle d'un cycle d'apprentissage qui passe par plusieurs étapes: ``the more we try to simulate consciousness, the more we understand consciousness. Our actual state of consciousness is too ahead of what we try to simulate. Our trials are a way to understand our own consciousness, a late mirror from a millions of years ago.” Ces observations nous permettent de re-définir le concept de réalité, en nous appuyant sur les concepts théoriques de von Uexkull ou de Dehaene, ainsi que sur nos propres observations. \textbf{If you throw a robot, what would the robot do?} Les échanges ont continué en avançant l'idée d'une possible conscience pour les robots, en lien avec la \gls{boucle perception-action-cognition}. Puisque une simulation semble à l'heure actuelle la seule possibilité réelle d'une tel objectif, nous nous sommes demandés comment mieux définir cet état d'émulation d'une conscience. Par quels biais et facteurs cela doit se produire pour générer une expression crédible d'une effet de conscience ou ``make a believable expression of consciousness” pour citer Sooraj. Nous avons pris comme point de départ le comportement des organismes vivants. De cette manière, nous nous sommes demandées comment mieux anticiper le comportement qui vise la trajectoire d'un robot jetée, par rapport au trajectoire du chat ou de la pierre dans l'exemple de Chu-Yin. Nous avons conclu que le comportement émergeant d'un système complexe dépend également de l'influence de son environnemt. Le degré d'incertitude des conditions de l'environnement doit être pris en compte. Nous nous sommes mis d'accord sur le fait que la ré-activité et l'autonomie de ce type de système, est-ce que garantit sa réussite. Un robot qui s'adapte aux conditions de son environnemt avec les mêmes instincts qu'un humain, sera l'émulation parfaite. Cependant autant que nous ne connaissons pas dans les plus brefs détails notre propre fonctionnement en tant qu'espèce, nous n'y arriverons pas à la modéliser. Rétro-activement, la pensée du Michel Bibtol peut pousser plus loin l'exercice de spéculation fait pendant l'émission radio. Suite aux nombreuses échanges, nous n'avons pas fait écho à l'article \cite{bitbol2018cp} que faisait partie de notre matériel didactique pour entrer dans la matière. Le philosophe de sciences semble conclure mieux que nous le débat: \begin{quote} ``Et d’ailleurs, pourquoi voudrait-on plus que cela ? Pourquoi voudrait-on que les robots soient \textit{réellement} le siège ou le centre de perspective d’une conscience phénoménale, en supplément de leur comportement analogue à celui d’un être conscient ? Qu’est-ce que cela nous apporterait de plus par rapport au \textit{comme si} ? Une seule chose : la potentialité de s’incarner soi-même, de se ré-incarner faudrait-il dire, dans un robot et d’affranchir ainsi le flux d’identification vécu que nous appelons \textit{ego} de ce corps malade et mortel. Le test pour savoir si quelqu’un a réussi à se convaincre de cette possibilité serait de lui poser cette simple mais dérangeante question : \textit{accepteriez-vous de mourir à l’instant si vous saviez que votre structure cognitive et vos habitus comportementaux ont été intégralement téléchargés dans un robot?} Ou auriez-vous un doute, celui que la structure cognitive en question, n’ayant aucun vécu associé, vous seriez alors mort pour de bon ?” \end{quote} Selon S.Dehaene, la conscience opère une intégration ainsi qu'une amplification des informations venues de différentes parties du cerveau. Chacune de ces parties traite à son tour, de façon automatique et non consciente, une partie des informations provenant de différents sous-modules. Pour le neuro-scientifique, ce fonctionnement hiérarchique basé sur le tri d’informations, permettra au robot d'adapter son comportement à chaque situation nouvelle. Actuellement les robots autorégulent en partie leur comportement, selon leurs tâches et capacités de calcul. Pour atteindre une autonomie décisionnelle, ils devraient simuler à 100\% un comportement humain. Grâce aux avancées en neurosciences, les architectures cognitives robotiques s'inspirent de plus en plus de mécanismes conscients d’intégration de l’information. Cependant ces mécanismes ne sont pas parfaitement compris, tout comme celles inconscients qui restent encore opaques et difficile à simuler. Dans ce contexte, la théorie de l’information intégrée proposée par Giulio Tononi apporte des réponses complémentaires. Cette théorie avance l'hypothèse que l’accès à conscience d’un individu est lié à la quantité d’information intégrée dans son cerveau. La thèse de Dehaene\cite{dehaene2021springer} approfondie cette perspective. Ainsi la définition de la conscience est donné en trois temps- celle de la conscience qui traite d'une information disponible globalement dans le cerveau ou qui peut-être utilisée à tout moment (C1 - global availability of relevant information) avec l'interprétation subjective de cette information (C2 - self-monitoring), mais aussi celle qui résulte des processus inconscients (C0 - unconsciouss processing). \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/C1C2} \caption{Illustration de la relation entre les composantes C0-C2 de la conscience, selon les observations théoriques de S. Dehaene} \label{fig:c1c2} \end{figure} La composante C1, celle de la disponibilité de l'information à tout moment, fait référence au caractère transitif de la conscience. Dans l'exemple de Dehaene, cela corresponds au pilote d'une voiture qui comprends la signification d'un voyant qui s'allume. Ainsi la représentation mentale du voyant rouge est intégrée dans un système cognitif d'interprétation de symboles. Cette information est disponible globalement pour des autres associations, autant qu'elle reste consciente. Une autre propreté de la conscience est son caractère reflexif. Cela signifie qu'un système cognitif est auto-référentiel, capable de s'auto-évaluer selon un contexte donné afin d'obtenir des informations nouvelles. Par exemple, l'être humain qui récupère de façon automatique des informations sur la position de son corps, pour mieux l'ajuster en cas de disconfort. Dehaene décrit cela comme une introspection, vue comme moyen de produire des représentations internes propres concernant les habilités de quelqu'un. Alors qu'une grande partie de l'information de notre environnement est décodée et stockée dans le cerveau sans que nous l'utilisons de façon conscience. Parfois des souvenirs peuvent influer nos décisions et états conscients, mais la plupart du temps cette masse d'information est opaque et opère au niveau de notre inconscient. Selon Dehaene\cite{dehaene2021springer}, la composante C0 est siège des processus d'apprentissage et de notre coordination et la plupart des robots fonctionnent grâce à ses principes. Élargir ce modèle aux composantes C1 et C2 est un défi pour les chercheurs en robotique: \begin{quote} ``How could machines be endowed with C1 and C2 computations? Let us return to the car light example. In current machines, the \textit{low gas} light is a prototypical example of an unconscious modular signal (C0). When the light flashes, all other processors in the machine remain uninformed and unchanged: fuel continues to be injected in the carburetor, the car passes gas stations without stopping (although they might be present on the GPS map), etc. Current cars or cell phones are mere collections of specialized modules that are largely \textit{unaware} of each other. Endowing this machine with global information availability (C1) would allow these modules to share information and collaborate to address the impending problem (much like humans do when they become aware of the light, or elephants of thirst).” \end{quote} Dans les exemples de Dehaene, un éléphant est capable de parcourir jusqu'au 50km pour retrouver une source d'eau lorsqu'il a soif, en intégrant des informations de son environnement et des indices par rapport aux autres fois quand il a eu soif. Nous pouvons espérer qu'un jour, des robots conscients de leur environnement et de leurs expériences passés, seront capables de s'auto-réguler et fonctionner de manière autonome dans un éco-système où ils seront tout autant intégrés qu'un espèce vivante. \section{Objets électroniques} \subsection{M.I.P. ou comment rendre l'électronique créative} Une instance intéressante de ma recherche-création a été la préparation, entre décembre 2021 et mai 2022, d'un Module Pédagogique Innovant (M.I.P.) pour l'école doctorale EUR-ArTeC. Cette expérience d'enseignement m'a permis de conceptualiser mes questionements dans un cadre académique et ainsi les confronter et adapter à un contexte général de recherche. De cette façon, l'atelier laboratoire \textit{Interfaces Magiques : objets connectés pour la performance artistique} a été conçu comme un partage des connaissances autour du design et de la création d'accessoires électroniques interactifs et connectés pour des performances artistiques. Proposé comme un espace d’expérimentation mixte entre arts performatives, électronique et création d’objets connectés, ce module m'a permis de réfléchir à comment des interfaces connectées peuvent enrichir la créativité d'un performeur et comment un spectateur intègre cette proposition. Le projet a été conçu et animé en collaboration avec Isadora Teles de Castro, dans le cadre du projet ArTeC: \textit{Co-Evolution, Co-Création \& Improvisation H2M (CECCI H2M): Promouvoir une coévolution comportementale durable avec une co-création émergente Homme-Machine} dont j'ai fait mention dans l'introduction de ce travail. Il a eu lieu du 6 au 9 mai, de 10h à 18h, dans mon studio artistique au DOC! (26 rue du Docteur Potain, 75019 Paris) puis le 27 mai en ligne, pour discussion et retour d'expérience. Les sept participantes ont été des étudiantes en M1 et M2 de l'école EUR-ArTeC. Puisque l' objectif pédagogique a été l’appropriation des dispositifs électroniques connectés dans un contexte artistique, elles: \begin{itemize} \item ont acquis des concepts et des références sur les accessoires électroniques interactifs portables, ainsi que sur les objets IoT connectés et leur contexte de création artistique, \item ont expérimenté une première étape de planification, prototypage et réalisation d'interface pour des fins performatifs et artistiques, \item ont acquis des bases en électronique et informatique qui leur permettront de s’imaginer leurs propres projets créatifs en interfaçant ensemble des modules électroniques (capteurs, actuateurs, carte contrôleur). \item ont eu l’occasion de customiser leurs propres outils et accessoires lors d’un exercice dramaturgique en lien avec le féminisme et l’hybridation du corps. \end{itemize} La version intégrale du cahier de bord est disponible en ligne\footnote{https://interfacesmagiques.tumblr.com}. L'atelier a été structuré en plusieurs étapes. D'abord nous avons mis en place un syllabus contenant un état de l'art des projets créatifs utilisant du matériel électronique et le lien vers des tutoriels de \textit{creative coding} et projets DIY qui nous ont inspiré. Ensuite nous avons présenté notre propre matériel électronique et quelques capteurs avant de commencer le travail pratique de familiarisation et expérimentation avec les boards Arduino et les capteurs. Le troisième temps a été celui de la réalisation d'une maquette collective, pensée comme étude de cas des connaissances acquises. Grâce à l'utilisation de capteurs, des servo-moteurs et de formes textiles plissées et pliées, les participants ont appris à créer une extension corporelle portable connecté aux mouvements d'un autre corps. Dans les semaines qui ont précédé cet atelier, nous avons également organisé un temps d'échange et de retour d'expérience. Une partie importante pour les permises du projet, a été le partage des ressources bibliographiques. Parmi les artistes qui nous ont le plus inspiré, il y a le travail de Katie Hartman. Son livre \cite{hartman2014make} présente les bases de l'électronique pour des projets créatifs, ainsi que des exemples de code et d'autres astuces et ressources partagés par la communauté. Artiste, chercheuse et pédagogue basée à Toronto, le travail de Hartman couvre des domaines comme la physique, l'informatique, l'électronique portable et l'art conceptuel. Fondatrice du \textit{Social Body Lab}, elle coordonne une équipe de recherche dédiée à l'exploration de technologies centrées sur le corps dans un contexte social. Pour Hartman, le corps humain est une interface primaire en lien avec le monde extérieur et son projet d'utiliser des dispositifs portables (c'est à dire \textit{wearables}) est pensé en lien avec l'augmentation de nos capacités sensorielles. Un expriment qu'elle propose, décrit les consignes pour l'écoute et l'amplification des bruits produit par une partie de notre corps. J'ai utilisé ses conseils lors des étapes de recherches ultérieurs, grâce à l'aide des capteurs sonores (microphones piezoéléctriques). Je parlerai de mes observations dans un prochain chapitre. Cependant il est important de mentionner que cette approche informelle, au caractère ludique de Hartman m'a réconcilié et aidé à mieux comprendre le rapport au corps, par le biais d'une technologie simplifiée (\textit{lowtech}). Au même titre, Hannah Perner-Wilson et Mika Satomi, dont le travail est répertorié online sur le site \textit{How to get what you want}. Leur idée est de mettre à disposition des références ``compréhensibles, accessibles et maintenables” qui encouragent les participants à contribuer ultérieurement, une fois les bases acquises. Les deux artistes et chercheuses cherchent à souder la communauté du collectif KOBAKANT\footnote{https://www.kobakant.at} qu'elles ont crée en 2008. Pour cela, elles explorent (souvent avec de l'auto-ironie et de l'humour) l'artisanat textile et l'électronique comme outils critiques des aspects technologiques de notre société. Sur leur site, elles expriment leur credo de la façon suivante: \begin{quote} ``KOBAKANT croit que la technologie existe pour être piratée, faite à la main et modifiée par tout le monde pour mieux répondre à nos besoins et désirs personnels.” \end{quote} Le travail individuel de Hannah Perner-Wilson s'est constitué en parallèle autour du projet \textit{Wearable Studio Practice} (WSP). WSP représente une collection d'objets portables - \textit{wearables} - qui facilite la création de projets électroniques nomades, comme moyen d'expérimenter le monde. Pour elle, l'acte de fabriquer - \textit{making} - est une forme d'expression créative en lien avec la nature. Je rajoute à cela l'importance du héritage de Rosalind Picard et son travail au laboratoire MIT, où elle a développé sa thèse sur l'importance des émotions dans la programmation - \textit{affective computing} où le concept même d'ordinateur est revisité du point de vue de son utilité. Si la plupart des ordinateurs sont utilisés d'une façon identique, son équipe imagine des ordinateurs qui peuvent être portés comme des lunettes ou des vêtements, pour interagir avec l'utilisateur en fonction de son contexte. Son hypothèse est que les technologies peuvent augmenter nos capacités affectives, comparatif avec la communication inter-personnelle directe, puisque la communication intermédiée par un ordinateur offre des multiples possibilités d'expression\cite{picard2000affective}. Sa démarche a motivée les prochaines générations des chercheuses à affranchir des nouvelles limites et oser penser différemment. Peu à peu, l'accès aux ressources s'est démocratisé et ces projets de recherche sont devenus Open Source pour inspirer le travail de Perner-Wilson ou Hartman, quelque part à la lisière entre l'académique et le do-it-yourself (DIY). En suivant les avancées dans ce type de communauté scientifique, dont les membres sont souvent appelés \textit{makers}, la possibilité de créer des appareils portables ludiques pour amplifier, étendre ou renverser notre langage corporel, reste une activité récréative capable d'inspirer plusieurs domaines plus ``sérieuses”, dont la robotique. La décentralisation des pratiques et le partage des ressources, déterminent une partie de makers à détourner le rôle de ces dispositifs dans les interactions sociales. Ils explorent ainsi les moyens d'étendre physiquement leur propre expressivité par l'intermédiaire de l'électronique portable. Ce qui fait que les roboticiens profitent également de l'invention des nouvelles pratiques ou matériaux, pour affiner leurs prototypes. Dans notre contexte pédagogique, après cette première phase théorique, nous avons lancé un module pratique avec un petit inventaire des capteurs, breadboards, microcontrôleurs, connectors et le reste des matériaux disponibles pour les participantes. \textbf{Performance collective comme rendu pratique} La synthèse de nos expérimentations a été traduite sous la forme d'un moment performatif collectif. Pour se préparer, les participantes ont du créer un dispositif électronique connecté. Ensuite nous avons fait un travail dramaturgique pour interroger le potentiel scénique de ce dispositif, le message transmis et le rôle du dispositif connecté dans la performance. Dans la liste des capteurs que nous avons utilisé, j'évoque celui qui a le plus inspiré les participantes - le velostat. Ce type de capteur est utilisé dans beaucoup de projets artistiques DIY à cause de sa conductivité électrique, donnée par le noir de carbone qui imprègne sa structure. Velostat a des propretés piézorésistives, sa résistance diminue avec la flexion ou la pression, ce qui fait de lui un capteur flexible très accessible. Il est par exemple utilisé pour fabriquer les chaussures qui s'allument lorsque le porteur marche. Nous l'avons utilisé comme ``deuxième peau” pour une de nos performeuse, qui s'est collé ce matériel sur plusieurs parties de son corps, notamment la planque de pied. \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/velostat_pied} \caption{détail de la performance - poser son pied par terre modifie la valeur de la tension du velostat} \label{fig:velostat-pied} \end{figure} Une fois qu'elle a posé son pied par terre la résistance a changé. Un petit servo-moteur connecté à distance, partie d'un accessoire porté par une deuxième performeuse, est actionné chaque fois que la résistance du velostat change. \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/servo_m} \caption{détail de la performance - un signal envoyé via une connexion Wifi modifie l'accessoire servo-moteur selon les valeurs récupérés du capteur Velostat} \label{fig:servom} \end{figure} Parmi les idées qui ont peuplé notre exercice de recherche-création collectif, \textit{la guerrière empêchée} s'est imposé comme une figure matriarcale effigie d'une femme cybrog engagée qui réclame sa place au monde. Son corps (dédoublé par les accésoirés que nos deux performeuses portaient) disposait d'une tête qui communiquait avec les pieds pour réfléchir. J'ai partagé avec les participantes le manifeste de Donna Harraway\cite{haraway2010cyborg}, dont l'écriture nous a accompagné tout au long de ce moment de recherche dramaturgique: \begin{quote} ``Les machines modernes sont essentiellement des dispositifs microélectroniques : elles sont omniprésentes et invisibles. La machinerie moderne est un dieu irrévérencieux et insolent, se moquant de l’ubiquité et de la spiritualité du Père. La puce de silicium est une surface pour l’écriture ; elle est gravée à des échelles moléculaires perturbées uniquement par le bruit atomique, l’interférence ultime pour les scores nucléaires. L’écriture, le pouvoir et la technologie sont des partenaires anciens dans les histoires occidentales sur l’origine de la civilisation, mais la miniaturisation a changé notre expérience des mécanismes. La miniaturisation s’est révélée être une question de pouvoir ; ce qui est petit n’est pas tant beau que prééminemment dangereux, comme dans le cas des missiles de croisière... Nos meilleures machines sont faites de lumière ; elles sont toutes légères et propres parce qu’elles ne sont rien d’autre que des signaux, des ondes électromagnétiques, une section du spectre. Et ces machines sont éminemment portables, mobiles — une source de douleur humaine immense à Détroit et Singapour. Les gens ne sont pas aussi fluides, étant à la fois matériels et opaques. Les cyborgs sont éther, quintessence.\footnote{en version originale: ``Modern machines are quintessentially microelectronic devices: they are everywhere and they are invisible. Modern machinery is an irreverent upstart god, mocking the Father’s ubiquity and spirituality. The silicon chip is a surface for writing; it is etched in molecular scales disturbed only by atmoic noise, the ultimate interference for nuclear scores. Writing, power, and technology are old partners in Western stories of the origin of civilization, but miniaturization has changed our experience of mechanism. Miniaturization has turned out to be about power; small is not so much beautiful as pre-eminently dangerous, as in cruise missiles... Our best machines are made of sunshine; they are all light and clean because they are nothing but signals, electromagnetic waves, a section of the spectrum. And these machines are eminently portable, mobile—a matter of immense human pain in Detroit and Singapore. People are nowhere near so fluid, being both material and opaque. Cyborgs are ether, quintessence.”}.” \end{quote} Lors du processus de création nous avons beaucoup interrogé nos limites et la nécessité de \textit{bien faire pour réussir en tant que femmes}. Le prototype final, entre prothèse et objet de castration relevait de nos doutes et ambitions en marge de la création. Un court extrait de cette présentation est disponible sur le blog de l'atelier\footnote{https://interfacesmagiques.tumblr.com/post/696462906243579904/day-4-the-performance-video}. \textbf{Capter la charge électrique dans les muscles pour la transformer en son}\smallskip Le module que j'ai pris en charge pour une démonstration pratique utilise un capteur électromyographique (EMG) de surface appelé MyoWare Muscle Sensor Kit. \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/myoware} \caption{capteur électromyographique de surface} \label{fig:myoware} \end{figure} L'électromyographie est une technique qui mesure l'activité électrique musculaire à l'aide d'électrodes placées sur la peau, au-dessus du muscle. Cette mesure est prise lors d'une contraction musculaire et vise son amplitude maximale ou sa fréquence médiane. Certaines EMG captent également l'activité involontaire des muscles. Dans le domaine médical, un examen EMG est fait lorsqu’une personne présente des symptômes d’un trouble musculaire ou nerveux. Cette procédure évalue l’état de santé des muscles et des motoneurones qui les contrôlent. Je me suis intéressée à ce type de capteur parce que les muscles sont les véritables déclencheurs du mouvement humain. A leur tour, ils sont contrôlés par des cellules nerveuses (motoneurones) qui transmettent les signaux électriques au cerveau pour provoquer des mouvements de contraction et de relaxation. Ces deux phases, provoquent une différence de potentiel dans le signal électrique. Grâce aux tendons qui les fixent sur des os, les muscles actionnent le squelette et le font bouger articulation par articulation, suivant différentes angles de rotation. Cette mécanique de calcul et perpétuel ajustement se produit de façon autonome. Si elle est étudié par les ingénieurs bio-mécaniciens pour être modélisée, elle me fascine en tant que artiste apr son opacité quand à la conversion entre les signaux électriques et la pensée. Parfois quand je danse je verbalise une action pour un de mes membres - par exemple \textit{Leve ta main}, alors que des autres fois je m'oublie. C'est qui ce \textit{je} qui s'adresse à mon corps à la deuxième personne? Où disparaît il quand cela se produit de manière automatique? A l'écart de ces questions ontologiques, un capteur EMG traduit la différence de potentiel en graphiques ou en chiffres qui sont ensuite nettoyés par l'intermédiaire des filtres. Ces données représentent un input pour générer du son, des images ou contrôler à distance des dispositif électroniques comme les robots. \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/signal_emg} \caption{Enveloppe du signal capté, les valeurs en rouge sont les valeurs avant l'application du filtre.} \label{fig:signalemg} \end{figure} Dans la démonstration que j'ai préparé, l'EMG était connecté à un board Arduino Uno et à mon bras. Le signal capté a été ensuite transformé en son grâce à un contrôleur midi simulé avec le logiciel PureData. Le code Arduino qui a permis la configuration du capteur et la transformation du signal: \begin{lstlisting} int EMGPin = A0; unsigned long sampling_period = 4; // milliseconds => ~256Hz must check if read does not take too much time ! unsigned long nextread = 0ul; //0 unsigned long (de 8 bytes) unsigned long current_millis = 0ul; const size_t bufferSize = 32; int data_buffer[bufferSize]; //array de 32 pour stoquer size_t data_ptr = 0; // adresse de chaque ecriture bool enabled = false; //est-ce que je capture ou pas void setup() { // put your setup code here, to run once: Serial.begin(9600); for (int i = 0; i < bufferSize; i++) { data_buffer[i] = 0; //toutes les valeurs sont a 0, intialisation de l'array 0 } } void loop() { while (enabled) //tant que je capte { current_millis = millis(); //le temps, la valeur en milisecondes depuis que le board est ON //si on depase le 4ms (temps de sampling) on execute le code suivant if (current_millis > nextread) // avant de mesurer, je verifie si un certain temps s'est passe pour pas mesurer trop vite { data_buffer[data_ptr] = analogRead(EMGPin); // a chaque interation on inscrit dans la prochiane caise du tableau la val analogique lu sur le pin //Serial.println(data_buffer[data_ptr]); // Serial.write(data_buffer[data_ptr]); data_ptr = (data_ptr+1)%bufferSize; //lorsque le tableau est rempli on repasse a la caisse 0 et l'iteration nextread = current_millis + sampling_period; // la prochaine fois que je vais lire if (data_ptr == 0) { Serial.write((byte*) data_buffer, 2*bufferSize); // cast = ca convertit databuffer en un pointer d'octet, en arduino uno 1 int = 2 bytes } } } CheckSerial(); //je regarde dans mon port( buffer associe au port) } void CheckSerial() { if (Serial.available() > 0) { enabled = !enabled; FlushSerial(); //je vide le buffer du port serie // data_ptr = 0; } } void FlushSerial() { while(Serial.available() > 0) { byte garbage = Serial.read(); } } \end{lstlisting} \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/PD} \caption{implementation des filtres qui processent de manière synthethique le son} \label{fig:pd} \end{figure} Le lien pour suivre cette démonstration est disponible en bas de page\footnote{https://vimeo.com/855601666?share=copy}. Lors de mes résidence artistiques dans le studio de Mathilde Monnier à Montpellier j'ai eu l'occasion d'améliorer ce prototype et le tester avec plusieurs mouvements, pour mieux comprendre mon écriture corporelle à l'aide du son. Plus bas, un extrait vidéo d'un des moments de recherche-création\footnote{https://vimeo.com/718376555?share=copy}. Au travers ces essais et maquettes j'ai pu mieux éduquer mes sens et ma perception à une présence active où mon corps se dilue pour mieux apparaître. Me perdre dans ce mélange de présence. Comme Kozel le remarque dans son livre\cite{kozel2008closer}, nous avons besoin des machines pour objectiver notre présence-absence. La technologie devient un repère pour l'humain, qui se retrouve au-delà de son propre subjectivité: \begin{quote} ``The examples of sight, touch, and movement reveal that the relation of reversibility is \textit{always imminent and never realized in fact} (Merleau-Ponty 1968, 147). It is impossible to over-exaggerate the importance of the dynamic of reversibility in Merleau-Ponty’s late thought. He thought it inside and out, and always returned to the unsettling truth that I see and am seen. The significance of this is a fundamental lack of stability within our corporeal insertion in the world, a dismantling of firmly set notions of subjectivity and identity, even of meaning. The body \textit{is not a self through transparence, like thought, which only thinks its object by assimilating it, by constituting it, by transforming it into thought. It is a self through confusion} (Merleau-Ponty 1964a, 163). Without this overlapping, uncertain dynamic we would not really be flesh, we would not have the body of a human being, there \textit{would be no humanity} (ibid.). The humanity is, paradoxically, achieved through a distance being incorporated into the self through the emigration into the outside.” \end{quote} Nous nous sommes appuyées sur ses observations pour comprendre ce rapport à la corporéité et aux dispositifs connectés dans notre cadre d'improvisation sociale créative. Ainsi leur influence et les possibles dérives éthiques en lien avec la question du corps et ses limites, deviennent moins critiques du point de vue des \textit{wearables} DIY. Comparé à la robotique ces dispositifs sont plus accessibles, car moins compliqués et moins chers. Ils constituent un première étape dans la co-habitation avec une technologie accessible, ludique et non-invasive, pensée en lien avec l'humain. Pour moi cela se constitue dans une sorte de low-tech expérimental et expérientiel, qui m'aide à mieux structurer la relation avec la technologie. \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/capteur-de-distance-ultrason} \caption{Exemple de capteur ultrason de 5V utilisé pour des projets Arduino} \label{fig:capteur-de-distance-ultrason} \end{figure} Cette bande de fréquences fait référence à des fréquences audio qui se situent en dehors de la gamme d'audition humaine (20 kHz). Les capteurs à ultrasons se reposent sur ces fréquences pour détecter la présence d'un obstacle ou pour calculer la distance d'un objet distant. \subsection{L'animata qui anticipe le robot} Dans une autre expérimentation, j'ai traité cette question de la low-tech et son importance dans ma recherche sur les robots, en travaillant avec un \gls{dispositif animatronique} ou animata. Cette fois il s'agissait d'un dispositif électronique autonome, similaire à un \textit{animal électronique}. La structure d'une animata dépends de son utilité. Pour mon processus de recherche-création j'ai eu besoin de comprendre comment l'improvisation dansée peut-être influencé par un déplacement spatial aléatoire. J'ai ainsi construit un dispositif dotée d'un capteur ultrasons HC-SR04 dont la seule contrainte était d'éviter les obstacles. \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/capteur-de-distance-ultrason} \caption{Exemple de capteur ultrason de 5V utilisé pour des projets Arduino} \label{fig:capteur-de-distance-ultrason} \end{figure} Cette bande de fréquences fait référence à des fréquences audio qui se situent en dehors de la gamme d'audition humaine (20 kHz). Les capteurs à ultrasons se reposent sur ces fréquences pour détecter la présence d'un obstacle ou pour calculer la distance d'un objet distant. Le fonctionnement de base de ce type de capteur est semblable à la manière dont les chauves-souris utilisent l'écholocation pour se repérer en vol: \begin{itemize} \item un émetteur envoie une rafale d'ondes sonores à haute fréquence (entre 23 kHz et 40 kHz) \item lorsque l'impulsion sonore frappe un objet, une partie des ondes sonores est réfléchie vers un récepteur \item en mesurant le temps qui s'écoule entre le moment où le capteur émet et reçoit ce signal ultrasonore, la distance à l'objet peut être calculée à l'aide de la formule suivante : \begin{equation}\label{key} d = 0.5*c*t \end{equation} où \textit{d} répresente la distance en mètres, \textit{c} la vitesse du son (343 mètre per seconde) et \textit{t} le temps en secondes entre l'émission et la réception. \end{itemize} Cette schéma représente le monde de fonctionnement du capteur : \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/schema_ultrason} \caption{Exemple de calcul de la distance entre un émetteur et un récepteur à ultrasons. Source de l'image: CUI Devices} \label{fig:schema-capteur-de-distance-ultrason} \end{figure} Plus tard, j'ai decidé de remplacer le capteur sonore HC-SR04 avec un capteur laser TOF10120. \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/capteur_tof} \caption{Capteur TOF10120, dont la distance couverte est entre 5cm et 180cm.