\part{Faire danser les robots- une approche pluridisciplinaire} \chapter*{Introduction} \addcontentsline{toc}{chapter}{Introduction} \chapter{Pratiques somatiques et quête de l’intelligence sensorielle } Les critiques et philosophes spécialistes en danse ont longuement analysé l’émergence du geste dansé, selon le contexte socio-culturel et l’époque quand cela a eu lieu. Pour ce qu’il y a de la danse contemporaine, la pratique de l’improvisation, vue comme geste libre et libérée du dogmatisme de la technique du danseur, a suscité une révolution longuement attendue. Comme le remarque Anne Boissiére dans son livre “Approche philosophique du geste dansé”, ce geste semble “s’inventer par lui-même, sans aucune origine ni intention immédiate autre que celle de se manifester”. Un geste qui n’a pas eu besoin des explications pour s'auto suffire: La danse dans sa nouveauté et sa vie propre, confronte la pensée esthétique à ses propres limites; elle n’est pas seulement un art du geste mais un art qui fait geste, contre les risques d’enlisement d’une pensée esthétique trop sure d’elle meme. L'émancipation de la danse vis-à-vis des autres arts oblige à reconsidérer la définition de l’art dans sa dimension multiple, c'est-à dire le rapport moderne qui lie l’art à ses genres.(...) La question de l’improvisation apparaît centrale pour penser le geste dansé, dans la mesure où celui-ci, dans sa liberté, semble ne plus devoir emprunter à un quelconque modèle mais procéder de soi, dans une impulsion et un dynamisme internes affranchis de tout point d’appui, de toute extériorité. L’improvisation n’est plus une variation sur des schémas préexistants, elle a une valeur constituante. Elle tisse une forme en acte à laquelle rien ne préexiste, une forme s’inventant à partir d’elle-même, dans une sorte de point zéro ou de commencement absolu qui lui donne son évidence et sa pureté. Il y a, à l’origine du mouvement libre, une opération de réduction qui n’est pas sans relation avec ce qu’il faut bien appeler le miracle de la danse que nous voyons opérer sous nos yeux. Quel est ce néant, ce vide, qui est au travail de façon invisible et manifeste dans la danse ? \section{Les multiples facettes des pratiques somatiques} Selon Jeremy Damian, cette discipline est née en 1976, lorsque Hanna fonde la revue “Somatics Magazine -Journal of the Bodily Arts and Sciences” dont le thématique s’oriente autour des études sur le corps expérientiel et ses expériences personnels -(ie. the study of the body through the personnel experiential perspective): ``D’une manière générale, les recherches sur le corps sont souvent prisonnières d’une alternative infernale entre une tentation d’inspiration phénoménologique et une tentation sémiotique : le corps comme expérience et le corps comme signe. L’anthropologue Thomas J. Csordas déclare vouloir établir une synthèse de ces deux approches. Il réalise bien plus que cela en portant son attention sur ce qu’il nomme les``modes somatiques d’attention” (somatic modes of attention), qu’il définit comme des``manières culturellement élaborées d’être présent à et avec son corps (ways of attending to and with one’s body) dans des environnements qui incluent la présence``embodied” d’autres”. Son originalité vient de son insistance à rendre compte de l’élaboration culturelle d’engagements sensoriels portant à la fois sur une personne, un corps et son environnement, ou un``milieu intersubjectif”, en ajoutant à ces descriptions une perspective somatique qui ouvre une autre``image” du corps que celle que renvoie le miroir.” Dans sa thèse, Violetta Salvatierra rappelle le contexte d’apparition de l’éducation somatique en France:``Elle arrive ainsi en France des États-Unis, en passant par le Québec, importée par des praticien·nes de la méthode Feldenkrais. Hanna essaye de forger à travers celle-ci une définition du corps, opérante dans ces pratiques, qui serait en rupture épistémologique avec la conception dualiste du corps/esprit et distincte ainsi du corps objectivable de la médecine (body) ; appréhendé dans sa dimension holistique et systémique, et attaché au corps vécu à la première personne, le terme``soma”, dans la définition de Thomas Hanna, fait référence au ``corps perçu de l'intérieur” et ``la somatique” est définie comme ``l'art et la science des processus d'intéraction synergétique entre la conscience, le fonctionnement biologique et l'environnement”. Par la suite, d'autres théoricien·nes ont proposé d'autres termes et notions pour désigner le champ d'expériences mobilisé par ces pratiques, tels que la ``soma-esthétique”,proposé par le philosophe Richard Shusterman, dont les travaux dans le domaine se révèlent fort normatifs”. Selon la chercheuse Laurence JAY, il y a une certaine écologie dans les pratiques somatiques. S’adressent au corps sujet dans une approche psycho-phénoménologique, elles conviennent au contexte spécifique d’une personne, en encourageant une forte affirmation de sa subjectivité. Le corps est identifié par des caractéristiques communes avec le domaine du vivant, donc en homéostasie, pour assurer une survie permanente: “Il est pensé comme un tout. Il ne s’agit pas d’un amas de parties disjointes, mais d’un système organisé de façon dynamique et en équilibre complexe, interdépendant dans chaque mouvement, chaque fonction, chaque échange d’énergie et d’information. Il ne s’agit pas d’une vision mécaniste qui sépare le haut et le bas, la matière et le processus, le soi et les autres, le soi et l’environnement, la pensée et les émotions. C’est une pensée systémique, un point de vue corps-sujet-monde. Ce point de vue rejoint les théories écologiques et systémiques et permet d’imaginer une écologie corporelle, en actes.” Pour mieux expliquer la dynamique qui opère entre la danse et les pratiques somatiques, nous nous interrogeons sur la façon dont ces techniques structurent la corporéité lorsqu’elles sont employés comme exercices d'échauffement et entraînement. Lorsqu’un danseur apprend une technique de danse, son corps est capable de reproduire les mouvements et de se mouvoir selon les contraintes de cette technique. Lorsqu'il s’approprie une pratique somatique, cela est plus difficile à prouver, le danseur n’ayant pas d’autre preuve à son appui que les traces de cette expérience à l’intérieur de son propre corps. Ainsi l’intériorité et l'expérience sensible du danseur deviennent un outil dans l'expérience kinesthésique: Si toute technique de danse5 est affaire d’un programme systématique d’instructions, venant façonner le corps perçu à l’image d’un corps idéal, via la médiation d’un corps démonstratif (Foster, 1992) ; si les injonctions à faire et à sentir, et corrélativement, les actions et les perceptions produites (Cazemajou, 2013), relatent implicitement un modèle déterminé de corporéité ; peut-on dire la même chose pour les somatiques ? Lors des stages et ateliers de professionnalisation, j’ai eu l'occasion de me former et d'acquérir des compétences orientées autour de ma propre intériorité. Mais l'expérience de mon corps et son vécu est difficilement traduisible pour les autres. Pour mieux témoigner de cet état le philosophe Bruno Latour explicite dans son essai “How to talk about the body” ce qu’il entend par le fait d'avoir un corps: “To have a body is to learn to be affected, meaning ‘effectuated’, moved, put into motion by other entities, humans or non-humans. If you are not engaged in this learning you become insensitive, dumb, you drop dead. Equipped with such a ‘patho-logical’ definition of the body, one is not obliged to define an essence, a substance (what the body is by nature), but rather, I will argue, an interface that becomes more and more describable as it learns to be affected by more and more elements. The body is thus not a provisional residence of something superior – an immortal soul, the universal or thought – but what leaves a dynamic trajectory by which we learn to register and become sensitive to what the world is made of. Such is the great virtue of this definition: there is no sense in defining the body directly, but only in rendering the body sensitive to what these other elements are. By focusing on the body, one is immediately – or rather, mediately – directed to what the body has become aware of.” Pour revenir au terme de somatique, du grec “soma” (corps ressenti, vécu de l'intérieur) et faire la distinction entre ses différentes approches, je m’appuie également sur les observations d’Isabelle Ginot qui dans son livre “Penser les somatiques avec Feldenkrais” mentionne la motivation du chercheur Thomas Hanna de réunir sous le terme générique de somatiques une panoplie de pratiques afin de souligner leurs principes communs: “une conception holistique du sujet (où corps, pensée, affects, émotions sont indissociables), un instrumentarium savant de techniques gestuelles, manuelles et tactiles, une place centrale accordée à l’expérience subjective via un travail approfondi sur la perception en général, et en particulier sur le sens kinesthésique (celui qui nous permet de savoir dans quelle position nous sommes, si nous sommes stables ou en train de bouger, quelle est la position de nos membres même si nous ne les voyons pas…). Au-delà de ces principes communs, ces techniques sont multiples, elles puisent dans des croyances et des savoirs divers selon leur époque, et surtout, elles inventent et diffusent des imaginaires du corps et des gestes bien différents les uns des autres.” Plus loin, Ginot propose une classification selon les critères de l’analyste du mouvement Hubert Godard orientés autour de l'expérience collective ou individuelle. Souvent dans les séances collectives, le praticien propose des explorations sans illustrer le mouvement, afin que chacun puisse explorer sa propre sensibilité esthétique et contraintes physiologiques. Lors des séances individuelles, le praticien propose un guidage à partir du toucher, parfois guidant par la parole une prise de conscience de son sujet. Celui-ci observe les effets du relâchement des blocages musculaires sur ses gestes, les variations de son propre poids selon les changements de posture et découvre grâce à des représentations internes, des parties auparavant méconnues de lui-même appelés par Godard ``des zones organiques profondes”: ``Certaines travaillent à partir d’une cartographie des tissus et de leurs caractéristiques biologiques — fascias, muscles, peau, os, viscères — et pensent le changement du geste et de la posture primordialement à partir des changements conduits dans ces tissus ; d’autres, telle la méthode Feldenkrais qui nous intéressera ici, s’appuient avant tout sur la construction des coordinations, soit la façon dont chacun de nous a appris (et peut réapprendre) à composer ses gestes dans l’espace et le temps jusqu’à ce que ce répertoire de nouvelles habitudes gestuelles compose la texture même de sa vie, et garde la plasticité nécessaire pour des changements ultérieurs. D’autres encore privilégient le travail sur la perception… Elles se pratiquent en séances collectives ou individuelles, passent très souvent par un travail sur le toucher (un des nombreux tabous concernant le corps en Occident), se définissent soit comme ``éducatives” soit comme ``thérapeutiques”, ou encore les deux à la fois.” Depuis 2014, j’ai pratiqué plusieurs disciplines en lien avec la pensée du corps et l’intelligence du mouvement. Nous définissons ici l’intelligence du mouvement selon Jay pour laquelle il s’agit principalement de “la faculté qu’a le corps à sentir, ressentir, réguler, équilibrer, décider, agir pour exprimer la vie qui l’anime c’est-à-dire le sujet. L’intelligence du mouvement habite le corps tout entier, pas seulement le cerveau. Le cerveau est informé et informe et l’intelligence du mouvement dialogue avec la pensée. Nous avons appris à considérer notre corps comme une machine, à faire en sorte de le contrôler le plus efficacement possible, à le gérer comme un lieu d’entrée sortie, à l’espérer plus silencieux qu’expressif, pour finalement somatiser lorsque notre corps exprime l’inexprimé.” Concernant mes propres expériences kinesthésiques et le travail de ``prise de conscience” du corps, ma motivation principale est le lâcher prise lors des moments d'improvisation. Les outils que j’ai retenus lors des sessions d'apprentissage servent principalement à affiner ma concentration et ma facilité de mouvement. La plupart des méthodes que j’ai pu expérimenter, visent l'utilisation d’une quantité d'effort appropriée pour une activité particulière, libérant les tensions de mon corps pour avoir plus d'énergie à utiliser ailleurs. Bien que la communauté des pratiquants puisse parler des effets thérapeutiques de ces pratiques, il ne s'agit pas des traitements proprement parler, mais plutôt d'une volonté de rééducation de l'esprit et du corps en libérant des tensions et blocages. \subsection{B.M.C}\label{sec:elements-basiques} En me rapprochant des pédagogies du corps orientés vers la recherche d’un équilibre entre le système nerveux sympathique et le système nerveux parasympathique, j'ai découvert entre outre la méthode Body Mind Centering lors de sessions de training physique pour le théâtre du Soleil en tant qu’assistante décor pour leur spectacle MacBeth à la Cartoucherie de Vincennes. Avec d'autres stagiaires nous nous réunissons le matin pour pratiquer des exercices d’éveil corporel. La Body-Mind Centering a été créée à la fin des années 70 par Bonnie Bainbridge Cohen, danseuse, ergothérapeute et ancienne choréologue en notation Laban. Cette pratique oriente la perception vers un étude expérientielle de l'anatomie et de la physiologie du corps classés dans des systèmes. C’est à la fois une expérience cognitive de compréhension et une expérience phénoménologique de vécu et d'intégration expérientielle qui interroge les dynamiques psychophysique de la perception. Le développement du mouvement est étudié de point de vue ontogenetic ( du stade d'embryon au stade adulte) mais aussi de point de vue (en tant qu' évolution progressive des espèces dans le règne animal- la marche des amphibiens évolue en marche bipède des mammifères par exemple). Cette pratique corporelle largement utilisée est appliqué non seulement dans la danse mais aussi dans de nombreux types de travail corporel, psychothérapie, yoga ou musique. Avant tout, BMC est ``une étude expérientielle basée sur l'incarnation et l'application de principes anatomiques, physiologiques, psychophysiques et développementaux multiples, utilisant le mouvement, le toucher, la voix et l'esprit” (Cohen 1993 : s.p.). Cette étude explore une prise de conscience dans les divers systèmes du corps- liquides, tissus, organes, squelette, sens, le système neuroendocrinien- pour orienter une action basée sur la perception. Cohen exprime l'intérêt qu’elle porte au développement en tant que processus de travail mais aussi devenir du corps: ``Development is not a linear process but occurs in overlapping waves with each stage containing elements of all the others. Because each previous stage underlies and supports each successive stage, any skipping, interrupting, or failing to complete a stage of development can lead to alignment/ movement problems, imbalances within the body systems, and problems in perception, sequencing, organization, memory, creativity and communication.“ Dans son livre ``Sensing, feeling and acting”, elle explique son intention de faciliter l'accès à “une connaissance nouvelle en provenance de soi” et ainsi résoudre la dichotomie corps-esprit. Cela est structuré autour de trois concepts-clé qu’elle appelle l’alphabet de mouvement: ``les réflexes primitifs en lien avec les mouvements spontanés et leur relation avec les mouvements intégrés, les réactions de redressement par rapport à la gravité et les réponses d'équilibration pour garder notre centre de masse en équilibre et rester débout”. Un quatrième concept intitulé Basic Neuro Cellular Patterns synthétise ces derniers, en organisant une classification de modèles en lien avec le développement phylogenetic et ontogenetic du mouvement. Il faut également préciser qu’en BMC le terme ``somatique” est pensé en opposition avec celui de psychique, avec un fort intérêt pour les mouvements réflexes et la façon dont le système nerveux périphérique s'organise. Pour clarifier la distinction entre mouvement réflexe et mouvement réflexive, Cohen affirme: ``When a movement becomes reflexive, would you say that the experience goes from sensing to feeling? Yes it gets into the blood. I feel the reflexes have a lot to do with the blood, with emotional expressions”. De plus, la qualité de mouvement de chaque individu est influencée par la manière dont le mental se manifeste dans le corps lorsqu’il bouge. Un alignement harmonieux entre différents systèmes se fait par un ajustement perpétuel entre action et cognition. Les supports d'exploration en BMC sont constitués de nos sens mais aussi de notre imagination: mouvement, toucher, voix et état d'esprit, nouvelles organisations du corps dans sa dynamique et dans sa posture, tissus, cellules et organes du corps. Parmi ces systèmes, nous mentionnons le système squelettique- structure de soutien qui répartit notre poids sur la terre, en lien avec la gravité. Le système des organes est pour la communauté BMC plutôt connecté à nos émotions et à notre façon de les exprimer. Le système endocrinien est vu comme métaphore de notre intuition et s'exprime dans nos moments forts tandis que le système de muscles exprime notre vitalité et notre puissance. Le système nerveux à son tour est un support de la mémoire de nos expériences et perceptions. Lorsque le mental incorpore cette structure, il facilite l'apprentissage de nouvelles expériences basées sur l’intuition et la créativité. Pour les praticiens BMC, lorsqu'un système est sur-stimulé ou déséquilibré, il peut devenir la source de blessures, de maladies ou de détresse émotionnelle et psychologique. Pour équilibrer cela, l'imaginaire biologique du BMC stimule une prise en conscience du fonctionnement du corps pour les personnes qui se font guidées durant ces sessions. Cependant, comme le décrit l’anthropologue Jeremy Damien dans sa thèse, lors de son expérience BMC en danse amateur avec le collectif les Zélées, les danseurs ont du mal à se représenter et entrer en relation avec certains systèmes. Le système lymphatique avec les attributs désignés par les praticiens tels la clarté et la finesse induit en erreur les danseurs, au point où l’auteur se demande si cela relève d’une réalité du corps ou plutôt d’une métaphore à intégrer de façon subjective. Nous remarquons ici encore une fois des ambiguïtés en lien avec des concepts pluridisciplinaires. La signification du mot ``lymphe” dans le domaine de la médecine n’est pas la même lors d’un atelier de danse. Au-delà de la pré-supposée dimension thérapeutique de certaines pratiques, que Damien rapproche, en tant qu’anthropologue, à des rituels et formes d’auto-suggestion collectives, nous nous intéressons aux effets de ces pratiques sur l’imagination des danseurs et leur capacité de produire des mouvements nouveaux. Pour citer Cohen : ``when we are talking about blood or lymph or any physical substances, we are not only talking about substances but about states of consciousness and processes inherent within them. We are relating our experiences to these maps, but the maps are not the experience”. Pour porter cette réflexion plus loin, Carla Bottiglieri cite à son tour la philosophe et chorégraphe allemande Petra Sabisch pour qui: ``le mouvement est porté par une sorte de conjecture : il est l’expression exacte de l’indétermination de la relation entre sensation et imagination. Sans cette inspiration spéculative dans le jeu co-immanent entre le fond kinesthésique et les procédures imaginatives de production de l’image, il n’y aurait pas de spécifications par rapport aux qualités du mouvement. La relation indéterminée entre sensation et imagination devient un rapport singulier : elle produit une différence dans la qualité du mouvement, sans pour autant épuiser la virtualité de leur relation.” Entrer dans cette dimension imaginaire implique la sollicitation de notre sens de la proprioception. Cela part de l'hypothèse que chaque tissu de notre corps a sa propre vibration et résonance. La qualité du toucher dans BMC est ainsi basée sur la compréhension expérientielle de ces données. En parallèle, les praticiens peuvent prendre conscience d'une partie du corps en étudiant des images, des textes ou des livres d'anatomie pour mieux la visualiser. Ainsi la manière d’exploration la plus directe en BMC est un mélange entre le toucher et la visualisation des parties du corps pour arriver à un état de somatisation. Cet état est défini ici comme une prise de conscience directe des sensations, ressentis et perceptions qui se dégagent de la partie du corps sur laquelle nous nous focalisons. Lors de cette étape de somatisation en BMC, un échange d'informations bidirectionnel a lieu entre les cellules du corps et le cerveau. Comme le toucher et le mouvement sont parmi les premiers sens que nous expérimentons lors de notre naissance cela renvoie à des sensations plus anciennes de notre corps et aussi des processus de re-mémorisation. Un autre concept employé par cette méthode est le centrage, décrit la Carla Bottiglieri de la façon suivante: ``D’autre part, l’opération de centrage renvoie métaphoriquement aux gestes manuels du potier, qui tourne l’argile autour du vide, pour donner forme à un vase. Moulage ou modulation 17 ? Le centrage, écrit Cohen, n’est ni la recherche d’aboutissement d’une forme, ni un lieu d’arrivée, mais un ``équilibre dynamique qui fluctue autour d’un point en déplacement constant” 18. Il peut ainsi s’initier en n’importe quel point, se propager vers n’importe quelle direction : plusieurs centres, donc, comme autant de foyers possibles d’amorce et d’amplification. J’ajouterai que ce mouvement est le processus continu d’une relation où les termes s’échangent, ou se permutent : body et mind ne relèvent pas de deux ontologies distinctes, bien plutôt, ils instancient deux bordures, ou deux faces d’une limite topologique où formes et forces s’affectent mutuellement, se répètent et se différent, adviennent les unes aux autres, deviennent.” Comme cette technique est en constant renouvellement et amélioration, dernièrement un autre concept-clé a été développé, qui est celui de la conscience et de l’embodiment cellulaire - ``a state in which all cells have equal opportunity for expression, receptivity and cooperation. Attuning ourselves to our cellular consciousness brings us to a state in which we can find the ground from which flows the intricate manifestations of our physical, physiological and spiritual being.” Cependant Cohen ne mentionne pas ses applications en danse et la filiation avec le travail de la chorégraphe américaine Deborah Hay que nous allons mentionner plus loin. Si pour Cohen ``cellular consciousness is awakening the cells to themselves, which the brain cannot do.” pour Hay cela relève d’un état méditatif pour convoquer des états de présence que nous allons discuter plus tard dans notre étude. Faire l'expérience de ma propre anatomie et de son propre fonctionnement psychologique, a augmenté mon sentiment d’identité artistique. Dans mon propre laboratoire expérimental sur la conscience corporelle j’ai eu l’occasion d’améliorer ma pratique et choisir ce qui mieux correspond à mes intentions, en interprétant à ma façon cette discipline kinesthésique de l'anatomie et aspects physiologiques de l'incarnation. Ainsi j’ai utilisé le BMC comme point de départ afin de développer une meilleure compréhension des sensations de mon corps et de l'action exprimée dans le mouvement et le toucher, pour activer une forme de conscience propre à chaque endroit et ainsi faire émerger une danse spontanée, propre à son vécu. \subsection{Feldenkreis} De cette manière, j’ai découvert la méthode Feldenkrais lors des cours hebdomadaires à l’université Sorbonne Nouvelle. Cette méthode mise en place par Moshé Feldenkrais revisite le mouvement des articulations de chaque corps, laissant à chacun la possibilité d’être plus autonome et confiant lorsqu’il bouge à sa façon. Elle permet de se focaliser sur les sensations internes pour voir comment exécuter des mouvements plus facilement, en comprenant la quantité d'efforts nécessaires pour exécuter un mouvement de façon efficace. Elle visa à restaurer la capacité à bouger lors des accidents et à reprendre des habitudes de mouvement naturelles. En remarquant son propre mouvement, chaque participant a la possibilité d'être plus autonome et en confiance lors de ses déplacements dans l’espace. Les cours Feldenkrais sont connus sous le nom de cours de prise de conscience par le mouvement. Semblables aux pratiques corporelles type Tai Chi, elles utilisent des mouvements lents pour faciliter la concentration du pratiquant sur des effets de maîtrise de sa force ou sa flexibilité. La chercheuse Sylvie Frotin mentionne comment cette pratique contribue au processus de subjectivation en valorisant le corps-sujet plutôt que le corps-objet. En invitant, par exemple, une personne ``à déterminer la position optimale pour exécuter un mouvement en s’appuyant sur son ressenti plutôt que sur des standards esthétiques arbitraires” 3. Différents exercices basés sur la perception du corps en mouvement (et la conscience de la respiration 4 ) permettent aux participant.e.s de prendre conscience de leurs habitudes corporelles. ``L’apprentissage consiste à éveiller les zones d’anesthésie sensorielle et à élargir les types de sensation possible”. Ainsi la méthode Feldenkrais aide à coordonner différentes parties du corps ensemble, encourageant l'expression des ressentis et des émotions pour une intégration holistique du corps et de l'esprit. Conscience du mouvement et conscience de la respiration vont ensemble, dans l’approche défendue par cette pratique somatique : ``L’éducateur somatique adhère à l’idée qu’une fonction sensori-motrice entravée affecte l’ensemble de la personne. Réciproquement, toute amélioration d’une fonction améliorera éventuellement l’entièreté de la personne. Par exemple, face à une personne présentant une respiration déficiente, le professeur pourra donc proposer diverses activités de mouvements pour que la personne chemine vers un mouvement diaphragmatique ample