diff --git a/bibliography.bib b/bibliography.bib index c74f520..d7b8487 100644 --- a/bibliography.bib +++ b/bibliography.bib @@ -1,3 +1,43 @@ +@article{hu2022similar, + title={Similar brains blend emotion in similar ways: Neural representations of individual difference in emotion profiles}, + author={Hu, Xin and Wang, Fei and Zhang, Dan}, + journal={Neuroimage}, + volume={247}, + pages={118819}, + year={2022}, + publisher={Elsevier} +} + +@incollection{ziemke1999rethinking, + title={Rethinking grounding}, + author={Ziemke, Tom}, + booktitle={Understanding Representation in the Cognitive Sciences: Does Representation Need Reality?}, + pages={177--190}, + publisher={Springer} +} + +@misc{chatila2022pourquoi, + title={Pourquoi la reconnaissance faciale, posturale et comportementale soul{\`e}ve-t-elle des questionnements {\'e}thiques?}, + author={Chatila, Raja and Tessier, Catherine}, + year={2022} +} + +@book{feldenkrais1987lessons, + title={25 lessons from Eshkol-Wachman Movement Notation}, + author={Feldenkrais, Moshe}, + year={1987}, + publisher={Feldenkreis Ressources} +} + +@article{drewes2016movengine, + title={Movengine—developing a movement language for 3d visualization and composition of dance}, + author={Drewes, Henner}, + journal={Dance Notations and Robot Motion}, + pages={91-116}, + year={2016}, + publisher={Springer} +} + @mastersthesis{karolczak2011dance, title={Dance in the light of neuroscience: sharing the experience of Deborah Hay's performance: her work and reflections}, author={Karolczak, Gabriela}, @@ -175,10 +215,11 @@ author={Delaherche, Emilie and Chetouani, Mohamed and Mahdhaoui, Ammar and Saint-Georges, Catherine and Viaux, Sylvie and Cohen, David}, journal={IEEE Transactions on Affective Computing}, volume={3}, - number={3}, pages={349-365}, year={2012} } + + @article{kim2014ijhcs, title={How social distance shapes human--robot interaction}, author={Kim, Yunkyung and Mutlu, Bilge}, @@ -2194,15 +2235,6 @@ publisher={MIT press} publisher={Springer} } -@article{delaherche2012tac, - title={Interpersonal synchrony: A survey of evaluation methods across disciplines}, - author={Delaherche, Emilie and Chetouani, Mohamed and Mahdhaoui, Ammar and Saint-Georges, Catherine and Viaux, Sylvie and Cohen, David}, - journal={Transactions on Affective Computing}, - volume={3}, - pages={349-365}, - year={2012}, - publisher={IEEE} -} @ARTICLE{min2016tcd, author={Min, Huaqing and Yi, Chang’an and Luo, Ronghua and Zhu, Jinhui and Bi, Sheng}, @@ -2939,27 +2971,7 @@ publisher={MIT press} publisher={} } -@article{Andrieu, - title={}, - author={}, - journal={}, - volume={}, - number={}, - pages={}, - year={}, - publisher={} -} -@article{Bercelli, - title={}, - author={}, - journal={}, - volume={}, - number={}, - pages={}, - year={}, - publisher={} -} @incollection{cvejic2015disjunctive, title={Disjunctive Captures of the Body and Movement}, diff --git a/sections/glossaire.tex b/sections/glossaire.tex index 29703e8..11bd93a 100644 --- a/sections/glossaire.tex +++ b/sections/glossaire.tex @@ -21,7 +21,7 @@ \newglossaryentry{grounding}{ name={\textit{grounding}}, - description={Le terme \textit{grounding}, The term grounding is derived from the word “Ground: The solid surface on the earth” (Oxford Dictionaries, 2014). Planet earth supports us and all humans, animals and plants alike depend on that support. Like a tree that has planted its roots deeply, all organisms, an especially plants try to grow and extend toward the sun in any way possible (Lowen, 2006). Gravity is always present throughout our lifetime.}, + description={ harprin and ziemke Le terme \textit{grounding}, The term grounding is derived from the word “Ground: The solid surface on the earth” (Oxford Dictionaries, 2014). Planet earth supports us and all humans, animals and plants alike depend on that support. Like a tree that has planted its roots deeply, all organisms, an especially plants try to grow and extend toward the sun in any way possible (Lowen, 2006). Gravity is always present throughout our lifetime.}, enablef={true}, } \newglossaryentry{danse postmoderne}{ @@ -233,7 +233,11 @@ enablef={true}, description={Le terme \textit{task-space}, conscience des machines ou conscience synthétique - (en anglais : artificial consciousness)- est un domaine de recherche visant à comprendre, modéliser et tester la potentielle conscience liée aux intelligences artificielles.}, enablef={true}, } - +\newglossaryentry{espace opérationnel}{ + name={\textit{espace opérationnel}}, + description={Le terme \textit{espace opérationnel}, conscience des machines ou conscience synthétique - (en anglais : artificial consciousness)- est un domaine de recherche visant à comprendre, modéliser et tester la potentielle conscience liée aux intelligences artificielles.}, + enablef={true}, +} \newglossaryentry{readiness potential}{ name={\textit{the readiness potential}}, description={Le terme \textit{the readiness potential}, conscience des machines ou conscience synthétique - (en anglais : artificial consciousness)- est un domaine de recherche visant à comprendre, modéliser et tester la potentielle conscience liée aux intelligences artificielles.}, diff --git a/sections/partie_1.tex b/sections/partie_1.tex index 2279451..dcd9972 100644 --- a/sections/partie_1.tex +++ b/sections/partie_1.tex @@ -30,14 +30,14 @@ Le troisième chapitre \textit{Robots sur scène} présente différentes manièr Je commence ce chapitre par une contextualisation des pratiques somatiques, en retraçant de loin leur histoire en lien avec la danse. Mon analyse commence au début du 20é siècle, avec des précurseurs de ce que nous connaissons aujourd'hui comme de l'\gls{éducation somatique} et de l'\gls{intelligence sensorielle}. La plupart des termes que j'emploie sont définis dans le glossaire à la fin du manuscrit. Cependant je précise dés le début de notre enquête, le contexte par lequel je désigne l'intelligence sensorielle et les pratiques somatiques comme notions clés de ce travail en recherche-création. D'abord l'intelligence sensorielle représente notre capacité d'agir au travers non sens. Elle est notre faculté de sentir, de comprendre et d’organiser les informations sensorielles provenant de notre corps et de notre environnement. Ensuite les pratiques somatique regroupent plusieurs approches corporelles dont l'objectif est la réappropriation de son corps en mouvement afin de mieux comprendre son propre mode de fonctionnement et créer de nouvelles possibilités d’expression. Ces approches sont d'abord expérientielles, basées sur une expérience subjective de chacun, en contrepoids des connaissances empiriques observées chez les autres. -Dans son livre \textit{The Thinking Body}(1937) l'américaine Mabel Todd (1907-1977) met les bases d’une pédagogie corporelle qui intègre des principes de la physique, de la mécanique et de l’anatomie humaine. En prenant appui sur les travaux scientifiques de son époque, Todd souligne l'importance de l'équilibre des forces du mouvement pour privilégier une économie de l'effort. Elle note également le fonctionnement autonome du corps humain, en faisant référence à la proprioception et au équilibre postural, aux émotions et à une forme de ``conscience kinesthesique” (qu'elle décrit en relation avec les muscles que la rétine engage pour approximer des distances). En réfléchissant à la structure anatomique humaine, à la disposition des os, des nerfs et des muscles, elle cherche à déterminer un lien entre la forme et la fonction comme ´´loi d'un développement organique”. Son approche est révolutionnaire pour son époque, puisqu'elle relie des principes mécaniques et biologiques avec les lois de la physique. Intuitivement elle désigne la forme comme résultat de la fonction, par exemple en expliquant la structure du squelette en lien avec les forces de la gravité. Sa méthodologie est fondée sur des procédures de visualisation des images mentales, en amont de toute exécution du mouvement. Son objectif est d’intervenir sur les mécanismes inconscients qui régissent la motricité, en travaillant sur la représentation la plus précise du mouvement pendant que celui-ci soit accompli: +Dans son livre \textit{The Thinking Body}(1937) l'américaine Mabel Todd (1907-1977) met les bases d’une pédagogie corporelle qui intègre des principes de la physique, de la mécanique et de l’anatomie humaine. En prenant appui sur les travaux scientifiques de son époque, Todd souligne l'importance de l'équilibre des forces du mouvement pour privilégier une économie de l'effort. Elle note également le fonctionnement autonome du corps humain, en faisant référence à la proprioception et au équilibre postural, aux émotions et à une forme de ``conscience kinesthesique” (qu'elle décrit en relation avec les muscles que la rétine engage pour approximer des distances). En réfléchissant à la structure anatomique humaine, à la disposition des os, des nerfs et des muscles, elle cherche à déterminer un lien entre la forme et la fonction comme ´´loi d'un développement organique”. Son approche est révolutionnaire pour son époque, puisqu'elle relie des principes mécaniques et biologiques avec les lois de la physique. Intuitivement elle désigne la forme comme résultat de la fonction, par exemple en expliquant la structure du squelette en lien avec les forces de la gravité. Sa méthodologie est fondée sur des procédures de visualisation des images mentales, en amont de toute exécution du mouvement. Son objectif est d’intervenir sur les mécanismes inconscients qui régissent la motricité, en travaillant sur la représentation la plus précise du mouvement pendant que celui-ci soit accompli: \begin{quote} ``L’imagination libère de la puissance. Lorsqu’on apprend consciemment à se servir d’images motivantes pour conditionner les réactions motrices adéquates, il faut connaître précisément trois choses : où cela se passe, dans quelle direction et selon quel désir. Quand les conditions sont réunies, le mouvement peut avoir lieu. ``Ça bouge”, alors, exactement comme ``il neige”, ``il pleut” ou ``il grêle”. Les muscles obéissant instantanément à la pensée, l’action adaptée survient.” \cite{todd2012corps} \end{quote} Toujours sur les muscles, en lien avec ses observations sur la forme, elle identifie le mouvement comme sensation globale analogue à la fonction des muscles. Pour expliquer la compréhension qu’elle a de cette partie du corps, elle note l'inexistence d'une expérience phénoménale de nos muscles.En général, nous sommes conscients d'une sensation globale de mouvement, sans comprendre individuellement comment chaque muscle active une partie de notre squelette. Le sens de la perception, que je vais traiter dans les prochaines pages, viendra compléter cette appréhension que nous avons de notre propre corps et sa motricité. Cependant son fonctionnement est autonome, indépendamment de notre concentration et attention sur une partie du corps. -A l’époque où Todd écrivait son livre, les médecins pensaient que les muscles étaient commandés instantanément par la pensée. Les dernières découvertes en neurosciences\cite{art} confirment que la plupart des opérations impliquées dans le contrôle des mouvements corporelles, comme la plupart des stimuli qui initient un mouvement réflexe en particulier, sont de nature inconsciente. D’où vient alors cette pensée et comment des sens comme la proprioception sont en charge, autant des sensations de nos organes, que des fonctions régulatrices en lien avec les muscles. Par exemple, lorsque nous nous penchons en avant, nous faisons presque instantanément un mouvement en arrière afin de préserver notre équilibre. +A l’époque où Todd écrivait son livre, les médecins pensaient que les muscles étaient commandés instantanément par la pensée. Les dernières découvertes en neurosciences\cite{art} confirment que la plupart des opérations impliquées dans le contrôle des mouvements corporelles, comme la plupart des stimuli qui initient un mouvement réflexe en particulier, sont de nature inconsciente. D’où vient alors cette pensée et comment des sens comme la proprioception sont en charge, autant des sensations de nos organes, que des fonctions régulatrices en lien avec les muscles. Par exemple, lorsque nous nous penchons en avant, nous faisons presque instantanément un mouvement en arrière afin de préserver notre équilibre. Comment comprendre cette vitesse avec laquelle opère notre corps pendant qu’il utilise des mouvements anticipateurs? Tout cela sans que notre pensée le détermine. Que dire alors des processus d’apprentissage comme celui de la conduite auto ou d’un nouveau type de danse? Je rejoins Todd pour qui une nouvelle capacité motrice devient automatique une fois apprise et exécutée un nombre suffisamment des fois. C'est intéressant de réfléchir à pourquoi cela n'est pas (encore) le cas pour des robots. @@ -54,16 +54,16 @@ Toujours pour Bertoz, les modèles internes de la réalité physique ne sont pas Plus cette connaissance du corps humain s’élargit grâce à des disciplines comme les neurosciences, plus c’est compliqué d’adapter ces principes à des nouvelles technologies. Par exemple en robotique le problème de degrés de liberté (ie le nombre d’articulations dont un corps organique dispose) reste un défi pour les ingénieurs en mécatronique. Pour Berthoz, les centaines de degrés de liberté qui caractérisent l’organisation anatomique et dynamique du squelette de la plupart des animaux et de l’homme, rend possible le contrôle du mouvement grâce aux mécaniques d’organisation géométriques du squelette. Ces mécanismes se sont développés au cours de l’évolution, adaptant constamment le nombre de degrés de liberté que le cerveau doit contrôler. Comme le chercheur le souligne, les roboticiens rencontrent des vrais défis mécaniques lors qu'ils tentent de réaliser des machines de la complexité d'un moindre insecte. Bien qu'il y a eu des progrès dans les algorithmes utilisés ces derniers années\cite{bouyarmane2018quadratic}, la capacité de calcul des ordinateurs est vite saturée\cite{berthoz1997sens}, une fois que le nombre de dégrées de liberté augmente. Bertoz va plus loin quant à la complexité des systèmes vivants et à l’intégration de ces principes dans des systèmes technologiques, en faisant référence au terme de \textit{synérgie}, du grec ``syn (ensemble)” et ``ergos” (travail) pour définir la manière dont le système nerveux s'organise pour exécuter des \gls{mouvements naturels}: \begin{quote} -`` le système nerveux ne peuvent contrôler toutes les degrés de liberté, l’évolution a sélectionné un répertoire de mouvements simples ou complexes, que nous pouvons appeler ``mouvements naturels”, et qui impliquent des groupes de muscles et de membres travaillant (ergos) ensemble (syn). Nous avons d’ailleurs mentionné plus haut les contraintes qu’exerce le squelette sur le nombre de mouvements possibles à chaque articulation. Ce répertoire n’est d’ailleurs pas très large. Il suffit de contempler une danseuse pour constater l’extraordinaire pauvreté du répertoire moteur dont elle dispose.” +``le système nerveux ne peuvent contrôler toutes les degrés de liberté, l’évolution a sélectionné un répertoire de mouvements simples ou complexes, que nous pouvons appeler ``mouvements naturels”, et qui impliquent des groupes de muscles et de membres travaillant (ergos) ensemble (syn). Nous avons d’ailleurs mentionné plus haut les contraintes qu’exerce le squelette sur le nombre de mouvements possibles à chaque articulation. Ce répertoire n’est d’ailleurs pas très large. Il suffit de contempler une danseuse pour constater l’extraordinaire pauvreté du répertoire moteur dont elle dispose.” \end{quote} -Pour le chercheur français, la richesse d'une danse réside dans les quelques éléments du répertoire et les permutations entre le temps, l'espace et les différents partenaires face à ces éléments. Il me semble pertinent d’appliquer ce processus de synergie à des exercices de recherche-création, dans ma façon de travailler une chorographie. En limitant les mouvements naturels par exemple, je peux mieux me concentrer sur les variations qu'il peut avoir entre ceux-ci est les autres éléments scéniques. D'ailleurs ces mouvements naturels ont leur propre définition, dans notre contexte. Par mouvements naturels j’entends des mouvements qui procurent une sensation d’accomplissement artistique, des gestes à caractère esthétisant- donnés s voir. En contrepoids, j'utilise le terme \gls{mouvements spontanés} pour définir des gestes réflexes ou des mouvements à caractère spontanée qui surgissent lors des improvisations et des exercices somatiques. Cela m'aide à mieux comprendre les défis de langage et des pratiques entre les différentes disciplines que j'adresse. +Pour le chercheur français, la richesse d'une danse réside dans les quelques éléments du répertoire et les permutations entre le temps, l'espace et les différents partenaires face à ces éléments. Il me semble pertinent d’appliquer ce processus de synergie à des exercices de recherche-création, dans ma façon de travailler une chorographie. En limitant les mouvements naturels par exemple, je peux mieux me concentrer sur les variations qu'il peut avoir entre ceux-ci est les autres éléments scéniques. D'ailleurs ces mouvements naturels ont leur propre définition, dans notre contexte. Par mouvements naturels j’entends des mouvements qui procurent une sensation d’accomplissement artistique, des gestes à caractère esthétisant- donnés s voir. En contrepoids, j'utilise le terme \gls{mouvements spontanés} pour définir des gestes réflexes ou des mouvements à caractère spontanée qui surgissent lors des improvisations et des exercices somatiques. Cela m'aide à mieux comprendre les défis de langage et des pratiques entre les différentes disciplines que j'adresse. Les critiques et philosophes spécialistes en danse ont longuement analysé l’émergence du geste dansé, selon le contexte socio-culturel et l’époque dont il se réclame. Pour ce qu’il y a de la danse contemporaine, la pratique de l’improvisation, vue comme geste libre et libérée du dogmatisme de la technique du danseur, a suscité une révolution longuement attendue. Comme le remarque Anne Boissiére dans son livre ``Approche philosophique du geste dansé”\cite{boissiere2020approche}, ce geste semble s’inventer par lui-même dans l'intention de se produire sans objectif immédiat ou point de départ. Un geste qui n’a pas besoin des explications pour s'auto-suffire: \begin{quote} La question de l’improvisation apparaît centrale pour penser le geste dansé, dans la mesure où celui-ci, dans sa liberté, semble ne plus devoir emprunter à un quelconque modèle mais procéder de soi, dans une impulsion et un dynamisme internes affranchis de tout point d’appui, de toute extériorité. L’improvisation n’est plus une variation sur des schémas préexistants, elle a une valeur constituante. Elle tisse une forme en acte à laquelle rien ne préexiste, une forme s’inventant à partir d’elle-même, dans une sorte de point zéro ou de commencement absolu qui lui donne son évidence et sa pureté. \end{quote} -Cette question d'improvisation, proche d'une démarche expérimentale du mouvement est aussi ce qui a permis l'émergence d'une sous-discipline au croisement entre esthétique, perception, physiologie et mécanique corporelle. Selon Jeremy Damian\cite{Damian}, les pratiques somatiques sont nées en 1976, lorsque Thomas Hanna (1928 – 1990) fonde la revue \textit{Somatics Magazine -Journal of the Bodily Arts and Sciences} dont le thématique s’oriente autour des études sur le corps expérientiel et ses expériences personnels -(ie. the study of the body through the personnel experiential perspective). Pour lui, les recherches sur le corps sont souvent limités à un débat entre une interprétation d’inspiration phénoménologique et une interprétation tirée de la sémiotique ou dans les autres mots \textit{le corps comme expérience versus le corps comme signe}. +Cette question d'improvisation, proche d'une démarche expérimentale du mouvement est aussi ce qui a permis l'émergence d'une sous-discipline au croisement entre esthétique, perception, physiologie et mécanique corporelle. Selon Jeremy Damian\cite{Damian}, les pratiques somatiques sont nées en 1976, lorsque Thomas Hanna (1928 – 1990) fonde la revue \textit{Somatics Magazine -Journal of the Bodily Arts and Sciences} dont le thématique s’oriente autour des études sur le corps expérientiel et ses expériences personnels -(ie. the study of the body through the personnel experiential perspective). Pour lui, les recherches sur le corps sont souvent limités à un débat entre une interprétation d’inspiration phénoménologique et une interprétation tirée de la sémiotique ou dans les autres mots \textit{le corps comme expérience versus le corps comme signe}. Pour mieux appuyer cela, l'anthropologue Thomas J. Csordas établit une synthèse de ces deux approches. Il focalise son attention sur ce qu’il nomme les``modes somatiques d’attention” (\textit{somatic modes of attention}), définis comme des``manières culturellement élaborées d’être présent à et avec son corps (\textit{ways of attending to and with one’s body)}. Csordas souligne également l'importance des environnements qui incluent la présence``incorporée” des autres. L'originalité de son approche provient de l'attention qu'il porte à des retours sensoriels impliquant à la fois une personne, un corps et son environnement. Cela produit un ``milieu intersubjectif”, médiée par une perspective somatique qui ouvre une autre ``image et idée du corps que celle que renvoie le miroir.” Nous remarquons toujours cette idée d'image de corps, cette fois dans un contexte social et anthropologique. A son tour, la chercheuse en danse Violetta Salvatierra évoque dans sa thèse\cite{salvatierra2020atelier}, le contexte d’apparition de l’éducation somatique en France: @@ -89,7 +89,7 @@ Depuis 2013, lors des stages et des ateliers de danse partout en Europe, j’ai \begin{quote} `` Avoir un corps, signifie apprendre à être affecté, c’est-à-dire ‘effectué’, déplacé, mis en mouvement par d’autres entités, humaines ou non-humaines. Si vous ne vous engagez pas dans cet apprentissage, vous risquez de devenir insensible, stupide, vous tombez mort. Doté d’une telle définition ‘pathologique’du corps, personne n’est obligé de définir une essence, une substance (ce qu’est le corps par nature), mais plutôt, à mon sens, de le considérer comme une interface qui devient de plus en plus descriptible, lorsqu'elle apprend à être affecté par de plus en plus d'éléments(...)En se concentrant sur le corps, on est immédiatement – ou plutôt médiatement – dirigé vers ce dont le corps a pris conscience -\footnote{en version originelle: +\footnote{en version originale: ``To have a body is to learn to be affected, meaning ‘effectuated’, moved, put into motion by other entities, humans or non-humans. If you are not engaged in this learning you become insensitive, dumb, you drop dead. Equipped with such a ‘patho-logical’ definition of the body, one is not obliged to define an essence, a substance (what the body is by nature), but rather, I will argue, an interface that becomes more and more describable as it learns to be affected by more and more elements(...)By focusing on the body, one is immediately – or rather, mediately – directed to what the body has become aware of.}.”\cite{latour2004talk} @@ -97,7 +97,7 @@ the body has become aware of.}.”\cite{latour2004talk} Ainsi pour Latour il n'existe pas de hiérarchie entre corps et esprit. Plutôt chaque corps opère une trajectoire dynamique par laquelle il apprend à connaitre et à interagir avec les autres éléments ou la matière dont est faite le monde. Plus précisément, pour le philosophe français, cela n’a aucun sens de définir le corps directement, mais plutôt de le rendre sensible aux autres éléments qui constituent le monde. -Pour revenir au terme de somatique et faire la distinction entre ses différentes approches, je fais également appel aux observations d’Isabelle Ginot. Dans l'ouvrage collectif ``Penser les somatiques avec Feldenkrais” elle montre comment sont réunis sous le terme générique de \textit{somatiques}, une panoplie de pratiques dont les principes sont communs. Elle définit \textit{le sujet} par un ensemble de pensées, affects et émotions en lien avec le corps en lien avec ``un instrumentarium savant de techniques gestuelles, manuelles et tactiles”\cite{ginot2014penser}, dont l'attention se porte sur la proprioception. Ginot note comment ces techniques puisent à leur tour dans des croyances et des savoirs divers selon leur époque, pour inventer ``des imaginaires du corps et des gestes bien différents les uns des autres”\cite{ginot2014penser}. Plus loin dans ce livre, la chercheuse propose une classification selon les critères de l’analyste du mouvement Hubert Godard. Ses observations font la distinction entre les expériences collectives et les expériences individuelles. Lors d'une expérience collective le praticien propose des explorations sans illustrer le mouvement, afin que chacun puisse explorer sa propre sensibilité esthétique et contraintes physiologiques. Lors des séances individuelles, le praticien propose une exploration à partir du toucher, parfois guidant par la parole une prise de conscience du sujet. Celui-ci observe les effets du relâchement des blocages musculaires sur ses gestes, les variations de son propre poids selon les changements de posture. Il découvre grâce à des représentations internes, des parties auparavant méconnues de lui-même, appelés par Godard ``des zones organiques profondes”: +Pour revenir au terme de somatique et faire la distinction entre ses différentes approches, je fais également appel aux observations d’Isabelle Ginot. Dans l'ouvrage collectif ``Penser les somatiques avec Feldenkrais” elle montre comment sont réunis sous le terme générique de \textit{somatiques}, une panoplie de pratiques dont les principes sont communs. Elle définit \textit{le sujet} par un ensemble de pensées, affects et émotions en lien avec le corps en lien avec ``un instrumentarium savant de techniques gestuelles, manuelles et tactiles”\cite{ginot2014penser}, dont l'attention se porte sur la proprioception. Ginot note comment ces techniques puisent à leur tour dans des croyances et des savoirs divers selon leur époque, pour inventer ``des imaginaires du corps et des gestes bien différents les uns des autres”\cite{ginot2014penser}. Plus loin dans ce livre, la chercheuse propose une classification selon les critères de l’analyste du mouvement Hubert Godard. Ses observations font la distinction entre les expériences collectives et les expériences individuelles. Lors d'une expérience collective le praticien propose des explorations sans illustrer le mouvement, afin que chacun puisse explorer sa propre sensibilité esthétique et contraintes physiologiques. Lors des séances individuelles, le praticien propose une exploration à partir du toucher, parfois guidant par la parole une prise de conscience du sujet. Celui-ci observe les effets du relâchement des blocages musculaires sur ses gestes, les variations de son propre poids selon les changements de posture. Il découvre grâce à des représentations internes, des parties auparavant méconnues de lui-même, appelés par Godard ``des zones organiques profondes”: \begin{quote} ``Certaines travaillent à partir d’une cartographie des tissus et de leurs caractéristiques biologiques — fascias, muscles, peau, os, viscères — et pensent le changement du geste et de la posture primordialement à partir des changements conduits dans ces tissus ; d’autres, telle la méthode Feldenkrais qui nous intéressera ici, s’appuient avant tout sur la construction des coordinations, soit la façon dont chacun de nous a appris (et peut réapprendre) à composer ses gestes dans l’espace et le temps jusqu’à ce que ce répertoire de nouvelles habitudes gestuelles compose la texture même de sa vie, et garde la plasticité nécessaire pour des changements ultérieurs. D’autres encore privilégient le travail sur la perception… Elles se pratiquent en séances collectives ou individuelles, passent très souvent par un travail sur le toucher (un des nombreux tabous concernant le corps en Occident), se définissent soit comme ``éducatives” soit comme ``thérapeutiques”, ou encore les deux à la fois.” \cite{ginot2014penser} \end{quote} @@ -107,19 +107,20 @@ Lorsque j’ai les pratiques somatiques en 2013, cette idée de vocabulaire et d ``L’intelligence du mouvement habite le corps tout entier, pas seulement le cerveau. Le cerveau est informé et informe et l’intelligence du mouvement dialogue avec la pensée. Nous avons appris à considérer notre corps comme une machine, à faire en sorte de le contrôler le plus efficacement possible, à le gérer comme un lieu d’entrée sortie, à l’espérer plus silencieux qu’expressif, pour finalement somatiser lorsque notre corps exprime l’inexprimé.”\cite{jay2014pratiques} \end{quote} -Concernant mes propres expériences kinesthésiques et le travail de ``prise de conscience” de mon corps, j'ai remarqué que cela est plus facilement traduisible en mots, lors des moments de lâcher prise en improvisation. Les outils que j’ai retenus lors des sessions d'apprentissage que je vais détailler plus bas, servent principalement à affiner ma concentration et la facilité de mouvement. La plupart des méthodes que j’ai pu expérimenter, visent l'utilisation d’une quantité d'effort appropriée pour une activité particulière, libérant les tensions du corps pour avoir plus d'énergie à utiliser ailleurs. Bien que la communauté des pratiquants puisse parler des effets thérapeutiques de ces pratiques, j'aimerais clarifier cet aspect. +Concernant mes propres expériences kinesthésiques et le travail de ``prise de conscience” de mon corps, j'ai remarqué que cela est plus facilement traduisible en mots, lors des moments de lâcher prise en improvisation. Les outils que j’ai retenus lors des sessions d'apprentissage que je vais détailler plus bas, servent principalement à affiner ma concentration et la facilité de mouvement. La plupart des méthodes que j’ai pu expérimenter, visent l'utilisation d’une quantité d'effort appropriée pour une activité particulière, libérant les tensions du corps pour avoir plus d'énergie à utiliser ailleurs. Bien que la communauté des pratiquants puisse parler des effets thérapeutiques de ces pratiques, j'aimerais clarifier cet aspect. Pour moi et probablement pour des autres danseurs, il ne s'agit pas des traitements proprement parler, mais plutôt d'une volonté de rééducation du corps en libérant des tensions, des blocages émotionnelles et la pensée. \subsection{B.M.C}\label{sec:elements-basiques} En me rapprochant des ces pratiques, j'ai découvert entre outre la méthode Body Mind Centering ou BMC lors de sessions d'entraînement physique au théâtre du Soleil. En 2014, j'ai été en stage à la Cartoucherie de Vincennes en tant qu’assistante décor pour le spectacle MacBeth. Avec d'autres stagiaires, nous nous réunissons le matin pour pratiquer des exercices d’éveil corporel. Parmi les participants, quelqu'un a mentionné cette pratique, puis a proposé un exercice et cela m'a bien intrigué. Mon cheminement a été ensuite plutôt autodidacte, en m'appuyant sur des matériaux et témoignages. Lors des cours de danse à Micadanses puis à la Ménagerie de Verre à Paris, j'ai souvent rencontré des danseurs plus ou moins familiers avec cette technique. Leur qualité de mouvement était souvent impressionnante. Plus tard j'ai eu l'occasion d'approfondir et mieux me renseigner sur ces observations intuitives. -Le Body-Mind Centering a été créée à la fin des années 70 par Bonnie Bainbridge Cohen, danseuse, ergothérapeute et ancienne choréologue en \gls{notation Laban}. Son approche se focalise sur la perception individuelle, lors des études expérientielles de l'anatomie et de la physiologie du corps. Elle utilise des systèmes pour définir plusieurs niveaux d'exploration sensorielle. Cela donne suite à un mélange d'expérience cognitive de compréhension et expérience phénoménologique d'intégration des sensations du corps. Selon Cohen, un des objectifs de cette pratique est d'agrandir les dynamiques psycho-physiques de la perception. Plus important, BMC est une étude expérientielle basée sur des techniques d'incarnation (ie. emboddiment). Cela soulève des questions sur le développement en tant que processus de travail mais aussi comme devenir du corps: +Le Body-Mind Centering a été créée à la fin des années 70 par Bonnie Bainbridge Cohen, danseuse, ergothérapeute et ancienne choréologue en \gls{notation Laban}. Son approche se focalise sur la perception individuelle, lors des études expérientielles de l'anatomie et de la physiologie du corps. Elle utilise des systèmes pour définir plusieurs niveaux d'exploration sensorielle. Cela donne suite à un mélange d'expérience cognitive de compréhension et expérience phénoménologique d'intégration des sensations du corps. Selon Bainbridge Cohen, un des objectifs de cette pratique est d'agrandir les dynamiques psycho-physiques de la perception. Plus important, BMC est une étude expérientielle basée sur des techniques d'incarnation (ie. emboddiment). Cela soulève des questions sur le développement en tant que processus de travail mais aussi comme devenir du corps: \begin{quote} - ``Le devenir du corps (ie. développement) n’est pas un processus linéaire, mais se produit par vagues qui se chevauchent, chaque étape contenant des éléments de toutes les autres. Parce que chaque étape précédente sous-tend et soutient chaque étape successive, toute interruption ou échec à terminer une étape de développement peut entraîner des problèmes d'alignement/de mouvement, des déséquilibres au sein des systèmes corporels et des problèmes de perception, de séquençage, d'organisation, de mémoire, de créativité et communication\footnote{ en version originelle: ``Development is not a linear process but occurs in overlapping waves with each stage containing elements of all the others. Because each previous stage underlies and supports each successive stage, any skipping, interrupting, or failing to complete a stage of development can lead to alignment/ movement problems, imbalances within the body systems, and problems in perception, sequencing, organization, memory, creativity and communication.”}.” + ``Le devenir du corps (ie. développement) n’est pas un processus linéaire, mais se produit par vagues qui se chevauchent, chaque étape contenant des éléments de toutes les autres. Parce que chaque étape précédente sous-tend et soutient chaque étape successive, toute interruption ou échec à terminer une étape de développement peut entraîner des problèmes d'alignement/de mouvement, des déséquilibres au sein des systèmes corporels et des problèmes de perception, de séquençage, d'organisation, de mémoire, de créativité et communication\footnote{en version originale: ``Development is not a linear process but occurs in overlapping waves with each stage containing elements of all the others. Because each previous stage underlies and supports each successive stage, any skipping, interrupting, or failing to complete a stage of development can lead to alignment/ movement problems, imbalances within the body systems, and problems in perception, sequencing, organization, memory, creativity and communication.”}.” \cite{bainbridge1993sensing} \end{quote} -Ainsi le développement du mouvement est étudié à l'échelle de son développement ontogenetique (de l'embryon à l'adulte) et comme évolution progressive des espèces dans le règne animal(Un exemple expliqué par cette pratique est la marche des amphibies- évoluée en marche bipède des mammifères). +Ainsi le développement du mouvement est étudié à l'échelle de son développement ontogenetique (de l'embryon à l'adulte) et comme évolution progressive des espèces dans le règne animal(Un exemple expliqué par cette pratique est la marche des amphibies- évoluée en marche bipède des mammifères). + BMC est aussi une pédagogie du corps orientée vers la recherche d’un équilibre entre le système nerveux sympathique( responsable du contrôle d'un grand nombre d'activités automatiques de l'organisme, tel le rythme cardiaque ou la contraction des muscles lisse) et le système nerveux parasympathique(régule les fonctions corporelles qui ne sont pas sous le contrôle volontaire de l'individu). Ces deux systèmes ont un fonctionnement complémentaire, avec le système nerveux sympathique qui active le corps lors des situations de stress et le système nerveux parasympathique qui le ralentit pour créer des situations de détente. Ainsi cette pratique corporelle est utilisée non seulement dans la danse mais aussi dans de nombreux types de travail corporel en lien avec la gestion du stress comme la psycho-thérapie, le yoga ou la musicothérapie. A travers le mouvement et le toucher, les praticiens explorent des principes anatomiques et physiologiques multiples. Cela favorise une prise de conscience des divers systèmes du corps(cellules, tissus, organes, squelette, le système neuro-endocrinien) pour orienter une action basée sur la perception. Parmi ces systèmes, sont mentionnés: \begin{itemize} @@ -128,35 +129,35 @@ Parmi ces systèmes, sont mentionnés: \item Le système endocrinien est vu comme métaphore de notre intuition et s'exprime dans nos moments forts tandis que le système de muscles exprime notre vitalité et notre puissance. \item Le système nerveux à son tour est un support de la mémoire de nos expériences et perceptions. Lorsque le mental incorpore cette structure, il facilite l'apprentissage de nouvelles expériences basées sur l’intuition et la créativité. \end{itemize} -Pour les praticiens BMC, lorsqu'un système est sur-stimulé ou déséquilibré, il peut devenir source de blessures, de maladies ou de détresse émotionnelle et psychologique. Pour équilibrer cela, l'imaginaire biologique du BMC stimule la prise en conscience du fonctionnement du corps, au travers des sessions guidées. Cependant, comme le décrit l’anthropologue Jeremy Damien dans sa thèse, lors de son expérience BMC en danse amateur avec le collectif \textit{Les Zélées}, les danseurs ont du mal à se représenter et entrer en relation avec certains systèmes. Pour illustrer, le système lymphatique est décrit en lien avec des attributs comme ``la clarté” et ``la finesse”. Cela induit parfois en erreur les danseurs, au point où Damien se demande si cela relève d’une réalité physiologique du corps ou plutôt d’une métaphore à intégrer de façon subjective. C'est important de noter encore une fois les possibles ambiguïtés apparus en lien avec des concepts pluridisciplinaires. La signification du mot ``lymphe” dans le domaine de la médecine n’est pas la même lors d’un atelier de danse. En tant qu’anthropologue, Damien rapproche la pré-supposée dimension thérapeutique de certaines pratiques, semblables à des rituels et formes d’auto-suggestion collectives. Pour ma part, je suis sensible aux observations de Damien. Ces pratiques m'intéressent en tant que outils de recherche-création par leurs effets sur l’imagination des danseurs et leur capacité de produire des mouvements ``nouveaux”. -En guise d'explication, Cohen clarifie sa démarche: +Pour les praticiens BMC, lorsqu'un système est sur-stimulé ou déséquilibré, il peut devenir source de blessures, de maladies ou de détresse émotionnelle et psychologique. Pour équilibrer cela, l'imaginaire biologique du BMC stimule la prise en conscience du fonctionnement du corps, au travers des sessions guidées. Cependant, comme le décrit l’anthropologue Jeremy Damien dans sa thèse, lors de son expérience BMC en danse amateur avec le collectif \textit{Les Zélées}, les danseurs ont du mal à se représenter et entrer en relation avec certains systèmes. Pour illustrer, le système lymphatique est décrit en lien avec des attributs comme ``la clarté” et ``la finesse”. Cela induit parfois en erreur les danseurs, au point où Damien se demande si cela relève d’une réalité physiologique du corps ou plutôt d’une métaphore à intégrer de façon subjective. C'est important de noter encore une fois les possibles ambiguïtés apparus en lien avec des concepts pluridisciplinaires. La signification du mot ``lymphe” dans le domaine de la médecine n’est pas la même lors d’un atelier de danse. En tant qu’anthropologue, Damien rapproche la pré-supposée dimension thérapeutique de certaines pratiques, semblables à des rituels et formes d’auto-suggestion collectives. Pour ma part, je suis sensible aux observations de Damien. Ces pratiques m'intéressent en tant que outils de recherche-création par leurs effets sur l’imagination des danseurs et leur capacité de produire des mouvements ``nouveaux”. +En guise d'explication, Bainbridge Cohen clarifie sa démarche: \begin{quote} -``Lorsque nous parlons de sang, de lymphe ou de toute autre substance physique, nous ne parlons pas seulement de substances, mais aussi d’états de conscience et de processus qui leur sont inhérents. Nous associons nos expériences à ces cartes, mais les cartes ne sont pas l'expérience\footnote{en version originelle: When we are talking about blood or lymph or any physical substances, we are not only talking about substances but about states of consciousness and processes inherent within them. We are relating our experiences to these maps, but the maps are not the experience.”}.” +``Lorsque nous parlons de sang, de lymphe ou de toute autre substance physique, nous ne parlons pas seulement de substances, mais aussi d’états de conscience et de processus qui leur sont inhérents. Nous associons nos expériences à ces cartes, mais les cartes ne sont pas l'expérience\footnote{en version originale: When we are talking about blood or lymph or any physical substances, we are not only talking about substances but about states of consciousness and processes inherent within them. We are relating our experiences to these maps, but the maps are not the experience.”}.” \end{quote} -La chercheuse en danse Carla Bottiglieri porte cette réflexion plus loin, en citant à son tour la philosophe et chorégraphe allemande Petra Sabisch\footnote{http://www.ausland.berlin/artist/petra-sabisch}. Pour celle-ci, le mouvement est une expression de l’indétermination issue de la relation entre sensation et imagination: +La chercheuse en danse Carla Bottiglieri porte cette réflexion plus loin, en citant à son tour la philosophe et chorégraphe allemande Petra Sabisch\footnote{http://www.ausland.berlin/artist/petra-sabisch}. Pour celle-ci, le mouvement est une expression de l’indétermination issue de la relation entre sensation et imagination: \begin{quote} -`` Sans cette inspiration spéculative dans le jeu co-immanent entre le fond kinesthésique et les procédures imaginatives de production de l’image, il n’y aurait pas de spécifications par rapport aux qualités du mouvement. La relation indéterminée entre sensation et imagination devient un rapport singulier : elle produit une différence dans la qualité du mouvement, sans pour autant épuiser la virtualité de leur relation.”