3. Robots sur scène 3.1 Biomechanics 3.2 Faire danser les robots 3.3 Différents formats et expériences L’état d’art de ce chapitre se concentre sur le lien entre le mouvement du corps humain, l’appréhension des enjeux que cela engendre pour la robotique puis l’incorporation ou l’embodiment (citer) acquis à travers la danse, dans le contexte des spectacles avec des robots [38]–[41]. Dans son livre "La robotique : une récidive d’Héphaïstos !” [42] Jean-Paul Laumond décrit la controverse entre la science- dont l’objectif est de déduire” par rapport à la technologie - préoccupé davantage par le faire ” et les observations empiriques. Pour lui, la robotique est née de la tension entre ces deux approches contemporaines qui correspondent à une phénoménologie de la robotique ”, pour citer Laumond, différente de la robotique inspirée des lois naturelles, regroupés sous le terme de bio-robotique ”. Néanmoins ces deux disciplines s’inspirent à leur tour de la physique, de la biologie, des neurosciences, de la psychologie et d’autres théories complémentaires. Ainsi, la robotique peut être considérée comme un moyen de comprendre et de mettre en œuvre la complexité du vivant, à travers un mélange des savoirs-faire et des pratiques. Dans une démarche parallèle, proche d’une approche sociologique, la complexité du vivant pourrait être appréhendée aussi par l’art, comme discipline [44] à travers ses intentions spéculatives et provocatrices ” [43]. L’artiste Simon Penny utilise la dichotomie entre une forme de savoir qui réside dans l’abstraction et une autre qui réside dans la réalité concrète du monde [43] pour introduire un concept émergent qu’il a intitulé la robotique culturelle ”. Ce concept met en avant le lien entre les robots et les sociétés dans lesquelles ces derniers évoluent. Si dans les premiers chapitres nous avons pu comprendre le contexte artistique que cette thèse défend, le suivant chapitre traite du rapport au corps dans la robotique et les éventuels enjeux que cela soulève. 3.1 La biomécanique comme façon d’appréhender le corps Le terme biomécanique regroupe la biologie comme science du vivant et la mécanique comme science physique d’étude du mouvement- entre ses déformations et ses états d’équilibre. Au sens large, cette discipline étudie la physiologie du mouvement dans le corps humain avec ses fonctions et ses propriétés respectives. Des disciplines comme la robotique, la médecine ou le design s’appuient sur des principes de biomécanique pour mieux construire leurs hypothèses de recherche. Dans le domaine artistique, les danseurs et les metteurs en scène se sont également intéressés à la biomécanique pour développer leurs pratiques. 3.1.1. Meyerhold et son approche sociologique La biomécanique a aussi donné nom à une discipline enseignée par le metteur en scène russe Vsevolod Emilievitch Meyerhold. Cette discipline fait son apparition au début du XXe siècle et cultive une conscience de soi dans l’espace ainsi qu’un travail plastique et rythmique de l’acteur. Inspirée entre autres par la commedia dell’arte et du travail des danseuses Isadora Duncan et Loïe Fuller, cette méthode d’entraînement physique permet aux acteurs de développer leur coordination et leur sens du rythme sur le plateau. En comparaison avec d’autres éléments du théâtre, Meyerhold considérait le mouvement scénique comme un des moyens d’expression les plus puissants. Ainsi il dirige entre 1914 et 1917, dans son studio à Pétersbourg une série d’études de pantomime accompagnées au piano. Parmi ces exercices- Les Deux Smeraldina”, Le poignard” ou La gifle”- reposent sur des activités corporelles comme le bond ou la chute ainsi que des éléments d’acrobatie avec différents objets liés à la tradition théâtrale- l’epée, la cape ou la canne. Par ces partitions rigoureuses, l’acteur est censé comprendre l’importance des différents éléments du corps les uns par rapport aux autres. Un exemple que Meyerhold citait lors de ses exercices fait référence à l’importance des détails- quand le petit doigt bouge, le corps entier doit supporter ce mouvement, pour rendre le petit doigt visible jusqu’au fond de la salle. La plupart de ces exercices se font en groupe, même si elles ne requièrent qu’une seule personne pour les pratiquer. Lorsqu’une personne finit sa pratique, le reste du groupe reprend la totalité de l’étude une seconde fois, pour enrichir les variations de propositions. Le poignard” et La gifle” sont deux études qui s’exécutent en paire, pour travailler la coordination et la précision entre les partenaires. L’élément clé de la pratique de Meyerhold est ainsi le corps de l’acteur, considéré comme un matériau à travailler individuellement mais aussi collectivement comme l’affirme Béatrice Picon-Vallin: Le travail physique de l’acteur, découpé en segments d’actions précisément délimités dans l’espace et dans le temps se caractérise encore par un montage de matériaux hétérogènes unifiés par le rythme de l’action et l’ironie de l’acteur : combinaison de techniques appartenant à différents métiers du spectacle, de registres vocaux variés, création d’une sorte d’ acteur collectif ”. Les meilleurs comédiens ont l’équilibre des funambules, le tronc monté sur ressorts des jongleurs, l’audace des acrobates, le coup de poing du boxeur, le cri du ventriloque.[a] En alternant travail individuel et travail collectif, les acteurs acquièrent des bases solides d’interaction et une bonne capacité d’adaptation aux formats et expériences. Comme le souligne Mel Gordon dans son article sur Meyerhold (citer Gordon[b]), pour le metteur en scène russe la fonction du théâtre est d’abord sociale afin d’éduquer et de promouvoir la reconstruction socialiste et scientifique de son pays. Lorsque Stalin s’empare du pouvoir,la plupart des secteurs de la société soviétique traversent des processus rapides de collectivisation et d’industrialisation. Les théâtres, puis plus généralement la culture, perdent progressivement leurs moyens et la liberté d’expression. D’autres méthodes s’inventent. Le metteur en scène russe voit les troupes de travailleurs semi-professionnels comme un outil pour éduquer les masses. Pour améliorer sa formation d’acteurs, il applique des principes ou des méthodologies scientifiques à la mode dans l’industrie soviétique, à ses fondements théoriques. Parmi ces méthodologies, le Taylorisme est le résultat des observations de l’ingénieur américain Frederick Winslow Taylor (1856-1915) sur la gestion scientifique du travail et de la productivité. Au début des années 1910, sa méthode est largement appliquée dans l’industrie, notamment en Europe et en Russie. Après avoir visité des usinés et examiné leurs chaînes de production, l’ingénieur est arrivé à la conclusion que les mouvements physiques des travailleurs influencent le rendement de la production. Lorsqu’il exécute une tâche répétitive, un travailleur s’engage, souvent sans s’en rendre compte, dans des mouvements superflus qui diminuent son efficacité. Pour Taylor, il est question de trouver les mouvements et les gestes les plus efficaces, dans ce qu’il a appelé une économie du mouvement". Pour faire cela, il a dû prendre en considération des facteurs comme les rythmes de travail et l’équilibre des postures. Toujours pour Gordon, les idées de Meyerhold croisent également celles de la psychologie fonctionnelle- dont le psychologue William James a mis les bases, ainsi que celles du béhaviorisme. Entre autres James considère la conscience et ses états transitoires comme directement liés au corps physique, alors que certains schémas d’activité musculaire suscitent des états émotionnels équivalents. En Russie à la même époque, des médecins comme Vladimir Bekhterev ou Ivan Pavlov ont aussi entamé des recherches sur les comportements et le conditionnement des réflexes humains. Selon eux tout comportement humain peut s’expliquer par l’histoire des interactions de l’individu avec son environnement. En s’inspirant de ces observations, Meyerhold les applique à sa méthode d’entraînement physique des acteurs. Les effets de ce processus sont ressentis lors des spectacles dont le rythme des acteurs est proche d’une chorégraphie. Si le décor est souvent inspiré par le courant constructiviste - dont la philosophie repose sur l’austérité et les motifs non-figuratifs, les déplacements des acteurs dessinent des parcours géométriques à la façon d’une danse des motifs. Ces parcours dépendent du nombre pair ou impair des acteurs. Ils créent des constellations dans l’espace qui donnent aux spectateurs la sensation d’une mécanisation des processus artistiques. D’une façon avant-gardiste et engagée, Meyerhold a dédié son travail à la lutte des classes, aux problèmes sociaux, en espérant contribuer à la création d’un nouveau type humain. Le culte de personnalité et les dérives du régime totalitaire stalinien ont fait que son théâtre soit fermé en 1938 et le metteur en scène exécuté en 1940, malgré le fait qu’il soutenait pleinement les idées communiste. 3.2 Faire danser les robots 3.2.1 Nouvelles formes de corporéité sur scène Pour comprendre comment mettre en scène les robots, je commence mon analyse avec les problématiques liées à la représentation du corps dans les propositions scéniques contemporaines. Une certaine partie de la communauté artistique de la danse semble œuvrer à une compréhension phénoménologique de l’expérience de l’incarnation. Les danseurs et chorégraphes proches de ce mouvement, s’intéressent à la conscience du corps ainsi qu’à l’évolution des formes de corporéité avec l’émergence des principes neuroscientifiques et somatiques. Le livre Disjunctive Captures of the Body and Movement” (citer Bojana[c]) interroge des formes de corporéité qui défient la subjectivité pour donner une façon propre d’habiter le corps. Pour cela, Bojana cite des choreographs tels Ingvartsen et Jefta VanDinther ou Eszter Salamon pour qui la danse est avant tout un lieu d’expérimentation. Elle questionne l’expérience subjective du mouvement, tout comme des chercheurs comme Stamatia Portanova qui travaille sur les nouvelles technologies et leur impact sur la danse (citer Stamatia[d]). Dans le chapitre Can objects be processes?”, Portanova se demande comment le geste dansé peut s’échapper à la linéarité du temps et faire émerger un contenu original, atemporel. Dans le contexte d’une monde dominé par les ordinateurs et les sciences computationnelles, elle désigne le glitch comme facteur perturbateur, capable de transgresser les lois physiques et de provoquer une faille anachronique: ...the appearance of the new takes the form of a glitch, an interruption of the continuous relational chain between past and future, the moment when past data are valued and particular ideas are selected in an occasion of experience, in order to determine what the future occasion will be. Son hypothesis se construit autour du travail de William Forsythe. Le spectacle One Flat Thing, reproduced (2000) a comme l’objet Synchronous Objects for One Flat Thing reproduced” - un site vidéo créé par la compagnie de danse Forsythe en collaboration l’Université d’Ohio comme outil unconventional de visualisation des paramètres chorégraphiques. Les paramètres captés lors du mouvement des danseurs sont transposés en données statistiques en lien avec la musique, l’architecture, ou la géographie - pour explorer sous un autre ongle les possibilités de composition entre le mouvement et l’espace. Le site Synchronous Objects ne peut pas reproduire la chorégraphie à posteriori, malgré la multitude des données capturées et l’infinité des possibilités de représentation- puisque le temps de la performance est unique dans sa temporalité. Pour Stamatia, l’analogie avec le glitch trouve son correspondant dans l’instantanéité du présent quand chaque mouvement répétée en dehors de la représentation, donne suite à une œuvre inédite et éphémère. Défis chorégraphiques dans la représentation du corps Les œuvres chorégraphiques que Bojana analyse ne remplacent pas les danseurs par des agents non-humains ou des systèmes numériques comme dans l’étude de Portanova. En échange, elles mettent en scène le corps comme support physique du mouvement, à la lisière entre expérience subjective et objective. Bojana insiste sur la manière dont la relation entre le corps et le mouvement est rendue impersonnelle, dé-subjectivé, mais aussi dé-objectivé sur la base d’une perturbation délibérée entre sujet et objet. Pour mieux définir ces concepts, dans son optique la subjectivation traite le corps comme une source d’expression de soi. Ainsi par le mouvement jaillit l’envie du corps d’exprimer son expérience émotionnelle intérieure. A l’inverse, l’objectivation restreint le corps à un simple instrument d’articulation physique, dont le mouvement se fait en ” et pour ” lui-même. Dès les premières pages de son livre, Bojana nous introduit au concept deleuzien de reconnaissance où le corps et le mouvement se situent dans des relations d’interdépendance. L’identité subjective du danseur est reflétée et représentée dans l’identité objective du mouvement. Cela l’aide à mieux définir un corps en mouvement et comprendre les facteurs qui facilitent ce processus de symbiose. Déconstruire le corps humain signifie également construire une multiplicité de corps à partir de ses membres. Par le fait d’éviter l’unification d’une seule figure reconnaissable dans sa forme et son image, le corps est objectivé. Comme Bojana le souligne dans son livre, le partitionner pour recomposer ses parties dans un processus de devenir, laisse apparaître des nouveaux corps différents et méconnaissables. En ce qui concerne mon contexte particulier de spectacles avec des robots, je réfléchis aux deux - corps et mouvement - en contrepoids avec la machine. Lorsque les danseurs réalisent une synthèse entre le corps et le mouvement, les machines deviennent la structure qui anime un corps hybride en mouvement”. Cette objectivation opère à plusieurs niveaux, physique et phénoménologique, avec pour seul indicateur pour l’expressivité humaine. Deleuze et Guattari voient ce résultat hybride des objets détachées et des corps réorganisés, comme un processus perpétuel: Partial objects are only apparently derived from (prélevés sur) global persons; they are really produced by being drawn from (prélevés sur) a flow or a nonpersonal hyle, with which they re-establish contact by connecting themselves to other partial objects. (AO: 46)[e] Ces constats, des véritables défis chorégraphiques, ont encouragé Bojana à regarder de plus prêt les performances qui adressent ces problèmes sur le plateau. Le spectacle Nvsbl” (2006) d’Ester