et pleinement fonctionnel, puisqu’il sait qu’un diaphragme apaisé est accompagné de cognitions moins anxiogènes. (…) Ressentir sa solidité osseuse, ressentir une expansion de sa respiration, sentir son regard s’ouvrir, pour ne citer que ces quelques exemples, sont la manifestation physique d’une confiance en soi ou, inversement pourrions-nous dire, la confiance en soi est la manifestation psychologique d’une solidité osseuse, d’une expansion de sa respiration ou d’un regard ouvert.” Les positions utilisées dans Feldenkrais telles que la pose au sol, visent à réduire l’effet de la gravité sur le corps. Cela encourage la hanche à s'ouvrir pour faciliter des actions comme la marche et la course et améliore la mobilité des mouvements et aide à soulager les tensions et les tensions sur les articulations. Ce sont des exercices collectifs structurés autour d’un thème, dont l’objectif est d’avoir une prise de conscience sur son propre mouvement. Autre que les instructions de position et de mouvement, le praticien donne des indications perceptives ( sur quoi concentrer son attention) et conceptuelles (pourquoi cette méthode ne s’illustre pas, pourquoi on cherche le moindre effort). Les exercices du recueil ``Awareness Through Movement (PCM)” peuvent etre liés aux travaux de F. Varela sur l'autopoïèse. Dans son article ``Que faisons nous et à quoi ça sert” Isabelle Ginot témoigne des changements qui opèrent dans le corps et la manière de les évaluer. Plus loin nous allons discuter le lien de ces pratiques au concept émergeant ``d’image de son corps” et schéma corporel: À la fin d’une séance de ``”Prise de conscience par le mouvement”, l’expérience la plus courante est celle d’un changement très sensible dans la perception de la posture debout (des appuis, de l’alignement, de la hauteur, de l’espace autour…)et de la marche ou de divers mouvements quotidiens proposés à l’exploration en guise de conclusion de la séance. Ce changement peut être ressenti plus ou moins durablement, et sa perception peut être en partie consciente et spécifique (par exemple ``mon poids est plus égal entre les deux pieds”) et en partie confuse (``je me sens différent/e”)(...)Si ce changement persiste dans la durée, il deviendra ``plus habituel” ou, selon l’expression de Feldenkrais, intégré. Ce qui signifiera que mon poids sera désormais plus au centre de mes deux pieds qu’auparavant, mais que je ne le remarquerai plus. La nouvelle organisation gravitaire sera devenue ``pré-noétique”, elle aura intégré le schéma corporel. \subsection{Viewpoints} Une autre méthode que j’ai intégrée dans mon approche expérimentale d'entraînement est la technique ViewPoints. Approche structurelle du processus de composition et de mise en scène, Viewpoints est issue d’une méthode inventée par l’artiste de théâtre Mary Overlie dans les années 70. Son objectif est de stimuler la créativité et l’inspiration en utilisant des points de vue pour focaliser la concentration et ordonner la façon de travailler. Cette méthode a été ensuite adaptée par les metteuses en scène Anne Bogart et Tina Landau autour de neuf points de vue ``physiques” et de 5 points de vue ``vocaux”. L'apprentissage de cette méthode s’est fait à travers des sessions d'expérimentations pratiques avec le collectif de metteurs en scène Open Source. En tant qu’outil de mise en scène, le ViewPoints revisite la hiérarchie traditionnelle entre metteur en scène et acteurs. Les acteurs sont considérés comme des participants actifs dans la création globale du spectacle. Leur attention est focalisée sur différents éléments de la performance (tempo, durée, geste, relation spatiale). Cela part de la supposition que s’ils sont ouverts à leur environnement scénique, cherchant à convoquer leur instinct sur le plateau, ils peuvent créer un mouvement et une composition scéniques dynamique. Dans une intervention lors d’une conférence sur cette technique, une de ses fondatrices, Anne Bogart affirme : ``Dans le travail de Viewpoints, rien n'est inventé – tout est une réponse.” Pour aller plus loin, ce qui m'intéresse dans cette technique est son rapport à la danse, définie au sens large de mouvement : “What is dance? they asked. If an elephant swings its trunk, is it dance? If a person walks across the stage, is that dance?” Parmi les principes employés, la réponse kinesthésique est un type de mouvement selon lequel un geste spontané surgit en réponse à l’environnement extérieur- par exemple, parfois nous nous levons instantanément quand quelqu’un ouvre une porte ou nous grattons la tête si quelqu’un nous pose une question difficile. Ce principe permet d’analyser le geste selon deux critères : - gestes comportementaux (ceux que nous employons dans notre vie quotidienne, qui font écho à des situations de vie) et gestes expressifs (ceux qui expriment une émotion et répondent à des besoins d’abstractisation). Appliquer ces observations au fonctionnement d’une machine, m’a permis de voir si des gestes expressifs peuvent lui être propres ou pas. Entre philosophie pratique du travail, approche d'entraînement ou technique d’improvisation, Viewpoints propose une discipline du corps dans l'espace et le temps. Les éléments tangibles - points de vue- selon lesquels les participants concentrent leur attention fournissent un ensemble de tâches pour libérer l'imagination. Souvent la logique systématique de cette approche aide les praticiens à remettre en question leur perception et s' investir dans une pratique créative qui exige action et exploration, et à déconstruire, réorganiser et reconstruire des partitions et des séquences dans la poursuite d'un théâtre viscéral et visuel. L’article (citer Dennis) rend compte des expériences des étudiants en danse qui utilisent cette méthode. L'auteur interroge les exigences de l'apprentissage incarné du mouvement à partir de multiples positions d’un sujet - observateur / participant / créateur / réflecteur / acteur. \subsection{Buto} Une autre type d’exploration sensorielle que j’ai eu l’occasion de découvrir est la danse Buto, lors de mes stages avec Atsushi Takenouchi entre 2013 et 2015. Cette pratique vue comme un style de danse japonaise d'avant-garde mais aussi comme un mode de vie, diffère à la fois de la danse traditionnelle japonaise et de la danse occidentale moderne. Créé par Tatsumi Hijikata et Kazuo Ohno probablement en réaction aux événements de la Seconde Guerre mondiale, afin d’explorer des thèmes tabous, cette danse convoque des images grotesques avec des mouvements corporels parfois lents, parfois compulsifs toujours en lien avec le soi. Katsugen Undo, une pratique développée par Haruchika Noguchi (1911 - 1976) - inventeur du concept thérapeutique Seitai- est une pratique complémentaire au butô. Katsugen Undo part du postulat que nous avons tendance à nous concentrer sur des énergies excessives qui inhibent nos systèmes d'autorégulation, altérant ainsi nos fonctions physiques, mentales et émotionnelles. Cette pratique est un exercice dynamique destiné à soulager le stress, à détoxifier le système et à amener les énergies du corps à un équilibre naturel et sain. Elle vise à y parvenir en laissant libre cours aux mouvements involontaires du système nerveux autonome, en soulageant le stress et en améliorant l'endurance et la flexibilité de l'organisme. Ensuite début 2020 je suis allée en Israël pour expérimenter le Gaga Movement- dont la pédagogie encourage le lâcher prise et le bien être des danseurs. Mouvement de danse non-conventionnelle, cette pratique a été développée par le directeur artistique de la Batsheva Dance Company, Ohad Naharin qui lors d’un accident au dos dans les années 90, s'est lancé dans un processus de recherche corporelle avec des personnes sans expérience en danse. Ces expérimentations ont donné place au laboratoire Gaga/people étant ensuite demandés comme training régulier par les danseurs de sa compagnie, donnant suite aux cycles Gaga/dancers. Selon le context, cette technique a plusieurs déclinaisons: training pour renforcer le corps et le préparer physiquement en termes de souplesse et d'endurance, échauffement avant des répétitions et outil d’exploration pour cultiver sa créativité. Dans son article, The Phenomenology of the Body Schema and Contemporary Dance Practice: The Example of “Gaga”, la chercheuse Anna Foultier décrit les modalités de travail des danseurs du 21e siècle, devenus entrepreneurs de leur propre corps et technicité: En raison des tendances chorégraphiques et artistiques ainsi que de la difficulté croissante pour les danseurs d'obtenir des contrats plus longs, la danseuse est devenue une ``entrepreneure” censée façonner sa formation, s'adapter à divers styles et pratiques chorégraphiques et souvent fournir du matériel de mouvement aux pièces avec lesquelles elle travaille. Que cela soit perçu comme libérant l'agence et l'autorité de la danseuse sur son travail ou comme un accommodement à un contexte sociétal marqué par le néolibéralisme où La qualité marchande est un impératif, le danseur contemporain a une approche éclectique où l'entraînement peut varier du ballet, moderne, jazz, capoeira, pilates ou yoga à la natation ou à la course. Dans le monde de la danse post-postmoderne, l'accent n'est plus mis sur le moulage du corps dans une certaine forme, comme dans le ballet classique, ou sur le démantèlement des habitudes afin de découvrir des modèles de mouvement naturels, comme dans la danse moderne, mais plutôt sur la déconstruction et le remodelage continus du corps. Dans les cours de Gaga que j’ai pris, l'enseignant et les participants sont en constant mouvement. Les participants reçoivent plusieurs types d’ instructions: lever ses bras comme s'il y a un poids lourd sur le dos, les soulever et les laisser tomber en étant recouvert par du miel, sentir ses bras légers comme une plume, tomber au sol avec la même vitesse que les bras qui tombent, etc. L'objectif de Gaga est d'ouvrir de nouvelles possibilités d'exploration dans le corps et ainsi confronter les anciennes habitudes afin de développer la conscience du corps et l'écoute intérieure. \section{Le Shaking comme outil de travail} Le Shaking vu ici comme tremblement volontaire du corps est une pratique somatique que nous pouvons observer dans les animaux lorsqu’ils secouent leur corps après un événement dangereux qui a sollicité leur instinct de survie. Les éthologues ont identifié trois mécanismes de défense comme formes de réaction immédiate chez les animaux: s’en fuir, se battre ou se figer (fight, flee or freeze). La réponse “se figer” (freeze) est un mécanisme de survie qui protège l’animal en danger en inhibant et immobilisant son corps face à la douleur. C’est l’exemple avec le bison entouré par des lions qui dévient tout d’un coup mou et arrête de se débattre dans la bouche du crocodile, pour s’enfouir deux secondes après que les lions commencent à leur tour attaquer le crocodile pour disputer leur proie. Une fois inhibés, les mécanismes de défense produites par le corps, comme l'adrénaline, restent stockés à l’intérieur et une fois le danger passé, les animaux vont secouer leur corps pour les libérer. J’ai décidé d’utiliser et ensuite adapter cette technique lors de mes échauffements de danse car cette méthode n’a pas spécifiquement pour but de se concentrer sur soi et de ralentir le fil des pensées, mais plutôt de ``libérer” le corps de ses tensions et privilégier le sentiment de lâcher-prise. Cette technique peut fonctionner particulièrement bien pour tous ceux et celles qui ont beaucoup de mal à rester sans bouger et à mettre leurs pensées en pause. Actuellement des thérapeutes utilisent des techniques de shaking pour réduire les effets du stress traumatique -PTSD. Les exercices de libération des tensions aident le corps à accéder à des schémas musculaires profonds de stress et de tension, voire de traumatismes pour certains chercheurs (citer). Elles activent un mécanisme réflexe naturel de tremblement ou de vibration qui libère la tension musculaire, calmant le système nerveux. Lorsque ce mécanisme de secousses musculaires et vibrations est activé de façon volontaire, le corps est encouragé à revenir à un état d'équilibre \subsection{Contexte} David Berceli, Ph.D. est auteur et praticien dans les domaines de la réduction du stress suite à des traumatismes. Psychologue et activiste humanitaire américain, il a travaillé en Extrême-Orient et en Afrique dans des zones de conflit à la fin des années 1990 et a remarqué à quel point les secousses étaient une réponse universelle au traumatisme. Ces expériences l’ont mené à la création d'un ensemble d'exercices de libération de tension et de traumatisme appelés Tension and Trauma Releasing Exercises(TRE). Il est l'auteur de trois livres qui ont depuis été traduits en 15 langues. Sa carrière universitaire comprend un diplôme en travail social (PhD), en travail social clinique (MA), en théologie (MA), en études du Moyen-Orient (MA). L’objectif de sa thérapie est de calmer le système nerveux avec l’aide de ce qu'il défine comme Self Induced Therapeutic Tremors (SUTT) pour un état de détente et repos parasympathiques profond. Sa méthode est basée sur une approche neurophysiologique intégrative qui utilise l' homéostasie pour décharger de façon mécanique la tension physique du corps. Selon des études (citer), pratiquer le ``shaking” en tant que protocole de mouvement au moins entre 5 et 15 minutes à la fois, permettrait d’activer le système nerveux parasympathique, ce qu’indique au corps de se détendre. Cette communication directe entre nos muscles, nos membres et notre système nerveux central permet de relâcher certaines tensions, tout en activant un sens de présence dans le corps. Un autre outil que Berceli combine avec sa technique est la méditation de la pleine conscience pour réguler les émotions en augmentant le lien avec le corps et sa sensorialité. La pleine conscience encourage l'acceptation plutôt que l'évitement des expériences traumatiques et diminue la rumination sur des événements passés ou futurs qui peuvent épuiser notre énergie. Une première étude pilote qui mesure le stress chez 21 professionnels de la santé en Afrique du Sud, avant et après une utilisation de la méthode TRE pendant 8 semaines, montre les effets de cette méthode citer. \subsection{Exemple d’exploration sensorielle avec du shaking inspiré par la technique TRE} Tout d'abord, je me familiarise avec la pièce où je suis et la surface sur laquelle mon corps s’appuie, afin que mon système nerveux soit détendu et loin d’un état d’alerte. Je ferme les yeux et écoute les bruits autour de moi, du plus lointain au plus proche. Une fois ce type d’exercice sensorial fini, je commence par faire quelques exercices préparatoires tels que des étirements type pilates pour fatiguer les muscles. L’objectif est d'être moins en contrôle pour que les tremblements puissent venir plus facilement. Ensuite je m'allonge sur le dos dans une pose papillon, la plante des pieds jointe, les genoux pliés sur le côté. Chaque deux minutes, je ramène mes genoux l'un vers l'autre et je maintiens. Bientôt, je sens l'intérieur des muscles de ma cuisse s'engager et il y a un léger tremblement- pour Berceli ce sont les shakes qui sortent. Au fur et à mesure que mes genoux s’approchent, les tremblements deviennent plus forts et je peux les sentir remonter le long de ma colonne vertébrale. Après dix minutes, alors que mes genoux sont maintenant presque collés l'un à l’autre, les tremblements sont difficiles à ignorer- je vacille et me saccade presque comiquement. Pour intégrer l'expérience je m'allonge sur le dos et prends quelques minutes pour me détendre avant de m'asseoir sur mes talons. Je prends quelques respirations, puis je réfléchis à mon ressenti et à comment intégrer cette expérimentation dans mes recherches corporelles. \section{Renouvellement des approches chorégraphiques dans l’histoire de la danse } Dans son livre “Histoire de la danse” (1933) Curt Sachs parle de la danse comme le premier-né des arts: ``La musique et la poésie s'écoulent dans le temps ; les arts plastiques et l'architecture modèlent l'espace. Mais la danse vit à la fois dans l'espace et le temps. Avant de confier ses émotions à la pierre, au verbe, au son, l'homme se sert de son propre corps pour organiser l'espace et pour rythmer le temps”. Pour prouver que la danse apporte une dimension sotériologique partout dans le monde et depuis toujours, il liste les danses à contre coups et les danses extatiques des peuples primitifs. Un siècle après ces observations, la dimension thérapeutique des danses reste toujours d’actualité. Des méthodes d’éducation somatique développent autant de moyens pour dépasser nos dissonances cognitives et comprendre l’intelligence du corps. Cependant il est important de souligner que dans notre contexte, ce qui nous intéresse est la façon dont ces méthodes ont pu accompagner les danseurs et praticiens en danse dans leur l’intention de renouveler les formes d’expression de cet art. L’histoire de la danse moderne et son renouvellement de formes à partir du début du 20e siècle, commence avec l'américaine Loïe Fuller et sa ``Danse serpentine”, faite de spirales et de volutes de voiles. Égérie de l'avant-garde artistique de la Belle Epoque, elle libère le corps et met en place les bases de l’abstraction en danse. Complémentaire à cette approche est la démarche mise en place par François Delsarte (1811-1871) professeur de chant qui développe entre 1840 et 1870 une théorie de l’expression fondée sur des correspondances entre geste et émotion. Par le biais du dramaturge américain Steele Mackaye, inscrit à ses cours à Paris, les danseurs des Etats Unis vont prendre connaissance du système mis en place par Delsarte, donnant place à un mouvement appelé “delsartisme” d'après le nom de son inventeur. L’influence de Delsartre va marquer tout une génération de danseurs modernes en Amérique tels Ruth Saint Denis (1879-1968) et Ted Shawn (1891-1972). Quelques années plus tard c’est le tour de l’allemande Mary Wigmann de promouvoir la danse libre et de présenter sa ``Danse de la Sorcière” ou ``Hexentanz” en 1914. Selon Hubert Godard, il y avait dans sa démarche deux conceptions “une travaillant l’imaginaire, l’autre le contraignant par une idéologie (le nazi), infléchissant l’organisation tonico-gravitaire qui anticipe et accompagne tout geste, toute attitude corporelle” Ce courant international, initié entre autres par Isadora Duncan (1877-1927) influença de nombreux chorégraphes et marqua les débuts de la danse moderne. Le solo de danse de Wigman rompt avec la tradition classique par des gestes brusques, une posture au sol et des bras tendus. Avec l'accompagnement de percussions, son apparence de possédée convoque une dimension sensorielle de la danse, centrée sur une expérience de l'intimité et de connexion à soi. Tandis qu' à la même époque a Paris, l‘ukrainien Vaslav Nijinski va plus loin dans le rapport a la sensorialité en simulant une masturbation pendant ``L'après-midi d’un faune”. Quelque décennies plus tard, Martha Graham développe une pédagogie basée sur l'opposition entre contraction et libération, avec l’aide des cycles de respiration. Considérée comme fondatrice de la danse contemporaine, son travail a inspiré les générations de chorégraphes de fin de XXéme siècle. Toujours dans les années 1940, Merce Cunningham et John Cage ont développé un concept radicalement nouveau en préparant la musique et la danse indépendamment, au sein d'une même performance. Ainsi les mouvements des danseurs ne sont plus liés aux rythmes, à l'humeur et à la structure de la musique. Chaque forme d'art existe de façon autonome dans un espace et un temps partagés. Dans une autre partie du monde, cette fois le Japon, Tatsumi Hijikata (1928-1986) et Kazuo Ōno (1906-2010) development la danse de butō nourris par les avant-gardes artistiques européennes comme l'expressionnisme allemand et le surréalisme. Née dans les années 1960, cette danse marque une rupture avec les arts vivants traditionnels du nô et du kabuki, en s’inspirant de bouddhisme et de croyances shintô. Les remous socio-politiques qui secouèrent le Japon à cette époque, notamment les événements tragiques d'Hiroshima et de Nagasaki de 1945, donnent forme à cette danse sensorielle basée sur l’introspection de ses protagonistes. Une autre figure incontournable de l'expression corporelle est Pina Bausch(1940-2009) danseuse et chorégraphe allemande. Fondatrice de la compagnie Tanztheater Wuppertal, elle rompt définitivement avec les formes de danse conventionnelles en introduisant le concept de danse-théâtre ou Tanztheater sur la scène allemande et internationale. Au début, des spectacles tel ``Le Sacre du printemps” (1975) ont suscité de nombreuses critiques, avant de devenir une référence dans l'histoire de la danse postmoderne. Sur un sol recouvert de terre, danseurs et danseuses s’opposent en se livrant à une lutte sauvage et poétique couverts de boue et de sueur. Cette lutte marque le sacrifice de l’Élue, comme dans le rituel paien du chef-d’œuvre de Stravinsky. En allant jusqu'à l'épuisement, la danse se libère ainsi de son rapport à la représentation en développant de nouvelles normes esthétiques. Presque à la même époque, Carolyn Carlson, née le 7 mars 1943 à Oakland en Californie, danse pieds nus à l'Opéra Garnier à Paris et ouvre un laboratoire de recherche sur le mouvement en invitant des danseurs amateurs à rejoindre sa recherche. Tandis qu’Anne Teresa De Keersmaeker crée ``Rosas danst Rosas” en 1983, pièce pour quatre danseuses et quatre mouvements, dont le titre donne le nom de sa compagnie. L’utilisation presque radicale de la musique de Steve Reich et Thierry De Mey, comme support premier de sa composition chorégraphique, ainsi que le recours aux motifs géométriques (cercles, courtes spirales, diagonales impeccables) comme base pour les mouvements, distinguent le travail de Keersmaeker des autres chorégraphes de sa génération. Le travail sur une chaise, la répétition et l'épuisement du corps sont également des éléments clés de sa démarche. Quelques années plus tard, au contrepoids entre l'Amérique et l’Israël, Ohad Naharin renouvelle avec les traditions et les chants traditionnels juifs. Dans ``Echad Mi Yodea” (1990), des danseurs assis sur des chaises, en train de trembler de façon répétitive évoquent des moments de dévotion à la synagogue. Des piles de vêtements jetés par terre peuvent renvoyer a des photographies de l'Holocauste. Les danseurs peinent à travers la chorégraphie et leur lutte pourrait être interprétée comme un hommage à la construction d'Israël mais aussi comme un dépassement de soi. Le début du 21ème siècle continue cette tradition de la danse libérée de formes, de croisement de disciplines et des pratiques que cela soit chant, art martiaux, arts plastiques ou nouvelles technologies. Souvent lors des spectacles avec plusieurs danseurs sur le plateau, nous nous habituons à voir pousser les limites de la physicalité, sans oublier l’histoire de la danse et ses traditions, auxquelles la plupart des chorégraphes que je cite rendent hommage. Dans le chef d'œuvre ``In Spite of Wishing and Wanting” (1999) Wim Vandekeybus a imaginé une performance sur le désir primordial et la tension entre le familier et l'étrange. Sur scène que des hommes. Leurs mouvements frôlent la férocité, la sauvagerie et la naïveté. Des séquences de danse envoûtantes sur la bande sonore sensuelle de David Byrne, donnent l’impression que les danseurs sont possédés par quelque chose ou quelqu'un. La peur et le désir de se transformer en quelque chose d’autre représentent un thème central dans le travail de Vandekeybus. Un projet qui traite du rapport que nous avons à la composition de la danse et la façon de la représenter est ``Synchronous Objects for One Flat Thing” (2010). La collaboration entre William Forsythe et l'Ohio State University est basée sur le traitement des informations numériques, spatiales ou temporelles à partir de vidéos de l'œuvre de danse ``One Flat Thing” de Forsythe ou des performeurs dansent sur et avec des tables. Leurs mouvements se synchronisent selon une série d’ indices internes. Une fois la danse enregistrée sous différentes perspectives, les données ont servi pour créer d'autres médias, événements et objets. Par exemple, un objet synchrone développé par Ola Ahlqvist dans le département de géographie de l'Ohio State montre la densité du mouvement des danseurs - sous la forme d’un paysage topographique avec des montagnes colorées représentant les endroits ou chacun passait la plupart de son temps lors de la danse. Dans la même lignée, le spectacle ``The Great Tammer” (2017) du chorégraphe grec Dimitris Papaioannou traite du rapport que les danseurs ont au corps, en s’inspirant de la sculpture et la peinture classique. Son travail a une forte composante plastique et repose sur une dilatation du temps. L'expérience qu’il propose aux spectateurs est sensorielle- des corps qui se démembrent pour se reconstituer en nouvelles images sur le plateau. Ce questionnement du corps est partagé, mais traité dans une approche différente par la chorégraphe brésilienne Lia Rodrigues. Ses créations transgressent plusieurs formes dont celle du rituel performée. Son spectacle ``Furia” (2018) met en scène des moments extatiques en danse et corps démembrés. Similaire au travail de Vandekeybus, nous pouvons croire les danseurs possédés. Leur présence convoque de l'émotion brute et transmet au spectateur une envie de partager la danse qui s'opère devant ses yeux. \subsection{Anna Halprin- The Taking part process } Anna Halprin est une danseuse et chorégraphe américaine qui a beaucoup influencé la danse contemporaine. Dans sa pratique elle intègre des principes somatiques, en se focalisant sur des impulsions internes et un état de grounding (connexion) avec soi-même. Pour elle, il existe un phénomène d'interdépendance entre mouvement, sentiment et association interne du mouvement (vu comme représentation mentale). Son travail influencé par sa propre expérience du cancer l’a amenée à travailler avec des victimes de préjugés raciales, des personnes atteintes de maladies incurables comme le Sida et le cancer. Elle a intégré les principes de sa pédagogie lors des ateliers de danse en grande communauté. Son travail des dernières années de sa vie, atteste d’un lien entre la danse et la spiritualité. Dans un entretien avec Ilene A. Serlin(citer), elle évoque sa première professeure de danse et l'impacte que cela a eu sur sa carrière: ``Margareth 'Doubler was my true mentor, and she provided the best dance education I possibly could have had. She was a biologist by training, which gave her the foundation to approach dance from a different perspective than what was being taught by others as dance. She taught me to view dance from a scientific as well as philosophical and aesthetic point of view. She used to say,``Teach the objective principles of dance and this will enable your students to subjectify their experience.