\cite{bottiglieri2012soigner} +``Sans cette inspiration spéculative dans le jeu co-immanent entre le fond kinesthésique et les procédures imaginatives de production de l’image, il n’y aurait pas de spécifications par rapport aux qualités du mouvement. La relation indéterminée entre sensation et imagination devient un rapport singulier : elle produit une différence dans la qualité du mouvement, sans pour autant épuiser la virtualité de leur relation.”\cite{bottiglieri2012soigner} \end{quote} -Dans un article\cite{bainbridge1993sensing} qui a donné suite à son livre ``Sensing, feeling and acting” (2012), Cohen explique son intention de faciliter l'accès à ``une connaissance nouvelle en provenance de soi” afin de résoudre la dichotomie corps-esprit. Cela est structuré autour de trois concepts-clé qu’elle appelle l'\gls{alphabet de mouvement}: +Dans un article\cite{bainbridge1993sensing} qui a donné suite à son livre ``Sensing, feeling and acting” (2012), Bainbridge Cohen explique son intention de faciliter l'accès à ``une connaissance nouvelle en provenance de soi” afin de résoudre la dichotomie corps-esprit. Cela est structuré autour de trois concepts-clé qu’elle appelle l'\gls{alphabet de mouvement}: \begin{itemize} \item les réflexes primitifs en lien avec les mouvements spontanés et leur relation avec les mouvements intégrés \item les réactions de redressement par rapport à la gravité -\item les réponses d'équilibration pour garder notre centre de masse en équilibre et rester début. +\item les réponses d'équilibration pour garder notre centre de masse en équilibre et rester début. \end{itemize} Plus tard, un quatrième concept intitulé \gls{Basic Neuro Cellular Patterns} (2018) synthétise ces derniers, en organisant une classification de modèles en lien avec le développement ontogénétique (du stade d'embryon jusqu'à l'age adulte de la même espèce) du mouvement. Il faut également préciser qu’en BMC le terme ``somatique” est pensé en contrepoids de celui de ``psychique”, avec un fort intérêt pour les mouvements réflexes et la façon dont le système nerveux périphérique s'organise lorsque nous apprenons un mouvement. Pour ma part cette définition trouve écho dans celle que j'ai du mouvement spontanée, décrit auparavant. Dans une série d’échanges intitulée \textit{Dialogue\# 1 Reflexes and Expression}, la praticienne réponds à des questions après une exploration en lien avec les mouvements réflexifs: \begin{quote} ``Nancy: Lorsqu’un mouvement devient réflexif, diriez-vous que l’expérience passe du perçu au ressenti ? -Bonnie: Oui, ça passe dans le sang. Je sens que les réflexes ont beaucoup à voir avec le sang, avec les expressions émotionnelles\footnote{en version originelle: ``Nancy: When a movement becomes reflexive, would you say that the experience goes from sensing to feeling? Bonnie: Yes, it gets into the blood. I feel the reflexes have a lot to do with the blood, with emotional expressions.”} +Bonnie: Oui, ça passe dans le sang. Je sens que les réflexes ont beaucoup à voir avec le sang, avec les expressions émotionnelles\footnote{en version originale: ``Nancy: When a movement becomes reflexive, would you say that the experience goes from sensing to feeling? Bonnie: Yes, it gets into the blood. I feel the reflexes have a lot to do with the blood, with emotional expressions.”} .” \cite{bainbridge1993sensing} \end{quote} Selon BMC, la manière de bouger de chaque individu est influencée par la façon dont le mental se manifeste dans le corps lorsqu’il bouge. Lorsqu'il y a un ajustement perpétuel entre action et cognition, il y a également un alignement harmonieux entre différents systèmes. Comme précisé plus haut, les supports d'exploration sont constitués de nos sens mais aussi de notre imagination. -Entrer dans cette dimension imaginaire implique la sollicitation du sens de la proprioception. En BMC cela part de l'hypothèse que chaque tissu de notre corps a sa propre vibration et résonance. La qualité du toucher est résultat de la compréhension expérientielle de ces données. Les praticiens peuvent prendre conscience d'une partie du corps en étudiant des images, des textes ou des livres d'anatomie pour mieux les visualiser. Une des formes d’exploration le plus directes repose sur un mélange entre le toucher et la visualisation des parties du corps pour arriver à un état de somatisation. Cet état corresponds à une prise de conscience directe des sensations et perceptions qui se dégagent de la partie du corps sur laquelle nous nous focalisons. Il est suggéré que, lors de cette étape de somatisation en BMC, un échange d'informations bi-directionnel a lieu entre les cellules du corps et le cerveau. Si le toucher et le mouvement sont parmi les premiers sens que nous expérimentons lors de notre naissance, cela renvoie à des processus de re-mémorisation des sensations plus anciennes de notre corps. +Entrer dans cette dimension imaginaire implique la sollicitation du sens de la proprioception. En BMC cela part de l'hypothèse que chaque tissu de notre corps a sa propre vibration et résonance. La qualité du toucher est résultat de la compréhension expérientielle de ces données. Les praticiens peuvent prendre conscience d'une partie du corps en étudiant des images, des textes ou des livres d'anatomie pour mieux les visualiser. Une des formes d’exploration le plus directes repose sur un mélange entre le toucher et la visualisation des parties du corps pour arriver à un état de somatisation. Cet état corresponds à une prise de conscience directe des sensations et perceptions qui se dégagent de la partie du corps sur laquelle nous nous focalisons. Il est suggéré que, lors de cette étape de somatisation en BMC, un échange d'informations bi-directionnel a lieu entre les cellules du corps et le cerveau. Si le toucher et le mouvement sont parmi les premiers sens que nous expérimentons lors de notre naissance, cela renvoie à des processus de re-mémorisation des sensations plus anciennes de notre corps. Un autre concept employé dans cette méthode est le centrage, décrit par Bottiglieri de la façon suivante: \begin{quote} @@ -168,11 +169,11 @@ La relation entre le toucher du potier et le réglage fin du centre de sa forme \begin{quote} ``S'accorder à notre conscience cellulaire nous amène à un état de base d'où découlent les manifestations complexes de notre être physique, physiologique et spirituel.\footnote{ -en version originelle: ``Attuning ourselves to our cellular consciousness brings us to a state in which we can find the ground from which flows the intricate manifestations of our physical, physiological and spiritual being.”}.” +en version originale: ``Attuning ourselves to our cellular consciousness brings us to a state in which we can find the ground from which flows the intricate manifestations of our physical, physiological and spiritual being.”}.” \cite{hay2000my} \end{quote} -Dans sa pratique, Hay emploie ces concepts pour évoquer un état méditatif qui facilite des états de présence. Je vais aborder la façon dont je m'approprie ces concepts dans ma recherche, dans la partie pratique de cette thèse. Mes observations m'ont aidé rétrospectivement à comprendre comment faire l'expérience de ma propre anatomie et de son fonctionnement psychologique, ont affiné mes intentions en tant que danseuse. A ce jour, je pense avoir utilisé le BMC comme point de départ pour développer une meilleure compréhension des sensations de mon corps et de l'action exprimée par le mouvement et le toucher. Cela m'a permis d'activer une forme de conscience ou d'état de présence spécifique pour chaque partie de mon corps et ainsi faire émerger une danse spontanée, propre à ce vécu. +Dans sa pratique, Hay emploie ces concepts pour évoquer un état méditatif qui facilite des états de présence. Je vais aborder la façon dont je m'approprie ces concepts dans ma recherche, dans la partie pratique de cette thèse. Mes observations m'ont aidé rétrospectivement à comprendre comment faire l'expérience de ma propre anatomie et de son fonctionnement psychologique, ont affiné mes intentions en tant que danseuse. A ce jour, je pense avoir utilisé le BMC comme point de départ pour développer une meilleure compréhension des sensations de mon corps et de l'action exprimée par le mouvement et le toucher. Cela m'a permis d'activer une forme de conscience ou d'état de présence spécifique pour chaque partie de mon corps et ainsi faire émerger une danse spontanée, propre à ce vécu. \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{bmc.png} @@ -181,7 +182,7 @@ Dans sa pratique, Hay emploie ces concepts pour évoquer un état méditatif qui \end{figure} -\subsection{Feldenkreis} +\subsection{Feldenkrais} Cette méthode développé par Moshé Feldenkrais (1904-1984) revisite le mouvement des articulations, laissant à chacun la possibilité d’être plus autonome et confiant lorsqu’il bouge. Ses cours sont connus sous le nom des \textit{cours de prise de conscience par le mouvement}. Pareil aux autres pratiques somatiques, ils permettent de se focaliser sur les sensations internes, pour voir comment exécuter des mouvements plus souples. La méthode développée à partir des années 50, vise à restaurer la capacité de bouger lors des accidents et à reprendre des habitudes de mouvement naturelles, en comprenant la quantité d'efforts nécessaires pour exécuter un mouvement de façon efficace. De cette façon, chaque participant a la possibilité d'être plus autonome et en confiance lors de ses déplacements dans l’espace. Proche de pratiques corporelles comme le Tai Chi, Feldenkrais utilise des mouvements lents pour faciliter la concentration du pratiquant sur la maîtrise de sa force ou de sa flexibilité. @@ -191,7 +192,7 @@ Ce qui m'a interpelée dans cette approche est le lien fait par Feldenkrais êtr \begin{quote} ``la conscience est la perception, conjuguée à la compréhension de son fonctionnement ou de ce qui se passe en nous pendant que nous sommes en état de perception.” \cite{ginot2014penser} \end{quote} -Découvrir sa perspective, confirmait mes intuitions quant à l’expérience du plateau et ce qu'elle révélait de l'introspection d'un artiste. La chercheuse Sylvie Fortin mentionne comment cette pratique valorise les explorations subjectives concentrés sur \textit{le corps-sujet} plutôt que \textit{le corps-objet}. Cela peut se faire par exemple, en invitant une personne ``à déterminer la position optimale pour exécuter un mouvement en s’appuyant sur son ressenti plutôt que sur des standards esthétiques arbitraires”\cite{husquinet2018corps}. Différents exercices basés sur la perception du corps en mouvement ou sur la conscience de la respiration, permettent aux participants de appréhender leurs propres habitudes corporelles. Ainsi en Feldenkreis, ``l’apprentissage consiste à éveiller les zones d’anesthésie sensorielle et à élargir les types de sensation possible”\cite{husquinet2018corps}. Plus généralement, cette méthode aide à coordonner différentes parties du corps, encourageant l'expression des ressentis et des émotions pour une intégration holistique du corps et de l'esprit. Dans l’approche défendue par cette pratique, souvent conscience du mouvement et conscience de la respiration vont ensemble. L’éducateur somatique regarde comment un fonctionnement sensori-motrice déficitaire affecte l’ensemble de la personne. Son rôle est d'aider améliorer ce fonctionnement, de plus la respiration est un des moyens le plus accessibles à le faire. +Découvrir sa perspective, confirmait mes intuitions quant à l’expérience du plateau et ce qu'elle révélait de l'introspection d'un artiste. La chercheuse Sylvie Fortin mentionne comment cette pratique valorise les explorations subjectives concentrés sur \textit{le corps-sujet} plutôt que \textit{le corps-objet}. Cela peut se faire par exemple, en invitant une personne ``à déterminer la position optimale pour exécuter un mouvement en s’appuyant sur son ressenti plutôt que sur des standards esthétiques arbitraires”\cite{husquinet2018corps}. Différents exercices basés sur la perception du corps en mouvement ou sur la conscience de la respiration, permettent aux participants de appréhender leurs propres habitudes corporelles. Ainsi en Feldenkrais, ``l’apprentissage consiste à éveiller les zones d’anesthésie sensorielle et à élargir les types de sensation possible”\cite{husquinet2018corps}. Plus généralement, cette méthode aide à coordonner différentes parties du corps, encourageant l'expression des ressentis et des émotions pour une intégration holistique du corps et de l'esprit. Dans l’approche défendue par cette pratique, souvent conscience du mouvement et conscience de la respiration vont ensemble. L’éducateur somatique regarde comment un fonctionnement sensori-motrice déficitaire affecte l’ensemble de la personne. Son rôle est d'aider améliorer ce fonctionnement, de plus la respiration est un des moyens le plus accessibles à le faire. Il y a un fort lien entre ces pratiques et des concepts émergents en sciences cognitives tels que l``image du corps” et le ``schéma corporel” que nous détaillerons dans le prochain chapitre. C'est important de noter que leur appréhension dans les pratiques somatiques est probablement différente des études en neurosciences par exemple. Si ici elles renvoient à un engagement envers soi, à une exploration intime, les sciences cognitives traitent de ce sujet pour mieux cartographier le fonctionnement du cerveau et de nos fonctions motrices. @@ -227,7 +228,7 @@ Ce qui nous intéresse pour nos expérimentations pratiques est de savoir si ce Une autre type d’exploration sensorielle que j’ai eu l’occasion de découvrir est la danse Jinen Butō, lors de mes stages avec Atsushi Takenouchi entre 2013 et 2015. Cette pratique, issue du mouvement de danse Butō a émergé en 1986 comme lien entre la nature, la terre et l'humain. -Créé par Tatsumi Hijikata et Kazuo Ohno probablement en réaction aux événements de la Seconde Guerre mondiale, le Butō a longuement exploré des thèmes tabous de la société japonaise. Dés de son début, cette danse a cherché convoquer des postures grotesques via des mouvements corporels parfois lents, parfois compulsifs, pour devenir ensuite un mode de vie. Butō diffère à la fois de la danse traditionnelle japonaise et de la danse occidentale moderne. Plus tard des disciples de Hijikata, comme Takenouchi ont a leur tour continué cette pratique selon leur contexte et expérience de vie. Ainsi Takenouki s'est concentré sur le rapport à la nature et aux possibilités de connexion avec celle-ci. +Créé par Tatsumi Hijikata et Kazuo Ohno probablement en réaction aux événements de la Seconde Guerre mondiale, le Butō a longuement exploré des thèmes tabous de la société japonaise. Dés de son début, cette danse a cherché convoquer des postures grotesques via des mouvements corporels parfois lents, parfois compulsifs, pour devenir ensuite un mode de vie. Butō diffère à la fois de la danse traditionnelle japonaise et de la danse occidentale moderne. Plus tard des disciples de Hijikata, comme Takenouchi ont a leur tour continué cette pratique selon leur contexte et expérience de vie. Ainsi Takenouki s'est concentré sur le rapport à la nature et aux possibilités de connexion avec celle-ci. Entendre parler, puis voir les images du corps nu de Takenouki enveloppé par des paysages naturels, dans un état mi-éveillé, mi-transe est quelque chose qui à l'époque a beaucoup suscité mon émoi et mon imagination. C’était une première expérience d'immersion dans une entité non-humaine, composer avec et se laisser inspirée par la découverte des nouvelles sensations que cela puisse engendrer. \begin{figure} @@ -247,7 +248,7 @@ This is Jinen. There is nothing Man can do. All that I was able to do after the \end{quote} -Un de ses poèmes ``HA-NE NO KI ou L'arbre Ailé” découvert lors de ces rencontres, évoque la condition de l'homme: +Un de ses poèmes ``HA-NE NO KI ou L'arbre Ailé” découvert lors de ces rencontres, évoque la condition de l'homme: \textit{ L’âme – ailée – s’ébat librement dans le Ciel. Le corps, lui, ne le peut car ses racines le retiennent à la Terre. @@ -256,13 +257,13 @@ Un de ses poèmes ``HA-NE NO KI ou L'arbre Ailé” découvert lors de ces renc Qui est sève des corps et âmes !} A l'époque, l'expérience sensible de Jinen Butō a été un catalyseur pour mon envie de danser, d'explorer au travers mon corps le monde afin d'y trouver un sens autre que celui donné par les paroles. -Lorsque plus tard, j'ai découvert que Bonnie Bainbridge Cohen a pratique une grande partie de sa vie le \gls{Katsugen Undō}\cite{eddy2002somatic}(mouvement spontané naturel, régénérateur du corps en relation avec certaines pratiques shinto au Japon), j'ai compris à quel point les traditions orientales nous aident à nous réapproprier le corps au travers des interactions avec des partenaires non-humains, dont les robots sont un exemple. +Lorsque plus tard, j'ai découvert que Bonnie Bainbridge Cohen a pratique une grande partie de sa vie le \gls{Katsugen Undō}\cite{eddy2002somatic}(mouvement spontané naturel, régénérateur du corps en relation avec certaines pratiques shinto au Japon), j'ai compris à quel point les traditions orientales nous aident à nous réapproprier le corps au travers des interactions avec des partenaires non-humains, dont les robots sont un exemple. \subsection{Gaga} Mes pérégrinations ont continué et début 2020 je suis arrivée en Israël pour expérimenter le Gaga Movement, dont la pédagogie encourage le lâcher prise et le plaisir de la danse. Mouvement de danse non-conventionnelle, cette pratique a été développée par le directeur artistique de la Batsheva Dance Company, Ohad Naharin. Lors d’un accident au dos dans les années 90, Naharin s'est lancé dans un processus de recherche corporelle avec des personnes sans expérience en danse. Ces expérimentations ont donné place au laboratoire Gaga/people, étant ensuite demandés comme training régulier par les danseurs de sa compagnie, sous la forme de cycles Gaga/dancers. Selon le contexte, cette technique a plusieurs déclinaisons: training pour renforcer le corps et le préparer physiquement en termes de souplesse et d'endurance, échauffement avant les répétitions et outil d’exploration pour cultiver la créativité. -Dans son article- ``The Phenomenology of the Body Schema and Contemporary Dance Practice: The Example of \textit{Gaga}”, la chercheuse en danse Anna Foultier décrit les modalités de travail des danseurs du 21e siècle, devenus entrepreneurs de leur propre corps et de leur technicité: +Dans son article- ``The Phenomenology of the Body Schema and Contemporary Dance Practice: The Example of \textit{Gaga}”, la chercheuse en danse Anna Foultier décrit les modalités de travail des danseurs du 21e siècle, devenus entrepreneurs de leur propre corps et de leur technicité: \begin{quote} -``En raison des tendances chorégraphiques et artistiques récents, ainsi que de la difficulté croissante d'obtenir des contrats plus longs, les danseurs sont devenus des \textit{entrepreneurs} censées réinventer leur formation, s'adapter à divers styles et pratiques chorégraphiques pour souvent composer du matériel chorégraphique pour les projets pour lesquelles ils travaillent. Que cela soit perçu comme promouvant leur agence et leur autorité ou comme une adaptation à un contexte sociétal marqué par le néolibéralisme, le danseur contemporain doit faire preuve d'une approche éclectique où son entraînement peut varier du ballet, moderne, jazz, capoeira, pilates ou yoga à la natation ou à la course. Dans le monde de la danse post-postmoderne, l'accent n'est plus donné par le moulage du corps à une certaine norme, comme dans le ballet classique, ou sur le démantèlement des habitudes afin de découvrir des modèles de mouvement naturels, comme dans la danse moderne, mais plutôt sur la déconstruction et le remodelage continus des corps\footnote{ne version originelle: ``Due to choreo-graphic and artistic trends as well as the increasing difficulty for dancers to obtain longer contracts, the dancer has become an “entrepreneur” supposed to fashion her training, adapt to various choreographic styles and practices, and often provide movement material to the pieces she works with. Whether this is seen as liberating the dancer’s agency and authority over her work or as an accommodation to a societal context marked by neo- liberalism where marketability is an imperative, the contemporary dancer has an eclectic approach where training can vary from ballet, modern, jazz, capoeira, pilates or yoga classes to swimming or running. In the post-postmodern dance world, emphasis is no longer on moulding the body into a certain form, as in classical ballet, or to dismantle habits in order to uncover natural movement patterns, as in early modern dance, but rather on continu-ously deconstructing and repatterning the body .”}.” +``En raison des tendances chorégraphiques et artistiques récents, ainsi que de la difficulté croissante d'obtenir des contrats plus longs, les danseurs sont devenus des \textit{entrepreneurs} censées réinventer leur formation, s'adapter à divers styles et pratiques chorégraphiques pour souvent composer du matériel chorégraphique pour les projets pour lesquelles ils travaillent. Que cela soit perçu comme promouvant leur agence et leur autorité ou comme une adaptation à un contexte sociétal marqué par le néolibéralisme, le danseur contemporain doit faire preuve d'une approche éclectique où son entraînement peut varier du ballet, moderne, jazz, capoeira, pilates ou yoga à la natation ou à la course. Dans le monde de la danse post-postmoderne, l'accent n'est plus donné par le moulage du corps à une certaine norme, comme dans le ballet classique, ou sur le démantèlement des habitudes afin de découvrir des modèles de mouvement naturels, comme dans la danse moderne, mais plutôt sur la déconstruction et le remodelage continus des corps\footnote{ne version originale: ``Due to choreo-graphic and artistic trends as well as the increasing difficulty for dancers to obtain longer contracts, the dancer has become an “entrepreneur” supposed to fashion her training, adapt to various choreographic styles and practices, and often provide movement material to the pieces she works with. Whether this is seen as liberating the dancer’s agency and authority over her work or as an accommodation to a societal context marked by neo- liberalism where marketability is an imperative, the contemporary dancer has an eclectic approach where training can vary from ballet, modern, jazz, capoeira, pilates or yoga classes to swimming or running. In the post-postmodern dance world, emphasis is no longer on moulding the body into a certain form, as in classical ballet, or to dismantle habits in order to uncover natural movement patterns, as in early modern dance, but rather on continu-ously deconstructing and repatterning the body .”}.” \cite{foultier2021phenomenology} \end{quote} Dans les cours de Gaga que j’ai pris, l'enseignant et les participants sont en constant mouvement. Les participants reçoivent plusieurs types d’instructions: lever ses bras comme s'ils ont un poids lourd sur le dos, les soulever et les laisser tomber en étant recouvert par du miel, sentir ses bras légers comme une plume, tomber au sol avec la même vitesse que les bras qui tombent, etc. L'objectif de Gaga est d'ouvrir de nouvelles possibilités d'exploration dans le corps et ainsi confronter les anciennes habitudes et facilités musculaires afin de développer une conscience du corps et une écoute intérieure. @@ -286,13 +287,13 @@ J’ai décidé d’utiliser et ensuite adapter cette technique lors de mes éch \subsection{Contexte} -Actuellement des thérapeutes utilisent des techniques de shaking pour réduire les effets du stress traumatique (PTSD). Parmi eux David Berceli, est psychologue et activiste humanitaire qui travaille dans les domaines de la réduction du stress suite à des evenements traumatiques. Dés la fin des années 1990, Berceli a travaillé en Extrême-Orient et en Afrique dans des zones en guerre. Suite à ses expériences de terrain, il a remarqué à quel point les secousses étaient une réponse universelle au traumatisme. Ces expériences l’ont mené à la création d'un ensemble d'exercices de libération de tension et de traumatisme appelés \textit{Tension and Trauma Releasing Exercises(TRE)}. L’objectif de sa pratique est de trouver les moyens pour calmer le système nerveux avec l’aide de ce qu'il définit comme \textit{Self Induced Therapeutic Tremors (SUTT)}. Sa méthode est basée sur une approche neurophysiologique intégrative qui vise un état de détente et repos parasympathique profond. En d'autre mots, Berceli s'appuie sur des principes d'homéostasie(processus d'autorégulation des systèmes biologiques pour maintenir leur stabilité, tout en s'adaptant aux conditions optimales pour la survie) pour décharger de façon mécanique la tension physique du corps. +Actuellement des thérapeutes utilisent des techniques de shaking pour réduire les effets du stress traumatique (PTSD). Parmi eux David Berceli, est psychologue et activiste humanitaire qui travaille dans les domaines de la réduction du stress suite à des evenements traumatiques. Dés la fin des années 1990, Berceli a travaillé en Extrême-Orient et en Afrique dans des zones en guerre. Suite à ses expériences de terrain, il a remarqué à quel point les secousses étaient une réponse universelle au traumatisme. Ces expériences l’ont mené à la création d'un ensemble d'exercices de libération de tension et de traumatisme appelés \textit{Tension and Trauma Releasing Exercises(TRE)}. L’objectif de sa pratique est de trouver les moyens pour calmer le système nerveux avec l’aide de ce qu'il définit comme \textit{Self Induced Therapeutic Tremors (SUTT)}. Sa méthode est basée sur une approche neurophysiologique intégrative qui vise un état de détente et repos parasympathique profond. En d'autre mots, Berceli s'appuie sur des principes d'homéostasie(phenomene d'autorégulation des systèmes biologiques pour maintenir leur stabilité, tout en s'adaptant aux conditions optimales pour la survie) pour décharger de façon mécanique la tension physique du corps. -Une première étude pilote qui mesure le stress chez 21 professionnels de la santé en Afrique du Sud, avant et après une utilisation de la méthode TRE pendant 8 semaines, montre les effets de cette méthode \cite{Bercelli}. Selon son auteur, pratiquer le ``shaking” en tant que protocole de mouvement, entre 5 et 15 minutes à la fois, permettrait d’activer le système nerveux parasympathique. Cette communication directe entre nos muscles, nos membres et notre système nerveux central permet de relâcher certaines tensions, tout en activant un sens de présence dans le corps. Un autre outil que Berceli emploie dans sa technique est la méditation de la pleine conscience. Cela aide à réguler les émotions en augmentant le lien avec le corps et sa sensorialité. Dans son contexte, la pleine conscience encourage l'acceptation plutôt que l'évitement des expériences traumatiques et diminue la rumination autour des événements passés ou futurs- source d'épuisement de l'énergie. +Une première étude pilote qui mesure le stress chez 21 professionnels de la santé en Afrique du Sud, avant et après une utilisation de la méthode TRE pendant 8 semaines, montre les effets de cette méthode . Selon son auteur, pratiquer le ``shaking” en tant que protocole de mouvement, entre 5 et 15 minutes à la fois, permettrait d’activer le système nerveux parasympathique. Cette communication directe entre nos muscles, nos membres et notre système nerveux central permet de relâcher certaines tensions, tout en activant un sens de présence dans le corps. Un autre outil que Berceli emploie dans sa technique est la méditation de la pleine conscience. Cela aide à réguler les émotions en augmentant le lien avec le corps et sa sensorialité. Dans son contexte, la pleine conscience encourage l'acceptation plutôt que l'évitement des expériences traumatiques et diminue la rumination autour des événements passés ou futurs- source d'épuisement de l'énergie. \subsection{Exemple d’exploration sensorielle avec du shaking inspiré par la technique TRE} Pour donner un exemple pratique d'application de ces principes TRE dans la danse, je décris plus bas un exemple d'exercice d’échauffement avant un séance d'improvisation. -Tout d'abord, je me familiarise avec la pièce où je suis et la surface sur laquelle mon corps s’appuie, afin que je me sens détendue et habituée à mon environnemt. Je ferme les yeux et écoute les bruits autour de moi, du plus lointain au plus proche. Je touche les surfaces autour de moi, en insistant sur les textures. Une fois cet exercice sensoriel fini, je commence par faire quelques exercices préparatoires tels que des étirements de yoga pour mettre en marche mes muscles. L’objectif est de privilégier un état de disponibilité, pour l'étape suivante. Ensuite je m'allonge sur le dos, la plante des pieds sur le sol, les genoux pliés sur le côté. Je tire mes pieds vers la poitrine comme pour un saut puis je les relâche pour avoir une distance optimale entre les pieds et le bassin. Les pieds sont parallèles et touchent le sol, les genoux sont fléchés, orientés vers l'extérieur. Avec des respirations lentes, je compte jusqu'au 200 pendant que je ramène mes genoux l'un vers l'autre avec une certaine résistance. Je maintiens chaque position le plus longtemps possible. Je répète cette étape jusq'au quand mes genoux se touchent. +Tout d'abord, je me familiarise avec la pièce où je suis et la surface sur laquelle mon corps s’appuie, afin que je me sens détendue et habituée à mon environnemt. Je ferme les yeux et écoute les bruits autour de moi, du plus lointain au plus proche. Je touche les surfaces autour de moi, en insistant sur les textures. Une fois cet exercice sensoriel fini, je commence par faire quelques exercices préparatoires tels que des étirements de yoga pour mettre en marche mes muscles. L’objectif est de privilégier un état de disponibilité, pour l'étape suivante. Ensuite je m'allonge sur le dos, la plante des pieds sur le sol, les genoux pliés sur le côté. Je tire mes pieds vers la poitrine comme pour un saut puis je les relâche pour avoir une distance optimale entre les pieds et le bassin. Les pieds sont parallèles et touchent le sol, les genoux sont fléchés, orientés vers l'extérieur. Avec des respirations lentes, je compte jusqu'au 200 pendant que je ramène mes genoux l'un vers l'autre avec une certaine résistance. Je maintiens chaque position le plus longtemps possible. Je répète cette étape jusq'au quand mes genoux se touchent. Petit à petit, je sens les muscles de ma cuisse se fatiguer. Pour Berceli, cette phase provoque les shakes ou les tremblements. Au fur et à mesure que mes genoux s’approchent, les tremblements deviennent plus évidents et je peux les sentir remonter le long de mes jambes. Après vingt minutes, alors que mes genoux sont maintenant presque collés l'un à l’autre, je commence à saccader le bas de mon corps presque d'une façon comique. Pour prolonger l'expérience, je m'allonge sur le dos et prends quelques minutes pour expirer bruyamment. Lorsque je me sens prête, je m’assois sur mes talons. Je prends quelques respirations, puis je réfléchis à mon ressenti et à comment mon corps a réagi. Puis je remémore cette sensation pour la laisser m'accompagner dans mon improvisation. @@ -304,10 +305,10 @@ Si dans BMC, le \gls{Basic Neuro Cellular Patterns} s'appuie aussi sur des analo Dans son livre \textit{Histoire de la danse}(1933) Curt Sachs décrit la danse comme véhicule des expressions humaines, depuis les temps préhistoriques, bien avant le langage articulé: \begin{quote} -``Chaque danse est et donne de l'extase. L'adulte qui met son bras autour de son compagnon dans la salle de bal, et l'enfant dans la rue, sautant lors d'une ronde, ils s'oublient, ils dissolvent le poids du contact terrestre et la rigidité de l'existence quotidienne. Encore plus intense est la réaction de l'homme préhistorique, dont l'esprit vierge offre si peu de résistance à tout stimulus et dont le corps, non rabougri et indiscipliné, répond à ce stimulus sans retenue, d'une manière qui nous est étrangère. (...) Ce moment peut être si intense que pendant la guerre des Boers, les Bushmen du Kalahari Dersert se laissaient souvent encercler dans la brume du clair de lune et sont abattus en hordes\footnote{ en version originelle: ``Every dance is and gives extasy. The adult who puts his arm around his companion in the ballroom, and the child in the roadway, skipping in a round dance- they forget themselves, they dissolve the weight of earthly contact and the rigidity of daily existane. How much more intense the reaction of primitive man, whose unburdened mind offers so little resitance to very stimulus and whose body, unstunted and undsiciplinedm responds to this stimulus without restraint to an extent that is foreign to us.(...) The passion of the transport can be so intense that during the Boer War the Bushmen of the Kalahari Dersert often let themselves be surrounded in the mist of the moonlight and shot down in hordes.”}.” +``Chaque danse est et donne de l'extase. L'adulte qui met son bras autour de son compagnon dans la salle de bal, et l'enfant dans la rue, sautant lors d'une ronde, ils s'oublient, ils dissolvent le poids du contact terrestre et la rigidité de l'existence quotidienne. Encore plus intense est la réaction de l'homme préhistorique, dont l'esprit vierge offre si peu de résistance à tout stimulus et dont le corps, non rabougri et indiscipliné, répond à ce stimulus sans retenue, d'une manière qui nous est étrangère. (...) Ce moment peut être si intense que pendant la guerre des Boers, les Bushmen du Kalahari Dersert se laissaient souvent encercler dans la brume du clair de lune et sont abattus en hordes\footnote{en version originale: ``Every dance is and gives extasy. The adult who puts his arm around his companion in the ballroom, and the child in the roadway, skipping in a round dance- they forget themselves, they dissolve the weight of earthly contact and the rigidity of daily existane. How much more intense the reaction of primitive man, whose unburdened mind offers so little resitance to very stimulus and whose body, unstunted and undsiciplinedm responds to this stimulus without restraint to an extent that is foreign to us.(...) The passion of the transport can be so intense that during the Boer War the Bushmen of the Kalahari Dersert often let themselves be surrounded in the mist of the moonlight and shot down in hordes.”}.” \cite{sachs1938histoire} \end{quote} -Sa thèse s'appuie sur l’hypothèse que les origines de la danse tribale résident dans le chamanisme. Pour illustrer cela, Sachs décrit les danses à contre coups et les danses extatiques des certaines tribus. Un siècle après ces observations, cette dimension thérapeutique des danses reste toujours d’actualité. Les méthodes d’éducation somatique souhaitent mieux développer l’intelligence du corps\cite{jay2014pratiques, eddy2017mindful}. Pour notre étude, il est important de souligner que ce qui nous intéresse est la façon dont ces méthodes ont pu accompagner les danseurs et praticiens en danse, dans leur l’intention de renouveler les formes d’expression de cet art. +Sa thèse s'appuie sur l’hypothèse que les origines de la danse tribale résident dans le chamanisme. Pour illustrer cela, Sachs décrit les danses à contre coups et les danses extatiques des certaines tribus. Un siècle après ces observations, cette dimension thérapeutique des danses reste toujours d’actualité. Les méthodes d’éducation somatique souhaitent mieux développer l’intelligence du corps\cite{jay2014pratiques, eddy2017mindful}. Pour notre étude, il est important de souligner que ce qui nous intéresse est la façon dont ces méthodes ont pu accompagner les danseurs et praticiens en danse, dans leur l’intention de renouveler les formes d’expression de cet art. Ainsi l’histoire de la danse moderne et son renouvellement de formes à partir du début du 20e siècle, commence avec l'américaine Loïe Fuller et sa \textit{Danse Serpentine}, faite de spirales et de volutes de voiles. Égérie de l'avant-garde artistique de la Belle Epoque, elle libère le corps et met en place les bases de l’abstraction en danse. Complémentaire à son approche est la démarche mise en place par François Delsarte (1811-1871) professeur de chant qui développe entre 1840 et 1870 une théorie de l’expression fondée sur des correspondances entre geste et émotion. Par le biais du dramaturge américain Steele Mackaye, inscrit à ses cours à Paris, les danseurs des Etats Unis vont prendre connaissance du système mis en place par Delsarte, donnant place à un mouvement appelé \textit{delsartisme} d'après le nom de son inventeur. Plus tard l'influence de Delsartre va marquer tout une génération de danseurs modernes en Amérique, tels Ruth Saint Denis (1879-1968) et Ted Shawn (1891-1972). Quelques années après Fuller, c’est le tour de l’allemande Mary Wigmann de promouvoir la danse libre et de présenter sa \textit{Danse de la Sorcière} ou \textit{Hexentanz} en 1914. Selon Hubert Godard, il y avait dans sa démarche deux concepts-clé: @@ -316,12 +317,12 @@ Quelques années après Fuller, c’est le tour de l’allemande Mary Wigmann de \end{quote} Cette façon d'envisager le mouvement, pratiquée entre autres par Isadora Duncan (1877-1927), influença par la suite de nombreux chorégraphes et marqua les débuts de la danse moderne. Le solo de Wigman rompt avec la tradition classique par des gestes brusques, une posture au sol et des bras tendus. Sur un accompagnement de percussions, son apparence convoque une expression sensorielle autour de l'intimité et de la connexion à soi. A la même époque a Paris, l‘Ukrainien Vaslav Nijinski va plus loin dans le rapport a la sensorialité en simulant une masturbation lors de sa performance de \textit{L'après-midi d’un faune}. -Quelque décennies plus tard en suivant les mêmes principes, Martha Graham développe une pédagogie basée sur l'opposition entre contraction et libération des cycles de respiration. Considérée comme fondatrice de la danse contemporaine, son travail a inspiré la danse du XXéme siècle. Contemporains avec elle, Merce Cunningham et John Cage ont développé un concept expérimental pour séparer la musique et la danse au sein d'une même performance. Ainsi les mouvements des danseurs ne sont plus liés aux rythmes, à l'humeur et à la structure de la musique. Chaque forme d'art existe de façon autonome dans un espace et un temps partagés. Dans une autre partie du monde, cette fois le Japon, Tatsumi Hijikata (1928-1986) et Kazuo Ōno (1906-2010) développent la danse de butō, nourris par l'expressionnisme allemand et le surréalisme français. Née dans les années 1960, cette danse marque à son tour une rupture avec les arts vivants traditionnels du nô et du kabuki, en s’inspirant de bouddhisme et de croyances shintô. Les remous socio-politiques qui secouèrent le Japon à cette époque, notamment les événements tragiques d'Hiroshima et de Nagasaki de 1945, donnent forme à cette expression sensorielle basée sur l’introspection de ses protagonistes. +Quelque décennies plus tard en suivant les mêmes principes, Martha Graham développe une pédagogie basée sur l'opposition entre contraction et libération des cycles de respiration. Considérée comme fondatrice de la danse contemporaine, son travail a inspiré la danse du XXéme siècle. Contemporains avec elle, Merce Cunningham et John Cage ont développé un concept expérimental pour séparer la musique et la danse au sein d'une même performance. Ainsi les mouvements des danseurs ne sont plus liés aux rythmes, à l'humeur et à la structure de la musique. Chaque forme d'art existe de façon autonome dans un espace et un temps partagés. Dans une autre partie du monde, cette fois le Japon, Tatsumi Hijikata (1928-1986) et Kazuo Ōno (1906-2010) développent la danse de butō, nourris par l'expressionnisme allemand et le surréalisme français. Née dans les années 1960, cette danse marque à son tour une rupture avec les arts vivants traditionnels du nô et du kabuki, en s’inspirant de bouddhisme et de croyances shintô. Les remous socio-politiques qui secouèrent le Japon à cette époque, notamment les événements tragiques d'Hiroshima et de Nagasaki de 1945, donnent forme à cette expression sensorielle basée sur l’introspection de ses protagonistes. -Une autre figure incontournable dans l'historie de la danse est Pina Bausch (1940-2009) danseuse et chorégraphe allemande. Fondatrice de la compagnie \textit{Tanztheater Wuppertal}, elle rompt définitivement avec les formes de danse conventionnelles, en introduisant le concept de danse-théâtre ou Tanztheater sur la scène allemande et internationale. Au début, des spectacles tel \textit{Le Sacre du printemps} (1975) ont suscité de nombreuses critiques, avant de devenir une référence dans l'histoire de la danse postmoderne. Sur un sol recouvert de terre, danseurs et danseuses s’opposent, en se livrant à une lutte sauvage et poétique couverts de boue et de la sueur. Cette lutte marque le sacrifice de l’élue, comme dans le rituel païen du chef-d’œuvre de Stravinsky. En allant jusqu'à l'épuisement, la danse se libère ainsi de son rapport à la représentation en développant de nouvelles normes esthétiques. Presque à la même époque, Carolyn Carlson, née le 7 mars 1943 à Oakland en Californie, danse pieds nus à l'Opéra Garnier à Paris et ouvre un laboratoire de recherche sur le mouvement en invitant des danseurs amateurs à rejoindre sa recherche. Tandis qu’Anne Teresa De Keersmaeker crée \textit{Rosas danst Rosas} en 1983- pièce pour quatre danseuses et quatre mouvements, dont le titre donne le nom de sa compagnie artistique de danse. L’utilisation presque radicale de la musique de Steve Reich et Thierry De Mey, comme support premier de sa composition chorégraphique, ainsi que le recours aux motifs géométriques (cercles, courtes spirales, diagonales impeccables) comme base pour les