} \label{fig:capteurtof} \end{figure} Parmi les caractéristiques de ce capteur, je mentionne une distance de portée précise avec une mise au point automatique, à grande vitesse. Cette technologie innovante de \textit{Time of Flight} - en français ``temps de vol” - a été d'abord la base du fonctionnement des radar. Avec le temps, la fréquence plus élevée d'un émetteur ToF basé sur la lumière, permet au signal de prendre divers modèles d'ondes, y compris les ondes carrées d'un oscillateur (differente des signaux sinusoïdaux analogiques que l'on trouve plus couramment des systèmes radar) et ainsi etre plus réactif et précis. La technologie ToF fonctionne d'une manière similaire aux capteurs ultrasons. Une source (émeteur) émette de courtes impulsions infrarouges pour ensuite mesurer le temps nécessaire à la lumière d'être réfléchie (réceptionné). Actuellement les capteurs Tof sont utilisés dans la robotique, à l'œuvre pour diverses applications de vision qui utilisent des algorithmes de ML. Une fois que cette question de comportement d'animata a été réglé et ses arrêts et déplacements sont devenus plus nettes, je me suis concentré sur nos possibilités d’interaction. Après quelques prototypages et retouches l'animait rassemblait à cela: \begin{figure} \includegraphics[width=0.5\linewidth]{images/tof_bureau} \includegraphics[width=0.5\linewidth]{images/tof_bureau2} \caption{La dérniere phase du prototype, avant la résidence pratique} \label{fig:tofbureau} \end{figure} Pour mon imaginaire artistique, je me suis dite à l'époque qu'il avait perdu son ouïe mais gagné de la vision en échange. Cela a également influencé ma façon d'imaginer sa présence lors des improvisations. Au premier abord j'ai fermé mes yeux, en pensant à sa cécité induite. Sur les photos que j'ai montré plus haut, le capteur ultrasons ressemble à une paire des yeux, bien qu'en réalité il opère avec du son. En échange le capteur infrared est plus petit et son apparence peut suggérer des oreilles à la place des yeux. Fermer donc les yeux pour mieux entendre, à été une de mes premiers explorations sensorielles. \textbf{Fermer les yeux pour mieux entendre} En avril 2021 lors d'une de mes premieres résidences de plateau dans le studio de Mathilde Monnier, j'ai commencé par des exercices somatiques qui impliquent pas la vue. Immobile, je choisissais un endroit dans l'espace puis je laissais mon corps se repose pour capturer son empreinte dans l'espace. J'imaginais mon enveloppe corporelle, je visualisais la position spatiale de chacun de mes membres, j’écoutais le son de ma respiration puis les bruits autour de moi - du plus proche au plus lointain. Au fur et au mesure des mois, j'ai adapté cet exercice à plusieurs versions. J'ai arrivé à le faire début, les yeux fermes en bougeant. Beaucoup de fois la trajectoire que j'imaginais était pas la même avec celle de mes déplacements réels dans l'espace. Cet endroit d'incertitude, l'écart entre ce que je visualisais et là où mon corps m'amenait représentait une sorte d’errance joyeuse. \textbf{dessin avec la trajectoire dans l'espace} Restait à voir comment une animata, qui à mon sens avait un comportement similaire, pourrait interagir avec moi. Plus concrètement la question se posait inversement - comment moi dans cette joyeuse errance j'ai pu interagir avec \textit{lui}. Parmi les scénarios d'interaction que j'ai imaginé, j'ai voulu comprendre l'incidence de son mouvement aléatoire sur mon improvisation spatiale ou l'impact de ses arrêts sur mon propre déplacement. Au sens plus large, cela m'intéressait la manière dont une improvisation dansée avec ce type de partenaire est différente d'une séance d'improvisation avec un humain. La mise en pratique de ces scénarios s'est produite lors d'une résidence d'essai en juillet 2021, comme expérimentation préliminaire du projet CECCI-H2M. Des vidéos de séances d'improvisation sont accessibles intégralement. Le premier exemple\footnote{https://vimeo.com/855838173} montre une danse avec le capteur ultrasons, le deuxieme est une démonstration du capteur infrarouge \footnote{ https://vimeo.com/856034468}, alors que le dernier vidéo est d'une maquette présentée lors d'une résidence de création\footnote{https://vimeo.com/856039742}. Cette maquette est le résultat de l’interaction entre moi en tant que performeuse, l'animata et une projection des algorithmes visuels d'Isadora Teles de Castro. Le choix de commencer mon exploration avec un exemple physique simplifié, vient du besoin de construire un substitut au robot. Ce substitut est un Arduino avec des roues, dont le corps est en carton. Les seuls attributs de cet appareil sont : sa capacité de détection de mouvements et d’obstacles. Utilisant peu les capacités comportementales, j'ai poursuivi un point commun entre l’intelligence inhérente au corps humain et la réaction d'un \textit{autre}, proche d'un animal ou insecte dont le corps est mécanique. Cette approche de l'animata postule qu'il est possible d'étudier la cognition humaine à travers une approche bottom-up qui part d'architectures de contrôle minimales et d'environnements simples et les réalise ensuite progressivement plus complexe\cite{bret2005interacting}. Lors de cet essai, l'influence de la présence de l'animata sur mon expression corporelle, m'a fait reconsidérer mon approche lors d'une possible interaction avec HRP-4 sur scène. Comparés aux robots industriels très puissants et rapides, les robots collaborateurs sont plus conformes, avec des performances plus lentes, mouvements élastiques inspirés de la nature. Leur capacité à complexifier leur propre comportement est directement liée à leur capacité à interagir avec l’environnement\cite{brooks1990elephants}. Le robot HRP-4 n'a pas été conçu en utilisant contraintes industrielles. Il est une plateforme de recherche, capable de résoudre des problèmes complexes comme conduire une voiture\cite{paolillo2018autonomous} ou avoir des compétences de fabrication\cite{kheddar2019humanoid}. Puisque son fonctionnement repose sur un contrôle de l'espace des tâches\cite{bolotnikova2019multi}, nous avons pensé tester sa capacité d'incarnation\cite{aymerich2016second}, pour l'adapter à un contexte d'interaction avec les humains plus intuitif et peut-être primitif, comme la danse improvisée. Cet objectif d’une relation H2R interdépendante et co-créative, a été abordé à travers les étapes suivantes : \begin{itemize} \item étudier le comportement autonome des humanoïdes ; \item concevoir des modèles élémentaires Arduino qui simulent un type de comportement autonome humanoïde ; \item improviser des séquences de danse/mouvements avec le modèle élémentaire ; \item analyser l’impact du comportement de la machine sur les mouvements de l’interprète ; \item identifier les mouvements réflexes chez l'interprète ; \item adapter puis appliquer certains d'entre eux au HRP-4 virtuel, en utilisant des statistiques et des fonctions aléatoires ; \item créer un scénario de mouvement pour HRP-4 virtuel combinant des mouvements réflexes et intentionnels ; \item improviser avec HRP-4 virtuel en utilisant ce scénario ; \item analyser l'effet de ce geste sur l'interprète ; \end{itemize} \section{Des robots sauvages} Des hybridations homme-machine que le professeur Masahiro Mori a étudié dans son graphique de la \textit{vallée de l'étrangeté} mentionnée dans la première partie de cette thèse, croisent les regards féministes de Donna Haraway\cite{haraway2016staying}, Rosi Braidotti\cite{braidotti2019posthuman} et Karen Barad\cite{barad2003posthumanist} pour évoquer des nouveaux types d'humanités et humanismes. La place de la femme, entre techno-chamane et sorcière, rejoint la critique de Zigmunt Bauman sur la liquéfaction de nos identités\cite{bauman2006vie}. Dans ce contexte, la danse apparaît comme une forme de \textit{des-identification}, dernier rempart avant la fin du monde. Mais de quelle danse pouvons-nous parler lorsque nous évoquons les robots? Travailler à partir de leurs mouvements peut paraître une double mise en abyme du mouvement humain et animal, dont la robotique s’inspire pour créer ses modèles. Cependant je vois cette danse comme un endroit de liberté, face à l’automatisation des machines. Bien qu’ils arrivent petit à petit à exécuter des mouvements techniques, les robots ne sont pas dotés des intentions, d’un vécu expérientiel qui nourrit leur geste. Ni de la créativité, malgré ce que les media ne laissent croire. Pour ce que me concerne, la danse m'a appris beaucoup de choses sur l'intelligence de mon corps, sur mon instinct, sur le fait d’être présente. Elle fait partie intégrante de ma vie depuis mon enfance. Au début cela à été un moyen d’évacuer mes émotions et de faire la fête. Avec le temps c'est devenu un médium pour interroger des autres pratiques et domaines d'activité comme la robotique et les neurosciences. La pratique chorégraphique est pour moi étroitement liée à l'improvisation, puisque c'est là que je retrouve ce plaisir spontané de danser, d'inventer des mondes. Dans le cadre de cette recherche-création, j’ai fait des analogies entre les robots et les ours sauvages, puis les robots et les vampires dans le projet \textit{TIWIDWH} (2023). La façon dont j’improvise et je m’empare des outils chorégraphiques en lien avec les robots, est un processus en cours de développement. Mes observations théoriques, trouvent ou pas une expression propre lors de rendus pratiques. Je trouve intéressant de mettre ces deux perspectives en tension, puis de partager les conclusions. Ma pratique quotidienne est un mélange des exercices de prise de conscience des sensations, de yoga et des étirements. Lorsque je danse, j'essaie de suivre presque automatiquement l'enchaînement des mouvements. Idéalement j'aimerais avoir plus de technique, bien que j’apprécie cette corporalité \textit{autre}, façonnée par des rencontres en laboratoire, programmation des robots, mise en place des ateliers pluridisciplinaires et techniques de danse. Le fait d'émuler des mouvements des robots est une occasion de relativiser ma manière de danser. Ce que m’intéresse est de travailler à partir d'autres physicalités, notamment celles des robots. Pour cela, j'accorde une importance particulière à la manière dont l'enchaînement des mouvements s'organise, son origine, sa vitesse et la capacité de rotation de l'articulation en question. J'accompagne cela par des sensations internes, en m'imaginant que mon corps se transforme selon l’équation de mouvement du robot. Le plus important c'est de saisir mon intention derrière ce mouvement, bien que dans le cas du robot cela n'existe pas réellement. Je travaille en accordant plus d'importance au processus, qu'au résultat final. L'articulation entre mon intuition et la forme que cela puisse prendre, se fait par l’écriture. Mon approche est inspirée entre autres par les écrits des dramaturges de la danse comme Guy Cools\cite{cools2021dance}, Jonathan Burrows dont je me suis beaucoup appuie sur le cahier de bord\cite{burrows2010choreographer}, puis des chorégraphes comme Deborah Hay et Anna Halprin que j'ai déjà évoqué dans la partie théorique. En suivant leurs observations, j’intègre à mon tour la prise de notes comme une pratique incorporée, dont la danse s'inspire pour mieux clarifier le processus de composition et d'improvisation. Je conçois tout cela comme un processus de réflexion où l'improvisation est une sorte de négociation entre ce que mon corps m'apprends et l'évolution de mes opinions vis à vis des robots dans ce contexte. Interroger leur figure pour voir ce que cela renvoie par rapport à mes craintes et peurs quant à l’avenir. L’utilisation de l’improvisation comme outil pour trouver du matériel est étroitement lié des processus chorégraphiques type collage ou \textit{copy-paste}, pour citer Burrows. Pour mon premier spectacle \textit{En attendant que la vie passe} (2019) j'ai d'abord trouvé les tableaux, puis décidé ensuite de l'ordre dans lequel ils s’enchainent. Lors des improvisations, beaucoup des trouvailles n'ont pas pu être reproduites, c'est en cela que les notes de Burrows m'ont pu consoler quant à la suite. J’ai pu comprendre que ce qui ne peut pas être reproduit, laisse de l'espace pour déployer des nouvelles choses. C’est ainsi que j'espère trouver une manière de danser qui n’est pas une imitation des mouvements des robots, mais plutôt une manière de danse propre à ce type d’interaction. La place que le corps prends à l’intérieur de ce projet concerne sa des-identification, ou pour citer Cools, une forme de confusion que l’expérience somatique de la danse puisse produire lors d'un processus de création. Le dramaturge utilise comme point de référence le travail du praticien somatique Stanley Keleman dont j'ai découvert le travail à l'occasion. Pour Kelman l’une des fonctions de l’art est de créer des images évocatrices, qui touchent et résonnent profondément dans notre système d’impulsions, pour nous aider mieux explorer notre propre qualité de mouvement. J'adapte à mon tour des outils de Cools, comme le \textit{Repeating Distance}, concernant l'exploration de l'espace de la performance et du paysage environnant, en tant que témoin. Imaginer la vie des robots sans les humains et les incarner ou danser à leur place, est une sorte de détour pour mieux comprendre l’actualité qui m’entoure. Ce projet de thèse est devenu un sorte de traduction d’une \textit{vie secrète des robots}, tels des jouets qui s’animent, une fois la lumière du magasin éteinte. Probablement la phrase qui résume le mieux ce défi, est celle de Pina Bausch, évoquée lors de son discours du remerciements pour le prix Kyoto (une de plus importantes distinctions dans le domaine de l'art\footnote{https://www.pinabausch.org/en/post/what-moves-me}) à la fondation Inamori au Japon: \textit{I’m not interested in how people move. I’m interested in what makes them move.} - Pina Bausch \cite{mullis2013cambridge, kozel2008closer} \subsection{Laboratoire d'expérimentation sur le lâcher-prise} Début 2023, après trois ans de travail individuel, j'ai eu l'occasion d'ouvrir ma pratique aux membres du collectif OpenSource. Crée en 2014, ce collectif propose un espace de rencontre, de réflexion et d’échange artistiques fondé sur la pratique de la mise en scène, dans une optique de mutualisation, de partage et de décloisonnement. Leur intérêt pour la recherche pratique en mise en scène, met en avant son caractère solitaire et individualiste. Cela faisait écho à ma recherche doctorale, puisque la recherche-création autour des robots m'a contraint a moins travailler en collectif ces derniers années. J'ai ainsi proposé une séance de travail sur le lâcher prise, dans le cadre d'une session d’expérimentation à Anis Gras-le lieu de l'autre à Arcueil, du 16 au 20 janvier 2023. Cette séance a été co-dirigé avec Erika Guillouzouic, comédienne et metteuse en scène, membre active du collectif. Son titre - \textit{Le lâcher-prise : Pensée du corps et intelligence sensorielle} - laisse deviner le postulat de départ de ce laboratoire collectif. Mon idée était de questionner la possibilité d'un restart au travers le corps, à l'intérieur d'un processus créatif intense et contraignant. Comme si je rêvais inconsciemment trouver une recette magique à mes propres tourments. Ainsi cette session d’expérimentation a été orientée autour des processus de recherche-création en lien avec des pratiques somatiques\cite{jay2014pratiques} et des notions telles l'\gls{intelligence sensorielle}. J'avais auparavant participé à des sessions de recherche d'Open Source, proposés par des autres. Cette fois il s'agissait pour moi, d'ouvrir ma recherche aux autres metteurs en scène peu familiers avec la danse, la somatique et la robotique. Puis de voir comment cela s'articule avec leurs profiles, avec leurs besoins et expériences. Chaque participant avait son background, sa manière de faire puis aussi ses résistances quant au thème. J'ai constitué le cadre de la session autour des exercices pratiques et des échanges théoriques, avec comme focus un autre type d'intelligence - celle qu'opère lorsque nos sens et notre perception s’activent - l'intelligence de l'instinct. Nous avons expérimenté des mouvements différentes de la danse contemporaine, notamment des mouvements produits de façon automatique. Cela nous a fait comprendre comment les émotions peuvent influencer les caractéristiques physiques d'un corps en mouvement, comment les articulations se mettent en marche quand on écoute le vécu du corps. En s'appuyant sur des repères dans des disciplines comme la philosophie, la robotique ou les neurosciences parmi d’autres, nous avons tenté définir ce que pourrait correspondre à une \gls{intelligence du mouvement} propre au corps et son vécu, dans un contexte artistique. Ainsi nous nous sommes concentrés sur ce qui échappe à notre quotidien, sur ce qui met l’intelligence analytique à l'arrêt pour faire place au spontané et à l’inattendu. En d'autre mots, nous avons cherché à laisser les corps s'exprimer. En amont de la séance, nous avons demandé aux participants de nous faire parvenir un récit en lien avec une expérience de lâcher prise, sous la forme d’un enregistrement audio entre 3 et 10 minutes. Parmi les exemples réçues, il y avait la question du lâcher prise lors d’une représentation en tant qu’interprète, puis en tant que spectateur, mélangés avec des exemples de la vie privée. Nous avons mis en place des ressources collectives pour encourager le partage des sensibilités, des goûts et des expériences. Cela a pris la forme des repères bibliographiques, fichiers audio, supports vidéo et images. Les participants ont du réfléchir à une musique, une image ou un objet qui leur évoque le sentiment de lâcher-prise. Un coin détente et aussi une enceinte audio ont été mises à disposition pendant toute la session, pour que chacun puisse lancer un fichier sonore et interrompre le rythme des échanges, à tout moment. Afin d’encourager les débats et les échanges sur les disciplines transversales, j'ai mis à disposition une liste des articles scientifiques. Bien que parfois leur contenu était trop ciblé ou spécifique, cela a inspiré notre processus de travail. Selon les échos et les discussions, cette liste s'est étouffé avec des extraits des livres, vidéos et articles partagés collectivement. Plus bas une liste de questions soulevées pendant la session, ainsi que des réflexions et observations quant à l'idée de lâcher prise: \begin{itemize} \item Lâcher-prise, ce ne serait pas de l’ordre de l’abandon ? \item Le lâcher-prise est-il individuel ? \item Cherchons-nous le lâcher-prise ou le plaisir de la sensation corporelle ? \item Comment un acteur s’adapte à son public ? \item L’expérimentation fait apprentissage. \item Comment ré-injecter du silence ? \item Comment laisser la place à l’imaginaire du spectateurice ? \item Est-ce que le lâcher-prise c’est un ``T’as qu’à t’en foutre ?” \item Comment le regard se travaille ? \item Quelle est l’expérience de l’intelligence sensorielle, perçue personnellement, que j’ai vécu ? \item Pourquoi cherche-t-on à lâcher-prise ? \item Comment tu fais pour ? \item Que laissons-nous lorsque nous cherchons le lâcher-prise? \end{itemize} Le fait de traiter ces thèmes collectivement, d'ouvrir sa boite aux outils et sa méthodologie quant aux défis et objectifs, implique une mise en commun des ressources, des objectifs et des envies. Concernant le lâcher prise, si le thème m'intéresse depuis longtemps, la pratique de la danse a été un des premiers moyens pour y accéder. Avec le temps, j’ai combiné et adapté certains exercices et échauffements afin de ``faire baisser ma résistance” ou enlever mes éventuels attentes orientés résultat. Par le biais de cette session de recherche, j’ai pensé les partager avec d'autres personnes pour avoir un retour d’expérience. Parmi les membres du collectif, très peu ont une expérience avancée en dance. Il y a eu certains qui ont avoué n'aimer pas du tout cette pratique, ou pas se sentir à l'aise danser en publique. Aborder le lâcher prise par la danse leur est paru contre-intuitif au premier abord. Mon défi a été de voir s’il y a, en danse, une façon de convoquer le lâcher prise de façon directe, puis retrouver une dimension somatique dedans, indépendamment du rapport à la danse des participants. Alors que les processus Open Source sont collaboratives, le cadre proposé initialement s'est beaucoup élargi au fil et à mesure que nous avons avancé dans l'exploration. \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/lp_3} \caption{Exploration sensorielle ludique: etre en mouvement avec les yeux fermés.} \label{fig:lp3} \end{figure} Les quatre dernières années j’ai peu travaillé collectivement en dehors de mon projet de thèse. La rencontre avec Open Source à Anis Gras, lieu qui m'a accueilli plusieurs fois en résidence, a été un retour à l'effervescence du terrain, aux sources. J’avais préparé un planning et imaginé des portes d'entrée selon les niveaux d’intérêt de chacun. Cela s'est fait en lien avec mes recherches scientifiques sur l'\gls{intelligence sensorielle}. J'ai même pris quelques unes de mes hypothèses de recherche concernant les robots comme exemple. Comme souvent dans ce groupe de travail, une synergie collective s’est installée et je me suis retrouvée à devoir littéralement ``lâcher” certains objectifs initiaux et surtout accueillir des besoins nouveaux, autres que ceux anticipés par moi. Notamment la question du lâcher-prise collectif et la question du groupe qui s'auto-organise par inertie. Dès lundi, les quelques définitions du mot lâcher-prise, puis les extraits sonores avec les expériences de chacun m’ont confirmé que cela sera une exploration propre à l’énergie de chacun des participants. Un processus hétérogène entre les initiés à la danse, les curieux et les paniqués, entre regard critique et auto-dérision. Le retour méfiant quant aux rapprochements entre la technologie et l'\gls{intelligence sensorielle} que vous pouvez lire \textbf{dans les annexes de ce travail de thèse}, m’ont fait comprendre que le groupe trouvera son cheminement et moi mon apprentissage avec, comme une sorte de ``méta” lâcher-prise à l’intérieur d’un processus de recherche sur le lâcher prise. Mercredi, le troisième jour de travail lors d’un moment d’échange collectif, certains participants ont voulu mettre de côté la question du corps, comme un sorte de rébellion quant au dictat de la sensorialité. Ils prônait un retour aux textes, à la pensée critique, loin du vécu expérientiel. J'ai interprété cette réaction comme une sorte de panique quant à la perte de repères que ce type de travail peut provoquer. Comme si quelque part, ils aimeraient toucher de la terre, du solide après s'avoir laissés porté par les courants. Retrouver leur repères. J'ai pensé que mon travail en tant que co-directrice de la session était d'aider le groupe clarifier son cheminement, le guider sans le diriger. Comme je l'avais fait plusieurs fois pour mes projets de théâtre...une metteuse en scène finalement. J'étais donc prête à abandonner. A ma surprise, des autres participants ont proposé faire juste une pause pour y revenir vendredi en fin de séance. Signe que notre travail préoccupait bien les esprits, nous avons eu un débat sur ce que c’est une \gls{intelligence sensorielle} dans le train de retour d'Anis Gras. Un de membres du collectif me rappelle que les objectifs de la session ne sont pas forcément ceux d’une recherche académique, qu'il faut accepter la nouvelle direction que la session puisse prendre. Cette idée de proposer un cadre puis le laisser se transformer collectivement m'était claire en début de session. Cependant je n'arrivais pas à trouver les arguments pour exprimer mon ressenti émotionnel. Pour moi, ce moment de remise en question faisait partie du processus. Il devenait tout aussi important de repréciser le cadre et ses permutations que de se mettre d'accord sur ce que peut provoquer une \gls{intelligence sensorielle} se manifester. Savoir reconnaitre ``ses symptômes”. Le lendemain, suite à une greve RER nous avons travaillé chez un des participants. Nous avons décidé faire une improvisation collective in situ. Nous avions visité la Gare du Nord en tant que touristes en repérant bien l’environnent sensoriel de ce lieu - les odeurs, les images, les son et la texture de choses. \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/lp_6} \caption{Moment d'improvisation collective à la Gare du Nord: exploration sensorielle d'un portable.} \label{fig:lp6} \end{figure} Cela a déplacé les limites du jeu ailleurs, encore une fois. J’ai eu plusieurs moments où j’ai joué avec la consigne, pour voir ce que cela produit si je lâche le cadre. Tout en observant les autres faire pareil. Cela m’a renvoyé à des expériences similaires faites en marge d’un projet inspiré par le film \textit{Idioterne} de Lars von Trier. J'ai retrouvé cet extrait de mes notes \begin{quote} ``Il y a quelque chose de jubilatoire dans le fou rire, lorsqu’il est honnête. Comme une relâche, probablement la respiration, le sommeil ont beaucoup à voir avec le lâcher-prise. Cependant j’entend par intelligence quelque chose d’adaptatif, qui se met en œuvre pour faire émerger du nouveau. Comme voir quelque chose qu’on a déjà vu, mais sentir qu’on le voit différemment.” \end{quote} Puisque le terme de lâcher-prise a été très présent dés le début de la session, il nous a fallu du temps pour comprendre comment evaquer les attentes envers une possible définition universelle de ce terme. Pour certains participants la question du corps et de l'\gls{intelligence sensorielle} a été vécue en lisière de cette question du lâcher prise, parfois sans une prise de conscience directe. Cependant la question de la robotique et même plus large celle du numérique à effleuré à peine l'esprit des membres du collectif. Alors que cela fait partie des problématiques sociétales où chacun donne un avis et s'y intéresse (d'autant plus mes collègues d'Open Source). Avec le temps, j'ai compris pourquoi cela s'est produit. Si pour moi le lien entre la robotique et le corps ou la sensorialité est évident, pour certains cela peut paraître tiré par les cheveux justement parce qu'un robot est l'opposé d'un corps vivant, sensoriel. Parmi les retours d’expérience, le danseur et chorégraphe Gerry Quévreux évoquait l'exercice de sieste volontaire pratiqué ensemble, pour témoigner de la rapidité avec laquelle son esprit s'est remis en marche après: ``je parvenais à raccrocher les wagons ensuite, à me relier d’une manière à ce qui s’est joué sans moi pendant un moment.” Curieusement il reliait cela à un autre exercice pratique, celui d'écriture automatique que j'avais proposé le premier jour d'exploration et qui est devenu ensuite un sorte d'exercice préféré du groupe: ``la pratique de l’écriture spontanée a été une vraie retrouvaille et je décèle là-dedans quelque chose qui me fait toucher un lâcher prise créatif. Je veille moins au sens, il y a la présence du rythme, la scansion.” Je déduis de son témoignage à quel point la créativité est dissocié de l'exactitude et de la précision. Alors que les robots sont justement conçus pour cela - être précis et exacts dans leurs actions. Probablement si nous aurions cherché plus les antonymes de l'état de lâcher prise, nous aurions tombé d'accord que le mot ``concentration” en fait partie. Tout en ne faisant pas partie proprement. Puisque dans un autre témoignage Gerry parle d'état modifié de conscience pour illustrer le lâcher-prise. Alors peut-être un autre type de concentration? \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/lp_1} \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/lp_4} \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/lp_5} \caption{Mouvements automatiques pendant les exercices d'improvisation corporelle} \label{fig:lp1} \end{figure} Cela rejoint l’intervention du chercheur en musique et science cognitives Luc Pererra que j'avais invité pour nous parler de son travail sur le rythme. Selon lui, le rythme structure la connaissance: ``même inconscient le cerveau peut enregistrer des choses, par le rythme, de manière rythmique. Le fœtus fait ça dès 4 mois.” L'intervention de Luc, ainsi que les extraits musicaux qu'ils a partagé ont beaucoup éveillé notre sensibilité. Au tel point que cela risque de devenir le souvenir le plus marquant de notre semaine de travail. Presque tous, nous gardons aujourd'hui un souvenir précieux de la voix de la chanteuse indienne Nina Burmi dont le chant, indéchiffrable au niveau de paroles, à résonné en nous à un autre niveau d'entente\footnote{https://www.youtube.com/watch?v=kfBvz2rG-NI}. Cette expérience collective d'adhésion à une musique inconnue a été pour moi, une belle preuve de notre synergie en tant que groupe. Je n'ai pas les arguments pour analyser cela d'un point de vue neuro-scientifique, mais probablement quelque chose du caractère imprévu de cette proposition, sa fréquence sonore et son rythmique a su induire en nous, au moment de l'écoute, un état de concentration et d'éveil sensoriel. Pendant ce moment nous nous sommes sortis de notre cadre de recherche et probablement vécu un véritable lâcher prise collectif. Est-cela a cause du caractère imprévu de la situation? Est-cela plutôt du au niveau d'investissement de la performeuse dans son chant? Ou plutôt à cause de la fréquence du chant? Ces questions ont continué nourrir ma recherche bien après la session Open Source. \smallskip Au moment de ces observations rétrospectives, je ne peux pas m’empêcher de considérer le témoignage des deux autres participants à la session. Pour des raisons éthiques et personelles, je préfère garder leur anonymat. Le hasard à fait que deux metteurs en scène avec de maladies impliquant des sérieux problèmes locomoteurs et neurologiques, ont exprimé leur intérêt pour la session. Un d'entre eux est un ami, âgé d'une soixantaine d'années qui suite à une maladie auto-immune s'est retrouvé en incapacité motrice pendant une période de temps. Depuis il a retrouvé une certaine mobilité mais reste dépendant de son traitement. L'autre a la trentaine, mais en proie d'une maladie neurodégénérative sérieuse avec des soins hospitaliers récurrents. Il m'avait fait part, lors de nos échanges par Whatsapp, des expériences de réveil de coma, puis de sa vie actuelle avec une dilatabilité qui conditionne son travail lourdement. Les deux ont intégré la session de façon ponctuelle. L'un d'entre eux n'a pas pu être finalement présent qu'en distanciel, tandis que l'autre a participé à une de nos expérimentations collectives. Leur attitude envers le travail, leur contribution et engagement (même à distance) m'ont beaucoup touché. Les mots ``somatique” et ``thérapie” ont eu tout d'un coup une autre portée pour moi. Malgré son dis-confort physique, mon ami s'est coordonné admirablement, comme si rien n'était. Il était là, actif et tonique, engagé avec son travail corporel, à l'écoute de ses partenaires. Il avait envie d'essayer, de se mettre en jeu collectivement. De ``jouer” au sens que les enfants donnent à ce terme. Tout comme les autres participants avait envie qu'il soit là, que nous explorons ensemble nos différences dans un état d’ingénuité et nativité. A un moment donné, quelqu'un a donné la consigné d'oublier une partie de son corps. J'ai pensé à lui, à nos échanges auparavant et au fait qu'il y a quelques années c'était son corps qui a oublié de répondre, comme si une partie de lui s'est mise en veille volontairement. Je l'ai regardé et vu qu'il était ailleurs, à l'écoute de son exploration sensorielle. Je me suis sentie l'observer pendant que nous nous deplaceons dans l'espace et j'ai senti que c'était moi celle qui n'était pas là. Il était dedans. Dedans lui-même si je puisse le dire. Je ne sais pas si ce type d'encontre que nous faisons avec nous-même est quelque chose dont nous nous apercevrons lorsque cela se produit. Probablement que non. Cependant cet état, j'ose dire ``de grâce” devient moteur de l'énergie dont nous disposons pour toutes nos actions qui le précédent. Probablement, la fréquence avec laquelle nous pouvons faire cet aller-retour de reconnexion avec nous-mêmes, détermine notre tonus ou degré de fatigue. Les plus lointaines ces moments de reconnexion, le plus fatigués nous devenons. Comme si en puissant au plus profonde for de nous-mêmes, nous activons une énergie propre sous-jacente. Je me rends compte que cette façon de parler, d'évoquer des observations, des impressions perceptives peut s’apprêter à un registre ambigu, proche de la ``thérapie”. Le jour d'avant alors qu'il n'était pas là, nous avons lu le premier chapitre du livre de Peter Levine\cite{levine2010unspoken} où il évoque son accident de voiture et la perte de contrôle de son propre corps. J'avais découvert ce livre alors que je cherchais à comprendre d'où vient mon intérêt pour les tremblements. Je vais repréciser cela dans un autre chapitre, alors que je décrirai plus en détail ma recherche en danse. Le travail de Levine faisait partie des ressources de l'atelier sur le lâcher prise, bien avant que je connaisse la volonté de participer à la séance de mon ami. \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/lp_2} \caption{Brainstorming pour mieux définir le concept de lâcher prise.