`` What she gave me was a great gift. She taught me to cultivate my own creative expression rather than imitate someone else's style.” Pour Halprin il y a une équivalence entre le fait d'être incorporé (embodied) et la spiritualité. Une des danses qu’elle avait mis en place c’est ce cycle de danses planétaires, ou plusieurs milliers de personnes dansent ensemble sur plusieurs continents: ``I created``Circle the Earth” with a different approach because I want to make dance as accessible as possible to everyone. I want to create dances that anybody can do, and I want to return people to an awareness of movement that I believe is one of our most essential birthrights.(...)I think dance happens to be my particular language; it always has been. Any medium can be anybody’s language; dance just happens to be mine. It’s been a way that has pointed me to directions that I could not preconceive, and that's been the adventure. It was a risk- taking for me. You know, I didn’t know I was going to be doing a dance about reclaiming a mountain.(...)This way of working is now called the expressive arts approach, although it wasn’t called expressive art in those days. I was able to envision a kind of dance that had a purpose, a healing purpose, a societal purpose, an environmental purpose. I never considered myself a therapist, although I might be referred to as a therapist. I consider myself simply a dancer. I began to think of these dances I was making as rituals. I found that the word ritual enabled me to move more consciously into the realm of dancing for the people, dancing for change.“ Cette danse a été d’abord performée un dimanche de Pâques, en pleine nature, sur une montagne où elle avait déjà l’habitude de danser. Avec son groupe de participants, ils sont descendus du sommet de la montagne, après avoir accueilli le lever du soleil. Ils ont ensuite formé un cercle en dansant juste en dessous du sommet, pour pouvoir regarder dans les quatre directions. Chaque direction avait sa propre symbolique: le Sud est l'endroit d'où vient la vie, le Nord est l'endroit d'où vient la mort, et l'Ouest est l'endroit où va la lumière et l'Est est l'endroit d'où vient la lumière. Après avoir fait cela, les danseurs partagent leur expérience, par petits groupes. En remémorant une de ses expériences de Danse Planétaire, Halprin évoque le souvenir d’un participant qu’elle connaissait qui était en larmes, profondément ému par quelque chose. En écoutant son récit, elle a compris que son ami a eu une prise de conscience soudaine des aspects spirituels de sa vie. Comme souvent parmi les participants, la recherche de la spiritualité peut donner l’impression de quelque chose de spécial, d'inatteignable. Cependant son ami a trouvé un moment d’illumination en lien avec son travail. Il a pris conscience de la relation qu’il avait avec ses employés au restaurant, de la façon dont il traitait ses collègues, de la façon dont ils avaient l'habitude d’ interagir et de coopérer. Pour lui, cette expérience d’appartenir à un groupe relevait de la spiritualité. L'élément principal dans l'approche de la danse d’Anna Halprin est son usage du mouvement naturel, intrinsèque au vécu quotidien du danseur. Ce type de mouvement structure l’expression et l'expérience de chaque corps. Dans son ’approche``Taking Part” Halprin parle de deux étapes. La première a lieu pour apprendre un langage commun à partir du corps, par l’usage des mouvements naturels. Les archétypes du corps reflètent et influencent les archétypes de la vie de chaque personne. Pour elle, le corps humain a des multiples dimensions: énergétique, physique, émotionnelle, mentale et spirituelle. La deuxième étape est un outil pour libérer la créativité collectivement pensée en lien avec les Cycles RSVP. Cette méthode de Cycles RSVP a été développée par son mari Lawrence Halprin dans les années 70 pour le projet Circle the Earth afin que chaque participant amène son vécu et histoire de vie dans le projet. Les Cycles RSVP se basent sur quatre principes: R parle de ressources (matériaux à disposition), S en anglais Scores représente les partitions comme celles de musique, V parle de de la valeur des actions (plus spécifiquement l'appréciation, le feedback et la valeur qui accompagne le processus de création), alors que P vient de Performance ou l'implémentation des partitions. \subsection{Deborah Hay ou playing awake }\label{sec:elements-basiques} ``What my body can do is limited. This is not a bad thing because how I choreograph frees me from those limitations. Writing is then how I reframe and understand the body through my choreography.” — Deborah Hay Deborah Hay est danseuse, chorégraphe, écrivaine et enseignante. Son travail se concentre sur des projets de danse postmodernes impliquant des danseurs non formés, un accompagnement musical fragmenté sur des mouvements ordinaires exécutés sous la forme des partitions. Elle est l'une des fondatrices du Judson Dance Theater- collectif de danseurs, compositeurs et artistes visuels qui se sont produits entre 1962 et 1964, à la Judson Memorial Church à Greenwich Village en Manhattan. Les artistes impliqués dans ce collectif sont reconnus pour avoir déconstruit la pratique et la théorie de la danse moderne. Sur son site, Hay décrit l’influence de ses débuts dans la compagnie de Merce Cunningham. Lors d’une tournée au Japon en 1964, elle rencontre le théâtre Noh et incorpore dans sa pratique l'extrême lenteur, le minimalisme et la suspension des mouvements dans sa chorégraphie post-Cunningham. En 1966, Hay et d'autres artistes travaillent avec les experts en informatique des Bell Labs, dans des performances collaboratives intitulées ``Evenings: Theatre and Engineering”. Lors de cette collaboration, elle participe à la performance : ``Studies in Perception 1” de Ken Knowlton et Leon Harmon. Une image de Hay, nue allongée avec l’un de premiers ordinateurs de Bell, est alors imprimée dans le New York Times puis exposée lors de l'une des premières expositions d'art informatique - ``The Machine as Seen at the End of the Mechanical Age” au Museum of Modern Art de New York à la fin de l’année 1968. Après ces expériences, elle quitte New York pour s’installer à Vermont en 1970. Éloignée du monde de l'avant-garde artistique new-yorkaise, elle crée``Ten Circle Dances”- une pièce jouée dix soirs consécutifs sans public. Son premier livre,``Moving Through the Universe in Bare Feet (1975)”, contient ses observations tirées de cette expérience. Puis en 1976, Hay déménage du Vermont à Austin, au Texas, où elle commence à développer un ensemble de pratiques chorégraphiques autour du concept intitulé``playing awake” ( jouant éveillée) qui engageaient l'interprète à plusieurs niveaux de perception à la fois. Cette méthode chorégraphique a été d’abord enseignée lors des ateliers pour des interprètes et danseurs non formés, donnant suite à des performances publiques par la suite. Son deuxième livre, “Lamb at the Altar: The Story of a Dance” (1994), documente le processus créatif utilisé lors de cette période. Dans les années 1990, Deborah Hay se concentre presque exclusivement sur des danses solo, développées avec des principes de``playing awake”- sa méthode chorégraphique expérimentale. Ces œuvres comprennent``The Man Who Grew Common in Wisdom” (1989),``Voilà” (1995),``The Other Side of O” (1998), transmises ensuite à des interprètes renommés aux États-Unis, en Europe et en Australie.``My Body, The Buddhist”, son troisième livre, est publié par la suite à Wesleyan University Press en 2000. Ce livre contient ses réflexions sur le bouddhisme et les leçons qu'elle a apprises en portant une attention particulière à son corps pendant qu'elle dansait. Le concept de``mémoire cellulaire” est également décrit dans son livre. Dans sa thèse``Dance in the light of neuroscience : sharing the experience of Deborah Hay's performance : her work and reflections”, Gabriela Karolczak par du postulat que la danse est une expérience partagée entre un danseur et un spectateur, enracinée dans le mécanisme neurologique des neurones miroirs. Pour elle, les problèmes liés aux neurosciences de la danse visent la validité écologique des expériences vécues. Le travail de Hay, la façon dont elle témoigne de ses observations empiriques à travers les décennies de sa pratique, nous rendent des participants actifs de ses questionnements et du soulagement offert par cette pratique. D’ailleurs le credo artistique de Hay est défini de façon suivante: ``Without it being my intention, dance has become a medium for the study and application of detachment. Actually, I prefer the term dis-attachment because it implies a more active role in letting go. The balance between loyalty and dis-attachment to that loyalty, sensually and choreographically, is how the practice of dance remains alive for me.”- December 2010 \section{Notations de danse}\label{sec:elements-basiques} Comme l'affirme Violeta Salvatierra dans sa thèse, outre les pratiques somatiques et l'improvisation dansée, un troisième champ de ressources pour les savoirs gestuels de cette thèse, est celui de l'analyse du geste: ``Également nommée``approche qualitative de l'analyse du mouvement” (j'utiliserai ces deux expressions indistinctement), l'analyse du geste a été développée par Hubert Godard, Odile Rouquet et d'autres danseur·ses en France depuis les années 1980, et partage des racines communes avec les techniques somatiques, dont elle se nourrit. Elle regroupe également des savoirs en biomécanique et en anatomie du mouvement humain, en relation avec des savoirs pédagogiques. Elle est historiquement reliée à la constitution de la discipline de l’analyse fonctionnelle du mouvement du corps dansé (dérivée de celle antérieurement connue sous l’appellation de``kinésiologie de la danse”), et travaille, comme les méthodes somatiques, avec lesquelles elle partage de nombreux enjeux, sur la plasticité sensorimotrice et sur la capacité de moduler les différents paramètres qui colorent la qualité expressive du geste.” Avant l’apparition du numérique, archiver la danse par écrit a été une manière de garder intacte le patrimoine culturel de chaque époque. Si le mouvement humain partage avec la musique les caractéristiques propres à cette dernière - hauteur, force, durée, rythme- l’expression corporelle comporte en plus un aspect tridimensionnel particulièrement difficile à rendre en deux dimensions. Bien que la danse s’écrit et se lit sur des partitions depuis le Moyen ge, le XXe siècle a apporté de l’innovation dans ce domaine. Pour décrire la fluidité du mouvement, déterminer sa durée et sa dynamique dans l'espace, ainsi que les singularités de l'interprète, les chorégraphes et chercheurs ont recours à des systèmes de notation plus complexes. Ainsi les plus connus outils d'analyse et de transcription de la danse traduisent les mouvements de manière spécifique en utilisant des notations musicales et des silhouettes, des symboles abstraits, des lettres ou des abréviations. Leur objectif est d’améliorer et répertorier les performances dansées dans la culture occidentale. \subsection{La notation Laban }\label{sec:elements-basiques} Le système de notation Laban, appelé aussi la cinétographie Laban, est un système d’écriture et d’analyse du mouvement du corps humain publié en 1928 par le chorégraphe et pédagogue hongrois Rudolf Laban. Selon Goddard, “l’impuissance à saisir par notre organisation linguistique le sens profond du mouvement “ a amenée laban vers la mise au point de son système de notation. Sous le nom de Laban Movement Analysis, il développera ultérieurement la choreutique (harmonie du corps dans l'espace) et l'eukinétique (étude de la dynamique du mouvement)- opposant “pensée motrice et pensée en mots”. Les principaux symboles de ce système sont les signes de direction avec leur durée et orientation, classifiés en formes et motifs pour déterminer la partie du corps concernée par le mouvement. Le placement des signes sur la portée donne la simultanéité des mouvements (lecture horizontale) et leur succession (lecture verticale). Les distances, les relations avec des partenaires ou avec des objets, les micro-mouvements ou encore le dessin des déplacements au sol sont indiqués par des signes spécifiques. Laban définit également la kinésphère comme un espace imaginaire personnel placé autour de la personne et accessible directement par ses membres, jusqu'au bout des doigts et des pieds tendus dans toutes les directions. Ainsi les changements de forme peuvent être statiques (changements de postures) ou dynamiques- ce qui définit ensuite la notion de qualité de la forme, comme la manière dont le corps évolue activement d'un point à un autre de l'espace. Ce concept est étroitement lié à la qualité perçue du mouvement, concept clé dans les analyses de mouvement. \subsection{La notation Benesh}\label{sec:elements-basiques} Apparu à Londres en 1955 sous le nom de Benesh Movement Notation, ce système de notation a été créé par Rudolf Benesh, musicien et mathématicien. Ainsi l’objectif de la notation Benesh est de codifier de façon concise par l'écriture tous les mouvements possibles du corps humain - à la manière d'une partition de musique. Autre que l’analyse de mouvement chorégraphique, cette notation sera utilisée conjointement dans le domaine de l’ergonomie, de la médecine et de l’anthropologie de la danse. Parmi autres un projet pilote, réalisé avec le Centro di Educazione Motoria de Florence en 1967 où la notation Benesh permet d’analyser les déficiences musculaires, contribue au traitement des enfants souffrant de paralysie cérébrale. Ensuite des physiothérapeutes basés en Suède et au Japon étudieront et exploiteront le potentiel de la notation comme outil d’observation clinique et d’analyse pour le suivi des patients. Cependant la notation Benesh est principalement utilisée comme outil d 'enregistrement des créations chorégraphiques. La maîtrise de la grammaire pour l’analyse du mouvement est claire et simple: lu de haut en bas, les cinq lignes du cadre de notation coïncident avec les positions de la tête, des épaules, de la taille, des genoux et des pieds. \subsection{La notation Eshkol-Wachman}\label{sec:elements-basiques} La notation de mouvement Eshkol-Wachman est un système d'enregistrement de mouvement développé en Israël par la chorégraphe Noa Eshkol et l'architecte Abraham Wachman. Apparu en 1958, ce système a été créé pour la danse, afin de permettre aux chorégraphes et aux danseurs de reconstituer tout type de mouvement de danse contemporaine dans son intégralité. En comparaison avec la plupart des systèmes de notation et analyse de mouvement, Eshkol-Wachman est destinée à noter n'importe quel type de mouvement, sur papier ainsi que sur l’ordinateur. Grâce à cela, il est utilisé dans de nombreux domaines, notamment la danse, la médecine ou l’éthologie. Des observations psychomotrices, cognitives et socio-émotionnelles en lien avec l'apprentissage de ce système, ont encouragé les chercheurs à mettre en place des études pilote quant à leur impact sur des phénomènes de coordination de mouvement (citer art EShkol) qui pourraient servir comme moyen de détection des formes d’autisme.(citer art EShkol) Selon son fondateur, Noa Eshkol ce système est également un outil d'apprentissage qui peut aider les gens à regarder differement le mouvement: “Eshkol-Wachman Movement Notation is a thinking tool that can teach people the art of observation, i.e. encourage them to aspire for the ultimate level of seeing. It does so by organizing the ‘material’ known as movements of the human body in relatively simple categories, thereby allowing us an insight (in-sight) into the complexity of this phenomenon as a whole.” Ainsi, dans la notation Eshkol-Wachman le corps est divisé en articulations où chaque paire d'articulations définit un segment de ligne. Chaque système articulé des axes tient compte des relations spatiales et des changements de relations entre les parties du corps. Le résultat est un processus analytique, entre le corps, l’espace et le temps dans un référentiel sphérique où les directions et les trajectoires de chaque partie du corps sont répertoriées. Quand une extrémité d'un segment de ligne est maintenue dans une position fixe, ce point est le centre de la sphère dont le rayon est la longueur du segment de ligne. Les positions de l'extrémité libre sont définies comme deux valeurs de coordonnées sur la surface de cette sphère, analogues à la latitude et à la longitude d’un globe mais écrites sous la forme des fractions avec le nombre vertical écrit au-dessus du nombre horizontal. \section*{Conclusion} Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. Sed eget erat tortor. Mauris iaculis congue nibh ac sollicitudin. Aliquam aliquam velit eu aliquet tincidunt. Vestibulum lacus ipsum, feugiat at feugiat id, auctor quis nisl. Maecenas ultricies sagittis convallis. Curabitur at velit ut odio condimentum fringilla. Ut consequat eget arcu vitae pharetra. Pellentesque quam quam, luctus at ipsum non, accumsan ultrices ipsum. Integer dictum, leo et ornare viverra, enim massa tristique est, aliquam porta odio arcu non lectus. Maecenas posuere, ante sed congue blandit, nisi quam aliquet enim, in vehicula eros metus vitae quam. Nam lacinia malesuada lorem, at mattis risus mattis interdum. Nullam ac sapien nec quam ultrices dictum vitae eu erat. Curabitur a leo a lorem mollis volutpat. Duis volutpat porta nulla in convallis. Mauris sed accumsan nisl, ac efficitur nisl. \clearpage \chapter{Perception du corps et du mouvement dans la robotique} \textit{Affective schemas remain unconscious when not matched with accommodation.} J. Piaget \section{Approche cognitiviste pour la compréhension du corps} \textbf{Types de cognition} Pour témoigner de la difficulté de nommer les termes qui concernent ce chapitre, et les appartenances que chaque auteur réclame, nous introduisons la définition de l’artiste Simon Penny qui dans son anthologie Making sense: cognition, computing, art and embodiment, énumère les quelques définitions en lien avec la cognition : “Confusion arises when discussing cognition, because several schools of thought have quite different interpretations. As noted in part I, the autopoietic conception of cognition is incompatible with the cognitivist conception (which is derived from Anglo-American analytic philosophy, though ana­lytic philosophers have accused cognitivists of being a bit sloppy). Continen­tal philosophers (phenomenologists) draw distinctions differently. When Lakoff and Johnson talk about the cognitive unconscious, their conceptions of the conscious and unconscious diverge from Freudian ideas. One reason for this confusion of terminology is precisely the condition of the paradigm shift itself. Neologisms (some of them clunky) and borrowings from other languages abound because existing language is built around dualist concepts. New language is needed. Maturana and Varela coine autopoiesis. Gibson invented affordance. Likewise umwelt and enactivim and other terms are now part of a new vocabulary.”(Penny Making sense P. 195) Au début du XXe siècle, entre un vision matérialiste et son contrepoids marqué par le dualisme corps-esprit, des chercheurs tels Raymond Ruyer (citer papier Ruyer) ou Bergson (citer matière et mémoire) expliquent l’activité cognitive par la réalité physiologique du cerveau et son lien avec le corps. Ainsi Ruyer affirmait que “c’est du cerveau réel, de sa subjectivité, que naissent les sensations”, alors que pour Bergson le cerveau est un instrument en relation avec le corps (citer Andrieu) dont le mouvement est compris par la mécanique. Toujours pour Ruyer: “Le cerveau n’est pas un instrument, une machine à fabriquer la conscience, la subjectivité. Comment une machine le pourrait-elle? Tout l’organisme est, en soi, subjectivité. Le cerveau est un instrument à transporter, appliquer la conscience primaire de l’organisme à la tâche d’organisation du monde extérieur…le cerveau est le lieu de l’organisme par où passent les circuits externes, la fabrication des outils et des machines, la création des oeuvres d’art, des institutions sociales, l’organisation et l’entretien de tous les produits de la culture. Le cerveau est en nous comme une partie embryonnaire conservée. (...) Le “je” psychologique et cortical est le résultat d’un devenir mais second car il côtoie l’organique de sa mémoire corporelle. Cette coexistence est une intégration plutot qu’un emboîtement, car l’activité de la conscience ne peut être séparée de son tissu vivant, se définissant ainsi comme une conscience sensorielle” (citer Andrieu p.10) Dans notre contexte spécifique, cette conscience du corps, de son vécu immanent continent un savoir non-réfléchi et involontaire qui peut se cultiver par des pratiques somatiques et d’éveil corporel. Notre démarche est d’attribuer au mouvement une place primordiale dans la constitution de la conscience et de l’être en général. \subsection{La théorie 4E de la cognition or The 4E cognition theory} %https://www.researchgate.net/publication/280447321_Introduction_to_the_Special_Issue_on_4E_Cognition Nous présentons le concept de cognition sous l’angle de la théorie 4E dont les débats actuels se concentrent sur le lieu où se trouve la cognition et son lien avec la perception et l’action.Une des prémisses de cette théorie est que l’activité perceptive-motrice est constitutive pour la cognition (citer). La théorie 4E de la cognition défend l’hypothèse selon laquelle la cognition est plus qu’un modèle cartésien d’opération dans le cerveau. L’idée que le cerveau est similaire à un ordinateur, promeut les phénomènes cognitifs entièrement déterminés par leur rôle fonctionnel. Cependant dans la théorie 4E de la cognition, les phénomènes cognitifs sont étudiés en lien avec leur environnement. Des processus comme les détails biologiques et physiologiques du corps d’un agent, définies comme des processus extra-crâniens, sont analysés dans son environnement naturel actif. Cela donne suite à deux hypothèses d’analyse: selon l’hypothèse forte, les processus cognitifs sont essentiellement produites lors des processus extra-crâniens ; alors que pour l’hypothèse faible, ils y sont seulement à moitié résultats des processus extra-crâniens. Ces processus extra-crâniens sont à leur tour corporels (selon la dichotomie cerveau-corps) ou extracorporels (impliquant un couplage cerveau-corps-environnement). Le livre offre des précisions concernant les caractéristiques centrales de la théorie 4E, basée sur: la cognition incarnée ou incorporée (embodied), la cognition ancrée (embedded),la cognition énactée (enacted) et la cognition étendue (extended). Dans les prochaines pages, un sub-chapitre de notre étude porte sur la cognition incarnée, dont les désaccords entre les comportementalistes et les cognitivistes, la situent au cœur des débats en neurosciences. Dans notre contexte, cette propriété de la cognition d’être incorporée signifie être causalement dépendante de processus extracorporels qui ont lieu dans l’environnement proche du corps. Un autre sous-chapitre traite de l’enaction, vue par le neurologue Francesco Varela comme thèse sur la continuité entre la vie et l’esprit. L’approche traditionnelle de la cognition se concentre sur les processus neuronaux, alors que la théorie de la cognition 4E vise plutôt l’action incarnée dans le corps. Cette théorie amène des nouvelles façons d’intégrer la complexité des phénomènes cognitifs. Ces phénomènes sont étudiés sous un angle physiologique, suivant les avancements dans plusieurs domaines connexes. Dans son introduction au livre dédié à cette théorie (cite Menary), la position intégrationniste du philosophe Richard Menary offre une nouvelle contribution à l’approche incarnée et intégrée. Pour lui, les systèmes cognitifs fonctionnent grâce à l’intégration des fonctions neuronales et corporelles avec les fonctions de représentation. \subsection{Cognitivisme} La théorie 4E de la cognition marque également une rupture avec la vision traditionnelle du cognitivisme- centrée autour de représentations et calculs mentaux. Ce courant apparu dans les années 1950 a été promu entre outre par les recherches de Jean Piaget sur la biologie du développement et sur les découvertes en cybernétique, établie comme alternative à une science de l’esprit selon Varela: “The central intuition behind cognitivism is that intelligence—human intelligence included—so resembles computation in its essential characteristics that cognition can actually be defined as computations of symbolic representations. Clearly this orientation could not have emerged without the basis laid during the previous decade. The main difference was that one of the many original, tentative ideas was now promoted to a full-blown hypothesis, with a strong desire to set its boundaries apart from its broader, exploratory, and interdisciplinary roots, where the social and biological sciences figured preeminently with all their multifarious complexity.” (Varela P. 40) Les modèles théoriques et pratiques inspirés par cognitivisme, comme le constructivisme, placent les mécanismes de construction active des savoirs et l’apprentissage au centre de leur préoccupation. A son tour, le cognitivisme hérite des approchés précédentes la préoccupation pour le comportement, à la place des processus internes de cerveau, comme processus d’acquisition de savoirs. Un des questionnements du cognitivisme est de démontrer comment les états intentionnels qui ont des propriétés causales (désirs, intentions), sont physiquement possibles et capables de provoquer un comportement. Pour expliquer cela, Valera utilise la notion de calcul symbolique où les calculs sont définis comme opérations sur des symboles qui respectent ou sont contraints par ces valeurs sémantiques. Cependant il souligne qu’un ordinateur ne