mouvements, distinguent le travail de Keersmaeker des autres chorégraphes de sa génération. Le travail sur une chaise, la répétition et l'épuisement du corps sont les éléments clés de sa démarche. Sa technique de composition est inspirée par le \textit{phasing} en musique où des motifs se répètent avec un décalage. Quelques années plus tard, au contrepoids entre l'Amérique et l’Israël, Ohad Naharin renouvelle avec les traditions et les chants traditionnels juifs. Dans \textit{Echad Mi Yodea} (1990), des danseurs assis sur des chaises, en train de trembler de façon répétitive évoquent des moments de dévotion dans une synagogue. Des piles de vêtements jetés par terre peuvent renvoyer à des photographies de l'Holocauste. Des danseurs qui se déchaînent à travers la chorégraphie. Leur lutte pourrait être interprétée comme une résistance et un impasse suite à la construction d'Israël, mais aussi comme un dépassement de soi de l'artiste-créateur. Cette métaphore a aussi été reprise dans l'installation \textit{Personnes} (2010) de l'artiste français Christian Boltanski. Là des tonnes de vêtements étalés font office des pierres tombales, parmi lesquelles des visiteurs se promènent. +Une autre figure incontournable dans l'historie de la danse est Pina Bausch (1940-2009) danseuse et chorégraphe allemande. Fondatrice de la compagnie \textit{Tanztheater Wuppertal}, elle rompt définitivement avec les formes de danse conventionnelles, en introduisant le concept de danse-théâtre ou Tanztheater sur la scène allemande et internationale. Au début, des spectacles tel \textit{Le Sacre du printemps} (1975) ont suscité de nombreuses critiques, avant de devenir une référence dans l'histoire de la danse postmoderne. Sur un sol recouvert de terre, danseurs et danseuses s’opposent, en se livrant à une lutte sauvage et poétique couverts de boue et de la sueur. Cette lutte marque le sacrifice de l’élue, comme dans le rituel païen du chef-d’œuvre de Stravinsky. En allant jusqu'à l'épuisement, la danse se libère ainsi de son rapport à la représentation en développant de nouvelles normes esthétiques. Presque à la même époque, Carolyn Carlson, née le 7 mars 1943 à Oakland en Californie, danse pieds nus à l'Opéra Garnier à Paris et ouvre un laboratoire de recherche sur le mouvement en invitant des danseurs amateurs à rejoindre sa recherche. Tandis qu’Anne Teresa De Keersmaeker crée \textit{Rosas danst Rosas} en 1983- pièce pour quatre danseuses et quatre mouvements, dont le titre donne le nom de sa compagnie artistique de danse. L’utilisation presque radicale de la musique de Steve Reich et Thierry De Mey, comme support premier de sa composition chorégraphique, ainsi que le recours aux motifs géométriques (cercles, courtes spirales, diagonales impeccables) comme base pour les mouvements, distinguent le travail de Keersmaeker des autres chorégraphes de sa génération. Le travail sur une chaise, la répétition et l'épuisement du corps sont les éléments clés de sa démarche. Sa technique de composition est inspirée par le \textit{phasing} en musique où des motifs se répètent avec un décalage. Quelques années plus tard, au contrepoids entre l'Amérique et l’Israël, Ohad Naharin renouvelle avec les traditions et les chants traditionnels juifs. Dans \textit{Echad Mi Yodea} (1990), des danseurs assis sur des chaises, en train de trembler de façon répétitive évoquent des moments de dévotion dans une synagogue. Des piles de vêtements jetés par terre peuvent renvoyer à des photographies de l'Holocauste. Des danseurs qui se déchaînent à travers la chorégraphie. Leur lutte pourrait être interprétée comme une résistance et un impasse suite à la construction d'Israël, mais aussi comme un dépassement de soi de l'artiste-créateur. Cette métaphore a aussi été reprise dans l'installation \textit{Personnes} (2010) de l'artiste français Christian Boltanski. Là des tonnes de vêtements étalés font office des pierres tombales, parmi lesquelles des visiteurs se promènent. -Le début du 21ème siècle continue cette tradition de la danse libérée de ses formes, de croisement de disciplines et des pratiques que cela soit chant, art martiaux, arts plastiques ou nouvelles technologies. Des spectacles avec plusieurs danseurs sur le plateau, transgressent les limites de la physicalité, tout en rendant hommage à l’histoire de la danse et à ses traditions. Dans son chef d'œuvre \textit{In Spite of Wishing and Wanting} (1999), Wim Vandekeybus imagine une performance sur le désir primordial et la tension entre le familier et l'étrange. Sur scène que des hommes, dont le mouvement frôle la férocité, la sauvagerie et la naïveté. La peur et le désir de se transformer en quelque chose d’autre, représentent un thème central dans le travail de Vandekeybus. Des séquences de danse envoûtantes sur une bande son de David Byrne, donnent l’impression que les danseurs sont possédés par quelque chose ou par quelqu'un. \smallskip -Un autre projet qui traite du rapport que nous avons à la composition de la danse et la façon de la représenter est \textit{Synchronous Objects for One Flat Thing} (2010). La collaboration entre William Forsythe et l'Ohio State University donne suite à un traitement des informations numériques, spatiales et temporelles à partir de vidéos de l'œuvre de danse \textit{One Flat Thing} de Forsythe où des performeurs dansent sur et avec des tables. Leurs mouvements se synchronisent selon une série d’indices internes. Une fois la danse enregistrée sous différentes perspectives, les données ont servi pour créer d'autres médias, événements et objets. Par exemple, un objet synchrone développé par Ola Ahlqvist dans le département de géographie de l'Université d'Ohio, montre la densité du mouvement des danseurs. Cella prend la forme d’un paysage topographique avec des montagnes colorées représentant les endroits ou chacun passait la plupart de son temps lors de la performance. +Le début du 21ème siècle continue cette tradition de la danse libérée de ses formes, de croisement de disciplines et des pratiques que cela soit chant, art martiaux, arts plastiques ou nouvelles technologies. Des spectacles avec plusieurs danseurs sur le plateau, transgressent les limites de la physicalité, tout en rendant hommage à l’histoire de la danse et à ses traditions. Dans son chef d'œuvre \textit{In Spite of Wishing and Wanting} (1999), Wim Vandekeybus imagine une performance sur le désir primordial et la tension entre le familier et l'étrange. Sur scène que des hommes, dont le mouvement frôle la férocité, la sauvagerie et la naïveté. La peur et le désir de se transformer en quelque chose d’autre, représentent un thème central dans le travail de Vandekeybus. Des séquences de danse envoûtantes sur une bande son de David Byrne, donnent l’impression que les danseurs sont possédés par quelque chose ou par quelqu'un. \smallskip +Un autre projet qui traite du rapport que nous avons à la composition de la danse et la façon de la représenter est \textit{Synchronous Objects for One Flat Thing} (2010). La collaboration entre William Forsythe et l'Ohio State University donne suite à un traitement des informations numériques, spatiales et temporelles à partir de vidéos de l'œuvre de danse \textit{One Flat Thing} de Forsythe où des performeurs dansent sur et avec des tables. Leurs mouvements se synchronisent selon une série d’indices internes. Une fois la danse enregistrée sous différentes perspectives, les données ont servi pour créer d'autres médias, événements et objets. Par exemple, un objet synchrone développé par Ola Ahlqvist dans le département de géographie de l'Université d'Ohio, montre la densité du mouvement des danseurs. Cella prend la forme d’un paysage topographique avec des montagnes colorées représentant les endroits ou chacun passait la plupart de son temps lors de la performance. Dans la même lignée, le spectacle \textit{The Great Tammer} (2017) du chorégraphe grec Dimitris Papaioannou traite du rapport que les danseurs ont au corps, en s’inspirant de la sculpture et la peinture classique. Son travail a une forte composante plastique et repose sur une dilatation du temps. L'expérience qu’il propose aux spectateurs est sensorielle- des corps qui se démembrent pour se reconstituer en nouvelles images sur le plateau. Ce questionnement du corps est partagé, mais traité dans une approche différente par la chorégraphe brésilienne Lia Rodrigues. Ses créations transgressent plusieurs formes dont celle du rituel performée. Ses spectacles \textit{Furia} (2018) et \textit{Encantado} (2022) mettent en scène des moments extatiques en danse et des corps démembrés. Similaire au travail de Vandekeybus, nous pouvons croire les danseurs possédés. Leur présence convoque de l'émotion brute et transmet au spectateur une envie de partager la danse qui s'opère devant ses yeux. Cette synthèse de la danse a traversé un siècle de changements et renouvellement de formes. A l’avènement des nouvelles technologies les directions sont encore incertaines. La danse avec des robots apporte un changement de paradigme quant à la place du danseur et nous allons comprendre dans les prochaines pages, comment sa créativité et sa sensibilité deviennent les incentives d'une nouvelle forme d'expressivité artistique. @@ -329,14 +330,14 @@ Cette synthèse de la danse a traversé un siècle de changements et renouvellem \subsection{Anna Halprin et son \textit{taking part process}} -Je présente ensuite sur deux danseuses et chorégraphes qui ont opère dans le champ de la recherche des pratiques somatique. Leur travail est aujourd'hui vu comme expérimental, œuvrant à la lisière d'un laboratoire du corps et de sa pensée. +Je présente ensuite sur deux danseuses et chorégraphes qui ont opère dans le champ de la recherche des pratiques somatique. Leur travail est aujourd'hui vu comme expérimental, œuvrant à la lisière d'un laboratoire du corps et de sa pensée. -Anna Halprin (1920- 2021) est une danseuse et chorégraphe américaine, pionnière de la \gls{danse postmoderne}. Dans sa pratique elle intègre des principes somatiques, en se focalisant sur des impulsions internes et un état de \gls{grounding} (encrage dans le sol, pour se connecter au moment présent). Pour expliquer ce dernier concept, souvent les chorégraphes font une analogie avec les plantes et leurs racines: une plante tire son énergie du sol, ses racines se développent au même moment que la fleur grandit. +Anna Halprin (1920- 2021) est une danseuse et chorégraphe américaine, pionnière de la \gls{danse postmoderne}. Dans sa pratique elle intègre des principes somatiques, en se focalisant sur des impulsions internes et un état de \gls{grounding} (encrage dans le sol, pour se connecter au moment présent). Pour expliquer ce dernier concept, souvent les chorégraphes font une analogie avec les plantes et leurs racines: une plante tire son énergie du sol, ses racines se développent au même moment que la fleur grandit. Halprin a toujours insisté sur la différence entre la danse thérapie et sa pratique définie comme une expérience artistique dont l'objectif est de réinventer des formes en dance\cite{halprin2015moving} -Dans un de ses entretiens en 1996, elle évoque sa première professeure de danse et l'impacte que cela a eu sur sa carrière: +Dans un de ses entretiens en 1996, elle évoque sa première professeure de danse et l'impacte que cela a eu sur sa carrière: \begin{quote} -``Margareth H'Doubler est mon vrai mentor et elle m'a fourni la meilleure éducation en danse que j'aurais pu avoir. Elle était biologiste de formation, ce qui lui a donné les bases nécessaires pour aborder la danse sous un angle différent de ce qui était enseigné par des chorégraphes. Elle m’a appris à considérer la danse d’un point de vue scientifique mais aussi philosophique et esthétique. Elle disait : «Enseignez les principes objectifs de la danse, cela permettra aux élèves de rendre subjective leur expérience.» Je peux dire qu'elle m'a fait un grand cadeau. Elle m'a appris à cultiver ma propre expression créative, plutôt que d'imiter le style de quelqu'un d'autre\footnote{en version originale: ``Margareth H'Doubler was my true mentor, and she provided the best dance education I possibly could have had. She was a biologist by training, which gave her the foundation to approach dance from a different perspective than what was being taught by others as dance. She taught me to view dance from a scientific as well as philosophical and aesthetic point of view. She used to say,``Teach the objective principles of dance and this will enable your students to subjectify their experience.`` What she gave me was a great gift. She taught me to cultivate my own creative expression rather than imitate someone else's style.”}.” +``Margareth H'Doubler est mon vrai mentor et elle m'a fourni la meilleure éducation en danse que j'aurais pu avoir. Elle était biologiste de formation, ce qui lui a donné les bases nécessaires pour aborder la danse sous un angle différent de ce qui était enseigné par des chorégraphes. Elle m’a appris à considérer la danse d’un point de vue scientifique mais aussi philosophique et esthétique. Elle disait : «Enseignez les principes objectifs de la danse, cela permettra aux élèves de rendre subjective leur expérience.» Je peux dire qu'elle m'a fait un grand cadeau. Elle m'a appris à cultiver ma propre expression créative, plutôt que d'imiter le style de quelqu'un d'autre\footnote{en version originale: ``Margareth H'Doubler was my true mentor, and she provided the best dance education I possibly could have had. She was a biologist by training, which gave her the foundation to approach dance from a different perspective than what was being taught by others as dance. She taught me to view dance from a scientific as well as philosophical and aesthetic point of view. She used to say,\textit{Teach the objective principles of dance and this will enable your students to subjectify their experience}. What she gave me was a great gift. She taught me to cultivate my own creative expression rather than imitate someone else's style.”}.” \cite{serlin1996interview} \end{quote} @@ -346,15 +347,15 @@ mouvement naturel, intrinsèque au vécu quotidien et à la manière de bouger d \begin{itemize} \item La première permet d'apprendre un langage commun à partir du corps, par l’usage des mouvements naturels. Pour Halprin, le corps humain a des multiples dimensions: énergétique, physique, émotionnelle, mentale et spirituelle. Les archétypes du corps reflètent et influencent les archétypes de la vie de chaque personne. - \item La deuxième étape est un outil pour libérer la créativité collectivement; grâce à la méthode de Cycles RSVP, développée par son mari Lawrence Halprin dans les années 70, afin que chaque participant amène son vécu et histoire de vie dans le projet. Les Cycles RSVP se basent sur quatre principes: R parle de ressources (matériaux à disposition), S en anglais \textit{scores }représente les partitions comme celles de musique, V parle de la valeur des actions (plus spécifiquement l'appréciation, le feedback et la valeur qui accompagne le processus de création), alors que P vient du terme \textit{performance} ou implémentation des partitions. + \item La deuxième étape est un outil pour libérer la créativité collectivement; grâce à la méthode de Cycles RSVP, développée par son mari Lawrence Halprin dans les années 70, afin que chaque participant amène son vécu et histoire de vie dans le projet. Les Cycles RSVP se basent sur quatre principes: R parle de ressources (matériaux à disposition), S en anglais \textit{scores}représente les partitions comme celles de musique, V parle de la valeur des actions (plus spécifiquement l'appréciation, le feedback et la valeur qui accompagne le processus de création), alors que P vient du terme \textit{performance} ou implémentation des partitions. \end{itemize} En 1981 elle intègre les principes de cette pédagogie lors des ateliers de danse à grande échelle, avec beaucoup de participants intitulées \textit{Circle the Earth}. Son travail influencé par sa propre expérience de la maladie, l’a amenée à créer avec des victimes de préjugés raciales, des personnes atteintes de maladies incurables comme le Sida et le cancer. Les dernières années de sa vie, elle cultive un lien entre la danse et la spiritualité, ou le fait d'être incorporé- \textit{embodied}. Une des danses qu’elle avait mis en place c’est le \textit{Cycle de Danses Planétaires}, où plusieurs milliers de personnes dansent ensemble sur plusieurs continents. Ces danses sont accessibles de point de vue technique et encouragent les participants à devenir plus conscients, en suivant un cheminement individuel: \begin{quote} ``Cette façon de travailler est appelée de nos jours approche des arts expressifs, même si à l’époque elle ne s’appelait pas art expressif. J’ai pu imaginer une sorte de danse qui avait un but, un besoin de réparation, un besoin sociétal, un besoin environnemental. Je ne me suis jamais considéré comme un thérapeute, même si on pourrait me qualifier de thérapeute. Je me considère simplement comme une danseuse. J'ai commencé à considérer ces danses que je faisais comme des rituels. J'ai découvert que le mot rituel me permettait d'évoluer plus consciemment vers le domaine de la danse pour le peuple, de la danse pour le changement -\footnote{``This way of working is now called the expressive arts approach, although it wasn’t called expressive art in those days. I was able to envision a kind of dance that had a purpose, a healing purpose, a societal purpose, an environmental purpose. I never considered myself a therapist, although I might be referred to as a therapist. I consider myself simply a dancer. I began to think of these dances I was making as rituals. I found that the word ritual enabled me to move more consciously into the realm of dancing for the people, dancing for change.”}.” +\footnote{``This way of working is now called the expressive arts approach, although it wasn’t called expressive art in those days. I was able to envision a kind of dance that had a purpose, a healing purpose, a societal purpose, an environmental purpose. I never considered myself a therapist, although I might be referred to as a therapist. I consider myself simply a dancer. I began to think of these dances I was making as rituals. I found that the word ritual enabled me to move more consciously into the realm of dancing for the people, dancing for change.”}.” \cite{halprin} \end{quote} -Cette danse a été d’abord performé un dimanche de Pâques, en pleine nature, sur une montagne où elle avait déjà l’habitude de danser. Halprin relate comment avec son groupe de participants, ils sont descendus du sommet de la montagne, après avoir accueilli le lever du soleil. Ils ont ensuite formé un cercle en dansant juste en dessous du sommet, pour pouvoir regarder dans les quatre directions. Chaque direction avait sa propre symbolique: le Sud est l'endroit d'où vient la vie, le Nord est l'endroit d'où vient la mort, l'Ouest est l'endroit où va la lumière et l'Est est l'endroit d'où vient la lumière. Après la session les danseurs partagent leur expérience, par petits groupes. En remémorant une de ses expériences de \textit{Danse Planétaire}, Halprin évoque le souvenir d’un participant qu’elle connaissait, qui était en larmes, profondément ému par l'expérience. En écoutant son récit, elle a compris qu'il a eu une prise de conscience des aspects spirituels de sa vie. Souvent parmi les participants, la recherche de la spiritualité peut donner l’impression de quelque chose de spécial, d'inatteignable. Cependant la personne en cause a trouvé un moment d’illumination en lien avec son travail. Il a mieux compris la relation qu’il avait avec ses employés au restaurant, de la façon dont il traitait ses collègues, de la façon dont ils avaient l'habitude d’interagir et de coopérer. Pour lui, cette expérience d’appartenir à un groupe, relevait de la spiritualité. +Cette danse a été d’abord performé un dimanche de Pâques, en pleine nature, sur une montagne où elle avait déjà l’habitude de danser. Halprin relate comment avec son groupe de participants, ils sont descendus du sommet de la montagne, après avoir accueilli le lever du soleil. Ils ont ensuite formé un cercle en dansant juste en dessous du sommet, pour pouvoir regarder dans les quatre directions. Chaque direction avait sa propre symbolique: le Sud est l'endroit d'où vient la vie, le Nord est l'endroit d'où vient la mort, l'Ouest est l'endroit où va la lumière et l'Est est l'endroit d'où vient la lumière. Après la session les danseurs partagent leur expérience, par petits groupes. En remémorant une de ses expériences de \textit{Danse Planétaire}, Halprin évoque le souvenir d’un participant qu’elle connaissait, qui était en larmes, profondément ému par l'expérience. En écoutant son récit, elle a compris qu'il a eu une prise de conscience des aspects spirituels de sa vie. Souvent parmi les participants, la recherche de la spiritualité peut donner l’impression de quelque chose de spécial, d'inatteignable. Cependant la personne en cause a trouvé un moment d’illumination en lien avec son travail. Il a mieux compris la relation qu’il avait avec ses employés au restaurant, de la façon dont il traitait ses collègues, de la façon dont ils avaient l'habitude d’interagir et de coopérer. Pour lui, cette expérience d’appartenir à un groupe, relevait de la spiritualité. Anna Halprin a révolutionnée la danse, en la décloisonnant, en la rendant plus accessible. Les participants à ses stages ont appris à écouter leurs corps, ont forme une communauté temporaire, égaux dans leurs différences. Cette inclusion pourra être faite aux non-humains une fois que nous avons appris à danser avec nos individualités? @@ -384,7 +385,7 @@ Après ces projets collectives et son expérience avec les dispositifs technolog \end{quote} Son premier livre, \textit{Moving Through the Universe in Bare Feet}(1975), contient ses observations tirées de cette expérience. Puis en 1976, Hay déménage du Vermont à Austin, au Texas, où elle commence à développer un ensemble de pratiques chorégraphiques intitulées \textit{playing awake} ou \textit{jeu éveillé} qui engageaient l'interprète à plusieurs niveaux de perception à la fois. Cette méthode chorégraphique a été d’abord enseignée lors des ateliers d'interprètes et danseurs non formés et amateurs, donnant suite à des performances publiques ultérieurement. Son deuxième livre, \textit{Lamb at the Altar: The Story of a Dance}(1994), documente le processus créatif utilisé lors de cette période. Dans les années 1990, Hay se concentre presque exclusivement sur des danses solo, développées avec des principes de \textit{playing awake}- sa méthode chorégraphique expérimentale. Ces œuvres comprennent \textit{The Man Who Grew Common in Wisdom} (1989), \textit{Voilà} (1995), \textit{The Other Side of O}(1998), transmises ensuite à des interprètes renommés aux États-Unis, en Europe et en Australie. -Son troisième livre \textit{My Body, The Buddhist}, est publié par la suite à Wesleyan University Press en 2000. Ce livre contient ses réflexions sur le bouddhisme et les leçons qu'elle a apprises en portant une attention particulière à son corps pendant qu'elle dansait. Le concept de \gls{mémoire cellulaire} est également décrit dans cette livre. Bien que difficile de définir, ce concept élargit l’expérience de la perception au niveau cellulaire. Ainsi pour Hay, l’expérience de chaque cellule peut être ressentie individuellement. Dans sa thèse \textit{Dance in the light of neuroscience : sharing the experience of Deborah Hay's performance : her work and reflections}, la chercheuse Gabriela Karolczak part du postulat que la danse est une expérience partagée entre un danseur et un spectateur, enracinée dans le mécanisme neurologique des \gls{neurones miroirs}\cite{karolczak2011dance}. Pour elle, les point d'interrogation en danse, dont les neurosciences peuvent apporter des éléments de réponse, visent la validité écologique des expériences vécues. Le travail de Hay et la façon dont elle témoigne de ses observations empiriques à travers des décennies de pratique, transforment ses spectateurs en participants actifs à ses questionnements. D’ailleurs le credo artistique de Hay est défini de façon suivante: +Son troisième livre \textit{My Body, The Buddhist}, est publié par la suite à Wesleyan University Press en 2000. Ce livre contient ses réflexions sur le bouddhisme et les leçons qu'elle a apprises en portant une attention particulière à son corps pendant qu'elle dansait. Le concept de \gls{mémoire cellulaire} est également décrit dans cette livre. Bien que difficile de définir, ce concept élargit l’expérience de la perception au niveau cellulaire. Ainsi pour Hay, l’expérience de chaque cellule peut être ressentie individuellement. Dans sa thèse \textit{Dance in the light of neuroscience : sharing the experience of Deborah Hay's performance : her work and reflections}, la chercheuse Gabriela Karolczak part du postulat que la danse est une expérience partagée entre un danseur et un spectateur, enracinée dans le mécanisme neurologique des \gls{neurones miroirs}\cite{karolczak2011dance}. Pour elle, les point d'interrogation en danse, dont les neurosciences peuvent apporter des éléments de réponse, visent la validité écologique des expériences vécues. Le travail de Hay et la façon dont elle témoigne de ses observations empiriques à travers des décennies de pratique, transforment ses spectateurs en participants actifs à ses questionnements. D’ailleurs le credo artistique de Hay est défini de façon suivante: \begin{quote} ``Sans que ce soit mon intention, la danse est devenue un moyen d’étude et d’application du détachement. En fait, je préfère le terme de détachement car il implique un rôle plus actif dans le lâcher prise. L’équilibre entre la fidélité et le désattachement de cette fidélité, d'une façon sensulle et chorégraphique, est la manière dont la pratique de la danse reste vivante pour moi \footnote{``Without it being my intention, dance has become a medium for the study and application of detachment. Actually, I prefer the term dis-attachment because it implies a more active role in letting go. The balance between loyalty and dis-attachment to that loyalty, sensually and choreographically, is how the practice of dance remains alive for me.”- December 2010}.” @@ -392,72 +393,66 @@ Son troisième livre \textit{My Body, The Buddhist}, est publié par la suite à Plus que des repères, ces œuvres et chorégraphes que j'ai mentionné ont apporté leur contribution à l'histoire de la danse tout au long du XXéme siècle. Par leur existence, elles ont ouvert le chemin de l’expérimentation en transformant la danse en moyen d’écriture corporelle. Reste à voir comment l'usage des nouvelles technologies va influencer les formes d'expression de cet art. -À travers une approche sensorielle du mouvement et de la performance, la chorégraphe Deborah Hay partage les ressorts intimes de sa création artistique. Son livre \textit{My body, the Buddhist} met en avant le corps et son vécu. - +À travers une approche sensorielle du mouvement et de la performance, la chorégraphe Deborah Hay partage les ressorts intimes de sa création artistique avec les danseurs avec lesquelles elle travaille. Son livre \textit{My body, the Buddhist} constitue un journal intime de ses expérimentations et hésitations concernant cette voie du corps et son vécu. \section{Notations de danse} -Comme l'affirme Violeta Salvatierra dans sa thèse, outre les pratiques somatiques et l'improvisation dansée, un troisième champ de ressources pour mieux redéfinir et comprendre la danse, est celui de l'analyse du geste: + +Outre les pratiques somatiques et l'improvisation dansée, un troisième champ de ressources pour mieux redéfinir et comprendre la danse, est celui de l'analyse du geste. Dans sa thèse, Salvatierra explique les liens entre les pratiques d'analyse du geste et les notations en danse: \begin{quote} -``Également nommée``approche qualitative de l'analyse du mouvement” (j'utiliserai ces deux expressions indistinctement), l'analyse du geste a été développée par Hubert Godard, Odile Rouquet et d'autres danseur·ses en France depuis les années 1980, et partage des racines communes avec les techniques somatiques, dont elle se nourrit. Elle regroupe également des savoirs en biomécanique et en anatomie du mouvement humain, en relation avec des savoirs pédagogiques. Elle est historiquement reliée à la constitution de la discipline de l’analyse fonctionnelle du mouvement du corps dansé (dérivée de celle antérieurement connue sous l’appellation de``kinésiologie de la danse”), et travaille, comme les méthodes somatiques, avec lesquelles elle partage de nombreux enjeux, sur la plasticité sensorimotrice et sur la capacité de moduler les différents paramètres qui colorent la qualité expressive du geste.” +``Elle (ndlr. l'analyse du geste) regroupe également des savoirs en biomécanique et en anatomie du mouvement humain, en relation avec des savoirs pédagogiques. Elle est historiquement reliée à la constitution de la discipline de l’analyse fonctionnelle du mouvement du corps dansé (dérivée de celle antérieurement connue sous l’appellation de``kinésiologie de la danse”), et travaille, comme les méthodes somatiques, avec lesquelles elle partage de nombreux enjeux, sur la plasticité sensorimotrice et sur la capacité de moduler les différents paramètres qui colorent la qualité expressive du geste.” \end{quote} -Avant l’apparition du numérique, archiver la danse par écrit a été une manière de garder intacte le patrimoine culturel de chaque époque. Si le mouvement humain partage avec la musique les caractéristiques propres à cette dernière - hauteur, force, durée, rythme- l’expression corporelle comporte en plus un aspect tridimensionnel particulièrement difficile à rendre en deux dimensions. Bien que la danse s’écrit et se lit sur des partitions depuis le Moyen Age, le XXe siècle a apporté de l’innovation dans ce domaine. Pour décrire la fluidité du mouvement, déterminer sa durée et sa dynamique dans l'espace, ainsi que les singularités de l'interprète, les chorégraphes et chercheurs ont recours à des systèmes de notation plus complexes. Ainsi les plus connus outils d'analyse et de transcription de la danse traduisent les mouvements de manière spécifique en utilisant des notations musicales et des silhouettes, des symboles abstraits, des lettres ou des abréviations. Leur objectif est d’améliorer et répertorier les performances dansées dans la culture occidentale, mais aussi d'avoir une vision d'ensemble de ses caractéristiques. +Une raison pratique pour la quelle cette pratique s'est développée, est le fait de garder une trace des chorégraphies. Avant l’apparition du numérique, archiver la danse par écrit a été une manière de garder intacte le patrimoine culturel de chaque époque. Si le mouvement humain partage avec la musique les caractéristiques propres à cette dernière - hauteur, force, durée, rythme- l’expression corporelle comporte en plus un aspect tridimensionnel particulièrement difficile à rendre en deux dimensions. Bien que la danse s’écrit et se lit sur des partitions depuis le Moyen Age, le XXe siècle a apporté de l’innovation dans ce domaine. Pour décrire la fluidité du mouvement, déterminer sa durée et sa dynamique dans l'espace, ainsi que les singularités de l'interprète, les chorégraphes et chercheurs ont recours à des systèmes de notation plus complexes. Ainsi les plus connus outils d'analyse et de transcription de la danse traduisent les mouvements de manière spécifique en utilisant des notations musicales et des silhouettes, des symboles abstraits, des lettres ou des abréviations. Leur objectif est d’améliorer et répertorier les performances dansées dans la culture occidentale, mais aussi d'avoir une vision d'ensemble de ses caractéristiques. \subsection{La notation Laban} -Le système de notation Laban, appelé aussi la cinétographie Laban, est un système d’écriture et d’analyse du mouvement du corps humain publié en 1928 par le chorégraphe et pédagogue hongrois Rudolf Laban. Selon Goddard, ``l’impuissance à saisir par notre organisation linguistique le sens profond du mouvement” a amenée Laban vers la mise au point de son système de notation. Sous le nom de Laban Movement Analysis, il développera ultérieurement \textit{la choreutique} ou harmonie du corps dans l'espace et \textit{l'eukinétique} ou étude de la dynamique du mouvement. Ces principes opposent pour Goddard ``pensée motrice et pensée en mots”.\smallskip +Le système de notation Laban, appelé aussi la cinétographie Laban, est un système d’écriture et d’analyse du mouvement du corps humain publié en 1928 par le chorégraphe et pédagogue hongrois Rudolf Laban. Selon Goddard, ``l’impuissance à saisir par notre organisation linguistique le sens profond du mouvement” a amenée Laban vers la mise au point de son système de notation. Sous le nom de Laban Movement Analysis, il développera ultérieurement \textit{la choreutique} ou harmonie du corps dans l'espace et \textit{l'eukinétique} ou étude de la dynamique du mouvement. Ces principes opposent pour Goddard ``pensée motrice et pensée en mots”. + Les principaux symboles de ce système sont les signes de direction avec leur durée et orientation, classifiés en formes et motifs pour déterminer la partie du corps concernée par le mouvement. Le placement des signes sur la portée donne une simultanéité des mouvements (lecture horizontale) et une succession (lecture verticale). Les distances, les relations avec des partenaires ou avec des objets, les micro-mouvements ou encore le dessin des déplacements au sol sont indiqués par des signes spécifiques. Laban définit également \textit{la kinésphère} comme un espace imaginaire personnel placé autour d'une personne et accessible directement via ses membres tendus dans toutes les directions, jusqu'au bout des doigts et des pieds. Dans une kinésphère, les changements de forme peuvent être statiques- comme les changements de posture ou dynamiques- comme la manière dont le corps évolue activement d'un point à un autre dans l'espace. Ce concept clé dans l'analyse du mouvement est étroitement lié à la qualité du mouvement, définie en lien avec la notion de qualité de la forme dans une chorégraphie. +\begin{figure} + \centering + \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/laban} + \caption{Exemple de notation Laban. Source: https://www.britannica.com/art/labanotation} + \label{fig:laban} +\end{figure} \subsection{La notation Benesh} -Apparu à Londres en 1955 sous le nom de Benesh Movement Notation, ce système de notation a été créé par Rudolf Benesh, musicien et mathématicien. L’objectif de la notation Benesh est de codifier de façon concise par l'écriture, tous les mouvements possibles du corps humain - à la manière d'une partition de musique. Autre que l’analyse de mouvement chorégraphique, cette notation sera utilisée conjointement dans le domaine de l’ergonomie, de la médecine et de l’anthropologie de la danse. Entre autres, la notation Banesh fait partie d'un projet pilote réalisé avec le Centro di Educazione Motoria de Florence en 1967. Cela permet d’analyser les déficiences musculaires et contribue au traitement des enfants souffrant de paralysie cérébrale. Des physiothérapeutes basés en Suède et au Japon étudieront également le potentiel de la notation comme outil d’observation clinique et d’analyse pourent des créations chorégraphiques. La maîtrise de la grammaire pour l’an le suivi des patients. Cependant la notation Benesh est principalement utilisée aujourd'hui comme outil d'enregistrement et d'analyse du mouvement est claire et simple: lu de haut en bas, les cinq lignes du cadre de notation coïncident avec les positions de la tête, des épaules, de la taille, des genoux et des pieds. Des points ou des lignes délimitent la position et le mouvement de chaque articulation. +Apparu à Londres en 1955 sous le nom de Notation de Mouvement Benesh, ce système de notation a été créé par Rudolf Benesh, musicien et mathématicien. L’objectif de la notation Benesh est de codifier de façon concise par l'écriture, tous les mouvements possibles du corps humain - à la manière d'une partition de musique. Autre que l’analyse de mouvement chorégraphique, cette notation sera utilisée conjointement dans le domaine de l’ergonomie, de la médecine et de l’anthropologie de la danse. Entre autres, la notation Banesh fait partie d'un projet pilote réalisé avec le Centro di Educazione Motoria de Florence en 1967. Cela permet d’analyser les déficiences musculaires et contribue au traitement des enfants souffrant de paralysie cérébrale. Des physiothérapeutes basés en Suède et au Japon étudieront également le potentiel de la notation comme outil d’observation clinique et d’analyse pourent des créations chorégraphiques. La maîtrise de la grammaire pour l’an le suivi des patients. Cependant la notation Benesh est principalement utilisée aujourd'hui comme outil d'enregistrement et d'analyse du mouvement est claire et simple: lu de haut en bas, les cinq lignes du cadre de notation coïncident avec les positions de la tête, des épaules, de la taille, des genoux et des pieds. Des points ou des lignes délimitent la position et le mouvement de chaque articulation. +\begin{figure} + \centering + \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/benesh} + \caption{Exemple d'une notation Benesh.Source: https://larevue.conservatoiredeparis.fr/index.php?id=298} + \label{fig:benesh} +\end{figure} + \subsection{La notation Eshkol-Wachman} -La notation de mouvement Eshkol-Wachman est un système d'enregistrement de mouvement développé en Israël par la chorégraphe Noa Eshkol et l'architecte Abraham Wachman. Apparu en 1958, ce système a été créé pour la danse, afin de permettre aux chorégraphes et aux danseurs de reconstituer tout type de mouvement de danse contemporaine dans son intégralité. En comparaison avec la plupart des systèmes de notation et analyse de mouvement, Eshkol-Wachman est destinée à noter n'importe quel type de mouvement- sur papier ainsi que sur l’ordinateur. Grâce à cela, il est utilisé dans de nombreux domaines, notamment la danse, la médecine ou l’éthologie. Des observations psychomotrices, cognitives et socio-émotionnelles en lien avec l'apprentissage de ce système, ont encouragé les chercheurs à mettre en place des études pilote quant à leur impact sur des phénomènes de coordination de mouvement \cite{art_EShkol} qui pourraient servir comme moyen de détection des formes d’autisme. -Selon son fondateur, Noa Eshkol ce système est également un outil d'apprentissage qui peut aider les gens à regarder différemment le mouvement: -\begin{quote} -``Eshkol-Wachman Movement Notation is a thinking tool that can teach people the art of observation, i.e. encourage them to aspire for the ultimate level of seeing. It does so by organizing the ‘material’ known as movements of the human body in relatively simple categories, thereby allowing us an insight (in-sight) into the complexity of this phenomenon as a whole.” -\end{quote} -Ainsi, dans la notation Eshkol-Wachman le corps est divisé en articulations où chaque paire d'articulations définit un segment de ligne. Chaque système articulé des axes tient compte des relations spatiales et des changements des relations entre différentes parties du corps. Le résultat est un processus analytique, entre le corps, l’espace et le temps dans un référentiel sphérique où les directions et les trajectoires de chaque partie du corps sont répertoriées. Quand une extrémité d'un segment de ligne est maintenue dans une position fixe, ce point est le centre de la sphère dont le rayon est la longueur du segment de ligne. Les positions de l'extrémité libre sont définies comme deux valeurs de coordonnées sur la surface de cette sphère, analogues à la latitude et à la longitude d’un globe mais écrites sous la forme des fractions avec le nombre vertical écrit au-dessus du nombre horizontal. +La notation de mouvement Eshkol-Wachman est un système d'enregistrement de mouvement développé en Israël par la chorégraphe Noa Eshkol et l'architecte Abraham Wachman. Moshe Feldenkrais pratiquait ce type de notation, comme expliqué dans sa collection d'exercices\cite{feldenkrais1987lessons}. Apparu en 1958, ce système a été créé pour la danse, afin de permettre aux chorégraphes et aux danseurs de reconstituer tout type de mouvement de danse contemporaine dans son intégralité. En comparaison avec la plupart des systèmes de notation et analyse de mouvement, Eshkol-Wachman est destinée à noter n'importe quel type de mouvement au travers des chiffres. Cela peut se reproduire facilement sur l'ordinateur, comme dans l'exemple de la librairie software \textit{MOVement-oriented animation Engine} (MovEngine) développée à Salzburg University entre 2008 et 2013. \cite{drewes2016movengine} montre comment la notation Laban et la notation Eshkol-Wachman ont inspiré la conception de cette librairie. -Ces systèmes de notation ont permis la transmission de la danse dans des domaines scientifiques, comme la robotique. Les descriptions de mouvement sont libérés de l’analyse sémiotique des gestes, des qualificatifs et jugements qui donnent une valeur subjective à l'acte artistique. Elles retranscrivent les déplacements et les mouvements corporels dans l'espace et le temps avec la précision d'une partition musicale. C'est pour cela qu'il me semble important de les mentionner ici, comme préambule pour les retranscriptions de mes propres mouvements que je vais présenter au dernier chapitre de cette thèse. Ces retranscriptions font partie de mon cahier de bords dans une forme hybride mélangeant à la fois des notions de Benesh, avec des dessins et des gribouillages. - +Ainsi, dans la notation Eshkol-Wachman le corps est divisé en articulations où chaque paire d'articulations définit un segment de ligne. Chaque système articulé des axes tient compte des relations spatiales et des changements des relations entre différentes parties du corps. Le résultat est un processus analytique, entre le corps, l’espace et le temps dans un référentiel sphérique où les directions et les trajectoires de chaque partie du corps sont répertoriées. Quand une extrémité d'un segment de ligne est maintenue dans une position fixe, ce point est le centre de la sphère dont le rayon est la longueur du segment de ligne. Les positions de l'extrémité libre sont définies comme deux valeurs de coordonnées sur la surface de cette sphère, analogues à la latitude et à la longitude d’un globe mais écrites sous la forme des fractions avec le nombre vertical écrit au-dessus du nombre horizontal. +\begin{figure} + \centering + \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/eshkol} + \caption{Exemple de notation Eshkol-Wachman immplementé dans une interface numérique. Source: photo du livre Dance Notations and Robot Motions de J.P. Laumond (2016)} + \label{fig:eshkol} +\end{figure} + + +Ces systèmes de notation ont permis la transmission de la danse dans des domaines scientifiques, comme la robotique. Jean-Pierre Laumond parle de cette association entre notation en danse et robotique, afin de mieux comprendre les fondements informatiques d'une action anthropomorphique\cite{laumond2016dance}: +\begin{itemize} +\item ``Comment une action anthropomorphique se décompose en une séquence de mouvements ? +\item Comment un état émotionnel se reflète dans un mouvement ? +\item Comment décrire une danse en termes d'une séquence de mouvements élémentaires ?” +\end{itemize} +Les descriptions de mouvement sont libérés de l’analyse sémiotique des gestes, des qualificatifs et jugements qui donnent une valeur subjective à l'acte artistique. Elles retranscrivent les déplacements et les mouvements corporels dans l'espace et le temps avec la précision d'une partition musicale. C'est pour cela qu'il me semble important de les mentionner ici, comme préambule pour les retranscriptions de mes propres mouvements que je vais présenter au dernier chapitre de cette thèse. Ces retranscriptions font partie de mon cahier de bords dans une forme hybride mélangeant à la fois des notions de Benesh, avec des dessins et des gribouillages. + \section*{Conclusion} -I.137 -Pratiques somatiques et quête de l’intelligence sensorielle -I.1.1 Cultiver l’intelligence sensorielle plus un plateau : les multiples facettes -des pratiques somatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . -I.1.1.1 B.M.C . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . -I.1.1.2 Feldenkreis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . -I.1.1.3 Viewpoints . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . -I.1.1.4 Jinen Butō . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . -I.1.1.5 Gaga . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . -I.1.2 Le Shaking comme outil de travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . -I.1.2.1 Contexte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . -I.1.2.2 Exemple d’exploration sensorielle avec du shaking inspiré par -la technique TRE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . -I.1.3 Renouvellement des approches chorégraphiques dans l’histoire de la -danse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . -I.1.3.1 Anna Halprin et son taking part process . . . . . . . . . . . . -I.1.3.2 Deborah Hay is playing awake . . . . . . . . . . . . . . . . . . -I.1.4 Notations de danse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . -I.1.4.1 La notation Laban . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . -I.1.4.2 La notation Benesh . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . -I.1.4.3 La notation Eshkol-Wachman . . . . . . . . . . . . . . . . . . -Pratiques somatiques et quête de l’intelligence sensorielle -Cultiver l'intelligence sensorielle plus un plateau: les multiples facettes des pratiques somatiques -BMC -Feldenkreis -Viewpoints -Jien -Gaga -Le Shaking comme outil de travail -Exemple d’exploration sensorielle avec du shaking inspiré par la technique TRE -Renouvellement des approches chorégraphiques dans l’histoire de la danse -Anna Halprin -D. Hay -Notations +Ce premier chapitre explique les concepts en lien avec la danse et l'approche que j'utilise, notamment l'intelligence sensorielle et . +Il commence par une contextualisation des pratiques somatiques et outils de travail sur le plateau, que j'ai pu expérimenter depuis 2013: BMC, Feldenkrais,Viewpoints, Jien Butō et Gaga parmi autres. Un sous-chapitre dédié au Shaking, avec une exemple d'exploration sensorielle en pratique d’échauffement corporel synthétise mes observations et applications empruntés à ce différents techniques. +Il se continue avec une présentation des chorégraphes qui ont œuvré pour un renouvellement des formes dont je mentionne ceux dont le travail m'a le plus marqué et dont je me sens inspirée comme Anne Teresa de Keersmaeker, Dimitri Papaioannu, Wim Vandekeybus ou Lia Rodriguez. Vient ensuite une section dédiée à Anna Halprin et Deborah Hay comme chorégraphes et chercheuse qui ont pensé différemment le corps, en ouvrant la voie vers la danse postmoderne. En fin de chapitre, la partie dédiée aux systèmes de notation en danse Laban, Eshkol-Wachman et la notation Benesh que j'ai pu expérimenter lors d'un atelier d'initiation donné par Logan Sandrige en 2022, anticipe une manière plus concrète d'apercevoir le mouvement. + \clearpage % \acrshort{ca} @@ -466,55 +461,57 @@ Notations \textit{Affective schemas remain unconscious when not matched with accommodation.} J. Piaget -Notre recherche-création est pensée comme un exercice d'imagination et de spéculation. L’interprétation que je donne au concept de \gls{conscience artificielle} ou CA est pensée en lien avec des réflexions éthiques sur l'avènement de la technologie et son impact sur notre société. Puisque des disciplines tels la psychologie, la neurologie et les neurosciences ou la philosophie, n’arrivent pas à se mettre d’accord sur ce que le terme \gls{conscience} humaine désigne, imaginer son équivalent artificiel reste ici une simple projection artistique. Cependant les artefacts dont elle est issue, leur spécificité et capacités sont des paramètres que j'ai pu étudier de prêt, en observant leur rapport à l'\gls{intelligence} et l’\gls{adaptation}. Je souligne dans le même temps que des termes tels la conscience, l'intelligence ou l'adaptation ont des significations spécifiques, selon le domaine où elles opèrent. +Notre recherche-création est pensée comme un exercice d'imagination et de spéculation. L’interprétation que je donne au concept de \gls{conscience artificielle} (CA) est pensée en lien avec des réflexions éthiques sur l'avènement de la technologie et son impact sur notre société. Puisque des disciplines tels la psychologie, la neurologie et les neurosciences ou la philosophie, n’arrivent pas à se mettre d’accord sur ce que le terme \gls{conscience} humaine désigne, d'imaginer son équivalent artificiel reste ici une simple projection artistique. Cependant des artefacts comme les robots (dont elle pourrait un jour être issue), leur spécificité et capacités sont des paramètres que j'ai pu étudier de prêt, en observant leur rapport à l'\gls{intelligence} et l’\gls{adaptation}. Je suis consciente que des termes tels la conscience, l'intelligence ou l'adaptation ont des significations spécifiques, selon le domaine où elles opèrent. Une grande partie de ces mots-clé et leurs notions connexes, sont définis dans le glossaire en fin de manuscrit. Des autres comme les pratiques somatiques par exemple, émergent en lien avec une discipline (la danse) et je cherche leur équivalent dans d'autres domaines. Pour parler pratiques somatiques dans la robotique, je tente d'abord revendiquer des sous-domaines dans la robotique qui pourraient être intéressés par cela. -Bien qu'ils sont au cœur des investissements économiques actuelles, les robots ne sont pas encore accessibles à grande échelle. Pour ouvrir le débat, prenons le cas de l’ordinateur comme exemple d'artefact auquel nous interagissons le plus. Il a été construit grâce à des modélisation mathématiques d'opérations logiques de calcul. Sa puissance de calcul est impressionnante, mais il n'est pas doté d'une intelligence propre: +Bien qu'ils sont au cœur des investissements économiques actuelles, les robots ne sont pas encore accessibles à grande échelle. Pour ouvrir le débat, prenons le cas de l’ordinateur comme exemple d'artefact électrique auquel nous interagissons le plus. Il a été construit grâce à des modélisation mathématiques d'opérations logiques de calcul. Comme bien l'explique l'artiste et chercheur Simon Penny la puissance de calcul d'un ordinateur est impressionnante, mais il n'est pas doté d'une intelligence propre: \begin{quote} -``The computer is a machine for manipulating symbols. The world is not symbols; we turn the world into symbols for the computer. Humans are the analog to digital interface between the world and the internet. The world remains outside the computer and outside the symbolic, but under the hegemony of the digital, the conflation of the products of computing with the world, bizarrely, goes -unremarked.” \cite{penny2017mit} +``L'ordinateur est une machine à manipuler des symboles. Le monde n’est pas constitué de symboles ; nous transformons le monde en symboles pour l'ordinateur. Les humains deviennent une interface analogique-numérique entre le monde et Internet. Le monde reste en dehors de l’ordinateur et du symbolique, mais bizarrement, l’amalgame des produits informatiques avec le monde, passe inaperçu sous l’hégémonie du numérique +\footnote{en version originale: ``The computer is a machine for manipulating symbols. The world is not symbols; we turn the world into symbols for the computer. Humans are the analog to digital interface between the world and the internet. The world remains outside the computer and outside the symbolic, but under the hegemony of the digital, the conflation of the products of computing with the world, bizarrely, goes unremarked.”}.” \cite{penny2017mit} \end{quote} -Néanmoins, sa grande capacité d’analyse de données et son potentiel de interconnexion le rendent indispensable. En contrepoids, l’accumulation continuelle des données, identifiée sous le nom de \gls{big data}, pose de plus en plus des problèmes d’analyse. Rajouter à cela le fait qu'aucune machine n’est capable d’interpréter des données sans l’aide d'un humain qui configure en amont les critères de l’analyse. Même pour un informaticien spécialiste en \gls{deep learning}, la phase où l’algorithme apprend puis s’entraîne pour s’améliorer, reste opaque. Nous assistons à des comportements et phénomènes cryptiques de la machine et leur effet sur la compréhension de l’humain. Nous composons avec cette réalité partielle. Selon le degré de maîtrise ou les compétences, nous sommes capables d'expliquer plus ou moins un effet ou un comportement en lien avec ces dispositifs technologiques. - -Par cette thèse, mon but est d'interroger la façon dont les robots influencent des nouvelles formes d’expressivité corporelle dans une performance de danse. J'accorde une grande importance aux accidents qui surgissent dans ce type d’interaction, en les utilisant comme catalyseurs pour mon inspiration artistique. +Néanmoins, sa grande capacité d’analyse de données et son potentiel d'interconnexion le rendent indispensable. En contrepoids, l’accumulation continuelle des données, identifiée sous le nom de \gls{big data}, pose de plus en plus des problèmes d’analyse. Rajouter à cela le fait qu'aucune machine n’est capable d’interpréter des données sans l’aide d'un humain qui configure en amont les critères de l’analyse. Même pour un informaticien spécialiste en \gls{deep learning}, la phase où l’algorithme apprend puis s’entraîne pour s’améliorer, reste opaque. Nous assistons à des comportements et phénomènes cryptiques de la machine et leur effet sur la compréhension de l’humain. Nous composons avec cette réalité partielle. Selon le degré de maîtrise ou les compétences, nous sommes capables d'expliquer plus ou moins un effet ou un comportement en lien avec ces dispositifs technologiques. +Par cette thèse, mon but est d'interroger la façon dont les robots influencent des nouvelles formes d’expressivité corporelle dans une performance de danse. J'accorde une grande importance aux accidents qui surgissent dans ce type d’interaction, en les utilisant comme catalyseurs pour mon inspiration artistique. Pour mieux comprendre les processus cognitives qui ont lieu lors des interactions artistiques avec les robots, une mise à point concernant les recherches en sciences cognitives m'a été nécessaire. Ce domaine, né dans les années 1950 aux États-Unis, regroupe plusieurs disciplines scientifiques (parmi lesquelles les neurosciences et l'intelligence artificielle) qui cherchent à expliquer la cognition artificielle et la cognition naturelle. \section{L'approche cognitiviste} -Dans les années 1990, Varela, Thompson et Rosch écrivent \textit{The Embodied Mind- Cognitive Science and Human Experience}\cite{varela2017mit} pour faire un état de lieu des sciences cognitives. Plus précisément, ils analysent la façon dont le cerveau, le corps et l’environnement sont intégrés dans la cognition et lient l’avènement des sciences cognitives à la cybernétique. Parmi les principes qui ont le plus impacté l'évolution des sciences cognitives, ils listent: +Dans les années 1990, Varela, Thompson et Rosch écrivent \textit{The Embodied Mind- Cognitive Science and Human Experience}\cite{varela2017mit} afin de faire un état de lieu des sciences cognitives. Plus précisément, ils analysent la façon dont le cerveau, le corps et l’environnement sont intégrés dans la cognition. Ils lient l’avènement des sciences cognitives à la cybernétique. Parmi les principes qui ont le plus impacté l'évolution des sciences cognitives, ils listent: \begin{itemize} \item l’utilisation de la logique mathématique pour modéliser le système nerveux en neurosciences \item l’utilisation des algorithmes de calcul et statistique pour définir une IA en informatique \end{itemize} Plus tard, cela a également contribué à la mise en pratique de la théorie des systèmes en ingénierie, tout comme à la théorie du contrôle en robotique et aux premiers exemples de systèmes artificielles auto-organisés. -Lors des dernières décennies, les sciences cognitives ont suscité beaucoup de débats entre les prises de position fonctionnelles des neurobiologistes (qui ignorent le rôle du corps), les phénoménologues et philosophes qui visent un vécu expérientiel. Dans les années à venir, l'impact des théories en lien avec la cognition sur d'autres domaines de connaissance tels la robotique, reste non-négligeable.\smallskip -Selon l'école qui la revendique, la cognition et ses propriétés sont sujet à des multiples points de vue et des oppositions.Pour témoigner de la difficulté d'employer les termes qui concernent ce chapitre, et les appartenances que chaque champ revendique, nous nous appuyons sur les observations de l’artiste Simon Penny. Dans son anthologie \textit{Making sense: cognition, computing, art and embodiment}, Penny énumère les quelques termes que j'emploie lors de cet état d'art, avec la polémique qui les entoure: +Lors des dernières décennies, les sciences cognitives ont suscité beaucoup de débats entre les prises de position fonctionnelles des neurobiologistes qui ignorent le rôle de l’expérience subjective et les phénoménologues qui analysent le vécu expérientiel, sans s’intéresser aux processus physiologiques du corps. Les applications en lien avec la cognition vont révolutionner plusieurs domaines d'activité dont la robotique, une fois ces deux perspectives complémentaires sont acceptés par les différentes communautés scientifiques. + +Selon l'école qui la revendique, la cognition et ses propriétés sont sujet à des multiples points de vue et d'oppositions. Pour témoigner de la difficulté d'employer les termes qui concernent ce chapitre, et les appartenances que chaque champ revendique, nous nous appuyons sur les observations de l’artiste Simon Penny. Dans son anthologie \textit{Making sense: cognition, computing, art and embodiment}, Penny énumère les quelques termes que j'emploie lors de cet état d'art, avec la polémique qui les entoure: \begin{quote} -``(...) the autopoietic conception of cognition is incompatible with the cognitivist conception (which is derived from Anglo-American analytic philosophy, though ana­lytic philosophers have accused cognitivists of being a bit sloppy). Continen­tal philosophers (phenomenologists) draw distinctions differently. When Lakoff and Johnson talk about the cognitive unconscious, their conceptions of the conscious and unconscious diverge from Freudian ideas. One reason for this confusion of terminology is precisely the condition of the paradigm shift itself. Neologisms -(some of them clunky) and borrowings from other languages abound because existing language is built around dualist concepts. New language is needed. Maturana and Varela coine \gls{autopoiesis}. Gibson invented \gls{affordance}. Likewise \gls{umwelt} and \gls{enactivism} and other terms are now part of a new vocabulary.”\cite{penny2017mit} +``la perspective autopoïétique de la cognition est incompatible avec la perspective cognitiviste (qui dérive de la philosophie analytique anglo-américaine, même si les philosophes analytiques ont accusé les cognitivistes d'être un peu négligents). Les philosophes continentaux (phénoménologues) établissent des distinctions différemment. Lorsque Lakoff et Johnson parlent de l’inconscient cognitif, leurs conceptions du conscient et de l’inconscient s’écartent des idées freudiennes. L’une des raisons de cette confusion terminologique résident dans le changement de paradigme lui-même. Néologismes +(certains d'entre eux maladroits) et des emprunts à d'autres langues abondent parce que le langage existant est construit autour de concepts dualistes. Un nouveau langage est nécessaire. Maturana et Varela inventent l' \gls{autopoiesis}. Gibson propose l' \gls{affordance}. De même, \gls{umwelt} et \gls{enactivism} et d'autres termes font désormais partie d'un nouveau vocabulaire +\footnote{en version originale: ``the autopoietic conception of cognition is incompatible with the cognitivist conception (which is derived from Anglo-American analytic philosophy, though ana­lytic philosophers have accused cognitivists of being a bit sloppy). Continen­tal philosophers (phenomenologists) draw distinctions differently. When Lakoff and Johnson talk about the cognitive unconscious, their conceptions of the conscious and unconscious diverge from Freudian ideas. One reason for this confusion of terminology is precisely the condition of the paradigm shift itself. Neologisms +(some of them clunky) and borrowings from other languages abound because existing language is built around dualist concepts. New language is needed. Maturana and Varela coine \gls{autopoiesis}. Gibson invented \gls{affordance}. Likewise \gls{umwelt} and \gls{enactivism} and other terms are now part of a new vocabulary.”.”} +\cite{penny2017mit} \end{quote} -La plupart de ces termes sont explicités dans le Glossaire de la fin de cette thèse et vont être traitées selon le contexte. \subsection{Le cognitivisme} -Les préoccupations actuelles de scientifiques s'orientent vers un renouvellement de la vision traditionnelle du cognitivisme. Ce courant a été fondé dans les années 1950, autour de représentations et de calculs mentaux. Ses principes ont été promus entre outre par les recherches de épistémologiste suisse Jean Piaget (1896-1980) sur la biologie du développement des enfants. +Les préoccupations actuelles de scientifiques s'orientent vers un renouvellement de la vision traditionnelle du cognitivisme. Ce courant a été fondé dans les années 1950, autour de représentations et de calculs mentaux. Ses principes ont été promus entre outre par les recherches de l'épistémologiste suisse Jean Piaget (1896-1980) sur la biologie du développement des enfants. Les découvertes de Piaget ont ensuite influencée le \gls{constructivisme} qui place l'expérience au cœur de l'acquisition des savoirs. Des modèles théoriques inspirés par le cognitivisme, emploient les mécanismes de construction active des savoirs au centre des expérimentations pratiques. -\smallskip -Un des objectifs du cognitivisme est de démontrer comment les états intentionnels qui ont des propriétés causales (ie. désirs, intentions), sont physiquement possibles et capables d'induire un comportement. Pour illustrer cela, Valera utilise la notion de \textit{calcul symbolique} où les calculs sont définis comme opérations sur des symboles qui respectent ou sont contraints par des valeurs sémantiques. Cependant il souligne combien c'est important de se rappeler qu’un ordinateur fonctionne seulement sur la forme physique des symboles qu’il calcule, puisqu’il n’a pas accès à leur valeur sémantique. Avec le temps, l’idée que la logique ne suffit pas pour simuler et comprendre le fonctionnement du cerveau a fait émerger de points de vue contradictoires parmi les chercheurs. Pour Varela l'intelligence réside dans la capacité de calcul des symboles: +Un des objectifs du cognitivisme est de démontrer comment les états intentionnels définis par des propriétés causales (ie. désirs, intentions), sont physiquement possibles et capables d'induire un comportement. Pour illustrer cela, Valera utilise la notion de \textit{calcul symbolique} où les calculs sont définis comme opérations sur des symboles qui respectent ou sont contraints par des valeurs sémantiques. Cependant il souligne combien c'est important de se rappeler qu’un ordinateur fonctionne seulement sur la forme physique des symboles qu’il calcule, puisqu’il n’a pas accès à leur valeur sémantique. Avec le temps, l’idée que la logique ne suffit pas pour simuler et comprendre le fonctionnement du cerveau a fait émerger de points de vue contradictoires parmi les chercheurs. Pour Varela l'intelligence réside dans la capacité de calcul des symboles: \begin{quote} -``The central intuition behind cognitivism is that intelligence—human intelligence included—so resembles computation in its essential characteristics that cognition can actually be defined as computations of symbolic representations. Clearly this orientation could not have emerged without the basis laid during the previous decade. The main difference was that one of the many original, tentative ideas was now promoted to a full-blown hypothesis, with a strong desire to set its boundaries apart from its broader, exploratory, and interdisciplinary roots, where the social and biological sciences figured preeminently with all their multifarious complexity.” (Varela P. 40) +``L’intuition centrale derrière le cognitivisme est que l’intelligence – y compris l’intelligence humaine – ressemble tellement au calcul dans ses caractéristiques essentielles, que la cognition peut en réalité être définie comme le calcul de représentations symboliques. Il est clair que cette observation n’aurait pas pu exister, sans les résultats obtenus au cours de la décennie précédente. La principale différence est qu'aujourd'hui l’une des nombreuses idées originales et provisoires, est désormais promue au rang d’hypothèse à part entière. Cela avec un fort désir de démarquer ses limites de ses racines exploratoires et interdisciplinaires, où les sciences sociales et biologiques occupent une place consacrée dans leur multiple complexité +\footnote{en version originale: ``The central intuition behind cognitivism is that intelligence—human intelligence included—so resembles computation in its essential characteristics that cognition can actually be defined as computations of symbolic representations. Clearly this orientation could not have emerged without the basis laid during the previous decade. The main difference was that one of the many original, tentative ideas was now promoted to a full-blown hypothesis, with a strong desire to set its boundaries apart from its broader, exploratory, and interdisciplinary roots, where the social and biological sciences figured preeminently with all their multifarious complexity.”}.” \cite{varela2017mit} \end{quote} -Le plus un systeme non-vivant est capable des calculs performants, le plus il devient intelligent. Cependant les sciences sociales apportent des nouvelles variables difficilement modélisables dans cette équation. Pas loin du début du XXe siècle, entre un vision matérialiste du monde et son contrepoids marqué par le dualisme corps-esprit, des philosophes tels Raymond Ruyer\cite{van1940raymond} ou Henri Bergson\cite{bergson1896matiere} traitent aussi de ces questions. Les deux expliquent l’activité cognitive par la réalité physiologique du cerveau et son lien avec le corps. Si Ruyer affirme que ``c’est du cerveau réel, de sa subjectivité, que naissent les sensations”, pour Bergson le cerveau est un instrument en relation avec le corps\cite{Andrieu} dont le mouvement est compris grâce à sa mécanique. En contrepoids, Ruyer souligne le fait que le cerveau, comme siège de la conscience, a d'abord un fonctionnement sensoriel: +Lorsqu’un système non-vivant est capable des calculs performants, il devient intelligent. Cependant les sciences sociales apportent des nouvelles variables difficilement modélisables dans cette équation. Pas loin du début du XXe siècle, entre un vision matérialiste du monde et son contrepoids marqué par le dualisme corps-esprit, des philosophes tels Raymond Ruyer\cite{van1940raymond} ou Henri Bergson\cite{bergson1896matiere} traitent aussi de ces questions. Les deux expliquent l’activité cognitive par la réalité physiologique du cerveau et son lien avec le corps. Si Ruyer affirme que ``c’est du cerveau réel, de sa subjectivité, que naissent les sensations”, pour Bergson le cerveau est un instrument en relation avec le corps\cite{Andrieu} dont le mouvement est compris grâce à sa mécanique. En contrepoids, Ruyer souligne le fait que le cerveau, comme siège de la conscience, a d'abord un fonctionnement sensoriel: \begin{quote} -``(...)le cerveau est le lieu de l’organisme par où passent les circuits externes, la fabrication des outils et des machines, la création des œuvres d’art, des institutions sociales, l’organisation et l’entretien de tous les produits de la culture. Le cerveau est en nous comme une +``le cerveau est le lieu de l’organisme par où passent les circuits externes, la fabrication des outils et des machines, la création des œuvres d’art, des institutions sociales, l’organisation et l’entretien de tous les produits de la culture. Le cerveau est en nous comme une partie embryonnaire conservée. (...) Le \textit{je} psychologique et cortical est le résultat d’un devenir mais second car il côtoie l’organique de sa mémoire corporelle. Cette coexistence est une intégration plutôt qu’un emboîtement, car l’activité de la conscience ne peut être séparée de son tissu vivant, se définissant ainsi comme une conscience sensorielle.” \cite{Andrieu} \end{quote} -Ces observations théoriques vont être confirmées par des chercheurs en neuroscience quelques décennies plus tard, puisque \textit{l'intégration} de Ruyer s’approche comme définition de {l'enactement} chez Varela et les autres. Dans le contexte spécifique de cette thèse pluridisciplinaire, les deux termes renvoient à l’intelligence du corps définie dans le chapitre précédent. Quant a une possible \textit{conscience du corps} et son vécu immanent, elles contiennent un savoir non-réfléchi et involontaire relevée par des pratiques somatiques et d’éveil corporel. En attribuant au mouvement une place primordiale dans la constitution de la sensibilité corporelle, nous souhaitons étudier son potentiel artistique. +Ces observations théoriques vont être confirmées par des chercheurs en neuroscience quelques décennies plus tard, puisque cette \textit{intégration} de Ruyer s’approche comme définition de l'\gls{enactivism} chez Varela et les autres. Dans le contexte spécifique de cette thèse pluridisciplinaire, les deux termes renvoient à l’intelligence du corps définie dans le chapitre précédent, notamment en lien avec le travail de Halprin sur le \gls{grounding}. Quant a une possible \textit{conscience du corps} et son vécu immanent, elles contiennent un savoir non-réfléchi et involontaire relevée par des pratiques somatiques et d’éveil corporel. En attribuant au mouvement une place primordiale dans la constitution de la sensibilité corporelle, nous souhaitons étudier son potentiel artistique. \subsection{La théorie 4E de la cognition} @@ -522,19 +519,19 @@ Ces observations théoriques vont être confirmées par des chercheurs en neuros %https://www.researchgate.net/publication/280447321_Introduction_to_the_Special_Issue_on_4E_Cognition -J'ai choisi de présenter le concept de cognition sous l’angle d'une théorie actuelle - \gls{The 4E Cognition Theory} dont les débats se concentrent sur le lieu où se trouve la cognition et son lien avec la perception et l’action. Cette ``théorie 4E de la cognition” défend l’hypothèse que la cognition est plus qu’un modèle cartésien d’opération dans le cerveau. L’idée que le cerveau est similaire à un ordinateur, met en avant des phénomènes cognitifs entièrement déterminés par leur rôle fonctionnel. Cependant ici les phénomènes cognitifs sont étudiés en lien avec leur environnement. Des processus comme les détails biologiques et physiologiques du corps d’un agent, définies comme des processus extra-crâniens, sont analysés en lien avec son environnement naturel actif. +J'ai choisi de présenter le concept de cognition sous l’angle de la Théorie 4E de la Cognition ou \gls{The 4E Cognition Theory}, dont les recherches se concentrent sur le lien entre la cognition, la perception et l’action. Cette théorie défend l’hypothèse que la cognition est plus qu’un modèle cartésien d’opération dans le cerveau. L’idée que le cerveau est similaire à un ordinateur, met en avant des phénomènes cognitifs entièrement déterminés par leur rôle fonctionnel. Cependant ici les phénomènes cognitifs sont étudiés en lien avec leur environnement. Des processus comme les détails biologiques et physiologiques du corps d’un agent, définies comme des processus extra-crâniens, sont analysés en lien avec son environnement naturel actif. Les caractéristiques principales de cette théorie se déclinent en quatre types de cognition: \begin{itemize} \item la cognition incarnée ou incorporée (ie. \gls{embodied cognition}) \item la cognition ancrée (ie. \gls{embedded cognition}) -\item la cognition énactée (ie. \gls{enacted cognition}) +\item la cognition énactée (ie. \gls{enacted cognition}) \item et la cognition étendue (ie. \gls{extended cognition}) \end{itemize} -Une des prémisses qui nous intéressent désigne l’activité perceptive-motrice comme constitutive pour la cognition\cite{motion_and_cognition}. Cela donne suite à deux hypothèses d’analyse: +Une des prémisses qui nous intéressent désigne l’activité perceptive-motrice comme constitutive pour la cognition\cite{motion_and_cognition}. Cela ramène dans la discussion le rôle des sens sur la coordination motrice et donne suite à deux hypothèses d’analyse: \begin{itemize} -\item l'hypothèse forte, selon laquelle les processus cognitifs sont essentiellement produites lors des processus extra-crâniens; +\item l'hypothèse forte, selon laquelle les processus cognitifs sont essentiellement produites lors des processus extra-crâniens, ou à l’extérieur de la boite crânienne; \item l’hypothèse faible, pour laquelle ces processus sont seulement à moitié résultats de l'activité extra-crânienne. \end{itemize} Dans le contexte de cette thèse, ces processus extra-crâniens correspondent à ce que nous avons défini dans le précédent chapitre comme \gls{intelligence du corps}. Puisque nous avons vu que la perception résulte de l'interaction entre le corps et environnement, une autre classification fait la différence entre les deux de la manière suivante: @@ -543,48 +540,53 @@ Dans le contexte de cette thèse, ces processus extra-crâniens correspondent à \item processus extracorporels (impliquant un couplage cerveau-corps-environnement). \end{itemize} -Si l’approche traditionnelle de la cognition se concentre sur la compréhension rationnelle des processus neuronaux, la théorie de la cognition 4E vise l'observation puis la compréhension instinctive d'une action incarnée dans le corps. Cela implique une nouvelle démarche où les phénomènes cognitifs sont étudiés sous un angle physiologique, suivant les observations empiriques de plusieurs domaines connexes. Par exemple, la propriété de la cognition d’être incorporée signifie être causalement dépendante de processus extracorporels en lien avec l’environnement. -Tandis que l’enaction\cite{rousseau2019mouvement} est définie par Varela en lien avec le couplage structural (en anglais \textit{structural coupling})- une double forme de cognition issue d'une interaction dynamique entre l’organisme et l'environnement, sorte de continuelle transformation des processus sensori-moteurs du corps et de l’environnement-même. L'approche de Varela s'appuie sur deux étapes: d'abord la perception est décrite comme une action guidée, ensuite les modèles sensori-motrices récurrents qui facilitent cette perception guidée, facilitent aussi l'apparition d'une forme de cognition. +Si l’approche traditionnelle de la cognition se concentre sur la compréhension des processus neuronaux, la théorie de la cognition 4E vise l'observation puis la compréhension instinctive d'une action incarnée dans le corps. Cela implique une nouvelle démarche où les phénomènes cognitifs sont étudiés sous un angle physiologique, suivant les observations empiriques de plusieurs domaines connexes. Par exemple, la propriété de la cognition d’être incorporée signifie être causalement dépendante de processus extracorporels en lien avec l’environnement. +Tandis que l’enaction\cite{rousseau2019mouvement} est définie par Varela en lien avec le couplage structural (en anglais \textit{structural coupling})- une double forme de cognition issue d'une interaction dynamique entre l’organisme et l'environnement. Cela représente une continuelle transformation des processus sensori-moteurs du corps et de l’environnement-même. L'approche de Varela s'appuie sur deux étapes: d'abord la perception est décrite comme une action guidée, ensuite les modèles sensori-motrices récurrents qui la facilitent, donnent suite à une forme de cognition en lien avec les sens: \begin{quote} -``(...)the point of departure for the enactive approach is the study of how the perciever can guide his actions in his local situation. Since these local situations constantly change as a result of the perciever's activity, the reference point for understanding perception is no longer a pregiven, perceiver-independant world but rather the sensori-motor structure of the perceiver(the way in which the nervous system links sensory qnd motor surfaces). This structue- the manner in which the perceiver is emboided- rather than some pregiven worl determines how the perceiver can act and be modulated by environmental events. Thus the overall concern of an enactive approach to perception is not to determine how some perciever-independant world is to be recovered; it is, rather, to determine the common principles of lawful linkages between sensory and motor systems that explain how action can be perceptually guided in a perceiver-dependant world. ” +``le point de départ de l'approche énactive est l'étude de la manière dont le sujet qui perçoit peut guider ses actions dans sa situation locale. Puisque ces situations locales changent constamment en fonction de l'activité du sujet, le point de référence pour comprendre la perception n'est plus un monde prédéterminé et indépendant de lui, mais plutôt la structure sensori-motrice du sujet (la manière dont le système nerveux relie les sens sensoriels et surfaces du moteur) +\footnote{en version originale: ``the point of departure for the enactive approach is the study of how the perciever can guide his actions in his local situation. Since these local situations constantly change as a result of the perciever's activity, the reference point for understanding perception is no longer a pregiven, perceiver-independant world but rather the sensori-motor structure of the perceiver (the way in which the nervous system links sensory and motor surfaces).”}.” +\cite{varela2017mit} \end{quote} -Dans son introduction au livre dédié à la théorie 4E\cite{menary2010springer}, le philosophe Richard Menary cherche à intégrer les éventuelles contradictions quant aux propretés de la cognition. Pour lui, les systèmes cognitifs sont multiples- résultat des fonctions biologiques en lien avec les représentation mentales. Cet caractère hétérogène de la cognition, valorise les multiples perspectives de connaissance de soi, l’expérience individuelle n’étant pas en contradiction avec les observations empiriques collectives. +Dans son introduction au livre dédié à la théorie 4E\cite{menary2010springer}, le philosophe Richard Menary cherche à intégrer les éventuelles contradictions quant aux propretés de la cognition. Pour lui, les systèmes cognitifs sont multiples- résultat des fonctions biologiques en lien avec les représentation mentales. Cet caractère hétérogène de la cognition, valorise les multiples perspectives de connaissance de soi, l’expérience individuelle n’étant pas en contradiction avec les observations empiriques collectives. A son tour, l'artiste et chercheur Simon Penny relie l'expérience du corps à celle de la cognition étendue: \begin{quote} - ``Cognition is held not to occur (exclusively) in the head or necessarily in some immaterial space of logical manipulation of symbolic tokens. These approaches propose, in different ways, that cognition is embodied; integrated with non-neural bodily tissues; or extended into artifacts, the designed environment,social systems, and cultural networks.” +``La cognition ne se produit pas de manière exclusive dans la tête, ni dans un espace immatériel de manipulation logique de jetons symboliques. Ces approches proposent, de différentes manières, que la cognition soit incarnée ; intégré aux tissus corporels non neuronaux ; ou étendu à des artefacts, à un environnement désigné, aux systèmes sociaux et aux réseaux culturels\footnote{en version originale: ``Cognition is held not to occur (exclusively) in the head or necessarily in some immaterial space of logical manipulation of symbolic tokens. These approaches propose, in different ways, that cognition is embodied; integrated with non-neural bodily tissues; or extended into artifacts, the designed environment, social systems, and cultural networks.”}.” \cite{penny2017mit} \end{quote} En appliquant ses principes à l'art, Penny ne vise pas seulement une des caractéristique de cette théorie élargie, pour lui le mot \textit{cognition} inclut au sens général chacune des composantes de la théorie 4E. En neurosciences cependant, les désaccords entre les comportementalistes et les cognitivistes quant aux implications de cette théorie dans des autres domaines, la situent au cœur des expérimentations actuelles. -En ce que nous concerne, nous souhaitons clarifier le lien entre la cognition définie selon la théorie 4E, la danse et la robotique, pour mieux comprendre ce concept émergeant de CA. Nous allons voir dans les prochaines pages comment la robotique s'inspire de cette théorie. Reste à voir dans quelle mesure la danse, ou l'art en général, se servent également sur ses principes. +En ce que nous concerne, nous souhaitons clarifier le lien entre la cognition définie selon la théorie 4E, la danse et la robotique, pour mieux comprendre ce concept émergeant de CA. Nous allons voir dans les prochaines pages comment la robotique s'inspire de cette théorie pour développer des robots ancrés dans leur environnent, capables d'interactions multimodales complexes. Reste à voir dans quelle mesure la danse, ou l'art en général, peut contribuer à une meilleure implémentation de ces principes. \subsection{La boucle perception-action-cognition} -Un autre concept qui contribue à cette théorie est la \gls{boucle perception-action-cognition}. Selon cette hypothèse théorique, la cognition est le résultat du couplage entre la perception et l'action d'un sujet sur son environnement. Les chercheurs Chris D. Frith et Thomas Metzinger\cite{frith2016stab} avancent l’idée que la conscience, en tant qu’expérience subjective et auto-reflexive, détermine les comportements. Ils remarquent que du point de vue de la théorie de l’évolution, la présence de la conscience, détectée chez certains animaux et humains, facilite une meilleure intégration et maîtrise de son environnement. De cette manière, la relation perception-action-cognition représente le cadre d’exploration idéal pour mieux comprendre les expériences subjectives: +Un autre concept qui contribue à cette théorie est la \gls{boucle perception-action-cognition}. Selon cette hypothèse théorique, la cognition est le résultat du couplage entre la perception et l'action d'un sujet sur son environnement. Les chercheurs Chris D. Frith et Thomas Metzinger\cite{frith2016stab} avancent l’idée que la conscience, en tant qu’expérience subjective et auto-reflexive, détermine les comportements. Ils remarquent que du point de vue de la théorie de l’évolution, la présence de la conscience, détectée chez certains animaux et humains, facilite une meilleure intégration et maîtrise de son environnement. De cette manière, la relation perception-action-cognition représente le cadre d’exploration idéal pour mieux comprendre les expériences subjectives: \begin{quote} + ``l'expérience consciente pourrait alors être un modèle unique et génératif de réalité comprenant un sujet agissant, percevant et pensant simultanément\footnote{en version originale: ``conscious experience could then be a single, generative model of reality including a mode - of the self as currently acting, perceiving, and thinking.”\cite{friston2016mit} + of the self as currently acting, perceiving, and thinking.”}.”