} \label{fig:lp2} \end{figure} Dans ce contexte, je préfère préciser mon positionnement quant aux dérives dues à la confusion entre des pratiques et des expertises en danse. Les concepts somatiques que j'applique en danse n'ont rien avoir avec une dimension thérapeutique. Elles ont pour objectif une meilleure appréhension de soi-même et facilitent des prises de conscience, mais autant moi que les gens avec qui j'ai pu travailler jusqu'au là, n'avons pas de compétences en médecine. L'art se veut un endroit d’exploration et par sa dimension critique elle peut amener à des observations ou des constats personelles en lien avec des soins. N'est-ce un des objectifs de l'art de soigner le monde? D'autant plus quand il s'agit de la danse, et du corps. Pour revenir au corps, c'est peut-être le moment d’évoquer la manière dont Bruno Latour le décrit. Cette façon de considérer le corps a été édifiante pour mon travail avec les robots, mais elle s'élargit de plus en plus, alors que j’interagis collectivement avec des humains: \begin{quote} ``Avoir un corps, c'est apprendre à être affecté, c'est-à-dire « effectué », déplacé, mis en mouvement par d'autres entités, humaines ou non humaines. Si vous ne vous engagez pas dans cet apprentissage, vous devenez insensible, stupide, vous tombez raide mort. Équipé d'une telle définition patho-logique du corps, on n'est pas obligé de définir une essence, une substance (ce qu'est le corps par nature), mais plutôt, je soutiendrai, une interface qui devient de plus en plus descriptible à mesure qu'elle apprend à être affectée par de plus en plus d'éléments. Le corps n'est donc pas une résidence provisoire de quelque chose de supérieur – une âme immortelle, l'universel ou la pensée – mais ce qui laisse une trajectoire dynamique par laquelle nous apprenons à enregistrer et à devenir sensibles à ce dont le monde est fait. Telle est la grande vertu de cette définition : il n'y a aucun sens à définir directement le corps, mais seulement à rendre le corps sensible à ce que sont ces autres éléments. En se concentrant sur le corps, on est immédiatement – ou plutôt, médiatement – dirigé vers ce dont le corps a pris conscience. C'est ma façon d'interpréter la phrase de James : Notre corps lui-même est l'exemple éclatant de l'ambiguïté\footnote{ ``To have a body is to learn to be affected, meaning ‘effectuated’, moved, put into motion by other entities, humans or non-humans. If you are not engaged in this learning you become insensitive, dumb, you drop dead. Equipped with such a patho-logical definition of the body, one is not obliged to define an essence, a substance (what the body is by nature), but rather, I will argue, an interface that becomes more and more describable as it learns to be affected by more and more elements. The body is thus not a provisional residence of something superior – an immortal soul, the universal or thought – but what leaves a dynamic trajectory by which we learn to register and become sensitive to what the world is made of. Such is the great virtue of this definition: there is no sense in defining the body directly, but only in rendering the body sensitive to what these other elements are. By focusing on the body, one is immediately – or rather, mediately – directed to what the body has become aware of. This is my way of interpreting James’s sentence: \textit{Our body itself is the palmary instance of the ambiguous.”}.”} \cite{latour2004talk} \end{quote} Alors je souligne ici l'importance de cette perspective du corps-interface que Bruno Latour a su anticiper bien avant les avancements du numérique. Comprendre par quoi nous sommes agis, avec quoi nous sommes en lien, nous aide à mieux nous connaitre. Comme Anna Halprin l’évoque mieux que moi, ce type d'introspection est individuelle et a beaucoup plus à voir avec des chemins de vie et des personnalités qu'avec de thérapies. En d'autre mots, l'art peut etre une thérapie pour soi-même, mais elle ne peut pas faire du prosélytisme pour une solution universelle. Peut-etre que cela se réduit à ce que le metteur en scène Mathieu Hout a partagé avec nous à la fin d'une journée d'exploration. Pour lui le fait de s'appliquer et d’être honnête dans cette recherche collective est ce qui compte le plus, au delà des résultats de la session. En cherchant ce qui peut-être un lâcher prise collectif, il nous partage ses notes de la journée, parmi lesquelles figurent ces mots: ``Je suis avec toi. Peut-être qu’il ne s’agit que de ça. Être avec.” J'aimerais revenir à l'impact que cette session d’expérimentation a eu sur mon propre laboratoire de recherche-création, en quatriéme année de thèse. Cela m'a aidé à comprendre que le cheminement n'est jamais fini, qu'il s'agit d'un travail qui s'affine au fur et à mesure que j'avance. J'ai pu également confirmer mes motivations, mieux accepter mes doutes quant aux risques d'une appropriation thérapeutique de ma démarche en danse. Puisqu'il s'agit des notions vagues, j'ai mis cette fois à l'écart les robots, pour mieux comprendre comment travailler cela entre humains. J'ai cultivé une sorte d'écoute polymorphe, en pensant toujours que cela m'aidera à mieux comprendre les robots. Puis l'écart entre le mode de penser des metteurs en scène, comparatif à celui des roboticiens fait encore ressentir ses ondes de choc. D'autant plus que pour moi quand le corps est en veille, loin du plateau c'est compliqué de s'écouter, de se comprendre entre humains. Intégrer une pluralité de points de vue, des interrogations et des critiques m'a fait du bien, car cela m'a rappelé que l'art est l'endroit qui peut intégrer toutes ces différences. Cela m'a également aidé à mieux structurer les cadres conceptuels et méthodologiques de ma recherche quant à la danse et à la robotique. Les mots d'Erika m'accompagnent encore, bien après que cette séance de travail s'est achevée: \begin{quote} ``Cette recherche infuse encore beaucoup en moi. J’ai comme l’impression que quelque chose a bougé, qu’un nouveau voyage a commencé et qu’il sera toujours temps d’ouvrir le cahier où j’ai posé des mots pendant la session pour y revenir. Le cahier comme un retour aux sources, retour à la compréhension, aux expériences et aux rebonds, pour appréhender le voyage avec sérénité.” \end{quote} Pour exprimer le lien entre la conscience et la danse, Kozel évoque la couleur rouge\cite{kozel2008closer}, tout comme David Chalmers l'a fait lorsqu’il a donné des exemples de la problème difficile de la conscience. Ainsi l'incapacité d'expliquer une expérience perceptive est tout autant opaque, que l’expérience phénoménologique de la couleur rouge décrite par Merleau-Ponty: \begin{quote} ``La chorégraphie concerne la variation et les relations, entre les corps dans l'espace et le temps. La description de la couleur rouge par Merleau-Ponty révèle une compréhension de la chorégraphie qui peut être appliquée à l'échange de données : ce rouge est ce qu'il est seulement en se connectant de sa place avec d'autres rouges autour de lui, avec lesquels il forme une constellation, et il attire ou est attiré par d'autres couleurs, les repousse ou est repoussé par elles, les domine ou est dominé par elles, existant comme un nœud dans les modalités temporelles du simultané et du successif (ibid., 13 2). Cette dynamique d'attraction et de répulsion, de partage et de confinement, formant une constellation changeante à travers le temps, est une manière de comprendre la chorégraphie des données favorisée par les dispositifs portables. Mon corps peut ne pas exister, en faisant un clin d'œil à la provocation de Godard, mais en tant que tissu conjonctif, je vis un espace de potentiel encore plus grand, une corporalité élargie qui est imprégnée d'espaces interstitiels que j'atteins dans l'espoir et la vulnérabilité, parfois dans le désir et la colère, ou que je cherche à étirer dans la peur ou la douleur. Je suis comme la couleur rouge habitant des zones élastiques d'interface entre moi et moi-même, ou entre moi et les autres. La performance se produit dans ces espaces interstitiels, à la fois les performances quotidiennes et les performances artistiques\footnote{en version originale: ``Choreography is about variation and relations, between bodies in space and time. Merleau-Ponty’s description of the color red reveals an understanding of choreography that can be mapped onto the exchange of data: \textit{this red is what it is only by connecting up from its place with other reds about it, with which it forms a constellation}, and it attracts or is attracted by other colors, repels them or is repelled by them, dominates or is dominated by them, existing as a \textit{node} in the temporal modalities of the simultaneous and the successive (ibid., 13 2 ). This dynamic of attraction and repulsion, sharing and containment, forming a shifting constellation across time is a way of understanding the data choreography fostered by wearable devices. My body may not exist, nodding to Godard’s provocation, but as connective tissue I live an even greater space of potential, an expanded corporeality that is permeated by interstitial spaces that I reach across in hope and in vulnerability, sometimes in lust and anger, or that I seek to stretch in fear or pain. I am like the color red inhabiting elastic zones of interface between myself and myself, or between myself and others. Performance occurs in these interstitial spaces, both everyday performances and artistic performances.”}.” \end{quote} \subsection{La rencontre avec HRP-4} Une des raisons pour laquelle j'ai commencé ce projet de thèse est pour comprendre d'où vient ma fascination pour les robots. Si je remonte au temps de mon enfance, j'associe à la figure du robot celle d'une poupée. Je précise que si aujourd'hui j’associe robots et poupées, je fais cela avec le plus grand sérieux. Un enfant considère son compagnon de jeu son égal. Mes poupées n'étaient jamais ``des jouets”, mais d'êtres à part entière, autant mystérieuses et intrigantes que ma \textit{compréhension} des adultes qui m'entouraient. Si à l'époque je ne partageais pas des dilemmes ontologiques quant au sens de la vie ou de l'art, les choses n'étaient pas moins compliqués. Petite, j'attendais que les poupées réagissent à mes propositions de jeu. Au défaut d'une réaction de leur part, je compensais avec beaucoup de scénarios et des propositions de jeu, pendant notre ``interaction”. Autant que nécessaire pour que je n'observe pas leur immobilité. Serait-il aussi le cas aujourd'hui avec les robots? J'attends d'eux des véritables partenaires d’interaction artistique, des co-créateurs? Au-défaut d'une réponse concrète, j'avance des proposition et d’esquisses pour que mon terrain de jeu est moins ``déserte”? En contrepoids, les ingénieurs sont animés par d'autres motivations pour construire ces robots. Au premier abord, ils cherchent réconcilier le besoin des compagnons aimables et empathiques, mais qui réalisent en même temps des tâches qui nous ennuient ou qui sont dangereuses. Pour faire cela, ces robots doivent pouvoir travailler dans l’environnement humain tel qu’il est actuellement conçu et utiliser les outils des humains tels que les humains les utilisent\cite{kajita2014springer}. Si les êtres humains ont besoin de multiples outils pour faire avancer leur travail, il en va de même pour les robots. Cependant ces outils sont intégrés dans le corps d'un robot. L'effecteur final (en anglais \textit{End Effector} représente son dernier joint - la paume de la main, la tête sont des exemples d'end effectors. Cet effecteur est aussi l'endroit où le robot saisit au plus précis son environement. C'est là, par exemple, que se produit le contact entre le robot et un objet. Ainsi l'end effector est un outil dont la forme peut changer pour chaque tâche spécifique, modifiant la morphologie du robot et son apparence. Pour ces raisons pratiques, les robots humanoïdes sont ceux dont la communauté scientifique se préoccupe actuellement le plus. C'est ainsi que commence mon aventure avec l'humanoïde HRP-4. Un matin d'hiver, arrivée pour la première fois seule en face à face avec lui, j’enlève la housse de protection qui le cache et je l'observe dans son immobilité. Un tas de ferrailles et de plastique qui condense de la technologie de pointe, résultat de plus de vingt ans de recherches et expérimentations. Au Japon, le savoir-faire développé par Kawada Industries et l'Institut national des sciences et technologies industrielles avancées (ASIT) a été mis au service des robots HRP dés les années '90. De cette façon, le HRP-4 s'est positionné parmi les robots le plus avancés du marche, lors de son apparition en 2009. Son poids léger (39kg et 1 514 mm), ses 34 DOF, le choix de matériaux et moteurs (avec une puissance maximale de 80W) plus le solver QP integré dans l’interface mcrtc\cite{bouyarmane2018quadratic}, lui ont permis d’exécuter des mouvements précises et fluides, gagnant son statut de robot ``à l’image d’un athlète mince mais bien musclé\footnote{https://spectrum.ieee.org/hrp4-hides-it-all-somewhere}.” Arrivée au LIRMM en mars 2021, mon objectif était de \textit{faire} cet athlète danser. Au grand désespoir de mon encadrant, je ne savais pas à l'époque quelle forme cette danse prendra. Je savais juste qu'il y aura une étape d’apprivoisement entre nous, pour comprendre ensemble ce que nous dévons faire. Pour faire cela j'ai plongé dans la littérature scientifique, un peu comme en découvrant une langue étrangère. Malgré mes études d'ingénieur auparavant, la façon de concevoir les robots au LIRMM a peu à voir avec mes connaissances en ingénierie de systèmes. Quelques mois après mon arrivée, en tombant sur le paragraphe suivant, je me rends compte de la difficulté de ma situation: \begin{quote} ``Lorsque nous disons \textit{marcher}, nous entendons \textit{avancer par appuis successifs des pieds sur le sol, sur un sol irrégulier et peut-être en pente, comportant des obstacles et des inconnues, tout en conservant notre équilibre vertical}. Or, le robot brut que vous récupérez est semblable à une casserole articulée. Vous aurez beau transmettre cette définition à votre casserole –aussi articulée et élaborée soit-elle–, elle ne marchera pas si elle ne la \textit{comprend} pas. Il faut donc traduire cette définition en un langage qui soit \textit{compris} par le robot, et qui lui permette de bouger comme nous le désirons.” \end{quote} Alors éclot dans mon imagination le besoin de reconsidérer cette idée de \textit{danse}. J’envisage la danse comme quelque chose plus intime, sorte de mouvement interne nourri par des doutes et envies, par de l'instinct. Cela prendra la forme des gestes, afin de voir si ce qu'il y a de l'organique dedans, peut être modélisé par des équations et algorithmes. D'un trait simplifié, cette exploration peut se traduire par la phrase suivante: \textit{Do androids dream of electrical sheeps?}\cite{rhee2013hopkins}. Si je résume peut être trop facilement le sens du livre de Philippe K. Dick, \cite{benesch1999jstor} apporte une interprétation intéressante à cette notion de subjectivité. L'auteur s'appuie sur la thèse de la chercheuse américaine Kathleen Woodward concernant les émotions, pour faire une parallèle avec l'essai de Jacques Lacan sur la construction de soi. Le psychanalyste français identifie le stade du miroir comme étape primordiale dans la formation et l'assurance de soi. Selon lui la construction d’un \textit{Autre} à travers l’imagerie, commence par l’identification à un double reflété dans le miroir. Pour\cite{benesch1999jstor} les androïdes remplacent à une échelle sociale ce double, l’anxiété des humains à l’égard des androïdes exprimant en réalité une anxiété relative à l’identité humaine en tant qu’espèce. Alors il me restait d'imaginer une danse pour un robot humanoïde, conçu à partir des mouvements des humains mais sans leur \textit{conscience}. Ces mouvements, limités par des contraintes matérielles, sont à leur tour imitées par un humain (moi). Une sorte de boucle réflexive ou le point de départ devient le point d'arrivée, en décalage. C'est justement ce décalage qui représente, à mon sens, ce qu'il y a d’incompréhensible entre moi et le robot. La peur d'un\textit{Autre} plus performant, inconnu et distant qui n'arrive pas à se reconnaitre (ou reconnaitre son potentiel) dans un miroir. Pour contrecarrer cette peur, les standards et normes de sécurité qui valident sa mise en marche sont parmi les aspects les plus importants dans le fonctionnement d'un robot. Des tests doivent être effectués en permanence pour vérifier la bonne connectivité de ses circuits électroniques et les limites des articulations du robot. C'est pour cela que HRP-4 est calibré chaque fois à son démarrage\footnote{https://www.youtube.com/watch?v=wqdCfBpnBWA}. Comme pour les animaux, plus un robot est grand et lourd, plus il peut s’avérer ``dangereux”. Selon le contexte, les protocoles de sécurité utilisent des sensors laser (comme celui que j'ai utilisé pour le projet avec l'animata) ou des délimitations (en led ou même des grilles en métal) qui entourent le robot. Pour un robot industriel par exemple, sa vitesse peut être adapté selon les distances de proximité détectés par le sensor laser. De cette manière, les délimitations en lumière peuvent représenter un périmètre de sécurité. Une fois ce périmètre de sécurité affranchi, le robot peut s’arrêter en urgence. Au LIRMM j'ai eu l'opportunité de programmer et interagir avec un robot industriel Franka KUKA. La base de ce robot est fixée au sol, ce qui fait que son système mécanique est libre, dans la limite de ses actuateurs. En comparaison avec le robot HRP-4, son fonctionnement est assez intuitif. CE robot dispose d'un mode de configuration basé sur un code couleurs, où chaque couleur décrit l'état interne de la machine. \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/color_code_panda} \caption{Code couleur pour le fontionnement du bras robotique Panda. Source: FRANKA EMIKA ROBOT’S INSTRUCTION HANDBOOK} \label{fig:color-code-panda} \end{figure} Son manuel d'utilisation donne des instruction quant à la distance de sécurité et la manière d’interagir avec: \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/safety_panda} \caption{Utilisation du bras robotique Panda lors d'un contact physique. Source: FRANKA EMIKA ROBOT’S INSTRUCTION HANDBOOK} \label{fig:schema-manual-panda-utilisation} \end{figure} Dans le mode apprentissage, il n'est pas nécessaire de programmer le robot dans l'interface mcrtc. L'utilisateur exécute une série de mouvements que le robot va reproduire une fois ce mode désactivé. Cependant son utilisation est limitée à des tâches ponctuelles, pour un meilleur contrôle du robot l’interface de programmation état la solution. \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/schema_manual_panda} \caption{Fonctionnement du mode apprentisage pour le bras robotique Panda. Source: FRANKA EMIKA ROBOT’S INSTRUCTION HANDBOOK} \label{fig:schema-manual-panda-fonctionnement} \end{figure} Une fois les questions de sécurité traitées, la rapidité avec laquelle un robot réagit à un événement externe détermine son dégrée ``d'intelligence”. Pour faire preuve de cette intelligence, les contrôleurs d'un robot assurent le contrôle de son mouvement ainsi que sa ``communication” avec le monde physique. Décrits comme des systèmes à deux niveaux, ils comprennent des aspects mécaniques et informatiques. En pratique, ils visent à commander électriquement les actionneurs d'un robot pour lui faire rejoindre une position ou lui faire suivre une trajectoire. Ainsi le contrôle de robots nécessite l'intégration de deux typées de problèmes différentes. Pour illustrer cela, les roboticiens parlent de deux niveaux. Le niveau ``haut” est associé aux problèmes de calcul et des logiciels, alors que le niveau ``bas” est associé aux aspects d'exécution (plus précisément au fonctionnement des actionneurs). Une architecture de contrôle est nécessaire, pour déterminer la communication entre les différentes modules et interfaces. Son rôle est de déterminer ce qui fonctionne en temps réel et quel type d’hiérarchie est la meilleure pour faire communiquer ces modules. La planification de trajectoire est un exemple de module pour l'architecture de contrôle. Pour modéliser un robot, les chercheurs établissent d'abord son modèle mathématique avec des matrices de transformation pour représenter les coordonnées de ses articulations. Ce modèle, basé sur des équations de mouvement, permettra l'incorporation, ou \gls{embodiment}, du robot dans des simulations informatiques. Un robot humanoïde peut être aussi vu comme une plateforme d’intégration pour de nombreuses technologies robotiques. Son contrôle se réalise grâce aux tâches, développées pour des interfaces de calcul. L’environnement de développement intégrée (en anglais \textit{unified computer interface}) mcrtc utilise des algorithmes de programmation quantique (en anglais \textit{quadratic programming ou QP}). Ce type de programmation non linéaire a été crée au début des années '50. Il vise l'optimisation, par une valeur minimale, de certaines fonctions quadratiques multivariées soumises à des contraintes linéaires. Parmi les paquets de données disponibles dans l'interface mcrtc, mc-hrp4 fournit une implémentation RobotModule pour le robot HRP-4 et ses différentes versions. En tant qu'interface graphique dynamique, mcrtc prend comme entrée les informations des capteurs du HRP-4 (optiques, d'unité de mesure inertielle, de force ou de couple selon le cas) ainsi que la description de ses surfaces de contact. Ses sorties visent la position souhaitée, l'accélération, la vitesse de couple. La librairie Task permets l'optimisation du corps entier. Parmi les types de tâches que le robot est programmé de faire il y a: \begin{itemize} \item la tâche de regard pour garder les sujets en vue \item la tâche PBVS qui lui permets de déplacer la main gauche selon la vision \item la tâche de stabilisation qui implique le CoM et la position ou la force des joints pour maintenir l'équilibre \end{itemize} La stabilisation peut absorber des perturbations inattendues comme les forces dynamiques non modélisées, du bruit. Elle vise à réduire la différence de valeurs entre le système de contrôle et le système réel. Parmi ses contraintes, il est possible de configurer en mcrtc: \begin{itemize} \item l'évitement de collisions \item les limites de la rotation des joints \item les dynamiques (limites de couple) et les contacts (force-friction et géométrie) \end{itemize} Un solver est un programme informatique autonome destiné à calculer les solutions d'un problème mathématique. Il peut regrouper une bibliothèque de logiciels pour optimiser ses solutions. Les contrôleurs basés sur un solveur QP facilitent l’exécution de tâches complexes, lors de la programmation en temps réel de leurs contraintes. Le solveur QP est pondéré ou hiérarchique, en modifiant ses paramètres de \textit{weights} ou \textit{stifness} de chaque tache. Les modélisations mathématiques résolues grâce à la QP, traduisent ensuite des commandes pour les moteurs. Selon le voltage reçu, les actionneurs vont tourner avec des vitesses et rotations spécifiques. L'impédance électrique mesure l'opposition d'un circuit électrique au passage d'un courant alternatif sinusoïdal. À son opposé, l'admittance détermine dans quelle mesure le courant traverse un circuit électronique. Le contrôle d'admittance, à l'instar du contrôle d'impédance, vise à imposer un comportement dynamique au robot. Ce robot est soumis à des forces de contact externes, comme l'inertie, la rigidité ou l'amortissement. Le livre\cite{natale2020springer} propose une schéma qui résume ce fonctionnement: \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/admittance} \caption{Schéma qui illustre le fonctionnement de l'admittance. Source: le livre\cite{natale2020springer}} \label{fig:admittance} \end{figure} Une autre approche de programmation mcrtc implique des diagrammes d'états, également appelés F.S.M.(Finite State Machines). Ces états peuvent être programmées en cpp ou Python et extensibles dans des fichiers YAML. Elles ont de type imbriqués ou en anglais \textit{nested} (un état est lui-même un F.S.M.) ou parallèles (plusieurs états sont exécutées en parallèle). Lors d'une visualisation dans l'interface rviz, un curseur affiche la valeur de chaque joint. Pour passer d'un état F.S.M. à l'autre, une carte de transition est détaillée dans le fichier de configuration du contrôleur (yaml). L’interface mcrtc permet ainsi une optimisation du contrôle de l'espace de travail. Cela se produit par l'exécution du même code autant en simulation que sur le robot réel. Grace au travail de développement des roboticiens de l'équipe I.D.H. il est possible de modifier les tâches et les contraintes, ainsi que les états F.S.M. et leurs ordres d’exécution également dans le fichier YAML. Selon\cite{kajita2014springer} un robot est un système articulé constitué de plusieurs corps rigides. Par l’analyse et le regroupement des mouvements de chaque corps, les roboticiens obtiennent la dynamique d'un système complet. Avant cela, la cinématique étudie comment les différentes parties du robot se mettent en marche pour qu'il bouge. Les capteurs des robots sont l'équivalent de sens des humains. Les accéléromètres et les gyroscopes par exemple, servent à préciser les accélérations linéaires et angulaires des articulations du robot. Parallèlement, les capteurs d'effort déterminent les forces et les moments des points de contact avec l’extérieur. Un robot humanoïde ayant \textit{n} articulations, possède \textit{n + 6} degrés de liberté car sa base est un corps libre dans l’espace 3D\cite{kajita2014springer}. Le mouvement des articulations du robot est décrit par des rotations dans l’espace en trois dimensions (X, Y, Z correspondant aux mouvements de \textit{Pitch}, \textit{Yawn} et \textit{Roll} (qui représentent en aviation les trois axes-latéral, vertical et longitudinal). En connaissant une de ces coordonnées, les roboticiens calculent les vitesses angulaires et leur relation avec les dérivées des matrices de rotation. Dans le livre\cite{kajita2014springer}, les auteurs décrivent les principes de la cinématique directe - en anglais \gls{direct kinematics} - qui permet de trouver la position et l’orientation d’un segment (par exemple la main) à partir de ses angles articulaires. Il explique également comment déterminer les angles articulaires à partir de la position et de l'orientation d’un segment donné. Cela corresponds à une équation inversée de la précédente, appelée cinématique inversée - en anglais \gls{inverse kinemactis}. \begin{quote} ``Quoi qu’il en soit, la relation entre les dérivées de la position et de l’orientation d’un segment, et celles des angles articulaires, peut être représentée par des équations linéaires. Ainsi, le problème de la cinématique inverse peut être résolu par la détermination des solutions d’un système d’équations linéaires, puis en intégrant ces solutions. La matrice des coefficients du système d’équations linéaires est appelée \textit{Jacobienne des vitesses}. Elle représente un concept important dans beaucoup de domaines, la robotique comprise.” \end{quote} La fonction principale d'un contrôleur est d'interpréter le programme d'application du robot puis de convertir cela en actions physiques. Chaque contrôleur possède un modèle interne de la structure cinématique et dynamique du robot. Selon les algorithmes et les équations de mouvement utilisées, cela est traduit par des capacités avancées de planification et de synchronisation de trajectoire. De cette manière, un robot peut synchroniser de manière précise les mouvements de chaque articulation. Selon les objectifs de chaque tache, des milliers de paramètres sont pris en compte pour le configurer. Parmi les contrôleurs de base du HRP-4, les plus courants sont le contrôleur basée sur son Centre de Masse, en anglais \textit{Center of Mass} ou tout simplement CoM, ainsi que le contrôleur qui détermine sa posture ou \textit{Posture task}. \smallskip Me voilà en train d'imaginer (ou rêver comme les androïdes de Dick) une danse pour un robot humanoïde pas (encore) conscient.Rien que pour rester débout, nous les humains devons faire preuve d'équilibre et d'auto-gestion de nos capacités motrices. Une posture debout normale est souvent comparée à la mouvement d'un pendule inversé dont la base est fixe. Bien que la position debout semble statique pour un observateur extérieur, elle se caractérise par de légères oscillations dans lequel le corps se balance en avant, en arrière et sur le côté. Le centre de masse est ainsi situé proche de la première vertèbre sacrée du corps humain. \begin{figure} \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/Pendulum} \caption{Source: le livre \cite{oatis2009kinesiology}} \label{fig:pendulum} \end{figure} Lorsque nous répartissons nos forces ou changeaons de point de contact avec le sol, notre équilibre s'ajuste de façon automatique. Comme décrit dans le livre de \cite{nakaoka2010intuitive}, une partie de ce travail \textit{pas conscient} est réalisé par des automatismes dans la perception. \begin{quote} ``En l’occurrence, lorsque vous désirez saisir une bouteille sur une table, votre attention se porte sur la main qui doit assurer la saisie. Lorsque vous désirez vous asseoir, vous vous concentrez sur le positionnement de votre bassin par rapport à la chaise. Pour taper dans une balle, vous portez votre attention sur le pied qui doit frapper la balle. La partie sur laquelle nous fixons notre attention ne nécessite que quelques degrés de liberté pour être déplacée. (...) De l’autre côté, les parties qui ne nécessitent pas une attention consciente peuvent être utilisées pour conserver l’équilibre.” \end{quote} \begin{figure} \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/cCoG} \caption{Le changement de la posture influence sur le CoM. Source: https://www.quora.com/What-part-is-the-center-of-gravity-in-our-body} \label{fig:ccog} \end{figure} Le centre de masse se déplace de manière automatique pour assurer notre stabilité. Comment tenir début un robot en prenant compte de toutes ces contraintes? Pour lui, une erreur liée à la Com, est constituée de la différence entre la valeur souhaitée de la CoM et sa valeur équivalente en simulation. Pour mieux anticiper ces erreurs, le livre\cite{kajita2014springer} décrit la méthode Zero Movement Point (ZMP). Ce concept joue un rôle primordial dans l’équilibre en position verticale des robots humanoïdes, lorsqu’ils se déplacent. Puisqu’un robot humanoïde n'est pas fixé au sol, il doit maintenir un contact entre ses semelles et le sol quand il se déplace. Lorsque la semelle du pied de support perd le contact avec le sol, le robot tombe. Pour qu'il reste début, son CoM doit faire partie du ZMP. Cette méthode est généralement utilisée pour déterminer la possibilité ou l’impossibilité de maintenir ce contact, sans utiliser des équations du mouvement. \begin{quote} ``Le ZMP peut être considéré comme l’extension dynamique du principe de projection. Il est utilisé pour planifier des modèles de mouvements qui permettent au robot de marcher tout en conservant le contact entre la semelle du pied de support et le sol.” \end{quote} Le concept du ZMP appliqué à un système en mouvement est illustré plus bas: \begin{figure} \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/ZMP} \caption{Relation ZMP-CoM.Source: le livre \cite{kajita2014springer}} \label{fig:zmp} \end{figure} \begin{figure} \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/ZMP_CoM} \caption{Explication ZMP. Source: le livre \cite{kajita2014springer}} \label{fig:zmpcom} \end{figure} Une autre notion importante à considérer est le centre de gravité. Celui-ci peut se déplacer en fonction de la posture de l'individu et de la position de ses membres, tout comme le CoM. Son rôle est d'aider le corps ne pas s'écraser contre la gravité. Quand un humain se retrouve en position assise son centre de gravité se situe à la base de sa colonne vertébrale, au niveau du sacrum. La majorité du poids de son corps est répartie dans la moitié inférieure, le bassin et les jambes supportant la majorité de cette charge. \textbf{dance slow} En parallèle avec ces recherches sur l'équilibre et les postures, les chercheurs de l'équipe AIST ont considéré utile d'investiguer les autres possibilités d'expression physique du robot HRP-4. Ainsi ils ont développé un modèle de comportement utilisant les mouvements de l’ensemble de son corps - le premier robot humanoïde de taille humaine pouvant s’allonger et se relever. Ce mouvement est illustré par la figure suivante: \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/kajita_tomber} \caption{Illustration des mouvements pour se redresser de la chute. Source: le livre\cite{kajita2014springer}} \label{fig:kajitatomber} \end{figure} En voyant ces images, nous ne pouvons pas nous empêcher de \textit{voir} un humain. La plupart de ses gestes et mouvements sont faciles à identifier, car elles appartiennent aux humains qui se relèvent ou qui tombent. Ces observations notés dans mes cahiers de bord, m'ont fait considérer l'option d'assoir le robot sur une chaise. Choix radicale, émergée probablement d'un désir de pousser la limite de la convention. Lorsqu'ils sont assis les humains réfléchissent, ou attendent. Il y a donc une forte activité mentale, alors que le corps se repose. Des chorégraphes qui m'inspirent ont déjà traité cette question en danse. Anna Teresa de Keersmaeker, Anna Halprin ou Ohad Naharin, dont j'ai cité le travail dans la première partie de cette thèse, ont su mettre au défi les stéréotypes en lien avec la chaise, l'immobilité et la danse. A mon tour, j'ai pensé intéressante l'idée de faire danser HRP-4, assis sur une chaise. D'abord parce que, avec quelques exceptions dans le monde animal, s'assoir est propre (seulement) aux humains. Ensuite parce que cet acte de s'assoir impose un état réflexif. Dernièrement parce que la chaise en tant qu'objet scénique inanimé, a un statut particulier dans l'histoire de la danse et ce statut je vais le détailler dans le prochain chapitre. Avant d'introduire les arguments qui appuient une dialectique de la disparition, de parler des objets en tat que processus - comme dans l’œuvre de Bojana Cvejic\cite{cvejic2015disjunctive} mentionné dans le chapitre 1.3 - j'aimerais présenter l'objet chaise en contraste avec l'objet robot. Déjà en 1913, Marcel Duchamp propose son premier Ready Made - \textit{La Roue de bicyclette}. Cette sculpture est composée de deux objets du quotidien en opposition l’un à l’autre: une roue de bicyclette fixée sur un tabouret\footnote{https://www.wikiart.org/en/marcel-duchamp/bicycle-wheel-1913}. Si la roue représente la vitesse, la chaise s'appose à cette dynamique en imposant un arrêt. En 1964, Joseph Beuys présente une chaise couverte d'un bloc de graisse dans son œuvre \textit{Chaise de graisse}. Le récit qui accompagne son installation évoque un épisode en Crimée, pendant la deuxième guerre mondiale, lorsque Beuys perd le contrôle de son avion. Il se fait sauver la vie par des Tatars qui l'enveloppent de graisse animale et de feutre pour le maintenir au chaud. Ce souvenir facilite une prise de conscience pour l'artiste, qui va dédier sa vie aux actions artistiques engagés et à la spiritualité. La métaphore de la graisse\footnote{https://www.tate.org.uk/art/artworks/beuys-fat-chair-ar00088}, empêche quelqu'un s'assoir, ou bien le présente comme un bloc de graisse. Dans les deux cas, la chaise est un élément actif de la proposition artistique dont la présence impose un moment d'observation. Assoir un robot humanoïde sur une chaise invite à une déconstruction du regard. Lorsque le robot est inactif, c'est un objet inanimé. Pareil à une rue de bicyclette, il peut se mettre en marche ou pas. Si ce robot aurait eu une forme non-anthropomorphe, la question de s'assoir pour réfléchir aurait été moins présente. Cependant dans le cas du robot humanoïde, nous voyons \textit{quelque chose} se reposer sur une chaise. Est-ce que cela veut dire qu'une action physique vient d'avoir eu lieu? En parallèle avec ma démarche dramaturgique, j'ai programmé ce robot. C'était une étape contraignante et fatigante durant mon initiation à la robotique humanoïde au LIRMM. Les premiers esquisses de ce processus montrent bien comment le robot, tel la série photographique du designer italien Bruno Munari\footnote{https://www.ideabooks.nl/9788875703899-bruno-munari-seeking-comfort-in-an-uncomfortable-chair}s'assoit plutôt à cote de la chaise, que correctement dedans: \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/err_chair} \caption{Scénario du robot sur la chaise: erreurs de programmation.