Salomon met en scène quatre performeuses gravitant à partir de quatre coins de la scène vers le centre- parcourant 5,5 mètres pendant une période d’environ 80 minutes. La trajectoire qu’elles effectuent est si alambiquée et prolongée dans la durée que ni les spectateurs ni les interprètes n’arrivent à saisir complètement le déplacement dans l’espace. Alors que les spectateurs peuvent enregistrer la transformation rétrospectivement - en détournant le regard puis en regardant en arrière pour vérifier s’il y a eu un avancement - cette expérience reste en dessous du seuil de perception (Sabisch 2011 : 186). Pour parler de son projet, la chorégraphe cite la critique Peggy Phelan pour qui toute performance à sa propre réalité. Cette réalité existe seulement pendant le temps de la représentation: …Our visual perception therefore does not provide us with a complete picture or idea of reality. Nevertheless, we use visible reality as an effect of reality in order to construct our image of reality.” Lors de la création du Nvsbl”, la chorégraphe hongroise s’est inspirée des techniques somatiques comme le Body Mind Centering, mentionné dans le chapitre antérieur. Lors de la représentation, tous les paramètres par lesquels le mouvement est habituellement perçu et reconnu sont suspendus (citer Bojana). Aucun élément corporel ne peut être distingué comme initiateur du mouvement, puisque chaque performeuse est impliquée dans un mouvement perpétuel qui opère à son intérieur. Les chercheurs (citer Invisibility and Oscillation: The Processes of Looking in Eszter Salamon’s Nvsbl) évoquent le concept de regard oscillatoire (oscillating gaze) pour faire référence au mouvement d’attention qui sollicité le spectateur pour regarder autrement ce que se déploie devant ses yeux. Des nombreuses parties du corps s’engagent simultanément dans un processus de dépliage de formes, comme un corps vivant laisse entrevoir son statut d’objet. Un deuxième travail mentionné par Bojana fait référence à la manière de créer avec des objets et des dispositifs moins technologiques. Elle prend comme exemple le spectacle It’s in the air” (2008) par Ingvartsen and Jefta VanDinther dont il est question de réinventer le corps et ses limites dans un contexte où les lois physiques sont transgressées. Ce spectacle où un homme et une femme performent sur deux trampolines géantes, s’organise autour de plusieurs rencontres mouvement-machine. Le mouvement reste partagée entre le corps et le trampoline, entre le volontarisme de l’action et le lâcher-prise de la personne qui subisse le rebond: We are not looking for what we can do on a trampoline but rather for what a trampoline can do for us . . . . By introducing the trampolines as a resistance to the movement production we force ourselves to reconsider everything we know about the dancing body, in relation to weight, shape, gravity, direction, rhythm and phrasing. (Ingvartsen and van Dinther 2007: 1) Les deux performeurs multiplient les possibilités d’expression, alternant entre le lâcher prise et la maîtrise totale du geste, un corps tonique et un corps mou, un saut haut et un saut très bas. Le rythme de leurs sauts donne l’impression d’un visionnage des images cinématographiques à la façon de Muybridge. Le corps apparaît comme une figure, à la fois humaine, animale et mécanique, en compétition avec la gravité. Sa désubjectivation en relation avec des trampolines, montre comment des dispositifs techniques moins complexes que les robots peuvent nous interpeller tout autant. 3.2.2 La corporéité des robots Au cours des dernières décennies, des chercheurs dans différents domaines de la robotique ont étayé l’importance du mouvement[10] dans la mise en place des interactions avec les robots. Pour la grande majorité d’entre eux, le contrôle optimal est le facteur clé pour améliorer tout travail collaboratif homme-robot. Leur objectif est de générer des commandes motrices adaptées à plusieurs contextes et contraintes. Certaines études mesurent l’effet de l’imitation sur le HRI [19] alors que d’autres se concentrent sur l’improvisation et l’apprentissage par renforcement. A notre échelle, cette recherche-création s’attache à comprendre comment la perception du mouvement peut augmenter la complicité avec les systèmes artificiels. De manière large, elle interroge la façon dont le comportement et le mouvement définissent la capacité d’agence et l’autonomie des robots- concepts que nous allons aborder dans les prochains chapitres. Pour programmer [f]des robots qui dansent, il faut trouver des analogies entre les symboles abstraits des ordinateurs et les signaux physiques des corps en mouvement. Selon le roboticien Jean-Pierre Laumont, un mouvement est perçu par les autres dès son achèvement dans l’espace physique (citer livre Laumont). Pour lui, toute analyse du mouvement humain, traduisible aux robots, se concentre sur la relation entre l’espace physique et l’espace corporel. Les roboticiens sont confrontés à ces questions quand ils modélisent un espace physique comme l’espace opérationnel dans lequel les actions du robot sont exprimées, alors que l’espace du corps est, pour eux, l’espace de contrôle ou l’espace de configuration du système robotique considéré. Leur travail se concentre sur la prise en compte des informations cinématiques d’un mouvement tout comme sur les informations dynamiques - par exemple les forces de contact avec l’environnement lors d’un mouvement. La dynamique permet entre autres, de contrôler la stabilité du robot pour générer des mouvements fluides et sûrs. Comparativement à la biomécanique, qui permet d’affiner l’interaction du corps humain avec son environnement, la dynamique est un critère important pour observer la qualité d’un mouvement et mesurer sa performance. Ainsi les humains, comme les animaux, utilisent des forces de contact pour générer du mouvement et se tenir debout face à la gravité. Pour cela, ils effectuent des tâches complexes où ils adaptent leur corps à l’environnement de façon spontanée. La communauté scientifique à formalisé cette propriété innée dans la théorie des primitives de mouvement dynamique (en anglais Dynamic Movement Primitives ou DMP). Pour programmer des mouvements similaires à une danse, il faut les décomposer dans une séquence de mouvements élémentaires, basée à son tour sur des primitives de mouvements dynamiques. Lorsqu’il s’agit de modéliser les processus psycho-somatiques ou les émotions qui déterminent une danse, les choses deviennent en général compliquées. Des avancées en neurosciences s’intéressent à ce type de défis (citer études). À cet égard, chaque mouvement peut être modélisé sous la forme d’une équation mathématique qui respecte les lois physiques. Cette équation est à son tour traduite en langage de programmation. Des modèles mathématiques sous-jacents à l’analyse de la dynamique du mouvement humain correspondent à des modèles descriptifs basés sur une multitude de variables mécaniques. Dans ce sens, les équations de mouvement ont une terminologie spécifique, selon leur domaine d’utilisation. De façon générale, elles décrivent le mouvement d’un objet physique selon les lois de la mécanique newtonienne.[g] Ce mouvement peut être représenté sous la forme de coordonnées sphériques, cylindriques ou cartésiennes. Il comprend l’accélération de l’objet en fonction de sa position, de sa vitesse, de sa masse et les variables connexes. Selon Laumond, en robotique une équation de mouvement est définie comme un moyen de comprendre la relation qui varie entre le temps pour un mouvement spécifique, le moment des forces appliquées sur l’environnement et les forces générées par les muscles et transmises par couples articulaires. Pour les humains, la capacité de combiner et d’adapter des unités de mouvement de base en tâches complexes, se produit par la coordination entre des muscles et des articulations. Puisque le corps humain dispose d’approximativement 700 muscles, 360 articulations et 206 os (citer livre Tozsten), le même mouvement peut être réalisé en activant différentes parties du corps. Définir le mouvement à partir des multiples stratégies possibles dévient encore plus compliqué lorsque nous prenons en compte la spécificité de chaque individu. Cette spécificité est souvent observée lors des séances d’éducation somatique où l’intuition et le ressenti du praticien comptent plus que les statistiques et les équations mathématiques. Néanmoins une fois une hypothèse émise, elle doit être vérifiée scientifiquement pour pouvoir être validée et acceptée par la communauté scientifique. C’est en cela qu’un travail intuitif et instinctif en danse contemporaine est parfois difficilement transposée en robotique. En fonction des mesures disponibles et de la partie du corps qui initie le mouvement humain, différentes approches peuvent être envisagées. Certaines études [12, 13] se concentrent seulement sur le mouvement des extrémités ou du torse, ce que correspond au task-space ou l’espace des tâches en robotique [11]. En effet, la plus grande partie du corps humain est le torse; représentant en moyenne 43 % du poids corporel total alors que les cuisses, le bas des jambes et les pieds constituent les 37% restants du poids total - suivis par les membres supérieurs (13%) et la tête et le cou (7%) (citer Tzeren). Une approche plus pratique est celle où les robots humanoïdes imitent des mouvements de danse capturés lors des démonstrations humaines. La simulation numérique du système musculo-squelettique humain permet de travailler avec un grand nombre de données expérimentales. La capacité de traiter ces données de façon itérative en temps réel dépend de la fréquence d’enregistrement. Les roboticiens utilisent des techniques de Motion Capture [h]combinées à des technologies comme le Learning from Paradigme [112] qui propose des modèles pour faciliter la danse- tels la cinématique inverse ou les modèles de contrôle prédictif- ainsi que de la dynamique inversée de l’espace opérationnel [113] (OSID). L’objectif de ces technologies est d’enregistrer et générer des mouvements avec un coût de calcul optimal. Une grande majorité des projets artistiques actuels font appel à des robots préprogrammés par des humains pour répondre à des signaux spécifiques et se comporter d’une certaine manière. Sur scène, le fardeau des mouvements synchrones qui garantissent l’interaction repose sur la réactivité et l’adaptabilité de l’artiste. En danse par exemple, le performeur doit garder le tempo, ce qui ne lui laisse que très peu de possibilités d’improvisation. De plus, il n’a pas le droit à des erreurs, car le robot continuerait alors à exécuter son programme quels que soient les événements imprévus qui se déroulent en parallèle. Cette situation est généralement évitée grâce à un opérateur humain disponible pour prendre le contrôle du robot à distance. En utilisant les technologies de suivi existantes comme des capteurs XSENS, l’artiste peut se connecter directement au robot, pendant que ses mouvements sont analysés en temps réel. Alternativement, ses mouvements peuvent être utilisés pour contrôler le mouvement du robot ou déclencher des changements de rôle. D’autres techniques basées sur la reconnaissance thermique ou la vision et le suivi haptique du mouvement humain, font l’objet des études en cours qui pourront éventuellement inspirer la communauté artistique. En 2012, lors d’un spectacle de danse de 10 minutes avec un robot HRP-2 et un danseur de hip-hop, l’humain a embrassé l’humanoïde sur scène. Les mouvements ont été calculés grâce au modèle OSID développé par LAAS. Le geste du danseur- ouvrant ses bras devant l’humanoïde- peut être interprété rétrospectivement comme une réaction empathique d’abandon devant la machine, une invitation pour devenir amis, ou bien l’acte de reconnaître un vieil ami. Une fois interpellé, le robot a attendu quelques secondes -probablement dû à un délai de temps de traitement de l’information- avant d’ouvrir ses bras pour faire un câlin à l’humain. Chaque spectateur projette sa propre interprétation concernant le message du spectacle et finalement les deux interprètes ont des motivations indépendantes l’un de l’autre. Si dans le cas de l’humain c’est clair que son action a été déterminée et conscience, dans le cas du robot, nous nous imaginons qu’il a été programmé pour répondre à un comportement spécifique. Dans [114] Nakaoka et al. avancent l’idée qu’une version améliorée des robots HRP peut générer une "technologie de contenu" innovante à partir des technologies MoCap à l’origine des animations de personnages vidéo. Pour rendre cela possible, les développements technologiques ont été combinés avec le feedback des utilisateurs quotidiens afin de mieux comprendre leurs attentes. Dans ce sens, le robot HRP-4C (l’équivalent féminin de HRP-4) a chanté et présenté une danse lors d’une performance au DC-EXPO 2010, en utilisant l’interface Choréonoïde pour programmer ses mouvements. Tout en mettant en œuvre les mouvements de danse d’un chorégraphe très connu apprécié par le public japonais, l’équipe a travaillé sur de nouvelles possibilités de mouvement propres aux robots. En adaptant le sens artistique des idées aux contraintes techniques du robot et l’inverse, ils ont proposé un projet innovant avec un robot réaliste qui s’est confondu parmi des danseuses humaines habillées et maquillées de façon identique. Ceci est un exemple de robot qui imite à la perfection un humain. Je suis loin de mes intuitions concernant la spécificité des robots comme espèces à part entière, mais les prochaines pages nous aideront à étudier de plus prêt ce phénomène. Dans Les corps multiples d’une machine performative ” [45] Louis Philippe Demers utilise le terme de machine performative ” pour illustrer une qualité des corps mécaniques dotées d’une saveur de vivacité ”. Pour lui, les expérimentations artistiques [46] avec les robots sont des exemples réussies d’incorporation, grâce aux concepts comme le body- schema ” [48]– [50] pour mieux implémenter dans les robots les fonctionnalités du vivant. Sa vision de l’incorporation [51]–[54] ouvre de nouvelles possibilités d’expression pour les artistes et les formes d’art hybride. Dans la même idée, d’autres chercheurs affirment que le comportement est le facteur le plus important dans l’avancement de la robotique [19]. Cela nous amène, à notre tour, à considérer le rôle des émotions dans la constitution d’un comportement. Dans mon contexte particulier de la danse, analyser les changements dans la conception et la configuration des projets d’art robotique, m’aide à mieux comprendre les possibilités d’interaction physique lors d’une performance live. HRI a beaucoup évolué au cours des dernières années. Actuellement il se décline dans des sous-domaines comme Natural HRI mettant en œuvre des émotions artificielles dans les robots, grâce aux modèles de classification hybrides multimodaux [136] et de l’apprentissage robotique interactif. Il est probable qu’au fur et à mesure que la compréhension de nous-mêmes s’élargisse, ces machines deviendront plus complexes également. Par l’utilisation de telles technologies, l’artiste n’est plus astreint à un choix binaire de suivre ou pas les cues des robots pré-programmés. De tels rôles peuvent être modulés comme dans [137], [138]. Au lieu d’exécuter des mouvements préprogrammés, les robots peuvent être contrôlés en ligne par les mouvements de l’artiste et même par les émotions de celui-ci, en temps réel. Des nouveaux espaces centralisés de contrôle multi-robot et multi-objet [139] pourraient également offrir la possibilité de manipuler plusieurs robots à la fois par un seul artiste ou combiner le contrôle de plusieurs robots par plusieurs artistes. Grâce aux techniques récentes de ML, les robots pourraient apprendre directement des mouvements artistiques en observant l’humain, puis proposer des améliorations en temps réel sur scène. D’autres modèles qui utilisent l’apprentissage par renforcement [140] sont actuellement en cours de développement, apprenant aux robots à créer leur propre carte de réseaux sociaux et comportements afférents[141], tout en interagissant avec les humains. 