fonctionne que sur la forme physique des symboles qu’il calcule; il n’a pas accès à leur valeur sémantique. Avec le temps, l’idée que la logique ne suffit pas pour simuler et comprendre le fonctionnement du cerveau, dont le fonctionnement est distributif, a fait émerger de points de vue contradictoires sur le cognitivisme. Dans le livre “4E Cognition: Historical Roots, Key Concepts, and Central Issues”, Albert Newen, Shaun Gallagher, and Leon De Bruin offrent une perspective globale de la théorie 4E de la cognition. Leur chapitre “Brain–Body–Environment Coupling and Basic Sensory” explore le concept d’intentionnalité propre à cette approche. Ainsi, l’hypothèse selon laquelle la perception est orientée vers l’action, conduit à considérer l’intentionnalité motrice comme facteur qui la facilité : “The notion that perception is action-oriented leads to a consideration of a very basic motor intentionality —a concept that derives from phenomenology (e.g., Merleau-Ponty 2012), but that can also be found in pragmatists such as John Dewey. As Robert Brandom notes, citing Dewey, the “most fundamental kind of intentionality (in the sense of directedness toward objects) is the practical involvement with objects exhibited by a sentient creature dealing skillfully with its world” (2008, p. 178). This captures a form of intentionality that is built into skillful bodily movement in tandem with environmental demands.” Pour nous, ce genre d’intentionnalité qui ne part pas le résultat d’un processus mental, est représentatif pour l’état d’intentionnalité de geste dansé, mais aussi des robots. Alternativement, la notion d’incarnation, telle qu’elle est définie dans la théorie 4E, nécessite un couplage complexe entre le cerveau, le corps et l’environnement. Ce couplage est la base de tout système robotique où les processus internes sont en lien direct avec l’environnement. Le role de l’affecte Le concept d’affecte est également au cœur des études sur la cognition dans la théorie 4E où l’émotion est vue comme une affectivité située. Dans cette acceptation, la cognition n’est pas un processus quantifiable, similaire à un modèle informatique. L’affect nécessite une conception incarnée et située de la cognition. Les processus empathiques de la petite enfance ou les situations sociales sophistiquées qui caractérisent l’âge adulte, donnent une dimension plus complexe à ce phénomène. Ainsi nous remarquons que ce n’est pas seulement le sentiment conscient d’émotion qui est important. Les processus affectifs inconscients comme la faim ou la fatigue, la douleur ou le plaisir jouent un rôle tout aussi important, et peuvent biaiser la perception. De façon similaire, la chercheuse Branka Zei Pollermann introduit “le modèle unifié de cognition” basé sur les théories de Jean Piaget, Ludwig von Bertalanffy et Louis J. Prieto . Ce modèle stipule que les espaces affectives (affected spaces) facilitent des comportements adaptatifs lors des processus cognitifs. La théorie générale des systèmes trouve aujourd’hui de multiples applications. La modélisation des organismes humains, appelés comme “systèmes ouverts” par Ludwig von Bertalanffy , intéresse les roboticiens également et nous allons détailler cela dans les prochaines pages. L.J Prieto (1975) base sa théorie autour du concept de praxis (vu comme action intentionnelle) et la façon dont cela structure la cognition. Il identifie “une caractéristique qui semble apparaître toujours dans la connaissance scientifique et qui ne se retrouve pas, en revanche, dans la connaissance non scientifique, à savoir l’explicitation des concepts avec lesquels la connaissance en question opère.” Alors que Jean Piaget identifie deux concepts-clé pour caractériser l’interaction des systèmes dites intelligentes avec l’environnement. Le premier est le concept d’ assimilation des schémas de comportement préexistant et l’autre le concept d’adaptation- considéré comme moment d’équilibre entre deux états, évoquant un sentiment de plaisir si cet équilibre atteint. Selon la théorie de Piaget, l’intelligence humaine se développe avec l’âge passant par plusieurs étapes parmi lesquelles: l’intelligence logico-mathématique, musicale, spatiale, corporelle-kinesthésique, interpersonnelle et ainsi de suite. Le chercheur Olivier Houdé, specialiste en developpement cognitif, complète cette théorie (citer Houdé), en situant trois phases de l’intelligence humaine modélisés dans des algorithmes: l’intelligence sensori-motrice (avant 6 ans), l’intelligence opérationnelle concrète tel comme définie par Jean Piaget (entre 7 et 12 ans) et l’intelligence propre à la résistance cognitive, nommé intelligence opérationnelle formelle (de l’adolescence à l’âge adulte) permettant le raisonnement scientifique et l’ apprentissage des valeurs et normes sociales. Dans son analyse “A unified model of cognition, emotion and action”, Pollermann montre comment le comportement adaptatif d’un système est défini par sa capacité de correspondre aux cinq critères suivants: “A.sentir l’environnement externe et interne, interpréter puis stocker l’information B. utiliser la mémoire et les signaux perceptives pour décider C. réguler les ressources internes( pour les humains il s’agit d’ ajustements au niveau somatique et neuroendocrin) D. transformer les actions choisies en modèles de comportement E. evaluer le rendu (perception, procession de l’information et mémoire)” De façon analogique, ces critères correspondent à des propriétés des émotions, caractérisées par des attributs comme la valence (critère A et E via des stimuli extérieurs), la capacité d’activation (critère C et D, selon les feedback de sous-systèmes) et la potence (correspondant au critère B). Plus loin en parlant des émotions, Pollermann cite le neuropsychologist Douglas Watt pour qui lorsque les paramètres de base dépassent les variations connues, l’état est ressenti et interprété comme émotionnel: “When internal physiological states are outside a desirable range, both visceral sensations and action dispositions are activated.” Les auteurs se questionnent également sur le rôle des représentations mentales concernant cette théorie. Dans les années 1990, Varela, Thompson et Rosch écrivent “The Embodied Mind- Cognitive Science and Human Experience” pour faire un état de lieu des caractéristiques des sciences cognitives, plus précisément la façon dont le cerveau, le corps et l’environnement sont intégrés dans la cognition. Ils lient l’avènement de cette discipline à celle de la cybernétique, en lui associant plusieurs découvertes qui ont influencé à leur tour d’autre domaines parmi lesquelles nous mentionnons: l’utilisation de la logique mathématique pour modéliser le système nerveux en neuroscience, l’invention des machines et algorithmes pour traiter de l’information et définir une intelligence artificielle, des mises en pratique de la théorie des systèmes en ingénierie par la théorie du contrôle en robotique, les premiers exemples de systèmes auto-organisés, etc. Concernant les prochaines étapes dans les sciences cognitives, les approches et directions sont différentes selon le modèle théorique qu’elles réclament comme point d’origine. Lors des dernières décennies, ces disciplines ont suscité beaucoup de débats entre les prises de position fonctionnelles des neurobiologistes qui ignorent le rôle du corps et les phénoménologues et philosophes qui visent le vécu expérientiel. La théorie de 4E est vue par la communauté scientifique comme la plus récente tentative de structurer ces approches et renouveler les avancées théoriques du début de XXe siècle. C’est également important de remarquer le fait que ces nouveaux paradigmes et concepts ont également engendré l’apparition des nouvelles disciplines comme la philosophie de l’esprit (de l’anglais : philosophy of mind) dont la question centrale est la relation entre corps et esprit et leur ancrage dans l’environnement, ou la philosophie des sciences (de l’anglais : philosophy of mind) qui étudie la nature même de l’activité scientifique et ses spécificités et l’épistémologie (du grec épistemos-”science” et logos “ discours”), dont l’objet est l’analyse critique d’une science en particulier, du point de vue de son évolution, sa valeur, et sa portée scientifique et philosophique. C’est également important de mentionner leur impact sur des disciplines connexes, tels les études sur la conscience, dont les débats et arguments ont suivi de pret ceux sur la cognition. \section{Types de conscience} Souvent nous disons qu’un organisme vivant est conscient lorsqu’il est éveillé. Quelle sera alors le qualificatif pour les robots ou d’autres types d’organismes artificiels? Nous partons de l’hypothèse que pour les organismes vivants, chacun a son propre ressenti concernant la conscience. Si pour l’intelligence, des propriétés tels : calcul mental, apprentissage et mémoire arrivent à mieux définir ses propriétés, nous avons vu plus haut que pour la conscience ce qui est important c’est l’expérience subjective immédiate- le qualia. En parallèle avec l’intelligence, des processus comme la perception et la motricité sensorielle, la capacité de prédire l’environnement ou de témoigner des comportements complexes, structurent notre imaginaire autour de cette notion. Étant donné l’imprécision des concepts et la multiplicité des points de vue selon les disciplines, il semble peu probable que nous nous mettions d’accord sur une seule définition de la conscience dans notre étude. Ce qui nous intéresse cependant est de comprendre dans quelle mesure le dualisme corps-esprit et le matérialisme trouvent un écho dans l’exercice artistique que nous imaginons Cet exercice prend appui sur plusieurs concepts propres à chaque vision (dualiste ou moniste) dans une tentative de les homogénéiser. Puisque les débats sur la conscience, comme ceux sur la cognition se heurtent toujours à des questions de définition, nous allons tenter définir ce terme selon différentes disciplines. La plus importante est la vision neuroscientifique et neurobiologique du terme. Pour cela nous nous appuyons sur la littérature (citer livre Firston et art Anil Seth). Selon les critères que les chercheurs emploient, il existent différentes propriétés de la conscience. Un premier critère est celui du niveau de conscience, propre aux créatures vivantes- ce niveau varie entre plusieurs étapes parmi lesquelles les états végétatifs, les états de sommeil sans rêve et l’état d’éveil conscient vif)/. Le deuxième est de se concentrer sur le contenu de la conscience et ainsi avoir une connaissance réflexive de son propre état mental. Si pour les créatures vivantes, il existe des sortes de “stimuli autoréférentiels” (citer paper vanhaudenhuyse) (comme le fait de suivre son reflet dans le miroir) pour détecter son propre niveau de conscience, pour les machines ce phénomène n’a pas encore pu être implémenté. L’article (citer paper vanhaudenhuyse) propose un schéma qui détaille la corrélation entre le niveau d’éveil et la conscience de soi et de l’environnement. Ainsi nous apprenons qu’il existe des variations entre l’état végetatif (propre aux patients réveillés d’une coma sans état de conscience détectée)caractérisé par des mouvements réflexes, et l’état de conscience minimale ou le patient est capable de comportements incohérents mais reproductibles et soutenus, montrant de signes clairs de conscience de leur environnement et d’eux mêmes. Plus loin les auteurs font la distinction entre la conscience et la conscience de soi, en listant les propriétés de la conscience de soi: “ la conscience qu’il existe d’autres consciences que la nôtre; notre capacité de répondre adéquatement à des stimuli de l’environnement; notre aptitude à reconnaître notre corps comme étant lenôtre; la métaconscience nous permet de comprendre nos comportements et ceux des autres en terme de désirs etcroyances; la connaissance que nous avons de nous-mêmes comme le narrateur de notre propre vie” (paper vanhaudenhuyse p.529) Cependant lorsque identifiés grâce à la neuro-imagerie fonctionnelle, les processus autoréférentiels semblent présents seulement lors des états d’éveil actif. Dans la même mesure, lors des états de conscience altérés dont l’évolution n’est pas linéaire, le rapport à l’environnement est déterminant. Nous nous demandons alors quelle analogie appliquer sur notre étude de cas ? Il existe ensuite un autre type de classification selon la nature phénoménologique de la conscience et son accessibilité, suivant les recherches du philosophe Ned Block qui différencie la conscience phénoménologique (comment une certaine expérience est perçue par le sujet) de celle définie comme conscience d’accès (disponible pour des processus cognitifs comme le langage). Block décrit les deux de la façon suivante: "Phenomenal consciousness is experience; the phenomenally conscious aspect of a state is what it is like to be in that state. The mark of access-consciousness, by contrast, is availability for use in reasoning and rationally guiding speech and action." (citer Block) Ainsi la conscience phénoménale résulte d’expériences sensorielles et de notre perception mélangeant de sensations comme l’ouïe ou l’odorat, des sensations type douleur ou perceptions type proprioception, ainsi que des émotions tel la peur, parmi autres. A l’opposée, la conscience d’accès est disponible pour une utilisation dans le raisonnement et pour le contrôle conscient direct de l’action et de la parole. Pour Block, la « rapportabilité » de la conscience d’accès est d’une grande importance pratique. Selon lui, la conscience d’accès doit être « représentative » car seul le contenu représentatif peut figurer dans le raisonnement. Des exemples de conscience d’accès sont les pensées, les croyances et les désirs. Une conséquence directe de cette classification de Block qui divise la conscience en deux types, est le fait de considérer l’esprit comme résultant de processus fondamentalement logiques et ainsi modélisable d’un point de vue algorithmique. Cette vision computationnelle de l’esprit implique également que la conscience peut être modélisée par un programme informatique. Pour détailler, sa tentative de décrire une certaine conscience comme une conscience phénoménale ne peut pas réussir à identifier une catégorie distincte d’états conscients. Comme mentionné ci-dessus, Block estime que la conscience phénoménale et la conscience d’accès interagissent normalement, mais il est possible d’avoir une conscience d’accès sans conscience phénoménale. En particulier, Block croit comme Dennet que les zombies (entendu ici comme des androïdes) sont possibles et qu’un robot qui est de point de vue informatique identique à une personne, pourrait exister tout en n’ayant aucune conscience phénoménale. Cependant à la différence de Dannet, Block affirme qu’il existe des expériences conscientes difficilement traduisibles par des algorithmes. Pour lui, l’existence de ces expériences relève « du problème difficile » de la conscience. Parmi les théories des sciences cognitives qui identifient les états psychologiques à des processus neurophysiologiques, la théorie de l’identité esprit-cerveau est apparue dans les années 1960. Pour les partisans de cette hypothèse, les états mentaux et les états du cerveau sont numériquement identiques. L’idée que les pensées et notre esprit résident exclusivement dans des processus neurophysiologiques étant une perspective naturaliste, les neurosciences nous permettent de comprendre en quoi certaines structures et certains processus neurophysiologiques du cerveau sont prédictibles par des machines. Cependant, les phénomènes mentaux sont multiples et chaque individu les traduit différemment dans sa personnalité. Nos perceptions, sensations, désirs, et croyances sont influencés par notre contexte socio-culturel. Pour les anticiper par des prédictions, les scientifiques doivent faire appel à d’ autres méthodes et théories. Un courant dérivé de cette théorie de l’identité esprit-cerveau est l’instrumentalisme, mis en place par le philosophe et penseur Daniel Dannett. Cette théorie considère les modèles scientifiques comme des instruments, nous permettant d’analyser et modéliser les phénomènes pour ensuite les devancer par des prédictions. Ses positions concernant le libre arbitre et la conscience ont suscité beaucoup de controverses. Ainsi dans son livre “Consciousness Explained” (1991) il explique comment la conscience est le résultat des processus cognitives et physiologiques dans le cerveau. Son analogie de la conscience vue comme un article académique coécrit par une poignée de scientifiques explique comment plusieurs processus mentaux peuvent exister simultanément dans le cerveau, sans forcément se connaître l’ un l’autre. Ce principe correspond à un état où plusieurs brouillons coexistent simultanément et indépendamment de chaque contribution- attestant l’existence du papier principal. En extrapolant ces principes au terme de conscience, il nie cependant l’existence de qualia, vu comme expérience subjective directe et personnelle. Des philosophes tels John Searle ont suggéré qu’il y a quelque chose de fondamental dans l’expérience subjective qui ne peut pas être capturé par les programmes informatiques conventionnels. Dans une de leurs correspondances, Searle réponds à ses arguments de la façon suivante: “To make explicit the differences between conscious events and, for example, mountains and molecules, I said consciousness has a first-person or subjective ontology. By that I mean that conscious states only exist when experienced by a subject and they exist only from the first-person point of view of that subject. Such events are the data which a theory of consciousness is supposed to explain. In my account of consciousness I start with the data; Dennett denies the existence of the data. To put it as clearly as I can: in his book, Consciousness Explained, Dennett denies the existence of consciousness. He continues to use the word, but he means something different by it. For him, it refers only to third-person phenomena, not to the first-person conscious feelings and experiences we all have. For Dennett there is no difference between us humans and complex zombies who lack any inner feelings, because we are all just complex zombies.” Un des arguments le plus fameux que Searle avance dans leur débat est celui appelé the ‘Chinese Room Argument’, où une personne enfermée dans une chambre communique avec l’extérieur en chinois, sans comprendre les symboles chinois. Ce fonctionnement est similaire aux algorithmes de traduction qui exécutent des équivalences entre des mots, sans saisir leur sens. \subsection{The hard problem of consciousnes} Dans son article, “Facing Up to the Problem of Consciousness” le philosophe David J. Chalmers affirme qu’il n’y a pas qu’un seul problème lorsque nous essayons de définir la conscience. Pour lui il s’agit d’un terme ambigu en référence à des phénomènes différents, et propose de diviser les objectifs en deux catégories- le problème facile de la conscience et le problème difficile de la conscience. Le problème facile de la conscience continent les hypothèses qui pourront trouver leurs solutions dans l’avenir immédiat- notamment les processus neurophysiologiques dans le cerveau et l’intelligence sensorielle du corps qui donnent accès à des explications des capacités et des fonctions cognitives. Chalmers illustre les phénomènes qui correspondent à cet état. Pour lui un état mental est conscient lorsqu’il est décrit par des mots, ou lorsqu’il est accessible comme ressenti interne. Un système est conscient de certaines informations lorsqu’il traite et intègre cette information, puis modifie son comportement en conséquence. De la même façon, une action est consciente quand elle est délibérée. Alors que le problème difficile de la conscience atteste de l’incapacité de modéliser certaines expériences subjectives et leur vécu. Pour citer Chalmers: “Is undeniable that some organisms are subjects of experience. But the question of how it is that these systems are subjects of experience is perplexing. Why is it that when our cognitive systems engage in visual and auditory information-processing, we have visual or auditory experience: the quality of deep blue, the sensation of middle C? How can we explain why there is something it is like to entertain a mental image, or to experience an emotion? It is widely agreed that experience arises from a physical basis, but we have no good explanation of why and how it arises. Why should physical processing give rise to a rich inner life at all? It seems objectively unreasonable that it should, and yet it does.”(Chalmers p.3) Son argumentation va plus loin, en donnant l’exemple de la perception visuelle. Il décrit comment les formes d’ondes électromagnétiques empiétant sur la rétine, sont discriminées et catégorisées par un système visuel pour que cette catégorisation est vécue comme la sensation de vif rouge. Ensuite, il montre comment l’expérience consciente qui survient lorsque ces fonctions sont exécutées, est difficile à expliquer et vérifier - correspondant à ce que la communauté philosophique a défini comme une sorte de “lacune explicative entre les fonctions et l’expérience”. Il propose que les théories sur la conscience traitent l’expérience comme partie intégrante: “I suggest that a theory of consciousness should take experience as fundamental. We know that a theory of consciousness requires the addition of something fundamental to our ontology, as everything in physical theory is compatible with the absence of consciousness. We might add some entirely new nonphysical feature, from which experience can be derived, but it is hard to see what such a feature would be like. More likely, we will take experience itself as a fundamental feature of the world, alongside mass, charge, and space-time.”(Chalmers p.14) En anglais le terme de conscience permet une déclinaison en deux instances, celle de conscience comme vécu expérientiel et celui d’awareness ou forme de réceptivité caractérisé par le principe de la cohérence: “Various specific hypotheses have been put forward. For example, Crick and Koch (1990) suggest that 40-Hz oscillations may be the neural correlate of consciousness, whereas Libet (1993) suggests that temporally-extended neural activity is central.If we accept the principle of coherence, the most direct physical correlate of consciousness is awareness: the process whereby information is made directly available for global control. The different specific hypotheses can be interpreted as empirical suggestions about how awareness might be achieved. For example, Crick and Koch suggest that 40-Hz oscillations are the gateway by which information is integrated into working memory and thereby made available to later processes. Similarly, it is natural to suppose that Libet’s temporally extended activity is relevant precisely because only that sort of activity achieves global availability.” Pareil au Chalmers, Block croit que nous pouvons avoir des expériences conscientes qui ne sont pas traduisibles par des algorithmes de calcul. Un exemple de conscience phénoménale discuté par Block est un bruit fort que nous ne remarquons pas consciemment parce que nous faisons attention à autre chose. Dans sa classification, le fait d’entendre le bruit (puisque nous ne pouvons pas couvrir notre oreille comme la paupière) relève de la conscience phénoménale alors que le fait de ne pas s’en rendre compte relève de la conscience d’accès. Cela suggère que ce type de conscience phénoménale décrite par Block, est basée sur une activité cérébrale classifiée comme inconsciente donc difficilement modélisable par des algorithmes de calcul. Le rôle de l’introspection L’introspection peut nous permettre d’être conscients des processus mentaux qui semblent avoir une séquence linéaire comme la production de la parole ou des lignes de raisonnement. Elle agit également lors des actes artistiques. Pendant la phase de création, un artiste sonde son imaginaire pour clarifier ses intuitions. Lorsque nous faisons référence à l’exemple de Block, c’est intéressant de mentionner un possible scénario où la personne aurait prêté attention au bruit auparavant ignoré, comme un type d’expérience subjective, à la limite de la conscience d’accès, pour ensuite déterminer à partir de quand le bruit est devenu conscient. Cette introspection liée à un stimulus extérieur, trouve son équivalent dans l’acte d’introspection de l’artiste qui veut mieux comprendre sa démarche. La distinction de Block entre conscience phénoménale et conscience d’accès a des implications importantes pour les neuroscientifiques et les informaticiens qui cherchent à modéliser une conscience artificielle dans des dispositifs tels les robots. Mais une fois cette intention exprimée, comment pouvons-nous savoir si l’algorithme a produit une conscience semblable à celle de l’homme? Dans la même mesure, produire ces expériences subjectives de la conscience phénoménale dans des robots implique des considérations éthiques. Heureusement le moyen pour doter rationnellement les machines de nos expériences personnelles, parfois irrationnelles, n’est pas encore à notre portée. Selon les avancées des sciences cela pourra se faire par des mécanismes non informatiques. Même si la communauté scientifique est divisée et de nombreux neuro-biologistes et informaticiens estiment que les philosophes sont trop pessimistes quant aux capacités des algorithmes à modéliser la conscience humaine, il est important de comprendre nos motivations et intentions face à cela. Peu importe ce que nous identifions comme processus physiques qui génèrent la conscience, tant que nous ne pouvons pas comprendre comment ils se manifestent dans chaque individualité nous ne comprendrons pas leur impacte une fois réalisée. Mais une fois cela fait, il reste toujours un problème de vérification car en construisant des machines qui fonctionnent comme nous, nous n’avons aucun moyen de savoir si le rendu biologique suffit pour une expérience intérieure interne. En d’autre termes, comment pouvons-nous savoir si un robot a une conscience phénoménale alors que notre moyen actuel pour déterminer cela dans les humains passe par le vécu expérientiel? D’autres philosophes tels Thomas Nagel affirment qu’il est impossible de déterminer les points communs entre une expérience directe, évoquée à la première personne et les descriptions