\cite{friston2016mit} \end{quote} -Dans le livre \textit{4E Cognition: Historical Roots, Key Concepts, and Central Issues}/cite{newen20184e} (2018), Albert Newen, Shaun Gallagher, and Leon De Bruin intérrogent la place des \textit{répresentations} dans l'incorporation ou comment le couplage entre cerveau, corps et environnement est interprété par la cognition. Le chapitre \textit{Brain–Body–Environment Coupling and Basic Sensory} explore le concept \textit{d’intentionnalité} comme caractéristique de la conscience. Ainsi, selon l'hypothèse pour laquelle la perception est orientée vers l’action, l’intentionnalité motrice dévient un des facteurs clé : +Dans le livre \textit{4E Cognition: Historical Roots, Key Concepts, and Central Issues}/cite{newen20184e} (2018), Albert Newen, Shaun Gallagher, and Leon De Bruin intérrogent la place des \textit{répresentations} dans l'incorporation ou comment le couplage entre cerveau, corps et environnement est interprété par la cognition. Le chapitre \textit{Couplage cerveau-corps-environnement et experience sensorielle de base}\footnote{en version originale: Brain–Body–Environment Coupling and Basic Sensory} explore le concept \textit{d’intentionnalité} comme caractéristique de la conscience. Ainsi, selon l'hypothèse pour laquelle la perception est orientée vers l’action, l’intentionnalité motrice dévient un des facteurs clé : \begin{quote} - ``The notion that perception is action-oriented leads to a consideration of a very basic motor intentionality —a concept that derives from phenomenology, but that can also be found in pragmatists such as John Dewey. As Robert Brandom notes, citing Dewey, \textit{the most fundamental kind of intentionality (in the sense of directedness toward objects) is the practical involvement with objects exhibited by a sentient creature dealing skillfully with its world}. This captures a form of intentionality that is built into skillful bodily movement in tandem with environmental demands.” \cite{newen20184e} +``L’idée selon laquelle la perception est orientée vers l’action conduit à une intentionnalité motrice de base – un concept qui dérive de la phénoménologie, mais que l’on retrouve également chez des pragmatiques tels que John Dewey. Comme le note Robert Brandom, citant Dewey, \textit{le type d'intentionnalité le plus basique (au sens d'orienté vers les objets) est la manipulation habille des objets exposés par une créature sensible qui maitrise cette interaction}. Cela relève d'une forme d’intentionnalité intégrée à des mouvements corporels en tandem avec des exigences environnementale\footnote{en version origianle: ``The notion that perception is action-oriented leads to a consideration of a very basic motor intentionality —a concept that derives from phenomenology, but that can also be found in pragmatists such as John Dewey. As Robert Brandom notes, citing Dewey, \textit{the most fundamental kind of intentionality (in the sense of directedness toward objects) is the practical involvement with objects exhibited by a sentient creature dealing skillfully with its world}. This captures a form of intentionality that is built into skillful bodily movement in tandem with environmental demands.”}.” \cite{newen20184e} \end{quote} -Pour moi, ce genre d’intentionnalité qui n'est pas le résultat d’un processus mental, mais de l'acquisition d'une forme de maîtrise est aussi représentatif pour le geste dansé, tout comme pour les robots qui exécutent des taches répétitives avec précision. Nous avons vu plus haut comment la notion d’incarnation, telle qu’elle est définie dans la théorie 4E, nécessite un couplage complexe entre cerveau, corps et environnement. D'une façon analogue, ce couplage est aussi la base de tout système robotique où les processus de computation internes se font en lien direct avec l’environnement. La théorie 4E de la cognition semble aujourd'hui la plus récente tentative de structurer les approches et renouveler les avancées théoriques du début de XXe siècle. C’est tout autant intéressant de remarquer comment ces nouveaux paradigmes et concepts ont facilité l’apparition des nouvelles disciplines parmi lesquelles: +Selon moi, ce genre d’intentionnalité (qui n'est pas le résultat d’un processus mental, mais de l'acquisition d'une forme de maîtrise des actions) est aussi représentatif pour le geste dansé, tout comme pour les robots qui exécutent des taches répétitives avec précision. Nous avons vu dans le sous-chapitre présentant les observations de Varela, comment la notion d’incarnation, telle qu’elle est définie dans la théorie 4E, nécessite un couplage complexe entre cerveau, corps et environnement. D'une façon analogue, ce couplage est aussi la base des systèmes robotiques où les processus de computation internes se font en lien avec l’environnement du robot (son espace opérationnel que nous allons détailler dans le prochain chapitre). + +La théorie 4E de la cognition, me semble aujourd'hui être la plus récente tentative de structurer les approches et renouveler les avancées théoriques du début de XXe siècle. C’est tout autant intéressant de remarquer comment ces nouveaux paradigmes ont facilité l’apparition des nouvelles disciplines parmi lesquelles: \begin{itemize} \item la philosophie de l’esprit, en anglais \textit{philosophy of mind}, dont la question centrale est la relation entre corps, esprit et leur ancrage dans l’environnement, \item la philosophie des sciences, en anglais \textit{philosophy of mind}, qui étudie la nature même de l’activité scientifique et ses spécificités, \item l’épistémologie, du grec \textit{épistemos} qui signifie science et \textit{logos} qui signifie discours- dont l’objet est l’analyse critique d’une science en particulier, en tenant compte de son évolution, de sa valeur, et de sa portée philosophique. \end{itemize} -Dans le même temps, les différentes approches concernant la cognition ont aussi contribué à l'avènement des sous-disciplines connexes, tels les études sur la conscience, dont les dilemmes l'ont suivi de prêt et restent encore d’actualité. Précurseur de cette théorie 4E, Varela rajoute la question de l'action, à ses intuitions quant à la nature de la conscience: +Dans le même temps, les différentes approches concernant la cognition ont aussi contribué à l'avènement des sous-disciplines connexes, tels les études sur la conscience, qui partagent une partie des questions aujourd'hui sans réponse. Précurseur de cette théorie 4E, Varela rajoute la question de l'action, à ses intuitions quant à la nature de la conscience: \begin{quote} ``Sur la base de son moi cognitif virtuel, mais néanmoins cohérent et autonome, le sujet fait émerger depuis son corps, « énacte » – dit Varela, ses propres significations au fil de l'histoire de son couplage à l'environnement. Avec l'énaction, la cognition est incarnée (embodied cognition). Le cerveau existe dans un corps, le corps existe dans le monde, et l'organisme bouge, agit, perçoit, se reproduit, rêve, imagine. C'est de cette activité permanente qu'émerge le sens du monde et des choses.”\cite{lestage2021approche} \end{quote} - +Dans notre contexte l'action est la danse, les significations qui découlent de cette intention à danser sont facile à déterminer. Cependant aucun robot ne saura nous aider à expliquer le siennes. Pourtant participer à cette enquête subjective sous la forme d'une recherche-création avec des robots qui dansent (ou font semblant de danser), nous permet de faire des projections à leur place. \section{Définitions de la conscience} @@ -592,107 +594,129 @@ Avant de comprendre ce qu’est la conscience artificielle, nous nous interrogeo Des propriétés tels : calcul mental, apprentissage et mémoire arrivent à mieux définir l’intelligence humaine. Néanmoins chacun a son propre ressenti concernant sa conscience, du moins pour les organismes vivants intelligents. L’expérience subjective immédiate ou la \gls{qualia} est ce qui détermine cette expérience de conscience. En parallèle avec l’intelligence, des processus comme la perception et la motricité sensorielle, la capacité de prédire l’environnement ou de témoigner des comportements complexes, structurent notre imaginaire autour de cette expérience. Étant donné l’imprécision des facteurs subjectifs, suivie par la multiplicité des points de vue selon les disciplines qui adressent cette question, il semble peu probable que nous allons identifier une bonne définition de la conscience dans notre étude. Ce qui m'intéresse plutôt, est de comprendre dans quelle mesure le matérialisme et le pragmatisme des sciences, trouvent un écho dans interprétation artistique que nous proposons. Cet exercice prend appui sur plusieurs concepts propres à chaque vision (matérialisme versus dualisme) dans une tentative de les homogénéiser. - -Puisque les débats sur la conscience, comme ceux sur la cognition se heurtent toujours à des questions de définition, nous allons tenter définir ce terme selon différentes courants de pensée. La plus pertinente, pour notre contexte, est la vision neuroscientifique du terme, puisqu'elle peut clarifier les enjeux en art et en robotique à la fois. +Puisque les débats sur la conscience, comme ceux sur la cognition se heurtent toujours à des questions de définition, nous tenterons de définir ce terme selon différentes courants de pensée. La plus pertinente, pour notre contexte, est la vision neuroscientifique du terme, puisqu'elle peut clarifier les enjeux en art et en robotique à la fois. Pour cela nous nous appuyons sur la littérature\cite{friston2016mit}. Selon les critères que les chercheurs emploient, il existent différentes propriétés de la conscience. -\textbf{La conscience et ses propretés} +\textbf{La conscience et ses propriétés} -Un premier critère est celui du niveau de conscience, propre aux créatures vivantes- ce niveau varie entre plusieurs étapes parmi lesquelles les états végétatifs, les états de sommeil sans rêve et l’état d’éveil conscient vif. +Un premier critère est celui du niveau de conscience, propre aux créatures vivantes- ce niveau varie entre plusieurs étapes parmi lesquelles les états végétatifs, les états de sommeil sans rêve et l’état d’éveil conscient vif. Le deuxième se concentre sur le contenu de la conscience ou ce que cela veut dire d'avoir une connaissance \textit{auto-réflexive} de son propre état mental. Pour les créatures -vivantes, il existe des sortes de ``stimuli auto-référentiels”\cite{vanhaudenhuyse2007elsevier} - propres au fait de suivre son reflet dans le miroir. Évidement qu'à l'heure actuelle, ce phénomène n’est implémenté que très peu dans les machines\cite{tepus and chetouani}. Vanhaudenhuyse propose une schéma qui détaille la corrélation entre le niveau d’éveil et la conscience de soi et de l’environnement: +vivantes, il existe des sortes de ``stimuli auto-référentiels”\cite{vanhaudenhuyse2007elsevier} - propres au fait de suivre son reflet dans le miroir. Évidement qu'à l'heure actuelle, ce phénomène n’est implémenté que très peu dans les machines et lorsque cela est fait, cela soulève des questions éthiques\cite{chatila2022pourquoi}. Vanhaudenhuyse propose une schéma qui détaille la corrélation entre le niveau d’éveil et la conscience de soi et de l’environnement: \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/vangaudenhuyse} - \caption{Schema illustrant les differents niveau de concience et leur lien avec l’environnement dans le papier de Vangaudenhuyse.} + \caption{Schema illustrant les differents niveau de concience et leur lien avec l’environnement dans le papier de Vangaudenhuyse (2007).} \label{fig:vangaudenhuyse} \end{figure} -Ainsi nous apprenons qu’il existe des variations entre l’état végétatif(propre aux patients réveillés d’une coma sans état de conscience détectée) caractérisé par des mouvements réflexes, et l’état de minimal de conscience où le patient est capable de comportements incohérents mais reproductibles et soutenus. Dans cet état minimal de conscience, un patient peut manifester des signes clairs de conscience de son environnement et de soi-même. Le même étude fait la distinction entre la conscience et la conscience de soi, en listant les propriétés de la conscience de soi: +Ainsi nous apprenons qu’il existe des variations entre l’état végétatif (propre aux patients réveillés d’une coma sans état de conscience détectée) caractérisé par des mouvements réflexes, et l’état de minimal de conscience où le patient est capable de comportements incohérents mais reproductibles et soutenus. Dans cet état minimal de conscience, un patient peut manifester des signes clairs de conscience de son environnement et de soi-même. Le même étude fait la distinction entre la conscience et la conscience de soi, en listant les propriétés de la conscience de soi: \begin{quote} ``la conscience qu’il existe d’autres consciences que la nôtre; notre capacité de répondre adéquatement à des stimuli de l’environnement; notre aptitude à reconnaître notre corps comme étant le nôtre; la métaconscience, nous permettent de comprendre nos comportements et ceux des autres en terme de désirs et croyances; la connaissance que nous avons de nous-mêmes comme le narrateur de notre propre vie.”\cite{vanhaudenhuyse2007elsevier} \end{quote} -Lorsque identifiés grâce à la neuro-imagerie fonctionnelle, les processus auto-référentiels semblent présents seulement lors des états d’éveil actif. Dans la même mesure, lors des états de conscience altérés dont l’évolution n’est pas linéaire, le rapport à l’environnement est déterminant. \smallskip -Le chercheur Tom Ziemke, professeur en systèmes cognitive est spécialiste dans la recherche de formes incarnées de conscience. Dans ses papiers il évoque la relation entre l’IA incarnée dans des dispositifs physiques et la biologie synthétique. Selon lui, un programme qui assure une relation entre le robot et son environnement via des capteurs et actionneurs, représente une forme d’IA incarnée. Son travail, inspiré par F.J. Varela, lie l’intelligence à l’état \textit{d’autopoiese} ou \gls{autopoiesis} comme façon d’organiser la vie. Ziemke se demande si la conscience est essentiellement liée au domaine du vivant, ou si tout système autonome auto-référentiel est capable d’une forme de conscience. Quelle analogie pourrons-nous appliquer au présent étude de cas d'une forme de CA pour les robots. Des robots sauvages ou des robots en transe, pourront mieux témoigner d'un état proche de qualia? -\smallskip +Lorsque identifiés grâce à la neuro-imagerie fonctionnelle, les processus auto-référentiels semblent présents seulement lors des états d’éveil actif. Dans la même mesure, lors des états de conscience altérés dont l’évolution n’est pas linéaire, le rapport à l’environnement est déterminant. + +Le chercheur Tom Ziemke, professeur en systèmes cognitive travaille depuis 1996 sur la recherche de formes incarnées de conscience. Dans ses papiers il évoque la relation entre l’IA incarnée dans des dispositifs physiques et la biologie synthétique. Selon lui, un programme qui assure une relation entre le robot et son environnement via des capteurs et actionneurs, représente une forme d’IA incarnée. Son travail, inspiré par F.J. Varela, lie l’intelligence à l’état \textit{d’autopoiese} ou \gls{autopoiesis} comme façon d’organiser la vie. Ziemke se demande si la conscience est essentiellement liée au domaine du vivant, ou si tout système autonome auto-référentiel est capable d’une forme de conscience. Quelle analogie pourrons-nous appliquer au présent étude de cas d'une forme de CA pour les robots. Des robots sauvages ou des robots en transe, pourront mieux témoigner d'un état proche de \gls{qualia}? Le papier\cite{friston2016mit} liste également des propriétés de la conscience: avoir un contenu phénoménal spécifique, être en contact direct avec la réalité et pas ses représentations, être instantanée. La conscience dévient alors un aspect direct et privé de la vie mentale de chacun, puisque cela nous est impossible de faire l’expérience d’une autre conscience que la nôtre. Nous pouvons faire néanmoins l’expérience d’une subjectivité, en écoutant le ressenti d’une autre personne, lors d'un spectacle de danse par exemple. -A l'inverse, il existe un autre type de classification selon la nature phénoménologique de la conscience et son accessibilité. Le philosophe Ned Block, différencie la \textit{conscience phénoménologique}- comment une certaine expérience est perçue par le sujet- de celle définie comme \textit{conscience d’accès}-disponible pour des processus cognitif comme le langage. -Il décrit les deux de la façon suivante\cite{block2002oxford}: +A l'inverse, il existe un autre type de classification selon la nature phénoménologique de la conscience et son accessibilité qui date du début des années 2000. Le philosophe Ned Block (n. 1942), différencie la \textit{conscience phénoménologique}- comment une certaine expérience est perçue par le sujet- de celle définie comme \textit{conscience d’accès}-disponible pour des processus cognitif comme le langage. +Il décrit les deux de la façon suivante: \begin{quote} -``Phenomenal consciousness is experience; the phenomenally conscious aspect of a state is what it is like to be in that state. The mark of access-consciousness, by contrast, is availability -for use in reasoning and rationally guiding speech and action.” +``La conscience phénoménale est une expérience ; l’aspect phénoménalement conscient d’un état est ce que signifie être dans cet état. La spécificité de la conscience d’accès, est en revanche la disponibilité +d'utiliser le raisonnement et de guider rationnellement le discours et l’action\footnote{en version originale: ``Phenomenal consciousness is experience; the phenomenally conscious aspect of a state is what it is like to be in that state. The mark of access-consciousness, by contrast, is availability +for use in reasoning and rationally guiding speech and action.”}.” +\cite{block2002oxford} \end{quote} -Ainsi la conscience phénoménale résulte d’expériences sensorielles et de notre perception mélangeant de sensations comme l’ouïe ou l’odorat, des sensations type douleur ou perceptions type proprioception, ainsi que des émotions tel la peur, parmi autres. A l’opposée, la conscience d’accès est disponible pour une utilisation dans le raisonnement et pour le contrôle conscient direct de l’action et de la parole. Des exemples de conscience d’accès sont les pensées, les croyances et les désirs. -Pour Block, la \textit{rapportabilité}, qu'il définit comme propriété de la conscience +Ainsi la conscience phénoménale résulte d’expériences sensorielles et de notre perception mélangeant de sensations comme l’ouïe ou l’odorat, des sensations type douleur ou perceptions type proprioception, ainsi que des émotions tel la peur, parmi autres. A l’opposée, la conscience d’accès est disponible pour une utilisation dans le raisonnement et pour le contrôle conscient direct de l’action et de la parole. Des exemples de conscience d’accès sont les pensées, les croyances et les désirs. +Pour Block, la \textit{rapportabilité}, qu'il définit comme propriété de la conscience d’accès, a une grande importance pratique. Selon lui, la conscience d’accès -doit être \textit{représentative} car seul un contenu représentatif peut produire du raisonnement. +doit être capable de \textit{représentations} mentales, car seul un contenu représentatif peut produire du raisonnement. Une conséquence directe de cette classification de Block, est le fait de considérer l’esprit comme résultant de processus fondamentalement logiques et ainsi \textit{modélisable} d’un point de vue algorithmique. Cette vision computationnelle de l’esprit, implique également que -la conscience peut être modélisée par un programme informatique.\smallskip -En regardant de plus prés, ce que Block décrit comme conscience phénoménale ne suppose pas une catégorie distincte d’états conscients. Comme mentionné ci-dessus, il estime que la conscience phénoménale et la conscience d’accès interagissent normalement, mais il est possible d’avoir une conscience d’accès sans conscience phénoménale. Cette position rejoint celle du philosophe américain Daniel Dennet\cite{dennett1993consciousness} pour qui \textit{les androïdes ne sont ni pus ni moins que des zombies}. Selon lui les androïdes sont, de point de vue informatique, identiques à une personne- pourrait exister tout en n’ayant aucune conscience phénoménale. Cependant à la différence de Dannet, Block affirme qu’il existe des expériences conscientes difficilement traduisibles par des algorithmes. Pour lui, l’existence de ces expériences relève ``du problème difficile” de la conscience, dont nous allons détailler plus bas les enjeux. +la conscience peut être modélisée par un programme informatique. + +En regardant de plus prés, ce que Block décrit comme conscience phénoménale ne suppose pas une catégorie distincte d’états conscients. Comme mentionné ci-dessus, il estime que la conscience phénoménale et la conscience d’accès interagissent normalement, mais il est possible d’avoir une conscience d’accès sans conscience phénoménale. Cette position rejoint celle du philosophe américain Daniel Dennet\cite{dennett1993consciousness} pour qui \textit{les androïdes ne sont ni pus ni moins que des zombies}. Selon lui les androïdes sont, de point de vue informatique, identiques à une personne- pourrait exister tout en n’ayant aucune conscience phénoménale. Cependant à la différence de Dennett, Block affirme qu’il existe des expériences conscientes difficilement traduisibles par des algorithmes. Pour lui, l’existence de ces expériences relève ``du problème difficile” de la conscience, dont nous allons détailler plus bas les enjeux. + \textbf{La théorie de l’identité esprit-cerveau} -Parmi les théories des sciences cognitives qui identifient les états +Parmi les théories des sciences cognitives qui identifient les états psychologiques à des processus neurophysiologiques, \textit{la théorie de l’identité esprit-cerveau} est apparue dans les années 1960. Pour les partisans de cette hypothèse, les états mentaux et les états du cerveau sont numériquement identiques. L’idée que les pensées et notre esprit résident exclusivement dans des processus neurophysiologiques étant une perspective naturaliste, les neurosciences permettent de comprendre en quoi certaines structures et certains processus neurophysiologiques du cerveau, peuvent être prédictibles par des machines. -Cependant, nous savons aujourd'hui que les phénomènes mentaux sont multiples. Chaque individu les traduit différemment dans sa personnalité. Nos perceptions, sensations, désirs et croyances sont influencés par notre contexte socio-culturel. Pour les anticiper par des prédictions, les scientifiques doivent faire appel à plusieurs méthodes et théories expérimentales. Un courant dérivé de cette théorie de l’identité esprit-cerveau est \textit{l’instrumentalisme}, mis en place par Daniel Dannett. Cette théorie considère les modèles scientifiques comme des instruments, nous permettant d’analyser et modéliser les phénomènes pour ensuite les devancer par des prédictions. Le point de vue de Dennet, concernant le libre arbitre et la conscience, ont suscité beaucoup de controverses. Dans son livre le plus connu, \textit{Consciousness Explained}\cite{dennett1993consciousness} (1991), il explique comment la conscience est le résultat des processus cognitives et physiologiques dans le cerveau. Il évoque une analogie de la conscience similaire à un article académique coécrit par une poignée de scientifiques\cite{dennett1993consciousness}. Par cela, il explique comment plusieurs processus mentaux peuvent exister simultanément dans le cerveau, sans forcément se connaître l’un l’autre. Ce principe correspond à un état où plusieurs brouillons coexistent simultanément et indépendamment de chaque contribution- attestant l’existence du papier principal. En extrapolant ces principes au terme de conscience, il nie cependant l’existence de \textit{qualia}, en tant qu'expérience subjective directe et personnelle.\smallskip +Cependant, nous savons aujourd'hui que les phénomènes mentaux sont multiples. Chaque individu les traduit différemment bien que les émotions qui y sont associés peuvent être similaires\cite{hu2022similar}. Nos perceptions, sensations, désirs et croyances sont influencés par notre contexte socio-culturel. Cela résulte dans des réactions émotionnelles variées. Pour les anticiper et modéliser au travers des prédictions, les scientifiques doivent faire appel à plusieurs méthodes et théories expérimentales. Un courant dérivé de cette théorie de l’identité esprit-cerveau est \textit{l’instrumentalisme}, mis en place par Daniel Dennett (n. 1942) à la fin des années 1980. Cette théorie considère les modèles scientifiques comme des instruments, nous permettant d’analyser et modéliser les phénomènes pour ensuite les devancer par des prédictions. Pour Dennett un système est intentionnel s'il peut être prédictible. En allant plus loin dans cette direction, son point de vue concernant le libre arbitre et la conscience, ont suscité beaucoup de controverses. Dans son livre le plus connu, \textit{Consciousness Explained}\cite{dennett1993consciousness} (1991), il explique comment la conscience est le résultat des processus cognitives et physiologiques dans le cerveau. Il évoque une analogie de la conscience similaire à un article académique coécrit par une poignée de scientifiques\cite{dennett1993consciousness}. Par cela, il explique comment plusieurs processus mentaux peuvent exister simultanément dans le cerveau, sans être identifiés l’un de l’autre. Ce principe correspond à un état où plusieurs brouillons coexistent simultanément et indépendamment de chaque contribution- attestant l’existence du papier principal. En extrapolant ces principes au terme de conscience, il nie cependant l’existence de \textit{qualia}, en tant qu'expérience subjective directe et personnelle. -En contrepoids, des philosophes comme John Searle considèrent qu’il y a quelque chose de fondamental dans l’expérience subjective. Cette dimension ne peut pas être capturée par les programmes informatiques conventionnels\cite{searle1990mystery}. Dans une de leurs correspondances, Searle réponds à Dennet de la façon suivante: +En contrepoids, des philosophes comme John Searle (n. 1932) considèrent qu’il y a quelque chose de fondamental dans l’expérience subjective. Cette dimension ne peut pas être capturée par les programmes informatiques conventionnels\cite{searle1990mystery}. Dans une de leurs correspondances, Searle réponds à Dennett de la façon suivante, en employant une analogie avec des zombies: \begin{quote} -``To make explicit the differences between conscious events and, for example, -mountains and molecules, I said consciousness has a first-person or subjective -ontology. By that I mean that conscious states only exist when experienced by a -subject and they exist only from the first-person point of view of that subject. -Such events are the data which a theory of consciousness is supposed to explain. -In my account of consciousness I start with the data; Dennett denies the -existence of the data. To put it as clearly as I can: in his book, Consciousness -Explained, Dennett denies the existence of consciousness. He continues to use -the word, but he means something different by it. For him, it refers only to -third-person phenomena, not to the first-person conscious feelings and -experiences we all have. For Dennett there is no difference between us humans -and complex zombies who lack any inner feelings, because we are all just complex zombies.” + ``Pour illustrer les différences entre les événements conscients et, par exemple, les + montagnes et les molécules, j'ai dit que la conscience ait un sens à la première personne ou une ontologie subjective. J'entends par là que les états de conscience n'existent que lorsqu'ils sont vécus par un sujet et ils n’existent que du point de vue de ce sujet. + De tels événements sont les données qu’une théorie de la conscience est censée expliquer. + Dans mon expérience consciente, je commence par les données ; Dennett nie la + existence des données. Pour le dire aussi clairement que possible : dans son livre, \textit{La conscience + expliquée}, Dennett nie l'existence de la conscience. Il continue d'utiliser + le terme, mais il signifie par là quelque chose de différent. Pour lui, il s'agit uniquement de + phénomènes à la troisième personne, et non des sentiments conscients à la première personne, que nous + partageons tous. Pour Dennett, il n'y a pas de différence entre nous, les humains + et des zombies complexes qui manquent des introspections, parce que nous ne sommes tous que des zombies en tout cas\footnote{en version originale: ``To make explicit the differences between conscious events and, for example, mountains and molecules, I said consciousness has a first-person or subjective + ontology. By that I mean that conscious states only exist when experienced by a + subject and they exist only from the first-person point of view of that subject. + Such events are the data which a theory of consciousness is supposed to explain. + In my account of consciousness I start with the data; Dennett denies the + existence of the data. To put it as clearly as I can: in his book, \textit{Consciousness + Explained}, Dennett denies the existence of consciousness. He continues to use + the word, but he means something different by it. For him, it refers only to + third-person phenomena, not to the first-person conscious feelings and + experiences we all have. For Dennett there is no difference between us humans + and complex zombies who lack any inner feelings, because we are all just complex zombies.”}.” \end{quote} -Un des arguments le plus fameux que Searle avance dans leur débat est celui appelé \gls{the Chinese Room Argument}, où une personne enfermée dans une chambre communique avec l’extérieur via des messages écrites en chinois, sans comprendre les symboles du dictionnaire mis à sa disposition. Ce fonctionnement est similaire aux algorithmes de traduction qui exécutent des équivalences entre des mots, sans saisir leur sens. +Un des arguments le plus fameux que Searle avance dans leur débat est celui appelé \gls{the Chinese Room Argument}, où une personne enfermée dans une chambre communique avec l’extérieur via des messages écrites en chinois, sans comprendre les symboles du dictionnaire mis à sa disposition. Ce fonctionnement est similaire aux algorithmes de traduction qui exécutent des équivalences entre des mots, sans saisir leur sens. Rapprocher cette figure du zombie s celle du robot peut paraitre ridicule à ce stade de notre recherche, cependant dans les prochaines chapitres nous allons développer une telle projection. -\subsection{The hard problem of consciousnes} +\subsection{Le Problème difficile de la conscience} -Dans son article ``Facing Up to the Problem of Consciousness” (1995), le philosophe David J. Chalmers met en avant des contradictions lorsque nous essayons de définir la conscience. Pour lui il s’agit d’un terme ambigu faisant référence à des phénomènes complexes. Il propose de diviser les arguments en deux catégories- celles qui concernent un problème facile de la conscience et - le reste qui font partie du problème difficile de la conscience\cite{Chalmers1995jcs}. +Dans son article \textit{Facing Up to the Problem of Consciousness} (1995), le philosophe David J. Chalmers (n. 1966) évoque les difficultés rencontrés lorsque nous essayons de définir la conscience. Pour lui le terme de \textit{conscience} est un terme ambigu faisant référence à des phénomènes complexes. Il propose de diviser les arguments en deux catégories- celles qui concernent un problème facile de la conscience et le reste, qui font partie du problème difficile de la conscience\cite{Chalmers1995jcs}. + \textit{Le problème facile de la conscience} continent les hypothèses qui -pourront trouver des solutions dans l’avenir immédiat- notamment les processus +pourront trouver des solutions dans l’avenir immédiat, notamment les processus neurophysiologiques dans le cerveau et l’intelligence sensorielle du corps qui donnent accès à des explications des capacités et des fonctions cognitives. Chalmers illustre les phénomènes qui correspondent à cet état. Pour lui un état mental est conscient lorsqu’il est décrit par des mots, ou lorsqu’il est accessible comme ressenti interne. Un système est conscient de certaines informations lorsqu’il traite et intègre cette information, puis modifie son comportement en conséquence. De la même façon, une action est consciente quand -elle est délibérée. Alors que \textit{le problème difficile de la conscience} atteste de -l’incapacité de modéliser certaines expériences subjectives et leur vécu. Pour citer Chalmers\cite{Chalmers1995jcs}: +elle est délibérée. + +A l'opposé, \textit{le problème difficile de la conscience} atteste de +l’incapacité de modéliser certaines expériences subjectives et leur vécu. Pour citer Chalmers: \begin{quote} - ``Is undeniable that some organisms are subjects of experience. -But the question of how it is that these systems are subjects of experience is -perplexing. Why is it that when our cognitive systems engage in visual and auditory information-processing, we have visual or auditory experience: the quality of deep blue, the sensation of middle C? How can we explain why there is something it is like to entertain a mental image, or to experience an emotion? -It is widely agreed that experience arises from a physical basis, but we have no good explanation of why and how it arises. Why should physical processing give rise to a rich inner life at all? It seems objectively unreasonable that it -should, and yet it does.”(Chalmers p.3) + ``Il est indéniable que certains organismes éprouvent des formes d'expérience. + Mais la question de savoir comment ces systèmes font le sujet d’expériences est + compliquée. Pourquoi lorsque nos systèmes cognitifs s'engagent dans le traitement de l'information visuelle et auditive, nous avons une expérience visuelle ou auditive : la qualité du bleu profond, la sensation de la note do au milieu d'un piano? Comment pouvons-nous expliquer pourquoi il y a quelque chose que cela ressemble à une image mentale ou à ressentir une émotion ? + Il est largement admis que l’expérience découle d’une action physique, mais nous n’avons aucune explication comment elle survient. Pourquoi le traitement de l'information physique devrait-il donner naissance à une vie intérieure riche ? Il semble objectivement déraisonnable, et pourtant c'est le cas + \footnote{en version originale: ``Is undeniable that some organisms are subjects of experience. + But the question of how it is that these systems are subjects of experience is + perplexing. Why is it that when our cognitive systems engage in visual and auditory information-processing, we have visual or auditory experience: the quality of deep blue, the sensation of middle C? How can we explain why there is something it is like to entertain a mental image, or to experience an emotion? + It is widely agreed that experience arises from a physical basis, but we have no good explanation of why and how it arises. Why should physical processing give rise to a rich inner life at all? It seems objectively unreasonable that it + should, and yet it does.”}.” + \cite{Chalmers1995jcs} \end{quote} Son argumentation va plus loin, en donnant l’exemple de la perception visuelle. Chalmers décrit comment les formes d’ondes électromagnétiques empiétant sur la rétine, sont discriminées et catégorisées par un système visuel pour que cette catégorisation est vécue comme la sensation de vif rouge. Ensuite, il montre comment l’expérience consciente qui survient lorsque ces fonctions sont exécutées, est difficile à expliquer et vérifier. Cela corresponds à ce que la communauté philosophique a défini comme une sorte de ``lacune explicative entre les fonctions et l’expérience”. Son exemple est éloquent lorsque il s'agit des qualia. Plus loin, il propose que les théories sur la conscience traitent l’expérience comme partie intégrante: \begin{quote} -``I suggest that a theory of consciousness should take experience as fundamental. We know that a theory of consciousness requires the addition of something fundamental to our ontology, as everything in physical theory is compatible with the absence of consciousness. We might add some entirely new nonphysical feature, from which experience can be derived, but it is hard to see what such a feature would be like. More likely, we will take experience itself as a fundamental feature of the world, alongside mass, charge, and space-time.”(Chalmers p.14) + ``Je suggère qu'une théorie de la conscience devrait considérer l'expérience comme fondamentale. Nous savons qu’une théorie de la conscience nécessite l’ajout de quelque chose de fondamental à notre ontologie, car tout dans la théorie physique est compatible avec l’absence de conscience. Nous pourrions ajouter une fonctionnalité non physique nouvelle, à partir de laquelle une expérience peut être dérivée, mais il est difficile de voir à quoi ressemblerait une telle fonctionnalité. Plus probablement, nous considérerons l’expérience elle-même comme une caractéristique fondamentale du monde, aux côtés de la masse, de la charge et de l’espace-temps\footnote{en version originale: ``I suggest that a theory of consciousness should take experience as fundamental. We know that a theory of consciousness requires the addition of something fundamental to our ontology, as everything in physical theory is compatible with the absence of consciousness. We might add some entirely new nonphysical feature, from which experience can be derived, but it is hard to see what such a feature would be like. More likely, we will take experience itself as a fundamental feature of the world, alongside mass, charge, and space-time.”}.” + \cite{Chalmers1995jcs} \end{quote} -En anglais le terme de conscience permet une déclinaison en deux instances, celle de conscience comme vécu expérientiel et celui d’\textit{awareness} ou forme de réceptivité caractérisé par le principe de la cohérence. En s’appuyant sur cela, Chalmers anticipait les avancements en electroencephalographie\cite{kam2021nas} concernant les ondes cérébrales et leur lien avec la conscience: +En anglais le terme de conscience permet une déclinaison en deux instances, celle de conscience comme vécu expérientiel et celui d’\textit{awareness} ou forme de réceptivité caractérisé par le principe de la cohérence. En s’appuyant sur cela, Chalmers anticipait les avancements en électroencéphalographie\cite{kam2021nas} concernant les ondes cérébrales et leur lien avec la conscience: + \begin{quote} -``Various specific hypotheses have been put forward. For example, Crick and Koch (1990) suggest that 40-Hz oscillations may be the neural correlate of consciousness, whereas Libet (1993) suggests that temporally-extended neural activity is central. If we accept the principle of coherence, the most direct physical correlate of consciousness is awareness: the process whereby information is made directly available for global control. The different specific hypotheses can be interpreted as empirical suggestions about how awareness might be achieved. For example, Crick and Koch suggest that 40-Hz oscillations are the gateway by which information is integrated into working memory and thereby made available to later processes. Similarly, it is natural to suppose that Libet’s temporally extended activity is relevant precisely because only that sort of activity achieves global availability.” (Chalmers p.214) +``Diverses hypothèses spécifiques ont été avancées. Par exemple, Crick et Koch (1990) suggèrent que les oscillations de 40 Hz pourraient être le corrélat neuronal de la conscience, tandis que Libet (1993) suggère que l'activité neuronale étendue dans le temps est centrale. Si nous acceptons le principe de cohérence, le corrélat physique le plus direct de la conscience est la conscience : le processus par lequel l'information est directement disponible pour un contrôle global. Les différentes hypothèses spécifiques peuvent être interprétées comme des suggestions empiriques sur la manière dont la prise de conscience pourrait être réalisée. Par exemple, Crick et Koch suggèrent que les oscillations de 40 Hz constituent la passerelle par laquelle les informations sont intégrées dans la mémoire active et ainsi mises à la disposition des processus ultérieurs. De même, il est naturel de supposer que l’activité temporellement étendue que Libet mentionné est pertinente précisément parce que seul ce type d’activité atteint une disponibilité globale\footnote{en version originale: ``Various specific hypotheses have been put forward. For example, Crick and Koch (1990) suggest that 40-Hz oscillations may be the neural correlate of consciousness, whereas Libet (1993) suggests that temporally-extended neural activity is central. If we accept the principle of coherence, the most direct physical correlate of consciousness is awareness: the process whereby information is made directly available for global control. The different specific hypotheses can be interpreted as empirical suggestions about how awareness might be achieved. For example, Crick and Koch suggest that 40-Hz oscillations are the gateway by which information is integrated into working memory and thereby made available to later processes. Similarly, it is natural to suppose that Libet’s temporally extended activity is relevant precisely because only that sort of activity achieves global availability.”}.” +\cite{Chalmers1995jcs} \end{quote} Tout comme Chalmers, Block croit que nous pouvons avoir des expériences conscientes qui ne sont pas traduisibles par des algorithmes de calcul. Un exemple de conscience phénoménale qu'il donne est celui d'un bruit fort que nous ne remarquons pas consciemment parce que nous faisons attention à autre chose. Dans sa classification, le fait d’entendre le bruit (puisque nous ne pouvons pas couvrir notre oreille, comme nous fermons la paupière) relève de la conscience phénoménale alors que le fait de ne pas s’en rendre compte relève de la conscience d’accès. Cela suggère que ce type de conscience phénoménale décrite par Block, est basée sur une activité cérébrale classifiée comme inconsciente, donc difficilement modélisée par des algorithmes de calcul. L'inconscient est aussi l'endroit de prédilection de la création, dans notre contexte de la danse illustré par des mouvements réflexives et spontanées. Si un jour les robots vont devenir créatifs, probablement ils auront type de conscience phénoménale. @@ -700,7 +724,7 @@ Tout comme Chalmers, Block croit que nous pouvons avoir des expériences conscie Pour l'instant, peu importe ce que nous identifions comme processus physiques qui génèrent des états de conscience. Tant que nous ne pouvons pas comprendre comment ils se manifestent dans chaque individualité, nous ne comprendrons pas comment les déléguer aux machines. Même une fois cela fait, il reste toujours un problème de vérification, car en construisant des machines qui fonctionnent comme nous, nous n’avons aucun moyen de savoir si le rendu biologique suffit pour une expérience intérieure propre. En d’autre termes, comment pouvons-nous savoir si un robot a une conscience phénoménale alors que notre moyen actuel pour déterminer cela chez nous, les humains passe par le vécu expérientiel individuel? -D’autres philosophes tels Thomas Nagel affirment qu’il est impossible de déterminer les points communs entre une expérience directe, évoquée à la première personne et les descriptions à la troisième personne des expériences passées qui forment à leur tour des modèles. Dans son article ``What Is It Like to Be a Bat?”