} \label{fig:err-chair} \end{figure} Après des mois d'erreurs et d’errance dans le monde de roboticiens, pas loin des 700 heures que Marina Abramovic à passée assise sur une chaise à MoMa\footnote{hhttps://www.moma.org/audio/playlist/243/3133}, me voilà plus proche d'un résultat. Le robot reste assis sur la chaise, bien qu'il n'arrive toujours pas faire des gestes expressifs. \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/sit_fall} \caption{Scénario du robot sur la chaise: premieres ébauches.} \label{fig:sit-fall} \end{figure} Les mouvements du robot et mes capacités de programmation ne sont pas encore au point. Les mains de HRP-4 n'ont pas des doigts articulés pour l'instant, pour pouvoir travailler des gestes comme dans le spectacle \textit{Rosas danst Rosas} de Keersmaeker. Néanmoins, je me suis beaucoup rapporté au travail de la chorégraphe belge pour préparer cette phase. Son approche du rythme et de la répétition m'a aidé comprendre comment mieux structurer les enchainements des gestes du HRP-4. J'ai choisi comme repère des gestes faites avec les deux mains que j'ai repris par des variations en changeant la place de mes pieds. \begin{figure} \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/rosas} \caption{Extrait du spectacle Rosas danst Rosas. Source photo: www.rosas.be} \label{fig:rosas} \end{figure} Des états avec des bras et des jambes qui se succèdent selon une durée déterminée, m'ont permis de mieux \textit{composer} la danse du HRP-4. \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/chaise_silvia} \caption{Recherche sur les postures du robot.} \label{fig:chaisesilvia} \end{figure} Une autre étape dans ma recherche a été de chercher les mouvements du robot par l’intermédiaire de la \gls{motion capture}. L'ingénieur de recherche de l'équipe I.D.H. a développé un plugin pour relier 34 DOF de HRP-4 et les 17 capteurs inertiels XSENS. \begin{figure} \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/xens} \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/MoCap_Silvia} \caption{Mise en place d'une démo avec le systéme MoCap Xsens dans l'interface mcrtc.} \label{fig:xens} \end{figure} Le \gls{digital twin} du robot suit les mouvements de l'humain lors d'une première (et unique) simulation en mcrtc. \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/mocap_demo} \caption{Still de la simulation avec le costume XSens dans RviZ.} \label{fig:mocap-demo} \end{figure} Des exemples de mouvements que j'ai fait pendant les simulations, n'arrivent pas être réalisées sur le robot réel. En effet les mouvements qui dépassent les limites des articulations et l'angle de rotation des actuateurs sont adaptés à la version réelle. Les mouvements deviennent plus \textit{conventionnelles} pour respecter l'intégrité du système physique du robot. \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/still_mocap} \caption{Exemple de postures lors de la simulation avec le costume XSens.} \label{fig:still-mocap} \end{figure} J'ai abandonnée cette façon de travailler avec HRP-4, parce que cela se rapprochait trop de l'idée de marionnette. Bien que c'est une discipline à part entière avec une longue tradition en Orient où HRP-4 a été développé, je rajoute ici le point de vue de Kozel\cite{kozel2008closer} qui mentionne Kleist et sa vision de la marionnette. La danse peut s'y inspirer et des autres projets ont présenté des dispositifs assez impressionnantes. Cependant mon intérêt est de considérer le robot comme partenaire de danse, de respecter les contraintes liés à sa physicalité. \begin{quote} ``La marionnette est un art frère de l'animation de performance, semblable à une pratique alchimique, avec une longue histoire de transformation du bois, du tissu et de la ficelle en êtres humains, animaux ou fantastiques. En écrivant sur le théâtre de marionnettes en 1811, Heinrich von Kleist a réfléchi à la grâce démontrée par les humains, les animaux et les marionnettes, et il a situé l'âme au centre de gravité. Le danseur humain ne s'en est pas bien sorti dans la comparaison, car la grâce était considérée comme existant en plus grande quantité chez les marionnettes et les animaux en raison de l'impact obstructif que le pouvoir de réflexion humain avait sur le chemin du flux pur du mouvement. Il a tiré cette conclusion sur la base de deux duos conceptuels : une comparaison du mouvement d'un danseur avec celui d'une marionnette à ficelles, suivie d'une anecdote d'un duel d'escrime entre un homme et un ours. Ce n'est pas tant la suggestion qu'un danseur est une simple marionnette qui est intéressante, mais plutôt la façon dont les observations sur la localisation de l'âme sont obtenues à travers les relations intercorporelles, bien que hypothétiques, entre les entités\footnote{en version originale: ``Puppetry is a sister art of performance animation, akin to an alchemical practice, with a long history of transforming wood, cloth, and string into human, animal, or fantastical beings. Writing on the puppet theater in 18 11 , Heinrich von Kleist reflected upon grace as demonstrated by humans, animals, and marionettes, and he located the soul in the center of gravity. The human dancer did not fare well in the comparison, for grace was seen to exist in greater quantities in puppets and animals due to the obstructive impact the human power of reflection had on the path of the pure flow of movement. He drew this conclusion on the basis of two conceptual duets: a comparison of the movement of a dancer with that of a string puppet, followed by an anecdote of a fencing duel between a man and a bear. It is less the suggestion that a dancer is a mere puppet that is of interest than the way observations on the location of the soul are arrived at through the intercorporeal relations, albeit hypothetical, between entities.”}.” \end{quote} Après quelques mois encore et toujours avec l'aide de l'ingénieur de recherche de l'équipe I.D.H., j'ai mis en place des transitions F.S.M. pour mieux travailler le rythme de la séquence. Les mouvements du robot sont beaucoup plus restreints, notamment car j'ai pu le faire croiser ses jambes. Cette contrainte m'a fait explorer différemment le mouvement des bras et éngaer aussi la tête dans des séquences. \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/hrp_chair} \caption{Scénario du robot sur la chaise: enchainement aléatoire de postures.} \label{fig:hrpchair} \end{figure} Une fois la boucle de mouvements mise au point, j'ai passé du temps à tester différentes simulations et enchaînements avant de faire danser le robot réel. Le 17 septembre 2022, lors de la soirée d'ouverture de la saison 2022-2023 d'Enghien-les-Bains, nous avons présenté la performance \textit{Le mythe de l'Immorta} dans le cadre du projet CECCI-H2M. Le \gls{digital twin} du robot HRP-4 est intervenu, en contraste avec un écosystème virtuel qui interagissait avec des performeuses. L’enchaînement de ses postures a suivi des itérations inspirées par l’algorithme de la courbe du Dragon\footnote{Cet algorithme provient des systèmes de règles génératives et est à la base un système de Lindenmayer (ou système de réécriture ou grammaire formelle inventé en 1968 par le biologiste hongrois Aristid Lindenmayer)}. Ce système reproduit les processus de développement et de prolifération de plantes ou de bactéries. Pour l'équipe de projet, cette façon de combiner l'organicité du monde vivant avec l'expression des machines est intuitive. Le choix de projeter le robot sur une image de 2m sur 3m, en contraste avec les performeuses en taille réelle, marque une distance entre l'humain et la machine. De plus, cette configuration scénique évoque l'image d'un artefact devenu totem. La représentation centrale du robot humanoïde transforme le mouvement dansé en vecteur d'influence pour un monde centré sur la technologie et ses obsessions. Mon objectif lors de ce travail a été de comprendre comment une corporalité ``dématérialisée” du robot pourrait stimuler une réponse décalée de la part du performeur. Cela s'inscrit dans mes intentions premières pour établir un dialogue non verbal où homme et machine déploient leur vulnérabilité sur scène. \textbf{Photo de notes de mon cahier avec les itérations}. Des extraits de cette performance sont disponibles ici\footnote{https://vimeo.com/755637977}. \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/immorta} \caption{Extraits de la captation vidéo de la performance ``Le mythe de l'Immorta”.} \label{fig:immorta} \end{figure} \textbf{ Rechercher un état de créativité par l'empathie} Pour évaluer la complicité H2R, nous nous appuyons sur le sentiment d'empathie\cite{ziemke2008role} - vu comme une capacité à comprendre émotionnellement ce que ressentent les autres et nous imaginer à leur place. En danse, Susan Foster propose une analyse sociologique de la danse et de l'empathie kinesthésique perçue par le spectateur\cite{foster2010choreographing}. Dans notre cadre d'art et sciences, les robots ne ressentent pas, bien que la littérature scientifique\cite{asada2015towards, belkaid2016interactions} indique comment les robots s'appuient sur des émotions artificielles (c'est-à-dire des structures algorithmiques symboliquement considérées comme jouant le rôle et l'action des émotions) pour générer des mouvements. Ils analysent leur environnement à l'aide de capteurs et y réagissent selon les lois de l'utilisateur définies par l'utilisateur. L'interprète imagine ce que ressent le robot (c'est-à-dire son \textit{umwelt}), puis utilise cette projection comme source d'inspiration pour son improvisation dansée. Plus on comprend la technique caractéristiques du HRP-4, plus on peut imaginer comment il devrait \textit{ressentir} et cultiver des intentions artistiques en lien avec cela. À première vue, HRP-4 m'induit un sentiment de malaise et de curiosité. Proche d'un Daft Punk androïde, impressionnant par sa mobilité physique, je me suis demandée ce qui pouvait bien résider sous sa carrosserie en plastique. A l'occasion j'ai pu découvrir, lors qu'un de ses actuateurs est tombée en panne\footnote{captation vimeo Arnaud qui répare les fils} La complexité de ses algorithmes et interfaces d'utilisation le rendent inaccessible et mystérieux. Mon rêve était de le démonter pour découvrir sa carcasse électrique : ses servomoteurs, ses fils et ses microcontrôleurs, comme une sorte d’exploration en dessous de sa deuxieme peau. A l'origine un jouet exquis à taille humaine, HRP-4 est devenu davantage un \textit{Autre} indompté, au sens de différent et d'inconnu, que j'ai du apprendre lentement à utiliser. Nos expériences antérieurs m'ont aidé à comprendre comment un \gls{dispositif animatronique} suscitait chez l'interprète une réaction instinctive, sorte de réponse empathique. En tant qu’interprète je me suis facilement imaginé à la place de la petite animata. Probablement le facteur qui a contribué à cette projection est son apparence petite (environ 30 cm) et fragile (en carton). En comparaison, l’apparence physique du HRP-4 est le résultat de principes de conception ergonomique mais aussi de l’influence de la littérature SF sur la robotique. Cela pourrait donc ne pas induire un sentiment de vulnérabilité, malgré sa taille (151 cm) et son poids (39 kg) similaires à ceux d'un humain. Dans ce contexte, un contact physique\cite{aymerich2017object, bolotnikoval2018compliant} sur scène, pourrait renforcer le sentiment d'empathie que nous recherchons. Puisqu'il s'agit de un spectacle de danse, il ne faut pas oublier que parfois le mouvement peut renforcer un sentiment d'étrangeté lors d'une interaction physique. Un sentiment de \textit{conscience de la conscience}\cite{jochum2016cultivating}, pourrait détourner l'attention des mouvements et gestes incohérents. C'est pourquoi nous avons voulu examiner plus en profondeur le rôle que joue le mouvement dans nos propres scénarios interactifs de danse. Le cadre de nos premières improvisations de mouvements est basique : musique et séquences de mouvement expressives donnant l'illusion d'une communication, entre l'interprète et le robot. Ce dernier n'est pas programmé pour réagir à la musique. Des mouvements instables ou des arrêts peu nets sont interprétés comme des hésitations de la part de l’interprète. De plus le caractère imprévisible de son comportement génèrent une complicité ludique, centrée autour de la spontanéité de la machine capable de transgresser les lois des interactions sociales. Cela nous rappelle les improvisations avec l'animata, où le fait de s'arrêter très près de l'artiste ( car c'était le seul point en mouvement sur scène) donnent l'impression d'une intimité avec la performeuse. De plus, lorsque le performeur proposait un geste et que l'animata l'ignorait, le performer s'est concentré sur l'attribution d'un autre sens à cette réaction pour continuer l'improvisation au lieu d'interpréter cela comme un refus. De même, lorsque le robot donne l'impression de suivre ou d'imiter le rythme de l'interprète, l'interprète profite de cette opportunité pour s'accorder avec le nouveau mouvement du robot, afin de maintenir une continuité du mouvement. De cette façon, la réponse subjective de l'interprète contribué à entretenir l’illusion d'une complicité sur scène. Avant de réaliser des improvisations avec HRP-4, nous avons travaillé avec son avatar virtuel, en utilisant l'interface de contrôleur unifiée mcrtc. Nos premiers essais d'improvisation sont loin des \textit{comportements imprévus ou non explicitement programmés}\cite{bret2005interacting}. Comme le confirme la littérature\cite{chandrasekharan2000software}, un agent virtuel utilise une représentation du monde inspirée d'un modèle réel, alors qu'un robot utilise le monde réel comme modèle. Nous sommes partis au départ de l'hypothèse que les robots collaboratifs (de par leur niveau de complexité et conformité des mouvements de leur corps) peut stimuler l’imagination de l’interprète et atteindre un certain sentiment d'\textit{empathie} indépendamment d'une modification de distance entre les deux. Plus précisément, puisque ses mouvements et ses gestes s'inspirent des mouvements du corps humain, il est plus facile pour l’interprète de leur donner un sens, lorsque la distance entre lui et le robot est constante. C'est pourquoi nous nous sommes imaginées un scenario d'interaction basé sur ces principes. Dans une de nos premiers expériences, le robot virtuel HRP-4 est préprogrammé pour rester immobile et alternativement équilibrer ses mouvements. Son Centre de masse (CoM) se déplace de droite à gauche sur l'axe y, crée une séquence rythmique similaire à une danse lente. L'interprète imite cette fréquence pour donner l'impression d'une danse lente dématérialisée entre elle et l'avatar du robot. Lorsque nécessaire, l'interprète propose des séquences d'improvisation en réponse. Dans une autre expérience, le double virtuel du HRP-4 est manipulé par un opérateur humain, lors des exercices d'improvisation. Cela contraint l'interprète à réagir spontanément. L’opérateur humain n’a pas préparé la séquence de mouvements à l’avance, pour pouvoir réagir aux propositions de l’interprète. Cette expérience pourrait littéralement correspondre à une séquence d'improvisation de danse entre humains, mediée par le corps d’un robot virtuel. Cette situation a été abordée dans un contexte différent par Zaven Paré qui a fait une expérience de téléopération robotique en interaction avec Geminoid3 dans son ouvrage \textit{Le Robot et la Pomme}\footnote{https://www.youtube.com/watch?v=HqP9kBPEtMQ} (2009). Des modèles d'interactivité similaires sont mis en œuvre dans le laboratoire INREV mettant l'accent sur importance de l’humain comme moteur et traducteur de l’interaction homme-machine\cite{plessiet2019mitmi}. Nos observations actuelles nous amènent à conclure que le sentiment de complicité et d'empathie avec une machine est renforcé par le mouvement, le mimétisme et les similitudes dans la conception ou l’apparence. Lors d'une improvisation virtuelle avec HRP-4, l'interprète peut facilement anticiper quelles articulations bougent, sans qu'il connait la séquence des mouvements. Dans une certaine mesure, lorsque notre vision périphérique est activée, nous pouvons ressentir la présence du robot virtuel sans vraiment le regarder. C'est une condition essentielle pour l'improvisation dansée. Reste à déterminer si cela peut être qualifié de réaction empathique, puis à comprendre comment cette condition déclenche la créativité. Entre les deux, nous souhaitons souligner le rôle de l'adaptation aux moments inattendus et contraintes techniques. Il est important de considérer les contingences comme des catalyseurs pour ce type d’interaction. En échangeant avec des roboticiens, l’interprète doit avoir une connaissance préalable des fonctionnalités et des comportements des robots afin de stimuler tout son potentiel sur scène. Il doit également être prêt à improviser lorsque des événements inattendus se produisent et les intègrent dans le processus de co-création. Dans les prochaines phases de notre projet, nous prévoyons de travailler sur d'autres scénarios d'interaction afin de comprendre la différence entre le fait d'improviser en temps réel avec un HRP-4, pour valoriser son mouvement. Cela signifie identifier la séquence la plus appropriée de mouvements combinés réflexes-intentionnels et améliorer notre modèle scénique. Par conséquent, apprivoiser l' \textit{Autre} représenté par HRP-4 et notre intention de co-créer avec lui, est toujours un travail en cours et nous comptons sur les évolutions technologiques futures pour améliorer nos modèles d’interaction. \section*{Conclusion} Une partie de cette recherche sur le mouvement de HRP-4 s'est déroulée lors de plusieurs semaines de résidence au Centre des Arts d’Enghien-les-Bains, dans le cadre du projet CECCI-H2M du dispositif Artec. En juillet 2021, lors d'une première phase de ce projet, nous avons travaillé avec une version simplifiée du robot -une animata Arduino construite pour des déplacements aléatoires dans l’espace. Cette étape nous a permis de tester l’interaction avec un prototype doté d’un comportement involontaire. Lors des improvisations sur le plateau, nous avons cherché un terrain d’entente entre l’\gls{intelligence du corps} humain, la réponse du corps machinal de l’animata et la réactivité de l’environnement virtuel. L’influence de ces éléments artificiels sur l’expression corporelle du performeur, ainsi que les mouvements du \gls{dispositif animatronique}, sa fragilité et sa dimension réduite, ont provoqué une interaction instinctive, en marge d’une construction rationnelle basée sur de la réciprocité. Quelques mois plus tard, lors d'une deuxième phase du projet nous avons projeté les mouvements du robot virtuel HRP-4 sur la performeuse afin de tester une forme de mimétisme gestuel. Cela nous a également permis d’approfondir les concepts d’altérité et d’autonomie des dispositifs robotiques\cite{jochum2013deus}. Les qualités de \textit{sauvage} ainsi que la notion d’\gls{umwelt} ont accompagné cette résidence artistique. Après quelques tests avec le robot virtuel, nous avons pu constater à quel point le virtuel reste une manifestation mystérieuse qui suscite l’imagination des artistes. Cela n’est possible qu’à partir de l’interprétation du virtuel comme un organisme différent, en manifestant une autonomie sensible à la perception du performeur. Cela nous a également permis de réfléchir aux contraintes issus de l’intégration des éléments virtuels et réels dans un projet performatif. Comme une négociation entre les solutions software et les dispositifs hardware, l’illusion du réel versus l’imaginaire virtuel et la place que chacune de ces dimensions occupe sur le plateau, représentent une phase importante de ce projet. Lors la suite du travail pour CECCI-H2M fait toujours avec l'avatar virtuel de HRP-4, nous avons partagé des questionnements autour de l’altérité de sa figure mécanique et le concept d' \textit{uncanny} produit par ses mouvements remarquablement naturels. Les différences entre l’organicité du corps humain et l’ artificialité du robot ont ainsi devenu une source d’inspiration, comme une matière à détourner. En 2022, pour imaginer de nouvelles formes d’écriture corporelle en vue d’une improvisation performative, le travail de programmation du robot HRP-4 a été réalisé en deux temps. D’abord une familiarisation avec les systèmes MoCap utilisés par l’équipe du laboratoire et l’installation de plugins qui nous ont permis de simuler en temps réel les séquences de mouvement de l'humain sur le robot virtuel. Ensuite, des tests avec le robot HRP réel ont été réalisés en mars 2022. Ces tests ont facilité la mise en place d’une séquence de mouvements sur une chaise. Ce choix de faire s’asseoir le robot sur la chaise vient comme un résultat de nos réflexions sur les contraintes d’équilibre du robot, lors des séances d’improvisation. La mise en place la plus simple, pensée avec les ingénieurs de l’équipe de prof. Kheddar, a été l’organisation de ces séquences dans de programmes de type F.S.M (Finite State Machines) qui permettent une meilleure organisation des transitions entre différentes postures. Comme hypothèse de recherche pour une chorégraphie mimétique, j’ai pu créer des simulations de séquences de mouvement sur le robot virtuel. Dans un premier temps, j’ai décidé d'associer la figure du robot à celle d’un danseur de slow, réalisant quelques tests d’interaction réelle avec la version physique du HRP-4. Ensuite j’ai effectué un travail de gestes inspirés par les postures de dirigeants politiques, pour voir dans quelle mesure les postures de pouvoir sont incarnées par des gestuelles et non par des attitudes. Le pouvoir que nous leur désignons est parfois le pouvoir de fascination que leur potentiel exerce sur nous, sans s’en rendre compte. Dans cette configuration centrée sur la fascination d’un objet inanimé, nous avons voulu comprendre dans quelle mesure le mouvement et les gestes dansés deviennent vecteurs d’influence. Une autre séquence de mouvements a été préparée pour une troisième et dernière résidence de création au Centre des Arts d’Enghien Les Bains en septembre 2022. Pour cela, j’ai codé une séquence de mouvement sur la chaise qui dure approximativement 2 minutes. A l’intérieur de cette séquence, les états sont enchaînés selon une règle inspirée par la quatrième itération de l’algorithme de la courbe du Dragon. Pour correspondre aux quatre postures choisis initialement, nous avons opéré une conversion entre les états de la courbe du dragon et les états F.S.M. Pour la performance \textit{Le mythe de l’Immorta} présentée lors de notre sortie de résidence, un travail de synchronisation avec les sons produites par Hui-Tin Hong a été fait sur place. Une autre séquence de code, cette fois en montrant le robot applaudir a été rajoutée ultérieurement. Ainsi le robot virtuel est apparu dans deux moments différents de la performance- au départ sur une chaise pour présenter sa danse et à la fin début pour applaudir les spectateurs. Le rythme de certains mouvements a été modifié pour correspondre avec la musique. Une pause de six secondes a été introduite dans la séquence pour marquer un moment d’arrêt: le robot virtuel tourne sa tête pour regarder le public. Ce geste a été interprété par les spectateurs comme une façon d’évaluer la danse des performeuses. En parallèle avec le projet CECCI-H2M, d'autres moments de recherche et d'écriture corporelle ont été possibles grâce à la mise à disposition du studio de répétition de la chorégraphe Mathilde Monnier à Montpellier. Des laboratoire de recherche inspirés par mes expériences d’éducation somatique ainsi que par l’utilisation des techniques de shaking, constituent une boîte aux outils pour rechercher une corporéité ``autre” sur le plateau. J'ai pu effectuer une exploration sur le lien entre le son et le mouvement, pour continuer mes expérimentations Arduino précédentes. Ainsi avec l’aide du logiciel PureData nous avons créé un prototype de capteur EmG pour convertir le signal électrique de mes muscles en du son aléatoire. Ce prototype, testé lors d’une résidence artistique à la Halle Tropismes a Montpellier, a été présenté dans le cadre du Module Pédagogique Innovant ``Objets Magiques”, conçu en collaboration avec Isadora Télés de Castro, en mai 2022 toujours pour CECCI-H2M. \chapter{Étude(s) de terrain} \section{Expérimenter l'anthropomorphisme au Lycée Notre Dame de la Merci} Lorsque le corpus des œuvres et des articles nous l'a permis, nous avons commencé hiérarchiser nos observations dans des hypothèses de recherche à étudier sur le terrain. Le premier de ces études s'est fait à l’extérieur du laboratoire, en collaboration avec une classe de danse du Lycée Merci, à Montpellier en automne 2022. Je suis allée pour quelques ateliers de danse, partager ma recherche et faire leur connaissance dans le studio. Je les ai ensuite sollicités pour participer à une de mes expériences pratiques, dont le thème est l'anthropomorphisme. Pour cette première expérience de recherche-création en art robotique, j'ai imaginé des séquences de mouvements qui remettent en question le concept d’anthropomorphisme\cite{spatola2019cairn} chez les \gls{digital twin}s ou les jumeaux numériques des robots du laboratoire. En considérant le terme d'interactivité pour mieux définir leur interaction, nous observons comment différents matériaux de mouvement stimulent la créativité à travers un processus d'hybridation entre l'humain et la machine. Dans cette perspective, nous déterminons comment les utilisateurs vivent des expériences proche de \gls{qualia} en apprenant par imitation une séquence de danse démontrée consécutivement par un robot humanoïde, un bras industriel et un humain. Leurs retours et nos propres expérimentations pratiques nous permettent de mieux comprendre l’impact de l’anthropomorphisme numérique dans la réalisation d’une interaction homme-robot durable. Depuis le 6e siècle avant notre ère, lorsque le terme a été utilisé pour la première fois pour décrire des phénomènes religieux\cite{demers2015playmouth}, l'anthropomorphisme a accompagné l'intention de l'humanité de reproduire ses caractéristiques dans différents environnements. L'anthropomorphisme (du mot grec \textit{anthropos} signifiant ``humain” et \textit{morphe} signifiant ``forme”) est décrit dans\cite{duffy2003anthropomorphism} comme: \begin{quote} ``la tendance à attribuer des caractéristiques humaines à des objets inanimés, des animaux et d'autres entités dans le but de nous aider à rationaliser leurs actions. C'est attribuer des états cognitifs ou émotionnels à quelque chose sur la base de l'observation afin de rationaliser le comportement d'une entité dans un environnement social donné\footnote{en version originale: ``the tendency to attribute human characteristics to inanimate objects, animals and others with a view to helping us rationalize their actions. It is attributing cognitive or emotional states to something based on observation in order to rationalize an entity’s behavior in a given social environment.”