à la troisième personne des expériences passées qui forment à leur tour des modèles. Dans son article "What Is It Like to Be a Bat?" (1974) traduit en français par “ Qu’est-ce que cela veut dire d’être un chauve-souri?”, le philosophe décrit la conscience comme un phénomène partagé par beaucoup des organismes vivants (notamment les mammifères dont le chauve-souris), dans le même temps faisant une distinction entre conscience et perception sensorielle. Pour lui, ce que tous les organismes partagent, c’est ce qu’il appelle le « caractère subjectif de l’expérience ». Cette nature subjective bloque toute tentative d’expliquer la conscience par des moyens objectifs comme les neurosciences ou la robotique. L’auteur a choisi la métaphore des chauves-souris en raison de leur appareil sensoriel originel. En effet, les chauves-souris utilisent l’écholocalisation pour naviguer et percevoir des objets, cette méthode de perception étant similaire à la vision des humains. L’auteur affirme que les humains dotés de sens similaires ne peuvent pas cependant expérimenter l’état d’esprit d’une chauve-souris, puisque leur cerveau ne s’est pas développé comme celui d’une chauve-souris dès sa naissance. En échange des comportements de type voler, naviguer en sonar ou se suspendre à l’envers comme une chauve-souris, faciliteront des expériences similaires à ce qu’une chauve-souris peut vivre. Cette hypothèse est évoqué avec des autres mots par Penny qui mentionne l’origine du concept de spécificité des capacités sensorielles, dans son chapitre “The biology of cognition”. Ainsi Penny mentionne le travail du biologiste Jacob Von Uexkull, au début du XXe siècle : “Von Uexkull argued that the experiential world of a creature is specific to that species, given to it by virtue of its particular suite of sensorimotor capabilities. He called this the creature’s umwelt, which we might translate as life-world or experience-world. Put simply, in sensory experience, there is no objective world "out there." By this logic, mind and world are simultaneously cocreated. (...)Different species do not share umwelts, even if they happen to be physi­cally colocated. Umwelts may intersect, like Venn diagrams, in which case different species can identify similar things. Creatures may cohabit the same "place" and be unaware of each other because their umwelts do not inter­sect, due to differences of scale, sensory capability, and so on. Some animals construct their umwelts via senses others do not have—such as the infra­red sensing of some snakes, the echolocation of bats, the electro-sensing of platypus and some weakly electric fish, and the magneto-sensing of the hammerhead shark.” (penny making sense p. 17 Ainsi selon les capacités sensorielles de chacun, il est possible d’avoir une conscience phénoménale et d’accéder à la conscience d’accès indépendamment, bien qu’en général, les deux interagissent. Le papier (citer friston p. 195) liste également les propriétés de la conscience: avoir un contenu phénoménal spécifique, être en contact direct avec la réalité et pas ses représentations, être instantanée. La conscience dévient alors un aspect direct et privé de la vie mentale de chacun, puisque cela nous est impossible de faire l’expérience d’une autre conscience que la nôtre. Nous pouvons faire cependant l’expérience d’une subjectivité, en écoutant le ressenti d’une autre personne. Dans son article, “Consciousness: The last 50 years.” le neuroscientifique Anil K. Seth souligne le caractère interdisciplinaire des études sur la conscience et la volonté de tisser des ponts entre les expériences phénoménologiques et le fonctionnement neuronal. Pour lui, l’expérience phénoménologique ne peut pas exister sans l’ancrage du corps dans son environnement - en anglais “ an environment embedded embodiment processes”. Seth trace l’histoire des études sur la conscience , en tant que phénomène neurologique identifiant une première étape entre 1960 et 1990. Ainsi, après un intérêt particulier pour des études comportementales, les scientifiques mettent les bases d’une nouvelle science cognitive. Cette science atteste l’existence d’un état mental interne qui fait la médiation entre réponse et stimulation et qui fait beaucoup de polémique à son époque. Seth cite entre autres le psychologue Stuart Sutherland qui affirmait en 1989 : “Consciousness is a fascinating but elusive phenomenon. It is impossible to specify what it is, what it does, or why it evolved. Nothing worth reading has been written on it. “ Tandis que des autres chercheurs qu’il cite, se heurtent aux limites de leurs recherches respectives quant à l’unité de la conscience. Il note la contribution de Michael Gazzaniga sur le fait que possiblement la conscience se manifeste à travers plusieurs processus selon les hémisphères cérébraux (alternant des processus cognitifs entre l’hémisphère droit et gauche). Aussi celle de Benjamin Libert qui fait des expériences en lien avec le libre arbitre et les mouvements volontaires. La deuxième étape dans l’évolution des études sur la conscience commence dans les années 1990 jusqu’au moment présent. Cette période est marqué par les études de Christoph Koch dont le papier “Towards a neurobiological theory of consciousness” inspirent la voie de ce qu’aujourd’hui s’appelle “the hard problem of consciousness” ou la simulation neurobiologique de la conscience comme processus purement physiologique. Seth mentionne également Karl Friston dont le principe d’énergie libre (Free Energy Principle- FEP) renforce l’hypothèse que la perception est influencée par l’action, au niveau neuronal. Devenu entre-temps principe normatif qui décrit les systèmes adaptatifs capables d’auto-organisation, le FEP est sujet à des nombreux débats dans la communauté scientifique, notamment en lien avec le concept de représentation ou modification interne propre aux organismes vivants (cite pezzulo et sims) . \subsection{Relation conscience-action} Dans le chapitre “What’s the use of consciousness” du livre The Pragmatic Turn Toward Action-Oriented Views in Cognitive Science, résultat d’une semaine de débats entre neurologues, psychologues et philosophes, Anil Seth décrit une nouvelle approche dans les sciences cognitives qui vise le rôle de l’action dans les processus cognitives et implicitement la conscience. A l’opposé des représentations internes suite au calcul mental, l’action favorise une vision énactée (enacted), ancrée (embedded) et incorporée (embodied) de systèmes cognitifs. Pour Seth, cela marque une tournure pragmatique dans l’évolution de ces sciences et leur vécu expérientiel associé. Avec ses collègues, ils établissent quatre approche théoriques clé, pour mieux définir leur cadre: 1/ le cerveau Baesyian (Baesyian brain) - cette approche définit la perception comme un processus d’inférence des signaux sensorielles; elle définit aussi le rôle des erreurs comme moyen d’affiner cette inférence 2/ la contingence sensori-motrice (sensorimotor contingency- SMC)- pour cette approche, la perception est une capacité d’engagement dans l’environnement qui s’améliore avec le temps 3/ le système de control adaptatif-distributif(distributed adaptive control- DAC)- envisage le cerveau comme outil incorporé en relation avec l’environnement 4/ l’autonomie énactée est un principe qui stipule l’importance de l’autonomie et de l’auto-organisation pour la cognition, en lien avec le travail du neurologue Francesco Varela. Une de leurs questions principales est “Comment l’action structure la conscience et qu’est ce que détermine la cognition de l’action?”(cite page 262) Schema of theoretical frameworks qui ont servi comme discussions pour la relation action-conscience. P 266 Frist \subsection{La boucle perception-action-cognition} Toujours dans le même chapitre, les chercheurs Chris D. Frith et Thomas Metzinger partent de l’idée que la conscience en tant qu’expérience subjective, influence certains comportements. Ainsi ils abordent la question de la conscience du point de vue de la théorie de l’évolution, en précisant que sa présence, détectée chez certains animaux et humains, implique un “certain avantage évolutif”. Ils identifient la relation perception-action-cognition comme cadre d’exploration pour les expériences subjectives: “conscious experience could then be a single, generative model of reality including a mode of the self as currently acting, perceiving, and thinking.” (friston, p.194) Dans le monde des machines, les résultats les plus concluants pour illustrer des processus mentaux sont dans le domaine de l’intelligence artificielle. Avant de comprendre ce qu’est la conscience artificielle, nous nous appuyons sur les résultats et les problématiques propres à ce domaine. \subsection{Homéostasie physiologique, IA et autopoièse} Le philosophe et psychologue Zoltan Torey, décrit dans son livre “The crucible of consciousness” la difficulté des scientifiques d’argumenter l’existence de la conscience, au-delà du formalisme mathématico-logique. Pour lui le formalisme est seulement une spécification des opérations et transactions neuronales dans le cerveau. Ces opérations deviennent des instances de protocoles pour des machines. Mais, comme le remarque Roger Penrose, que Torey cite: “Algorithms themselves never ascertain truths. It would be as easy to make an algorithm produce nothing but falsehood as it would be to make it produce truths. One needs external insights to decide the validity or otherwise of an algorithm.” Ces “discriminants externes” sont pour Torey, la preuve même que les systèmes gouvernés par ce formalisme sont incomplets. De plus, il extrapole sa démonstration à tout système formel- mathématique, logique ou philosophie analytique, en précisant que le cerveau qui a généré ces formalismes par des opérations mentales ne peut pas être modélisé par un ordinateur- puisque que cet ordinateur ne génère pas des autres systemes à son tour. Cela rejoint, au moins en partie, la visions de Michel Bitbol pour qui l’expérience phénoménologique de la conscience ne peut pas être vérifié par des critères: “ nous n’avons rigoureusement aucun critère nous permettant de savoir, ni même de deviner, qu’un artéfact fabriqué par nous est ou n’est pas doté de conscience phénoménale. Il est vrai que nous pourrions tomber dessus par hasard, et mettre en place les conditions d’une conscience phénoménale sans le faire exprès; mais dans ce cas, nul signe, pas le plus petit indice, ne nous permettrait de savoir que nous avons réussi (ou de savoir le contraire). C’est ce que signale à juste titre le neurobiologiste Jesse Prinz : « À quel degré de proximité avec le cerveau humain un ordinateur doit-il parvenir, avant que nous puissions dire qu’il est probablement conscient ? Il n’y a aucune manière de répondre à cette question. »” La conscience artificielle : Une critique pensée et vécue. Michel Bitbol Archives Husserl, France Chroniques Phénoménologiques, 2018 Pour aller plus loin, des chercheurs (citer art multitudes) sintérrogent sur la façon dont notre société s’est emparé du phénomène de l’intelligence artificielle, notamment sa branche connexionniste avec ses prédictions calculées et des ouvriers à la tâche qui nourrissent des algorithmes de machine learning. Puisque cela se répercute dans toutes les domaines de nos vies, ils prônent une culture critique de l’IA, et les biais statistiques que cela engendre, en prenant conscience du fait que “nous sommes les sens et la conscience des machines”. Ainsi la perspective d’une “weak AI” (où les programmes simulent et modélisent la pensée humaine), prédomine celle de “strong AI”(où les programmes “pensent” par elles-mêmes). De la même manière, le neurologue Stanislas Dehaene considère que les processus inconscients, sont la preuve que la conscience ne peut-pas être modélisée: “We cannot be conscious of what we are not conscious of”. This truism has deep consequences. Because we are blind to our unconscious processes, we tend to underestimate their role in our mental life. However, cognitive neuroscientists developed various means of presenting images or sounds without inducing any conscious experience and then used behavioral and brain imaging to probe their processing depth(...) Subliminal digits, words, faces, or objects can be invariantly recognized and influence motor, semantic, and decision levels of processing. Neuroimaging methods reveal that the vast majority of brain areas can be activated nonconsciously.” What is consciousness, and could machines have it? Stanislas Dehaene, Lau H, Kouider S, revue Science, 2017 Pour mieux illustrer le concept d’intelligence artificielle, nous faisons référence aux raisonnements de la philosophe Catherine Malabou. Pour elle, il s’agit d’une relation de coopération entre humain et machine: “J’ai refusé dès le début de me placer dans l’optique d’une compétition entre homme et machine. C’est la façon de voir la plus courante, je la laisse à d’autres et préfère tenter d’ouvrir une autre voie. En effet, choisir la compétition, c’est perdre à tous les coups. Car la mise en concurrence homme/machine est un faux problème. Pour de multiples raisons. J’en évoquerai une seule ici. Croire qu’il existe une réalité humaine intacte de toute aliénation technologique est une illusion qui s’effondre facilement dès que l’on prend en compte le fait que le cerveau humain – parlons de lui puisque c’est bien de lui qu’il s’agit – s’est développé épigénétiquement dans son interaction avec les artefacts. Leroi-Gourhan l’explique magnifiquement. Du silex à la cybernétique, le mécanisme de l’interaction est le même. Notre cerveau ne peut fonctionner qu’à se mettre au dehors, à prolonger son système par des prothèses (cf. « l’exorganologie » de Bernard Stiegler), au point qu’il est impossible de faire la part, dans l’évolution cérébrale des hommes depuis la préhistoire, entre nature et technique. Un cerveau qui ne serait pas prolongé par des artifices serait un cerveau mort.” Malabou souligne la distinction entre le concept philosophique d’intellect et celui d’intelligence, dont l’apparition est plutôt liée au Bergson et au développement de la psychologie expérimentale en fin de XIXe siècle. Elle défend un point de vue matérialiste selon lequel: “l’esprit, l’entendement, disons toutes les fonctions intellectuelles, comme on voudra les appeler, sont étroitement dépendantes des bases matérielles et organiques sur lesquelles elles reposent. Ayant beaucoup travaillé sur le cerveau, je suis convaincue qu’il n’existe pas de lieu séparé qui abriterait les opérations mentales et cognitives, elles dérivent toutes de processus neuronaux. Il est donc impossible de ne pas associer intelligence et cerveau.” Cependant, réduire l’intelligence humaine a du calcul mathématique et des termes quantitatifs, n’a pas de sens pour elle, sauf si ce calcul invente les concepts sur lesquels il résonne. Plus spécifiquement, elle propose comme définition minima de l’intelligence “l’invention de son objet”. Dans un entretien avec Catherine Malabou, le cinéaste Ariel Kyrou cite le livre “Cerveau augmenté, homme diminué” du philosophe Miguel Benasayag pour qui « la pensée n’est pas déposée dans les réseaux de neurones comme un software figé installé dans le hardware. Elle est distribuée dans le corps et dans le milieu, dans l’échange entre l’un et l’autre, ainsi que dans l’histoire – s’inscrivant ainsi dans une évolution complexe qui n’a aucun rapport avec celle des versions successives de logiciels enrichis de nouvelles lignes de code informatique (2.0, 2.1, 2.12, etc.). » Pour Kyrou l’aboutissement de tout cela sera une IA qui arrive par elle-même à définir son sujet de recherche. Puis il évoque ce qu’il identifie comme différences entre sa pensée et celle de Malabou, notamment du point de vue des conséquences que les avancées de la recherche en IA apporteront. Il évoque également ce qu’ils partagent comme opinions autour de trois axes: “la façon dont les « techniques », du silex à l’écriture et dorénavant au monde numérique, contribuent à fabriquer et à faire évoluer notre cerveau, comme l’ont montré l’archéologue et ethnologue André Leroi-Gourhan et sur un registre philosophique selon moi déterminant Bernard Stiegler ; la nécessité d’éviter tout réductionnisme, d’où qu’il vienne, qu’il se veuille scientifique, psychologique ou philosophique ; et enfin l’importance cruciale de laisser grandes ouvertes les portes du futur, c’est-à-dire de ne jamais réduire l’avenir à une voie unique, qui serait connue d’avance des « sachant » de toutes obédiences.”(citer Kyrou) La perspective théorique que dans un futur plus ou moins lointain, un autre type d’intelligence- plurielle, imprévisible et complémentaire à l’intelligence humaine- verra le jour. Ainsi l’intelligence artificielle connexionniste transpose le modèle des réseaux de neurones et leur façon de traiter l’information basée sur des calculs à des machines, tandis que l’intelligence artificielle symbolique traite cette information par la manipulation de symboles en explorant des données massives sur le comportement humain. Hémisphère droite comme symbole de la créativité Hémisphère gauche comme symbole de la pensée analytique \section{Embodiment. Body schema vs. Body image} Le début des années 1990 est marqué par la publication de plusieurs ouvrages comme celles de Brooks, Dreyfus et Varela, Thompson \& Rosch. Plusieurs de ces ouvrages mentionnent le terme de cognition incarnée- Embodied Cognition qui englobe des notions en sciences cognitives, informatique et phénoménologie mais aussi linguistique et mysticisme oriental parmi autres. TRente ans plus tard, l’artiste et chercheur Simon Penny va plus loin dans l’appréhension du phénomène de la conscience en le liant à celui de la cognition: “Cognition is held not to occur (exclusively) in the head or necessarily in some immaterial space of logical manipulation of symbolic tokens. These approaches propose, in different ways, that cognition is embodied; integrated with non-neural bodily tissues; or extends into artifacts, the designed environment,social systems, and cultural networks (...) We cannot meaningfully speak of intelligence as occurring exclusively inside the skull, connecting to the body and the world via mechanistic sensors and effectors. On the contrary, cognition is biologically material and embodied, and discussing it outside such contexts is of dubious value. Furthermore, cognition is dynamic; it occurs as a temporally ongoing relational engagement with architectures, artifacts, tools, language, human (and interspecies) relationships, and social systems. (...) The computer is a machine for manipulating symbols. The world is not symbols; we turn the world into symbols for the computer. Humans are the analog to digital interface between the world and the internet. The world remains outside the computer and outside the symbolic, but under the hegemony of the digital, the conflation of the products of computing with the world, bizarrely, goes unremarked.” Simon Penny in Making Sense: Cognition, Computing, Art, and Embodiment (2019) \subsection{How the body shapes the mind} Dans son livre, Gallagher présente le rôle du schéma corporel dans une gamme de fonctions cognitives perceptives, parmi lesquelles la différenciation de soi et des autres. “In the beginning, that is, at the time of our birth, our human capacities for perception and behavior have already been shaped by our movement. Prenatal bodily movement has already been organized along the lines of our own human shape, in proprioceptive and cross-modal registrations, in ways that provide a capacity for experiencing a basic distinction between our own embodied existence and everything else. As a result, when we first open our eyes, not only can we see but also our vision, imperfect as it is, is already attuned to those shapes that resemble our own shape. More precisely and quite literally, we can see our own possibilities in the faces of others. The infant, minutes after birth, is capable of imitating the gesture that it sees on the face of another person. It is thus capable of a certain kind of movement that foreshadows intentional action, and that propels it into a human world. “ (p.1) Dans son livre “How the body shapes the mind”, le philosophe Shaun Gallagher avance l’idée que la compréhension scientifique et phénoménologique du corps est essentielle pour comprendre des phénomènes tels que la conscience ou la cognition. Son approche vise à développer un vocabulaire commun inspiré par “les processus cérébraux en neurosciences, les expressions comportementales en psychologie, les préoccupations de conception en intelligence artificielle et en robotique, et les débats sur l’expérience incarnée dans la phénoménologie et la philosophie de l’esprit”. Entre outre, son livre traite des phénomènes tels l’apprentissage de nouveau-nés par l’imitation, la conscience de soi, le libre arbitre, la cognition sociale et l’intersubjectivité, la perception intermodale pour en citer quelques-unes des thématiques abordées. Gallagher aborde ces sujets au travers des concepts comme l’’image corporelle et le schéma corporel, la proprioception et la théorie de l’enactivisme. Une de ses hypothèses est la théorie de l’ancrage physique ou the physical grounding hypothesis (PGH) en anglais. Cette théorie stipule que le contenu et le fonctionnement de l’esprit sont fondés sur les propriétés physiques et l’expérience incarnée de l’agent. Loin de promouvoir l’influence du physique sur le mental, Gallagher souligne la complexité des facteurs impliquées dans toute explication adéquate de la cognition. Plus loin, le chercheur décrit le concept de schéma corporel et sa différence par rapport à l’image corporelle. Ainsi dans son acceptation le schéma corporel est un système de capacités sensori-motrices, englobant tous les aspects non-conscients du contrôle moteur, y compris les processus sous-corticaux, pré-moteurs et moteurs dans le cerveau. Il mentionne également les systèmes d’information nécessaires au bon fonctionnement de ces processus. Il distingue le concept de schéma corporel de celui d’’image corporelle vu comme résultat des expériences perceptives du corps. Gallagher distingue les différences entre les deux termes au niveau conceptuel, mais aussi au niveau empirique donnant l’exemple d’un patient qui dans un état de négligence ne se préoccupe de son image de soi pour se laver ou s’habiller. Cependant ses capacités motrices telles que la marche ou les tâches bimanuelles telles restent intactes et il les exerce. Cela montre que même si l’image corporelle est altérée ou endommagée, le schéma corporel reste intact. De même, les sujets qui ont perdu un membre ont la capacité de le ressentir (citer the limb phanom theory). Plus loin, Gallagher illustre le cas des malformations congénitales, où le membre fantôme est signalé quelques années après la naissance, d’habitude après une intervention chirurgicale, un accident ou un autre événement corporel important. Ainsi la probabilité qu’un schéma corporel ou une image corporelles soient innés, est très réduite. Dans les cas de membres fantômes, des informations contradictoires entre la proprioception (qui pourrait indiquer la présence d’un membre) et la vision (qui l’infirme) se basent sur la vision. \subsection{Théories sur l’enaction} Les paradigmes sur l’énaction (enactive theory) ont émergé avec la publication du livre The Embodied Mind que nous avons déjà mentionné plus haut. Cette théorie stipule que les expériences perceptives ne sont pas des événements internes dans notre tête, mais plutôt des actions que nous produisons à travers notre exploration sensorimotrice de l’ environnement. Dernièrement les sciences cognitives se sont orientées vers l’autonomie biologique et la subjectivité comme concepts clés de la cognition incarnée (cite Ziemke AI). \subsection{Anthropomorphism. Animacy and agency} Pourquoi l’intelligence a besoin d’un corps ? Dans leur livre “How the body shapes the way we think, Rolf Pfeifer et Josh Bongard soulignent l’importance de la morphologie du corps et ainsi de l’embodiment sur l’intelligence d’un système. Leur point de départ est le fonctionnement humain qu’ils extrapolent aux machines, avec l’idée que pour être intelligent, nous avons besoin d’un corps physiques: “One of the most elementary capacities of any creature is categorization: the ability to make distinctions in the real world. If we cannot distinguish food from nonfood, dangerous from safe objects and situations, our parents from other people, or our home from the rest of the world, we are not going to survive for very long. Likewise, robots incapable of making basic distinctions, e.g., a household robot that cannot distinguish garbage from antiques, a vacuum cleaner from a dishwasher, or pets from babies will not be very useful. We will attempt to demonstrate that the formation of such categories is very directly determined by our embodiment, i.e., our morphology and the material properties of our body. Morphology includes the shape of the body, the kinds of limbs and where they are attached, the kinds of sensors (eyes, ears, nose, skin for touch and temperature, mouth for taste) and where on the body they are found. By material properties we mean, for example, the deformability of the fingertips and of the skin, or the elasticity of the muscle-tendon system. When interacting with the real world, the body is stimulated in very particular ways, and this stimulation provides, in a sense, the raw material for the brain to work with. As we will see later, this raw material can be used to create categories—cups, apples, pets, people—that describe the environment in a natural way.” (How the body, p.2) Indépendamment des multiples perspectives et définitions impliquées dans le concept d’ intelligence, ce que Pfeifer et Bongard considèrent intuitivement comme intelligent est investi par deux caractéristiques: la capacité d’adaptation et la diversité. Plus concrètement, les agents intelligents se conforment toujours aux exigences physiques et les règles sociales de leur environnement, et exploiter ces règles pour produire différents comportements selon le contexte: “All animals, humans, and robots have to comply with the fact that there is gravity and friction, and that locomotion requires energy: there is simply no way out of it. But adapting to these constraints and exploiting them in particular ways opens