3.3 Différents formats de présentation Les projets artistiques avec des robots visent des interactions multimodales. Sur scène, ces interactions privilégient un contact physique avec des humains, facilité par des gestes, de la voix ou du toucher. Généralement le message transmis par ces œuvres est la nécessité de rapprocher les robots et les humains. Cette idée émerge à la fin des années 1960, quand un nouveau genre alliant l’art et les machines fait son apparition sur la scène artistique: l’Art Robotique. Initialement motivées par des rêves personnels en lien avec des défis scientifiques, les premiers projets artistiques impliquent des robots construits sur mesure, inspirés par les automates. Au fur au mesure que la technologie avance, ces robots vont devenir à leur tour plus complexes, capables de nous émouvoir et nous surprendre. Pour cette synthèse, je vais donc commencer par les dispositifs maladroits des années 1980, suivis par les expériences bioniques avec des exosquelettes une décennie plus tard et les bras robotiques industriels en parallèle avec les humanoïdes sophistiqués des dernières décennies. Cette progression suit de près l’évolution des développements technologiques dans la recherche en robotique, qui s’est souvent prêtée à des collaborations avec d’ autres disciplines pour élargir et questionner ses directions. A ce stade de mon état d’art, il me paraît intéressant de proposer une analyse globale du rôle de l’art robotique dans la réconciliation des projections fatalistes concernant notre cohabitation avec les machines. Cela me semble également intéressant d’investiguer dans quelle mesure cet art peut devenir un miroir pour refléter des spéculations transhumanistes, selon sa réception dans l’espace publique et les médias. Lorsque nous regardons la littérature contemporaine (citer art) des roboticiens, des artistes et des neuroscientifiques sont en cours d’établir les prémisses d’une nouvelle éthique pour les robots et les développements technologiques, afin d’empêcher les éventuelles dérives sur le sujet. Les œuvres sélectionnées informent la robotique sociale des possibilités d’interaction originales, tout en témoignant d’une relation complexe avec les machines, qui date déjà depuis presque un siècle. Quelque part l’art robotique, à l’instar des sciences traditionnelles comme la biologie ou la psychologie, peut faciliter une meilleure compréhension de nous-mêmes et nos attentes vis-à-vis des robots. Si la robotique sociale développe actuellement des machines incroyables, les robots sous diverses formes et fonctionnalités, sont de plus en plus présents dans notre vie quotidienne et nos cultures. La technologie est essentielle pour définir ce que les humains sont, du moins dans notre tradition occidentale, où la convergence entre l’homme et la machine est à la fois séduisante et repoussante. En contrepartie, la culture japonaise entretient une certaine distance avec la technologie, expliquant pourquoi les robots sont moins problématiques ” là-bas, et comment ils ont été apprivoisés ” (citer) avant d’être intégrés dans la société. Ce qui m’intéresse, en observant différents formats et expériences artistiques, est de comprendre comment les robots pourraient trouver à travers l’art, une condition indomptée ”, avant leur industrialisation et en dehors leur commercialisation à grande échelle. Cette sélection représente seulement un échantillon des œuvres d’art robotique en lien avec la scène. Lorsqu’elles sont mentionnées par les artistes eux-mêmes ou la littérature, les spécifications techniques offrent un aperçu important sur les défis et les limites de ce type de processus de recherche-création. A ma connaissance, il n’y a pas actuellement une méthodologie officielle sur la manière dont l’Art Robotique doit être évaluée, cette synthèse s’appuie donc sur des méthodes quantitatives utilisées dans les études existantes [19], [20] et est complété par les retours artistiques des auteurs ou les archives des processus de création et de réception. Le format des œuvres peut aller des sculptures et installations cinématiques, aux spectacles, performances et improvisations en direct. Pour mieux comprendre leur évolution, elles sont mentionnées en ordre chronologique. À cela, j’ai pensé rajouter également les apparitions dans le média où des robots se présentent en tant que maîtres spirituels ou artistes qui prônent un autre type de culture de divertissement (citer), afin de voir comment le rapport à la scène est influencé par ce format. De cette manière une caractéristique importante de cet étude, repose sur l’hypothèse que les interactions homme-robot au contact rapproché [13], [14], c’est-à-dire l’utilisation de gestes et d’interfaces haptiques [15]–[18], peut améliorer la façon dont les robots sociaux sont acceptés par les utilisateurs non expérimentés. Mon objectif est donc de voir comment ce processus d’apprivoisement opère dans des contextes artistiques et culturelles et qu’est ce que pourrait être son opposé - défini ici comme une condition indomptée ” ou sauvage des robots. Dans les prochaines pages, j’analyse la spécificité des robots présentés dans les œuvres sélectionnées, puis j’appréhende les facteurs qui ont influencé le développement de l’Art Robotique. Pour argumenter ce processus, je m’appuie sur une première partie qui précise le contexte dans lequel la robotique et l’art aurait pu se rencontrer, leur lien commun et la façon dont elles se sont inspirées réciproquement. Souvent, l’impact des œuvres sélectionnées a facilité des découvertes en robotique sociale. Puisque les projets artistiques impliquant les robots ont été soumis à des contraintes technologiques (i.e. choix de matériaux influençant le message de l’œuvre d’art), je regarde comment ceux-ci sont considérés tout au long des processus de création et comment ils ont été mis en scène.[i] 3.3.1 Comment les robots sont apparus Lorsque nous pensons à des robots, nous imaginons des dispositifs intelligents, autonomes du point de vue de l’alimentation, programmés pour ressentir ” et interagir ” avec nous et l’environnement [21]. En contrepoids, l’art veut faciliter l’accès à la dimension sensorielle de notre existence. Pour faire cela, les artistes misent sur l’affect (voir les sentiments du public) à travers une manipulation astucieuse de qualités tangibles ” [22 citation penny anglais]. D’une manière prédictible, la définition de chaque terme est soumise à des évolutions permanentes, prouvant leur importance dans les préoccupations courantes de notre société. Interroger ces transformations dans le contexte de l’Art Robotique, aide à déterminer leur caractère dans les prochaines années. Pas si loin du monde de l’art, la fascination pour des artefacts et des machines qui pourraient éventuellement devenir "vivants", a longtemps peuplé les rêves des humains. Quelques-uns de ces artefacts- les automates- ont été identifiés par des chercheurs [23], [21] comme vecteurs du développement technologique de nos sociétés. La définition du terme Automata sous-entend l’existence des dispositifs mécaniques qui se déplacent de manière autonome sans être directement manipulés par des humains. Remontant l’histoire pour identifier leurs origines, nous remarquons l’existence d’appareils mécaniques mobiles autonomes à Alexandrie vers le IVe siècle av. J.-C. [21] ainsi l’utilisation des gardiens robotiques automatisés ” en bois, conçus à l’époque du roi indien Ajatasatru de Magadha un siècle plus tard [21]. Quelque temps plus tard, le polymathe Ismail al-Jazari - suronmé "le père de la robotique" parmi les roboticiens d’aujourd’hui - a construit plusieurs automates humanoïdes pendant la période islamique du XIIIe siècle. Trois siècles plus tard Léonard de Vinci aurait présenté à la cour de Milan son chevalier mécanique. Dès le XVIIIe siècle, Jacques de Vaucanson présente lors des salons et des expositions privées, des inventions comme son célèbre "joueur de flûte" avec des poumons artificiels, ainsi que un canard qui pouvait manger, déféquer et flotter sur l’eau [23] comme son double animal ” [24]. Selon [25] et [24], Vaucason aurait même été mandaté par le roi Louis XV pour construire secrètement un androïde de taille humaine vraisemblable dans les plus petits détails à des fonctions biologiques du corps humain - respiration, circulation, digestion, mouvement. Compte tenu des limitations techniques et matérielles de cette période, ce projet a malheureusement dû échouer. Vers la même époque, Wolfgang von Kempelen trompe son public en cachant un vrai humain dans son automate joueur d’échecs appelé Le Turc", en invitant les nobles à défier les capacités intellectuelles ” de sa machine. Un siècle plus tard, des inventions pratiques comme le phonographe ou le Cinématographe des frères Lumière confirment l’intérêt des spectateurs pour un goût du spectacle inspiré par la science, mettant en avant des machines ressemblant à des humains et éventuellement des robots. L’histoire de la robotique est étroitement liée à celle d’art [26], la sculpture anthropomorphe et la marionnette influençant la robotique plus que le design des ordinateurs. La différence entre les automates et les robots sociaux, indépendamment de leur utilisation ou de leur forme, est que les premiers sont des artefacts uniques, créés à la main ” [27] alors que les derniers sont produits en masse, de façon automatisée. Gakutensoku, une nouvelle race ? Au début du XXe siècle, l’écrivain tchèque Karel Capek écrit R.U.R.- Rossumovi Univerzalni Roboti (Les Robots Universels de Rossum) - une pièce de théâtre sur des créatures artificielles travaillant en usine. Ces créatures appelées "roboti" étaient facilement confondus avec les humains en raison de leur forme et de leurs capacités. Conçus pour remplacer le travail humain, ils apparaissent capables de réfléchir par eux-mêmes. D’abord heureux de travailler pour les humains, ils finissent par prendre conscience de leur état et décident de se rebeller contre les humains. Puisque cela peut potentiellement provoquer leur propre extinction [28], ils changent de perspective et décident de sauver l’avenir de l’humanité. Le texte gagne rapidement en notoriété et est traduit dans plus de trente langues à la fin du 1923 [27]. Le terme robot ” [29] est désormais employé pour désigner des androïdes et des automates ("robota" signifiant travail forcé ” en tchèque). Le nom du créateur des robots - Rossum [30] - pourrait renvoyer au mot tchèque rozum ” signifiant raison ”, sagesse ” ou "bon sens" [31]. Dans cette interprétation, les créatures de Capek correspondaient à des serfs apportent la raison aux humains ”. Aujourd’hui seulement le terme robot ” [32], [26] désigne ce que nous appelons des machines programmables autonomes. Leurs applications se sont diversifiées[33], [34] (impactant des domaines comme la médecine, l’aéronautique, le militaire) et notre interaction avec les robots et leur impact à long terme sur nos vies [4] est en pleine expansion [35]. R.U.R. a été diffusé dans le monde entier et a conduit à différentes réactions parmi ses spectateurs. Au Japon, le spectacle a été présenté en 1924 sous le titre de Jinzo Ningen ” (Homme Artificiel)[36]. Quatre ans plus tard, Makoto Nishimura- un biologiste marin sans aucune connaissance préalable en mécanique ni en ingénierie - a décidé de construire de toutes pièces une créature autonome équivalente, qu’il a nommée Gakutensoku ” . Ce terme traduit par apprendre des règles de nature ” vient en réponse aux médias de l’époque où les machines sont dépeintes comme des "serviteurs" des humains. Ainsi naît le premier robot fabriqué au Japon, selon son créateur "le premier membre d’une nouvelle espèce, dont le but est d’inspirer les humains et de faciliter l’évolution humaine en élargissant nos horizons intellectuels ” [37]. A partir de ce premier exemple, c’est intéressant d’imaginer comment les robots pourraient devenir un jour une race à part entière, capables d’autonomie et d’une forme de conscience artificielle”. Cette thèse traite des exemples qui apportent les pour” et les contre” d’une telle projection, avec l’art comme terrain idéal d’expérimentations. 