(1974) traduit en français par ``Qu’est-ce que cela veut dire d’être un chauve-souri?”, le philosophe décrit la conscience comme un phénomène partagé par beaucoup des organismes vivants (notamment les mammifères dont le chauve-souris). Nagel fait une distinction entre conscience et perception sensorielle\cite{nagel1980like}. Pour lui, ce que tous les organismes partagent, c’est ce qu’il appelle le \textit{caractère subjectif de l’expérience}. Cette nature subjective bloque toute tentative d’expliquer la conscience par des moyens objectifs comme dn neurosciences ou en robotique. L’auteur a choisi la métaphore des chauves-souris en raison de leur appareil sensoriel originel. En effet, les chauves-souris utilisent l’écholocalisation pour naviguer et percevoir des objets, cette méthode de perception étant similaire à la vision des humains. L’auteur affirme que des humains dotés de sens similaires, ne peuvent pas cependant expérimenter l’état d’esprit d’une chauve-souris, puisque leur cerveau ne s’est pas développé comme celui d’une chauve-souris dès sa naissance. En échange des comportements comme voler, naviguer en sonar ou se suspendre à l’envers comme une chauve-souris, faciliteront des expériences proches de ce qu’une chauve-souris peut vivre. \smallskip +D’autres philosophes tels Thomas Nagel affirment qu’il est impossible de déterminer les points communs entre une expérience directe, évoquée à la première personne et les descriptions à la troisième personne des expériences passées qui forment à leur tour des modèles. Dans son article ``What Is It Like to Be a Bat?”(1974) traduit en français par ``Qu’est-ce que cela veut dire d’être un chauve-souri?”, le philosophe décrit la conscience comme un phénomène partagé par beaucoup des organismes vivants (notamment les mammifères dont le chauve-souris). Nagel fait une distinction entre conscience et perception sensorielle\cite{nagel1980like}. Pour lui, ce que tous les organismes partagent, c’est ce qu’il appelle le \textit{caractère subjectif de l’expérience}. Cette nature subjective bloque toute tentative d’expliquer la conscience par des moyens objectifs comme dn neurosciences ou en robotique. L’auteur a choisi la métaphore des chauves-souris en raison de leur appareil sensoriel originel. En effet, les chauves-souris utilisent l’écholocalisation pour naviguer et percevoir des objets, cette méthode de perception étant similaire à la vision des humains. L’auteur affirme que des humains dotés de sens similaires, ne peuvent pas cependant expérimenter l’état d’esprit d’une chauve-souris, puisque leur cerveau ne s’est pas développé comme celui d’une chauve-souris dès sa naissance. En échange des comportements comme voler, naviguer en sonar ou se suspendre à l’envers comme une chauve-souris, faciliteront des expériences proches de ce qu’une chauve-souris peut vivre. \smallskip Cette hypothèse est évoqué avec d'autres mots par Simon Penny qui met en avant le concept de \textit{spécificité des capacités sensorielles}, dans le chapitre ``The biology of cognition” de son livre \textit{Making Sense}(2019). Pour appuyer cela, il cite le travail du biologiste Jacob Von Uexkull, au début du XXe siècle : \begin{quote} @@ -713,7 +737,7 @@ penny making sense p. 17 Pour résumer sa pensée, les environnements sensoriels de la plupart des organises vivants sont spécifiques, sans qu'une espèce puisse faire l'expérience de la spécificité de l'autre. En contrepoids, pour ce qu'il y a de l'espèce humaine, les qualia témoignent de nos expériences uniques à l'échelle individuelle. En parallèle avec l'exemple de Nagel, il est tout autant important de regarder le développement de ces expérience dans la durée. Pour complexifier encore plus la donnée, il est aussi possible d’avoir une conscience phénoménale et d’accéder à la conscience d’accès indépendamment, bien qu’en général, les deux interagissent. Tant que différentes perspectives ne s'accordent pas sur ces observations, la conscience restera un tabou qui fascine. -Dans son article, ``Consciousness: The last 50 years.”(2018)\cite{seth2018sage} le neuroscientifique Anil K. Seth souligne le caractère interdisciplinaire des études sur la conscience et la volonté de tisser des ponts entre les expériences phénoménologiques et le fonctionnement neuronal. Pour lui, l’expérience phénoménologique ne peut pas exister sans l’ancrage du corps dans son environnement - en anglais \textit{an environment embedded embodiment processes}. Seth trace l’histoire des études sur la conscience, en tant que phénomène neurologique et identifie une première étape entre 1960 et 1990. Après les découvertes en études comportementales, les scientifiques mettent les bases d’une nouvelle approche en sciences cognitives. Cette approche, atteste l’existence d’un état mental interne qui opère une modulation entre réponse et stimulation nerveuse. D'une façon prédictible, cela provoquera beaucoup de débats à l'intérieur de la communauté scientifique. La plupart des chercheurs se heurtent aux limites de leurs hypothèses théoriques lorsqu'ils cherchent à modéliser une unité de la conscience. Seth note la contribution de Michael Gazzaniga et ses observations en lien avec les hémisphères cérébraux (alternant des processus cognitifs entre l’hémisphère droit et gauche). Aussi celle de Benjamin Libert qui fait des expériences en lien avec le libre arbitre et les mouvements volontaires. +Dans son article, ``Consciousness: The last 50 years.”(2018)\cite{seth2018sage} le neuroscientifique Anil K. Seth souligne le caractère interdisciplinaire des études sur la conscience et la volonté de tisser des ponts entre les expériences phénoménologiques et le fonctionnement neuronal. Pour lui, l’expérience phénoménologique ne peut pas exister sans l’ancrage du corps dans son environnement - en anglais \textit{an environment embedded embodiment processes}. Seth trace l’histoire des études sur la conscience, en tant que phénomène neurologique et identifie une première étape entre 1960 et 1990. Après les découvertes en études comportementales, les scientifiques mettent les bases d’une nouvelle approche en sciences cognitives. Cette approche, atteste l’existence d’un état mental interne qui opère une modulation entre réponse et stimulation nerveuse. D'une façon prédictible, cela provoquera beaucoup de débats à l'intérieur de la communauté scientifique. La plupart des chercheurs se heurtent aux limites de leurs hypothèses théoriques lorsqu'ils cherchent à modéliser une unité de la conscience. Seth note la contribution de Michael Gazzaniga et ses observations en lien avec les hémisphères cérébraux (alternant des processus cognitifs entre l’hémisphère droit et gauche). Aussi celle de Benjamin Libert qui fait des expériences en lien avec le libre arbitre et les mouvements volontaires. \smallskip @@ -751,7 +775,7 @@ adaptive control- DAC}: voit le cerveau comme outil incorporé en relation avec l’importance de l’autonomie et de l’auto-organisation pour la cognition, en lien avec le travail du neurologue Francesco Varela. \end{itemize} -Lors de cette première partie théorique, j'adresse quelques uns de ces théories en lien avec mes recherches. Certaines principes se retrouvent dans plusieurs approches et seront détailles dans la deuxième partie de ce travail de recherche-création. +Lors de cette première partie théorique, j'adresse quelques uns de ces théories en lien avec mes recherches. Certaines principes se retrouvent dans plusieurs approches et seront détailles dans la deuxième partie de ce travail de recherche-création. \begin{figure} \centering @@ -772,7 +796,7 @@ est seulement une spécification des opérations et transactions neuronales dans \end{quote} Ces ``discriminants externes” sont pour Torey, la preuve même que les systèmes gouvernés par ce formalisme sont incomplets. De plus, il extrapole sa démonstration à tout système formel- mathématique, logique ou philosophie analytique. Il précise qu'un cerveau qui a généré ces formalismes par des opérations mentales, ne peut pas être modélisée en programmes informatiques- puisque cet ordinateur ne génère pas d'autres systèmes à son tour. -Cela rejoint, au moins en partie, la visions de Michel Bitbol pour qui l’expérience phénoménologique de la conscience ne peut pas être vérifié par des critères objectives: +Cela rejoint, au moins en partie, la visions de Michel Bitbol pour qui l’expérience phénoménologique de la conscience ne peut pas être vérifié par des critères objectives: \begin{quote} ``Nous n’avons rigoureusement aucun critère nous permettant de savoir, ni même de deviner, qu’un artéfact fabriqué par nous est ou n’est pas doté de conscience phénoménale. Il est vrai que nous pourrions tomber dessus par hasard, et mettre en place les conditions d’une conscience phénoménale sans le faire exprès; mais dans ce cas, nul signe, pas le plus petit indice, ne nous permettrait de savoir que nous avons réussi (ou de savoir le contraire). C’est ce que signale à juste titre le neurobiologiste Jesse Prinz: \textit{À quel degré de proximité avec le cerveau humain un ordinateur doit-il parvenir, avant que nous puissions dire qu’il est probablement conscient? Il n’y a aucune manière de répondre à cette question.}” \cite{bitbol2018cp} @@ -793,21 +817,21 @@ conscious experience and then used behavioral and brain imaging to probe their p processing. Neuroimaging methods reveal that the vast majority of brain areas can be activated nonconsciously.” \cite{dehaene2021springer} \end{quote} Cela me semble pertinent de rapprocher ces considérations avec l'idée que toute activité créative réside dans l'inconscient. Si ces présomptions sont vrais, le jour où les robots vont être créatifs, ils témoigneront également d'une forme de (in)conscience. Je me demande si cela sera plus facile de déduire une forme de conscience à partir d'une intention artistique, ou l'inverse. -Cependant, avant d'aller plus loin dans ces projections, la question de l'IA est un premier étude de cas pour lancer le débat- puisque ses avancements ont des effets concrets sur notre vie quotidienne et façon d'interagir. +Cependant, avant d'aller plus loin dans ces projections, la question de l'IA est un premier étude de cas pour lancer le débat- puisque ses avancements ont des effets concrets sur notre vie quotidienne et façon d'interagir. Pour cela, je m'appuie sur les observations de la philosophe française Catherine Malabou. Pour elle, aborder la question de l'IA, signifie réfléchir à une relation de coopération entre humain et machine. Malabou a refusé l'idée de compétitivité entre les deux, en précisant que pour elle s'il s'agit d'une fausse problème: \begin{quote} ``Croire qu’il existe une réalité humaine intacte de toute aliénation technologique est une illusion qui s’effondre facilement dès que l’on prend en compte le fait que le cerveau humain – parlons de lui puisque c’est bien de lui qu’il s’agit – s’est développé épigénétiquement dans son interaction avec les artefacts. Leroi-Gourhan l’explique magnifiquement. Du silex à la cybernétique, le mécanisme de l’interaction est le même. Notre cerveau ne peut fonctionner qu’à se mettre au dehors, à prolonger son système par des prothèses (cf. \textit{l’exorganologie} de Bernard Stiegler), au point qu’il est impossible de faire la part, dans l’évolution cérébrale des hommes depuis la préhistoire, entre nature et technique. Un cerveau qui ne serait pas prolongé par des artifices serait un cerveau mort.” \end{quote} -La philosophe souligne la distinction entre le concept d’\textit{intellect} et celui d’\textit{intelligence}, dont l’apparition est plutôt liée au Bergson et au développement de la psychologie expérimentale en fin de XIXe siècle. Elle défend un point de vue matérialiste selon lequel les fonctions intellectuelles sont supportées grâce à des bases matérielles et organiques: +La philosophe souligne la distinction entre le concept d’\textit{intellect} et celui d’\textit{intelligence}, dont l’apparition est plutôt liée au Bergson et au développement de la psychologie expérimentale en fin de XIXe siècle. Elle défend un point de vue matérialiste selon lequel les fonctions intellectuelles sont supportées grâce à des bases matérielles et organiques: \begin{quote} ``Ayant beaucoup travaillé sur le cerveau, je suis convaincue qu’il n’existe pas de lieu séparé qui abriterait les opérations mentales et cognitives, elles dérivent toutes de processus neuronaux. Il est donc impossible de ne pas associer intelligence et cerveau.” \end{quote} Réduire l’intelligence humaine à du calcul mathématique et des termes quantitatifs, n’a pas de sens pour elle non plus. Cependant, elle voit de l’intérêt dedans lorsque ce calcul invente les concepts sur lesquels il résonne. Plus spécifiquement, elle propose comme définition minima de l’intelligence \textit{l’invention de son objet}. -Dans un entretien avec Malabou, le cinéaste Ariel Kyrou évoque le livre \textit{Cerveau augmenté, homme diminué} (2016) du philosophe Miguel Benasayag pour qui: +Dans un entretien avec Malabou, le cinéaste Ariel Kyrou évoque le livre \textit{Cerveau augmenté, homme diminué} (2016) du philosophe Miguel Benasayag pour qui: \begin{quote} ``la pensée n’est pas déposée dans les réseaux de neurones comme un software figé installé dans le hardware. Elle est distribuée dans le corps et dans le milieu, dans l’échange entre l’un et l’autre, ainsi que dans l’histoire – s’inscrivant ainsi dans une évolution complexe qui n’a aucun rapport avec celle des versions successives de logiciels enrichis de nouvelles lignes de code informatique (2.0,2.1, 2.12, etc.).” \end{quote} @@ -817,8 +841,8 @@ dorénavant au monde numérique”- ont pour faire évoluer notre cerveau. Ils d Pour résumer, l'intelligence artificielle connexionniste transpose le modèle des réseaux de neurones et leur façon de traiter l’information basée sur des calculs à des machines, tandis que l’intelligence artificielle symbolique traite cette information par la manipulation de symboles en explorant des données massives sur le comportement humain. La perspective théorique selon laquelle dans un futur plus ou moins lointain, un autre type d’intelligence- plurielle, imprévisible et complémentaire à l’intelligence humaine- verra le jour, complexifie ce scénario. -Entre ce qu’il a été défini comme \textit{l’IA symbolique}, \textit{l’IA numérique} et la polarité entre ces deux approches exclusives - le concept d' \gls{Intelligence Extensive}-IE où ``Extended Intelligence” en anglais, représente une alternative constructive. -Ce type d'intelligence vise l’amélioration des capacités humaines en interaction avec des agents non-humains. Plus concrètement, en lieu d’être en compétition directe avec l’intelligence humaine, l’IE cherche à la sublimer. Cette approche utilise l’erreur comme outil d’apprentissage et intègre des principes de \textit{slow science}\cite{i.stingers} pour permettre à l’humain de mieux intégrer les données de son environnement pour coopérer avec la machine. En cherchant des analogies dans notre contexte particulier qui est le domaine de l’art, il est plus facile de se concentrer sur cet aspect de l’erreur comme outil d’apprentissage et donner place à l’expressivité de la machine. Les enjeux sont moins importants. Néanmoins, même dans ce cas- les considération éthiques\cite{ndior2019cairn}, les ressentis\cite{devillers2017robots} et les éventuelles réactions imprévisibles de la part des humains structurent une forme de conscience difficile à prédire pour chercher son correspondant artificiel. +Entre ce qu’il a été défini comme \textit{l’IA symbolique}, \textit{l’IA numérique} et la polarité entre ces deux approches exclusives - le concept d' \gls{Intelligence Extensive} (IE) ou ``Extended Intelligence” en anglais, représente une alternative constructive. +Ce type d'intelligence vise l’amélioration des capacités humaines en interaction avec des agents non-humains. Plus concrètement, en lieu d’être en compétition directe avec l’intelligence humaine, l’IE cherche à la sublimer. Cette approche utilise l’erreur comme outil d’apprentissage et intègre des principes de \textit{slow science}\cite{i.stingers} pour permettre à l’humain de mieux intégrer les données de son environnement pour coopérer avec la machine. En cherchant des analogies dans notre contexte particulier qui est le domaine de l’art, il est plus facile de se concentrer sur cet aspect de l’erreur comme outil d’apprentissage et donner place à l’expressivité de la machine. Les enjeux sont moins importants. Néanmoins, même dans ce cas- les considération éthiques\cite{ndior2019cairn}, les ressentis\cite{devillers2017robots} et les éventuelles réactions imprévisibles de la part des humains structurent une forme de conscience difficile à prédire pour chercher son correspondant artificiel. La robotique, tout comme l'IA s'empare de ces notions pour construire de modèles (en anglais \textit{world models}) qui pourrait correspondre à environnement sensoriel des agents artificiels. Ainsi le modèle d'un chauve-souris et différent de celui d'un robot, qui est à son tour différent de celui d'un humain: \begin{quote} @@ -832,7 +856,7 @@ Qu’il s’agisse d’un objet mobile avec une source d’énergie, programmé \subsection{La robotique cognitive} -Certains mouvements en robotique ont suivi de prêt les avancées en sciences cognitives\cite{liu2024elsevier}. Parmi eux, j’évoque la robotique basée sur le comportement - behavior based robotics- BBR qui s’inspire des systèmes biologiques. Cette branche de la robotique construit des dispositifs qui réagissent à l’environnement. Le focus de la BBR est le monde animal, plus particulièrement le comportement des insectes. Un des caractéristiques les plus importantes de cette discipline est \textit{l’adaptabilité} des systèmes qui en font partie. Ainsi, ces robots sont peu dotés d'une puissance de calcul pour réaliser des actions. En échange, leur comportement émerge des interactions qu’ils ont avec l’environnement. Le type d’intelligence artificielle qui opère dans ces systèmes est inspiré par la branche de l’IA faible. Leur programmation contient un set de base des comportements spécifiques, selon l’environnement où ils opèrent, avec les problèmes qu’ils doivent résoudre. Quand un comportement n’est pas adapté à un contexte particulier, ils s’appuient sur des erreurs pour améliorer leur modèle interne.\smallskip +Certains mouvements en robotique ont suivi de prêt les avancées en sciences cognitives\cite{liu2024elsevier}. Parmi eux, j’évoque la robotique basée sur le comportement - behavior based robotics- BBR qui s’inspire des systèmes biologiques. Cette branche de la robotique construit des dispositifs qui réagissent à l’environnement. Le focus de la BBR est le monde animal, plus particulièrement le comportement des insectes. Un des caractéristiques les plus importantes de cette discipline est \textit{l’adaptabilité} des systèmes qui en font partie. Ainsi, ces robots sont peu dotés d'une puissance de calcul pour réaliser des actions. En échange, leur comportement émerge des interactions qu’ils ont avec l’environnement. Le type d’intelligence artificielle qui opère dans ces systèmes est inspiré par la branche de l’IA faible. Leur programmation contient un set de base des comportements spécifiques, selon l’environnement où ils opèrent, avec les problèmes qu’ils doivent résoudre. Quand un comportement n’est pas adapté à un contexte particulier, ils s’appuient sur des erreurs pour améliorer leur modèle interne.\smallskip Le fondateur de cette discipline est Rodney Brooks, qui par ses expérimentations au Massachusetts Institute of Technology dans les années 1980, a mis les bases de la robotique basée sur le comportement. Ses premiers robots, avec des roues pour suggérer des pattes, ont été construits suite à ses observations des comportements anthropomorphiques. Parmi cela: éviter un obstacle, s’approcher d’une source de lumière, chercher à économiser sa batterie lors de longs trajets, etc. @@ -848,14 +872,14 @@ Paradoxalement, ce sont ces branches là qui se sont plus développés en roboti Une branche de la robotique qui s’inspire des systèmes vivants est la robotique développementale ou cognitive developmental robotics - CDR. L'ingénieur Minoru Asada, professeur au département Adaptive Machine Systems de l'université de Osaka, a mis les bases de cette discipline au début des années 2000: \begin{quote} -``Cognitive Developmental Robotics aims at understanding human cognitive developmental process by synthetic or constructive approaches. Its core ideas are \textit{physical embodiment} and \textit{social interaction} that enable information +``Cognitive Developmental Robotics aims at understanding human cognitive developmental process by synthetic or constructive approaches. Its core ideas are \textit{physical embodiment} and \textit{social interaction} that enable information structuring through interactions with the environment, including other agents.” prof. Minoru Asada, SISReCPost-cognitivisme \end{quote} -CDR se base sur des principes d'embodied cognition pour structurer l'information lors des interactions avec l'environnement. Elle propose des modèles de développement inspirés par +CDR se base sur des principes d'embodied cognition pour structurer l'information lors des interactions avec l'environnement. Elle propose des modèles de développement inspirés par les fonctions cognitives humaines en lien avec le comportement\cite{asada2009tamd}. -Le papier\cite{taniguchi2023tf} présente un état d'art concernant les défis de cette branche influente de la robotique. Ses auteurs se demandent comment mieux développer des robots qui explorent l'espace de manière autonome, comprennent ses réglés et apprennent d'une façon continuelle s'adapter à celles-ci. La réponse se trouve dans les études sur le développement des enfants, similaires aux théories de Piaget que j'ai mentionné au début de ce chapitre. Les enfants apprennent grâce à leurs interactions physiques, avec environnement et leurs tuteurs. L'affectivité et les capacités sociales, en anglais \textit{social skills}, jouent un rôle important dans ce processus. Pour Asada et ses collègues, ce processus d'apprentissage est permanent-en anglais \textit{continual or lifelong learning}. Les robots qui développement leur intelligence, doivent être capables d'adapter perpétuellement leur apprentissage de l'environnement, à travers l'expérience sensori-motrice de celui-ci. +Le papier\cite{taniguchi2023tf} présente un état d'art concernant les défis de cette branche influente de la robotique. Ses auteurs se demandent comment mieux développer des robots qui explorent l'espace de manière autonome, comprennent ses réglés et apprennent d'une façon continuelle s'adapter à celles-ci. La réponse se trouve dans les études sur le développement des enfants, similaires aux théories de Piaget que j'ai mentionné au début de ce chapitre. Les enfants apprennent grâce à leurs interactions physiques, avec environnement et leurs tuteurs. L'affectivité et les capacités sociales, en anglais \textit{social skills}, jouent un rôle important dans ce processus. Pour Asada et ses collègues, ce processus d'apprentissage est permanent-en anglais \textit{continual or lifelong learning}. Les robots qui développement leur intelligence, doivent être capables d'adapter perpétuellement leur apprentissage de l'environnement, à travers l'expérience sensori-motrice de celui-ci. Une autre direction promut également l'importance des processus réflexifs dans le développement de l'intelligence des robots\cite{takeno2012crc,zhegong2022springer}: \begin{quote} @@ -864,9 +888,9 @@ prof. Raja Chatila, ISIR et le test du miroir, 2016 \end{quote} -\subsection{Une \textit{cognition} artificielle? } +\subsection{Une \textit{cognition} artificielle?} -Comme nous avons vu auparavant, le début des années 1990 est marqué par la publication de plusieurs ouvrages comme celles de Brooks, Dreyfus et Varela, Thompson et Rosch sur une possible conscience des machines. Pour interroger le concept d'embodied cognition, les roboticiens s'appuient sur des théories en sciences cognitives, informatique et phénoménologie. Une des derniers tendances est le rapprochement avec l’autonomie biologique et la subjectivité comme nouvelle interprétation de la cognition incarnée\cite{Ziemke_AI}. +Comme nous avons vu auparavant, le début des années 1990 est marqué par la publication de plusieurs ouvrages comme celles de Brooks, Dreyfus et Varela, Thompson et Rosch sur une possible conscience des machines. Pour interroger le concept d'embodied cognition, les roboticiens s'appuient sur des théories en sciences cognitives, informatique et phénoménologie. Une des derniers tendances est le rapprochement avec l’autonomie biologique et la subjectivité comme nouvelle interprétation de la cognition incarnée\cite{Ziemke_AI}. Concernant la capacité de robots d’entreprendre des actions, traduit ici comme \textit{capacité d'agir} de l’anglais \gls{agency}, Ziemke affirme: @@ -879,7 +903,7 @@ Concernant la capacité de robots d’entreprendre des actions, traduit ici comm Pour continuer cette idée, le chercheur se demande si les boucles sensorimotrices disposent des moyens conceptuels pour distinguer les actions intentionnelles d’un agent autonome, des mouvements accidentels et réflexes. -Dans son livre \textit{How the body shapes the mind}\cite{gallagher2006body} (2006), le philosophe Shaun Gallagher avance l’idée que la compréhension scientifique et phénoménologique du corps est essentielle pour comprendre des phénomènes tels que la conscience ou la +Dans son livre \textit{How the body shapes the mind}\cite{gallagher2006body} (2006), le philosophe Shaun Gallagher avance l’idée que la compréhension scientifique et phénoménologique du corps est essentielle pour comprendre des phénomènes tels que la conscience ou la cognition. Son approche vise à développer un vocabulaire commun inspiré par: \begin{quote} ``les processus cérébraux en neurosciences, les expressions comportementales en psychologie, les préoccupations de conception en intelligence artificielle et en robotique, et les débats sur l’expérience incarnée dans la phénoménologie et la philosophie de l’esprit”. @@ -887,7 +911,7 @@ cognition. Son approche vise à développer un vocabulaire commun inspiré par: Gallagher analyse des phénomènes tels l’apprentissage de nouveau-nés par l’imitation, la conscience de soi, le libre arbitre, la cognition sociale et l’intersubjectivité, la perception intermodale pour en citer quelques-unes des thématiques abordées. Il aborde ces sujets au travers des concepts comme l'\gls{image corporelle} et le \gls{schéma corporelle}, la proprioception et la théorie de l’enactivisme. -Une de ses hypothèses est la théorie de l’ancrage physique, ou en anglais \gls{the physical grounding hypothesis} -PGH. Cette théorie stipule que le contenu et le fonctionnement de l’esprit +Une de ses hypothèses est la théorie de l’ancrage physique, ou en anglais \gls{the physical grounding hypothesis} (PGH). Cette théorie stipule que le contenu et le fonctionnement de l’esprit sont fondés sur les propriétés physiques et l’expérience incarnée de l’agent. Loin de promouvoir l’influence du physique sur le mental, Gallagher souligne la complexité des facteurs impliquées dans toute explication adéquate de la cognition. Entre outre le chercheur présente le rôle du schéma corporel dans une gamme de fonctions cognitives perceptives, parmi lesquelles la différenciation de soi et des autres. \begin{quote} ``In the beginning, that is, at the time of our birth, our human @@ -903,22 +927,21 @@ birth, is capable of imitating the gesture that it sees on the face of another person. It is thus capable of a certain kind of movement that foreshadows intentional action, and that propels it into a human world.” \end{quote} - - +Nous rajoutons à cela le travail de Ziemke sur les implications du terme \textit{grounding}\cite{ziemke1999rethinking} sur le comportement des agents non-humains incarnés, ainsi qu'une clarification par rapport au terme employé par Halprin dans ses expériences somatiques mentionnés dans le premier chapitre. Plus loin, Gallagher décrit le concept de schéma corporel et sa différence par rapport à l’image corporelle. Ainsi dans son acceptation, \textbf{le schéma corporel} est un système de capacités sensori-motrices, englobant tous les aspects non-conscients du contrôle moteur, y compris les processus sous-corticaux, pré-moteurs et moteurs dans le cerveau. Il mentionne également les systèmes d’information nécessaires au bon fonctionnement de ces processus. Il distingue le concept de schéma corporel de celui \textbf{d’image corporelle} vu comme résultat -des expériences perceptives du corps. Gallagher distingue les différences entre les deux termes au niveau conceptuel, mais aussi au niveau empirique donnant l’exemple d’un patient qui dans un état de négligence ne se préoccupe de son image de soi pour se laver ou s’habiller. Cependant ses capacités motrices telles que la marche ou les tâches bimanuelles telles restent intactes et il les exerce. Cela montre que même si l’image corporelle est altérée ou endommagée, le schéma corporel reste intact. +des expériences perceptives du corps. Gallagher distingue les différences entre les deux termes au niveau conceptuel, mais aussi au niveau empirique donnant l’exemple d’un patient qui dans un état de négligence ne se préoccupe de son image de soi pour se laver ou s’habiller. Cependant ses capacités motrices telles que la marche ou les tâches bimanuelles telles restent intactes et il les exerce. Cela montre que même si l’image corporelle est altérée ou endommagée, le schéma corporel reste intact. De même, les sujets qui ont perdu un membre ont la capacité de le ressentir\cite{the_limb_phanom_theory}. Plus loin, Gallagher illustre le cas des malformations congénitales, où le membre fantôme est signalé quelques années -après la naissance, d’habitude après une intervention chirurgicale, un accident ou un autre événement corporel important. Ainsi la probabilité qu’un schéma corporel ou une image corporelles soient innés, est très réduite. Dans les cas de membres fantômes, des informations contradictoires entre la proprioception(qui pourrait indiquer la présence d’un membre) et la vision (qui l’infirme) se basent sur la vision. Ainsi ce type d'accumulation d'information qui résulte de l'intéraction avec l'environnement des organismes vivants, pourrait être transposée aux machines. Leurs propres schémas corporels existent déjà et ce sont elles qui déterminent le comportement du robot. Reste à voir si le type de cognition acquise par l'agent vivant est proche à celle de l'agent artificiel. +après la naissance, d’habitude après une intervention chirurgicale, un accident ou un autre événement corporel important. Ainsi la probabilité qu’un schéma corporel ou une image corporelles soient innés, est très réduite. Dans les cas de membres fantômes, des informations contradictoires entre la proprioception(qui pourrait indiquer la présence d’un membre) et la vision (qui l’infirme) se basent sur la vision. Ainsi ce type d'accumulation d'information qui résulte de l'intéraction avec l'environnement des organismes vivants, pourrait être transposée aux machines. Leurs propres schémas corporels existent déjà et ce sont elles qui déterminent le comportement du robot. Reste à voir si le type de cognition acquise par l'agent vivant est proche à celle de l'agent artificiel. -\subsection{Des émotions artificielles} +\subsection{Des émotions artificielles} Les émotions jouent un rôle clé dans la question de la conscience. Prof. Asada supervise des études sur le développement de \textit{l’empathie artificiele} et le rôle de la \textit{contagion émotionnelle} dans la mimique motrice\cite{asada2015towards}. Son équipe met en place des études sur le type de cognition que les bébés développent dans leurs premiers mois, pour ensuite transposer ses principes à des robots. L’évolution corporelle et la croissance des humains est pour lui un des concepts clé de la robotique cognitive. \textbf{Le rôle de l’introspection} -L’introspection permet aux humains d’être conscients de leurs propre processus mentaux. Ces processus semblent avoir une séquence linéaire comme la production de la parole ou des lignes de raisonnement. L’introspection influence également les actes artistiques. Pendant la phase de création, un artiste sonde son imaginaire pour clarifier ses intuitions. Lorsque nous nous rappelons de l’exemple donné par Block, c’est intéressant d'analyser un possible scénario où la personne aurait prêté attention au bruit auparavant ignoré. Cela pourrait produire un type d’expérience subjective, à la limite de la conscience d’accès, pour ensuite déterminer à partir de quand le bruit est devenu conscient. Cette introspection liée à un stimulus extérieur, trouve son équivalent dans l’acte d’introspection de l’artiste qui veut mieux comprendre ses intuitions. +L’introspection permet aux humains d’être conscients de leurs propre processus mentaux. Ces processus semblent avoir une séquence linéaire comme la production de la parole ou des lignes de raisonnement. L’introspection influence également les actes artistiques. Pendant la phase de création, un artiste sonde son imaginaire pour clarifier ses intuitions. Lorsque nous nous rappelons de l’exemple donné par Block, c’est intéressant d'analyser un possible scénario où la personne aurait prêté attention au bruit auparavant ignoré. Cela pourrait produire un type d’expérience subjective, à la limite de la conscience d’accès, pour ensuite déterminer à partir de quand le bruit est devenu conscient. Cette introspection liée à un stimulus extérieur, trouve son équivalent dans l’acte d’introspection de l’artiste qui veut mieux comprendre ses intuitions. Ainsi la distinction de Block entre conscience phénoménale et conscience d’accès a des implications importantes pour les neuroscientifiques et les informaticiens qui cherchent à modéliser une conscience artificielle dans des dispositifs tels les robots. Mais une fois cette intention exprimée, comment pouvons-nous savoir si l’algorithme a produit une conscience semblable à celle de l’homme? Dans la même mesure, developper des expériences subjectives pour la conscience phénoménale des robots, implique des considérations éthiques. Heureusement le moyen pour doter rationnellement les machines de nos expériences personnelles, parfois irrationnelles, n’est pas encore à notre portée. Même si la communauté scientifique est divisée et de nombreux neuro-biologistes et informaticiens estiment que les philosophes sont trop pessimistes quant à la capacité des algorithmes de modéliser la conscience humaine, il est important de comprendre nos motivations et intentions face à cela.\smallskip Les paradigmes sur l’énaction, en anglais \textbf{the enactive theory}, ont émergé après la publication du livre \textit{The Embodied Mind} (1992) que nous avons déjà mentionné plus haut. Par son biais, nous découvrons que les expériences perceptives ne sont pas des événements internes dans notre tête, mais plutôt des actions que nous produisons à travers notre exploration sensorimotrice de l’ environnement. @@ -939,7 +962,7 @@ Ludwig von Bertalanffy, intéresse également certains roboticiens et nous allon ``une caractéristique qui semble apparaître toujours dans la connaissance scientifique et qui ne se retrouve pas, en revanche, dans la connaissance non scientifique, à savoir l’explicitation des concepts avec lesquels la connaissance en question opère.” \end{quote} -Alors que Jean Piaget met en avant deux concepts-clé pour caractériser l’interaction des systèmes dites intelligentes avec l’environnement. Le premier est le concept d’\textit{assimilation des schémas de comportement préexistant} et l’autre le concept d’\gls{adaptation}. Concept clé en robotique, la capacité d'adaptation est considérée ici comme moment d’équilibre entre deux états, évoquant un sentiment de plaisir quand cet équilibre atteint. Selon le point de vue de Piaget, l’intelligence humaine se développe avec l’âge, passant par plusieurs étapes parmi lesquelles: l’intelligence logico-mathématique, musicale, spatiale, corporelle-kinesthésique, +Alors que Jean Piaget met en avant deux concepts-clé pour caractériser l’interaction des systèmes dites intelligentes avec l’environnement. Le premier est le concept d’\textit{assimilation des schémas de comportement préexistant} et l’autre le concept d’\gls{adaptation}. Concept clé en robotique, la capacité d'adaptation est considérée ici comme moment d’équilibre entre deux états, évoquant un sentiment de plaisir quand cet équilibre atteint. Selon le point de vue de Piaget, l’intelligence humaine se développe avec l’âge, passant par plusieurs étapes parmi lesquelles: l’intelligence logico-mathématique, musicale, spatiale, corporelle-kinesthésique, interpersonnelle et ainsi de suite.\smallskip Le chercheur Olivier Houdé, specialiste en developpement cognitif, complète cette théorie\cite{Houdé}, en situant trois phases de l’intelligence humaine modélisés dans des algorithmes: @@ -967,7 +990,7 @@ Dans son analyse \textit{A unified model of cognition, emotion and action}\cite{ \end{itemize} -De façon analogique, ces critères correspondent aussi aux propriétés des émotions. Cela est traduit par des attributs comme la \textit{valence}(critère A et E via des stimuli extérieurs), \textit{la capacité d’activation}(critère C et D, selon les feedback de sous-systèmes) et \textit{la potence}(correspondant au critère B). Plus loin en parlant des émotions, Pollermann cite le neuropsychologist Douglas Watt pour qui lorsque les paramètres de base dépassent les variations connues, l’état est ressenti et interprété comme émotionnel: +De façon analogique, ces critères correspondent aussi aux propriétés des émotions. Cela est traduit par des attributs comme la \textit{valence}(critère A et E via des stimuli extérieurs), \textit{la capacité d’activation}(critère C et D, selon les feedback de sous-systèmes) et \textit{la potence}(correspondant au critère B). Plus loin en parlant des émotions, Pollermann cite le neuropsychologist Douglas Watt pour qui lorsque les paramètres de base dépassent les variations connues, l’état est ressenti et interprété comme émotionnel: \begin{quote} ``When internal physiological states are outside a desirable range, both visceral sensations and action dispositions are activated.” \end{quote} @@ -1013,26 +1036,26 @@ I.2.3.3 Des émotions artificielles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .67 Ce chapitre se concentre sur les enjeux des pratiques artistiques en lien avec le mouvement, dans le contexte des spectacles ou installations avec des robots. Il introduit la biomécanique comme manière d’appréhender le corps sur scène, ainsi que des défis dans les approches scéniques contemporaines, notamment celles qui utilisent des robots. -Dans son livre \textit{La robotique: une récidive d’Héphaïstos!}\cite{laumond2012robotique} (2012) Jean-Paul Laumond décrit la controverse entre la science- ``dont l’objectif est de déduire” par rapport à la technologie- ``préoccupé davantage par le faire ” et les observations empiriques. Pour lui, la robotique est née de la tension entre ces deux approches contemporaines. Elles +Dans son livre \textit{La robotique: une récidive d’Héphaïstos!