up the possibility of walking, running, drinking from a cup, putting dishes on a table, playing soccer, or riding a bicycle. Diversity means that the agent can perform many different types of behavior so that he—or she or it—can react appropriately to a given situation. An agent that only walks, or only plays chess, or only runs is intuitively considered less intelligent than one that can also build toy cars out of a Lego kit, pour beer into a glass, and give a lecture in front of a critical audience. Learning, which is mentioned in many definitions of intelligence, is a powerful means for increasing behavioral diversity over time.” (Rolf Pfeifer et Josh Bongard p.16) \subsection{Le libre arbitre vs “the readiness potential”} Pour aller plus loin et illustrer leur point de vue sur la dualité corps-esprit, ils citent l’expérience du neurologue Benjamin Libet qui, avec ses collègues, investigue les phénomènes qui opérant dans le cerveau au moment où une action intentionnelle a lieu. Plus spécifiquement, l’expérience demande aux participants de bouger leur doigt spontanément, quand ils veulent. En parallèle, ils regardent une horloge avec un point de lumière tournant, afin d’indiquer l’endroit où est le point sur l’horloge lorsqu’ils prennent leur décision consciente de vouloir exécuter un mouvement de doigt. Pendant ces instructions, Liebt et son équipe analysent l’activité cérébrale avec des capteurs d’électroencéphalographie (EEG) et mesurent le mouvement réel des doigts avec des capteurs électromyographiques (EMG). Leurs résultats prouvent que le début de l’activité cérébrale commence plus d’une demi-seconde avant le mouvement réel des doigts et plus de 300 ms avant que les sujets ne prennent conscience qu’ils veulent bouger leur doigt. Ils définissent alors le facteur de “readiness potential” (potentiel de préparation) - pour illustrer le fait que la volonté consciente de bouger le doigt se produit un intervalle significatif après le début de l’activité cérébrale pertinente. Cette expérience démontre que le concept de libre arbitre est plus complexe à définir que ce que nous entendons par “décisions consciente” et influe sur les débats actuels concernant l’intelligence artificielle. Si 40 ans après cette expérience, il nous est toujours difficile de modéliser le facteur de “readiness potential” , rendre des robots capables de prendre des décisions “conscientes” reste un défi. Cependant cela n’empêche pas la communauté scientifique d’imaginer d’ autres pistes d’exploration et hypothèses de recherche. Une de ces pistes réside dans l’importance de l’interaction avec l’environnement. Si un agent ou un système à un corps physique (is embedded), il est soumis aux lois de la physique qui impliquent de s’habituer à la gravité et aux forces de friction, ainsi qu’à l’approvisionnement en énergie pour survivre. Ainsi cela pose de nouveaux défis pour ce qu’il y a de capacité d’adaptation et des multiples négociations entre les calculs internes et des actions directes: “the real importance of embodiment comes from the interaction between physical processes and what we might want to call information processes. In biological agents, this concerns the relation between physical actions and neural processing—or, to put it somewhat casually, between the body and the brain. The equivalent in a robot would be the relation between the robot’s actions and its control program.” (Rolf Pfeifer et Josh Bongard p.18) Pour illustrer cela, ils font une comparaison entre l’action d’attraper un verre par un humain et par un robot. Si pour l’humain, le tissu de ses bout des doigts s’adapte à la forme du verre, le calcul de forces à appliquer se fait en conséquence. Cependant pour une main de robot le tissu est rigide, il n’y a pas cette possibilité d’adaptation et plus souvent le verre se casse car la force appliquée n’est pas la bonne. Ainsi ils argumentent l’hypothèse que l’intelligence humaine est distribuée dans tout le corps, et pas que dans le cerveau. Concernant la capacité de robots d’entreprendre des actions, traduit ici comme détermination de l’anglais agency, Ziemke affirme: “The idea behind this approach can be summarized by the slogan that ‘perceiving is a way of acting’; or more precisely, “what we perceive is determined by what we do (or what we know how to do)” . In other words, it is claimed that perception is a skillful mode of exploration of the environment which draws on an implicit understanding of sensorimotor regularities, that is, perception is constituted by a kind of bodily know-how. In general, the sensorimotor account emphasizes the importance of action in perception. The capacity for action is not only needed in order to make use of sensorimotor skills, it is also a necessary condition for the acquisition of such skills since “only through self -movement can one test and so learn the relevant patterns of sensorimotor dependence” . Accordingly, for perception to be constituted it is not sufficient for a system to simply undergo an interaction with its environment, since the exercise of a skill requires an intention and an agent (not necessarily a ‘homunculus’) that does the intending. In other words, the dynamic sensorimotor approach needs a notion of selfhood or agency which is the locus of intentional action in the world.” (Ziemke IA p. 473) Pour continuer cette idée, le chercheur se demande si les boucles sensorimotrices disposent des moyens conceptuels pour distinguer les actions intentionnelles d’un agent autonome des mouvements accidentels . \section{L’Effet du mouvement et du toucher sur l’acceptation des robots } Qu’il s’agisse d’un objet mobile avec une source d’énergie, programmé pour « sentir » et « interagir » avec son environnement (cite A. Mayor, Gods and robots: myths, machines) ou d’un agent capable de percevoir son environnement par des capteurs et agissant sur cet environnement par l’intermédiaire d’effecteurs (selon la définition de Russell et Norvig dans leur sur papier l’intelligence artificielle citée par Pfeifer et Bongard), les robots ont fait immersion dans notre réalité depuis quelques décennies déjà. Indépendamment du fait qu’ils exécutent du travail utile pour les humains comme imaginé initialement par l’écrivain tcheque qui a donné leur nom (cite kopek), leur place dans notre société est désormais acquise. Cependant, nous attendons de ces robots qu’ils fassent précisément ce que nous voulons qu’ils fassent, avec l’espoir qu’un jour ils seront capables de nous surprendre en proposant des idées ou des comportements inattendus par eux-mêmes. \subsection{La robotique basée sur le comportement. Behavior-based robotics (BBR)} La robotique basée sur le comportement s’inspire des systèmes biologiques et souvent du monde animal (comportement des insectes) pour construire des dispositifs réactifs à l’environnement. Un des caractéristiques les plus importantes de cette discipline est l’adaptabilité des systèmes qui en font partie. Ainsi, les robots basés sur le comportement (BBR) sont moins dotés avec de la puissance de calcul pour réaliser des des actions et leur comportement émerge des interactions qu’ils ont avec l’environnement. Le type d’intelligence artificielle qui opère dans ces systèmes est inspiré par la branche faible de l’AI. Leur programmation contient un set de base de comportements spécifiques, selon l’environnement où ils opèrent et les problèmes qu’ils doivent résoudre. Quand un comportement n’est pas adapté à un contexte particulier, ils s’appuient sur des erreurs pour améliorer leur modèle interne. Le fondateur de cette discipline est Rodney Brooks, qui par ses expérimentations au Massachusetts Institute of Technology, dans les années 1980, a mis les bases de la robotique basée sur le comportement. Ses premiers robots, construits à roues et à pattes, ont été construits suite à ses observations des comportements anthropomorphiques - éviter un obstacle, s’approcher d’une source de lumière, chercher à économiser sa batterie lors de longs trajets etc. Une des influences de Brooks est le travail de neurophysiologiste et pionnier de la robotique W. Gray Walter. Fin des années 1940, Gray Walter a développé un certain nombre de robots simples basés sur des comportements ressemblant à des animaux. Ces prototypes de robots ont aidé Gray Walter à mieux comprendre le fonctionnement du cerveau des animaux, par des modèles simples de leurs opérations de base. Les plus connus sont Elmer et Elsie (abréviation de ELectro MEchanical Robots, Light Sensitive), recouverts d’une coque en plastique transparent similaire aux tortues. Enfant, Brooks a lu son livre- The Living Brain, pour ensuite construire ses propres prototypes. Connu pour sa critique de l’IA symbolique, Brooks voit la logique et le raisonnement comme des processus mentaux propres aux humains. Au lieu de se focaliser sur le traitement des symboles, les représentations internes et la cognition, il propose de construire des modèles basés sur l’interaction avec le monde réel. Ces modèles ont inspiré les théories sur l’incorporation (embodiment) et l ’intelligence incarnée. Schema distributed intelligence Brooks; À leur tour, ces théories ont donné suite à des innovations dans le domaine de l’intelligence artificielle au cours des trois dernières décennies. Selon (cite Ziemke), l’approche de l’intelligence incarnée (embodied AI) s’est imposée comme une méthodologie fiable pour comprendre la cognition et ainsi résoudre les problèmes fondamentaux et paradoxes de l’IA traditionnelle tels The Chinese Room Argument mentionné plus haut. \subsection{Cognitive developmental robotics} “Ce processus de reconnaissance de soi est de plus en plus étudié en robotique pour mimer le développement des capacités motrices et d’interaction sociale chez l’enfant. Mais de telles corrélations statistiques entre ce qui est perçu par les caméras du robot et ses ordres moteurs peuvent être calculées sans une quelconque notion de conscience de soi. Ici, la mesure du degré d’information intégrée dans le programme informatique du robot apporterait une réponse quantitative et précise sur le degré de conscience attendu en lien avec un tel processus.” prof. Raja Chatila, ISIR et le test du miroir, 2016 Prof. Asada supervise également des études sur le développement de l’empathie artificielle et le rôle de la “contagion émotionnelle” dans la mimique motrice. Il implémente des processus de cognition que les bébés développent dans leurs premiers mois, à des robots artificiels. L’évolution corporelle et la croissance des humains est pour lui un des concepts clé de la robotique cognitive. “Cognitive Developmental Robotics aims at understanding human cognitive developmental process by synthetic or constructive approaches. Its core ideas are "physical embodiment" and "social interaction" that enable information structuring through interactions with the environment, including other agents.” prof. Minoru Asada, SISReCPost-cognitivisme \subsection{Artificial emotions and sociable robots} \subsection{Symmetry and synchrony } Le rôle du mouvement sur la conscience de soi Le chercheur Tom Ziemke, professeur en cognitive system spécialiste dans la recherche de formes incarnées de conscience ou embodied cognition parle de la relation entre l’IA incarnée dans des dispositifs physiques et la biologie synthétique. Selon lui, un programme qui assure une relation entre le robot et son environnement via des capteurs et actionneurs, représente une forme d’IA incarnée. Son travail, inspiré par F.J. Varela, lie l’intelligence à l’état d’ autopoiese comme façon d’organiser la vie. Ziemke se demande si la conscience est essentiellement liée au domaine du vivant, ou si tout système autonome auto-référentiel est capable d’une forme de conscience. \section*{Conclusion} Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. Sed eget erat tortor. Mauris iaculis congue nibh ac sollicitudin. Aliquam aliquam velit eu aliquet tincidunt. Vestibulum lacus ipsum, feugiat at feugiat id, auctor quis nisl. Maecenas ultricies sagittis convallis. Curabitur at velit ut odio condimentum fringilla. Ut consequat eget arcu vitae pharetra. Pellentesque quam quam, luctus at ipsum non, accumsan ultrices ipsum. Integer dictum, leo et ornare viverra, enim massa tristique est, aliquam porta odio arcu non lectus. Maecenas posuere, ante sed congue blandit, nisi quam aliquet enim, in vehicula eros metus vitae quam. Nam lacinia malesuada lorem, at mattis risus mattis interdum. Nullam ac sapien nec quam ultrices dictum vitae eu erat. Curabitur a leo a lorem mollis volutpat. Duis volutpat porta nulla in convallis. Mauris sed accumsan nisl, ac efficitur nisl. \clearpage \chapter{Robots sur scène} L’état d’art de ce chapitre se concentre sur le lien entre le mouvement du corps humain, l’appréhension des enjeux que cela engendre pour la robotique puis l’incorporation ou l’embodiment (citer) acquis à travers la danse, dans le contexte des spectacles avec des robots [38]–[41]. Dans son livre "La robotique : une récidive d’Héphaïstos !” [42] Jean-Paul Laumond décrit la controverse entre la science- dont l’objectif est de déduire” par rapport à la technologie - préoccupé davantage par le faire ” et les observations empiriques. Pour lui, la robotique est née de la tension entre ces deux approches contemporaines qui correspondent à une phénoménologie de la robotique ”, pour citer Laumond, différente de la robotique inspirée des lois naturelles, regroupés sous le terme de bio-robotique ”. Néanmoins ces deux disciplines s’inspirent à leur tour de la physique, de la biologie, des neurosciences, de la psychologie et d’autres théories complémentaires. Ainsi, la robotique peut être considérée comme un moyen de comprendre et de mettre en œuvre la complexité du vivant, à travers un mélange des savoirs-faire et des pratiques. Dans une démarche parallèle, proche d’une approche sociologique, la complexité du vivant pourrait être appréhendée aussi par l’art, comme discipline [44] à travers ses intentions spéculatives et provocatrices ” [43]. L’artiste Simon Penny utilise la dichotomie entre une forme de savoir qui réside dans l’abstraction et une autre qui réside dans la réalité concrète du monde [43] pour introduire un concept émergent qu’il a intitulé la robotique culturelle ”. Ce concept met en avant le lien entre les robots et les sociétés dans lesquelles ces derniers évoluent. Si dans les premiers chapitres nous avons pu comprendre le contexte artistique que cette thèse défend, le suivant chapitre traite du rapport au corps dans la robotique et les éventuels enjeux que cela soulève. \subsection{La biomécanique comme façon d’appréhender le corps} Le terme biomécanique regroupe la biologie comme science du vivant et la mécanique comme science physique d’étude du mouvement- entre ses déformations et ses états d’équilibre. Au sens large, cette discipline étudie la physiologie du mouvement dans le corps humain avec ses fonctions et ses propriétés respectives. Des disciplines comme la robotique, la médecine ou le design s’appuient sur des principes de biomécanique pour mieux construire leurs hypothèses de recherche. Dans le domaine artistique, les danseurs et les metteurs en scène se sont également intéressés à la biomécanique pour développer leurs pratiques. \subsubsection{Meyerhold et son approche sociologique} La biomécanique a aussi donné nom à une discipline enseignée par le metteur en scène russe Vsevolod Emilievitch Meyerhold. Cette discipline fait son apparition au début du XXe siècle et cultive une conscience de soi dans l’espace ainsi qu’un travail plastique et rythmique de l’acteur. Inspirée entre autres par la commedia dell’arte et du travail des danseuses Isadora Duncan et Loïe Fuller, cette méthode d’entraînement physique permet aux acteurs de développer leur coordination et leur sens du rythme sur le plateau. En comparaison avec d’autres éléments du théâtre, Meyerhold considérait le mouvement scénique comme un des moyens d’expression les plus puissants. Ainsi il dirige entre 1914 et 1917, dans son studio à Pétersbourg une série d’études de pantomime accompagnées au piano. Parmi ces exercices- Les Deux Smeraldina”, Le poignard” ou La gifle”- reposent sur des activités corporelles comme le bond ou la chute ainsi que des éléments d’acrobatie avec différents objets liés à la tradition théâtrale- l’epée, la cape ou la canne. Par ces partitions rigoureuses, l’acteur est censé comprendre l’importance des différents éléments du corps les uns par rapport aux autres. Un exemple que Meyerhold citait lors de ses exercices fait référence à l’importance des détails- quand le petit doigt bouge, le corps entier doit supporter ce mouvement, pour rendre le petit doigt visible jusqu’au fond de la salle. La plupart de ces exercices se font en groupe, même si elles ne requièrent qu’une seule personne pour les pratiquer. Lorsqu’une personne finit sa pratique, le reste du groupe reprend la totalité de l’étude une seconde fois, pour enrichir les variations de propositions. Le poignard” et La gifle” sont deux études qui s’exécutent en paire, pour travailler la coordination et la précision entre les partenaires. L’élément clé de la pratique de Meyerhold est ainsi le corps de l’acteur, considéré comme un matériau à travailler individuellement mais aussi collectivement comme l’affirme Béatrice Picon-Vallin: Le travail physique de l’acteur, découpé en segments d’actions précisément délimités dans l’espace et dans le temps se caractérise encore par un montage de matériaux hétérogènes unifiés par le rythme de l’action et l’ironie de l’acteur : combinaison de techniques appartenant à différents métiers du spectacle, de registres vocaux variés, création d’une sorte d’ acteur collectif ”. Les meilleurs comédiens ont l’équilibre des funambules, le tronc monté sur ressorts des jongleurs, l’audace des acrobates, le coup de poing du boxeur, le cri du ventriloque.[a] En alternant travail individuel et travail collectif, les acteurs acquièrent des bases solides d’interaction et une bonne capacité d’adaptation aux formats et expériences. Comme le souligne Mel Gordon dans son article sur Meyerhold (citer Gordon[b]), pour le metteur en scène russe la fonction du théâtre est d’abord sociale afin d’éduquer et de promouvoir la reconstruction socialiste et scientifique de son pays. Lorsque Stalin s’empare du pouvoir,la plupart des secteurs de la société soviétique traversent des processus rapides de collectivisation et d’industrialisation. Les théâtres, puis plus généralement la culture, perdent progressivement leurs moyens et la liberté d’expression. D’autres méthodes s’inventent. Le metteur en scène russe voit les troupes de travailleurs semi-professionnels comme un outil pour éduquer les masses. Pour améliorer sa formation d’acteurs, il applique des principes ou des méthodologies scientifiques à la mode dans l’industrie soviétique, à ses fondements théoriques. Parmi ces méthodologies, le Taylorisme est le résultat des observations de l’ingénieur américain Frederick Winslow Taylor (1856-1915) sur la gestion scientifique du travail et de la productivité. Au début des années 1910, sa méthode est largement appliquée dans l’industrie, notamment en Europe et en Russie. Après avoir visité des usinés et examiné leurs chaînes de production, l’ingénieur est arrivé à la conclusion que les mouvements physiques des travailleurs influencent le rendement de la production. Lorsqu’il exécute une tâche répétitive, un travailleur s’engage, souvent sans s’en rendre compte, dans des mouvements superflus qui diminuent son efficacité. Pour Taylor, il est question de trouver les mouvements et les gestes les plus efficaces, dans ce qu’il a appelé une économie du mouvement". Pour faire cela, il a dû prendre en considération des facteurs comme les rythmes de travail et l’équilibre des postures. Toujours pour Gordon, les idées de Meyerhold croisent également celles de la psychologie fonctionnelle- dont le psychologue William James a mis les bases, ainsi que celles du béhaviorisme. Entre autres James considère la conscience et ses états transitoires comme directement liés au corps physique, alors que certains schémas d’activité musculaire suscitent des états émotionnels équivalents. En Russie à la même époque, des médecins comme Vladimir Bekhterev ou Ivan Pavlov ont aussi entamé des recherches sur les comportements et le conditionnement des réflexes humains. Selon eux tout comportement humain peut s’expliquer par l’histoire des interactions de l’individu avec son environnement. En s’inspirant de ces observations, Meyerhold les applique à sa méthode d’entraînement physique des acteurs. Les effets de ce processus sont ressentis lors des spectacles dont le rythme des acteurs est proche d’une chorégraphie. Si le décor est souvent inspiré par le courant constructiviste - dont la philosophie repose sur l’austérité et les motifs non-figuratifs, les déplacements des acteurs dessinent des parcours géométriques à la façon d’une danse des motifs. Ces parcours dépendent du nombre pair ou impair des acteurs. Ils créent des constellations dans l’espace qui donnent aux spectateurs la sensation d’une mécanisation des processus artistiques. D’une façon avant-gardiste et engagée, Meyerhold a dédié son travail à la lutte des classes, aux problèmes sociaux, en espérant contribuer à la création d’un nouveau type humain. Le culte de personnalité et les dérives du régime totalitaire stalinien ont fait que son théâtre soit fermé en 1938 et le metteur en scène exécuté en 1940, malgré le fait qu’il soutenait pleinement les idées communiste. \section{Faire danser les robots} \subsection{Nouvelles formes de corporéité sur scène} Pour comprendre comment mettre en scène les robots, je commence mon analyse avec les problématiques liées à la représentation du corps dans les propositions scéniques contemporaines. Une certaine partie de la communauté artistique de la danse semble œuvrer à une compréhension phénoménologique de l’expérience de l’incarnation. Les danseurs et chorégraphes proches de ce mouvement, s’intéressent à la conscience du corps ainsi qu’à l’évolution des formes de corporéité avec l’émergence des principes neuroscientifiques et somatiques. Le livre Disjunctive Captures of the Body and Movement” (citer Bojana[c]) interroge des formes de corporéité qui défient la subjectivité pour donner une façon propre d’habiter le corps. Pour cela, Bojana cite des choreographs tels Ingvartsen et Jefta VanDinther ou Eszter Salamon pour qui la danse est avant tout un lieu d’expérimentation. Elle questionne l’expérience subjective du mouvement, tout comme des chercheurs comme Stamatia Portanova qui travaille sur les nouvelles technologies et leur impact sur la danse (citer Stamatia[d]). Dans le chapitre Can objects be processes?”, Portanova se demande comment le geste dansé peut s’échapper à la linéarité du temps et faire émerger un contenu original, atemporel. Dans le contexte d’une monde dominé par les ordinateurs et les sciences computationnelles, elle désigne le glitch comme facteur perturbateur, capable de transgresser les lois physiques et de provoquer une faille anachronique: ...the appearance of the new takes the form of a glitch, an interruption of the continuous relational chain between past and future, the moment when past data are valued and particular ideas are selected in an occasion of experience, in order to determine what the future occasion will be. Son hypothesis se construit autour du travail de William Forsythe. Le spectacle One Flat Thing, reproduced (2000) a comme l’objet Synchronous Objects for One Flat Thing reproduced” - un site vidéo créé par la compagnie de danse Forsythe en collaboration l’Université d’Ohio comme outil unconventional de visualisation des paramètres chorégraphiques. Les paramètres captés lors du mouvement des danseurs sont transposés en données statistiques en lien avec la musique, l’architecture, ou la géographie - pour explorer sous un autre ongle les possibilités de composition entre le mouvement et l’espace. Le site Synchronous Objects ne peut pas reproduire la chorégraphie à posteriori, malgré la multitude des données capturées et l’infinité des possibilités de représentation- puisque le temps de la performance est unique dans sa temporalité. Pour Stamatia, l’analogie avec le glitch trouve son correspondant dans l’instantanéité du présent quand chaque mouvement répétée en dehors de la représentation, donne suite à une œuvre inédite et éphémère. \subsection{Défis chorégraphiques dans la représentation du corps} Les œuvres chorégraphiques que Bojana analyse ne remplacent pas les danseurs par des agents non-humains ou des systèmes numériques comme dans l’étude de Portanova. En échange, elles mettent en scène le corps comme support physique du mouvement, à la lisière entre expérience subjective et objective. Bojana insiste sur la manière dont la relation entre le corps et le mouvement est rendue impersonnelle, dé-subjectivé, mais aussi dé-objectivé sur la base d’une perturbation délibérée entre sujet et objet. Pour mieux définir ces concepts, dans son optique la subjectivation traite le corps comme une source d’expression de soi. Ainsi par le mouvement jaillit l’envie du corps d’exprimer son expérience émotionnelle intérieure. A l’inverse, l’objectivation restreint le corps à un simple instrument d’articulation physique, dont le mouvement se fait en ” et pour ” lui-même. Dès les premières pages de son livre, Bojana nous introduit au concept deleuzien de reconnaissance où le corps et le mouvement se situent dans des relations d’interdépendance. L’identité subjective du danseur est reflétée et représentée dans l’identité objective du mouvement. Cela l’aide à mieux définir un corps en mouvement et comprendre les facteurs qui facilitent ce processus de symbiose. Déconstruire le corps humain signifie également construire une multiplicité de corps à partir de ses membres. Par le fait d’éviter l’unification d’une seule figure reconnaissable dans sa forme et son image, le corps est objectivé. Comme Bojana le souligne dans son livre, le partitionner pour recomposer ses parties dans un processus de devenir, laisse apparaître des nouveaux corps différents et méconnaissables. En ce qui concerne mon contexte particulier de spectacles avec des robots, je réfléchis aux deux - corps et mouvement - en contrepoids avec la machine. Lorsque les danseurs réalisent une synthèse entre le corps et