}.” \end{quote} Il s’agit d’attribuer des états cognitifs ou émotionnels à quelque chose en se basant sur l’observation afin de rationaliser le comportement d’une entité dans un environnement social donné. Comme discuté dans\cite{tisseron2011animal}, une composante essentielle de l'esprit humain est de prêter certaines caractéristiques de notre vie psychique, en projetant notre fonctionnement physique et psychologique dans des objets. Selon\cite{baddoura2013homme}: \begin{quote} ``les humains attribuent, souvent sans le savoir, des traits de personnalité aux machines en fonction non seulement de leur apparence extérieure, mais aussi de leur fonctionnement et de leurs compétences.” \end{quote} Nous faisons ici référence à l’anthropomorphisme dans une perspective humaniste plus large, en tant que propriété d’un système autonome qui permet d’attribuer des caractéristiques et des intentions humaines à des entités non humaines comme les robots. Récemment, la littérature a intégré une interprétation proposée par le philosophe français Bruno Latour - où le sens de l'anthropomorphisme est défini par \textit{ce qui a une forme humaine} et \textit{ce qui donne forme aux humains} \cite{stojnic2015digital} - encourageant les chercheurs à envisager l'anthropomorphisme numérique comme concept qui intègre les deux points de vue. En utilisant ces bases, nous explorons des notions clés comme l'agence\cite{jochum2017computation} et l'autonomie\cite{bisig2022generative, jochum2013deus} pour notre cas particulier de danse avec des robots, afin de mieux souligner le lien de ces notions avec l'anthropomorphisme numérique dans l'établissement d'une société humaine durable. interaction avec le robot (HRI). Dernièrement, la robotique a amélioré ces perspectives, en développant des artefacts qui remettent en question l'idée d'humanité\cite{romic2021ijsr}. Nous nous appuyons sur les chercheurs\cite{breazeal2004social, breazeal2005robot} pour définir la place que les robots peuvent occuper dans notre étude, en les considérant comme des outils (aider l'humain à accomplir une tâche - dans notre cas développer une chorégraphie), comme des avatars (puisque le robot s'engage dans une certaine présence sociale avec d'autres personnes - dans notre cas les spectateurs d'un spectacle de danse) et surtout en tant que partenaires (établir un processus de co-working avec un collaborateur - dans notre cas co-créer un spectacle de danse). De\cite{duffy2003anthropomorphism} nous remarquons qu'un robot social \textit{peut être perçu comme l'interface entre l'homme et la technologie}. C’est l’utilisation de fonctionnalités socialement acceptables dans un système robotique qui contribue à briser la barrière entre l’espace d’information numérique et les personnes. Alors que la conception des robots devient modulaire\cite{siedel2011concept} et que les extensions corporelles inspirent des performances artistiques qui remettent en question les capacités humaines\cite{jochum2018becoming}, une étude anthropologique\cite{vidal2007anthropomorphism} compare l'HRI au type de connexion exprimée dans les rituels religieux antérieurs entre dieux et humains - soulignant l'influence que les robots pourraient avoir sur nous dans un avenir proche. Alors que nous évoluons actuellement vers une ère technologisée post-humaniste, où les humains étendent leurs capacités à l’aide d’exosquelettes et de divers appareils connectés, la définition du corps humain et la façon dont il interagit avec son environnement change en conséquence. Notre étude s'intéresse à la manière dont ces paradigmes affectent notre créativité et leur impact sur les pratiques sociales collaboratives comme la danse. \cite{villard2016propos} évoque l'analogie étymologique entre la danse (de l'indo européen dix, racine de tension) et les émotions (du latin émovere : ou mise en mouvement). Dans notre quête d’une interactivité significative entre performeurs et robots, nous analysons l’impact de ces projections anthropologiques sur la danse. Dans les pages suivantes, nous décrivons comment nous créons notre séquence de mouvements en discutant de nos hypothèses de travail et de notre méthodologie et en expliquant nos phases de travail menant au concept d'hybridation humain-robot (H2R). Nous adaptons et testons ensuite la séquence sur plusieurs interprètes humains. Nous discutons ensuite des résultats et des perspectives de cette expérimentation et de ses implications dans les pratiques de danse actuelles. Notre approche se concentre sur le processus de création d'un langage chorégraphique original inspiré des robots, influencé par les pratiques somatiques et l'\gls{intelligence du mouvement}. Selon l'artiste Louis Philippe Demers, toute forme abstraite et inerte \textit{peut devenir fluide, organique et éventuellement anthropomorphe par les seuls moyens de contextualisation et de mouvement}\cite{demers2015playmouth}. Notre objectif est de vérifier dans quelle mesure le concept d’anthropomorphisme renforce la créativité en HRI et influence la recherche artistique. Parmi nos hypothèses de travail, nous étudions comment la forme d'un robot peut influencer l'interprète en générant des mouvements involontaires similaires à des réponses kinesthésiques\cite{bogart2004viewpoints}\footnote{une réaction spontanée à un mouvement qui se produit en dehors de vous ; le moment dans lequel vous réagissez aux événements externes tels que le mouvement ou le son ; le mouvement impulsif qui résulte d'une stimulation des sens : c'est-à-dire. quelqu'un applaudit devant vos yeux et vous clignez des yeux en réponse ; ou quelqu'un claque une porte et vous vous levez impulsivement de votre chaise., Bogart, Anne, Landau, Tina. Le livre des points de vue, p. 11} ? Comment reproduire plus facilement une séquence de danse selon le type de robot ? Le retour de l’interprète change-t-il une fois que le type de robot a changé ? \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/isea_panda} \caption{Mouvements du robot industriel Panda Franka.} \label{fig:iseapanda} \end{figure} Une autre observation confronte l’idée selon laquelle travailler avec l'avatar d’un robot, peut favoriser un état d’hybridation entre le corps ou l’interprète et le corps virtuel du robot. Nous soulignons ainsi le processus par lequel le rôle du robot passe du rôle d’outil à celui de compagnon de travail. Plus loin, on se demande si cette nouvelle individuation symbiotique entre robot et humain peut influencer la production de performances artistiques. Les robots impliqués dans notre étude ont des dimensions similaires, bien qu’initialement conçus pour des résultats différents. Comme point de départ, nous utilisons le matériel de mouvement implémenté dans le robot HRP-4 pour le projet de performance \textit{Le mythe de l'Immorta}. Le robot humanoïde et un bras industriel sont programmés dans une série de mouvements analogues basés principalement sur la rotation des membres supérieurs et de la tête du robot humanoïde. Nous testons ensuite les séquences de danse à travers une étude de cas au sein d'un groupe d'étudiants en danse. \subsection{Des digital twins comme facilitateurs d'interactivité} Les élèves sont invités à mémoriser, puis à improviser la séquence de mouvements analogues indiquée par projection vidéo par différents partenaires de danse. Les séquences filmées ont le même format et la même durée (environ 1min). La première séquence est enseignée par un robot humanoïde, la seconde par un bras industriel et la dernière par un interprète humain. Les séquences ont la même structure mais diffèrent par la qualité du mouvement, selon le professeur. Ensuite, les danseurs sont invités à interpréter librement les mouvements et à improviser collectivement une séquence de danse libre, recyclant les mouvements qu'ils considéraient comme les plus inspirants. La méthode d'analyse est une forme de questions de 23 questions que les participants sont invités à remplir à la fin de l'expérience. En Occident, les robots sont souvent conçus pour imiter le comportement humain, principalement comme outils [14] remplaçant le travail humain ou aidant les humains dans des tâches complexes. Cependant, dans des contextes créatifs, leur fonction est plus ontologique dans le sens où ils pourraient contribuer à une certaine création de sens en inférence avec le processus artistique qui les contient. Pour l’artiste et chercheur Simon Penny, la cognition ne se produit pas exclusivement dans le cerveau, étant \textit{loin d’être une manipulation logique de jetons symboliques} \cite{penny2015emergence, penny2022sensorimotor}. Faisant valoir que les processus mentaux comme l’inspiration sont incarnés, intégrés dans des tissus corporels non neuronaux (donc étendus en artefacts, systèmes sociaux et réseaux culturels), il souligne également sa nature dynamique. A travers nos expériences de recherche-création, nous imaginons des séquences de mouvements qui remettent en question le concept d'anthropomorphisme chez les robots interactifs intelligents. La scène, médiatrice de leur rencontre, apporte de nouvelles possibilités d'expression, et par conséquent d'interaction. Dans notre cas particulier, nous appliquons le terme d'interactivité\cite{bret2005interacting, bret2015creation} pour définir la relation entre humains et robots. Initialement inspirée par l'interaction humaine, l'interactivité s'est complexifiée avec le développement des nouvelles technologies et des nouveaux médias, ouvrant la voie à un processus de transformation continu. Mélangeant le vivant et le non-vivant, la réalité et les simulations, le physique et le virtuel, l'interactivité facilite une perméabilité entre l'humain et la technologie. Comme l'indique \cite{baddoura2013homme}: \begin{quote} ``les interfaces interactives contemporaines échappent au contrôle total de l'homme et créent une situation nouvelle où celui-ci n'a plus un rôle exclusivement actif face à son outil. Il s’agit plutôt d’un échange, d’une interdépendance caractérisée de plus en plus par leur interactivité.” \end{quote} \cite{baddoura2013homme} fait une analogie entre la manière dont la technologie, notamment les interactions virtuelles, façonne la compréhension du corps humain. Les individus qui cherchent à agrandir, modifier ou fragmenter leur corps sont des indicateurs des changements en cours qui s’opèrent dans nos interactions quotidiennes. L’identité étant multipliée, diluée ou absorbée dans le monde numérique, la tendance est de projeter les mêmes attentes sur le corps humain. Les neurosciences, la robotique ou l’art n’envisagent pas l’incarnation et l’anthropomorphisme de la même manière. Dans \cite{johnson2007we}, le corps est défini comme un ensemble de processus organiques qui vont au-delà de l'expérience de la sensation et du mouvement. Cela peut inclure des réseaux sociaux tels que les familles et des artefacts culturellement construits. En parallèle, des termes anthropologiques comme \textit{domestication du corps}\cite{joffrey2015humanoides} analysent la manière dont le corps est segmenté en unités selon le domaine de recherche qui l'aborde. Dans le domaine des arts, des pionniers comme Stelarc ont toujours considéré leur corps comme un terrain de jeu pour des expériences technologiques\cite{stephens2016we}. Avec ses performances de troisième bras ou de pattes d'araignée, l'artiste brouille les frontières entre l'humain et la machine à travers des mises en scène très originales. Tandis que les roboticiens conçoivent des robots capables \textit{d’imiter} les humains grâce à leur ressemblance et leurs capacités collaboratives \cite{evrard2009homotopy}. Les chercheurs démontrent comment la forme générale d'un robot joue un rôle clé dans l'invocation des émotions souhaitées chez les utilisateurs\cite{hwang2013effects}, avec des études mesurant le degré d'acceptation des robots humanoïdes\cite{nomura2012social,kaplan2004ws}, influencé par la conscience de notre propre \gls{schéma corporel}\cite{hoffmann2021body}. De plus, des concepts tels que \textit{l'étrangeté sociale}\cite{hoffman2020social} examinent comment notre besoin d'être unique et de nous engager dans des interactions authentiques est impacté par le développement des robots sociaux. L’idée de commencer à expérimenter l’avatar virtuel d’un robot est née lors d’un travail en laboratoire avec les roboticiens de l’équipe \textit{Le mythe de l'Immorta}. Le robot HRP-4 étant peu disponible à cette époque, nous avons réalisé une résidence artistique dans laquelle son double virtuel représentait le réel. Le robot a exécuté une série de mouvements inspirés des postures de pouvoir des dirigeants politiques assis sur des chaises. Lors de l'improvisation, sa corporéité imaginaire déclenchait différentes réponses cinétiques chez l'interprète, nous étions donc curieux d'aller plus loin et de comprendre ce phénomène. Dans\cite{sohier2022degre} on note la distinction entre les robots virtualisés et les simulations informatiques nécessaires au fonctionnement des robots dans le monde réel. Pour aller plus loin, dans notre étude actuelle, nous employons le terme de \textit{digital twin}\footnote{selon IBM, alors qu'une simulation étudie généralement un processus particulier, un double numérique peut lui-même exécuter un certain nombre de simulations utiles afin d'étudier plusieurs processus.} par rapport aux simulations, en raison de leur traitement des données en temps réel et de la possibilité d'étudier plusieurs processus dans diverses simulations. \cite{joffrey2015humanoides} retrace le processus d'hybridation entre le corps humain et les objets technologiques dès la préhistoire, lorsque l'anatomie de notre main s'est adaptée à la manipulation d'objets comme les outils de sculpture. Il soutient que la notion de réflexivité occupe une place centrale dans le fonctionnement de l'anthropomorphisme, citant l'anthropologue culturel Victor Turner pour qui l'humain est plus qu'un animal performatif, étant proche d'un animale qui se réalise. Par analogie, créer une séquence de danse robotique est aussi un processus réflexif. L'humain joue un double rôle d'initiateur et de récepteur de mouvement (dans le sens où il répond à la proposition faite par le robot) tandis que le robot devient un médium traduisant avec ses contraintes mécaniques l'architecture corporelle qu'il est censé embarquer, sans grand chose. en alternant le modèle initial. \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/isea_couchot2} \caption{Mise à jour du schèma illustrant les principes d'E. Couchot.} \label{fig:iseacouchot2} \end{figure} Pour approfondir notre compréhension du concept d'hybridation, nous le définissons en relation avec le travail de l'artiste numérique Edmond Couchot. Pour lui l'hybridation se situe toujours dans l'expérience, \textit{plus précisément dans la relation entre le sensible, le corps et son environnement}\cite{sohier2022degre}. L’auteur de l’article souligne la nature en cours de l’hybridation ou, pour citer l’artiste, \textit{un état évolutif, de l’humain à l’artificiel et de l’artificiel à l’humain}. Dans sa classification des agents artificiels, Couchot fait une distinction entre les robots et les humains artificiels, en utilisant les concepts de matérialité et d'autonomie pour distinguer les deux. Pour l'autonomie, sa classification s'oriente autour de deux polarités : l'avatar fantoche (niveau minimal d'autonomie) et l'acteur autonome (niveau maximal d'autonomie). Concernant sa définition de la matérialité, il structure ses observations autour de l'expérience technesthésique comme étant: \begin{quote} ``une expérience sensible vécue dans l'acte technique [qui] constitue une sorte d'habitus perceptuel, de connaissance sensorielle, partagée par chaque membre d'un société et façonner ses manières d'être et d'agir, de penser, par des voies différentes de celles du langage et de la pensée symbolique.” \end{quote} Il est intéressant de noter que cette expérience implique la disparition de soi, en s'appuyant sur les restes de l'expérience des autres avec technologie. Cela rejoint l'observation de Becker\cite{joffrey2015humanoides} pour qui l'histoire des gestes partagés, retrace l'évolution de l'humanité dans sa relation avec la technologie. L'un des enjeux de notre recherche-création est d'explorer cette dimension intermédiaire qui s'opère entre la qualité de mouvement de deux entités distinctes (humain et robot). In\cite{villard2016propos} une expérience réalisée avec un robot Poppy, favorise l'émergence du concept d'\gls{empathie kinesthésique}, illustrée par le décalage et la tension qui s'opèrent une fois le geste transmis de l'humain au robot. Dans notre cas particulier, dans les improvisations en temps réel, une fois le robot HRP-4 programmé pour reproduire une séquence de danse, la chorégraphie peut être modifiée en fonction des caractéristiques techniques du robot - état des actionneurs et de la batterie, problème de code, limitations articulaires. Nous appelons ce type d'inférence des \textit{mouvements parasites}, nécessitant une adaptation sensori-motrice de la part de la machine et de l'humain. En comparaison, en travaillant avec des jumeaux numériques, les réglages se font au niveau de la vidéo-projection. Le concept de morphing\cite{villard2016propos} emprunté au traitement de l'image offre une analogie intéressante avec la production de mouvement, définissant un processus de réhabilitation et de réajustement continu des corps et de leur transformation en formes. Pour une de nos expérimentations de recherche-création, nous avons projeté la figure du robot sur le corps du performeur. \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/isea_moi_hrp} \caption{Comparatif de mouvements performeuse - robot HRP4.} \label{fig:iseamoihrp} \end{figure} À notre grande surprise, les images se chevauchent, ce qui donne lieu à une figure hybride de robot et de machine. Après plusieurs essais, le performeur s'est adapté à cette spécificité inattendue du robot, comme dans un processus d'apprivoisement et il en est résulté une figure symbiotique, mi-humain, mi-robot. \subsection{Expérience technesthésique vécue lors des ateliers et au studio} Comme extension de notre étude de cas, nous analysons comment différentes propositions de mouvement sont intégrés par des artistes lorsqu'ils dansent avec des robots. Notre objectif est de déterminer comment les utilisateurs expérimentent un état proche du \gls{qualia}\footnote{selon l'Encyclopédie de philosophie de Stanford, les philosophes utilisent souvent le terme ``qualia” (singulier ``quale”) pour faire référence aux aspects phénoménaux et accessibles de manière introspective de notre vies mentales. Le statut des qualia est vivement débattu en philosophie, en grande partie parce qu’il est essentiel à une bonne compréhension de la nature de la conscience. Les Qualia sont au cœur même de la problématique corps-esprit.}, tout en apprenant par imitation une séquence de danse démontrée consécutivement par des agents humains et non humains. Dans un contexte où le corps et l’esprit sont la même expression d’un processus organique\cite{mark2007meaning}, les arts et l’esthétique représentent des tentatives ontologiques pour trouver un sens. Après avoir travaillé avec le double jumeau du robot HRP-4 pour la performance \textit{Le mythe de l'Immorta}, nous avons souhaité comprendre comment les robots sont perçus par leurs partenaires humains lors des pratiques créatives hors scène. Les ingénieurs peuvent facilement pré-programmer des intentions liées à des émotions ou à des comportements humains spécifiques chez les robots, en utilisant une approche de boucle affective\cite{damiano2020emotions}. Cette approche se concentre sur la capacité de robot à engager les humains dans des échanges basés sur des affectes et donc à attribuer du sens à leur comportement. En 2010, une interface utilisateur simplifiée pour créer des mouvements corporels\cite{nakaoka2010intuitive} a été implémentée dans un robot HRP-4C pour un spectacle de danse. Le robot exécute des mouvements de danse synchronisés, entouré par quatre danseuses, donnant l’impression d’une copie parfaite d’un interprète humain. Comme évoqué par\cite{penny2016improvisation}, nous attendons des œuvres d'art de nous surprendre. Pour aborder cet aspect, nous imaginons des interactions qui se concentrent sur des \gls{mouvements spontanés} et des comportements inattendus des robots, questionnant un ``effet de présence”\cite{zaven2014effets} sur scène. Pour explorer les potentialités de ces interactions créatives, nous avons programmé et testé différents scénarios. Ces scenarios impliquent des imitations et des mouvements aléatoires pour nous aider à comprendre comment les corps artificiels et organiques peuvent s'adapter les uns aux autres et atteindre un état d'hybridité spécifique. Lors de la conception de notre première séquence de danse avec HRP-4, nous avons dû prendre en compte différentes contraintes : la manière dont le robot stabilise son centre de masse, son autonomie en position debout et le mécanisme de sécurité qui lui permet de se déplacer. Ces contraintes nous ont fait envisager dans un premier temps une interaction dansée assise. Nous avons choisi de travailler sur les postures de dirigeants politiques célèbres. Le fait qu'ils étaient assis, en train de réfléchir, mais que par leur raisonnement ils ont influencé le résultat de notre vie quotidienne, a transformé la figure du robot en une figure totémique habitée par des gestes de pouvoir. La séquence de danse a été transposée dans le \gls{digital twin} du HRP-4, sur scène lors du projet \textit{Le mythe de l'Immorta}. Dans une instanciation différente de ce projet, l’interprète a interagi en temps réel avec les deux systèmes autonomes de la performance – en utilisant la même séquence de danse avec l’environnement virtuel de la performance E.V.E. (non anthropomorphe) ainsi que le HRP-4 virtuel (anthropomorphe). Le résultat de cette expérience nous a montré comment les mouvements répétitifs de HRP-4 génèrent un sentiment d’oppression et de limitation chez l’interprète, déclenchant le besoin de se réfugier dans des divers mouvements similaires aux réponses kinesthésiques mentionnées précédemment. A l'opposé, la réactivité d'E.V.E. lui a permis facilement d'oublier la séquence initiale et construire une rythmique sur place. Les deux systèmes ont été identifiés comme partenaires de scène par l'interprète, le robot évoquant un sentiment d'absence ou un phénomène de \gls{ghost in the machine}\footnote{https://www.imdb.com/title/tt0113568/}. Une fois ces observations ressorties de notre cadre de recherche initial, nous avons ressenti le besoin de les confronter à un contexte plus large. \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/isea_eve} \caption{Intéraction performeuse- E.V.E. lors d'une résidence CECCI-H2M.} \label{fig:iseaeve} \end{figure} \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/isea_sveda} \caption{Intéraction perfomeuse robot HRP-4 virtuel lors d'une résidence CECCI-H2M.} \label{fig:iseasveda} \end{figure} La suite de notre expérimentation est une étude de cas proposée à 25 étudiants en danse qui ont testé une séquence de mouvement conçue pour le robot humanoïde HRP-4 et enseignée par celui-ci, ainsi que par un bras industriel FRANKA et par un performeur humain. Par rapport à la version inspirée des postures de pouvoir, le robot HRP-4 bougeait cette fois ses membres supérieurs, ses hanches, sa tête et son torse, mais cette fois-ci debout. De nouveaux mouvements, correspondant à des \gls{mouvements réflexes} et similaires à une \gls{réponse kinesthésique}, ont été ajoutés dans la boucle pour simuler ce que nous avons défini précédemment comme des mouvements parasites. Nous avons initialement demandé aux participants de reproduire les mouvements puis d'improviser librement en appliquant certains des gestes dont ils se souvenaient. Ils ont été encouragés à explorer cette dimension sensorielle et à oublier toute projection personnelle concernant l'esthétique et le rendu de la séquence. \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/isea_learning_mercy} \caption{Séqeunce d'appréntisage des mouvements avec les éleves du lycée Merci.} \label{fig:isealearningmercy} \end{figure} Dans\cite{jochum2017computation, duffy2003anthropomorphism}, les chercheurs relient la notion d'agence à la question de l'anthropomorphisme, citant la théorie de D.C. Dennett\cite{dennett1993consciousness} sur les \textit{systèmes intentionnels}. Dans les contextes artistiques, outre le comportement cinétique de l’objet, un autre facteur d’influence est la stratégie du spectateur pour comprendre et prédire le comportement de l’objet performant. Nous avons donc souhaité ouvrir notre démarche de recherche-création à des acteurs extérieurs, en organisant une expérimentation pratique avec des étudiants en danse. Parmi les questions auxquelles devaient répondre les participants à notre étude, certaines concernaient le processus d’apprentissage par imitation du mouvement. La plupart des participants n'ont trouvé aucune différence significative dans la manière dont le robot (56\%) présentait le mouvement, par rapport à l'humain (76\%). Cependant, la plupart des participants étaient fortement d'accord sur le fait qu'il était plus facile de suivre les mouvements du robot humanoïde (64\%), par rapport au bras industriel (8\%). Concernant la qualité du mouvement, la plupart des participants pensaient que le robot humanoïde (44\%) et le bras robotique (44\%) avaient des mouvements intentionnels. Alors que 56\% estiment qu'il leur a été facile de détecter les \textit{mouvements parasites} de la séquence. Une légère différence a été observée lorsqu'on a demandé aux participants s'ils pouvaient distinguer les mouvements intentionnels des mouvements non intentionnels, 28\% des participants étant d'accord et 24\% tout à fait d'accord que c'était facile. Une partie importante des participants ne savait pas (36\%) si les robots sont des créatures étranges, 24\% étant tout à fait d'accord avec le fait qu'ils le soient et 20\% étant d'une manière ou d'une autre d'accord qu'ils ne le soient pas. Même répartition en considérant si les robots ont ou non une conscience, avec 28\% en quelque sorte en désaccord et 24\% en quelque sorte d'accord. Quant à l'interactivité créative, la majorité des participants (68\%) ont ressenti le besoin d'ajouter d'autres mouvements, une fois la séquence devenue répétitive. Aucun d'entre eux n'a convenu qu'ils appliquaient habituellement les mouvements appris lorsqu'ils dansaient, tandis que très peu d'entre eux ont convenu que les mouvements étaient naturels pour le robot HRP-4 (8\%) et le robot Franka (16\%). Il est intéressant de noter que pour le robot Franka, 4\% des participants étaient tout à fait d'accord que ses mouvements étaient naturels, alors qu'aucun pour le robot humanoïde. Concernant les émotions, seulement 12\% des participants étaient d'accord que le robot HRP-4 communiquait leurs émotions par la danse, une majorité (64\%) étant en désaccord et 24\% étant indécis. Quant aux émotions du robot Franka, 80\% des participants n'étaient pas d'accord avec le fait qu'il les exprimait à travers la danse, tandis que 8\% étaient indécis et 4\% d'une manière ou d'une autre d'accord. Il est intéressant de noter que 8\% des participants pensaient que le robot Franka communiquait des émotions à travers sa danse. La plupart des participants à notre étude (64\%) pourraient consacrer plus de temps à comprendre le mouvement grâce à l'interaction robotique. Un processus d’hybridation a également été observé après la séquence, lorsqu’il a été demandé aux participants d’interpréter librement les mouvements du robot qu’ils avaient expérimentés plus tôt. Cela a facilité l’exploration d’un état où les sens étaient plus présents et où les \gls{mouvements spontanés} apparaissaient plus facilement. Un état que nous définissons comme créatif, dans le sens où il permet une expressivité corporelle inhérente à la spécificité de l'incarnation - où par imitation ils se sont appropriés et transformés la séquence de danse robotique. En bougeant, leurs corps semblaient habités par la présence robotique. Les résultats de l'expérimentation sont disponibles avant\footnote{ https://vimeo.com/779347404} et après\footnote{https://vimeo.com/779363288} l'essai avec les robots. Concernant notre intention de modifier légèrement les séquences, de les voir dans un ordre particulier (HRP-4, le Franka puis l'interprète humain), aurait pu influencer leurs réponses. Certains participants connaissaient déjà les mouvements du robot HRP-4 grâce aux précédentes séances de travail organisées plus tôt cette année-là. Par rapport à un travail fait avec des \gls{digital twin}s, les résultats peuvent également être différents lorsque l’on travaille en temps réel avec des robots physiques. De plus, en appliquant la notion d’anthropologie numérique aux jumeaux numériques des robots utilisés dans nos expériences, nous aurions pu omettre certains résultats intéressants concernant d’autres formes et dimensions des robots. Il ne faut pas non plus oublier que même si les agents artificiels peuvent simuler des intentions et des affects, notre manière de les interpréter – ou la notion de \gls{qualia} évoquée plus haut – est toujours individuelle. Après avoir implémenté la séquence de danse analogue du robot humanoïde sur le bras industriel, nous avons constaté des différences (notamment en ce qui concerne la symétrie de la posture mais aussi la vitesse et les secousses), le bras industriel se révélant plus conforme compte tenu du type d'actionneurs qui exécutaient le mouvement. \subsection{Perspectives futures pour l'anthropomorphisme en utilisant des technologies robotiques émergentes} Une prochaine phase de cette recherche consistera à tester les mêmes scénarios avec la version physique des robots. De cette manière, nous pouvons déterminer si la perception de l'interprète, ainsi que sa qualité de mouvement, peuvent être impactées différemment lorsqu'il travaille dans les mêmes conditions, avec le corps réel et mécanique des robots. Cela permettra également de comprendre comment le processus d’hybridation est influencé par les phases d’imitation du mouvement. Nos premiers résultats empiriques nous encouragent à mettre en place une étude scientifique en laboratoire, mesurant l'\gls{empathie kinesthésique}\cite{barrero2019dance, foster2010choreographing} grâce à la détection de \gls{neurones miroirs}\cite{gallese1996action}, en utilisant le traitement du signal de l'électroencéphalogramme (EEG). Apprendre par imitation, puis établir une interaction créative à l'aide de \gls{digital twin}s nous a permis de rechercher les qualités vécues par chaque participant et d'améliorer la qualité globale du mouvement grâce à l'improvisation dansée. Ce type d'interactivité créative implique l'hybridation entre humains et robots, générant de nouvelles formes visuelles lors de la projection vidéo, ainsi qu'un type original de matériau de mouvement. Nous espérons que ces remarques sur l’anthropomorphisme numérique stimuleront davantage les échanges entre roboticiens et artistes, anticipant une nouvelle phase d’individuation dans la relation globale robot-humain. \section{Expérimenter la créativité au LIRMM} La deuxieme étude de terrain que nous avons menée s'est fait au LIRMM, deux ans après mon arrivée au laboratoire et aussi à la suite des travaux pratiques réalisés au Lycée Merci. \begin{figure} \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/roman_manip1} \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/roman_manip2} \caption{Captations vidéo de nos expérimentations au laboratoire.} \label{fig:romanmanip1} \end{figure} En s'interrogeant sur la manière dont les connaissances acquises grâce aux pratiques artistiques peuvent être liées à d'autres formes de connaissances considérées par le public comme plus ou moins faisant autorité ou dignes de confiance\cite{gunn2004learning}, les chercheurs défendent l'idée que l'art est un cadre parfait pour la connaissance distribuée. Les recherches actuelles suggérant que le comportement des individus à l'égard des robots est influencé par l'observation de rencontres entre des robots et d'autres personnes\cite{timmerman2021springer} offrent des informations importantes. Pour autant que nous le sachions, nous sommes les premiers dans la littérature à étudier les interactions de tiers (c'est-à-dire robot - robot - humain ou HRHI) dans un contexte d'imitation de danse. De telles interactions deviendront de plus en plus courantes avec l’avènement des robots dans nos sociétés. Selon \cite{jung2018acm}, un robot peut affecter son environnement social au-delà de la personne qui interagit avec lui. Dans ce contexte, nous pensons qu’il est important d’explorer l’HRI dans des contextes sociaux complexes. Notre étude initiale s'est basée sur une HRI collective, réalisée avec des avatars virtuels de robots lors des atelier de danse. La prochaine étape de notre recherche nous permet d'aborder de nouvelles possibilités d'interaction et de vérifier une nouvelle hypothèse sur la dynamique sociale homme-robot : du point de vue d'un autre humain interagissant avec une dyade homme-robot, le type d'incorporation (\gls{embodiment}) influence la façon dont le robot est perçu et son impact sur l'environnement. Grâce à notre approche, nous examinons l'effet de robots de différentes formes, dans un contexte multi-personnes lors de routines de danse, pour comprendre comment la conception du robot améliore notre processus créatif. Dans cette expérimentation, motivés par la perspective florissante des robots mis en scène dans les performances artistiques, nous introduisons une nouvelle méthode comme tierce cadre d’interaction homme-robot-humain (HRHI). Traditionnellement, les interactions avec des tiers sont nettement moins étudiées que leurs homologues entre deux parties. Nous nous limitons à la mise en place de routines de danse collaboratives impliquant des mouvements du haut du corps entre un danseur professionnel, un robot et un humain. A travers ce cadre, nous nous intéressons au potentiel créatif de tels partenaires d'interaction que nous proposons de mesurer par la capacité d'improvisation du spectateur humain. Comme évoqué dans\cite{bailin1984creativity}, la créativité dans les œuvres d'art implique une compétence proche d'une certaine \textit{plasticité du contrôle} (c'est-à-dire être capable de voir au-delà du problème spécifique auquel on est confronté et d'avoir une réelle compréhension du problème). Lorsqu'ils définissent la créativité, les chercheurs \cite{gaut2009brill, bailin1984creativity} font remonter le débat initial au philosophe grec Platon, pour qui la créativité est un processus mystérieux impliquant de l'inspiration et de l'introspection. Nous soutenons que cette vision est erronée, car elle adopte une vision anti-téléologique du processus créatif. De plus, \cite{gaut2009brill} identifie la valeur de la liberté humaine et la valeur du courage en tant que catalyseurs de la créativité. Nous transposons ces arguments à notre contexte de danse HRI, afin d'évaluer les facteurs possibles qui améliorent la créativité des robots. Nous proposons ainsi d'analyser la capacité d'improvisation induite par l'état créatif à partir de deux points clés : d'une part la substituabilité\cite{kirsh2010wayne} et d'autre part la \gls{empathie kinesthésique}\cite{gemeinboeck2016roman} des participants. L'imitation dans la danse interactive des robots humains a fait l'objet de recherches de longue date dans la littérature, en particulier concernant l'\gls{embodiment}. Alors que l'improvisation est principalement utilisée pour améliorer la réactivité et l'acceptation sociale des robots \cite{jochum2019moco, hoffman2012impro, weinberg2007impro}, les artistes font improviser des robots sur scène, que ce soit pour danser \cite{demers2016multiple} ou jouer de la musique \cite{hoffman2011stage}. Il est important de préciser que dans notre étude actuelle, plutôt que d’improviser, les robots émulent l’improvisation selon des algorithmes préprogrammés. En danse, la mémorisation d'une phrase ou d'un geste implique un processus d'assimilation appelé marquage, où chaque danseur reproduit la matière du mouvement en activant différentes parties du corps. Les observations de\cite{kirsh2010wayne} proposent la technique de marquage comme \textit{un échafaudage pour projeter mentalement une structure plus détaillée que celle qui pourrait autrement être gardée à l'esprit.