3.3.2 L’Art Robotique du début de XXème siècle à nos jours Avant les années 2000 Au début du 20ème siècle, les artistes se sont intéressés à la cinétique et les sculptures en mouvement. Après les machines de Jean Tinguely [26] et de Marcel Duchamps, l’artiste coréen Nam June Paik crée l’oeuvre Robot K-456 (1964) - probablement le 1er robot humanoïde à être utilisé dans un projet artistique. Son nom vient de l’œuvre de Mozart Concerto numéro 456 pour piano n° 18 en Si bémol majeur ”, témoignant des liens entre la musique et la robotique. Ce prototype de robot télécommandé sur 20 canaux, a été construit au Japon par Shuya Abe [55] pour être présenté lors d’un festival annuel d’avant-garde à New York. Lors de son apparition publique, le robot K-456 a marché dans les rues de New York pour diffuser l’enregistrement du discours du président John F. Kennedy. Il a également été impliqué dans une série d’actions type happenings, comme celle dans laquelle il fait semblant de déféquer devant des passants. Plus tard, dévenu célebre par à son utilisation de la vidéo et des médias de l’époque, Paik crée une oeuvre où Merce Cunningham est dedoublé en train de dancer sur des fonds de couleur qui alternent entre bleu, blanc et transparent. Cette œuvre intitulée Merce by Merce by Paik (1973) confirme les intuitions de l’artiste quant à l’impact des moyens technologiques sur la perception humaine. Ainsi il nous fait perdre le focus de la perception du mouvement dansé, en jouant avec l’environnement qui contient le danseur (citer Stamatia). Le projet K-456 reste toujours en cours et vingt ans plus tard, le robot prend part à une simulation d’accident intitulée La première catastrophe du 21e siècle ”. Cette fois une voiture conduite par l’artiste Bill Anastasi [56] lui rentre dedans en traversant la route. Dans ce premier exemple, nous soulignons l’intention de l’artiste de provoquer des interactions physiques et de donner l’illusion des processus physiologiques propres au robot, similaire au Canard de Vaucanson. Les spectateurs de cette performance assistent à une rencontre entre deux machines où un robot actionné par un humain (la voiture) heurte un autre. Leur rencontre conduit à la destruction du premier, projetant, sans probablement vouloir, une relation de confrontation entre les humains et les robots, avec des robots qui combattent pour dominer la race humaine. Ce scénario menaçant des robots destructifs a été réitéré tout au long des années suivantes. Lors des représentations données par Survival Research Laboratories, des machines souvent à grande échelle rivalisent pour s’entre-détruire [26], [57]. A la même époque, les artistes Bill Vorn et Louis Philippe Demers dépeignaient les robots comme des animaux sauvages se contestant un cube de métal (qui représente un morceau de viande) dans Au bord du chaos ” (1995). Dans sa performance "A- positif ” (1997) [58] Eduardo Kak est littéralement connecté à un robot, à travers une aiguille intraveineuse qui transfuse son propre sang à la machine, afin d’allumer avec l’oxygène du liquide[28] la flamme d’un dispositif électronique. L’acte pourrait être interprété comme une métaphore pour alimenter la machine, la nourrir. Cela peut aussi signifier une tentative de le rendre humain, voir comment sa réalité physique peut ou pas transgresser les lois biologiques du vivant. Cette association de sang et de métal, du vivant et de l’artificiel, à son l’origine dans la littérature du début de 19e siècle alors que des écrivains comme Mary Shelley, préconisent ce que les chercheurs ont depuis identifié comme le syndrome de Frankenstein ” [8], [59]. En analysant les facteurs [10] qui influencent l’acceptation des robots humanoïdes, les chercheurs travaillent pour mieux expliquer nos attentes envers ceux-ci. De façon similaire, plusieurs films [11], [60] mettent en scène des humains artificiels et des études sociologiques [61], [62] pour examiner comment l’attitude envers ces robots est influencée par leur antériorité et popularité dans le média. Bien que certains artistes expulsent des pulsions morbides dans leurs projets d’art robotique, d’autres se concentrent sur des émotions moins destructrices. Une approche originale est d’utiliser l’ennui et l’épuisement comme forme de résistance face aux capacités infinies de la machine. L’œuvre Helpless Robot" de Norman White (1987) [63] est un exemple. Après presque un décennie des recherches, il developpe des robots capables de ce qu’il définit comme de "la santé mentale artificielle" et dans une certaine mesure des robots antisociaux ” [28]. Avec le sentiment de l’ennui comme point de départ, il a créé un robot qui suivait les gens présents à sa performance. Ce robot soupirait de temps en temps et s’arrêtait lorsque quelqu’un lui donnait trop d’instructions. La prochaine version est un tronc pyramidal d’environ 2m de haut, conscient de son propre mouvement et du mouvement autour de lui. Ce robot s’arrêtait puis demandait aux visiteurs de le tourner, étant capable d’exprimer pas moins de 512 instructions vocales [26]. Après qu’un humain répondait à sa requête, il se plaignait en disant que le virage devrait être plus précis, obligeant le visiteur à le retoucher, afin d’ajuster son emplacement encore et encore. Il est important de noter que l’interaction physique entre le robot et l’utilisateur est initiée dans ce cas par le robot. D’autres expérimentations artistiques, comme par exemple Heart Robot ” de David McGoran (2008) décrit dans les pages suivantes, s’appuient sur un constat similaire. Les robots qui demandent de l’aide à des humains [64], ont plus de chances d’engager un contact physique avec eux et peut-être d’être acceptés ” dans la société. Plus tard, Norman White participe à une collaboration avec sa collègue artiste Laura Kikuka. L’œuvre, intitulée Them fucking robots ” (1988) [63], met en place une performance live où deux robots -mâle et femelle- simulent une relation sexuelle avec des voix enregistrées, des pistons et des fluides mécaniques pour caricaturer une forme de copulation biologique. Les deux artistes se sont mis d’accord sur leurs artefactes sans se voir et n’ont convenu en amont que sur certaines spécifications techniques 10 comme la dimension de leur robots. Je note ici l’utilisation du thème de la sexualité comme prétexte pour provoquer et éventuellement amuser le public. Les robots n’exprimant ni des traits humains érotiques, ni de la séduction. Le titre de la performance est proche d’un "jeu de mots dénonçant un cri de sectarisme contre une minorité déjà détestée” [28]. Même type de promiscuité chez Marcel Li Antunez Roca dont le premier travail intitulé Epizoo ”(1994), met en scène l’interprète qui à la discrétion des spectateurs son propre corps. Ainsi son nez, ses fesses, ses pectoraux, sa bouche ou ses oreilles sont contrôlés en live sur le plateau, via un exosquelette pneumatique. Vêtue uniquement d’un string, Roca se tient debout sur la plateforme circulaire tournante de sa performance, tel un cobaye. Pendant ce temps son corps et ainsi les quelques éléments scéniques (lumière, son) sont contrôlés avec une souris par les spectateurs. De même, en utilisant les écrans d’ordinateurs, des parties de son corps nu seraient rassemblées dans une imagerie fétichiste. Cela conduit finalement au développement d’un des concepts clés de Roca - "la méta-membrane [65] ” par laquelle l’artiste est transformé en une interface entre l’œuvre d’art et son public, grace à la technologie. Membres d’une scène artistique émergente qui veut couper les traditions, afin d’y établir un nouveau courant, Antunez Roca et Kac résument leurs idées dans un manifeste [66] où ils déclarent entre autres que "les microprocesseurs sont aussi importants dans l’art robotique que les brosses, peinture, et les toiles sont en peinture ”. Faisant référence à ces projets artistiques, Dixon emploie les termes de "camp art" et de "performances métalliques" pour définir une sub-catégorie de l’Art Robotique spécifique des années 80 et 90, où la chair et la mécanique se mélangent dans des associations kitsch. Ces œuvres d’art provocatrices et parfois violentes soutiennent que "l’humanisation des machines et la déshumanisation des humains ” sont implacables, avant de prôner un retour à la nature salvatrice [28]. C’est important de noter qu’à ce stade de l’expérimentation, la fascination humaine pour la technologie est étroitement liée à un sentiment indéfini d’impuissance traduit par la moquerie, la promiscuité ou la violence. Une tentative de transformer ces peurs et fascinations” [28] en quelque chose de plus métaphysique, mais toujours soucieux de la rencontre entre le corps humain et la machine, l’œuvre Petit Mal ”(1995) de Simon Penny met en scène un robot complètement autonome. Ce robot va sentir et explorer son espace tout en suscitant des réactions ludiques chez les visiteurs [67]. L’objectif de Penny est de donner l’impression d’une intelligence et d’un comportement spécifiques qui ne sont ni anthropomorphes ni zoomorphes, mais propre à sa forme physique et nature électronique ” [44]. Cela donnait aussi l’impression d’être plus intelligent qu’il ne l’était en réalité. L’artiste a créé un robot capable d’imiter le comportement humain, soulignant l’importance de ce qu’il définit comme "un mimesis dynamique" - le robot se déplaçant comme les humains, sans avoir réellement une forme humaine. Sur son site, Penny décrit Petit Mal" comme un "anti- robot ”dotée d’une autonomie d’environ 12 heures, ce qui représente beaucoup compte tenu de l’époque de sa construction. Pour le construire, l’artiste utilise le modèle d’un double pendule comme générateur de mouvement auquel il rajoute des mouvements hésitants et des petits gestes pour renforcer l’idée d’autonomie et de libre arbitre. Penny remarque également que parmi tous les utilisateurs, les jeunes enfants seraient extrêmement curieux de le connaître, tandis que les adolescents agissent de façon indifférente [67]. Dans une autre approche, l’artiste japonais Momoyo Torimitsu performe Miyata Jiro ” (1997) dans les rues de New York [68]. Habillée en infirmière, l’artiste assiste un robot humain réaliste représentant un d’homme d’affaires. Ce qui choque les passants est que le robot rampe sur son ventre tandis que l’infirmière le suit pour remplacer de temps en temps les batteries qui l’alimentent - pour l’anecdote des batteries de motocyclette stockées dans les fesses du robot. Ce robot basique a un mécanisme de déplacement assez simple mais à cause de son apparence réaliste, provoque un sentiment de mal à l’aise en sa présence [69]. Encore une fois, l’interaction physique robot-performer est facilitée par la mise en scène du robot dans une position de vulnérabilité par rapport à l’humain. Cette fois le message artistique s’adresse aux humains, qui par leur addiction au travail, s’automatisent”. Pareil aux exemples de "Robot K-456" ou "Petit Mal", je souligne la présence du robot dans les rues, dans l’espace public, à la place des musées (où le robot serait davantage contemplé) ou du laboratoire (où le robot serait un simple outil de recherche pour des tâches industrielles). Des champs comme la "robotique située" [70] se concentrent sur la façon dont les robots sont perçues dans des environnements complexes. En comparaison avec un laboratoire, la personne qui interagit avec le robot dans une école ou un hôpital ne remarquera pas ses limites techniques, étant plus préoccupée par les indices de son comportement social. Première décennie du XXIe siècle Autour de la première décennie du 21e siècle, des chercheurs avancent l’hypothèse qu’environ 55% de la communication humaine est basée sur du comportement non-verbal [71]. Bientôt, les artistes deviennent intéressés par les robots et les machines qui "s’expriment" à travers des mouvements et des gestes à la place des signaux sonores. Comme mentionné précédemment, "Heart Robot" (2008) marque une transition dans la façon dont les robots sont présentés dans l’espace publique. Cette fois, les machines bruyantes et métalliques sont remplacées par une petite marionnette hybride capable de toucher et être touchée. Marionnettiste lui-même ainsi que roboticien, Goran met au défi la perception culturelle des robots grace aux émotions artificielles et à l’intelligence sociale. Son robot ne peut pas marcher mais présente une forme de respiration simulée, du pouls avec un affichage LED type "cœur" sur sa poitrine et des clignotements. Ses yeux fonctionnent en quatre modes : endormi, somnolent, éveillé et surpris. Ses mains ont trois doigts et un pouce pour saisir d’ autres mains. Somme toute, cette créature assez fragile, de la taille d’un enfant, s’oppose à l’image des robots puissants de la littérature de Science Fiction. Il simule la respiration pour exprimer un état émotionnel détendu. Les résultats de [20] montrent comment dans une certaine mesure, la mise en œuvre des capacités de toucher dans les interactions avec les robots a un potentiel thérapeutique sur les humains. Goran a présenté "Heart Robot ” lors de foires et d’événements culturels non liés à la robotique. La plupart des utilisateurs adultes qui l’ont touche ou tenu dans leurs bras ont ressenti un certain sentiment d’empathie [72] pour lui. Cependant, certains enfants et adolescents ont manifesté des réactions agressives et un enfant a donné un coup de poing au robot en face, pour voir comment il réagirait [64]. Cet exemple, plutôt une exception dans l’accueil du "Heart Robot", prouve que la fascination des humains pour les robots pourrait être enracinée dans un sentiment ambivalent de peur et d’admiration généré par nos propres limites et projections en tant qu’espèce, face à une potentielle autre. Pour revenir au robot Gakutensoku créé par Nishimura, il est important de se rappeler que cela dépend surtout de nous, humains, si les robots réfutent nos peurs les plus profondes, ou simplement les confirment. J’ai mentionné la peur et l’effet d’étrangeté [69] que la présence des robots peut avoir sur nous. J’aimerais donc par la suite analyser le travail de Hiroshi Ishiguro avec l’œuvre "Telenoid R1" (2010). Professeur d’université et chercheur sur des robots humanoïdes hyper-réalistes, il est le créateur de "Geminoid HI" (2006)15- un androïde copie identique de lui-même [73]. L’objectif de la recherche d’Ishiguro est d’enseigner l’expérience humaine aux androïdes. Par ce projet présenté lors du Festival Ars Electronica, il a conçu un robot téléopéré de petite taille, sans membres et qui pouvait manifester son engagement qu’à travers des mimiques et du retour vocal. En comparaison avec Heart Robot" il a provoqué des réactions distinctes. Puisqu’il était piloté par un opérateur humain, ce robot a été capable de passer d’une langue à l’autre très rapidement, donnant l’impression d’être un "fantôme dans la machine" - concept expliqué dans [74] comme indépendant de la machine elle-même (plutôt un produit de l’influence des machines sur l’environnement). Cela peut aussi rappeler en quelque sorte des robots de proximité de Demers [46] et de son intention de rendre crédibles des agents peu crédibles. Plus probablement les démonstrations d’élocution ou d’adaptabilité des robots motivent peu les interactions physiques des spectateurs. La peur de l’humain d’être contrôlé par un robot surpuissant augmente au fur et à mesure que le robot exprime plus d’agence et d’autonomie. Cependant dans un étude avec des personnes âgées [75], des chercheurs de l’équipe d’Ishiguro ont