le mouvement, les machines deviennent la structure qui anime un corps hybride en mouvement”. Cette objectivation opère à plusieurs niveaux, physique et phénoménologique, avec pour seul indicateur pour l’expressivité humaine. Deleuze et Guattari voient ce résultat hybride des objets détachées et des corps réorganisés, comme un processus perpétuel: Partial objects are only apparently derived from (prélevés sur) global persons; they are really produced by being drawn from (prélevés sur) a flow or a nonpersonal hyle, with which they re-establish contact by connecting themselves to other partial objects. (AO: 46)[e] Ces constats, des véritables défis chorégraphiques, ont encouragé Bojana à regarder de plus prêt les performances qui adressent ces problèmes sur le plateau. Le spectacle Nvsbl” (2006) d’Ester Salomon met en scène quatre performeuses gravitant à partir de quatre coins de la scène vers le centre- parcourant 5,5 mètres pendant une période d’environ 80 minutes. La trajectoire qu’elles effectuent est si alambiquée et prolongée dans la durée que ni les spectateurs ni les interprètes n’arrivent à saisir complètement le déplacement dans l’espace. Alors que les spectateurs peuvent enregistrer la transformation rétrospectivement - en détournant le regard puis en regardant en arrière pour vérifier s’il y a eu un avancement - cette expérience reste en dessous du seuil de perception (Sabisch 2011 : 186). Pour parler de son projet, la chorégraphe cite la critique Peggy Phelan pour qui toute performance à sa propre réalité. Cette réalité existe seulement pendant le temps de la représentation: …Our visual perception therefore does not provide us with a complete picture or idea of reality. Nevertheless, we use visible reality as an effect of reality in order to construct our image of reality.” Lors de la création du Nvsbl”, la chorégraphe hongroise s’est inspirée des techniques somatiques comme le Body Mind Centering, mentionné dans le chapitre antérieur. Lors de la représentation, tous les paramètres par lesquels le mouvement est habituellement perçu et reconnu sont suspendus (citer Bojana). Aucun élément corporel ne peut être distingué comme initiateur du mouvement, puisque chaque performeuse est impliquée dans un mouvement perpétuel qui opère à son intérieur. Les chercheurs (citer Invisibility and Oscillation: The Processes of Looking in Eszter Salamon’s Nvsbl) évoquent le concept de regard oscillatoire (oscillating gaze) pour faire référence au mouvement d’attention qui sollicité le spectateur pour regarder autrement ce que se déploie devant ses yeux. Des nombreuses parties du corps s’engagent simultanément dans un processus de dépliage de formes, comme un corps vivant laisse entrevoir son statut d’objet. Un deuxième travail mentionné par Bojana fait référence à la manière de créer avec des objets et des dispositifs moins technologiques. Elle prend comme exemple le spectacle It’s in the air” (2008) par Ingvartsen and Jefta VanDinther dont il est question de réinventer le corps et ses limites dans un contexte où les lois physiques sont transgressées. Ce spectacle où un homme et une femme performent sur deux trampolines géantes, s’organise autour de plusieurs rencontres mouvement-machine. Le mouvement reste partagée entre le corps et le trampoline, entre le volontarisme de l’action et le lâcher-prise de la personne qui subisse le rebond: We are not looking for what we can do on a trampoline but rather for what a trampoline can do for us . . . . By introducing the trampolines as a resistance to the movement production we force ourselves to reconsider everything we know about the dancing body, in relation to weight, shape, gravity, direction, rhythm and phrasing. (Ingvartsen and van Dinther 2007: 1) Les deux performeurs multiplient les possibilités d’expression, alternant entre le lâcher prise et la maîtrise totale du geste, un corps tonique et un corps mou, un saut haut et un saut très bas. Le rythme de leurs sauts donne l’impression d’un visionnage des images cinématographiques à la façon de Muybridge. Le corps apparaît comme une figure, à la fois humaine, animale et mécanique, en compétition avec la gravité. Sa désubjectivation en relation avec des trampolines, montre comment des dispositifs techniques moins complexes que les robots peuvent nous interpeller tout autant. \subsection{La corporéité des robots} Au cours des dernières décennies, des chercheurs dans différents domaines de la robotique ont étayé l’importance du mouvement[10] dans la mise en place des interactions avec les robots. Pour la grande majorité d’entre eux, le contrôle optimal est le facteur clé pour améliorer tout travail collaboratif homme-robot. Leur objectif est de générer des commandes motrices adaptées à plusieurs contextes et contraintes. Certaines études mesurent l’effet de l’imitation sur le HRI [19] alors que d’autres se concentrent sur l’improvisation et l’apprentissage par renforcement. A notre échelle, cette recherche-création s’attache à comprendre comment la perception du mouvement peut augmenter la complicité avec les systèmes artificiels. De manière large, elle interroge la façon dont le comportement et le mouvement définissent la capacité d’agence et l’autonomie des robots- concepts que nous allons aborder dans les prochains chapitres. Pour programmer [f]des robots qui dansent, il faut trouver des analogies entre les symboles abstraits des ordinateurs et les signaux physiques des corps en mouvement. Selon le roboticien Jean-Pierre Laumont, un mouvement est perçu par les autres dès son achèvement dans l’espace physique (citer livre Laumont). Pour lui, toute analyse du mouvement humain, traduisible aux robots, se concentre sur la relation entre l’espace physique et l’espace corporel. Les roboticiens sont confrontés à ces questions quand ils modélisent un espace physique comme l’espace opérationnel dans lequel les actions du robot sont exprimées, alors que l’espace du corps est, pour eux, l’espace de contrôle ou l’espace de configuration du système robotique considéré. Leur travail se concentre sur la prise en compte des informations cinématiques d’un mouvement tout comme sur les informations dynamiques - par exemple les forces de contact avec l’environnement lors d’un mouvement. La dynamique permet entre autres, de contrôler la stabilité du robot pour générer des mouvements fluides et sûrs. Comparativement à la biomécanique, qui permet d’affiner l’interaction du corps humain avec son environnement, la dynamique est un critère important pour observer la qualité d’un mouvement et mesurer sa performance. Ainsi les humains, comme les animaux, utilisent des forces de contact pour générer du mouvement et se tenir debout face à la gravité. Pour cela, ils effectuent des tâches complexes où ils adaptent leur corps à l’environnement de façon spontanée. La communauté scientifique à formalisé cette propriété innée dans la théorie des primitives de mouvement dynamique (en anglais Dynamic Movement Primitives ou DMP). Pour programmer des mouvements similaires à une danse, il faut les décomposer dans une séquence de mouvements élémentaires, basée à son tour sur des primitives de mouvements dynamiques. Lorsqu’il s’agit de modéliser les processus psycho-somatiques ou les émotions qui déterminent une danse, les choses deviennent en général compliquées. Des avancées en neurosciences s’intéressent à ce type de défis (citer études). À cet égard, chaque mouvement peut être modélisé sous la forme d’une équation mathématique qui respecte les lois physiques. Cette équation est à son tour traduite en langage de programmation. Des modèles mathématiques sous-jacents à l’analyse de la dynamique du mouvement humain correspondent à des modèles descriptifs basés sur une multitude de variables mécaniques. Dans ce sens, les équations de mouvement ont une terminologie spécifique, selon leur domaine d’utilisation. De façon générale, elles décrivent le mouvement d’un objet physique selon les lois de la mécanique newtonienne.[g] Ce mouvement peut être représenté sous la forme de coordonnées sphériques, cylindriques ou cartésiennes. Il comprend l’accélération de l’objet en fonction de sa position, de sa vitesse, de sa masse et les variables connexes. Selon Laumond, en robotique une équation de mouvement est définie comme un moyen de comprendre la relation qui varie entre le temps pour un mouvement spécifique, le moment des forces appliquées sur l’environnement et les forces générées par les muscles et transmises par couples articulaires. Pour les humains, la capacité de combiner et d’adapter des unités de mouvement de base en tâches complexes, se produit par la coordination entre des muscles et des articulations. Puisque le corps humain dispose d’approximativement 700 muscles, 360 articulations et 206 os (citer livre Tozsten), le même mouvement peut être réalisé en activant différentes parties du corps. Définir le mouvement à partir des multiples stratégies possibles dévient encore plus compliqué lorsque nous prenons en compte la spécificité de chaque individu. Cette spécificité est souvent observée lors des séances d’éducation somatique où l’intuition et le ressenti du praticien comptent plus que les statistiques et les équations mathématiques. Néanmoins une fois une hypothèse émise, elle doit être vérifiée scientifiquement pour pouvoir être validée et acceptée par la communauté scientifique. C’est en cela qu’un travail intuitif et instinctif en danse contemporaine est parfois difficilement transposée en robotique. En fonction des mesures disponibles et de la partie du corps qui initie le mouvement humain, différentes approches peuvent être envisagées. Certaines études [12, 13] se concentrent seulement sur le mouvement des extrémités ou du torse, ce que correspond au task-space ou l’espace des tâches en robotique [11]. En effet, la plus grande partie du corps humain est le torse; représentant en moyenne 43 % du poids corporel total alors que les cuisses, le bas des jambes et les pieds constituent les 37% restants du poids total - suivis par les membres supérieurs (13%) et la tête et le cou (7%) (citer Tzeren). Une approche plus pratique est celle où les robots humanoïdes imitent des mouvements de danse capturés lors des démonstrations humaines. La simulation numérique du système musculo-squelettique humain permet de travailler avec un grand nombre de données expérimentales. La capacité de traiter ces données de façon itérative en temps réel dépend de la fréquence d’enregistrement. Les roboticiens utilisent des techniques de Motion Capture [h]combinées à des technologies comme le Learning from Paradigme [112] qui propose des modèles pour faciliter la danse- tels la cinématique inverse ou les modèles de contrôle prédictif- ainsi que de la dynamique inversée de l’espace opérationnel [113] (OSID). L’objectif de ces technologies est d’enregistrer et générer des mouvements avec un coût de calcul optimal. Une grande majorité des projets artistiques actuels font appel à des robots préprogrammés par des humains pour répondre à des signaux spécifiques et se comporter d’une certaine manière. Sur scène, le fardeau des mouvements synchrones qui garantissent l’interaction repose sur la réactivité et l’adaptabilité de l’artiste. En danse par exemple, le performeur doit garder le tempo, ce qui ne lui laisse que très peu de possibilités d’improvisation. De plus, il n’a pas le droit à des erreurs, car le robot continuerait alors à exécuter son programme quels que soient les événements imprévus qui se déroulent en parallèle. Cette situation est généralement évitée grâce à un opérateur humain disponible pour prendre le contrôle du robot à distance. En utilisant les technologies de suivi existantes comme des capteurs XSENS, l’artiste peut se connecter directement au robot, pendant que ses mouvements sont analysés en temps réel. Alternativement, ses mouvements peuvent être utilisés pour contrôler le mouvement du robot ou déclencher des changements de rôle. D’autres techniques basées sur la reconnaissance thermique ou la vision et le suivi haptique du mouvement humain, font l’objet des études en cours qui pourront éventuellement inspirer la communauté artistique. En 2012, lors d’un spectacle de danse de 10 minutes avec un robot HRP-2 et un danseur de hip-hop, l’humain a embrassé l’humanoïde sur scène. Les mouvements ont été calculés grâce au modèle OSID développé par LAAS. Le geste du danseur- ouvrant ses bras devant l’humanoïde- peut être interprété rétrospectivement comme une réaction empathique d’abandon devant la machine, une invitation pour devenir amis, ou bien l’acte de reconnaître un vieil ami. Une fois interpellé, le robot a attendu quelques secondes -probablement dû à un délai de temps de traitement de l’information- avant d’ouvrir ses bras pour faire un câlin à l’humain. Chaque spectateur projette sa propre interprétation concernant le message du spectacle et finalement les deux interprètes ont des motivations indépendantes l’un de l’autre. Si dans le cas de l’humain c’est clair que son action a été déterminée et conscience, dans le cas du robot, nous nous imaginons qu’il a été programmé pour répondre à un comportement spécifique. Dans [114] Nakaoka et al. avancent l’idée qu’une version améliorée des robots HRP peut générer une "technologie de contenu" innovante à partir des technologies MoCap à l’origine des animations de personnages vidéo. Pour rendre cela possible, les développements technologiques ont été combinés avec le feedback des utilisateurs quotidiens afin de mieux comprendre leurs attentes. Dans ce sens, le robot HRP-4C (l’équivalent féminin de HRP-4) a chanté et présenté une danse lors d’une performance au DC-EXPO 2010, en utilisant l’interface Choréonoïde pour programmer ses mouvements. Tout en mettant en œuvre les mouvements de danse d’un chorégraphe très connu apprécié par le public japonais, l’équipe a travaillé sur de nouvelles possibilités de mouvement propres aux robots. En adaptant le sens artistique des idées aux contraintes techniques du robot et l’inverse, ils ont proposé un projet innovant avec un robot réaliste qui s’est confondu parmi des danseuses humaines habillées et maquillées de façon identique. Ceci est un exemple de robot qui imite à la perfection un humain. Je suis loin de mes intuitions concernant la spécificité des robots comme espèces à part entière, mais les prochaines pages nous aideront à étudier de plus prêt ce phénomène. Dans Les corps multiples d’une machine performative ” [45] Louis Philippe Demers utilise le terme de machine performative ” pour illustrer une qualité des corps mécaniques dotées d’une saveur de vivacité ”. Pour lui, les expérimentations artistiques [46] avec les robots sont des exemples réussies d’incorporation, grâce aux concepts comme le body- schema ” [48]– [50] pour mieux implémenter dans les robots les fonctionnalités du vivant. Sa vision de l’incorporation [51]–[54] ouvre de nouvelles possibilités d’expression pour les artistes et les formes d’art hybride. Dans la même idée, d’autres chercheurs affirment que le comportement est le facteur le plus important dans l’avancement de la robotique [19]. Cela nous amène, à notre tour, à considérer le rôle des émotions dans la constitution d’un comportement. Dans mon contexte particulier de la danse, analyser les changements dans la conception et la configuration des projets d’art robotique, m’aide à mieux comprendre les possibilités d’interaction physique lors d’une performance live. HRI a beaucoup évolué au cours des dernières années. Actuellement il se décline dans des sous-domaines comme Natural HRI mettant en œuvre des émotions artificielles dans les robots, grâce aux modèles de classification hybrides multimodaux [136] et de l’apprentissage robotique interactif. Il est probable qu’au fur et à mesure que la compréhension de nous-mêmes s’élargisse, ces machines deviendront plus complexes également. Par l’utilisation de telles technologies, l’artiste n’est plus astreint à un choix binaire de suivre ou pas les cues des robots pré-programmés. De tels rôles peuvent être modulés comme dans [137], [138]. Au lieu d’exécuter des mouvements préprogrammés, les robots peuvent être contrôlés en ligne par les mouvements de l’artiste et même par les émotions de celui-ci, en temps réel. Des nouveaux espaces centralisés de contrôle multi-robot et multi-objet [139] pourraient également offrir la possibilité de manipuler plusieurs robots à la fois par un seul artiste ou combiner le contrôle de plusieurs robots par plusieurs artistes. Grâce aux techniques récentes de ML, les robots pourraient apprendre directement des mouvements artistiques en observant l’humain, puis proposer des améliorations en temps réel sur scène. D’autres modèles qui utilisent l’apprentissage par renforcement [140] sont actuellement en cours de développement, apprenant aux robots à créer leur propre carte de réseaux sociaux et comportements afférents[141], tout en interagissant avec les humains. \section{Différents formats de présentation} Les projets artistiques avec des robots visent des interactions multimodales. Sur scène, ces interactions privilégient un contact physique avec des humains, facilité par des gestes, de la voix ou du toucher. Généralement le message transmis par ces œuvres est la nécessité de rapprocher les robots et les humains. Cette idée émerge à la fin des années 1960, quand un nouveau genre alliant l’art et les machines fait son apparition sur la scène artistique: l’Art Robotique. Initialement motivées par des rêves personnels en lien avec des défis scientifiques, les premiers projets artistiques impliquent des robots construits sur mesure, inspirés par les automates. Au fur au mesure que la technologie avance, ces robots vont devenir à leur tour plus complexes, capables de nous émouvoir et nous surprendre. Pour cette synthèse, je vais donc commencer par les dispositifs maladroits des années 1980, suivis par les expériences bioniques avec des exosquelettes une décennie plus tard et les bras robotiques industriels en parallèle avec les humanoïdes sophistiqués des dernières décennies. Cette progression suit de près l’évolution des développements technologiques dans la recherche en robotique, qui s’est souvent prêtée à des collaborations avec d’ autres disciplines pour élargir et questionner ses directions. A ce stade de mon état d’art, il me paraît intéressant de proposer une analyse globale du rôle de l’art robotique dans la réconciliation des projections fatalistes concernant notre cohabitation avec les machines. Cela me semble également intéressant d’investiguer dans quelle mesure cet art peut devenir un miroir pour refléter des spéculations transhumanistes, selon sa réception dans l’espace publique et les médias. Lorsque nous regardons la littérature contemporaine (citer art) des roboticiens, des artistes et des neuroscientifiques sont en cours d’établir les prémisses d’une nouvelle éthique pour les robots et les développements technologiques, afin d’empêcher les éventuelles dérives sur le sujet. Les œuvres sélectionnées informent la robotique sociale des possibilités d’interaction originales, tout en témoignant d’une relation complexe avec les machines, qui date déjà depuis presque un siècle. Quelque part l’art robotique, à l’instar des sciences traditionnelles comme la biologie ou la psychologie, peut faciliter une meilleure compréhension de nous-mêmes et nos attentes vis-à-vis des robots. Si la robotique sociale développe actuellement des machines incroyables, les robots sous diverses formes et fonctionnalités, sont de plus en plus présents dans notre vie quotidienne et nos cultures. La technologie est essentielle pour définir ce que les humains sont, du moins dans notre tradition occidentale, où la convergence entre l’homme et la machine est à la fois séduisante et repoussante. En contrepartie, la culture japonaise entretient une certaine distance avec la technologie, expliquant pourquoi les robots sont moins problématiques ” là-bas, et comment ils ont été apprivoisés ” (citer) avant d’être intégrés dans la société. Ce qui m’intéresse, en observant différents formats et expériences artistiques, est de comprendre comment les robots pourraient trouver à travers l’art, une condition indomptée ”, avant leur industrialisation et en dehors leur commercialisation à grande échelle. Cette sélection représente seulement un échantillon des œuvres d’art robotique en lien avec la scène. Lorsqu’elles sont mentionnées par les artistes eux-mêmes ou la littérature, les spécifications techniques offrent un aperçu important sur les défis et les limites de ce type de processus de recherche-création. A ma connaissance, il n’y a pas actuellement une méthodologie officielle sur la manière dont l’Art Robotique doit être évaluée, cette synthèse s’appuie donc sur des méthodes quantitatives utilisées dans les études existantes [19], [20] et est complété par les retours artistiques des auteurs ou les archives des processus de création et de réception. Le format des œuvres peut aller des sculptures et installations cinématiques, aux spectacles, performances et improvisations en direct. Pour mieux comprendre leur évolution, elles sont mentionnées en ordre chronologique. À cela, j’ai pensé rajouter également les apparitions dans le média où des robots se présentent en tant que maîtres spirituels ou artistes qui prônent un autre type de culture de divertissement (citer), afin de voir comment le rapport à la scène est influencé par ce format. De cette manière une caractéristique importante de cet étude, repose sur l’hypothèse que les interactions homme-robot au contact rapproché [13], [14], c’est-à-dire l’utilisation de gestes et d’interfaces haptiques [15]–[18], peut améliorer la façon dont les robots sociaux sont acceptés par les utilisateurs non expérimentés. Mon objectif est donc de voir comment ce processus d’apprivoisement opère dans des contextes artistiques et culturelles et qu’est ce que pourrait être son opposé - défini ici comme une condition indomptée ” ou sauvage des robots. Dans les prochaines pages, j’analyse la spécificité des robots présentés dans les œuvres sélectionnées, puis j’appréhende les facteurs qui ont influencé le développement de l’Art Robotique. Pour argumenter ce processus, je m’appuie sur une première partie qui précise le contexte dans lequel la robotique et l’art aurait pu se rencontrer, leur lien commun et la façon dont elles se sont inspirées réciproquement. Souvent, l’impact des œuvres sélectionnées a facilité des découvertes en robotique sociale. Puisque les projets artistiques impliquant les robots ont été soumis à des contraintes technologiques (i.e. choix de matériaux influençant le message de l’œuvre d’art), je regarde comment ceux-ci sont considérés tout au long des processus de création et comment ils ont été mis en scène.[i] \subsection{D'où viennent les robots} Lorsque nous pensons à des robots, nous imaginons des dispositifs intelligents, autonomes du point de vue de l’alimentation, programmés pour ressentir ” et interagir ” avec nous et l’environnement [21]. En contrepoids, l’art veut faciliter l’accès à la dimension sensorielle de notre existence. Pour faire cela, les artistes misent sur l’affect (voir les sentiments du public) à travers une manipulation astucieuse de qualités tangibles ” [22 citation penny anglais]. D’une manière prédictible, la définition de chaque terme est soumise à des évolutions permanentes, prouvant leur importance dans les préoccupations courantes de notre société. Interroger ces transformations dans le contexte de l’Art Robotique, aide à déterminer leur caractère dans les prochaines années. Pas si loin du monde de l’art, la fascination pour des artefacts et des machines qui pourraient éventuellement devenir "vivants", a longtemps peuplé les rêves des humains. Quelques-uns de ces artefacts- les automates- ont été identifiés par des chercheurs [23], [21] comme vecteurs du développement technologique de nos sociétés. La définition du terme Automata sous-entend l’existence des dispositifs mécaniques qui se déplacent de manière autonome sans être directement manipulés par des humains. Remontant l’histoire pour identifier leurs origines, nous remarquons l’existence d’appareils mécaniques mobiles autonomes à Alexandrie vers le IVe siècle av. J.-C. [21] ainsi l’utilisation des gardiens robotiques automatisés ” en bois, conçus à l’époque du roi indien Ajatasatru de Magadha un siècle plus tard [21]. Quelque temps plus tard, le polymathe Ismail al-Jazari - suronmé "le père de la robotique" parmi les roboticiens d’aujourd’hui - a construit plusieurs automates humanoïdes pendant la période islamique du XIIIe siècle. Trois siècles plus tard Léonard de Vinci aurait présenté à la cour de Milan son chevalier mécanique. Dès le XVIIIe siècle, Jacques de Vaucanson présente lors des salons et des expositions privées, des inventions comme son célèbre "joueur de flûte" avec des poumons artificiels, ainsi que un canard qui pouvait manger, déféquer et flotter sur l’eau [23] comme son double animal ” [24]. Selon [25] et [24], Vaucason aurait même été mandaté par le roi Louis XV pour construire secrètement un androïde de taille humaine vraisemblable dans les plus petits détails à des fonctions biologiques du corps humain - respiration, circulation, digestion, mouvement. Compte tenu des limitations techniques et matérielles de cette période, ce projet a malheureusement dû échouer. Vers la même époque, Wolfgang von Kempelen trompe son public en cachant un vrai humain dans son automate joueur d’échecs appelé Le Turc", en invitant les nobles à défier les capacités intellectuelles ” de sa machine. Un siècle plus tard, des inventions pratiques comme le phonographe ou le Cinématographe des frères Lumière confirment l’intérêt des spectateurs pour un goût du spectacle inspiré par la science, mettant en avant des machines ressemblant à des humains et éventuellement des robots. L’histoire de la robotique est étroitement liée à celle d’art [26], la sculpture anthropomorphe et la marionnette influençant la robotique plus que le design des ordinateurs. La différence entre les automates et les robots sociaux, indépendamment de leur utilisation ou de leur forme, est que les premiers sont des artefacts uniques, créés à la main ” [27] alors que les derniers sont produits en masse, de façon automatisée. Gakutensoku, une nouvelle race ? Au début du XXe siècle, l’écrivain tchèque Karel Capek écrit R.U.R.