} Semblable à une stratégie interactive augmentant la cognition, les danseurs marquent avec leur corps, des séquences de danse pour mémoriser et les transmettre. L'une des propriétés du marquage est la substituabilité, décrivant comment un mouvement dans une partie du corps peut représenter le mouvement dans une autre. Suite aux observations de Kirsh selon lesquelles \textit{les mouvements des mains et les inclinaisons de la tête représentent régulièrement le mouvement de différentes parties du corps}, nous proposons une expérience de danse avec les mains traduite par des robots, qui encode différentes parties du corps chez les partenaires humains. Inspirés par le travail de \cite{jochum2019moco}, nous utilisons l'improvisation comme approche ascendante pour analyser l'interaction incarnée dans la danse. Au cours de nos essais en laboratoire, les robots et les personnes se sont spontanément déplacés afin de déterminer quels facteurs renforcent un résultat créatif. À l’origine outil de composition, l’improvisation dansée est devenue une technique de performance live améliorant la conscience kinesthésique des interprètes. Selon\cite{schwartz2000action}, ce type de conscience est également lié à l'incarnation\cite{jochum2019moco} chez les artistes humains. Transposer ces observations aux robots permet de déterminer leur impact sur un processus artistique global et d'analyser comment le type d'incarnation influence les réponses spontanées des humains. Comme le dit \cite{dautenhahn2018acm}, la conception des robots évolue rapidement tandis que les modèles deviennent obsolètes une fois que les entreprises cessent de les développer davantage. Par conséquent, la communauté robotique a des difficultés à partager un terrain d'entente sur ce que le terme \textit{robot}implique actuellement, y compris un large éventail de formes comme \textit{androïde, humanoïde, mécanoïde, semblable à une machine, zoomorphe ou anthropomorphe}. comprendre les possibilités d'interaction entre humains et robots est un défi complexe, au cœur de plusieurs disciplines impliquant la robotique, les neurosciences, la psychologie, l'éthologie, la philosophie de l'esprit... Le recyclage des pratiques, technologies et protocoles actuels est moins étudié que les modèles innovants, conduisant à à une vision trop simpliste de l'HRI. Dans notre étude, nous cherchons à comprendre et à étendre les paramètres originaux d'un HRI standard à un modèle d'interaction avec des tiers, afin de développer d'autres concepts émergents liés aux arts et à la créativité qui pourraient accroître l'acceptation sociale chez les robots. Les auteurs de\cite{fdili2019acm, fdili2017moco, jochum2019moco} citent l'informaticien Paul Dourish pour qui l\gls{embodiment} ou incorporation, n'est pas une propriété de systèmes, de technologies ou d'artefacts ; c'est une propriété d'interaction. Le type d'interaction incorporée que nous étudions vise \textit{la création et le partage de sens} tel que défini par Dourish. Selon lui, le concept d'incorporation ne se limite pas à la manifestation physique des personnes et des objets, \textit{mais s'étend également aux interactions sociales, relations et participation entre les personnes et les choses}. À notre tour, nous étudions comment l’interaction entre un danseur et un robot peut déclencher du sens et une \gls{empathie kinesthésique} chez les participants. Nous analysons les types de modèles d'interaction générés par deux contraintes - l'imitation et l'improvisation - en demandant aux participants de remplir un formulaire de vingt-neuf questions à la fin de l'expérience. Nous identifion des matériaux du mouvement original et analysons comment le type d'incorporation du robot peut être un catalyseur de cette expérience. Dans ce contexte, sur la base de l’expérience mentionnée ci-dessus, nous avons obtenu les principaux résultats suivants : \begin{itemize} \item Les robots industriels pourraient faciliter un état créatif plus élevé pour la danse, par rapport aux robots humanoïdes \item Le degré d'acceptation du deuxième participant humain dépend du degré de familiarité du participant avec le robot \item Dans un contexte tiers humanoïde-robot-danseur-humain, le danseur est moins perçu mais il est vu comme une source d'inspiration lors de la phase d'improvisation \item Les participants étaient moins intéressés à toucher physiquement le robot, quelle que soit sa forme \item Les participants ont préféré imiter et improviser avec les robots plutôt qu'avec le danseur. \item Le sentiment de synchronisation avec les robots était moins présent lors de la phase d'improvisation \item Lors de la phase d'improvisation, les participants projetaient et attendaient une réactivité de la part du bras industriel mais moins de la part de l'humanoïde. \item Durant la phase d'improvisation, les participants n'ont pas interagi avec la danseuse humaine, ni l'ont imitée. \end{itemize} \subsection{Configuration expérimentale HRHI} Notre expérience motivante s'est déroulée à l'extérieur du laboratoire, lors d'une pratique de cours de danse. Les observations de \cite{jung2018acm} nous ont inspiré à travailler dans un cadre original, en adaptant notre hypothèse aux contraintes de l'environnement (c'est à dire les participants ont vécu une expérience collective de HRI, lors d'une séance de formation collective en danse). Les résultats de ce processus hybride sont disponibles ici (\url{https://vimeo.com/779347404} et \url{https://vimeo.com/779363288}). Même si notre objectif était de comprendre comment l’anthropomorphisme numérique déclenche la créativité, l’expérience a fourni des informations utiles sur la créativité en général, nous donnant l’opportunité d’aborder ce concept dans un contexte plus large. Les vingt-cinq étudiants participants ont eu pour mission d'imiter puis d'improviser avec les versions virtuelles d'un robot industriel et d'un robot humanoïde, puis de remplir un formulaire comportant des questions sur une échelle de notation de 1 à 5. L'apprentissage par imitation, pour commencer par établir une interaction créative, a permis d'améliorer la qualité globale du mouvement grâce à l'improvisation dansée. La plupart des participants étaient fortement d'accord sur le fait qu'il était plus facile de suivre les mouvements du robot humanoïde (64\%), par rapport au bras industriel (8\%). Une partie importante des participants ne savait pas (36\%) si les robots sont des créatures étranges, 24\% étant tout à fait d'accord avec le fait qu'ils le soient et 20\% étant d'une manière ou d'une autre d'accord qu'ils ne le soient pas. La majorité des participants - (68\%) - ont ressenti le besoin d'ajouter d'autres mouvements, une fois la séquence devenue répétitive. Aucun d'entre eux n'a convenu qu'ils appliquaient habituellement les mouvements appris lorsqu'ils dansaient, tandis que très peu d'entre eux ont convenu que les mouvements étaient naturels pour le robot HRP-4 (8\%) et le robot Franka (16\%). Concernant les émotions, seulement 12\% des participants étaient d’accord sur le fait que le robot HRP-4 communiquait des émotions par la danse, avec une majorité (64\%) en désaccord. Quant aux émotions du robot Franka, 80\% des participants n’étaient pas d’accord sur le fait qu’il exprimait ses émotions à travers la danse. Notre modèle d'interaction suit l'amélioration de l'étude précédente mentionnée ci-dessus, basée sur des simulations virtuelles et adressée à des participants familiers avec la danse. Afin de comprendre comment les robots sont perçus et quel est leur impact sur leur environnement, l’autonomie est un facteur clé. Les observations de\cite{stubbs2007iee} suggèrent qu'à mesure que l'autonomie d'un robot augmente, ``l'incapacité des humains à comprendre les raisons des actions du robot perturbe la création d'un terrain d'entente”. Suite à cette remarque, nous avons décidé d'organiser notre expérience au laboratoire, l'environnement de prédilection des robots. Pour questionner la notion de créativité en HRI, nous avons personnalisé notre expérience à l'aide de premiers essais impliquant majoritairement des collègues chercheurs de notre laboratoire. Nous leur avons demandé de comparer deux contextes : interagir seuls avec un robot et interagir simultanément avec un robot et un danseur humain. Leurs retours ont clarifié l’hypothèse de travail selon laquelle les humains devraient s’habituer à la présence d’autres humains lorsqu’ils interagissent avec des robots. L'un de nos objectifs était d'identifier quel cadre (avec ou sans médiateur humain) est le plus utile et inspirant pour déclencher la créativité pendant l'HRI. Parmi nos observations, nous avons noté que la place du robot au sein de l’expérience dépend de son degré de familiarité avec le sujet (c’est-à-dire que le participant a déjà interagi avec ce type de robot ou non). La majorité des roboticiens préféraient interagir directement avec le robot, sans que le danseur humain n'intervienne comme intermédiaire dans cette interaction. Parmi les raisons qui ont motivé cette préférence : la présence de l'humain devient plus importante que celle du robot, une fois la phase d'improvisation de l'expérience effectuée. De la même manière, les chercheurs qui n’avaient jamais interagi avec un robot auparavant ont estimé que la présence du médiateur humain les a encouragés à s’inscrire à l’expérience et à développer davantage leurs compétences créatives. Un autre fait important, une fois l'instruction d'improviser donnée, les attentes et les réactions rendent les participants confus quant au résultat possible, ou à \textit{la meilleure} façon d'exécuter l'instruction. Avoir un danseur humain improvisant simultanément avec le robot aide les participants à se détendre. et restent confiants quant au résultat de l'expérience, quel que soit leur niveau de danse. Ces premières remarques nous ont encouragés à maintenir le cadre d'un danseur humain interagissant avec différents robots, dans notre cadre d'expérimentation. Travailler avec de vrais robots au lieu de leurs jumeaux numériques\cite{circu2023isea} est motivé par le fait que les séquences de danse apparaissant fluides dans les simulations sont accompagnées de bruit réel et soumises à des contraintes mécaniques lorsqu'elles sont exécutées à travers les corps des robots. Comme evoqué par\cite{jochum2019moco}, \textit{une telle imprévisibilité est liée à l’incarnation matérielle d’un robot et à une partie de son charme idiosyncratique en tant qu’interprète}. Notre choix de faire une interaction impliquant uniquement des routines de danse du haut du corps est lié au fait que travailler avec des contraintes élargit les possibilités d'expression chez l'humain et réduit les risques de dysfonctionnement du robot. Le bras industriel étant posé sur un socle fixe, il semblait logique d'immobiliser le robot humanoïde, sur une chaise. Les possibilités d'accessibilité d'une chaise nécessitent d'adopter une position réflexive et statique tandis que le danseur doit compenser avec les mains l'expressivité du mouvement. \subsection{Résultats et discussion} Dans notre expérimentation, nous faisons l'hypothèse que la créativité est une combinaison de compétence et d'intention suite aux travaux de \cite{gaut2009brill, gaut2010philosophy, bailin1984creativity, bresnahan2015skill}. Cette hypothèse a suscité de nombreux débats. Parmi eux l’idée que la créativité peut être téléologique.\cite{gaut2010philosophy} donne l'exemple d'un chimpanzé brossant de la peinture : si le dresseur enlève la peinture lorsqu'il le juge approprié, le résultat pourrait être créatif ; alors que si le chimpanzé est laissé seul avec son papier, il finira par le recouvrir de couleurs ou tout simplement le détruire. Pour Gaut: \begin{quote} ``les types d'actions qui sont créatives sont celles qui présentent au moins un objectif pertinent (en n'étant pas purement accidentelles), un certain degré de compréhension (en n'utilisant pas simplement des procédures de recherche mécaniques), un degré de jugement (dans la manière de appliquer une règle, si une règle est impliquée) et une capacité d'évaluation orientée vers la tâche à accomplir. En raccourci pour ces caractéristiques, nous pouvons dire que les actions créatives doivent faire preuve de flair.” \end{quote} Nous extrapolons ces remarques aux robots autonomes, qui ont un comportement téléologique une fois qu'ils sont préprogrammés avec une tâche. Notre méthodologie identifie les facteurs qui différencient un résultat entre un résultat non créatif et un résultat créatif. Compte tenu de ces prémisses, l’invention d’une danse particulièrement nouvelle pendant la phase d’improvisation peut-elle être considérée comme créative ? Si oui, à travers quels facteurs ? Le défi de concevoir des robots capables de se comporter de manière fiable et sûre dans des environnements humains a conduit les scientifiques à étudier des domaines tels que les sciences sociales et la philosophie. Puisqu’il existe peu de recherches empiriques sur l’art, nous proposons un modèle d’IRH basé sur deux phases (imitation de danse et improvisation de danse) pour analyser les attentes humaines en son sein. En supposant que la créativité soit une question de degré\cite{gaut2009brill}, nous analysons à travers notre questionnaire la conscience kinesthésique, la substituabilité ainsi que le potentiel de synchronie de deux robots opérant dans un laboratoire identique. Bien que les algorithmes de mouvement soient identiques, les mouvements des robots ont suscité des réactions inattendues chez certains participants. Ils ont défini la même séquence de danse exécutée par un robot différent comme créative, leurs commentaires étant liés à leur familiarité avec les robots (c'est-à-dire des participants moins habitués aux robots, mais plus enthousiastes quant à leur potentiel créatif en danse). Nous résumons nos résultats et identifions certains des défis comme suit. Lors de la phase d'imitation, 95,3\% des participants ont facilement imité la séquence de danse du robot humanoïde, contre 56,5\% pour le bras industriel. De plus, 71,5\% des participants à l'interaction avec le robot humanoïde et 56,5\% pour le bras industriel n'ont pas jugé acceptable d'utiliser des mouvements d'improvisation pendant cette phase. Ces participants étaient engagés dans ce que Dourish appelle un \textit{coping absorbé}\cite{jochum2019moco}, ou un engagement total dans l'interaction, avec 47,6\% de participants pour l'humanoïde et 30,4\% de participants pour le bras industriel, n'imitant pas le danseur professionnel. Répartition similaire des réponses concernant le confort lors de l'imitation : avec 85,7\% des participants se sentant à l'aise en imitant le robot humanoïde et 38,1\% le danseur, contre 60,9\% le robot et 43,5\% le danseur - pour le robot à bras industriel. Le sentiment d'être inspiré par les mouvements du danseur humain par rapport au robot suit la même tendance, avec 42,8\% des participants convenant que c'est le cas du robot humanoïde, contre 39,1\% pour le robot industriel. Globalement, les participants ont trouvé plus intéressant de suivre les mouvements du robot que ceux du danseur - avec 61\% pour le robot industriel et 66,6\% pour le robot humanoïde. Paradoxalement, seule une petite minorité - 20\% pour le robot industriel et 14,3\% ont identifié des émotions dans la danse du robot, par rapport à celle de l'humain - 60,9\% pour l'essai industriel et 57,1\% pour l'humanoïde. Cette observation prouve notre intuition selon laquelle les participants engagés dans la danse (soit en imitant, soit en improvisant) contemplaient moins l'acte performatif. Par ailleurs, lors de la phase d'imitation, 66,7\% des participants se sont sentis en synchronisation avec le robot humanoïde contre 55\% pour le robot industriel. En comparant ces résultats à la même question concernant la phase d'improvisation, on constate une grande différence puisque seulement 20\% pour le robot industriel et 23,8\% pour le robot humanoïde ont répondu positivement. Ce constat prouve que la synchronie s’établit moins par l’improvisation. Un autre fait intéressant à mentionner est que lors de l'improvisation, les participants n'ont pas ressenti le besoin d'entrer en contact physique avec le robot (68,2\% pour le bras industriel et 90,5\% pour le robot humanoïde) avec un léger pourcentage d'indécision pour le bras industriel. (18,2\% ), contre (9,5\%) pour le robot humanoïde. Alternativement, 13,6\% des participants à l'expérience avec le bras industriel ont répondu par l'affirmative à cette question, alors qu'aucun pour le robot humanoïde. En improvisant, on note une légère indécision quant à la réactivité du robot industriel (avec 15\% des participants pour le robot industriel et 9,5\% pour l'humanoïde), alors que la majorité des participants (80\% des participants pour le robot industriel et 90,4\% pour l'humanoïde) rejetant l'idée que les robots étaient réactifs, alors qu'en réalité ils ne l'étaient pas. Cependant, 40,95\% des participants pour le robot industriel et 23,8\% pour l'humanoïde, ont exprimé ce besoin lorsqu'on leur a demandé s'ils souhaitaient faire réagir le robot à leurs gestes. Puisque nous avons inclus dans la séquence du danseur une combinaison de mouvements intentionnels et non intentionnels (type bâillement), nous avons voulu voir si les participants faisaient la distinction entre ces deux mouvements lors de l'interaction avec le tiers. Dans les deux cas - 52,1\% pour le bras industriel et 47,6\% pour le bras humanoïde, les participants ont réussi à les identifier. Pour les robots, ces mouvements ont été simulés lors des essais de la phase d'improvisation, où chaque séquence était réalisée dans un ordre aléatoire par rapport à la phase d'imitation. Pour le robot humanoïde, un état inspiré des tremblements humains a été ajouté. Seuls 17,4\% des participants pour la branche industrielle ont identifié ces mouvements, contre 85,7\% pour le robot humanoïde. Nous expliquons cette différence par le fait que le mouvement de secousse était relativement différent des autres types de mouvements de la séquence. \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/roman_Q18} \caption{Répartition des réponses quant au comportement lors de l'improvistion.} \label{fig:romanq18} \end{figure} Lorsqu'on leur a demandé avec qui ils avaient improvisé lors de la deuxième séance, les réponses avaient une répartition similaire pour les deux robots. Pour le robot humanoïde, 33,3\% des participants ont improvisé uniquement avec l'humain, 28,6\% uniquement avec le robot, 23,8\% ont improvisé avec les deux, tandis que 9,5\% ont improvisé complètement par eux-mêmes et 4,8\% n'ont pas respecté la consigne de improviser. Pour le bras industriel, 21,7\% des participants ont improvisé uniquement avec l'humain, 21,7\% uniquement avec le robot, 21,7\% ont improvisé avec les deux, tandis que 8,7\% ont improvisé complètement par eux-mêmes et 8,7\% n'ont pas respecté la consigne de improviser. Le reste des 17,5\% des participants ont soit improvisé uniquement avec l'humain, soit l'ont imité pendant l'enseignement d'improvisation, prouvant que la créativité est facilitée par les interactions entre humains plus facilement que par les interactions entre humains et robots. Les chercheurs\cite{truman2015primacy, gallagher2002primacy} font la distinction entre l'action et le mouvement à travers le sens. Pour notre étude dans les deux contextes, les participants utilisaient alternativement les deux, comme l'illustrent les réponses. Pour approfondir la discussion, nous citons\cite{jochum2019moco} pour qui \begin{quote} ``un robot ou un système artificiel pourrait imiter de manière convaincante une action significative, mais ce n'est pas la même chose qu'un système agissant de manière significative.” \end{quote} De plus, ``la dynamique qualitative inhérente pour animer des formes de vie (mouvement cinétique) sont distincts de l'action motrice exécutée par des formes inanimées (action motrice)”. \section*{Conclusion} Ces deux expériences de terrain nous ont offert la possibilité de mettre en œuvre des observation théoriques, des envies et des intuitions quant au potentiel scénique des robots. L’expérience avec des \gls{digital twin}s au Lycée Merci m'a permis de tester mon dispositif à l’extérieur de laboratoire, ou \textit{into the wild}/cite{sabanovic2006iwamc} pour citer la littérature. Suite à cette première immersion, j'ai pu affiner l’étude HRHI au LIRMM, avec des non danseurs. Dans les deux cas, robots virtuels puis robots réels, les humains ont ressenti plus de liberté en interagissant avec une entité non-anthropomorphe. D'ailleurs la consigne d'imiter des mouvements s'est avérée contre-productive, en suscitant des réactions de rire ou des blocages de la part des participants, puisque dans leur imaginaire les robots sont associés à un type de mouvement propre aux récits SciFi: mouvements mécaniques et saccadés, lenteur et lourdeur. Ayant plus ou moins réussi à interroger et parfois même défier certaines attentes, je considère ces études de terrain réussis malgré leurs contraintes. Lors 'une session au LIRMM, une participante est restée immobile, après la consigne en m'expliquant que elle ne sait pas quel type de danse est adéquat dans la compagnie d'un robot. Somme toute, cela m'a permis de réfléchir collectivement aux implications d'une danse créative avec des robots et de questionner des éventuels préjugés liés à ce type d’interaction artistique. \chapter{Robots, danse et \textit{conscience art.ificielle}} A la description du corps par Latour que j'ai mentionné plus haut, je rajoute celle de Hubert Godard\cite{godard1994geste} pour qui \textit{le corps n'existe pas, nous sommes que du tissu conjonctif\footnote{The body does not exist, we are nothing but connective tissue.}.} Cela nous permets d'envisager les composantes sociales et culturelles du corps, dans sa dynamique avec l’environnent. Dans notre cas, les actes artistiques qui engagent un dialogue entre le corps et les technologies numériques favorisent une construction collaborative de nouveaux états physiques, perceptives, et même de conscience. Est-ce que cette conscience pourra un jour être appelée \textit{artificielle}, reste à voir. Pour l'instant le terme \textit{art.ificiel} renvoie plus à un jeu de mots entre construction artistique et \textit{artifice} dont un synonyme renvoie au \textit{subterfuges}. \section{Les robots, les ours et le désir d'inter-subjectivité.} Cette section présente la relation entre la danse improvisée et la robotique, dans le contexte de la performance \textit{This is where I differ with Herzog} (TIWIDWH). Considérant des concepts comme la figuration, l'intention, l'\gls{exaptation}, nous mettons en avant une inter-subjectivité entre la figure d’un ours sauvage et celle d’un robot, comme métaphore des considérations féministes d'un nouveau type de matérialisme. \textit{TIWIDWH} est d'abord une mise en abyme de mon processus de recherche-création, revu dans l'optique du documentaire \textit{Grizzly Man} (2005) de Werner Herzog. Rapprocher la figure du robot à celle du vampire puis de l'ours sauvage m'a aidé clarifier le statut qu'un robot peut avoir, à l'intérieur de mon expérience artistique. Par ce biais, j'ai pu également approfondir mes intuitions quant au potentiel scénique des robots - en tant que source d'inspiration pour une expressivité corporelle qui cherche à déconstruire le rapport au corps. J'ai aussi pu parler ouvertement des peurs et incertitudes quant à mes ambitions de traiter le sujet de \gls{conscience artificielle} lors de cette thèse. En contrepoids de ces projections artistiques, j'ai mis en avant le réalisme excentrique de Herzog, artiste visionnaire qui a passé des années à poursuivre des projets impossibles à réaliser. Dans son journal \textit{Conquest of the Useless: Reflections from the Making of Fitzcarraldo}\cite{herzog2009conquest} - qui m'a accompagné tel un livre de bord dans plusieurs projets artistiques - Herzog évoque les difficultés qu'il a rencontré pour réaliser le film \textit{Fitzcarraldo} (1982) où il tourne en plein milieu de la forêt péruvienne. L'historie suit les aventures d'un personnage original, parti construire une opéra pour inviter Enrico Caruso et Sarah Bernhardt se produire dans la jungle. Lorsqu'un de ses plans initiaux échouent à cause de la météo, il décide de poursuivre son voyage, en faisant tirer le bateau, avec des cordes sur une montagne. Pour réaliser ce projet, Herzog s'est investi au point de mettre en danger sa vie, en tombant gravement malade sur le tournage, ou en négociant avec des chefs de tribu de la jungle péruvienne. Loin d’être proche de ses exploits, je m'inspire de ce journal pour trouver le juste milieu entre engagement, ambition, lâcher prise et auto-dérision. \begin{figure} \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/fizzcaraldo} \caption{Poster du film \textit{Fizzcaraldo}. Source: https://www.themoviedb.org/movie/9343-fitzcarraldo.} \label{fig:fizzcaraldo} \end{figure} Lorsqu'il parle de \textit{Fitzcarraldo}, Herzog impressionne par son honnêteté: \begin{quote} ``Une vision m'avait saisi, comme la fureur démente d'un chien qui a enfoncé ses dents dans la patte d'une carcasse de cerf et qui secoue et tire le gibier abattu si frénétiquement que le chasseur renonce à essayer de le calmer. C'était la vision d'un grand bateau à vapeur escaladant par ses propres moyens une colline, gravissant une pente raide dans la jungle, tandis qu'au-dessus de ce paysage naturel, qui brise les faibles et les forts avec une égale férocité, s'élève la voix de Caruso, faire taire toute la douleur et toutes les voix de la forêt primitive et noyer tous les chants d'oiseaux. Pour être plus précis : l'oiseau crie, car dans ce décor laissé inachevé et abandonné par Dieu dans sa colère, les oiseaux ne chantent pas ; ils hurlent de douleur, et les arbres confus s'entremêlent comme des Titans en guerre, d'un horizon à l'autre, dans une création fumante encore en formation. Haletants et épuisés, ils se trouvent dans cette misère irréelle - et moi, comme une strophe dans un poème écrit dans une langue étrangère inconnue, je suis profondément secoué\footnote{en anglais: ``A vision had seized hold of me, like the demented fury of a hound that has sunk its teeth into the leg of a deer carcass and is shaking and tugging at the downed game so frantically that the hunter gives up trying to calm him. It was the vision of a large steamship scaling a hill under its own steam, working its way up a steep slope in the jungle, while above this natural landscape, which shatters the weak and the strong with equal ferocity, soars the voice of Caruso, silencing all the pain and all the voices of the primeval forest and drowning out all birdsong. To be more precise: bird cries, for in this setting, left unfinished and abandoned by God in wrath, the birds do not sing; they shriek in pain, and confused trees tangle with one another like battling Titans, from horizon to horizon, in a steaming creation still being formed. Fog-panting and exhausted they stand in this unreal misery - and I, like a stanza in a poem written in an unknown foreign tongue, am shaken to the core.”}.”\cite{herzog2009conquest} \end{quote} Le rapport que Herzog a vis à vis de son propre travail, a toujours été un exemple pour moi. Son humilité, tout comme son ambition démesuré, touchent à quelque chose de primitif, qui contrarie. Il se désigne plutôt témoin que créateur, dont la mission est d'articuler les rêves qui peuplent notre époque. Pour lui, chaque humain aspire au fond de lui aux mêmes idéaux, il a les mêmes angoisses, parfois sans le savoir, et le travail d'un artiste est de mettre en place les conditions pour que cela se manifeste. Dans ses films, il part du particulier et de l'intime pour parler de l’universel. A mon tour, j'ai essayé d'appliquer ces principes, observer et laisser le corps s’exprimer au travers la danse, plutôt que de \textit{le faire danser} telle une marionnette. J'ai passé du temps à me connecter avec mes sens, trouver une écoute du corps pour mieux renouer avec mon intention de créer. Cela m'a permis de me sentir plus disponible dans mon interaction avec des robots. J'ai vécu cet apprentissage comme un sorte d'encrage dans un avenir possible, où les machines envahissent notre quotidien et nous absorbent dans leur monde. Je me rends compte à quel point cela est vecteur d'une disruption. L’altérité des machines, tout ce qu'il y a de non-dit et caché dans une \textit{relation} avec eux, ont fortement perturbé ma liberté artistique. Danser avec des robots reste une expérience singulière, à l'opposé d'une immersion dans la nature, ou d'une expérience sensorielle partagée avec un humain. Dans le même temps, bien qu'ils sont inanimés, leur fonctionnement s'inspire des lois biologiques, ils simulent l'autonomie, l'intelligence et dernièrement l'émotion humaine. Grace à leur présence accrue dans nos sociétés, nous commençons les envisager comme des êtres à part entière. J'ai donc arrêté de penser à leur place, de danser à leur place pour me demander si cela est juste ou pas. J'ai voulu mieux les connaitre, sans que cela soit très clair ce qu'ils représentent pour moi, ou pour notre société, une fois que leur performance et fonctionnalité passent en second plan. Évidement dans ce type de projection, il n'y a pas de meilleure façon de faire. Mon expérience au laboratoire est peu à peu devenue proche d'une expérience anthropologique, qui m'a permis de rencontrer une autre culture- celle des robots et des roboticiens. \subsection{Présentation publique} Nous avons eu l'opportunité de présenter un travail publique avec le robot HRP-4 le 31 mars 2023, au studio de danse La Nef à Montpellier. Entre communication scientifique et proposition artistique, notre idée à été de confronter ce format expérimental devant les spectateurs, pour avoir leurs impressions et échanger sur la potentialité artistique des robots. Sous la forme d'une conférence performative, à la croisée des disciplines comme la cognition incarnée, l’improvisation dansée et la robotique, nous avons alterné entre des moments explicatifs et des moments performatifs de danse. Au cours de 40 minutes de musique live, d'interaction de danse H2R et démonstrations des pratiques somatiques, le public a découvert un format expérimental entre communication scientifique et performance artistique avec des robots. Sur scène trois humains (Arnaud Tanguy comme ingénieur de recherche du robot HRP-4, Maxime Aleves pour la création sonore et moi-même en tant que performeuse) plus le robot HRP-4. En dehors de la scène, Thomas Guillot en tant que collaborateur artistique de la compagnie Desiderate. \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/nef_intro} \caption{Setting de la présentation publique \textit{Here is where I differ with Herzog. Robots et conscience artificielle} le 31 mars 2023 au studio LaNef à Montpellier.