}\cite{laumond2012robotique} (2012) Jean-Paul Laumond décrit la controverse entre la science- ``dont l’objectif est de déduire” par rapport à la technologie- ``préoccupé davantage par le faire” et les observations empiriques. Pour lui, la robotique est née de la tension entre ces deux approches contemporaines. Elles s’inspirent à leur tour des lois du vivant, de la physique, de la biologie, des neurosciences, de la psychologie et d’autres théories complémentaires. Ainsi, la robotique peut être considérée comme un moyen de comprendre et de mettre en œuvre la complexité du vivant, à travers un mélange des savoirs-faire et des pratiques. Dans une démarche parallèle, cette complexité du vivant pourrait être appréhendée -aussi grâce à l’art, définie ici comme une approche issue ``ses intentions spéculatives et provocatrices”\cite{penny2019mit}. L’artiste Simon Penny utilise la dichotomie entre une forme de savoir qui réside dans l’abstraction et une autre qui réside dans la réalité concrète du monde, pour introduire une discipline émergente qu’il +aussi grâce à l’art, définie ici comme une approche issue ``ses intentions spéculatives et provocatrices”\cite{penny2019mit}. L’artiste Simon Penny utilise la dichotomie entre une forme de savoir qui réside dans l’abstraction et une autre qui réside dans la réalité concrète du monde, pour introduire une discipline émergente qu’il intitule la \gls{robotique culturelle}. Ce concept met en avant le lien entre les robots et les sociétés dans lesquelles ces derniers évoluent. Si dans les premiers chapitres nous avons pu comprendre le contexte transdisciplinaire que cette thèse défend, le présent chapitre traite du rapport du corps à la scène (qu'il s'agit d'un corps humain ou non-humain) et les implications que cela peut avoir du point de vue de la robotique. \section{La biomécanique comme façon d’appréhender le corps} La \gls{biomécanique} est largement utilisée dans la robotique, notamment concernant le design des robots. Le terme regroupe la biologie comme science du vivant et la mécanique comme science physique d’étude du mouvement, comprenant les déformations et les états d’équilibre du corps. Plus concrètement, cette discipline étudie la physiologie du mouvement dans le corps humain, avec ses fonctions et ses propriétés respectives. -D'autres disciplines comme la médecine ou la cinématographie s’appuient sur des principes de biomécanique pour avancer leurs recherches respectives. Dans le domaine du spectacle vivant, des chorégraphes et des artistes numériques, se sont également intéressés à la biomécanique pour développer leurs pratiques en lien avec des robots. +D'autres disciplines comme la médecine ou la cinématographie s’appuient sur des principes de biomécanique pour avancer leurs recherches respectives. Dans le domaine du spectacle vivant, des chorégraphes et des artistes numériques, se sont également intéressés à la biomécanique pour développer leurs pratiques en lien avec des robots. \subsection{Meyerhold et son approche sociologique} -La biomécanique est également le nom d'une discipline enseignée par le metteur en scène russe Vsevolod Emilievitch Meyerhold (1874–1940). Cette discipline fait son apparition au début du XXe siècle pour cultiver une conscience de soi ainsi qu’un travail plastique et rythmique de l’acteur dans l'espace. Inspirée entre autres par la commedia dell’arte et le travail des danseuses Isadora Duncan et Loïe Fuller, cette méthode d’entraînement physique permet aux acteurs de développer leur coordination et leur sens du rythme au plateau. +La biomécanique est également le nom d'une discipline enseignée par le metteur en scène russe Vsevolod Emilievitch Meyerhold (1874–1940). Cette discipline fait son apparition au début du XXe siècle pour cultiver une conscience de soi ainsi qu’un travail plastique et rythmique de l’acteur dans l'espace. Inspirée entre autres par la commedia dell’arte et le travail des danseuses Isadora Duncan et Loïe Fuller, cette méthode d’entraînement physique permet aux acteurs de développer leur coordination et leur sens du rythme au plateau. En comparaison avec d’autres concepts en théâtre, Meyerhold considérait le -mouvement scénique comme un des moyens d’expression les plus puissants. Ainsi +mouvement scénique comme un des moyens d’expression les plus puissants. Ainsi il dirige entre 1914 et 1917, dans son studio à Pétersbourg, une série d’études de pantomime accompagnées au piano. Les exercices appelés ``Les Deux Smeraldina”, ``Le poignard” ou ``La gifle”, reposent sur des actions comme le @@ -1051,7 +1074,7 @@ dans des mouvements superflus qui diminuent son efficacité. Pour Taylor, il est équivalents. A la même époque, des médecins comme Vladimir Bekhterev ou Ivan Pavlov ont aussi entamé des recherches sur les comportements et le conditionnement des réflexes humains. Selon leurs observations, tout comportement humain peut s’expliquer par l’histoire des interactions de l’individu avec son environnement. Ces observations sont encore actuelles et appliqués dans différentes domaines, notamment la robotique, comme nous avons mentionné plus haut. En s’inspirant de ces observations, Meyerhold les applique ainsi à sa méthode d’entraînement physique des acteurs. Les effets de ce processus sont ressentis -lors des spectacles dont le rythme des acteurs est proche d’une chorégraphie. Si le décor est souvent inspiré par le courant constructiviste - dont la philosophie repose sur l’austérité et les motifs non-figuratifs- les déplacements des acteurs dessinent des parcours géométriques à la façon d’une danse contemporaine. Les parcours dépendent du nombre pair ou impair des acteurs qui créent des constellations dans l’espace pour suggérer la mécanisation des processus artistiques. D’une façon avant-gardiste et engagée, Meyerhold a dédié son travail à la lutte des classes, aux problèmes sociaux, en espérant contribuer à la création d’un nouveau type humain. Le culte de personnalité et les dérives du régime +lors des spectacles dont le rythme des acteurs est proche d’une chorégraphie. Si le décor est souvent inspiré par le courant constructiviste - dont la philosophie repose sur l’austérité et les motifs non-figuratifs- les déplacements des acteurs dessinent des parcours géométriques à la façon d’une danse contemporaine. Les parcours dépendent du nombre pair ou impair des acteurs qui créent des constellations dans l’espace pour suggérer la mécanisation des processus artistiques. D’une façon avant-gardiste et engagée, Meyerhold a dédié son travail à la lutte des classes, aux problèmes sociaux, en espérant contribuer à la création d’un nouveau type humain. Le culte de personnalité et les dérives du régime totalitaire stalinien ont fait que son théâtre soit fermé en 1938 et le metteur en scène exécuté en 1940, malgré le fait qu’il soutenait pleinement les idées communiste. Presque un siècle après sa mort, ses écrits inspirent des metteurs en scène et chorégraphes contemporains. Entre temps, les robots défient les performances physiques des humains dans le travail industriel. Il nous reste à comprendre leur potentiel dans les domaines artistiques, notamment le spectacle vivant. Sur scène ils sont pour le moment loin de la flexibilité des danseurs par exemple, mais les prochaines années vont déterminer comment ils peuvent acquérir un corps performatif et performant. @@ -1067,11 +1090,11 @@ cite des chorégraphes tels Ingvartsen et Jefta VanDinther ou Eszter Salamon pou Portanova dont Cvejic nous fait découvrir le travail. A son tour, Portanova travaille sur les nouvelles technologies et leur impact sur la danse\cite{portanova2013moving}. Dans le chapitre \textit{Can objects be processes?}, elle se demande comment le geste dansé peut s’échapper à la linéarité du temps et faire émerger un contenu original, atemporel. Dans le contexte d’une monde dominé par les ordinateurs et les sciences computationnelles, elle désigne le \gls{glitch} comme élément capable de transgresser les lois physiques et de provoquer une faille anachronique dans des représentations scéniques: \begin{quote} -``l’émergence prend la forme d'un glitch, comme une interruption de la chaîne relationnelle continue entre passé et futur, du moment où les données passées sont valorisées et où des idées particulières sont sélectionnées dans une occasion d'expérience, afin de déterminer quelle sera cette future occasion d’émergence\footnote{version originelle: ``the appearance of the new takes the form of a glitch, an interruption of the continuous relational chain between past and future, the moment when past data are valued and particular ideas are selected in an occasion of experience, in order to determine what the future occasion will be.”}.”\cite{portanova2013moving} -\end{quote} +``l’émergence prend la forme d'un glitch, comme une interruption de la chaîne relationnelle continue entre passé et futur, du moment où les données passées sont valorisées et où des idées particulières sont sélectionnées dans une occasion d'expérience, afin de déterminer quelle sera cette future occasion d’émergence\footnote{en version originale: ``the appearance of the new takes the form of a glitch, an interruption of the continuous relational chain between past and future, the moment when past data are valued and particular ideas are selected in an occasion of experience, in order to determine what the future occasion will be.”}.”\cite{portanova2013moving} +\end{quote} Son hypothèse se construit autour du travail du chorégraphe William -Forsythe. Le spectacle \textit{One Flat Thing, reproduced}(2000) a comme contrepoids numérique \textit{Synchronous Objects for One Flat Thing reproduced} - un outil de visualisation des paramètres chorégraphiques dont l'apparence est proche d'un site vidéo, créé par la -compagnie de danse Forsythe en collaboration avec l’Université d’Ohio. Les paramètres captés lors du mouvement des danseurs sont transposés en données statistiques en lien avec la musique, l’architecture, ou la géographie. Cela permets d'explorer sous un autre ongle les possibilités de composition entre le mouvement et l’espace. Le site \textit{Synchronous Objects}\footnote{https://synchronousobjects.osu.edu/} ne peut pas reproduire la chorégraphie à posteriori, malgré la multitude des données capturées et l’infinité des possibilités de représentation, puisque le temps de la performance est unique dans sa temporalité. Pour Stamatia, l’analogie avec le glitch trouve son correspondant dans l’instantanéité du présent quand chaque mouvement répétée en dehors de la représentation, donne suite à une œuvre inédite et éphémère. +Forsythe. Le spectacle \textit{One Flat Thing, reproduced}(2000) a comme contrepoids numérique \textit{Synchronous Objects for One Flat Thing reproduced} - un outil de visualisation des paramètres chorégraphiques dont l'apparence est proche d'un site vidéo, créé par la +compagnie de danse Forsythe en collaboration avec l’Université d’Ohio. Les paramètres captés lors du mouvement des danseurs sont transposés en données statistiques en lien avec la musique, l’architecture, ou la géographie. Cela permets d'explorer sous un autre ongle les possibilités de composition entre le mouvement et l’espace. Le site \textit{Synchronous Objects}\footnote{https://synchronousobjects.osu.edu/} ne peut pas reproduire la chorégraphie à posteriori, malgré la multitude des données capturées et l’infinité des possibilités de représentation, puisque le temps de la performance est unique dans sa temporalité. Pour Stamatia, l’analogie avec le glitch trouve son correspondant dans l’instantanéité du présent quand chaque mouvement répétée en dehors de la représentation, donne suite à une œuvre inédite et éphémère. Mettre en scène des robots est souvent sujet à des contingences et erreurs de dernière minute. Nous l'avons aussi constaté lors des expérimentations en improvisation présentées dans la deuxième partie de cette thèse. Le caractère imprévisible des robots est aussi catalyseur d'une inspiration artistique, leurs partenaires humains développent une forte capacité d'adaptation et de présence. Souvent un spectacle avec des robots, n'est pas le même d'une représentation à l'autre. Les œuvres que nous allons évoquer dans les prochaines pages en témoignent. @@ -1080,14 +1103,14 @@ Mettre en scène des robots est souvent sujet à des contingences et erreurs de Les œuvres chorégraphiques analysées par Cvejic ne remplacent pas les danseurs par des agents non-humains ou des systèmes numériques comme dans l’étude de Portanova. En échange, elles mettent en scène le corps comme support physique du mouvement. Cvejic insiste -sur la manière dont la relation entre le corps et le mouvement est rendue impersonnelle, \textit{dé-subjectivé}, mais aussi \textit{dé-objectivé} sur la base de celle qu'elle définit comme une perturbation délibérée entre sujet et objet. Pour elle, la subjectivation traite le corps comme une source d’expression de soi. Ainsi par le mouvement jaillit l’envie du corps d’exprimer son expérience émotionnelle intérieure. A l’inverse, l’objectivation restreint le corps à un simple instrument d’articulation physique, dont le mouvement se fait ``en” et ``pour” lui-même. La chercheuse nous introduit au \textit{concept deleuzien de reconnaissance} où le corps et le mouvement se situent dans des relations d’interdépendance. L’identité subjective du danseur est reflétée et représentée +sur la manière dont la relation entre le corps et le mouvement est rendue impersonnelle, \textit{dé-subjectivé}, mais aussi \textit{dé-objectivé} sur la base de celle qu'elle définit comme une perturbation délibérée entre sujet et objet. Pour elle, la subjectivation traite le corps comme une source d’expression de soi. Ainsi par le mouvement jaillit l’envie du corps d’exprimer son expérience émotionnelle intérieure. A l’inverse, l’objectivation restreint le corps à un simple instrument d’articulation physique, dont le mouvement se fait ``en” et ``pour” lui-même. La chercheuse nous introduit au \textit{concept deleuzien de reconnaissance} où le corps et le mouvement se situent dans des relations d’interdépendance. L’identité subjective du danseur est reflétée et représentée dans l’identité objective du mouvement. Comprendre les facteurs qui facilitent ce processus de symbiose, nous aide à mieux définir un corps en mouvement. Déconstruire le corps humain sur scène signifie également donner l'impression d'une multiplicité de corps à partir de ses membres. Par le fait d’éviter l’unification d’une seule figure reconnaissable dans sa forme et son image, le corps est objectivé. Comme -Cvejic le souligne dans son livre, partitionner le corps pour recomposer ses parties dans un processus de devenir, laisse apparaître des nouveaux corps différents et méconnaissables. Cette volonté d'effacer le corps, de le déconstruire, anticipe l'apparition des autres corporéités, non-humaines et artificielles sur le plateau. +Cvejic le souligne dans son livre, partitionner le corps pour recomposer ses parties dans un processus de devenir, laisse apparaître des nouveaux corps différents et méconnaissables. Cette volonté d'effacer le corps, de le déconstruire, anticipe l'apparition des autres corporéités, non-humaines et artificielles sur le plateau. En ce qui concerne mon contexte particulier de spectacles avec des robots, je rajoute une dimension dans la dialectique corps-mouvement. Le corps en mouvement doit être en symbiose avec la machine. Là où les danseurs réalisent une synthèse entre leurs corps et le mouvement (ou ils accordent leurs corps à un mouvement spécifique), les machines deviennent la structure qui oriente cette symbiose dans le temps et l'espace. Le robot détermine comment les corps bougent sur un plateau, bien que souvent nous sommes encouragés de croire le contraire. Cette objectivation opère à plusieurs niveaux, physique et phénoménologique, avec pour seul indicateur l’expressivité humaine qui compense là où la machine n'arrive pas (encore) à s'exprimer. Dans l'optique de Cvejic, les philosophes Deleuze et Guattari voient ce résultat hybride des objets détachées et des corps réorganisés, comme un processus perpétuel: \begin{quote} ``Les objets fragmentés ne dérivent qu'en apparence des personnes(sujets) entiers; -ils sont en réalité produits en étant prélevés d'un flux ou d'une matière non personnelle, avec laquelle ils rétablissent le contact en se re-connectant à d’autres objets fragmentés.\footnote{en version originale: ``Partial objects are only apparently derived from (prélevés sur) global persons; they are really produced by being drawn from (prélevés sur) a flow or a nonpersonal hyle, with which they re-establish contact by connecting themselves to other partial objects.” }” +ils sont en réalité produits en étant prélevés d'un flux ou d'une matière non personnelle, avec laquelle ils rétablissent le contact en se re-connectant à d’autres objets fragmentés\footnote{en version originale: ``Partial objects are only apparently derived from (prélevés sur) global persons; they are really produced by being drawn from (prélevés sur) a flow or a nonpersonal hyle, with which they re-establish contact by connecting themselves to other partial objects.”.}” \cite{cvejic2015disjunctive} \end{quote} @@ -1098,12 +1121,11 @@ Cette perspective de la fragmentation perpétuelle, peut représenter un vérita Pour parler de sa démarche, Salomon cite à son tour la critique d'art Peggy Phelan pour qui toute performance à sa propre réalité. Cette réalité existe seulement pendant le temps de la représentation: \begin{quote} -``La vie d'une performance réside seulement dans le présent. Une performance ne peut pas être sauvegardée, enregistrée, documentée; elle ne peut pas participer d’une autre manière à la circulation des représentations de représentations : une fois que cela se produit, elle devient autre chose que de la performance. -.\footnote{en version originale:``Performance's only life is in the present. Performance cannot be saved, recorded, documented, or otherwise participate in the circulation of representations of representations: once it does so, it becomes something other than performance.” }” +``La vie d'une performance réside seulement dans le présent. Une performance ne peut pas être sauvegardée, enregistrée, documentée; elle ne peut pas participer d’une autre manière à la circulation des représentations de représentations : une fois que cela se produit, elle devient autre chose que de la performance\footnote{en version originale:``Performance's only life is in the present. Performance cannot be saved, recorded, documented, or otherwise participate in the circulation of representations of representations: once it does so, it becomes something other than performance.”.}” \cite{phelan2003unmarked} \end{quote} -Pour créer \textit{Nvsbl}, la chorégraphe hongroise s’est inspirée des techniques somatiques comme le Body Mind Centering, mentionné dans le chapitre antérieur. Comme le souligne Cvejic, tous les paramètres par lesquels le mouvement est habituellement perçu et reconnu sont suspendus lors de cette représentation. Aucun élément corporel ne peut être distingué comme initiateur du mouvement, puisque chaque performeuse est impliquée dans un mouvement perpétuel qui opère à son intérieur. Certains chercheurs\cite {royo2016mit} évoquent le concept de regard oscillatoire, en anglais \textit{oscillating gaze}, pour faire référence au mouvement d’attention qui sollicité le spectateur pour regarder différemment ce que se déploie devant ses yeux. Lors de cette expérience, des nombreuses parties du corps s’engagent simultanément dans un processus de dépliage des formes, pour devenir objet. Performeur et spectateur vivent ce processus différemment, mais saisissent ses enjeux de la même manière. \smallskip +Pour créer \textit{Nvsbl}, la chorégraphe hongroise s’est inspirée des techniques somatiques comme le Body Mind Centering, mentionné dans le chapitre antérieur. Comme le souligne Cvejic, tous les paramètres par lesquels le mouvement est habituellement perçu et reconnu sont suspendus lors de cette représentation. Aucun élément corporel ne peut être distingué comme initiateur du mouvement, puisque chaque performeuse est impliquée dans un mouvement perpétuel qui opère à son intérieur. Certains chercheurs\cite {royo2016mit} évoquent le concept de regard oscillatoire, en anglais \textit{oscillating gaze}, pour faire référence au mouvement d’attention qui sollicité le spectateur pour regarder différemment ce que se déploie devant ses yeux. Lors de cette expérience, des nombreuses parties du corps s’engagent simultanément dans un processus de dépliage des formes, pour devenir objet. Performeur et spectateur vivent ce processus différemment, mais saisissent ses enjeux de la même manière. Une analogie plus simple fait référence à la manière d'employer des objets ou dispositifs non technologiques sur un plateau. Cvejic prend comme exemple le spectacle \textit{It’s in the air}(2008) par Ingvartsen and Jefta VanDinther dont il est question de réinventer le corps et ses limites dans un contexte où les lois physiques sont transgressées. Ce spectacle où un homme et une femme performent sur deux trampolines géantes, s’organise autour de plusieurs rencontres mouvement-machine. Le mouvement reste partagée entre le corps et le trampoline, entre le volontarisme de l’action et le lâcher-prise de la personne qui subisse le rebond: @@ -1112,15 +1134,15 @@ la personne qui subisse le rebond: trampoline peut faire pour nous. En utilisant les trampolines comme contrainte pour la production du mouvement, nous nous forçons à reconsidérer tout ce que nous savons sur le corps dansant: en relation avec le poids, la forme, la gravité, la direction, le rythme -et la composition.\footnote{en version originelle: ``We are not looking for what we can do on a trampoline but rather for what a trampoline can do for us. By introducing the trampolines as a resistance +et la composition\footnote{en version originale: ``We are not looking for what we can do on a trampoline but rather for what a trampoline can do for us. By introducing the trampolines as a resistance to the movement production, we force ourselves to reconsider everything we know about the dancing body, in relation to weight, shape, gravity, direction, rhythm -and phrasing.” }” +and phrasing.”.}” \cite{cvejic2015disjunctive} \end{quote} Les deux performeurs multiplient les possibilités d’expression, alternant entre le lâcher prise et la maîtrise totale du geste, un corps tonique et un corps mou, un saut haut et un saut très bas. Le rythme de leurs sauts donne l’impression d’un visionnage des images cinématographiques à la façon d'un étude de mouvement de Muybridge. Le corps apparaît comme une figure, à la fois humaine, animale et -mécanique, en compétition avec la gravité. Sa dé-subjectivation en relation avec des trampolines, montre comment des dispositifs techniques moins complexes que les robots peuvent nous interpeller tout autant. +mécanique, en compétition avec la gravité. Sa dé-subjectivation en relation avec des trampolines, montre comment des dispositifs techniques moins complexes que les robots peuvent nous interpeller tout autant. @@ -1137,12 +1159,12 @@ Au cours des dernières décennies, des chercheurs dans différents domaines de \label{fig:abderheart-robot} \end{figure} -Pour programmer des robots qui dansent, trouvons d'abord des analogies entre les symboles abstraits des programmateurs et les signaux physiques des corps en mouvement. Selon le roboticien Jean-Pierre Laumont, ``un mouvement est perçu par les autres dès son achèvement dans l’espace physique”\cite{laumond2016dance}. Pour lui, toute analyse du mouvement humain qui peut être transmise aux robots, se concentre sur la relation entre l’espace physique et l’espace corporel. Les roboticiens sont confrontés à ces questions quand ils modélisent un espace physique comme \textit{l’espace opérationnel} dans lequel les actions du robot sont exprimées, alors que \textit{l’espace du corps} est, pour eux, l’espace de contrôle ou l’espace de configuration du système robotique considéré. Leur travail se concentre sur la prise en compte des informations cinématiques d’un mouvement tout comme sur les informations dynamiques - par exemple les forces de contact avec l’environnement lors d’un mouvement. La dynamique permet entre autres, de contrôler la stabilité du robot pour générer des mouvements fluides et sûrs. Comparativement à la biomécanique, qui permet d’affiner l’interaction du corps humain avec son environnement, la dynamique est un critère important pour observer la qualité d’un mouvement et mesurer sa performance. Ainsi les humains, comme les animaux, utilisent des forces de contact pour générer du mouvement et se tenir debout face à la gravité. Pour cela, ils effectuent des tâches complexes où ils adaptent leur corps à l’environnement de façon spontanée. La communauté scientifique à formalisé ces propriétés innées dans la théorie des primitives de mouvement dynamique\cite{DMP}, ou en -anglais \gls{Dynamic Movement Primitives} (DMP). Pour programmer des mouvements similaires dans un robot qui danse, il faut décomposer sa séquence dans une série de mouvements élémentaires, basée à son tour sur des primitives de mouvements dynamiques. Lorsqu’il s’agit de modéliser les processus psycho-somatiques ou les émotions qui déterminent une danse, les choses deviennent en général plus compliquées. Des avancées en neurosciences s’intéressent à ce type de défis et j'ai pu découvrir quelques travaux robotiques dans ce sens\cite{damiano2020emotions, stock2022ijsr}. +Pour programmer des robots qui dansent, trouvons d'abord des analogies entre les symboles abstraits des programmateurs et les signaux physiques des corps en mouvement. Selon le roboticien Jean-Pierre Laumont, ``un mouvement est perçu par les autres dès son achèvement dans l’espace physique”\cite{laumond2016dance}. Pour lui, toute analyse du mouvement humain qui peut être transmise aux robots, se concentre sur la relation entre l’espace physique et l’espace corporel. Les roboticiens sont confrontés à ces questions quand ils modélisent un espace physique comme l'\textit{espace opérationnel} dans lequel les actions du robot sont exprimées, alors que \textit{l’espace du corps} est, pour eux, l’espace de contrôle ou l’espace de configuration du système robotique considéré. Leur travail se concentre sur la prise en compte des informations cinématiques d’un mouvement tout comme sur les informations dynamiques - par exemple les forces de contact avec l’environnement lors d’un mouvement. La dynamique permet entre autres, de contrôler la stabilité du robot pour générer des mouvements fluides et sûrs. Comparativement à la biomécanique, qui permet d’affiner l’interaction du corps humain avec son environnement, la dynamique est un critère important pour observer la qualité d’un mouvement et mesurer sa performance. Ainsi les humains, comme les animaux, utilisent des forces de contact pour générer du mouvement et se tenir debout face à la gravité. Pour cela, ils effectuent des tâches complexes où ils adaptent leur corps à l’environnement de façon spontanée. La communauté scientifique à formalisé ces propriétés innées dans la théorie des primitives de mouvement dynamique\cite{DMP}, ou en +anglais \gls{Dynamic Movement Primitives} (DMP). Pour programmer des mouvements similaires dans un robot qui danse, il faut décomposer sa séquence dans une série de mouvements élémentaires, basée à son tour sur des primitives de mouvements dynamiques. Lorsqu’il s’agit de modéliser les processus psycho-somatiques ou les émotions qui déterminent une danse, les choses deviennent en général plus compliquées. Des avancées en neurosciences s’intéressent à ce type de défis et j'ai pu découvrir quelques travaux robotiques dans ce sens\cite{damiano2020emotions, stock2022ijsr}. De façon pratique, chaque mouvement peut être modélisé sous la forme d’une équation mathématique qui respecte les lois physiques. Cette équation est à son tour traduite en langage de programmation. Des modèles mathématiques susjacents à l’analyse de la dynamique du mouvement humain correspondent à des modèles descriptifs basés sur une multitude de variables mécaniques. Dans ce sens, les équations de mouvement ont une terminologie spécifique, selon leur domaine d’utilisation. De façon générale, elles décrivent le mouvement d’un objet physique selon les lois de la mécanique newtonienne. Ce mouvement peut être représenté sous la forme de coordonnées sphériques, cylindriques ou cartésiennes. Il comprend l’accélération de l’objet en fonction de sa position, de sa vitesse, de sa masse et les variables connexes. \smallskip -Toujours selon Laumond, une équation de mouvement en robotique est définie comme un moyen de comprendre la relation qui varie entre le temps pour un mouvement spécifique, le moment des forces appliquées sur l’environnement et les forces générées par les muscles et transmises par couples articulaires. Pour les humains, la capacité de combiner et d’adapter des unités de mouvement de base en tâches complexes, se produit par la coordination entre des muscles et des articulations. Puisque le corps humain dispose d’approximativement 700 muscles, 360 articulations et 206 os\cite{tozeren1999human}, le même mouvement peut être réalisé en activant différentes parties du corps. Définir le mouvement à partir des multiples stratégies possibles dévient encore plus compliqué lorsque nous prenons en compte la spécificité de chaque individu. Cette spécificité est souvent observée lors des séances d’éducation somatique comme le Feldenkrais où l’intuition et le ressenti du praticien comptent plus que les statistiques et les équations mathématiques des scientifiques. Néanmoins une fois une hypothèse émise, elle doit être vérifiée scientifiquement pour pouvoir être validée et acceptée par la communauté scientifique. C’est en cela qu’un travail intuitif et instinctif en danse contemporaine est à ce jour difficilement transposée en robotique. +Toujours selon Laumond, une équation de mouvement en robotique est définie comme un moyen de comprendre la relation qui varie entre le temps pour un mouvement spécifique, le moment des forces appliquées sur l’environnement et les forces générées par les muscles et transmises par couples articulaires. Pour les humains, la capacité de combiner et d’adapter des unités de mouvement de base en tâches complexes, se produit par la coordination entre des muscles et des articulations. Puisque le corps humain dispose d’approximativement 700 muscles, 360 articulations et 206 os\cite{tozeren1999human}, le même mouvement peut être réalisé en activant différentes parties du corps. Définir le mouvement à partir des multiples stratégies possibles dévient encore plus compliqué lorsque nous prenons en compte la spécificité de chaque individu. Cette spécificité est souvent observée lors des séances d’éducation somatique comme le Feldenkrais où l’intuition et le ressenti du praticien comptent plus que les statistiques et les équations mathématiques des scientifiques. Néanmoins une fois une hypothèse émise, elle doit être vérifiée scientifiquement pour pouvoir être validée et acceptée par la communauté scientifique. C’est en cela qu’un travail intuitif et instinctif en danse contemporaine est à ce jour difficilement transposée en robotique. En fonction des mesures disponibles et de la partie du corps qui initie le mouvement humain, différentes approches peuvent être envisagées. Certaines chercheurs se concentrent seulement sur le mouvement des extrémités ou du torse, ce que correspond au \gls{task-space} ou l’espace des tâches en robotique\cite{kajita2014springer}, \cite{bouyarmane2018quadratic}. @@ -1153,30 +1175,30 @@ Hubert Godard fait appel au concept de pré-mouvement comme langage non conscien \begin{quote} ``Tout un système de muscles dit gravitaires, dont l’action échappe pour un grande part à la conscience vigile et à la volonté, est chargé d’assurer notre posture; ce sont eux qui maintiennent notre équilibre et qui nous permettent de nous tenir debout sans avoir à y penser. Il se trouve que ces muscles sont aussi ceux qui enregistrent nos changements d’état affectif et émotionnel. Ainsi, toute modification de notre posture aura une incidence sur notre état émotionnel, et réciproquement tout changement affectif entraînera une modification, même imperceptible, de notre posture.”\cite{ginot1998danse} \end{quote} -A partir de ces postulats théoriques(task space, équations de mouvement, pré-mouvement), j'ai voulu commencer mes propres explorations. Les bras sont la partie de mon corps que je connais le mieux, alors une chorégraphie inspirée par cette partie de mon corps, a peu à peu fait son chemin dans mon imaginaire. Cependant les ressentis acquis à travers des pratiques somatiques sont difficilement traduisibles en robotique. C'est en cela que trouver les notions équivalentes entre neurosciences et pratiques somatiques, représente une clé pour transposer ces concepts dans la robotique. +A partir de ces postulats théoriques(task space, équations de mouvement, pré-mouvement), j'ai voulu commencer mes propres explorations. Les bras sont la partie de mon corps que je connais le mieux, alors une chorégraphie inspirée par cette partie de mon corps, a peu à peu fait son chemin dans mon imaginaire. Cependant les ressentis acquis à travers des pratiques somatiques sont difficilement traduisibles en robotique. C'est en cela que trouver les notions équivalentes entre neurosciences et pratiques somatiques, représente une clé pour transposer ces concepts dans la robotique. -Pour illustrer, je mentionne l’expérience du neurologue américain Benjamin Libet (1916-2007) qui a étudié les phénomènes qui opérant dans le cerveau au moment où une action intentionnelle a lieu\cite{libet1993brain}. Plus spécifiquement, il a organisé une expérience où il demande aux participants de bouger leur doigt spontanément, quand ils veulent. En parallèle, -ils doivent regarder une horloge avec un point de lumière tournant, afin d’indiquer l’endroit où est le point sur l’horloge lorsqu’ils prennent leur décision consciente de vouloir exécuter leur mouvement de doigt. -Pendant ces instructions, Liebt et son équipe analysent l’activité cérébrale avec des capteurs d’électroencéphalographie (EEG) et mesurent le mouvement réel des doigts avec des capteurs électromyographiques (EMG). Leurs résultats prouvent que le début de l’activité cérébrale commence plus d’une demi-seconde avant le mouvement réel des doigts et plus de 300 ms avant que les sujets ne prennent conscience qu’ils veulent bouger leur doigt. Ils définissent alors le facteur de \gls{readiness potential} ou potentiel de préparation - pour illustrer le fait que la volonté consciente de bouger le doigt se produit un intervalle significatif après le début de l’activité cérébrale correspondante au mouvement. Cette expérience démontre que le concept de libre arbitre est plus complexe à définir que ce que nous entendons. Les travaux de Liebt sont au cœur des débats actuels concernant l’intelligence artificielle. Si 40 ans après cette expérience, il nous est toujours difficile de modéliser ce potentiel de préparation, modéliser ce que c'est la conscience reste encore un projet en cours. +Pour illustrer, je mentionne l’expérience du neurologue américain Benjamin Libet (1916-2007) cité par Chalmers dans le chapitre précédent sur la conscience. Liebt a étudié les phénomènes qui opérant dans le cerveau au moment où une action intentionnelle a lieu\cite{libet1993brain}. Plus spécifiquement, il a organisé une expérience où il demande aux participants de bouger leur doigt spontanément, quand ils veulent. En parallèle, +ils doivent regarder une horloge avec un point de lumière tournant, afin d’indiquer l’endroit où est le point sur l’horloge lorsqu’ils prennent leur décision consciente de vouloir exécuter leur mouvement de doigt. +Pendant ces instructions, Liebt et son équipe analysent l’activité cérébrale avec des capteurs d’électroencéphalographie (EEG) et mesurent le mouvement réel des doigts avec des capteurs électromyographiques (EMG). Leurs résultats prouvent que le début de l’activité cérébrale commence plus d’une demi-seconde avant le mouvement réel des doigts et plus de 300 ms avant que les sujets ne prennent conscience qu’ils veulent bouger leur doigt. Ils définissent alors le facteur de \gls{readiness potential} ou potentiel de préparation - pour illustrer le fait que la volonté consciente de bouger le doigt se produit un intervalle significatif après le début de l’activité cérébrale correspondante au mouvement. Cette expérience démontre que le concept de libre arbitre est plus complexe à définir que ce que nous entendons. Les travaux de Liebt sont au cœur des débats actuels concernant l’intelligence artificielle. Si 40 ans après cette expérience, il nous est toujours difficile de modéliser ce potentiel de préparation, modéliser ce que c'est la conscience reste encore un projet en cours. Évidement cela n’empêche pas la communauté scientifique d’imaginer d’ autres pistes d’exploration et hypothèses de recherche. Comme nous avons montré dans les chapitres précédents, une de ces pistes réside dans l’importance de l’interaction avec l’environnement. Si un agent ou un système a un corps physique (en anglais \textit{is embedded}, il est soumis aux lois de la physique qui impliquent de s’habituer à la gravité et aux forces de friction, ainsi qu’à l’approvisionnement en énergie pour survivre. Tout cela engage des multiples scenarios de négociation entre les processus et calculs internes et les actions directes: \begin{quote} `` la véritable clé pour comprendre l'incorporation réside dans l'interaction entre les - processus physiques et ce que nous pourrions appeler des processus informationnelles ou d’information. + processus physiques et ce que nous pourrions appeler des processus informationnelles ou d’information. Pour les agents biologiques, cela représente le lien entre les actions physiques et les processus neuronales – ou, d'une façon plus informelle, entre le corps et le cerveau. Le équivalent dans un robot serait la relation entre les actions du robot et ses - programmes de contrôle.\footnote{version originelle: ``the real importance of embodiment comes from the interaction between physical + programmes de contrôle\footnote{en version originale: ``the real importance of embodiment comes from the interaction between physical processes and what we might want to call information processes. In biological agents, this concerns the relation between physical actions and neural processing—or, to put it somewhat casually, between the body and the brain. The equivalent in a robot would be the relation between the robot’s actions and its - control program.”}”\cite{pfeifer2006mit} + control program.”}.”\cite{pfeifer2006mit} \end{quote} Pour illustrer cela, \cite{pfeifer2006mit} font une comparaison entre l’action d’attraper un verre par un humain et par un robot. Si pour l’humain, le tissu de ses bout des doigts s’adapte à la forme du verre, le calcul de forces à appliquer se fait en conséquence. Cependant pour une main de robot le tissu est rigide, il n’y a pas cette possibilité d’adaptation et plus souvent le verre se casse car la force appliquée n’est pas la bonne. Cela avance l’hypothèse que l’intelligence humaine est distribuée dans tout le corps, et pas seulement dans le cerveau. -Dans notre contexte, une approche moins compliquée est celle où les robots humanoïdes imitent des mouvements de danse capturés lors des démonstrations humaines. La simulation numérique du système musculo-squelettique humain permet de travailler avec un grand nombre de données expérimentales. La capacité de traiter ces données de façon itérative en temps réel dépend de la fréquence d’enregistrement des données. Les roboticiens utilisent des techniques de \gls{motion capture} ou MoCap, combinées à des technologies comme le \textit{Learning from observation paradigme\cite{nakaoka2007learning}} qui propose des modèles pour faciliter la danse- tels la cinématique inversée ou les modèles de contrôle prédictif- ainsi que de la dynamique inversée de l’espace opérationnel\cite{ramos2015dancing} ou OSID. L’objectif de ces technologies est d’enregistrer et générer des mouvements avec un coût de calcul optimal. +Dans notre contexte, une approche moins compliquée est celle où les robots humanoïdes imitent des mouvements de danse capturés lors des démonstrations humaines. La simulation numérique du système musculo-squelettique humain permet de travailler avec un grand nombre de données expérimentales. La capacité de traiter ces données de façon itérative en temps réel dépend de la fréquence d’enregistrement des données. Les roboticiens utilisent des techniques de \gls{motion capture} ou MoCap, combinées à des technologies comme le \textit{Learning from observation paradigme\cite{nakaoka2007learning}} qui propose des modèles pour faciliter la danse- tels la cinématique inversée ou les modèles de contrôle prédictif- ainsi que de la dynamique inversée de l’espace opérationnel\cite{ramos2015dancing} ou OSID. L’objectif de ces technologies est d’enregistrer et générer des mouvements avec un coût de calcul optimal. Une grande majorité des projets artistiques actuels font appel à des robots préprogrammés par des humains pour répondre à des signaux spécifiques et se comporter d’une certaine manière. Sur scène, le fardeau des mouvements synchrones qui garantissent l’interaction repose sur la réactivité et l’adaptabilité de l’artiste. En danse par exemple, le performeur doit garder le tempo, ce qui lui limite les possibilités d’improvisation. De plus, il n’a pas le droit à des erreurs, car le robot continuerait alors à exécuter son programme quels que soient les événements imprévus qui se déroulent en parallèle. Cette situation est généralement évitée grâce à un opérateur humain disponible pour prendre le contrôle du robot à distance. En utilisant les technologies de suivi existantes comme des capteurs XSENS que nous allons présenter dans la partie pratique de notre recherche-création, l’artiste peut se connecter directement au robot, pendant que ses mouvements sont analysés en temps réel. Alternativement, ses mouvements peuvent être utilisés pour contrôler le mouvement du robot ou déclencher des changements de rôle. D’autres techniques basées sur la reconnaissance thermique ou la vision et le suivi haptique du mouvement humain, font l’objet des études en cours qui pourront éventuellement inspirer la communauté artistique.\smallskip @@ -1194,10 +1216,10 @@ l’autre. Si dans le cas de l’humain c’est clair que son action a été dé Dans\cite{nakaoka2011toward} Nakaoka et al. avancent l’idée qu’une version améliorée des robots HRP peut générer une technologie de contenu innovante à partir des technologies MoCap à l’origine des animations de personnages vidéo. Pour rendre cela possible, les développements technologiques ont été influencés par le feedback des utilisateurs en phase test, afin de mieux comprendre leurs attentes. Lors de cette expérimentation, le robot HRP-4C (l’équivalent féminin de HRP-4) a chanté et présenté une danse lors d’une performance au DC-EXPO 2010, en utilisant l’interface \gls{Choreonoid} pour programmer les mouvements. Tout en mettant en œuvre des mouvements de danse d’un chorégraphe apprécié par le public japonais, l’équipe a travaillé sur de nouvelles possibilités d'expression corporelle propres aux robots. En adaptant le sens artistique des idées aux contraintes techniques du robot et l’inverse, ils ont proposé un projet innovant avec un robot réaliste qui s’est confondu parmi des danseuses humaines habillées et maquillées de façon identique. Ceci est un exemple de robot qui imite à la perfection un humain. Tout ceci est évidement loin des projections concernant la spécificité des robots comme espèces à part entière, mais les prochaines pages nous aideront à étudier de plus prêt ce phénomène. -Dans \textit{Les corps multiples d’une machine performative}\cite{demers2016multiple} Louis Philippe Demers utilise le terme de ``machine performative ” pour illustrer une qualité des corps mécaniques dotées d’une ``saveur de vivacité ”. Pour lui, les expérimentations artistiques up-close\cite{demers2019up} avec les robots relèvent les défis concernant l’embodiment. Dernièrement, grâce à des concepts comme le ``body- schema\cite{johnson2008makes, de2021body, iscen2014body}” il est possible d'implémenter toute une série d'interactions close-contact. Ces concepts empruntés des sciences cognitives ouvrent des nouvelles possibilités d’expression pour les artistes et les formes d’art hybride.\smallskip +Dans \textit{Les corps multiples d’une machine performative}\cite{demers2016multiple} Louis Philippe Demers utilise le terme de ``machine performative” pour illustrer une qualité des corps mécaniques dotées d’une ``saveur de vivacité”. Pour lui, les expérimentations artistiques up-close\cite{demers2019up} avec les robots relèvent les défis concernant l’embodiment. Dernièrement, grâce à des concepts comme le ``body- schema\cite{johnson2008makes, de2021body, iscen2014body}” il est possible d'implémenter toute une série d'interactions close-contact. Ces concepts empruntés des sciences cognitives ouvrent des nouvelles possibilités d’expression pour les artistes et les formes d’art hybride.