remarqué qu’en étreignant spontanément Telenoid R1, les humains éprouvent de la sympathie pour lui. Toujours selon l’article, cela peut éventuellement s’expliquer par le fait que les personnes âgées ignorent le sens du concept de robot télé-opéré. De façon similaire, d’autres robots d’Ishiguro ont participé à des projets de théâtre lors des collaborations avec le metteur en scène Oriza Hirata [76]. Sur scène l’accent est mis sur l’intrigue narrative donc les robots jouent leur propre rôle [77] et ils sont acceptés ” dans leur singularité. L’effet d’étrangeté diminue par conséquence. Pour aller plus loin sur ces considérations, le chercheur Guy Hoffman introduit le concept "d’étrangeté sociale" [78] en relation avec les robots sociaux et leur compagnie. Selon lui, les robots de compagnie peuvent déclencher des troubles psychologiques importants, selon la fragilité et le profil émotionnel des usagers. Dans ce contexte, les conventions scéniques peuvent devenir l’environnement approprié pour que l’intelligence des robots exerce sans contraintes sa spécificité. Parmi les formes performatives, la danse est celle qui exige beaucoup de contact physique. Nous avons vu plus haut comment les paradigmes liés à la représentation du corps en mouvement impactent les nouvelles créations scéniques. A la fin des années 1960, des chorégraphes comme Deborah Hay, Steve Paxton ou Lucinda Childs ont collaboré avec les experts en informatique des Bell Labs, pour danser avec des machines pendant les événements E.A.T. (Expériences en art et technologie). Presque à la même époque, Merce Cunningham utilisait l’ordinateur pour créer des outils chorégraphiques [79] qui génèrent des mouvements artificiels. Plus récemment, avec le développement des robots industriels, les chorégraphes ont commencé à les inviter sur scène. Cela a motivé les chercheurs à améliorer encore plus leur mouvement et capacités [80] d’adaptation. Parmi les pionniers des projets de la danse robotique, j’aimerais mentionner deux artistes qui ont choisi de mettre des machines non-anthropomorphes sur scène. Le premier est la performance Sans objet ” (2009) d’Aurélien Bory, où deux danseurs impressionnants par leur précision, exécutent des acrobaties sur un bras industriel de General Motors [83]. Face à la taille du robot, ils ressembleraient à des insectes qui sautaient sur une branche d’arbre. A l’opposé la série Actor # ” (2008-2010) de Kris Verdonk [81], [82] présente le spectacle Dancer #3 ” où la scène est vide, à l’exception d’un petit robot maladroit qui a du mal à se tenir débout. Chaque fois il retombe, sans jamais céder à son objectif, endurant inlassablement ce processus d’essais et d’erreurs. Comme la séquence se répète, des bips sonores choisis par Verdonk donnent l’impression d’une voix avec des soupirs de la part du robot. Les spectateurs projettent une attitude empathique envers lui, comme ils le font probablement avec les danseurs de Bory- bien que ceux-ci se mettent en danger pour escalader le bras robotique. Certaines questions importantes autour de l’automatisme et de l’autonomie émergent de ces deux exemples. Que se passerait-il si le petit robot abandonne ” ses essais ? Ou si le robot géant décidait de secouer les humains qui pendent dessus ? Pourquoi le manque de maîtrise du deuxième robot impressionne tout autant que la précision des danseurs du premier exemple? Probablement parce-qu’un corps non-humain en mouvement La persévérance d’un robot dans sa maladresse ou sa précision et endurance élevées (qui sont évidemment des comportements pré-programmés ) sont à l’opposé d’une figure humaine imparfaite qui vacille dans son indécision et incertitude. Fascinées par la haute précision et la froideur automatique ” des robots industriels, des chorégraphes émergents comme le Finlandais Thomas Freundlich, la Britannique Merritt Moore ou l’Américaine Catie Cuan continuent de défier leur potentiel créatif sur scène. Parmi d’autres, le travail du chorégraphe taïwanais Huang Li, intitulé Huang Yi & KUKA” impressionne par sa délicatesse et sa puissance. Le l’artiste a mis plusieurs années à s’habituer à la programmation d’un bras KUKA par lui-même [84]. La performance qu’il propose a eu plusieurs versions depuis 2012, une seule minute de chorégraphie du robot nécessitant 10 à 20 heures de programmation. Sur une musique classique de Joshua Roman, l’homme et la machine interchangent des rôles. À la fois, le robot manipule complètement le corps de l’interprète, en le touchant tendrement. La fluidité de ses mouvements illustre les progrès réalisés par l’industrie robotique des dernières années. Encore une fois, il paraît que les machines peuvent exprimer tout leur potentiel sur scène, là où la rencontre avec les humains est libérée du contexte productif de l’industrie. Pour souligner cette observation, je m’appuie sur le commentaire de Bory concernant son propre travail, pour qui un robot industriel hors de son contexte devient aussi inutile comme tout geste artistique devrait l’être ” citer Bory. Ceci est valable dans d’autres disciplines artistiques, par exemple en musique. Pour appuyer cela je mentionne Shimon live impro jazz performance ” (2009) de Guy Hoffman. Ici la machine est extraite de son contexte industriel et conçue exclusivement pour un jam d’improvisation jazz. Shimon est un robot-joueur de marimba capable d’improviser, conçu par Hoffman qui est lui-même musicien. Le chercheur a utilisé une approche gestuelle pour son expression musicale, avec des alternances entre des mouvements lents et rapides, des gestes grands et petits pour travailler sa virtuosité. Comme dans la danse, chaque geste est divisé en plusieurs phases qui se succèdent [85]. Pour modéliser les imprévus du temps réel et faciliter des moments synchronisés non scénarisés lorsqu’ils jouent ensemble, Hofmann a utilisé une méthode d’anticipation spécifique au théâtre. Pour lui, les roboticiens devraient s’en inspirer plus par des techniques de formation d’acteurs comme le monologue intérieur continuel ” lors de la conception des robots capables de comportements reactifs[86]. En travaillant avec des systèmes robotiques orientés vers l’action et la perception, Hoffman a obtenu des mouvements rapides plus adaptés - son but étant d’atteindre quelque chose proche de la "réactivité intuitive" d’un robot. Dans une approche connexe, l’Université Waseda conçoit également des robots qui improvisent de la musique en temps réel avec des partenaires humains. L’une de leurs premières expériences d’improvisation est le Waseda Flutist Robot” (2008), un prototype ayant subi plusieurs améliorations depuis les années 1990 [87], probablement version raffinée de l’Automate de Vaucanson du 18éme siècle. Cependant la musique n’implique pas un contact physique entre interprètes, mis à part un contact étroit avec les instruments de musique. Néanmoins le niveau de complicité lors d’une improvisation musicale est suffisamment élevé pour établir quelque chose semblable à une interaction physique, puisque le robot et l’humain ont un statut égal lors d’une improvisation. Cette parité pourrait également être maintenue et peut-être améliorée pour l’improvisation dansée, lorsque les mouvements des robots ont une qualité de réponse similaire à celle des danseurs. Au début des années 2000, le compositeur Japonais Suguru Goto a construit des systèmes où les gestes des robots peuvent modifier en temps réel le processus scénique[88]. Son prototype Body Suit ”, créé par Patrice Pierrot en 1997, a été initialement utilisé pour contrôler le son et les images générés par un ordinateur sur scène. En 2003, son prochain projet Robotic Music ” associant 5 robots à percussion, permet à un interprète doté d’un Body Suit ” d’improviser en live via 12 capteurs de flexion, avec les percussions acoustiques robotisées ”, du son et de la lumière. Semblable à une musique d’improvisation électroacoustique qui offre une grande liberté d’expression, le comportement des robots ainsi que leur interactivité avec les autres partenaires de scène stimulent l’imagerie artistique des spectateurs. La panorama des possibilités d’expression artistique des robots continue avec un projet de recherche de l’Université du Tohoku [89]–[91] qui développe des robots qui dansent. Leur l’hypothèse principale est qu’en comprenant ” et en anticipant les intentions humaines, un robot peut s’engager plus activement dans l’interaction avec un humain. Pour faciliter une synchronisation du couple, leurs études se concentrant sur la qualité des mouvements corporels [92] soulignent l’importance d’ une analyse poussée des capteurs de mouvement (MoCap). Une autre étude plus récente[93] utilise un robot enseignant la danse, pour évaluer les compétences nécessaires lors des processus d’apprentissage HRI, basées sur le contrôle de l’impédance adaptative et le retour haptique. Le robot effectue un mouvement continu d’adaptation à la dynamique de l’interaction, tandis que l’humain assume le rôle de suiveur. Dans ce contexte particulier, est le mouvement une clé pour l’acceptation des robots dans les œuvres d’art en tant que catégorie à part, spécifique à leur propre fonctionnement - ni propre aux humain, ni propre à des objets, mais quelque chose entre les deux? Je continue cette exploration d’Art Robotique avec deux artistes qui ont influencé la recherche scientifique à travers leur pratique tout au long de leur vie. Tous les deux ont imaginé des installations et des performances où les dispositifs automatisés questionnent la capacité des robots à transgresser les problématiques inter-espèces et éventuellement acquérir de l’individualité” ou une personnalité propre. Commençons tout d’abord avec Stelarc et son Articulated Head ” (2010), devenu ensuite Thinking Head Attention Model and Behavior System ” ou THAMBS [94]. Comparé au Bory, Stelarc a adapté l’utilisation d’un bras robotique industriel Fanuc LR Mate 200ic avec un écran de 17 pouces monté sur le robot pour créer un rendu 3D de sa tête, devenue tête prothétique. Le système contient également un ensemble de capteurs comprenant de la localisation auditive, de la vision stéréo ainsi qu’une vision monoculaire pour faciliter une connaissance détaillée de la situation et de son environnement. Cette forme de présence qui simule une prise de conscience, confrontée au paradoxe ghost in the shell” des robots d’Ishiguro, s’échappe de peu aux critères de la vallée de l’étrangeté, puisqu’il s’agit d’une machine peu réaliste, presque non-anthropomorphe et donc pas d’un humanoïde réaliste. Ceci dit, dans [95] Hertah mentionne comment le robot a surpris (pour ne pas dire effrayé) le personnel du laboratoire où ils travaillaient, en pleine nuit. Entré en mode veille en raison de son inactivité, le robot a rapidement réagi dans le noir, lancant un "Bonjour" enthousiaste à un employé qui effectuait son ronde de nuit. Alors que l’interaction homme-robot s’est produite de façon accidentelle, la réaction du gardien a été d’avoir peur, prouvant une fois de plus que les humains craignent les robots quand ils sont imprévisibles. Dans une autre étude portant sur le rôle du toucher dans les constructions empathiques avec les robots et leur impact sur la santé [96], des chercheurs ont associé à un moniteur affichant un visage humain, un dispositif doté de deux degrés de liberté simulant une main capable de pression. L’ensemble avait certaines limitations techniques, car les participants devaient tenir la main du robot en continu pendant les essais. Différents scénarios d’interaction ont été proposés pour analyser si le toucher combiné avec la parole ou les expressions faciales, peuvent améliorer la relation avec un agent artificiel. Il a été conclu que le toucher peut entraîner une interaction robotique réconfortante et emphatique, quel que soit le contexte des signaux multimodaux qui expriment un état d’affection. En ce qui concerne les critères qui relèvent de l’étrangeté sociale mentionnés plus haut, je remarque un détail intéressant. La littérature [97] offre de riches possibilités d’ expression dans le HRI. Cependant Stelarc a toujours vu son corps comme un prolongement des systèmes opérationnels”. En utilisant des prothèses et des exosquelettes qui actionnent ses mouvements, il s’estompe face à la technologie. Dans ses œuvres, c’est l’humain (et non le robot) qui devient étrange. Presque dans une approche contre-culturelle, Stelarc a réussi à inverser le rapport à la technologie en l’intégrant dans son corps [26], [98] à travers des dispositifs très originaux, comme son troisième bras ou les pattes d’araignée. Le travail de Ken Rinaldo, artiste et chercheur intéressé par l’hybridation homme-machine (ce qu’on appelle aujourd’hui bionique avancée) apparaît dans la meme lignée. Son installation robotique Enteric Consciousness ” (2010) est un exemple de biotechnologie, dont les principes sont similaires aux celles des projets d’Eduardo Kac [28]. Dès 1993 l’artiste crée une installation pour que des vrais poissons explorent l’environnement humain en pilotant un aquarium automatisé [26] -sorte d’un robot piloté par des poissons. Semblable à la performance "A-Positive" de Kac mentionnée auparavant, Rinaldo est un pionnier dans le domaine de la biotechnologie. Dans sa contribution intitulée : Trans-Species Interfaces : A Manifesto for Symbiogenesis ” [99], is décrit son dernier travail comme une interface entre un récipient en verre symbolisant un estomac rempli avec des cultures bactériennes vivantes et une langue robotique de taille humaine capable de masser l’utilisateur lorsque la flore bactérienne est en bonne santé. En utilisant des analogies entre le doigt (comme extension du cerveau humain) et la langue (en tant que prolongement du système nerveux entérique), Rinaldo propose une expérience corporelle synesthésique. Son dispositif n’est pas un robot en soi, mais plutôt un environnement robotique pour faciliter l’interactivité entre l’homme et les machines, par l’intermédiaire du contact physique. La spécificité de chacun de ces exemples est qu’ils défient le concept d’anthropomorphisme [100], [101] chez les robots. Probablement ces deux artistes ont voulu créer des prototypes pour des nouveaux espaces robotiques propres à la création artistique. Profitant de ce contexte innovant, j’aimerais avancer la projection anthropologique suivante. Pour une grande majorité des humains, les robots sont, du moins actuellement, hors de portée. Ils pourraient les rencontrer dans les médias ou lors d’un événement spécifique, mais pas interagir directement avec eux dans un contexte privé. Ainsi, les robots peuvent apparaître