} \label{fig:nefintro} \end{figure} La scénographie implique trois zones correspondant à : \begin{itemize} \item une table centrale et deux chaises où sont assis le robot et le performeur \item un endroit pour la musique live en arrière-plan, côté gauche du public \item un endroit pour la maintenance technique avec les équipements et ordinateurs du robot et l'ingénieur de recherche, côté droite du public. \end{itemize} La présentation se déroule elle aussi en trois temps. Le public est d'abord invité à intégrer une expérience somatique collective pendant que le robot calibre, puis le performer et le robot prennent place à la table, tandis que le performeur entame une conférence ponctuée de notes théoriques et anecdotes personnelles, d'enregistrements et des vidéos d'archive ainsi que de quelques moments d'interruption spontanés pour des démonstrations pratiques. Le dernier moment est une improvisation dansée sur des chaises, inspirée par le spectacle \textit{Rosas dans Rosas} de Keersmaeker. Ce projet transdisciplinaire a vu le jour grâce au soutien de l’équipe IDH du LIRMM, de la coopérative artistique La Nef et du studio de la compagnie de danse Mathilde Monnier à Montpellier. Le cadre théorique inclut des observations quant à des interactivités possibles entre des danseurs et un robot humanoïde, ainsi que mes hypothèses de recherche sur la créativité et une possible \gls{conscience artificielle} en relation avec des robots. L'interactivité est vue ici comme une forme d’échange entre des agents vivants et non-vivants. Depuis l’avènement des interfaces numériques, la question de la répartition hiérarchisée des rôles n'est plus d'actualité. L’humain n’a plus une part exclusivement active, étant en interdépendance avec les appareils qu’il utilise. Comme le montre \cite{circu2023isea}, dans la danse HRI, le lien entre l'hybridation et l'\gls{expérience technesthétique} passe par des cycles récurrents d'imitation de la danse et d'expression improvisée de la danse. Par le mouvement, notre proposition artistique met en place les permises d'une relation d'interdépendance entre l'humain et la machine. Cette relation peut évoluer dans une forme d'\gls{intersubjectivité} entre danseurs et robots qui improvisent sur scène. Les outils d'évaluation de la créativité comme les tests Torrance pour la pensée créative\footnote{https://neurosciencenews.com/ai-creativity-23585} peinent à suivre le rythme des projets artistiques, depuis l'apparition des outils comme ChatGPT\footnote{https://chat.openai.com/auth/login}. Dans le domaine de la performance, les nouveaux médias emploient des technologies comme les robots industriels, en dehors de leur contexte d'origine. L’environnement scénique transforme tous les acteurs en contributeurs égaux de la proposition artistique, quel que soit leur symbole social. Nous défendons cette piste du mouvement et son lien avec la conscience car l'intelligence corporelle (tout comme la mimesis dans la danse), est un facteur clé pour comprendre les origines de la cognition sociale. L'émergence de l'imitation, de l'\gls{intersubjectivité} et des gestes chez les primates\cite{zlatev2008proto}, tout comme la réflexion sur l'héritage de la danse à partir des rituels et comportements sociaux, traitent la question de l'improvisation avec beaucoup d’intérêt. En générant des nouvelles matières de mouvement, l'improvisation propose une nouvelle organisation du corps. Cette organisation peut-être influencée par l'environnement ou par les artefacts qui l'accompagnent. De plus, la danse improvisée est un mouvement intentionnel qui nécessite de l'inspiration et un certain état d'intention. C'est pourquoi co-créer une performance avec un robot social\cite{duffy2003anthropomorphism} et comprendre le rôle qu'il joue dedans, est un phenomene complexe. Lorsqu’ils interagissent avec un non-humain sur scène, les humains interprètent le sens des ses actions et s'adaptent en conséquence. Cependant l'action d'un robot est actuellement le résultat des algorithmes de calcul. Si un jour les robots auront une conscience, la question de l'intention et de l'adaptation devrait être incluse dans des considérations éthiques co-écrites par des humains et des robots. Dans le sillage de l'\gls{intelligence artificielle générale} (AGI), les entités, y compris les œuvres d'art ou les robots, peuvent devenir des objets de préoccupation morale, une fois qu'elles ont acquis une expérience en lien avec la conscience\cite{mosakas2021moral}. Des recherches concernant l’éthique des machines mettent en parallèle le cas des animaux artistes\cite{trentesaux2020ethique}. L'exemple de l'éléphant Yumeka\footnote{https://www.chinadaily.com.cn/a/201806/06/WS5b173a52a31001b82571e6a0.html} soulève des questions quant à la paternité et l'appartenance de ces nouvelles compétences artistiques. Nous pouvons l'extrapoler à des robots dotés d'une \gls{intelligence artificielle générative}. Influencés par\cite{penny2013art}, nous considérons l'inspiration comme un processus incarné et dynamique qui peut être étendu aux artefacts. Lors du développement de l'intelligence artificielle centrée sur l'humain et d'autres types d'intelligence hybride, il existe ``un besoin urgent d'enrichir ces applications avec les connaissances sur la créativité obtenues au cours des dernières décennies dans les sciences psychologiques”\cite{rafner2023creativity}. Tout au long de ce projet de thèse, je cherche à comprendre comment les robots danseraient s’ils étaient conscients et comment nous travaillerions ensemble dans une improvisation \textit{close-contact} ou en contact étroit. Mes interrogations se formulent par rapport à la notion d'\gls{intersubjectivité} vue comme une forme de transfert entre robots capables de \gls{conscience artificielle} (AC)\footnote{comme déjà précisé dans le 2éme chapitre, le terme de conscience artificielle que nous appliquons n'est qu'une supposition de ce qu'il pourrait signifier dans un contexte de danse avec les robots et comment cela pourrait influencer un processus de co-création. Pour illustrer, nous faisons un parallèle entre les robots et les animaux sauvages. Un robot ressemble peut-être à un ours en raison de sa force et de son poids, ainsi que du fait qu'il passe beaucoup de temps en état d'hibernation ou d'inactivité. Autrefois, dans les pays d'Europe de l'Est, les ours étaient utilisés pour divertir la foule, avec des dresseurs qui leur enseignaient des acrobaties rudimentaires et des danses afin d'imiter les humains. De plus, un ours qui peint n'exprime pas sa sensibilité à travers son acte, mais un observateur percevrait le résultat comme créatif et réagirait avec sensibilité à son sujet.} et les danseurs. Cette dynamique peut entrainer des processus de co-création, où l'intention de la machine est tout autant importante que celle de l'humain. Ainsi, nous considérons la notion d'\gls{exaptation}\cite{la2020understanding} comme un contrepoids de l'inspiration, comprise ici comme l'émergence d'une fonctionnalité latente dans des artefacts. Ce mécanisme de nouveauté et d'innovation reprends nos hypothèses de recherche-création en début de ce manuscrit. Il est résumé auprès des spectateurs de la manière suivante : \begin{itemize} \item Existe-t-il un état \textit{sauvage} pour les robots, en amont de leur état de programmation orienté tâches (c'est à dire task programming) ? Sont-ils capables de développer une forme de \textit{CA} sur scène, au sein d'une interaction dansée ? \item Qu'est-ce qu'un \textit{corps performatif} pour un robot et comment pouvons-nous générer des mouvements instinctifs et fluides ? L’interaction de la danse avec les robots génère-t-elle des états créatifs ? \item Comment le matériel de danse déclenche un type de cognition incarnée comme la conscience kinesthésique\cite{gemeinboeck2016roman, candau2017cultivating, circu2023roman} et dans quelle mesure cela est transférable aux robots ? \end{itemize} Puis repris comme indication dramaturgique et comme contrainte d'improvisation pour la danseuse et le robot. Ce processus de retranscription des questionnements théoriques en thèmes et motifs de danse est abstrait. Autre que le ressenti intime de la performeuse puis l'expression que cela a produit lors de sa danse, le robot n'a pas su répondre autrement qu'en exécutant à son tour l'algorithme qui mettait en action ses actuateurs et moteurs. Ces trois questions sont restées ouvertes à la fin de la représentation. Elles ont servi comme propos pour une interrogation collective, dont les observations théoriques sont présentées dans ces pages. \subsection{Les robots et leurs métaphores} Lors de ses propres expérimentations, Simon Penny souligne l'importance du langage pour définir les nouveautés technologiques. Des termes comme \textit{conscience} existent dans notre langage depuis moins de cents ans, ses implications doivent être appliqués à des contextes spécifiques. Paralellement, pour le chercheur Tom Ziemke, la conscience ``naît de la maîtrise des connaissances sensorimotrices résultant de l'interaction entre l'agent et l'environnement, dans l'optique que la régulation homéostatique du corps vivant est cruciale pour le soi et la conscience\cite{ziemke2007embodied}”. Le schéma présentée ci-dessous représente mon cadre théorique, synthétisant la relation entre un agent (représenté par son environnement sensoriel ou \textit{umwelt}) et son monde ou environnement expérientiel, suivant l'autorégulation interne (\gls{autopoiesis}) spécifique aux processus cognitifs incarnés: \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.5\linewidth]{schema_umwelt.png} \caption{Relation between an agent and its environment, based on the notes of\cite{penny2013art}. Source: personal archive} \end{figure} Il décrit également le lien entre la matière et l'environnement, revisité dans la perspective du \gls{matérialisme féministe} que nous avons déjà mentionné. Sous une forme simplifiée, cela met en avant les principes d'un matérialisme influencé par l’expérience cognitive. Cette nouvelle vision du matérialisme est revisitée par des penseuses féministes comme Karen Barad \cite{barad2003posthumanist}, Rosi Braidotti\cite{braidotti2017four}, Donna Haraway\cite{haraway2016staying} et Sarah Truman\cite{truman2015primacy, truman2021feminist}, entre autres. Selon ces autrices tous les êtres (vivants ou non-vivants) sont en égale mesure concernés par l'Art, la Science et leurs potentialités pour mieux façonner notre avenir. Le concept de \textit{Zoe} de Braidotti soutient l'idée de \textit{matérialisme vital}, issu de la philosophie de Baruch Spinoza selon laquelle le monde est constitué d'une seule et même matière, intelligente et auto-organisée. Cette matière est la base d'un processus continu de transformation pour créer et dissoudre des formes. Donna Haraway avance le concept de Chthulucene\footnote{une époque dans laquelle l’humain et le non-humain sont inextricablement liés, différente de l'Anthropocène, le Plantationocène ou le Capitalocène qui sont définies selon elle, par des concepts comme rythme ou vitesse, synchronicité et complexité; à la place de ces changements de degré, le Chthulucene vise des changements de nature, comprenant des forces biotiques et abiotiques}\cite{haraway2015anthropocene}, pour défendre un compostage féministe inclusif, basé sur la \gls{sympoiesis} (entendu comme \textit{création avec}). Ce processus restructure le fonctionnement auto-producteur, homéostatique et prévisible de l'autopoiesis affirmant une fois de plus les potentialités de la diversité et de l'inclusion : \begin{quote} ``Les créatures sont en jeu les unes dans les autres à chaque mélange et retournement d'un tas de compost terrien. Nous sommes en réalité du compost, pas des posthumains; nous habitons les humusités, pas les humanités. Philosophiquement et matériellement parlant, je suis compostiste, pas posthumaniste. Les créatures, humaines ou non, se transforment les uns avec les autres, se composent et se décomposent, dans toutes les échelles et registres du temps, par un enchevêtrement sympoïétique, dans une perspective développementaliste écologique du monde et en dehors de celui-ci\footnote{en anglais: ``Critters are at stake in each other in every mixing and turning of the terran compost pile. We are compost, not posthuman; we inhabit the humusities, not the humanities. Philosophically and materially, I am a compostist, not a posthumanist. Critters – human and not – become- with each other, compose and decompose each other, in every scale and register of time and stuff in sympoietic tangling, in ecological evolutionary developmental earthly worlding and unworlding.”}.”\cite{haraway2016staying} \end{quote} \textit{TIWIDWH} est avant tout une mise en abyme d'un processus de recherche-création, revisitée dans la perspective du documentaire \textit{Grizzly Man} (2005) de Werner Herzog. Le réalisme excentrique de Herzog\cite{herzog2009conquest} est une source d'inspiration pour mon processus de travail, au même titre que les œuvres chorégraphiques d'Anna Halprin ou d'Anne Teresa de Keersmaeker. Faire une analogie entre la figure d'un robot de celle d'un l’ours sauvage, est un détour pour clarifier le statut du robot au sein de notre processus de co-création artistique. Si dans l'Introduction de ce travail, j'ai rapproché les robots de la catégorie des danseurs piéton\cite{ginot2014penser} d'Isabelle Ginot, l'utilisation de la nature sauvage comme catalyseur dans l’improvisation dansée, nous permets d’élargir le débat, en abordant des sujets controversés comme la \gls{conscience artificielle} dans une perspective anthropologique. Une des citations de Herzog qui m'a beaucoup accompagnée ces mois, parle de la nécessité d'articuler les rêves: \begin{quote} ``Ce ne sont pas seulement mes rêves, je crois que tous ces rêves sont aussi les vôtres. La seule différence entre moi et vous est que je peux les articuler. La poésie, la peinture, la littérature ou le cinéma se résument à cela… et c’est un devoir car cela pourrait être une chronique intérieure de ce que nous sommes. Nous devons articuler notre pensée, au défaut de nous transformer dans des vaches au pâturage\footnote{en anglai: ``It is not only my dreams, my belief is that all these dreams are yours as well. The only distinction between me and you is that I can articulate them. And that is what poetry or painting or literature or filmmaking is all about... and it is my duty because this might be the inner chronicle of what we are. We have to articulate ourselves, otherwise we would be cows in the field.”}.”\cite{herzog2009conquest} \end{quote} Les vaches qui broutent ou les ours qui dansent sont mentionnés ici comme contre-exemples parodiques. Réduire les animaux à des substituts qui manquent de volonté ou de conscience, est plus révélateur de notre ignorance et désir de domination, que de leurs capacités psychiques. Quant aux robots, comme pour les observations de la première partie de cette thèse concernant les chauves souris, les singes et leur \text{umwelt}, nous espérons qu'un jour nous arriverons à mieux clarifier nos intentions envers eux. La conscience écologique et la pensée eco-féministe dont je me suis inspirée pour ce projet, représentent des alternatives pour un avenir plus inclusif. Ainsi l’idée d'imaginer une conscience pour des robots qui dansent devient un sorte de défi ludique, néanmoins auto-ironique, pour mon propre condition d'artiste. Loin d'un parc en Alaska, loin d'un studio de montage, nous nous retrouvons entre artistes et roboticiens dans une studio de danse ouvert au public. Le jour de la conférence des curieux, des collègues du LIRMM puis des danseurs, se demandent quelle place va prendre cet humanoïde suspendu à son cadre de sécurité. \subsection{Quelle type de créature est un robot qui danse?} Pour répondre à cette question, nous déconstruisons la figure du robot et la considérons sous un angle anthropologique, en la comparant à un animal sauvage. Bien qu’inanimés, les robots simulent l’autonomie, l’action et les émotions. Les faire danser implique d'atteindre un terrain d'entente, où la pratique de la danse humaine est également déconstruite ou dés-identifiée\cite{braidotti2017four}, comme l'explique Rosi Braidotti. Notre résidence en laboratoire est progressivement devenue une expérience immersive, permettant à notre équipe artistique de s'adapter à une autre culture – celle des robots et des roboticiens – dans le contexte de la création artistique. Pour ce faire, nous nous appuyons sur le concept de \textit{figuration}\cite{suchman2007human, suchman2021talk} de Lucy Suchman, pensé en lien avec l’interactivité. Ce concept, tiré des notes de Haraway\cite{haraway2018modest}, souligne l'importance des métaphores dans l'analyse de la dynamique des humains et des machines. En contrepartie des auteurs féministes que nous avons mentionnés, l'ouvrage de Suchman \textit{Human-Machine Reconfigurations} (2007) ajoute une perspective anthropologique aux frontières entre humain et non-humain. Pour elle, le problème non résolu des machines informatiques vient du fait de ne pas pouvoir considérer des étiquettes comme ``humain”, ``non-humain”, ``social” ou ``matériel”, en tant que réalités ontologiques : \begin{quote} ``L’idée d’un artefact auto-explicatif s’accorde bien avec l’idée selon laquelle l’utilisation d’une machine pourrait s’apparenter à une interaction. La machine interactive, en ce sens, représente la dernière solution au problème de longue date consistant à fournir à l'utilisateur d'un outil, des instructions sur son utilisation. Cependant, il existe également un sentiment d’\textit{interactivité} des machines, plus récent et uniquement lié à l’avènement de l’informatique. La nouvelle idée est que l’intelligibilité des artefacts pourrait être non seulement une question de disponibilité pour l’utilisateur des intentions du concepteur concernant l’utilisation de l’artefact, mais aussi des intentions de l’artefact lui-même. Le projet du concepteur en ce sens est d’imprégner la machine de motifs lui permettant de se comporter de manière responsable et rationnelle ; c’est-à-dire raisonnable ou intelligible pour les autres, y compris, dans le cas d’une interaction, des moyens qui répondent aux actions des autres\footnote{ en anglais: ``The idea of a self-explicating artifact accords well with the notion that using a machine could be like interaction. The interactive machine, in this sense, represents the latest solution to the longstanding problem of providing the user of a tool with instruction in its use. There is also, however, a sense of machine interactivity that is more recent, and is uniquely tied to the advent of computing. The new idea is that the intelligibility of artifacts could be not just a matter of the availability to the user of the designer’s intentions for the artifact’s use, but of the intentions of the artifact itself. The designer’s project in this sense is to imbue the machine with grounds for behaving in ways that are accountably rational; that is, reasonable or intelligible to others including, in the case of interaction, ways that are responsive to the others’ actions.”}.”\cite{suchman2007human} \end{quote} Pour la création de cette performance, je me suis inspirée des passages du film \textit{Grizzly Man} (2005) de Werner Herzog, dont quelques éléments se rapprochent de \textit{Fitzcarraldo}. Le documentaire a été réalisé à partir des prises de vue des ours grizzly, filmés par Timothy Treadwell lors de ses expéditions dans le Katmai National Park en Alaska. Début d'octobre 2003 ce dernier et sa copine sont retrouvés morts, attaqués par un ours après avoir campé délibérément dans une zone de passage, qu'ils jugeait dangereuse. En s’appuyant sur le matériel de Treadwell et les témoignages de ses proches, Herzog peint sa personnalité et les raisons complexes qui l'ont poussé à se mettre en danger pour mieux comprendre les ours grizzly. Il propose une analyse très fine entre ce qu'il y a la compréhension d'une espèce, par une autre, puis l'échec de cet exploit trop ambitieux. Si l’héros du film passe son temps à vouloir \textit{devenir ours}, nous ne savons pas comment voient cela les ours mêmes. Treadwell les anthropomorphise au point oú nous le voyons s'approcher pour leur adresser la parole avec une voix mielleuse. Certains gardes forestières jugent son comportement dangereux, tandis que Herzog laisse les spectateurs faire la part entre irresponsabilité ou naïveté. Cette démarche mi-chemin entre éthologie et désir d’émancipation puis l’incompréhension qui en résulte sont quelque part proches de mon expérience de deux ans parmi des robots et des roboticiens. J'ai voulu mieux les comprendre, puis débattre sur l'art avec eux. Cela a plus ou moins marché. Auparavant j'ai mentionné\cite{kozel2008closer} qui reliait danse, marionnettes et ours. Je trouve son analogie intéressante pour être appliquée également aux robots. Un robot peut-être similaire à un ours par sa force et son poids, aussi par le fait qu'il passe beaucoup de temps en état de hibernation ou d'inactivité. Jadis dans les pays d'Europe d'Est, les ours étaient utilisés pour entretenir la foule, avec des dresseurs qui les enseignait des acrobaties rudimentaires où ils imitaient les humains. Plus un numéro de foire était réussi, plus l'ours était aimé et admiré par les humains. Si nous tenons en compte les observations sur \textit{la valée de l'étrange} de Mori, nous allons à l'encontre de cette tendance pour les robots. Plus un robot est proche d'un humain, plus qu'il provoque un sentiment de malaise. Est-ce cela du aux complexes d'infériorité que les humains développent envers les robots? Par leur nature, les robots paraissent immortels, or cette immortalité n'a rien à voir avec les projections sur la vie après la mort des humains. Un robot n'a pas de vie, bien qu'il la simule. Un ours est vivant et cette condition finie est partagée avec l'humain. L'admiration pour un être dont nous partageons la condition, réside probablement dans ce sentiment de rapprochement. Si dans les captations vidéo les robots sont mis en avant avec beaucoup de grâce (car le montage post-production est toujours possible), l’épreuve du réel est sans pitié. Je pense à Treadwell lorsque les ours sauvages faisaient apparition dans son cadre. Il avait une chance sur deux qu'un d'entre eux, va lui endommager la camera, pour le moins qu'il reste en vie lors de cet exploit. Deux semaines auparavant un des actuateurs du robot a pris feu. L’ingénieur de recherche du laboratoire l'a ouvert pour voir s'il peut-être réparé. Pour mon grand bonheur, j'ai pu voir en dessous de sa carcasses, ses câbles electriques et micro-contrôleurs. Cette expérience de proximité, à mon sens poétique et intime, s'est passé sans spectateurs, autre que ma camera qui filmait ce que j'imaginais être une opération à cœur ouvert sur une machine. Je dis bien \textit{cœur ouvert} car si un de moteurs du robot se casse et une fausse manipulation endommage un de ses circuits centraux, le robot reste inactif le temps que le moteur en question est trouvé. Pour les plateformes de recherche, plus un robot est \textit{vieux}, plus les chances de trouver les pièces pour le réparer sont petites. Il n'y a pas d’équivalent pour faire la différence entre un robot en attente de réparation, un robot en arrêt de fonctionnement et un robot dont les technologies sont devenues obsolètes. Le pari de mes expériences artistiques est quelque part simple ou même naïf. Autant qu'ils ne connaissent pas les limites d'une machine, les humains projettent leurs ambitions dessous. Prenons l'exemple du joueur d'échec de Wolfgang von Kempelen mentionné dans le chapitre 1.3.3 de la première partie. Sans savoir la vérité, les spectateurs l'ont considéré une prouesse technologique. Avec l’avènement de l'informatique, dans l’équation humain-animal-artefact, le cadre d'autre fois est transgressé. Pour quelqu’un avec peu de connaissances en informatique, même en voyant les algorithmes à la base de son programme, le résultat reste opaque. La machine parait omnipotente car elle dépasse les capacités humaines de compréhension. Pour l'informaticien qui les développe, il y a un part de curiosité quant à la potentialité des algorithmes. Cependant il a peu de regard critique quant aux conséquences éthiques de cette course contre le montre concernant les limites de la science. Il va toujours relativiser son processus et trouver des argumentes pour se dé-responsabiliser de l'impacte que cela aura sur la société. \subsection{L'exaptation comme conséquence méthodologique} Quel que soit le caractère autotélique d'une performance artistique avec des robots, mon objectif est de comprendre comment les connaissances acquises grâce à la pratique artistique, ``peuvent être liées à d'autres formes de connaissances considérées par le public comme plus ou moins faisant autorité ou dignes de confiance”\cite{gunn2004learning}. Pour cela, une première étape consiste à créer une méthodologie in situ et sur mesure, inspirée des travaux de\cite{paquin2014methodologie}, \cite{citton2012theory} et \cite{truman2015primacy}. Le terme de \textit{glanage} (en anglais to glean\footnote{à cet égard voir le documentaire \textit{Les Glaneurs et la Glaneuse} (1999) de la cinéaste française Agnès Varda}, principalement utilisé dans un contexte agricole) implique la collecte des données de façon sporadique, en fonction de ce qui est disponible. Cette vision est également appuyé par Yves Citton qui analyse la dimension politique des gestes, lors des expériences esthétiques. Citton utilise le terme français \textit{bricolage} (traduit par do-it-yourself ou crafting en anglais) pour critiquer une idéalisation irréaliste de la science moderne et son besoin des preuves empiriques. A ce procédé du glanage, je rajouterai une pratique ludique utilisée lors de mes résidences artistiques: le set de cartes \textit{Oblique Strategies} de Brian Eno. \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/eno} \caption{Exemple des cartes qui font partie du set \textit{Oblique Strategies} (1975) de Brian Eno.} \label{fig:eno} \end{figure} Eno et son ami artiste Peter Schmidt ont sorti ces cartes en 1975, pour partager leur processus de travail, mais aussi pour aider des autres artistes trouver des solutions lors de blocages liés au travail. L’adoption de ces cartes, s'inscrit dans une tradition où John Cage faisait appel à l’ancien système de divination chinois, le I Ching\footnote{https://johncage.org/pp/John-Cage-Work-Detail.cfm?work\_ID=134}, pour introduire de l'hasard dans sa manière de composer dés 1951. A mon tour, j'ai appliqué plus ou moins les consignes. Ce qui m'a le plus aidé je pense, c'est le moment de mise en place de cette stratégie par la décision de sortir les cartes, comme une sorte de temporalité propre à une mise en abyme de la recherche. Souvent lors de temps morts ou des doutes concernant le rendu artistique de mes explorations, piocher une de ces cartes m'a aidé déconnecter de mes questions en boucle, pour relativiser et avancer autrement que prévu. Un autre repère dans la mise en place de mon processus de composition en danse, à été le cahier d'exercices pratiques \cite{burrows2010choreographer} de Jonathan Burows. L'artiste m'aide à me situer par rapport à une multiplicité de techniques de représentation en danse (physique, d'improvisation, compositionnelle et performative). Il revendique une liberté des formes et techniques en danse contemporaine, à l'opposé d'une forme d'art minoritaire, difficile à comprendre et à communiquer. Pour son duo avec le compositeur Matteo Fargion, intitulé \textit{Both Sitting Duet}\footnote{https://vimeo.com/showcase/6691019/video/361765765}, ils ont reçu le prix New York Dance et Performance Bessie Award en 2004. Les deux performeurs restent assis sur des chaises, en exécutant une série de danses très courtes. Leur intention est de transmettre une traduction directe entre son et image. Pour cela ils reprennent note pour note, la pièce pour violon et piano \textit{For John Cage} (1984) de Morton Feldman. Sa technique intitulé \textit{cut and paste} est largement utilisée dans les processus de composition issues de la \gls{contact improvisation}. Son principe de base est de trouver d'abord les mouvements et décider ensuite de l'ordre dans lequel les mettre. Selon Burrows, cette technique peut vite nous faire oublier que des autres modalités de travail existent. Il cite également l'emprunt ou la référence à des partitions existants comme moyen de générer du contenu original, lorsque cela est fait de manière consciente: \textit{généralement, lorsque vous volez quelque chose consciemment, cela ne ressemble en rien à la chose que vous avez volée. (...) La référence ne fera pas votre travail à votre place, mais si vous l'utilisez pour les bonnes raisons dans le bon contexte, elle pourrait faire le travail que vous souhaitez qu'elle fasse\footnote{ en original: usually when you steal something consciously it looks nothing like the thing you’ve stolen. (...) The reference will not do your work for you, but if you use it for the right reasons in the right context then it might do the work which you want it to do.}}. J'ai traité cette question de l'emprunt en faisant hommage à des artistes que j'admire ou en voulant continuer dans leur lignée de recherche. Ce leitmotiv de la chaise comme objet scénographique, les La pratique de recherche-création fait partie d’un processus spéculatif non linéaire qui se déroule simultanément. Pour illustrer, Sarah Truman décrit la résidence artistique de cinq ans \textit{Walls to the Ball} réalisée en collaboration avec l'artiste Hazel Meyer, pour une classe d'art d'un lycée de Toronto. Le projet interroge le sport, le mouvement, les textiles, le genre rajoutant des thématiques et des activités selon l’évolution du groupe. Rétrospectivement, si je liste les étapes de ma recherche et ses éléments clés, je me rends compte des vas-et-vient des directions que cela a pris. Certaines lignes fortes de mon corpus se sont imposées presque par hasard et une fois déplié, chaque processus de recherche-création a fait émerger des concepts clé qui lui sont propres. Parmi ces concepts, celui d'\gls{exaptation}. Selon\cite{d2018cultural}, ce concept est un mécanisme évolutif important dans l'histoire des espèces, des écosystèmes mais aussi des artefacts. Les auteurs illustrent des traits biologiques développés à l'origine dans un but particulier - par exemple, les os étaient à l'origine des réservoirs de calcium en excès, tandis que certaines zones du cerveau utilisées initialement pour la reconnaissance des formes sont aujourd'hui réutilisées pour la musique. Considérant notre cas particulier des robots qui dansent, \textit{quelle pourrait être la signification de cet acte dans un processus évolutif discontinu ? Quelle caractéristique ultérieure pourrait émerger de cet acte?} Il est important de pouvoir aborder ces questions dans un contexte \textit{pluri} et \textit{trans} disciplinaire. \section{Pour une conscience artificielle dans toutes ses états} Si nous avons évoqué des avancées en lien avec les émotions artificielles, notamment l'empathie, dans le deuxieme chapitre de cette thèse, c'est pour mieux anticiper nos interrogations artistiques lors de cette expérience pratique. Dans la littérature d'anticipation, l'absence de l'empathie est ce qui différencie les gagnants des perdants, comme l'annonce l’écrivain Philippe K. Dick dans son livre \textit{Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?} (1966) : \begin{quote} ``L'empathie, avait-il décidé un jour, devait être limitée aux herbivores ou en tout cas aux omnivores qui pouvaient s'écarter d'un régime carné. Car, en fin de compte, le don empathique a brouillé les frontières entre chasseur et victime, entre vainqueur et vaincu\footnote{en version originale: ``Empathy, he once had decided, must be limited to herbivores or anyhow omnivores who could depart from a meat diet. Because, ultimately, the empathic gift blurred the boundaries between hunter and victim, between the successful and the defeated.}.”\cite{dick2014androids} \end{quote} Dans le scénario post-apocalyptique de K. Dick, l’empathie est une caractéristique entièrement humaine. Sont les robots, par leur nature non-carnivore, plus proche de ce régime qui prône l'empathie, ou le deviendront-ils un jour? \subsection{Les androïdes rêvent-ils de canards électriques ?