\smallskip Le domaine de Human-Robot-Interaction ou HRI a beaucoup évolué au cours des dernières années. Actuellement il se décline dans des sous-domaines comme Natural HRI mettant en -œuvre des émotions artificielles dans les robots, grâce aux modèles de classification hybrides multimodaux et de l’apprentissage robotique interactif\cite{yu2021robot}. Il est probable qu’au fur et à mesure que la compréhension de nous-mêmes s’élargisse, ces machines deviendront plus complexes également. Par l’utilisation de telles technologies, l’artiste n’est plus astreint à un choix binaire de suivre ou pas les cues des robots pré-programmés. Au lieu d’exécuter des mouvements préprogrammés, les robots peuvent être contrôlés en ligne par les mouvements de l’artiste et même par les émotions de celui-ci, en temps réel. Des nouveaux espaces centralisés de contrôle multi-robot et multi-objet\cite{bouyarmane2018quadratic} pourraient également offrir la possibilité de manipuler plusieurs robots à la fois par un seul artiste ou combiner le contrôle de plusieurs robots par plusieurs artistes. Grâce aux techniques récentes de ML, les robots pourraient apprendre directement des mouvements artistiques en observant l’humain, puis proposer des améliorations en temps réel sur scène. D’autres modèles qui utilisent des techniques de \gls{reinforcement learning} sont actuellement en cours de développement, apprenant aux robots à créer leur propre carte de réseaux sociaux et comportements afférents, tout en interagissant avec les humains. +œuvre des émotions artificielles dans les robots, grâce aux modèles de classification hybrides multimodaux et de l’apprentissage robotique interactif\cite{yu2021robot}. Il est probable qu’au fur et à mesure que la compréhension de nous-mêmes s’élargisse, ces machines deviendront plus complexes également. Par l’utilisation de telles technologies, l’artiste n’est plus astreint à un choix binaire de suivre ou pas les cues des robots pré-programmés. Au lieu d’exécuter des mouvements préprogrammés, les robots peuvent être contrôlés en ligne par les mouvements de l’artiste et même par les émotions de celui-ci, en temps réel. Des nouveaux espaces centralisés de contrôle multi-robot et multi-objet\cite{bouyarmane2018quadratic} pourraient également offrir la possibilité de manipuler plusieurs robots à la fois par un seul artiste ou combiner le contrôle de plusieurs robots par plusieurs artistes. Grâce aux techniques récentes de ML, les robots pourraient apprendre directement des mouvements artistiques en observant l’humain, puis proposer des améliorations en temps réel sur scène. D’autres modèles qui utilisent des techniques de \gls{reinforcement learning} sont actuellement en cours de développement, apprenant aux robots à créer leur propre carte de réseaux sociaux et comportements afférents, tout en interagissant avec les humains. \section{Différents formats de présentation} @@ -1217,9 +1239,9 @@ définir ce que les humains sont, du moins dans notre tradition occidentale, où la convergence entre l’homme et la machine est à la fois séduisante et repoussante. En contrepartie, la culture japonaise entretient une certaine distance avec la technologie, expliquant pourquoi les robots sont moins -problématiques là-bas, et comment ils ont été apprivoisés\cite{kaplan2004afraid} avant d’être intégrés dans la société. En observant différents formats et expériences artistiques, ce qui m’intéresse est de comprendre comment les robots pourraient trouver à travers l’art, une condition indomptée, avant leur +problématiques là-bas, et comment ils ont été apprivoisés\cite{kaplan2004afraid} avant d’être intégrés dans la société. En observant différents formats et expériences artistiques, ce qui m’intéresse est de comprendre comment les robots pourraient trouver à travers l’art, une condition indomptée, avant leur industrialisation et en dehors leur commercialisation à grande échelle. Ainsi c'est important de noter que cette sélection représente seulement un échantillon des œuvres d’art robotique en lien avec la scène et la danse. Lorsqu’elles sont mentionnées par les artistes eux-mêmes ou la littérature, les spécifications techniques offrent un aperçu important sur les défis et les limites de ce type de processus de recherche-création. Puisqu'il n’y a pas actuellement une méthodologie officielle sur la manière dont l’art robotique doit être évaluée, cette synthèse est parfois complétée par les retours artistiques des auteurs ou les archives des processus de création et de réception. Le format des œuvres va des sculptures et installations cinématiques, aux spectacles, performances et improvisations en direct. Pour mieux comprendre leur évolution, elles sont mentionnées en ordre chronologique. À cela, j’ai pensé inclure également les -apparitions dans le média où des robots se présentent comme maîtres spirituels\footnote{https://www.youtube.com/watch?v=RH3Yk1spxtk} ou artistes pour voir comment le rapport à la scène est influencé par ce statut publique. +apparitions dans le média où des robots se présentent comme maîtres spirituels\footnote{https://www.youtube.com/watch?v=RH3Yk1spxtk} ou artistes pour voir comment le rapport à la scène est influencé par ce statut publique. De cette manière une caractéristique importante de cet étude, repose sur l’hypothèse que les interactions homme-robot dans un contact rapproché ou \gls{close-contact}, au travers l’utilisation de gestes et d’interfaces haptiques\cite{dahiya2009tactile}, \cite{silvera2015artificial}, peut améliorer la façon dont les robots sociaux sont acceptés par les utilisateurs non expérimentés. Mon objectif est donc de voir comment ce processus d’apprivoisement opère dans des contextes artistiques et culturelles et qu’est ce que pourrait être son opposé - défini ici comme une condition indomptée ou sauvage des robots. Dans les prochaines pages, j’analyse la spécificité des robots présentés dans les œuvres sélectionnées, puis j’appréhende les facteurs qui ont influencé le développement de l’art robotique. Pour argumenter ce processus, je m’appuie sur une première partie qui précise le contexte dans lequel la robotique et l’art aurait pu se rencontrer, leur lien commun et la façon dont elles se sont inspirées réciproquement. Souvent, l’impact des œuvres sélectionnées a facilité des découvertes en robotique sociale. Puisque les @@ -1236,18 +1258,18 @@ création et comment ils ont été mis en scène. L’histoire de la robotique est étroitement liée à celle de l’art\cite{stephens2016we}, le design des robots s'est inspirée de la sculpture anthropomorphe et la marionnette, puis des effets cinématographiques. Lorsque nous pensons à des robots, nous imaginons des dispositifs intelligents, autonomes du point de vue de l’alimentation, programmés pour ressentir et interagir avec nous et l’environnement. En contrepoids, l’art veut faciliter l’accès à une dimension sensorielle de notre existence. D’une manière prédictible, la définition de chacun de ces termes- art ou robotique- est soumise à des évolutions permanentes, prouvant leur importance dans les préoccupations courantes de notre société. Interroger ces transformations dans le contexte de l’art robotique, permet de comprendre leurs trajectoires d'évolution dans les prochaines années. -Pas si loin du monde de l’art, la fascination pour des artefacts et des machines qui pourraient éventuellement devenir vivants, a longtemps peuplé les rêves des humains. Quelques-uns de ces artefacts- les automates- ont été identifiés par des chercheurs\cite{bedini1964role} comme vecteurs du développement technologique de nos sociétés. La définition du terme implique l’existence des dispositifs mécaniques qui se déplacent de manière autonome sans être directement manipulés par des humains. Remontant l’histoire pour identifier +Pas si loin du monde de l’art, la fascination pour des artefacts et des machines qui pourraient éventuellement devenir vivants, a longtemps peuplé les rêves des humains. Quelques-uns de ces artefacts- les automates- ont été identifiés par des chercheurs\cite{bedini1964role} comme vecteurs du développement technologique de nos sociétés. La définition du terme implique l’existence des dispositifs mécaniques qui se déplacent de manière autonome sans être directement manipulés par des humains. Remontant l’histoire pour identifier leurs origines, nous remarquons l’existence d’appareils mécaniques mobiles autonomes à Alexandrie vers le IVe siècle av. J.-C. ainsi l’utilisation des gardiens robotiques automatisés en bois, conçus à l’époque du roi indien Ajatasatru de Magadha un siècle plus tard. Quelque temps plus tard, le polymathe Ismail al-Jazari - suronmé ``le père de la robotique” parmi les -roboticiens d’aujourd’hui - a construit plusieurs automates humanoïdes pendant +roboticiens d’aujourd’hui - a construit plusieurs automates humanoïdes pendant la période islamique du XIIIe siècle. Trois siècles plus tard Léonard de Vinci aurait présenté à la cour de Milan son chevalier mécanique. Dès le XVIIIe siècle, Jacques de Vaucanson présente lors des salons et des expositions privées, des inventions comme son célèbre ``joueur de flûte” avec des poumons -artificiels, ainsi que un canard qui pouvait manger, déféquer et flotter sur +artificiels, ainsi que un canard qui pouvait manger, déféquer et flotter sur l’eau comme son double animal\cite{riskin2003defecating}. Selon\cite{byrd2012man}, \cite{riskin2003defecating}, Vaucason aurait même été mandaté par le roi Louis XV pour construire secrètement un androïde de taille @@ -1263,7 +1285,7 @@ l’intérêt des spectateurs pour un goût du spectacle inspiré par la science mettant en avant des machines ressemblant à des humains et éventuellement des robots. La différence entre les automates et les robots sociaux, ndépendamment de leur utilisation ou de leur forme, est que les premiers sont -des artefacts uniques, créés à la main\cite{reilly2011automata} alors que les +des artefacts uniques, créés à la main\cite{reilly2011automata} alors que les erniers sont produits en masse, de façon automatisée. @@ -1278,13 +1300,13 @@ leur état et décident de se rebeller. Lorsque ils comprennent que cela peut potentiellement provoquer leur propre extinction\cite{dixon2004metal}, ils changent de perspective et décident de sauver l’avenir de l’humanité. Le texte gagne rapidement en notoriété et est traduit dans plus de trente langues à la fin du -1923\cite{reilly2011automata}. Le terme robot\cite{hockstein2007history} est désormais employé pour désigner des androïdes et des automates (``robota” signifiant travail forcé en tchèque). +1923\cite{reilly2011automata}. Le terme robot\cite{hockstein2007history} est désormais employé pour désigner des androïdes et des automates (``robota” signifiant travail forcé en tchèque). Le nom du créateur des robots - Rossum\cite{philmus2001matters} - pourrait renvoyer au mot tchèque -rozum signifiant raison, sagesse ou bon sens. Dans cette interprétation, les créatures de Capek correspondaient à des êtres inférieurs capables d'apporter de la raison aux humains. Aujourd’hui, les interactions avec les robots et leur impact à long terme sur nos vies\cite{shaw2009looking, shaw2011loving} sont en pleine expansion. Les applications robotiques\cite{thrun2004toward} impactent des domaines comme la médecine, l’aéronautique, le militaire. +rozum signifiant raison, sagesse ou bon sens. Dans cette interprétation, les créatures de Capek correspondaient à des êtres inférieurs capables d'apporter de la raison aux humains. Aujourd’hui, les interactions avec les robots et leur impact à long terme sur nos vies\cite{shaw2009looking, shaw2011loving} sont en pleine expansion. Les applications robotiques\cite{thrun2004toward} impactent des domaines comme la médecine, l’aéronautique, le militaire. Un siècle auparavant, \textit{R.U.R.} a été diffusé dans le monde entier, produisant différentes réactions parmi ses spectateurs. Au Japon, le spectacle a été présenté en 1924 sous le titre de \textit{Jinzo Ningen} traduit par \textit{L'Homme Artificiel}\cite{robertson2007robo}. Quatre ans plus tard, Makoto Nishimura- un biologiste marin sans aucune connaissance préalable en mécanique ni en ingénierie - décide de construire de toutes pièces une créature autonome -équivalente, baptisée \textit{Gakutensoku}. Ce terme signifie littéralement \textit{apprendre +équivalente, baptisée \textit{Gakutensoku}. Ce terme signifie littéralement \textit{apprendre des règles de nature} en contrepoids avec les interprétations des médias de l’époque. Ainsi naît le premier robot fabriqué au Japon, selon son créateur ``le premier membre d’une nouvelle espèce, dont le but est d’inspirer les humains et de faciliter l’évolution humaine en élargissant nos horizons intellectuels”\cite{frumer2020short}. Gakutensoku devient notre premier exemple sur la façon dont les robots pourraient devenir un jour une espèce à part entière, capables d’autonomie et d’une forme de \textit{conscience artificielle}. Comme déjà mentionne dans les pages antérieures, cette thèse analyse les ``pour” et les ``contre” d’une telle projection, avec la scène comme terrain idéal pour des expérimentations. @@ -1316,7 +1338,7 @@ représentations données par Survival Research Laboratories, des machines à grande échelle rivalisent pour s’entre-détruire\cite{ballet2019survival,stephens2016we}. A la même époque, les artistes Bill Vorn et Louis Philippe Demers dépeignaient les robots comme des animaux sauvages se contestant un cube de métal (qui représente un morceau -de viande) dans \textit{Au bord du chaos} (1995). Deux ans plus tard, Eduardo Kak est littéralement connecté à un robot, à travers une aiguille intraveineuse qui transfuse son propre sang à la machine. Cette performance intitulé \textit{A- positif} (1997)\cite{kac2001origin} allume avec l’oxygène de l'artiste, la flamme d'un dispositif électronique qui fait partie de l'installation\footnote{http://www.ekac.org/apositive.html}. +de viande) dans \textit{Au bord du chaos} (1995). Deux ans plus tard, Eduardo Kak est littéralement connecté à un robot, à travers une aiguille intraveineuse qui transfuse son propre sang à la machine. Cette performance intitulé \textit{A- positif} (1997)\cite{kac2001origin} allume avec l’oxygène de l'artiste, la flamme d'un dispositif électronique qui fait partie de l'installation\footnote{http://www.ekac.org/apositive.html}. L’acte pourrait être interprété comme une métaphore pour alimenter la machine, la nourrir du sang de l'humain. Cela peut aussi signifier une tentative d'humaniser la machine, comprendre comment sa réalité physique peut transgresser les lois biologiques du @@ -1324,7 +1346,7 @@ vivant. Cette association de sang et de métal, du vivant et de l’artificiel, son origine dans la littérature du début de 19e siècle alors que des écrivains comme Mary Shelley, préconisent ce que les chercheurs ont depuis identifié comme le \textit{syndrome de Frankenstein}\cite{nomura2012social, kaplan2004afraid}. -En analysant les facteurs qui influencent l’acceptation des robots humanoïdes, les chercheurs travaillent pour mieux expliquer nos attentes envers ceux-ci. Bien avant que la science les réalise, des projets cinématographiques\cite{alesich2017gendered, geraci2007robots} mettent en scène des humains artificiels. Depuis des études sociologiques\cite{nisbet2002knowledge, sundar2016hollywood} +En analysant les facteurs qui influencent l’acceptation des robots humanoïdes, les chercheurs travaillent pour mieux expliquer nos attentes envers ceux-ci. Bien avant que la science les réalise, des projets cinématographiques\cite{alesich2017gendered, geraci2007robots} mettent en scène des humains artificiels. Depuis des études sociologiques\cite{nisbet2002knowledge, sundar2016hollywood} [61], [62] examinent comment l’attitude envers ces robots est influencée par leur antériorité et popularité dans le média. Bien que certains artistes expulsent des pulsions morbides dans leurs projets d’art robotique, d’autres se @@ -1332,7 +1354,7 @@ concentrent sur des émotions moins destructrices. Une approche originale est d’utiliser l’ennui et l’épuisement comme forme de résistance face aux capacités infinies de la machine. L’œuvre \textit{Helpless Robot} (1987) de Norman White décrite dans l'anthologie\cite{wilson2002mit}, traite de ces questions d'une façon anecdotique. Après presque un décennie des recherches, White développe des robots -capables de ce qu’il définit comme de ´´la santé mentale artificielle” et dans +capables de ce qu’il définit comme de ´´la santé mentale artificielle” et dans une certaine mesure des ´´robots antisociaux”\cite{dixon2004metal}. Avec le sentiment de l’ennui comme point de départ, il construit un robot qui suit les gens présents à sa performance. Ce robot soupire de temps en temps puis s’arrête lorsque @@ -1341,9 +1363,9 @@ pyramidal d’environ 2m de haut, ´´conscient” de son propre mouvement et du mouvement autour de lui. Ce robot s’arrête pour demander aux visiteurs de le tourner dans un certain sens, étant capable d’exprimer pas moins de 512 instructions vocales\cite{stephens2016we}. Après qu’un humain réponds à cette requête, le robot se plaigne en disant que le virage devrait être plus précis, obligeant le visiteur d'ajuster son emplacement encore et encore. Il est important de souligner que l’interaction physique entre le robot et l’utilisateur est initiée dans ce cas par le robot. D’autres expérimentations artistiques, comme par exemple \textit{Heart -Robot} (2008) de David McGoran décrit dans les pages suivantes, s’appuient sur -un constat similaire. Les robots qui demandent de l’assistance à des humains\cite{jenkins2009is}, -ont plus de chance d’engager un contact physique avec eux et peut-être d’être ´´acceptés” dans la société. Plus tard, Norman White participe à une collaboration avec sa collègue artiste Laura Kikuka. L’œuvre, intitulée \textit{Them fucking robots}\cite{wilson2002mit} (1988), met en place une performance live où deux robots +Robot} (2008) de David McGoran décrit dans les pages suivantes, s’appuient sur +un constat similaire. Les robots qui demandent de l’assistance à des humains\cite{jenkins2009is}, +ont plus de chance d’engager un contact physique avec eux et peut-être d’être ´´acceptés” dans la société. Plus tard, Norman White participe à une collaboration avec sa collègue artiste Laura Kikuka. L’œuvre, intitulée \textit{Them fucking robots}\cite{wilson2002mit} (1988), met en place une performance live où deux robots -mâle et femelle- simulent une relation sexuelle avec des voix enregistrées, des pistons et des fluides mécaniques pour caricaturer une forme de copulation biologique. Les deux artistes se sont mis d’accord sur les spécifications techniques @@ -1380,9 +1402,9 @@ traduit par la moquerie, la promiscuité ou la violence. Une tentative de transformer ces peurs et fascinations en quelque chose de plus concret, l’œuvre \textit{Petit Mal} (1995) de Simon Penny met en scène un robot complètement autonome. Ce robot va sentir et explorer son espace tout en -suscitant des réactions ludiques chez les visiteurs\cite{penny2015emergence}. L’objectif de Penny +suscitant des réactions ludiques chez les visiteurs\cite{penny2015emergence}. L’objectif de Penny est de donner l’impression d’une intelligence et d’un comportement spécifiques -qui n'est ´´ni anthropomorphes ni zoomorphes, mais propre à sa forme physique +qui n'est ´´ni anthropomorphes ni zoomorphes, mais propre à sa forme physique et nature électronique”\cite{penny2016improvisation}. Cela donnait évidement l’impression d’être plus intelligent qu’il ne l’était en réalité. L’artiste a créé un robot capable d’imiter le comportement humain, soulignant l’importance de ce qu’il définit @@ -1394,7 +1416,7 @@ l’artiste utilise le modèle d’un double pendule comme générateur de mouve auquel il rajoute des mouvements hésitants et des petits gestes pour renforcer l’idée d’autonomie et de libre arbitre. Penny remarque également que parmi tous les utilisateurs, les jeunes enfants seraient extrêmement curieux de le -connaître, tandis que les adolescents agissent de façon indifférente\cite{penny2015emergence}. +connaître, tandis que les adolescents agissent de façon indifférente\cite{penny2015emergence}. Dans une autre approche, l’artiste japonais Momoyo Torimitsu performe \textit{Miyata Jiro} (1997) dans les rues de New York\cite{kroker2013toronto}. Habillée en infirmière, l’artiste assiste @@ -1442,7 +1464,7 @@ plutôt une exception dans l’accueil du \textit{Heart Robot}, prouve que la fa des humains pour les robots pourrait être enracinée dans un sentiment ambivalent de peur et d’admiration généré par nos propres limites et projections en tant qu’espèce, face à une potentielle autre. Pour revenir au robot Gakutensoku créé -par Nishimura, il est important de se rappeler que cela dépend surtout de nous, +par Nishimura, il est important de se rappeler que cela dépend surtout de nous, humains, si les robots réfutent nos peurs les plus profondes, ou simplement les confirment. J’ai mentionné la peur et l’effet d’étrangeté ou \gls{the uncanny effect}\cite{mori2012ram} que la présence des robots peut avoir sur nous. J’aimerais donc par la suite analyser le travail de Hiroshi Ishiguro avec l’œuvre \textit{Telenoid R1} (2010). Professeur d’université @@ -1468,7 +1490,7 @@ les chercheurs, cela peut s’expliquer par le fait que les personnes d’autres robots d’Ishiguro ont participé à des projets de théâtre lors des collaborations avec le metteur en scène Oriza Hirata\cite{pluta2018publifarum}. Sur scène l’accent est mis sur l’intrigue narrative donc les robots jouent leur propre rôle\cite{demers2008springer} où -ils sont ´´acceptés” dans leur singularité. L’effet d’étrangeté diminue par +ils sont ´´acceptés” dans leur singularité. L’effet d’étrangeté diminue par conséquence. Pour aller plus loin sur ces considérations, le chercheur Guy Hoffman introduit @@ -1484,7 +1506,7 @@ Paxton ou Lucinda Childs ont collaboré avec les ingénieurs en informatique des Labs, pendant les événements E.A.T. (Experiments in Art and Technology)\footnote{mouvement crée à New York en 1966 par Robert Rauschenberg, Robert Whitman et les ingénieurs Billy Klüver et Fred Waldhauer}. Presque à la même époque, Merce Cunningham utilisait l’ordinateur pour créer des outils chorégraphiques\cite{schiphorst1993asssa} qui génèrent des mouvements artificiels. Puis récemment, avec le développement des robots industriels, les chorégraphes ont commencé à les inviter sur scène. Cela a encouragé la communauté scientifique à développer de plus en plus les capacités d’adaptation physique\cite{peng2015thms} sur scène. Parmi les pionniers des projets de la danse robotique, j’aimerais mentionner deux artistes qui ont choisi de mettre des machines -non-anthropomorphes sur scène. Le premier est la performance \textit{Sans objet} +non-anthropomorphes sur scène. Le premier est la performance \textit{Sans objet} (2009) d’Aurélien Bory, où deux danseurs impressionnants par leur précision, exécutent des acrobaties sur un bras industriel de General Motors\cite{maubert2018vp}. Face à la taille du robot, ils ressembleraient à des insectes qui sautaient sur une @@ -1505,7 +1527,7 @@ du robot. Les spectateurs projettent une attitude empathique envers lui, comme ils le font probablement avec les danseurs de Bory- quand ceux-ci se mettent en danger pour escalader le bras robotique. Certaines questions importantes autour de l’automatisme et de l’autonomie émergent de ces deux exemples. Que se -passerait-il si le petit robot ´´abandonne” ses essais ? Ou si le robot géant +passerait-il si le petit robot ´´abandonne” ses essais ? Ou si le robot géant décidait de secouer les humains qui pendent dessus ? Pourquoi le manque de maîtrise du deuxième robot impressionne tout autant que la précision des danseurs du premier exemple? @@ -1531,7 +1553,7 @@ robotique des dernières années. Encore une fois, il paraît que les machines peuvent exprimer tout leur potentiel sur scène, là où la rencontre avec les humains est libérée du contexte productif de l’industrie. Pour souligner cette observation, je m’appuie sur le commentaire de Bory concernant son propre -travail, pour qui un robot industriel hors de son contexte devient \textit{aussi +travail, pour qui un robot industriel hors de son contexte devient \textit{aussi inutile comme tout geste artistique devrait l’être}. Ceci est valable dans d’autres disciplines artistiques, par exemple en musique. Pour appuyer cela,je fais une parallèle avec le projet \textit{Shimon live impro jazz performance} (2009) de Guy @@ -1545,7 +1567,7 @@ divisé en plusieurs phases qui se succèdent\cite{hoffman2010ira}. Pour modéli temps réel et faciliter des moments synchronisés non scénarisés lorsqu’ils jouent ensemble, Hofmann a utilisé une méthode d’anticipation spécifique au théâtre. Pour lui, les roboticiens devraient s’en inspirer plus par des -techniques de formation d’acteurs comme le ´´monologue intérieur continuel” +techniques de formation d’acteurs comme le ´´monologue intérieur continuel” lors de la conception des robots capables de comportements reactifs\cite{hoffman2011hri}. En travaillant avec des systèmes robotiques orientés vers l’action et la perception, Hoffman a obtenu des mouvements rapides plus adaptés - son but étant @@ -1560,22 +1582,22 @@ complicité lors d’une improvisation musicale est suffisamment élevé pour é quelque chose semblable à une interaction physique, puisque le robot et l’humain ont un statut égal lors d’une improvisation. Cette parité pourrait également être maintenue et peut-être améliorée pour l’improvisation dansée, lorsque les -mouvements des robots ont une qualité de réponse similaire à celle des +mouvements des robots ont une qualité de réponse similaire à celle des danseurs. Au début des années 2000, le compositeur Japonais Suguru Goto a construit des systèmes où les gestes des robots peuvent modifier en temps réel le processus scénique\cite{goto2007roman}. Son prototype \textit{Body Suit}, créé par Patrice Pierrot en 1997, a été initialement utilisé pour contrôler le son et les images générés -par un ordinateur sur scène. En 2003, son projet \textit{Robotic Music} +par un ordinateur sur scène. En 2003, son projet \textit{Robotic Music} associant 5 robots à percussion, permet à un interprète doté d’un Body Suit d’improviser en live via 12 capteurs de flexion, avec les percussions -acoustiques robotisées, du son et de la lumière. Semblable à une musique +acoustiques robotisées, du son et de la lumière. Semblable à une musique d’improvisation électroacoustique qui offre une grande liberté d’expression, le comportement des robots ainsi que leur interactivité avec les autres partenaires de scène stimulent l’imagerie artistique des spectateurs. Cette panorama des possibilités d’expression artistique des robots continue avec un projet de recherche de l’Université du Tohoku\cite{hirata2005robio,takeda2007tie,wang2012toh} qui développe des robots qui -dansent. Leur l’hypothèse principale est qu’en comprenant et en anticipant +dansent. Leur l’hypothèse principale est qu’en comprenant et en anticipant les intentions humaines, un robot peut s’engager plus activement dans l’interaction avec un humain. Pour faciliter une synchronisation du couple, les études actuels se concentrant sur la qualité des mouvements corporels- @@ -1595,7 +1617,7 @@ les deux ont imaginé des installations et des performances où les dispositifs automatisés questionnent la capacité des robots à transgresser les problématiques inter-espèces et éventuellement acquérir de ´´l’individualité” ou une personnalité propre. Commençons tout d’abord avec Stelarc et son -\textit{Articulated Head} (2010), devenu ensuite \textit{Thinking Head Attention Model and +\textit{Articulated Head} (2010), devenu ensuite \textit{Thinking Head Attention Model and Behavior System} ou THAMBS\cite{stelarc2012leonardo}. Comparé au Bory, Stelarc a adapté l’utilisation d’un bras robotique industriel Fanuc LR Mate 200ic. Il a mis un écran de 17 pouces sur le robot puis créé un rendu 3D de sa tête- devenue tête @@ -1688,7 +1710,7 @@ sur scène, il y déjà cent ans avec l’émergence de l’esthétique Bauhaus\ Penny’s \textit{Petit Mal} ou Verdonk’s robot maladroit entre autres, sont des exemples plus récents de robots agissant seuls sur un plateau. La différence réside ici dans le fait que les -robots remplacent les interprètes, ils ne jouent pas leur propre ´´rôle”, comme +robots remplacent les interprètes, ils ne jouent pas leur propre ´´rôle”, comme nous l’avons vu dans la section précédente. Dans une scénographie apocalyptique sans humains sur scène, des os de vache devenus poudre pour les engrais, pourraient symboliser un avenir lointain sans des danseurs réels. Les bras @@ -1697,7 +1719,7 @@ rythme de la musique de Stravinsky diffusée dans des haut-parleurs. La technologie facilite l’invention d’un nouveau langage artistique, tandis que la mythologie y est recyclée pour correspondre à de nouveaux défis. Ce n'est pas étonnant que les spectateurs assimilent ces codes avec moins d’étonnement qu’il y a soixante ans. -Habitués à ´´côtoyer” les robots, pour citer Laumond, ils sympathisent avec +Habitués à ´´côtoyer” les robots, pour citer Laumond, ils sympathisent avec leur ´´faire”, tout en assister à la représentation. De même, dans le spectacle \textit{Nobody is an island} (2021), le chorégraphe Wayne McGregor défie le potentiel d’empathie d’une machine en mettant en place un écosystème hybride entre deux performeurs et une sculpture automatisée créée par le groupe Random International\footnote{https://www.random-international.com/news}. @@ -1729,10 +1751,10 @@ sujet aux mêmes biais que les femmes. Pour traiter plus loin cette question d’apparence, un étude montre comment les visiteurs de Disney’s Animal Kingdom sont déçus des animaux puisque ceux-ci ne correspondent pas avec les versions animatroniques de Disney World\cite{broadbent2017ar}. Les participants reprochent aux animaux réels d’être -moins sociables que leurs versions électroniques. +moins sociables que leurs versions électroniques. D’une manière analogique, je me demande alors comment l’exposition excessive à des silhouettes -hyper-sexualisées dans le media altère la vision des humains de la sexualité et de la séduction. +hyper-sexualisées dans le media altère la vision des humains de la sexualité et de la séduction. Puis j'extrapole pour voir comment ce biais est transféré aux robots. Comme nous l'avons évoqué plus haut, White et Kikuka, entre autres, ont exploré la sexualité des machines d’une façon parodique. Cependant est leur façon de considérer la sexualité des robots spécifique à leur époque? Peut-être que cela corresponds plutôt aux limites technologiques auxquelles ils étaient confrontés. @@ -1769,7 +1791,7 @@ que d’autres NAO exécutent une séquence de danse en synchron avec huit danse Quant au travail de Grangier, passionnée par influence de l’arbitraire, nous découvrons comment elle intègre les bugs techniques dans son expérience. Dans \textit{Link Human/Robot} (2015), on peut voir un NAO trébuchant au sol proche du corps inanimé d'une danseuse et plus tard la serrant -dans ses bras. Suivant des questions analogues, le travail \textit{School of Moon} (2016) du chorégraphe français Eric Minh Cuong Castaing se concentre sur des mondes fictifs entre des humains pourraient et des robots. La force de sa proposition réside dans la double nature de la forme - quelque part entre art visuel et objet chorégraphique. Coproduit par le Ballet National de Marseille, ce projet a impliqué une collaboration avec le roboticien Thomas Peyruse qui a configuré cinq robots NAO et deux Poppy pour les différents étapes du projet. Leur travail a été présenté sous divers formats, qui ont conduit à des moments performatifs dans des centres d’art et des écoles. +dans ses bras. Suivant des questions analogues, le travail \textit{School of Moon} (2016) du chorégraphe français Eric Minh Cuong Castaing se concentre sur des mondes fictifs entre des humains pourraient et des robots. La force de sa proposition réside dans la double nature de la forme - quelque part entre art visuel et objet chorégraphique. Coproduit par le Ballet National de Marseille, ce projet a impliqué une collaboration avec le roboticien Thomas Peyruse qui a configuré cinq robots NAO et deux Poppy pour les différents étapes du projet. Leur travail a été présenté sous divers formats, qui ont conduit à des moments performatifs dans des centres d’art et des écoles. \begin{figure} \centering \includegraphics[width=0.7\linewidth]{images/abder_shonen} @@ -1827,14 +1849,14 @@ laboratoires afin de développer leurs propres outils pour aborder d’une faço originelle ces questions. En parallèle, des artistes à la lisière d'art et sciences, continuent à imaginer la place que les robots occupent dans nos vies. Leur mission et de s’imaginer les formes les plus extrêmes et les scénarios les plus paradoxaux de co-habitation -avec les robots. \textit{Inferno} (2015) de Bill Vorn et Louis-Philippe Demers fait +avec les robots. \textit{Inferno} (2015) de Bill Vorn et Louis-Philippe Demers fait partie de cette catégorie, en mettant en scène le côté sauvage, indompté, de la technologie. Cette performance d’une soixantaine de minutes s’inspire de la représentation des différents niveaux de l’enfer décrit dans l’œuvre éponyme de Dante. Trente-six bénévoles parmi les spectateurs ont la possibilité d’expérimenter les limites de leur corps, en abandonnant leur contrôle moteur à des dispositifs robotiques type exo-squelettes pneumatiques, qu’ils portent pendant la performance. Par son -esthétique, \textit{Inferno} pourrait être inclus dans la classification +esthétique, \textit{Inferno} pourrait être inclus dans la classification ´´performances des métaux”\cite{dixon2004metal} que j’ai mentionné précédemment. Au-delà de la peur de perdre le contrôle de son corps, l’humain plonge ici dans les possibilités de la machine, comme pour éprouver ses propres limites. J'ai pu participer à cette performance, @@ -1992,19 +2014,19 @@ Selon leurs interactions sociales, les robots\cite{breazeal2003ras} peuvent êtr \textit{socialement évocateurs, socialement réceptifs ou sociables}. \cite{dautenhahn2002csr} mentionne également les robots \textit{socialement situés} ou intégrés dans un environnement social qu’ils perçoivent et auxquels ils réagissent. De plus ´´un robot interactif nécessite des capacités spécifiques: il va pouvoir exprimer et percevoir des émotions, communiquer dans un dialogue complexe, apprendre et reconnaître les modèles d’autres agents”\cite{hegel2009hci}. -Par leur fonction, les projets artistiques facilitent ce type d'interactions, qu’il s’agisse d’une illusion ou pas. Les chercheurs montrent comment la créativité peut s’améliorer +Par leur fonction, les projets artistiques facilitent ce type d'interactions, qu’il s’agisse d’une illusion ou pas. Les chercheurs montrent comment la créativité peut s’améliorer par des interactions avec des robots\cite{kahn2016hri}. Nous avons vu dans nos exemples, que les robots au design particulier comme par exemple \textit{Telenoid R1} tout comme les robots hyper-réalistes comme \textit{Ai-Da}, sont bien reçus lors des divers événements sociaux type foires d’art et vernissages. Puisque 38\% des œuvres présentées ont lieu dans l’espace public : dans les rues -(par exemple, \textit{Miyata Jiro}, \textit{Petit Mal}) ou dans les laboratoires (par exemple, \textit{Telenoid R1}, \textit{Heart Robot} entre autres), il parait que l’art robotique n’ait pas un espace de -représentation prédisposé. Revenant aux exemples précédents, il est important de comprendre que le fait de créer des projets artistiques avec des robots pourrait éventuellement apaiser les craintes techno-centriques actuelles concernant l'avenir de la robotique. Alors que les humains se comprennent mieux grâce aux +(par exemple, \textit{Miyata Jiro}, \textit{Petit Mal}) ou dans les laboratoires (par exemple, \textit{Telenoid R1}, \textit{Heart Robot} entre autres), il parait que l’art robotique n’ait pas un espace de +représentation prédisposé. Revenant aux exemples précédents, il est important de comprendre que le fait de créer des projets artistiques avec des robots pourrait éventuellement apaiser les craintes techno-centriques actuelles concernant l'avenir de la robotique. Alors que les humains se comprennent mieux grâce aux développements dans les sciences cognitives, la figure du robot devient également plus complexe. Pour certaines chercheurs, ´´la version synthétique numérique mécaniste de l’homme” n’est qu’une représentation de -l’idée de l’homme\cite{duffy2003anthropomorphism}. D’autres études\cite{fong2003ras, macdorman2006jb} considèrent les robots humanoïdes, les meilleurs outils pour identifier quel type de comportement et +l’idée de l’homme\cite{duffy2003anthropomorphism}. D’autres études\cite{fong2003ras, macdorman2006jb} considèrent les robots humanoïdes, les meilleurs outils pour identifier quel type de comportement et d’actions sont perçus comme propres à notre espace et importants pour notre évolution. Reste à comprendre quel comportement et attitude nous attendons des robots lorsque nous interagissons avec eux sur scène. De même, le langage corporel et le @@ -2015,7 +2037,7 @@ communication visuelle ou vocale, les usagers recherchent de plus en plus l’interaction par le toucher et s’attendent même qu'un jour les robots d’apparence inanimée peuvent répondre à une stimulation tactile\cite{silvera2015ras}. En conséquence, de plus en plus de roboticiens conçoivent des dispositifs -d’identification par le toucher, sur toute ou une partie de la surface du robot\cite{bolotnikova2018roman}, également définie comme peau artificielle\cite{silvera2014springer}. Plusieurs types +d’identification par le toucher, sur toute ou une partie de la surface du robot\cite{bolotnikova2018roman}, également définie comme peau artificielle\cite{silvera2014springer}. Plusieurs types d’interactions corporelles qui font appel à ce type de stimulations tactiles, contribuent à une meilleure perception des robots\cite{alenljung2018mti, silvera2015artificial}. Même si peu de robots que j’ai mentionné, ont été délibérément conçus pour ce type @@ -2026,13 +2048,13 @@ majorité des œuvres (82\%) impliquent une certaine forme d’interaction physique(29\%) ou de toucher (53\%), le type de contact avec le corps entier prévalait (41\%), suivi des contacts ponctuels (20,5 \%) et des contact avec les membres (12\%). Dans cette mesure, la mise en œuvre des concepts de neuroscience -comme le schéma corporel chez les robots, peut augmenter leurs capacités +comme le schéma corporel chez les robots, peut augmenter leurs capacités d’interaction. Les recherches dans\cite{de2021oxford} soulignent l’importance de ce concept dans la planification et le contrôle de mouvement. Quant aux technologies employés : 24\% impliquent des téléopérations, 14\% divers types de logiciels commercialisés, 6\% de biotechnologies tandis que 56\% sont des solutions sur mesure. Ainsi mieux développer la mobilité des robots pourrait nous aider à -comprendre des concepts paradoxaux comme celui de ´´ghost in the shell”, de +comprendre des concepts paradoxaux comme celui de ´´ghost in the shell”, de ´´l’étrangeté sociale” ou ´´le syndrome de Frankenstein” mentionnés plus haut. Cela nous aidera à comprendre comment la peur et la fascination pour les robots coexistent dans notre imaginaire, quelle @@ -2040,16 +2062,16 @@ que soit leur apparence ou comportement. Alors que 62\% des robots et appareils robotiques sont conçus exclusivement pour les artistes, 20\% sont personnalisés à partir des robots industriels et le reste de 18\% sont des robots industriels très peu modifiés. \cite{duffy2003anthropomorphism} suggère qu’une fois que les robots domestiques -progressent du statut outil à celui de compagnon au travers différents +progressent du statut outil à celui de compagnon au travers différents environnements et contextes comme l’art, leur rôle et leurs interactions changent aussi sensiblement. De plus, d’après\cite{hoffmann2021body}, plus les caractéristiques corporelles sont des copies identiques du fonctionnement humain, plus les robots sont jugées comme intéressants.En contrepoids\cite{muller2021springer} illustre comment l’apparence humaine peut contribuer à induire des sentiments négatifs chez les -utilisateurs. En s’appuyant sur les aspects technologiques des représentations du corps, les chercheurs +utilisateurs. En s’appuyant sur les aspects technologiques des représentations du corps, les chercheurs espèrent identifier des propriétés du schéma corporel biologique que nous avons mentionné plus tôt. Ces propriétés pourraient être transférés aux robots pour les rendre encore -plus adaptatifs et autonomes. Certaines chercheurs comme\cite{hoffman2019thms, } relient ces +plus adaptatifs et autonomes. Certaines chercheurs comme\cite{hoffman2019thms} relient ces propriétés à l’aisance collaborative, en anglais \gls{collaborative fluency}. @@ -2094,7 +2116,7 @@ conformer à des procédures de sécurité très strictes. Lorsqu’un robot est employé lors des événements largement diffusés, comme par exemple lors du concours Eurovision en 2016, le chorégraphe Fredrik Benke Rydman a du respecter un cahier de charges et des restrictions importantes. Pareil pour la -Tournée ´´Timeless” de l’artiste internationale Mylene Farmer en 2013. La +Tournée ´´Timeless” de l’artiste internationale Mylene Farmer en 2013. La distance entre les interprètes et le robots est très grande. Plus récemment, des normes comme l’ISO/TS 15066 et l’ISO 102101845, qui assurent la cohérence des caractéristiques essentielles telles la sécurité et la fiabilité des cobots, @@ -2199,6 +2221,8 @@ I.3.3.3 Nouvelles directions ces derniers décennies ? . . . . . . . . . .93 \clearpage \chapter*{Conclusion de la partie I} \addcontentsline{toc}{chapter}{Conclusion} + +Dans cette première partie, je pose les bases théoriques des disciplines qui ont inspiré les recherches-créations detaillés par la suite. Robots sur scène Conscience du corps dans la robotique Pratiques somatiques et quête de l’intelligence sensorielle diff --git a/thesis.pdf b/thesis.pdf index cf8bf4a..fd691fe 100644 Binary files a/thesis.pdf and b/thesis.pdf differ