comme différents (au sens d’un nature inconnue ”) par rapport aux autres humains, des animaux domestiques ou des dispositifs automatisés que nous connaissons dans notre vie courante. Autant les imaginer descendants d’animaux sauvages, par leur rareté et leur comportement peu connu. En supposant maintenant que l’interaction physique entre les humains et les animaux sauvages a principalement été provoquée par les premiers (puisque les animaux domestiques ont été inoculés la nécessité d’interagir avec les humains pour survivre), comment un robot (ou système robotique) qui a trouvé sa propre spécificité et son capacité d’agir, interagissait avec nous? Le craindrons-nous, comme nous continuons à craindre les animaux sauvages que nous n’avons pas réussi à apprivoiser ? Dans [20], les chercheurs ont conçu un outil appelé ‘The Haptic Créature", pour étudier les effets affectifs du toucher en HRI. Équipé d’un actionneur et des divers capteurs de pression, température et vibrations, ce robot explore le potentiel thérapeutique du toucher, partageant certaines caractéristiques animales comme moyen d’exprimer un comportement affectif. Ces dernières années L’histoire est cyclique et nous avons vu par le passé que des archétypes et des leitmotivs se recyclent dans l’imaginaire collectif. Igor Stravinsky a composé "Le Sacre du Printemps, l’une des œuvres musicales les plus influentes du 20ème siècle. Cent ans après la première houleuse du ballet de Diaghilev, le réalisateur Italien Roméo Castelucci reçoit une commande pour adapter l’original. La performance Le sacre du printemps ” (2014) confirme le début d’une nouvelle tendance dans le milieu de la performance artistique, coupant net avec les pratiques traditionnelles et installant une esthétique de la disparition ” sur scène [104]. Paradoxalement, le public présent lors de cette première n’a pas été contrarié quand les robots ont pris le contrôle d’une scène vide. Cela n’était pas la première fois dans un contexte artistique. Des nombreux artistes ont déjà envisagé l’idée de remplacer l’humain avec des robots sur scène, l’un d’entre eux il y a déjà cent ans [105]. Penny’s "Petit Mal" ou Verdonk’s robot maladroit entre autres, sont des exemples plus récents de robots agissant seuls sur un plateau. La différence réside ici dans le fait que les robots remplacent les interprètes, ils ne jouent pas leur propre rôle ”, comme nous l’avons vu dans la section précédente. Dans une scénographie apocalyptique sans humains sur scène, des os de vache devenus poudre pour les engrais, pourraient symboliser un avenir lointain sans des danseurs réels. Les bras robotiques et les machines suspendus au plafond, répandent cette poudre au rythme de la musique de Stravinsky diffusée sur les haut-parleurs. La technologie facilite l’invention d’un nouveau langage artistique, tandis que la mythologie humaine est modifiée pour correspondre à de nouveaux défis. Les spectateurs assimilent ces codes avec moins d’étonnement qu’il y a soixante ans. Habitués à côtoyer ” les robots, pour citer Laumond, ils sympathisent avec leur "faire", tout en assister à la représentation. De même, dans le spectacle Nobody is an island ” (2021), le chorégraphe Wayne McGregor défie le potentiel d’empathie d’une machine en mettant en place un écosystème hybride entre deux performeurs et une sculpture automatisée créée par le groupe Random International. La dynamique de cette rencontre tourne autour des possibilités d’expression de la machine qui est capable d’identifier la présence humaine et de réagir. Son design métallique pointu n’invite pas nécessairement à l’interaction, cependant à travers ses mouvements et ses gestes doux, les interprètes sont capables de s’approcher d’elle de manière affectueuse ”. Un autre type de déconstruction des codes dans l’installation Female Figure ” (2014) de Jordan Wolfsen. L’artiste a conçu une femme-robot qui exécute une danse lubrique devant un miroir, tandis qu’elle est attaché à une tige horizontale perçant son torse. Son apparence est similaire à un sex-toy [44] avec les yeux couverts par un masque de sorcière, provoquant des sentiments mêlés de désir et de répulsion chez les spectateurs. Fixant les visiteurs et se regardant dansant, ce robot remet en cause le concept de prise de conscience de la prise de conscience ” [106] – en abordant des questions sur l’émancipation féminine du regard masculin ” et sur la manière dont la sexualité est abordée dans notre société de consommation [107]. Pour aller plus loin sur cette question d’apparence, des visiteurs de Disney’s Animal Kingdom sont déçus parce que les vrais animaux ne sont pas aussi réalistes que les versions animatroniques vues dans Disney World [9], [108]. Je me demande alors si l’exposition excessive à des silhouettes hyper-sexualisées pourrait altérer la vision des humains de la sexualité et de la séduction d’une manière analogique? Trente ans plus tôt, White et Kikuka, entre autres, ont exploré la sexualité d’une façon parodique. Mais est-ce que leur façon de considérer la sexualité a été spécifique à leur époque? J’aimerais croire que cela a été spécifique aux limites technologiques auxquelles ils étaient confrontés. De nos jours, puisque l’industrie pornographique a accéléré le développement des robots et dispositifs animatroniques sexualisés réalistes [109] [110], les artistes ont également commencé à considérer ces robots hors de leur contexte. Pour questionner la notion de sexualité à travers une œuvre, les spectateurs sont moins préoccupés par la sexualité du robot, qu’ils sont avec la sexualité en tant que phénomène social. Dans cette idée, tout ce qui est créé par nous, musique nosu sommes humains, finit par remettre en question des aspects humains. Idéalement, l’art devrait assurer un contexte neutre - où les deux questions anthropocentriques et technocentriques sont abordées - mais sa réception est biaisée car les spectateurs d’une œuvre éprouvent leur propre individualité et subjectivité en l’admirant. En sélectionnant ces œuvres où le contact physique avec les robots n’était pas privilégié selon les contextes respectifs, il y a toujours les mêmes questions ontologiques concernant notre relation avec eux qui persistent. Comme déjà évoqué, souvent dans les propositions artistiques les plus fortes les humains engagent un contact physique avec les robots. Par exemple dans la performance "Sayonara" (2010) l’une des performances de Hiroshi Ishiguro, Geminoid caresse la joue d’une femme qui pleure. Alors que dans le spectacle Spillikin ” (2017) du Pipeline Theatre, un androïde tient la main d’une vieille dame, pour la consoler de la perte de son mari. Le robot, construit par Engeneering Arts company au Royaume-Uni est un ancêtre” de l’Ameca Android, impressionnant par le hyper-réalisme de ses expressions faciales. La même technologie sera utilisée plus tard pour développer Ai-Da, le premier robot-artiste au monde. En analysant ces exemples, le récit autour de l’interaction théâtrale aide à créer et maintenir un environnement sûr pour les robots. Alors qu’en danse, comme nous l’avons vu plus haut, les chorégraphes se mettent en danger, se produisant avec des robots industriels dans des séquences de mouvement dangereuses. Cette tendance a légèrement changé, lorsque la société française Aldebaran Robotics a développé un robot de 58cm appelé NAO, facile à programmer et accessible. Des chorégraphes comme Bianca Li ou Emmanuelle Grangier ont travaillé avec ce robot d’une manière moins démonstrative. Dans la performance de Li, "Robot" (2013), l’un des danseurs aide un NAO à se tenir debout, tandis que d’autres NAO entrent en synchronie avec huit danseurs déguisés en robots. Quant au travail de Grangier, passionnée par la rencontre avec l’arbitraire, nous découvrons une apologie des bugs techniques. Dans Link Human/Robot ” (2015), on peut voir un NAO trébuchant sur une danseuse et plus tard la serrant dans ses bras. Suivant des questions analogues, le travail School of Moon ” (2016) du chorégraphe français Eric Minh Cuong Castaing se concentre sur la manière dont les humains pourraient cohabiter avec des robots. La force de sa proposition réside dans la double nature de la forme - quelque part entre art visuel et objet chorégraphique. Coproduit par le Ballet National de Marseille, il implique la collaboration avec le roboticien Thomas Peyruse qui a configuré cinq robots NAO et deux Poppy pour les différents étapes du projet- le travail a été présenté sous divers formats qui ont conduit à des moments performatifs dans des centres d’art et des écoles. L’artiste a mis en scène des enfants, danseurs et robots de petite taille avec l’intention de représenter un communauté post-humaniste où les humains et les robots performent ensemble des rituels sacrés. L’attention est portée sur la perception et les mouvements lents grâce au mapping vidéo en direct. Les enfants apparaissent imiter les robots de manière délicate, suggérant une possible complicité avec eux. À un moment donné, une fille tenant un faux pistolet le pointe vers un robot. Ce geste ambivalent illustre à la fois un appel à la destruction mais aussi une forme de résignation face aux possibilités et capacités infinies de la machine. Un autre projet qui attire notre attention est My Square Lady ” (2015). Cette production d’opéra implique un robot Myon dotée d’une forme de conscience proprioceptive et de la rétroaction sensorimotrice, qui lui permettent d’improviser pendant la représentation. A travers sa participation dans le spectacle, il nous fait comprendre assez vite que son principal objectif est de comprendre la musique et les émotions humaines. Il est amené à exprimer ses limites sur scène, forçant les interprètes à s’adapter à son comportement. Son processus d’apprentissage est authentique et se déroule dans des conditions réelles[105]. Hild Manfred, le chercheur qui a configuré le robot avec ses collègues du Laboratoire de Recherche en Neurorobotique de l’Université Humboldt de Berlin, est également présent sur scène pendant le spectacle. Plus tard l’humanoïde modulaire est démantelé pendant que des chanteurs, des musiciens et des chercheurs passent les parties de son corps de l’une à l’autre. Ce geste est effectué de manière calme et douce par rapport aux performances bruyantes vingt ans auparavant. Probablement la problématique est restée la même depuis soixante ans et nous projetons toujours inconsciemment de détruire les robots par peur qu’ils nous détruisent en premier. Néanmoins l’attitude globale envers les robots a légèrement changé, les humains étant plus résilients sur le plan conscient. De plus, ce robot capable d’être démonté et réassemblé pendant la performance, présente des caractéristiques fonctionnelles sur scène, différents du corps humain et ses limites[11]. Le projet "Scary Beauty ” (2018) en première mondiale au Musée National des Sciences Émergentes et de l’Innovation (Miraikan) au Japon est un autre exemple de projet d’opéra, impliquant cette fois un chef d’orchestre androïde. Le projet est né de la collaboration entre le compositeur Keiichiro Shibuya et l’androïde Alter 2, initialement construit dans le laboratoire de Hiroshi Ishiburo de l’Université d’Osaka et programmé par l’équipe de Takashi Ikegami à l’Université de Tokyo. Le robot a une apparence étrange- mains et visage couverts de silicone, actionneurs à vue, sans sexe ni âge- et est équipé d’un système pneumatique. Il a été conçu pour s’adapter aux mouvements délicats propres aux conducteurs d’opéra. Après plusieurs essais, l’équipe a choisi de se concentrer sur la répétitivité des mouvements de haut en bas de l’épaule, plutôt que sur les mouvements de ses bras et mains. Résultat ainsi une performance synchronisée où les musiciens suivant les indications de l’androïde, jouent différemment d’un concert à l’autre. Pareil aux journaux du début du XXe siècle qui ont poussé Nishimura à imaginer Gakutensoku, les robots sont intensivement diffusés dans le média. Leurs technologies deviennent open source sur les plateformes de développement pour créer des robots conformes qui peuvent se déplacer et interagir avec une grande précision. Pour cela, les chercheurs poussent leur inspiration dans les concepts et les découvertes de différentes disciplines. Que cela est fait pour valoriser l’humain ou relever des défis scientifiques - les robots sont conçus pour correspondre et peut-être surpasser les attentes des humains. Si je reviens à la projection anthropologique proposée auparavant en imaginant le corps modulaire du robot Myon, je trouve intéressant d’imaginer des designs robotiques qui surprennent les tendances actuelles. Des artistes nonconventionnels héritiers de la tradition cyberpunk, comme l’Italien Marco Donnarumma ou la chanteuse néerlandaise d’origine iranienne Svedaliza, passent leur temps dans des laboratoires afin de développer leurs propres outils et aborder d’une façon originelle ces questions. En parallèle, des artistes consacrées continuent à réfléchir à la place que les robots occupent dans nos vies. Tous s’imaginent les formes les plus extrêmes et les scénarios les plus paradoxaux de co-habitation avec les robots. Inferno ”(2015) de Bill Vorn et Louis-Philippe Demers en fait partie, en mettant en scène le côté sauvage, indompté, de la technologie. Cette performance d’une soixantaine de minutes s’inspire de la représentation des différents niveaux de l’enfer décrit dans l’œuvre éponyme de Dante. Trente-six bénévoles parmi les spectateurs ont la possibilité d’expérimenter les limites de leur corps, en abandonnant leur contrôle moteur à des dispositifs robotiques type exo-squelettes pneumatiques qu’ils portent pendant la performance. Par son esthétique, Inferno ” pourrait être inclus dans la classification performances des métaux ” [28] que j’ai décrite précédemment. Au-delà de la peur de perdre le contrôle de son corps, ici l’humain plonge dans les possibilités de la machine, comme pour éprouver ses propres limites. Lors de cette performance, les artistes ont observé qu’il y a un moment où les performeurs s’en remettaient à la machine pour s’engager dans des mouvements exploratoires qui vont au-delà de la chorégraphie originale [115]. A travers cet exemple, j’observe un autre changement concernant la complicité entre l’homme et les robots. Nous pouvions difficilement imaginer la même adhésion du public à l’invitation de Demers et Vorn, sans passer par les propositions artistiques antérieures. Il fallait que des artistes comme Marcel Li Antunez Roca testent sur eux-mêmes ces technologies vingt ans plus tôt, afin de les rendre accessibles