} Bien avant que les robots facilitent la compréhension que nous avons des animaux sauvages\footnote{https://knowablemagazine.org/content/article/living-world/2021/learning-animal-behavior-robots}, des appareils mécaniques mobiles et autonomes, ont suscité tout autant l’intérêt des humains au cours du siècle des Lumières. Des inventions comme \textit{le canard digérateur}\cite{riskin2003defecating} anticipent la passion pour des dispositifs artificiels à la lisière du vivant. Aujourd'hui l’intelligence artificielle générative (IAg), puis des humanoïdes comme Atlas de Boston Dynamics\footnote{https://www.youtube.com/watch?v=fn3KWM1kuAw} ou Optimus de Tesla\footnote{https://www.teslarati.com/tesla-optimus-bot-update-production-actuators/} rendent de plus en plus crédible l’idée qu'un agent artificiel autonome, créatif et doté d'une forme d'intentionnalité propre, puisse intégrer notre société dans un avenir proche. En complément de l’intelligence, des processus comme la perception et la motricité sensorielle, la capacité de prédire des comportements complexes, sont nécessaires pour garantir une maitrise de son environnement et de ses interactions. Les notes sur le matérialisme et le pragmatisme des sciences de premiers chapitres, sont revisités par une approche féministe. Cette approche corresponds mieux à l'interprétation artistique que nous proposons. Ainsi nous demandons-nous si les androïdes pourront un jour rêver de canards électriques, comme métaphore pour un imaginaire artificiel dotée d'intelligence et intentionnalité. En marge des repères théoriques, nous vous proposons un exercice d'imagination et de spéculation. L’interprétation que nous donnons au concept de \gls{conscience artificielle} (CA) est pensée en lien avec des réflexions éthiques sur l'avènement de la technologie et son impact sur notre société. Par la mise en scène du \textit{TIWIDWH}, nous tentons de comprendre quel type d'observations en lien avec la CA, peut inspirer l'état de co-création avec des agents artificiels réels - dans notre cas un robot HRP-4. Cela contribue au développement de formes d'art interactives transdisciplinaires, autour de la créativité des machines et de la place des erreurs dans un processus de création. Dans ce contexte, vouloir définir ce que c'est une CA pour un robot en situation de danse, reste un pari concernant notre co-habitation avec une nouvelle génération de machines, capables d'apprendre par elle-mêmes. \subsection{La puissance du glitch} Notre objectif est d'interroger la façon dont les robots influencent des nouvelles formes d’expressivité corporelle dans \textit{TIWIDWH}, une performance de danse improvisée. Pour cela nous accordons une grande importance aux accidents et erreurs qui surgissent dans ce type d’interaction, en les utilisant comme catalyseurs pour l'inspiration artistique. Bien avant que des penseuses féministes s'emparent de la question des machines et leur matérialité, les développements technologiques avancent à leur rythme dans une direction proche de la science fiction. Parfois issue des défis personnelles des auteurs hétéro-normées en quête d'une hégémonie du savoir, la science perd son capacité d'auto-critique. Cette capacité est réhabilitée au début des années 80, lorsque des approches pluridisciplinaires donnent suite à des échanges et des mises en question des enjeux. Au cours des dernières décennies, les possibilités d’interaction des robots humanoïdes ont été évaluées sous différents environnements et conditions\cite{circu2023roman}. Faire passer des robots du laboratoire à la scène reste un défi à bien des égards\cite{pluta2018laboratoire, circu2021lausanne}, malgré le fait que nous sommes habitués à les idéaliser comme des \textit{objets sociaux totaux}\cite{zaven2014effets}. Alors qu'ils sont déjà présents sur le marché du travail dans les secteurs privés et publiques, pourquoi pas les inviter sur scène ? Tout comme les humains, les robots peuvent être vulnérables, surtout lorsqu'ils sont utilisés comme des plateformes de recherche académiques, comme dans le cas du robot HRP-4, protagoniste dans \textit{TIWIDWH}. L'apparence physique de HRP-4 est le résultat des observations en design ergonomique. Avec une taille de 151 cm et pesant 39 kg, son apparence est similaire à celle d'un humain. Une fois les contraintes techniques résolues, le faire danser devient un exercice de mise en scène factice. Cependant lorsque nous aimerions voir des mouvements surgir spontanément de ses actuateurs, tels les muscles d'un danseur en improvisation, les choses deviennent plus difficiles, voir impossibles. Quelle analogie pourrons-nous appliquer au présent étude de cas, à la recherche d'une forme de CA pour les robots? Des robots sauvages ou des zombies en transe, pourront mieux témoigner d'un état proche de \gls{qualia}? Le mode expérientiel humain est complexe. Il y a besoin de plus que d'un simple truisme pour comprendre comment modéliser notre compréhension. Parmi les approches pluridisciplinaires récentes, nous nous concentrons sur le nouveau maternalisme et le FEP, en lien avec les pensées féministes et la \textit{Théorie 4E de la cognition} ou (\gls{The 4E Cognition Theory}) mentionnées auparavant. Ces théories étudient les phénomènes cognitifs sous un angle physiologique, suivant les observations empiriques de plusieurs domaines connexes. La robotique s'inspire à son tour d'elles pour développer des robots ancrés dans leur environnent, capables d'interactions multimodales complexes. Cette orientation post-humaniste féministe, nous aide à analyser le lien entre des études sur la conscience, la danse et la robotique, pour mieux comprendre les effets des concepts émergents comme la CA, sur la création artistique. Ainsi, mettre en scène des robots dotées de formes de CA, relève des nouveaux défis. La chercheuse Stamatia Portanova désigne le \textit{glitch} comme élément capable de transgresser les lois physiques et de provoquer une faille anachronique dans des représentations scéniques: \begin{quote} ``l’émergence prend la forme d'un glitch, comme une interruption de la chaîne relationnelle continue entre passé et futur, du moment où les données passées sont valorisées et où des idées particulières sont sélectionnées dans une occasion d'expérience, afin de déterminer quelle sera cette future occasion d’émergence\footnote{en version originale: ``the appearance of the new takes the form of a glitch, an interruption of the continuous relational chain between past and future, the moment when past data are valued and particular ideas are selected in an occasion of experience, in order to determine what the future occasion will be.”}.”\cite{portanova2013moving} \end{quote} Ce motif, repris par la penseuse féministe Legacy Russell dans son manifeste\footnote{https://www.legacyrussell.com/GLITCHFEMINISM}, revendique un besoin d’appropriation des erreurs technologiques, comme alternative aux dérives politiques d'un monde technocrate en manque d'auto-critique. Le \textit{glitch} de Russell\cite{keyes2021review} revendique une violence des corps qui se des-identifient des normes patriarcales. Bien avant son manifeste, des pionnières comme Braidotti, Haraway, Bara ou Truman déjà mentionnées, ont su anticiper un potentiel restaurateur dans la défaillance technologique. Leur nouveau matérialisme est également celui de l'erreur assumée, celui de \textit{faire avec}. \subsection{L'humain comme instrument au service des robots qui dansent} Autrefois les gens étaient plus dans l'action et dans le \textit{faire}, tandis qu'aujourd'hui nous nous habituons à réfléchir et oublions ainsi notre corps. Mon domaine d'exploration se concentre sur la relation entre le corps et l'esprit, avec une définition de la danse assez large. Dans mon travail de composition, je perçois le corps pareil à un instrument de musique en train de dessiner l'espace. Le rendu final provoque dans chaque spectateur une émotion différente, selon son interprétation et son expérience de vie. Dans cette proposition artistique, j'ai décidé de travailler dans une économie des gestes scéniques. J'ai choisi de me concentrer sur une seule partie du corps - les mains et les mettre en valeur grâce aux outils numériques. Les mains nous servent pour interagir et nous coordonner avec d'autres. Des centaines de milliers d’années auparavant, nos ancêtres ont réussi à coordonner les mouvements du pouce pour se servir des premiers outils, écrire et ainsi bâtir des civilisations dont celles d'aujourd'hui. Mon souhait est de comprendre quel est notre rapport aux mains aujourd'hui: sommes-nous encore capables de construire avec, ou au contraire les regardons-nous comme des vestiges, bientôt inutiles? Les rythmes et modalités quotidiennes d'utilisation de mains sont multiples. Entre des gestes précises des métiers comme celle de chirurgien, des gestes intimes qui traduisent nos émotions et des gestes involontaires ou inconscients, j'ai choisi des mélanges subtiles, afin d'interroger l'endroit où un geste \textit{s’esthétise} et est \textit{vu}. L'idée de créer des danses de mains m'est apparue comme une possibilité de s'approprier des repères conventionnels et d'ouvrir un espace d'interprétation inhabituelle pour le spectateur. Mon souhait est de prendre le quotidien comme point de départ et arriver à un point de sublimation du micro-geste, comme tentative de valorisation de ce qui est en marge. Dans ce contexte, le tremblement de mains est signe d’émotions fortes telles la peur ou l'angoisse, comme si ce que le cerveau exprime est traduit par le corps. En échange, les maladies neurodégénératives typent Parkinson modifient notre rapport aux membres supérieurs et à la coordination, et génèrent des tremblements involontaires. Si ces maladies sont apparus à notre époque, c'est peut-être aussi parce que la relation entre le corps et l'esprit s'est modifiée avec l'arrivée du numérique. Dans mon interprétation artistique, par des exercices somatiques comme le Shaking décrit dans le premier chapitre, le tremblement perçu comme perturbation de la fluidité du mouvement - devient un refus du corps de se soumettre à l’esprit. Donner à voir, mettre en scène, un élément propre à notre quotidien à coté d'un robot, nous permet d'interroger l' impact du numérique dans nos vies. Cela représente également l'occasion d'ouvrir un espace de réflexion plus large, autour de notre devenir prochain en tant qu’espèce. Nous mettons l'accent sur des interactions gestuelles et leur signification pour voir comment une possible co-création avec des robots peut avoir lieu. Puisque une simulation semble à l'heure actuelle, la seule possibilité réelle d'une CA pour HRP-4, nous nous sommes demandés comment mieux définir cet état d'émulation d'une conscience. Par quels biais cela doit se produire pour générer une expression crédible d'un \textit{effet de conscience}. Dans \textit{TIWIDWH} le robot et la performeuse sont assis face à face à une table et improvisent une série des mouvementes de bras inspirées par le spectacle \textit{Rosas danst Rosas} (1983) d'Anne Teresa de Keersmaeker. Ce contexte de danse indique un type de cognition qui influe sur des actions, qui est donc incarnée, \gls{embodied cognition}. D'habitude les gestes peuvent être générés par des actions conscientes ou émerger de processus inconscients comme les réflexes. Dans notre exploration artistique, nous avons choisi d’examiner ce dernier cas et questionner les \gls{mouvements spontanés} et les \gls{mouvements réflexes} propre aux pratiques somatiques. Quelques mois auparavant, notre performeuse s'est emparée d'une série des mouvements de bras, dont l’enchainement est devenu réflexe. En le répétant, ces gestes ont été déformés. Cela nous a donné l'opportunité de vérifier dans quelle mesure ils peuvent être recontextualisés et identifiés lorsqu’ils sont programmés pour correspondre à des robots. Ensuite nous avons programmé cet ensemble de mouvements dans une sorte de base données. Cela a permis a HRP-4 de générer deux types de mouvements : \begin{itemize} \item mouvements intentionnels (lever les bras en synchrone, fléchir un coude puis l'autre, tourner la tête, etc.) \item mouvements spontanés ou réflexes, c'est-à-dire non intentionnels (propres à la sphère intime comme un bâillement ou un tremblement) \end{itemize} \textbf{Détailler les variables} \cite{sabisch2011choreographing} considère la danse comme la relation indéterminée entre sensation et imagination. La danse de HRP-4 se résume à un enchainement des variables C++, dont la taille du fichier ne dépasse pas une dizaine de kilo-bytes. Chaque variable prends une valeur pour orienter une articulation. Il y a peu de place pour l'imagination humaine, telle que nous la connaissons. A l’intérieur de son algorithme, HRP-4 peut combiner l’ensemble des mouvements dans un ordre aléatoire et improviser la durée de chaque séquence. La performeuse, prenant acte de cela, doit modifier ses séquences en conséquence. L'improvisation donne suite à un contact physique, initié par le robot. Ce contact (tant attendu) a fait objet des tentatives échouées de mise en situation, tel la fresque \textit{La création d'Adam}\footnote{https://unsouffledhistoires.com/cropped-michel-ange-la-creation-d-adam5-jpg/} par Michel-Ange, perturbée par un glitch. Après quelques essais, le moment de ce contact et implicitement la durée de l’improvisation, restaient inconnus pour la performeuse, le jour de la représentation. Toujours assise sur la chaise, cette fois le visage contre la table et les mains allongés dans la direction du HRP-4, il a fallu que le robot essaie deux fois toucher sa main dans une sorte d’émulation d'une \gls{réponse kinesthésique}, avant qu'elle comprenne que c'est la fin de la séance d'improvisation. Ce mouvement non intentionnel du robot qui s'est pas passé comme prévu, lui a inspiré un sentiment d'étrangeté, sorte de \gls{awareness of awareness} ou \textit{conscience d'une forme de (in)conscience}\cite{jochum2016cultivating}. Pour la performeuse, cet type d’imprévu peut bloquer la fluidité des mouvements ou en tout cas provoquer une perturbation dans le processus d'improvisation, pareil à un glitch dans les jeux vidéo. L'enchainement est similaire à une séquence de mouvements intentionnels, dont des mouvements réflexes s’insèrent de manière spontanée. Bien consciente que les machines ne sont pas capables d’improviser, la performeuse s'imagine que lorsque HRP-4 propose quelque chose d’inattendu, il s'agit probablement d'un bug ou d'un dysfonctionnement\cite{penny2016improvisation}. Le public n'arrive à discriminer entre leurs actions et intentions, pensant que tout fait partie du scenario de base. Cependant, même pour le public (une fois la convention établie) les mouvements réflexes, dans notre cas des tremblements des bras de HRP-4 (sorte de bug pré-programmés), produisent un effet de surprise, parfois comique à cause du bruit occasionnel des actuateurs. Ce qui est intéressant de remarquer, c'est que dans notre cas le bug est partagée entre performeuse et robot. Elle n'a pas remarqué le signal du robot, or celui-ci l'a donné sous dans une manière prévue. Pour l'ethnologue Georges Lapassade il existe une dimension passive de la conscience où le sujet semble subir ce qui lui advient, en contrepoids d'une dimension active d’observation par laquelle le sujet prends acte de ce qu'il traverse\cite{lapassade1986emc}. Dans notre étude de cas, la performeuse expérimente ce premier état, tandis que HRP-4 aurait pu probablement traverser le deuxieme, s'il était doté d'une CA. \section*{Conclusion} L'agriculture, l'écriture et la technologie sont relativement récentes dans l'histoire de l'humanité\cite{brooks1990elephants}. Des notions comme l’\gls{intersubjectivité} et la \gls{conscience} ne sont apparues qu’au cours des dernières décennies. \cite{sabisch2011choreographing} considère la danse comme la relation indéterminée entre sensation et imagination. Issu de formes rituelles, elle canalise les émotions des spectateurs et des interprètes. Il en va de même pour les improvisations de danse contemporaine avec des robots. Quelle que soit sa complexité, la compréhension de la danse opère à un niveau intuitif. Lorsque Brook a écrit son livre, les éléphants n'avaient pas encore appris à jouer aux échecs. Quelques décennies plus tard, plus précisément en 2016, AlphaGo de DeepMind battra Lee Sedol au championnat du monde de Go en Corée du Sud\footnote{https://spectrum.ieee.org/alphago-wins-match-against-top-go-player }. Depuis, les progrès exponentiels d'AGI n'ont cessé de nous surprendre. Concernant la danse, les paris continuent. Devrions-nous imaginer autre chose après avoir vu les robots de Boston Dynamics danser sur la chanson \textit{Do you love me \footnote{https://spectrum.ieee.org/how-boston-dynamics-taught-its-robots-to-dance}} ? Dans chacun des expérimentations pratiques que j'ai évoqué, j'ai pu utiliser la co-création artistique pour mieux comprendre mes questionnements théoriques. Lors du \textit{TIWIDWH} un robot qui a perdu sont statut de robot, est devenu un ours lors d'un exercice fictif de projection. Nous avons pris le temps de lui demander nous raconter ses rêves, par des gestes. Une performeuse s'est mise à sa disposition, tel un instrument de musique, pour l'aider à exécuter des mouvements improvisées. Leur \textit{danse}, apparait comme une sorte d'intersection entre deux \gls{umwelt}s, conditionnée par des contraintes techniques et des signaux d'interaction. Lorsque l'humain arrive à s'inspirer des accidents ou des imprécisions, cela confirme la capacité de résilience de notre espèce. Il n'est pas sur que dans le cas d'un robot comme Atlas (sujet à des exigences de performance dans un marché fort compétitif) ce droit à l'erreur sera maintenu une fois le choix présenté. D'ailleurs sa version HD à été retirée du marché après 11 ans impressionnantes démonstrations de force te prouesse\footnote{https://www.bbc.com/news/articles/ck7ly07gmx4o}: \begin{figure} \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/humanoid24} \caption{Liste des robots humanoides, avril 2024.} \label{fig:humanoid24} \end{figure} Après notre petit exercice de fiction, il nous semble évident que la beauté des imperfections, cette forme hybride de \textit{glitch}, c'est aussi ce qu'anime notre intérêt pour les robots. A l'opposé, leur caractère identique lors des fabrications en série s'annonce comme une contrainte vis-à-vis des caractéristiques impermanentes et précieuses du vivant. Comme l'explique le neurologue Stanislas Dehaene, la puissance de calcul du cerveau humain avec son réseau de 16 milliards de neurones corticaux, dépasse notre imagination actuelle. Pour des entrées sensorielles strictement identiques, le cerveau humain ne réagit pas de la même façon\cite{dehaene2014odile}, influencé par les émotions et les souvenirs de chaque individu. A l’intérieur de chaque boite crânienne, la vie cachée de représentations subjectives, fluctue sans cesse d'une manière partiellement autonome. En écho à ses penses, le philosophe de sciences Michel Bibtol nous demande si nous sommes prêts à mourir à l'instant où la science nous garantit la \gls{Singularité}, ou par ses mots lorsque ``notre structure cognitive et nos habitus comportementaux ont été intégralement téléchargés dans un robot”\cite{bitbol2018cp}. N'ayant pas de réponse à sa question, nous savons que vivre c'est précieux, car c'est unique. Dans l'acte artistique, l'humain accomplit ce qu'il y a d'ordre d’irrationnel, il cherche aveuglement émouvoir et s’émouvoir. Avoir un robot comme partenaire pour un tel exploit, n'a pas fini de nous interpeller. Accepter les états de conscience que ce robot pourra vivre dans sa spécificité, c'est arrêter une vision anthropocentrique du monde et prendre sa place parmi les autre organismes vivants et non-vivants qui la constituent. Dans la suite du monde imaginé par K. Dick, le robots capables de CA occuperont une catégorie à part parmi les carnivores et herbivores qui existent déjà. Cela sera contre-intuitif d'imaginer des machines carnivores et herbivores. Si l'empathie est le dernier rempart pour l'acceptation de l'autre, comment ferions-nous pour être surs que les machines en ont aussi besoin? \clearpage \chapter*{Conclusion de la partie II} \addcontentsline{toc}{chapter}{Conclusion} Les conclusions de cette deuxieme partie des expérimentations pratiques, nous renvoient à la nécessite d'une méthodologie propre aux projets pluridisciplinaires en \gls{art robotique}. Pour le chercheur Louis-Claude Paquin, que nous avons déjà évoqué, ``la problématique de la recherche-création se construit par raffinement successif, dans un aller-retour entre le désir consigné dans l’énoncé de projet produit précédemment à partir d’une amorce et le résultat de recherches”\cite{paquin2014methodologie}. En ce que concerne cette thèse et son exercice de création par la recherche, je peux dire avec le recul que nos problématiques fonctionnent dans un cadre théorique, mais ont des difficultés lors de leur mise en œuvre. De plus cette mise en œuvre implique une grande capacité adaptation, tout comme un réajustement continuel des moyens et des temporalités. Des autres chercheurs avant nous comme Sarah Truman, décrivent comment leur recherche est guidée par certains principes et théories au détriment des autres, et comment ceux-ci influencent la manière dont la base théorique se concrétise au fil du temps: \begin{quote} ``Par ‘méthodologie’ j’entends la logique, l’éthique, les théories et la perspective qui guident mon approche de la recherche et influencent les méthodes que je peux utiliser. Cela explique les théories qui sous-tendent ma compréhension du fonctionnement de la recherche-création. \footnote{en version originale: ``By ‘methodology’ I mean the logic, ethics, theories, and angle of approach that guide how I approach research and inform the various methods that I might use. This is me talking through the theories that inform how I think research-creation operates.”}.” \cite{truman2021feminist} \end{quote} Lorsque j'ai parlé du \textit{glanage}, de l'\gls{exaptation} et du \textit{slow science} dans les chapitres précédents, j'ai fait appel à des formes de validation par de l'identification et de l'appartenance à des écoles de pensée déjà confirmés. Ces expérimentateurs, proche des prestidigitateurs à la manière de Brian Eno, qui fabriquent de la science sans objet comme Aurélien Bory, m'ont rassuré pendant mes moments de doute. Ma base théorique reste en permanente mise à jour, ou \textit{work in progress} et contient un mélange des références scientifiques en robotique, sciences cognitives, tout comme des notes sur la danse et les pratiques somatiques, évoqués dans la première partie de cette thèse. La partie robotique s'attache aux principes de robotique cognitive développementale, tout en s'inspirant des exemples de la \gls{robotique culturelle} et sociale. Les chercheurs que je cite font appel à des avancées théoriques comme celles de la théorie 4E de la cognition - \gls{The 4E Cognition Theory}, ou celles du principe de l'énergie libre - \gls{Free Energy Principle} (FEP), pour m'aider questionner des hypothèses de recherche en lien avec la \gls{conscience artificielle} et la créativité. Dans le cadre théorique inspiré par les neurosciences et l'intelligence artificielle, décrit dans le deuxieme chapitre de la première partie de cette thèse, le FEP propose une explication unifiée de divers aspects des systèmes biologiques. Selon cette théorie, le cerveau humain s’efforce de minimiser une quantité d'énergie disponible pour calculer l'écart entre les états internes et l'environnement externe. Cela permets de vérifier si le modèle interne du cerveau correspond aux entrées sensorielles réelles qu'il reçoit de l'environnement, son objectif étant de minimiser cette énergie libre en mettant à jour son modèle interne afin de mieux prédire les entrées sensorielles. De façon concrète, ce processus de minimisation de l’énergie est réalisé par la perception, l’action et l’apprentissage. Comme ces processus sont également propres à des actes de création artistique, nous élargissons la projection en évoquant l'\gls{exaptation} comme possible conséquence méthodologique d'une danse propre aux robots. L'adaptation opportuniste à des contextes comme la danse (qui à la base n'est pas une activité spécifique aux robots), nous permet d’élargir notre projection initiale, en nous imaginant des formes de \gls{conscience artificielle}. Dans ce nouveau cadre, proche du \gls{posthumanisme}, nourri par des observations propres au \gls{matérialisme féministe}, les robots sont à leur tour considérés comme des espèces à part entière, en co-évolution avec des humains à la recherche d'une nouvelle manière de danser. Si cette projection tient plus du spectre de la robotique culturelle, que de la robotique cognitive développementale, elle reste néanmoins une pure spéculation artistique, nourrie par les concepts et théories qui m'ont accompagné ces quatre derniers années et aussi par mon intention créative. La créativité est un phénomène complexe, qui se manifeste sous diverses formes et contextes. Comme pour la \gls{conscience}, il n’existe pas de définition unique, englobant tous les aspects multiformes de la créativité. Celle-ci est souvent décrite comme une capacité d'innovation, mais en danse elle relève aussi d'une capacité d'adaptation, d'agence et d'improvisation. Dans les processus collaboratifs, cette créativité est autotélique. Pour amener plus loin cette idée, des artistes comme Michel Paysant\footnote{https://www.michelpaysant.fr} évoquent une sorte d'utilité \textit{des-appliquée} de l'art. Au fil des mois d' expérimentations, nous nous sommes interrogés à notre tour sur la fonction de l'art robotique. Dans son livre \textit{Feminist speculations and the practice of research-creation: Writing pedagogies and intertextual affects} (2021) la chercheuse Sarah Truman entreprend une pensée spéculative basée sur la théorie des affects. Elle questionne la notion de \gls{représentation} (en anglais \textit{representationalism}) comme résultat d'une recherche quantitative dans les arts, en proposant des laboratoires de recherche-création en échange. Selon Truman ce que distingue la recherche-création de toute pratique artistique, est le fait d'incorporer directement une composante théorique dans le projet artistique, et d'employer le cadre académique comme structure de référence pour l'acte artistique. Ainsi \textit{la théorie fait partie intégrante du processus, elle informe les méthodes et la pensée pendant et après le projet\footnote{Theory primes the projects: it informs the methods and thinking during the projects and after the project is over.\cite{truman2021feminist}}}. En outre, Truman relie la recherche-création à une forme de spéculation située, en anglais \textit{situated speculation}. Ce concept est propre au \gls{matérialisme féministe}, imprégné par la philosophie des systèmes, l’écologie, les sciences humaines et les études queer parmi autres. Une spéculation située cherche à défier l'humanisme traditionnel, dans une approche post-humaniste. Dans notre contexte, cela a impliqué imaginer des autres formes de danse, et aussi un autre statut, différent de celui d'outil, pour les robots impliqués dans nos processus de co-création. Différentes techniques en danse et dans les pratiques somatiques fournissent aujourd'hui des informations sur la manière dont le mouvement affecte la structure du corps, et l'inverse. Deux ou plusieurs corps s'équilibrent selon la règle d'un contact continu, transférant le poids et composant des mouvements de manière spontanée. Comme nous avons vu plus haut, suite à ses recherches au sein de \textit{Judson Dance Theater} et ultérieurement \textit{Grand Union}, Paxton pose les bases du \gls{contact improvisation}. Cette approche, devenue entre temps discipline, analyse les effets d'un changement d'orientation spatio-kinesthésique du corps, lors des contacts tactiles. Suivant des contraintes de temps, le performeur se concentre sur les limites de son espace corporel par rapport à l'espace extérieur. Cela permet au mouvement d'apparaitre en coordination avec les autres corps qui l'entourent. Généralement ce type de mouvement est soutenu et spontané, décorrélé d'un rendu final, représentable. Comme la plupart des pratiques de \gls{danse postmoderne}s, la \gls{contact improvisation} s’intéresse d'avantage à une transformation de l'expérience esthétique lors des processus de recherche du mouvement. Elle promut ainsi un spectre des possibilités qui définissent le mouvement, et des multiples manières pour l’exécuter. Le motif de la chaise a traversé divers moments dans l'historie de la danse. Autre que Burrows que j'ai cité plus haut, dans une de ses œuvres de jeunesse intitulé \textit{Smile}, Steve Paxton utilise une chaise pour deux performeurs qui sourient devant le public, cherchant à trouver leur place. Cela élargit le cercle d'Anna Theresa de Kaersmaeker, Anna Halprin ou Ohad Naharin parmi autres, qui ont crée toute une partition pour une danse assise, avec d'autres moyens et intentions que les miennes. Mettre un robot sur une chaise, peut paraître quelque-part anachronique car si nous considérons le statut d'objet outil de la chaise, nous cherchons à déconstruire ce statut pour le robot. Cependant, travailler avec la contrainte est un autre outil important pour tout processus méthodologique et c'est aussi ce qui nous a permis de nous rentre compte à quel point l'humain assis à son tour sur une chaise, peut devenir un outil au service du robot, à son tour. En d'autre mots, la chaise permet d’égaliser ces deux présences et leur status dans un contexte de \gls{représentation}. En tant que danseuse et chercheuse, j'ai proposé un cadre pour adresser des questions relatives aux nouvelles technologies: des HRI sur mesure qui se focalisent sur l’expérience d'incorporation, ou d'\gls{embodiment}, en danse et leurs représentations contingentes. Mes questions théoriques, encrées dans des expérimentations pratiques visant des compétences sensori-motrices multimodales, ont du être revisités plusieurs fois. Certaines pages de ces chapitres ont traité des paradigmes actuelles dans la cognition et la conscience, des espaces de projection hybrides, des environnements ou des agents capables de traverser différentes écologies du corps. Dans ce contexte marqué par la robotique et les neurosciences, il a été important de comprendre de quels moyens nous disposons pour développer un langage chorégraphique innovant. Couramment, les chercheurs nous encouragent à porter notre attention sur la meilleure manière de comprendre et nourrir la co-créativité avec des machines. Il ne faut pas oublier cependant, que lorsque la \gls{robotique culturelle} s’intéresse à des processus créatifs, elle s'approche de quelque chose d'immuable, propre à l’espèce humaine. Des sous-domaines adjacents émergent, ouvrant à des possibilités passionnantes pour l’avenir. Ces possibilités remettent en question notre compréhension de l'état créatif, notamment par l’avènement de l'art génératif du GAI et des robots comme Ai-Da. Si la robotique peut améliorer la créativité humaine en automatisant les tâches répétitives, les humains doivent améliorer le cadre de cette collaboration. Les artistes et les ingénieurs travaillent aux côtés des robots pour repousser les limites de l’expression créative, grâce à de nouveaux médiums et techniques qui créent des expériences dynamiques et immersives en temps réel. Leurs considérations éthiques et philosophiques, ainsi que les échanges avec d'autres professionnels, amènent une réflexion plus profonde sur notre avenir ensemble. En attendant, les perspectives post-humanistes nous permettent de recontextualiser le corps, dans une optique d’échange et d'\gls{intersubjectivité}s: \begin{quote} ``Je comprends le corps comme un point de convergence de forces interreliées qui ont des durées et des taux de changement différents, et qui émergent constamment en relation avec d'autres corps, héritages, situations sociales et affects géopolitiques plus larges. Les corps ne sont jamais statiques (même une fois matérialisés), mais sont plutôt ontogénétiques. Cela a des répercussions sur les méthodes de recherche-création et l'apprentissage en milieu scolaire, car cela nous amène à considérer les corps (et les espaces dans lesquels ils se déplacent) comme étant toujours en excès d'eux-mêmes et pleins de potentiel virtuel, tout en reconnaissant comment la race, le genre, la sexualité et la capacité sont également constamment co-produits et affirmés dans ces échanges relationnels\footnote{en version originale: ``I understand the body as a nexus of related forces that have different durations and rates of change that are constantly emerging and in relation to/with other bodies, inheritances, social situations, and larger geopolitical affects. Bodies are never static (even once they materialize), but rather are ontogenetic. This has ramifications for research-creation methods and school-based learning as it leads us to consider bodies (and the spaces they move in relation to) as always in excess of themselves and full of virtual potential, while still recognizing how race, gender, sexuality, and ability are also constantly co-produced and asserted in these relational exchanges.”}.” \cite{truman2021feminist} \end{quote} Dans un monde où les définitions et les théories se renouvellent et se recontextualisent constamment, l'art peut paraître un medium qui peine à suivre le rythme. Son fonction indirecte est celle d'un archivage de ces changements. Les quelques retours d'experience, nous encouragent à continuer notre spéculation sur des éventuelles mutations concernant l'\gls{intelligence du corps} tout comme l'\gls{intelligence du mouvement}. Cela nous permettra de réfléchir à la place que les représentations artistiques avec des robots peuvent avoir dedans et aux nouvelles modalités de création qu'elles impliquent.