aux participants. Puisque les artistes rêvent au moment où des robots pourraient devenir créatifs, les roboticiens considèrent également la créativité comme un aspect important de l’autonomie des robots [52], [116], [117]. En 2019, Ai-Da (le premier robot humanoïde artiste au monde) a eu une intervention publique pour définir sa démarche artistique qui utilise la peinture comme moyen d’expression. Même si Ai-Da a été conçue avec des algorithmes d’IA complexes pour rendre son bras robotique capable de toucher et de peindre, nous ne pouvons pas parler de sa spécificité puisque son rôle est d’imiter à la perfection les artistes humains. Probablement des gens autour d’elle, tout en écoutant son discours comme s’ ils écoutent le discours de n’importe quel artiste, sont moins intéressés par le contact physique - comme ils le feraient, par exemple, en touchant Helpless Robot ou tenant dans leurs bras Heart Robot. De plus, les moments où Ai-Da est capable de feedback verbal "spontané", sont plutôt maladroits et imprécis. Alors que le robot déclare qu’il crée de l’art avec d’autres artistes humains, nous devons garder à l’esprit que dans les exemples précédents où des robots et des humains co-créant ensemble à travers la musique, les techniques d’improvisation ont été bien préparés à l’avance. Par conséquent, il pourrait y avoir peu de place pour la liberté et la spontanéité dans cette quête d’autonomie à travers la créativité. Dans une tentative originale de répondre à ces questions, une équipe de scientifiques du Canada ont décidé de mettre en place une expérience où les humains interagissent seuls avec un robot auto-stoppeur. Ils ont ainsi conçu HitchBot - un véritable aventurier qui voyage en auto-stop, sans pouvoir se déplacer mais doté de l’expression orale, de la reconnaissance vocale et des interactions visuelles limitées. Proche du design de Heart Robot, il n’est pas assisté par ses développeurs lorsqu’il interagit avec les humains. Pour être autonome, il repose sur une batterie solaire, de l’ Internet mais aussi des bonnes intentions des personnes qui le prennent dans leur voiture. Ses concepteurs n’ont pas contrôlé à distance HitchBot, ils ont seulement vérifié son itinéraire lors d’un premier voyage de 26 jours au Canada (documenté toutes les 20 min par une caméra envoyant des photos de son expérience). Suite à une forte médiatisation du projet, le robot a ensuite participé à des expériences de voyage en Europe. En 2015, il est même arrivé aux États-Unis mais peu de temps après a fini par être démantelé [118] et abandonné près d’une autoroute. Inspirée par cette histoire, la metteuse en scène française Linda Blanchet a créé en 2019 le spectacle "Killing robots". Le projet aborde des questions d’éthique concernant les robots, mêlant documentaire et fiction. J’aimerais souligner le fait que HitchBot ne fait pas partie de la catégorie des robots capables des effets d’inquiétante étrangeté, puisqu’il n’est pas un robot hyperréaliste. Il n’avait certainement pas une grande autonomie, ni de l’agence et, comme dans le cas du projet "Heart Robot", il comptait sur l’empathie humaine pour compenser sa vulnérabilité -ne pas pouvoir bouger ou faire des gestes, à moins d’être porté par des humains. C’était une créature plutôt vulnérable ” qui, dans une certaine mesure, pourrait être comparée au robot aveugle que Louis Philippe Demers a créé en 2013. Ce robot, fixé à une table, est composé de deux bras mécaniques montés sur la même base. J’ai délibérément choisi de clore cet état d’art avec lui, même si sa mise en scène est très basique. Je suis convaincue de la force de la proposition qui réside dans ce cadre simple. Dans un espace théâtral peu éclairé, le robot explore délicatement le visage de la personne assise devant lui. Ce geste est ce que les humains aveugles sont censés faire lorsqu’ils reconnaissent les personnes ou les objets autour d’eux [106]. Dans certaines versions de l’installation, un miroir de taille moyenne (comme dans l’œuvreFemale Figure" de Wolfsen) est placé derrière le robot - permettant aux visiteurs de s’observer pendant l’interaction. Ainsi, le milieu artistique garantit un espace sûr pour l’expérimentation. Les spectateurs finissent par se laisser toucher par le robot. Le différence entre les expériences de Demers et la triste fin de HitchBot est qu’aucune convention artistique n’a été établie avec les utilisateurs de HitchBot [119]. Des études sociales confirment que les gens sont plus susceptibles d’attribuer de la raison et des états mentaux aux robots, plutôt que des états émotionnels ou des sentiments [120]. En retournant à nos observations initiales, une fois de plus le contexte de la scène artistique apparaît comme un environnement sûr et neutre pour apprendre à connaître les robots. Il y a vingt ans, les roboticiens imaginaient un processus irréversible concernant notre transformation en machines [12]. Cependant, certains ont réfuté cette hypothèse, insistant sur le fait qu’aucun robot ne pourra prendre le contrôle de nos vies, puisque nous aurions tous déjà muté le moment où les robots auraient atteint la Singularité. Comme l’art a presque toujours anticipé les transformations dans nos sociétés, parfois sans même s’en rendre compte, peut-être que des œuvres post-humanistes sont étroitement liées à cette intuition. Comme dans les spéculations en robotique, ces œuvres pourraient annoncer un point de non-retour pour nos perspectives en tant qu’espèces. Au fur et à mesure que les deux disciplines évoluent, nos croyances en l’avenir changent également. Les lignes deviennent floues et ce n’est pas très clair où les humains et les robots se rencontreront en fin d’Anthropocène [36], [102], [103]. Si les robots vont coloniser les villes actuelles ou hybrider les modèles familiaux posthumains [36], l’art robotique contemporain pourrait-il concilier la projection fataliste concernant notre cohabitation avec les machines ou est-ce reflétant simplement un porte-parole transhumaniste ? Si l’art devait être inutile, alors comment pourrait-elle éviter le piège de la prédiction de la domination de la technologie sur l’humanité? Le sujet de l’adversité envers les robots, présent dans les premiers exemples où les robots étaient manipulés par la force ou la violence, se dissout lentement dans les prémisses post-humaines d’un monde en mutation. Quels gestes seraient appropriés dans ce contexte? Devons-nous concentrer notre attention sur des manières douces d’interagir avec les robots au lieu de s’amuser à les démonter ? Cela éviterait-il la condition prédéterminée des humains qui les créent et donc établissent sans vouloir une relation de concurrence ou de domination avec eux ? IV. DISCUSSION Dans la plupart des exemples de cet état d’art, les humains considèrent les robots et leurs spécificités avec les critères d’évaluation spécifiques aux œuvres d’art. Pour résumer notre prémisse initiale, j’ai avancé l’idée que les robots peuvent être mieux perçus et compris à travers les représentations artistiques. A. L’analyse des œuvres robotiques citées L’analyse actuelle couvre des informations sur une quarantaine d’œuvres d’art robotique. Cette liste n’est certainement pas exhaustive, encore restreinte à des interactions qui présentent une proximité directe ou proche du contact physique avec les robots. Qu’il s’agisse d’installations interactives (20%), des études d’art robotique (12%) ou des performances (68%), ces œuvres traitent des sujets liés à la société (35 %), au domaine du vivant et à la biologie (9 %) ou un mélange entre des deux (9 %), ainsi que la musique (12 %), la danse (23 %) ou une combinaison entre les deux (12 %). Comme vu plus haut, l’apparence est un facteur important pour facilliter la comprehension de la spécificité des robots. Les robots ou les dispositifs robotiques déployés sont majoritairement anthropomorphes (65%) variant d’une majorité des dispositifs de taille humaine (59 %) à des plus petits (26 %) ou plus grands (15%) que l’échelle humaine. Suite à la projection anthropologique sur les robots comme animaux sauvages, dans certains essais scientifiques [121] les répondants décrivent les robots collaboratifs comme étant similaires aux animaux. L’une des raisons peut etre l’attribution et l’execution des tâches simples par les robots. D’autres sujets invoquent l’auto- dépréciation humaine par rapport aux performances du robot [121] indépendamment de son apparence. Proche des modèles de corporeité humaine pour les robots, l’anthropomorphisme est compris ici comme une faculté d’attribuer des caractéristiques humaines à des objets inanimés, animaux et autres en vue de nous aider à rationaliser leur actions ” [101]. Autrement dit, en projetant notre interprétation sur les actions des robots, nous leur délèguons une présence anthropomorphique, quelle que soit leur apparence. Cela pourrait augmenter l’acceptation des robots dans la société, avec l’aide de l’art. Comme vu précédemment et également mentionné dans [122], les robots pourraient déclencher encore plus des réactions empathiques parmi les spectateurs à travers de la mise en scène, puisqu’ils interprétent les recits subjectivement et aiment donner des sens cachés aux actions de ce derniers. D’autre part, le concept de robot-centered HRI ” développé dans [34] met l’accent sur la vision du robot en tant que créature, "c’est-à-dire, une entité autonome qui poursuit ses propres objectifs sur la base de ses motivations, ses pulsions et ses émotions. ” De plus, l’interaction avec les gens lui sert à répondre à certains de ses besoins ” (tels qu’identifiés par le concepteur du robot et modélisé par l’architecture de contrôle interne); par exemple, les besoins sociaux sont satisfaits par l’interaction, même si l’interaction n’implique aucune tâche particulière ”. Intéressant de mentionner comment, selon une autre étude [8], un robot utilisé dans une œuvre d’art doit également être présenté comme un dispositif utile pour être mieux accepté dans le monde occidental. Puisqu’il a été souligné plus haut que le but de l’art est surtout de créer du sens, il y a peu de place pour des robots utilitaires dans les travaux sélectionnés - preuve que les robots sont considérés comme autonomes à travers l’art. De plus, en raison de la perspective interdisciplinaire des projets d’art robotique, l’auteur est susceptible de traiter sur scène ou dans d’autres contextes artistiques, des sujets qui sont moins présents dans la société, puisque ses conventions et ses contraintes seront moins présentes aussi. Suivant cette idée, il semble que non seulement l’apparence, mais aussi le comportement - impliquant les gestes et les mouvements de robots - sont importants. Ainsi les chercheurs soutiennent que l’incarnation (l’embodiment) est un aspect clé pour l’interaction HRI [39]. De plus, une incarnation au plus prés de la nature [5] est souvent citée comme nécessaire pour réaliser une interaction sociale significative. Ainsi selon la littérature [2], les robots peuvent être : socialement évocateurs, socialement réceptifs et sociables. Dans [54], Dautenhahn mentionne également les robots socialement situés - entourés d’un environnement social qu’ils perçoivent et auxquels ils réagissent. Comme défini dans [3], un robot interactif nécessite des capacités spécifiques : il va pouvoir exprimer et percevoir des émotions, communiquer dans un dialogue complexe, apprendre et reconnaître les modèles d’autres agents". Par leur fonction, les projets artistiques facilitent ce type de comportement et nous avons vu dans nos exemples que les robots au design particulier comme par exemple Telenoid R1 ” ou hyper-réalistes comme "Ai-Da", peuvent facilement interagir lors des divers événements sociaux comme les foires d’art et les galeries. Avec 38% des œuvres présentées dans l’espace public : dans les rues (par exemple, "Miyata Jiro", "Petit Mal") ainsi que lors des événements publiques ou dans les laboratoires (par exemple, "Telenoid R1", "Heart Robot" entre autres), il semble que l’Art Robotique n’ait pas de espace de représentation prédisposé. Dans le même temps, faire des robots qui réagissent à leur environnement, plus disponibles pour interagir avec les passants, pourrait améliorer l’opinion publique sur leur autonomie. Qu’il s’agisse d’une illusion ou pas, les robots sur scène suivent des critères d’interaction sociale. Dans la meme lignée, des études [117] montrent comment la créativité globale s’améliore lors des interactions avec des robots sociaux. Revenant aux exemples précédents, il est important de comprendre que le fait de créer des projets artistiques avec des robots sociaux inspirés par la figure de Gakutensoku pourrait éventuellement apaiser les craintes technocentriques actuelles sur la robotique, afin de faciliter leur acceptation. Alors que les humains se comprennent mieux grâce aux developpements dans les sciences cognitives, la figure du robot devient également plus complexe. Dans [101], Duffy soutient que peut-être le la version synthétique numérique mécaniste de l’homme ” n’est qu’une représentation de l’idée de l’homme. D’autres études [5], [77], [123] considèrent les robots de type humain les meilleurs outils pour identifier quel type de comportement et d’actions sont perçus comme propres à notre espace et importants pour notre developpement. Reste à comprendre quel comportement et attitude nous attendons des robots en situation de représentation. De même, le langage corporel et le comportement pourraient compenser les éventuels effets d’étrangeté causés par la manque des expressions faciales des artefacts [124], de la même manière que les modèles dynamiques [125] aident à identifier les affects humains dans le mouvement. Puisque la communication tactile a un contenu informatif proche de la communication visuelle et vocale, les usagers recherchent naturellement l’interaction par le toucher et s’attendent même que un jour les robots d’apparence inanimée peuvent répondre à leur stimulation tactile [17]. En conséquence, de plus en plus de roboticiens conçoivent des dispositifs d’identification par le toucher, sur toute ou presque toute la surface du robot [126], également définie comme peau artificielle” [127]. Plusieurs types d’interactions corporelles qui font appel à ce type de stimulations tactiles, contribuent à une meilleure perception des robots [15]–[17]. Même si peu de robots que j’ai mentionné, ont été délibérément conçus pour ce type d’interaction tactile, cet aspect a été intuitivement abordé dans certaines œuvres d’art [66], [99], [128]. Concernant l’interaction physique, alors que la majorité des oeuvres (82%) impliquent une certaine forme d’interaction physique(29 %) ou de toucher (53 %), le type de contact avec le corps entier prévalait (41 %), suivi des contacts ponctuels (20,5 %) et des contact avec les membres (12%). Dans cette mesure, la mise en œuvre des concepts de neuroscience comme le schéma corporel ” chez les robots peut augmenter leurs capacités d’interaction. Les recherches dans [49] soulignent l’importance de ce concept dans la planification et le contrôle de mouvement. Quant aux technologies employés : 24 % impliquent des téléopérations, 14 % divers types de logiciels commercialisés, 6% de biotechnologies tandis que 56% sont des solutions sur mesure. Ainsi mieux developper la mobilité des robots pourrait nous aider à comprendre des concepts paradoxaux comme celui de ghost in the shell ”, de l’étrangeté sociale ” ou le syndrome de Frankenstein ” expliquant comment la peur et la fascination pour les robots coexistent dans notre imaginaire, quelle que soit leur apparence et comportement. Alors que 62 % des robots et appareils robotiques sont conçus exclusivement pour les artistes, 20% sont personnalisés à partir des robots industriels et le reste de 18% sont des robots industriels très peu modifiés. [101] suggère qu’une fois que les robots domestiques progressent du statut outil à celui de compagnon au travers différents environnements et contextes comme l’art, leur rôle et leurs interactions changent aussi sensiblement. De plus, d’après [129], plus les caractéristiques corporelles sont des copies identiques du fonctionnement humain, plus les robots sont jugées comme autonomes et adaptifs. D’autre part [130] illustre comment l’apparence humaine peut contribuer à induire des sentiments négatifs chez les utilisateurs. Des catégories comme "incarnation de l’organisme" [52] où la cognition se produit dans toute organisme et "incarnation de l’organisme" [52] où la cognition ne peut se produire que dans des corps vivants, amplifient le débat sur l’incarnation la plus optimale concernant les robots. En s’appuyant sur les aspects technologiques des représentations du corps, les chercheurs espèrent identifier quelles propriétés du schéma corporel biologique que nous avons mentionné plus tôt, pourraient être transférés aux robots pour les rendre plus adaptatifs et résilients (certaines études comme [131], [132] relient ces propriétés à l’aisance collaborative41). D’après [128], toute morphologie peut conduire à différentes perceptions de causalité et d’intention, tandis que le mouvement est considéré comme un facteur prioritaire dans le perception du comportement et de l’autonomie d’un agent [19]. Parmi les œuvres mentionnés, 38 % sont des dispositifs robotiques mobiles, oeuvrant sur des surfaces scéniques d’environ 100 m2 pour 35% d’entre eux, plus de 500 m2 (tout en se produisant dans les rues et divers espaces non-conventionnelles) pour 9% des cas et moins de 5 m2 pour 56% d’entre eux. Cette majorité de robots mobiles qui interagissent dans de petites surfaces, souligne la necessité d’un contact étroit avec les robots. Néanmoins, cette zone d’interaction varie de plusieurs centimètres (dans le cas du "The Blind Robot" par exemple) à plusieurs milliers de milles lorsque le robot voyage avec des gens (comme dans le cas de "HitchBot") - révélant la proxémie (proxemics) comme un facteur important qui pourrait influencer àl’avenir les interactions H2R. Pour l’instant les androïdes hyper réalistes ont une base fixe et ne peuvent pas encore se déplacer, en attendant que les technologies émergentes impliquant de la MoCap et les alorithmes qui favorisent la marche, sont intorduits à leurs capacités. Dans une étude [133] impliquant deux robots Wakamaru, les chercheurs ont employé la distance sociale comme indicateur pour comprendre l’acceptation des robots par des utilisateurs. Les résultats confirment que l’expérience utilisateur peut être améliorée lorsque le robot superviseur est proche et le robot subordonné est distant par rapport à l’utilisateur. Chose intéressante et le fait que, loin des prédictions initiales, les performances des participants semblent se détériorer lorsque le robot est trop proche, quelle que soit sa distance d’action. Évidemment ceci est un étude scientifique dont l’objectif est loin de celui des œuvres artistiques, où, au contraire, un contact proche peut renforcer la complicité entre les interprètes et les robots, du moins du point de vue des spectateurs. Puisque les espaces où l’interaction a lieu lors de ces performances ou installations varient de plusieurs mètres ("Helpless robot") à des centaines de mètres carrés mètres ("My Square Lady"), il me paraît que l’interaction renforce le sentiment de complicité avec les robots, à condition que la convention artistique soit adaptée en fonction de l’objectifde l’œuvre, le thème et son contexte de la représentation. B. Limites Un aspect important confirmé tout au long de cette enquête est que très peu d’informations (41%) ont été fournies sur la stratégie de contrôle et les spécifications de sécurité des robots employés lors des performances artistiques. Des oeuvres utilisant des robots industriels qui ne sont pas certifiés pour l’évaluation des risques, mettent la vie des artistes et des spectateurs en péril. Ainsi c’est important de mentionner que l’industrie du divertissement s’adapte partiellement à ces règles et réglementations, tandis que les robots industriels doivent se conformer à des procédures de sécurité très strictes. Lorsqu’un robot est employé lors des événements largement diffusés, comme par exemple lors du concours Eurovision en 2016 le chorégraphe Fredrik Benke ”Rydman a du respecter un cahier de charges et des restrictions importantes. Pareil pour la Tournée Timeless ” de l’artiste internationale Mylene Farmer en 2013. La distance entre les interprètes et le robots est très grande. Plus récemment, des normes comme l’ISO/TS 15066 et l’ISO 102101845 qui assurent la cohérence des caractéristiques essentielles telles que la sécurité et la fiabilité des cobots devient très importante pour les contextes de travail en dehors de l’industrie. Avec 53% des robots ou dispositifs robotiques étant le moteur de l’interatcion et 15 % supplémentaires ayant à la fois le rôle de suiveur et de leader dans les œuvres d’art, il est important de prendre en considération les procédures de sécurité et les contraintes techniques de déploiement des robots dans des environnements complexes. J’aimerais également souligner que même si les robots jouaient un rôle principal (76 %) dans le cadre de l’œuvre d’art, la plupart des rôles de leader/suiveur qui leur étaient assignés étaient en fait des interactions simulées, bien répétées à l’avance, prouvant que les technologies actuelles sont moins performantes que ce que les humains imaginent. Lorsque j’ai mentionnés au début de cette analyse les craintes au sujet du potentiel destructeur de la technologie et la maniere dont cela va modifier nos vies – il reste toujours l’espoir qu’une sécurité et éthique renforcée sont les facteurs clé pour améliorer l’impacte de la technologie sur nos vies, commencant par les projets artistiques. En conséquence, les perspectives enrichissantes de la nouvelle robotique, l’IA et les capteurs intelligents, accompagnées d’une éthique interdisciplinaire forte [119], [134] [130], apporteront à la création artistique des raisons d’appassement quant aux préoccupations actuelles concernant la sécurité et les risques, tout en améliorant les possibilités d’interaction non simulées, en temps réel. C. Perspectives futures dans les technologies robotiques émergentes Cet état d’art orientée autour de l’interaction homme-robot en contact proche releve à quel point les artistes ne sont peut-être pas conscients des subtilités technologiques actuelles développées dans les laboratoires, dont certains déjà déployés dans les industries. Ils ne soint moins au courant des certifications appropriées en matière de cobotique et de sécurité. En absence d’une méthodologie officielle, les artistes invités à exploiter le plein potentiel de la technologie, décident de l’utiliser avec parcimonie. C’est le cas de chorégraphies de renommée internationale comme le Suédois Pontus Lidberg ou la Canadienne Isabelle Van Grimde qui ont développé des projets utilisant des algorithmes en machine learning (ML), autour des rencontres entre une intelligence humaine et une artificielle sur scène. Comprendre les effets de la proximité et l’utiliser avec justesse dans robotique reste un défi et au moins pour l’art les possibilités de création sont infinies. A travers cette synthèse, j’ai tente fournir une liste non exhaustive de ces possibilités, ainsi que de possibles convergences entre plusieurs domaines et leur lien avec l’industrie, une fois que des prototypes attirent l’attention des scientifiques. De même, les artistes pourraient utiliser des techniques de reconnaissance des émotions issues des neurosciences et de la psychologie cognitive. Des capteurs physiologiques comme la reponse galvanique cutanée (GSR), l’électromyographie (EMG), la fréquence de la réspiration (RR), la fréquence cardiaque (FC) et l’électroencéphalographie (EEG) peut être portés et utilisés par les artistes pour fabriquer des robots conscients des émotions des artistes et construire une œuvre interactive à partir de ces bases. Des domaines comme la robotique de développement élargissent notre compréhension de phénomenes tels la synchronie [135] pour mieux décoder des signaux non verbaux appropriés quand les robots doivent intégrer des éléments externes pour intéragir avec les humains. V.CONCLUSION Cette analyse révèle que les attentes et les angoisses envers les robots sont également présentes dans les œuvres d’art robotiques, quel que soit de leur thème, leurs contraintes techniques ou leur design. Dans nos écosystèmes sociaux complexes, il n’est souvent pas facile de distinguer les raisons qui génèrent l’un ou l’autre. Quant à l’exemple du HitchBot, aprés l’analyse des denriers données le concernnat, ses créateurs n’ont pas pu déterminer pourquoi le robot a été démantelé. Ils ont décide d’arrêter le projet et ne pas réparer HitchBot. Peut-être des prochaines études sociologiques ou anthropologiques pourrait determiner si sa destruction a été causée par un acte inconscient de peur de la part de quelqu’un qui ne voulait pas comprendre les robots. Certes est qu’à la fin du XXIe siècle, l’Art et la Robotique vont entreprendre des transformations majeures, laissant place à l’imagination quant à leur possible relation et impact dans nos vies. Dans [142], les autheurs affirment que l’intelligence originaire des primates a évolué pour résoudre des problèmes sociaux et seulment plus tard a été étendue à des problèmes extérieurs du domaine social comme la technologie. Depuis il est important de se rappeller que l’intelligence du robot est "conçue et exploité dans la mesure du possible pour se conformer aux lois, droits fondamentaux, libertés, y compris de la vie privée ” [6]. En réfléchissant à ces questions, les roboticiens, les artistes et les universitaires posent les bases d’une éthique envers les machines [120] pour que "des robots personnifiés et d’autres systèmes informatiques incarnés peuvent représenter une nouvelle catégorie ontologique. ” Pour cela [134], concevent les humains, pas les machines, comme le principal agents responsables dans l’équation. Compte tenu de ce principe éthique dans l’évolution de l’intelligence, applicable à la fois aux systèmes naturels et artificiels [142], j’imagine avec impatience la contribution de la robotique sociale et de l’art à la culture générale. Si les artistes inspirent le développement de la robotique ou l ‘inverse, les deux disciplines continueront de surprendre nos attentes pour lors des prochaines années. Tout au long de cette aalyse,j’ai eu tendance à croire que les robots pourraient trouver à travers l’art, une condition indomptée ” [8] avant leur conception humaine. Idéalement notre relation avec eux pourrait s’améliorer à l’aide d’expérimentations artistiques centrés sur l’interaction de contact proche ainsi que le toucher [143]. Puisque les robots ne sont pas capables d’intentions jusqu’à présent, nous ne pouvons que espérer mieux nous comprendre [144] nous-memes en tant qu’espèce, en les observant eux nous imiter [a]Picon-Vallin, Béatrice. Meyerhold, Le Cocu magnifique. Éditions Subjectile, 2017. [b]Gordon, Mel. "Meyerhold’s Biomechanics." The Drama Review 18.3 (1974): 73-88. [c]Disjunctive Captures of the Body and Movement (livre Bojana) [d]Disjunctive Captures of the Body and Movement (livre Bojana) [e]Bojana p.83 [f]"The human body is a machine whose movements are directed by the soul," wrote René Descartes in the early seventeenth century. The intrin- sic mechanisms of this machine gradually became clear through the hard work of Renaissance scientists. Leonardo da Vinci is one such scientist from this period of enlightenment. [g]livre Tozeren. The laws of motion can be summarized as fol- lows: A body in our universe is subjected to a multitude of forces exerted by other bodies. The forces exchanged between any two bodies are equal in magnitude but opposite in direction. When the forces acting on a body balance each other, the body either remains at rest or, if it were in mo- tion, moves with constant velocity. Otherwise, the body accelerates in the direction of the net unbalanced force. [h]parler Xsens [i]Pour ce faire, je met en place une analyse autour des fonctionnalités suivantes : • le type d’œuvres d’art ; • le principal message/idée/philosophie véhiculé par l’artiste; • la forme du robot : anthropomorphe ou non ; • la conception du robot : (i) le robot a-t-il été conçu pour le but de l’œuvre d’art ou (ii) une industrie existante robot d’essai/service et si oui, (iii) a-t-il été personnalisé pour l’œuvre d’art spécifique ; • la mobilité du robot pendant la performance artistique, c’est-à-dire fixe ou mobile ; • pour les robots mobiles : (i) la zone de fonctionnement couverte et (ii) sa présence dans l’espace public ; • le type d’interaction : (i) contact physique (toucher), ou (ii) interaction par contact étroit (pas de contact); • la zone/le type de contact : (i) ponctuel survenant sur un terminal point, (ii) mains-membres, (iii) contact de tout le corps, (iv) avec intermédiaire d’objet • le rôle du robot lors du contact : meneur ou suiveur ; • le rôle du robot dans une œuvre performative : principal caractère, caractère secondaire, caractère négligeable ; • l’existence de stratégies de contrôle et de procédures de sécurité.