- Rossumovi Univerzalni Roboti (Les Robots Universels de Rossum) - une pièce de théâtre sur des créatures artificielles travaillant en usine. Ces créatures appelées "roboti" étaient facilement confondus avec les humains en raison de leur forme et de leurs capacités. Conçus pour remplacer le travail humain, ils apparaissent capables de réfléchir par eux-mêmes. D’abord heureux de travailler pour les humains, ils finissent par prendre conscience de leur état et décident de se rebeller contre les humains. Puisque cela peut potentiellement provoquer leur propre extinction [28], ils changent de perspective et décident de sauver l’avenir de l’humanité. Le texte gagne rapidement en notoriété et est traduit dans plus de trente langues à la fin du 1923 [27]. Le terme robot ” [29] est désormais employé pour désigner des androïdes et des automates ("robota" signifiant travail forcé ” en tchèque). Le nom du créateur des robots - Rossum [30] - pourrait renvoyer au mot tchèque rozum ” signifiant raison ”, sagesse ” ou "bon sens" [31]. Dans cette interprétation, les créatures de Capek correspondaient à des serfs apportent la raison aux humains ”. Aujourd’hui seulement le terme robot ” [32], [26] désigne ce que nous appelons des machines programmables autonomes. Leurs applications se sont diversifiées[33], [34] (impactant des domaines comme la médecine, l’aéronautique, le militaire) et notre interaction avec les robots et leur impact à long terme sur nos vies [4] est en pleine expansion [35]. R.U.R. a été diffusé dans le monde entier et a conduit à différentes réactions parmi ses spectateurs. Au Japon, le spectacle a été présenté en 1924 sous le titre de Jinzo Ningen ” (Homme Artificiel)[36]. Quatre ans plus tard, Makoto Nishimura- un biologiste marin sans aucune connaissance préalable en mécanique ni en ingénierie - a décidé de construire de toutes pièces une créature autonome équivalente, qu’il a nommée Gakutensoku ” . Ce terme traduit par apprendre des règles de nature ” vient en réponse aux médias de l’époque où les machines sont dépeintes comme des "serviteurs" des humains. Ainsi naît le premier robot fabriqué au Japon, selon son créateur "le premier membre d’une nouvelle espèce, dont le but est d’inspirer les humains et de faciliter l’évolution humaine en élargissant nos horizons intellectuels ” [37]. A partir de ce premier exemple, c’est intéressant d’imaginer comment les robots pourraient devenir un jour une race à part entière, capables d’autonomie et d’une forme de conscience artificielle”. Cette thèse traite des exemples qui apportent les pour” et les contre” d’une telle projection, avec l’art comme terrain idéal d’expérimentations. \subsection{L’invention de l'Art Robotique} Au début du 20ème siècle, les artistes se sont intéressés à la cinétique et les sculptures en mouvement. Après les machines de Jean Tinguely [26] et de Marcel Duchamps, l’artiste coréen Nam June Paik crée l’oeuvre Robot K-456 (1964) - probablement le 1er robot humanoïde à être utilisé dans un projet artistique. Son nom vient de l’œuvre de Mozart Concerto numéro 456 pour piano n° 18 en Si bémol majeur ”, témoignant des liens entre la musique et la robotique. Ce prototype de robot télécommandé sur 20 canaux, a été construit au Japon par Shuya Abe [55] pour être présenté lors d’un festival annuel d’avant-garde à New York. Lors de son apparition publique, le robot K-456 a marché dans les rues de New York pour diffuser l’enregistrement du discours du président John F. Kennedy. Il a également été impliqué dans une série d’actions type happenings, comme celle dans laquelle il fait semblant de déféquer devant des passants. Plus tard, dévenu célebre par à son utilisation de la vidéo et des médias de l’époque, Paik crée une oeuvre où Merce Cunningham est dedoublé en train de dancer sur des fonds de couleur qui alternent entre bleu, blanc et transparent. Cette œuvre intitulée Merce by Merce by Paik (1973) confirme les intuitions de l’artiste quant à l’impact des moyens technologiques sur la perception humaine. Ainsi il nous fait perdre le focus de la perception du mouvement dansé, en jouant avec l’environnement qui contient le danseur (citer Stamatia). Le projet K-456 reste toujours en cours et vingt ans plus tard, le robot prend part à une simulation d’accident intitulée La première catastrophe du 21e siècle ”. Cette fois une voiture conduite par l’artiste Bill Anastasi [56] lui rentre dedans en traversant la route. Dans ce premier exemple, nous soulignons l’intention de l’artiste de provoquer des interactions physiques et de donner l’illusion des processus physiologiques propres au robot, similaire au Canard de Vaucanson. Les spectateurs de cette performance assistent à une rencontre entre deux machines où un robot actionné par un humain (la voiture) heurte un autre. Leur rencontre conduit à la destruction du premier, projetant, sans probablement vouloir, une relation de confrontation entre les humains et les robots, avec des robots qui combattent pour dominer la race humaine. Ce scénario menaçant des robots destructifs a été réitéré tout au long des années suivantes. Lors des représentations données par Survival Research Laboratories, des machines souvent à grande échelle rivalisent pour s’entre-détruire [26], [57]. A la même époque, les artistes Bill Vorn et Louis Philippe Demers dépeignaient les robots comme des animaux sauvages se contestant un cube de métal (qui représente un morceau de viande) dans Au bord du chaos ” (1995). Dans sa performance "A- positif ” (1997) [58] Eduardo Kak est littéralement connecté à un robot, à travers une aiguille intraveineuse qui transfuse son propre sang à la machine, afin d’allumer avec l’oxygène du liquide[28] la flamme d’un dispositif électronique. L’acte pourrait être interprété comme une métaphore pour alimenter la machine, la nourrir. Cela peut aussi signifier une tentative de le rendre humain, voir comment sa réalité physique peut ou pas transgresser les lois biologiques du vivant. Cette association de sang et de métal, du vivant et de l’artificiel, à son l’origine dans la littérature du début de 19e siècle alors que des écrivains comme Mary Shelley, préconisent ce que les chercheurs ont depuis identifié comme le syndrome de Frankenstein ” [8], [59]. En analysant les facteurs [10] qui influencent l’acceptation des robots humanoïdes, les chercheurs travaillent pour mieux expliquer nos attentes envers ceux-ci. De façon similaire, plusieurs films [11], [60] mettent en scène des humains artificiels et des études sociologiques [61], [62] pour examiner comment l’attitude envers ces robots est influencée par leur antériorité et popularité dans le média. Bien que certains artistes expulsent des pulsions morbides dans leurs projets d’art robotique, d’autres se concentrent sur des émotions moins destructrices. Une approche originale est d’utiliser l’ennui et l’épuisement comme forme de résistance face aux capacités infinies de la machine. L’œuvre Helpless Robot" de Norman White (1987) [63] est un exemple. Après presque un décennie des recherches, il developpe des robots capables de ce qu’il définit comme de "la santé mentale artificielle" et dans une certaine mesure des robots antisociaux ” [28]. Avec le sentiment de l’ennui comme point de départ, il a créé un robot qui suivait les gens présents à sa performance. Ce robot soupirait de temps en temps et s’arrêtait lorsque quelqu’un lui donnait trop d’instructions. La prochaine version est un tronc pyramidal d’environ 2m de haut, conscient de son propre mouvement et du mouvement autour de lui. Ce robot s’arrêtait puis demandait aux visiteurs de le tourner, étant capable d’exprimer pas moins de 512 instructions vocales [26]. Après qu’un humain répondait à sa requête, il se plaignait en disant que le virage devrait être plus précis, obligeant le visiteur à le retoucher, afin d’ajuster son emplacement encore et encore. Il est important de noter que l’interaction physique entre le robot et l’utilisateur est initiée dans ce cas par le robot. D’autres expérimentations artistiques, comme par exemple Heart Robot ” de David McGoran (2008) décrit dans les pages suivantes, s’appuient sur un constat similaire. Les robots qui demandent de l’aide à des humains [64], ont plus de chances d’engager un contact physique avec eux et peut-être d’être acceptés ” dans la société. Plus tard, Norman White participe à une collaboration avec sa collègue artiste Laura Kikuka. L’œuvre, intitulée Them fucking robots ” (1988) [63], met en place une performance live où deux robots -mâle et femelle- simulent une relation sexuelle avec des voix enregistrées, des pistons et des fluides mécaniques pour caricaturer une forme de copulation biologique. Les deux artistes se sont mis d’accord sur leurs artefactes sans se voir et n’ont convenu en amont que sur certaines spécifications techniques 10 comme la dimension de leur robots. Je note ici l’utilisation du thème de la sexualité comme prétexte pour provoquer et éventuellement amuser le public. Les robots n’exprimant ni des traits humains érotiques, ni de la séduction. Le titre de la performance est proche d’un "jeu de mots dénonçant un cri de sectarisme contre une minorité déjà détestée” [28]. Même type de promiscuité chez Marcel Li Antunez Roca dont le premier travail intitulé Epizoo ”(1994), met en scène l’interprète qui à la discrétion des spectateurs son propre corps. Ainsi son nez, ses fesses, ses pectoraux, sa bouche ou ses oreilles sont contrôlés en live sur le plateau, via un exosquelette pneumatique. Vêtue uniquement d’un string, Roca se tient debout sur la plateforme circulaire tournante de sa performance, tel un cobaye. Pendant ce temps son corps et ainsi les quelques éléments scéniques (lumière, son) sont contrôlés avec une souris par les spectateurs. De même, en utilisant les écrans d’ordinateurs, des parties de son corps nu seraient rassemblées dans une imagerie fétichiste. Cela conduit finalement au développement d’un des concepts clés de Roca - "la méta-membrane [65] ” par laquelle l’artiste est transformé en une interface entre l’œuvre d’art et son public, grace à la technologie. Membres d’une scène artistique émergente qui veut couper les traditions, afin d’y établir un nouveau courant, Antunez Roca et Kac résument leurs idées dans un manifeste [66] où ils déclarent entre autres que "les microprocesseurs sont aussi importants dans l’art robotique que les brosses, peinture, et les toiles sont en peinture ”. Faisant référence à ces projets artistiques, Dixon emploie les termes de "camp art" et de "performances métalliques" pour définir une sub-catégorie de l’Art Robotique spécifique des années 80 et 90, où la chair et la mécanique se mélangent dans des associations kitsch. Ces œuvres d’art provocatrices et parfois violentes soutiennent que "l’humanisation des machines et la déshumanisation des humains ” sont implacables, avant de prôner un retour à la nature salvatrice [28]. C’est important de noter qu’à ce stade de l’expérimentation, la fascination humaine pour la technologie est étroitement liée à un sentiment indéfini d’impuissance traduit par la moquerie, la promiscuité ou la violence. Une tentative de transformer ces peurs et fascinations” [28] en quelque chose de plus métaphysique, mais toujours soucieux de la rencontre entre le corps humain et la machine, l’œuvre Petit Mal ”(1995) de Simon Penny met en scène un robot complètement autonome. Ce robot va sentir et explorer son espace tout en suscitant des réactions ludiques chez les visiteurs [67]. L’objectif de Penny est de donner l’impression d’une intelligence et d’un comportement spécifiques qui ne sont ni anthropomorphes ni zoomorphes, mais propre à sa forme physique et nature électronique ” [44]. Cela donnait aussi l’impression d’être plus intelligent qu’il ne l’était en réalité. L’artiste a créé un robot capable d’imiter le comportement humain, soulignant l’importance de ce qu’il définit comme "un mimesis dynamique" - le robot se déplaçant comme les humains, sans avoir réellement une forme humaine. Sur son site, Penny décrit Petit Mal" comme un "anti- robot ”dotée d’une autonomie d’environ 12 heures, ce qui représente beaucoup compte tenu de l’époque de sa construction. Pour le construire, l’artiste utilise le modèle d’un double pendule comme générateur de mouvement auquel il rajoute des mouvements hésitants et des petits gestes pour renforcer l’idée d’autonomie et de libre arbitre. Penny remarque également que parmi tous les utilisateurs, les jeunes enfants seraient extrêmement curieux de le connaître, tandis que les adolescents agissent de façon indifférente [67]. Dans une autre approche, l’artiste japonais Momoyo Torimitsu performe Miyata Jiro ” (1997) dans les rues de New York [68]. Habillée en infirmière, l’artiste assiste un robot humain réaliste représentant un d’homme d’affaires. Ce qui choque les passants est que le robot rampe sur son ventre tandis que l’infirmière le suit pour remplacer de temps en temps les batteries qui l’alimentent - pour l’anecdote des batteries de motocyclette stockées dans les fesses du robot. Ce robot basique a un mécanisme de déplacement assez simple mais à cause de son apparence réaliste, provoque un sentiment de mal à l’aise en sa présence [69]. Encore une fois, l’interaction physique robot-performer est facilitée par la mise en scène du robot dans une position de vulnérabilité par rapport à l’humain. Cette fois le message artistique s’adresse aux humains, qui par leur addiction au travail, s’automatisent”. Pareil aux exemples de "Robot K-456" ou "Petit Mal", je souligne la présence du robot dans les rues, dans l’espace public, à la place des musées (où le robot serait davantage contemplé) ou du laboratoire (où le robot serait un simple outil de recherche pour des tâches industrielles). Des champs comme la "robotique située" [70] se concentrent sur la façon dont les robots sont perçues dans des environnements complexes. En comparaison avec un laboratoire, la personne qui interagit avec le robot dans une école ou un hôpital ne remarquera pas ses limites techniques, étant plus préoccupée par les indices de son comportement social. Première décennie du XXIe siècle Autour de la première décennie du 21e siècle, des chercheurs avancent l’hypothèse qu’environ 55% de la communication humaine est basée sur du comportement non-verbal [71]. Bientôt, les artistes deviennent intéressés par les robots et les machines qui "s’expriment" à travers des mouvements et des gestes à la place des signaux sonores. Comme mentionné précédemment, "Heart Robot" (2008) marque une transition dans la façon dont les robots sont présentés dans l’espace publique. Cette fois, les machines bruyantes et métalliques sont remplacées par une petite marionnette hybride capable de toucher et être touchée. Marionnettiste lui-même ainsi que roboticien, Goran met au défi la perception culturelle des robots grace aux émotions artificielles et à l’intelligence sociale. Son robot ne peut pas marcher mais présente une forme de respiration simulée, du pouls avec un affichage LED type "cœur" sur sa poitrine et des clignotements. Ses yeux fonctionnent en quatre modes : endormi, somnolent, éveillé et surpris. Ses mains ont trois doigts et un pouce pour saisir d’ autres mains. Somme toute, cette créature assez fragile, de la taille d’un enfant, s’oppose à l’image des robots puissants de la littérature de Science Fiction. Il simule la respiration pour exprimer un état émotionnel détendu. Les résultats de [20] montrent comment dans une certaine mesure, la mise en œuvre des capacités de toucher dans les interactions avec les robots a un potentiel thérapeutique sur les humains. Goran a présenté "Heart Robot ” lors de foires et d’événements culturels non liés à la robotique. La plupart des utilisateurs adultes qui l’ont touche ou tenu dans leurs bras ont ressenti un certain sentiment d’empathie [72] pour lui. Cependant, certains enfants et adolescents ont manifesté des réactions agressives et un enfant a donné un coup de poing au robot en face, pour voir comment il réagirait [64]. Cet exemple, plutôt une exception dans l’accueil du "Heart Robot", prouve que la fascination des humains pour les robots pourrait être enracinée dans un sentiment ambivalent de peur et d’admiration généré par nos propres limites et projections en tant qu’espèce, face à une potentielle autre. Pour revenir au robot Gakutensoku créé par Nishimura, il est important de se rappeler que cela dépend surtout de nous, humains, si les robots réfutent nos peurs les plus profondes, ou simplement les confirment. J’ai mentionné la peur et l’effet d’étrangeté [69] que la présence des robots peut avoir sur nous. J’aimerais donc par la suite analyser le travail de Hiroshi Ishiguro avec l’œuvre "Telenoid R1" (2010). Professeur d’université et chercheur sur des robots humanoïdes hyper-réalistes, il est le créateur de "Geminoid HI" (2006)15- un androïde copie identique de lui-même [73]. L’objectif de la recherche d’Ishiguro est d’enseigner l’expérience humaine aux androïdes. Par ce projet présenté lors du Festival Ars Electronica, il a conçu un robot téléopéré de petite taille, sans membres et qui pouvait manifester son engagement qu’à travers des mimiques et du retour vocal. En comparaison avec Heart Robot" il a provoqué des réactions distinctes. Puisqu’il était piloté par un opérateur humain, ce robot a été capable de passer d’une langue à l’autre très rapidement, donnant l’impression d’être un "fantôme dans la machine" - concept expliqué dans [74] comme indépendant de la machine elle-même (plutôt un produit de l’influence des machines sur l’environnement). Cela peut aussi rappeler en quelque sorte des robots de proximité de Demers [46] et de son intention de rendre crédibles des agents peu crédibles. Plus probablement les démonstrations d’élocution ou d’adaptabilité des robots motivent peu les interactions physiques des spectateurs. La peur de l’humain d’être contrôlé par un robot surpuissant augmente au fur et à mesure que le robot exprime plus d’agence et d’autonomie. Cependant dans un étude avec des personnes âgées [75], des chercheurs de l’équipe d’Ishiguro ont remarqué qu’en étreignant spontanément Telenoid R1, les humains éprouvent de la sympathie pour lui. Toujours selon l’article, cela peut éventuellement s’expliquer par le fait que les personnes âgées ignorent le sens du concept de robot télé-opéré. De façon similaire, d’autres robots d’Ishiguro ont participé à des projets de théâtre lors des collaborations avec le metteur en scène Oriza Hirata [76]. Sur scène l’accent est mis sur l’intrigue narrative donc les robots jouent leur propre rôle [77] et ils sont acceptés ” dans leur singularité. L’effet d’étrangeté diminue par conséquence. Pour aller plus loin sur ces considérations, le chercheur Guy Hoffman introduit le concept "d’étrangeté sociale" [78] en relation avec les robots sociaux et leur compagnie. Selon lui, les robots de compagnie peuvent déclencher des troubles psychologiques importants, selon la fragilité et le profil émotionnel des usagers. Dans ce contexte, les conventions scéniques peuvent devenir l’environnement approprié pour que l’intelligence des robots exerce sans contraintes sa spécificité. Parmi les formes performatives, la danse est celle qui exige beaucoup de contact physique. Nous avons vu plus haut comment les paradigmes liés à la représentation du corps en mouvement impactent les nouvelles créations scéniques. A la fin des années 1960, des chorégraphes comme Deborah Hay, Steve Paxton ou Lucinda Childs ont collaboré avec les experts en informatique des Bell Labs, pour danser avec des machines pendant les événements E.A.T. (Expériences en art et technologie). Presque à la même époque, Merce Cunningham utilisait l’ordinateur pour créer des outils chorégraphiques [79] qui génèrent des mouvements artificiels. Plus récemment, avec le développement des robots industriels, les chorégraphes ont commencé à les inviter sur scène. Cela a motivé les chercheurs à améliorer encore plus leur mouvement et capacités [80] d’adaptation. Parmi les pionniers des projets de la danse robotique, j’aimerais mentionner deux artistes qui ont choisi de mettre des machines non-anthropomorphes sur scène. Le premier est la performance Sans objet ” (2009) d’Aurélien Bory, où deux danseurs impressionnants par leur précision, exécutent des acrobaties sur un bras industriel de General Motors [83]. Face à la taille du robot, ils ressembleraient à des insectes qui sautaient sur une branche d’arbre. A l’opposé la série Actor ” (2008-2010) de Kris Verdonk [81], [82] présente le spectacle Dancer 3 ” où la scène est vide, à l’exception d’un petit robot maladroit qui a du mal à se tenir débout. Chaque fois il retombe, sans jamais céder à son objectif, endurant inlassablement ce processus d’essais et d’erreurs. Comme la séquence se répète, des bips sonores choisis par Verdonk donnent l’impression d’une voix avec des soupirs de la part du robot. Les spectateurs projettent une attitude empathique envers lui, comme ils le font probablement avec les danseurs de Bory- bien que ceux-ci se mettent en danger pour escalader le bras robotique. Certaines questions importantes autour de l’automatisme et de l’autonomie émergent de ces deux exemples. Que se passerait-il si le petit robot abandonne ” ses essais ? Ou si le robot géant décidait de secouer les humains qui pendent dessus ? Pourquoi le manque de maîtrise du deuxième robot impressionne tout autant que la précision des danseurs du premier exemple? Probablement parce-qu’un corps non-humain en mouvement La persévérance d’un robot dans sa maladresse ou sa précision et endurance élevées (qui sont évidemment des comportements pré-programmés ) sont à l’opposé d’une figure humaine imparfaite qui vacille dans son indécision et incertitude. Fascinées par la haute précision et la froideur automatique ” des robots industriels, des chorégraphes émergents comme le Finlandais Thomas Freundlich, la Britannique Merritt Moore ou l’Américaine Catie Cuan continuent de défier leur potentiel créatif sur scène. Parmi d’autres, le travail du chorégraphe taïwanais Huang Li, intitulé Huang Yi \& KUKA” impressionne par sa délicatesse et sa puissance. Le l’artiste a mis plusieurs années à s’habituer à la programmation d’un bras KUKA par lui-même [84]. La performance qu’il propose a eu plusieurs versions depuis 2012, une seule minute de chorégraphie du robot nécessitant 10 à 20 heures de programmation. Sur une musique classique de Joshua Roman, l’homme et la machine interchangent des rôles. À la fois, le robot manipule complètement le corps de l’interprète, en le touchant tendrement. La fluidité de ses mouvements illustre les progrès réalisés par l’industrie robotique des dernières années. Encore une fois, il paraît que les machines peuvent exprimer tout leur potentiel sur scène, là où la rencontre avec les humains est libérée du contexte productif de l’industrie. Pour souligner cette observation, je m’appuie sur le commentaire de Bory concernant son propre travail, pour qui un robot industriel hors de son contexte devient aussi inutile comme tout geste artistique devrait l’être ” citer Bory. Ceci est valable dans d’autres disciplines artistiques, par exemple en musique. Pour appuyer cela je mentionne Shimon live impro jazz performance ” (2009) de Guy Hoffman. Ici la machine est extraite de son contexte industriel et conçue exclusivement pour un jam d’improvisation jazz. Shimon est un robot-joueur de marimba capable d’improviser, conçu par Hoffman qui est lui-même musicien. Le chercheur a utilisé une approche gestuelle pour son expression musicale, avec des alternances entre des mouvements lents et rapides, des gestes grands et petits pour travailler sa virtuosité. Comme dans la danse, chaque geste est divisé en plusieurs phases qui se succèdent [85]. Pour modéliser les imprévus du temps réel et faciliter des moments synchronisés non scénarisés lorsqu’ils jouent ensemble, Hofmann a utilisé une méthode d’anticipation spécifique au théâtre. Pour lui, les roboticiens devraient s’en inspirer plus par des techniques de formation d’acteurs comme le monologue intérieur continuel ” lors de la conception des robots capables de comportements reactifs[86]. En travaillant avec des systèmes robotiques orientés vers l’action et la perception, Hoffman a obtenu des mouvements rapides plus adaptés - son but étant d’atteindre quelque chose proche de la "réactivité intuitive" d’un robot. Dans une approche connexe, l’Université Waseda conçoit également des robots qui improvisent de la musique en temps réel avec des partenaires humains. L’une de leurs premières expériences d’improvisation est le Waseda Flutist Robot” (2008), un prototype ayant subi plusieurs améliorations depuis les années 1990 [87], probablement version raffinée de l’Automate de Vaucanson du 18éme siècle. Cependant la musique n’implique pas un contact physique entre interprètes, mis à part un contact étroit avec les instruments de musique. Néanmoins le niveau de complicité lors d’une improvisation musicale est suffisamment élevé pour établir quelque chose semblable à une interaction physique, puisque le robot et l’humain ont un statut égal lors d’une improvisation. Cette parité pourrait également être maintenue et peut-être améliorée pour l’improvisation dansée, lorsque les mouvements des robots ont une qualité de réponse similaire à celle des danseurs. Au début des années 2000, le compositeur Japonais Suguru Goto a construit des systèmes où les gestes des robots peuvent modifier en temps réel le processus scénique[88]. Son prototype Body Suit ”, créé par Patrice Pierrot en 1997, a été initialement utilisé pour contrôler le son et les images générés par un ordinateur sur scène. En 2003, son prochain projet Robotic Music ” associant 5 robots à percussion, permet à un interprète doté d’un Body Suit ” d’improviser en live via 12 capteurs de flexion, avec les percussions acoustiques robotisées ”, du son et de la lumière. Semblable à une musique d’improvisation électroacoustique qui offre une grande liberté d’expression, le comportement des robots ainsi que leur interactivité avec les autres partenaires de scène stimulent l’imagerie artistique des spectateurs. La panorama des possibilités d’expression artistique des robots continue avec un projet de recherche de l’Université du Tohoku [89]–[91] qui développe des robots qui dansent. Leur l’hypothèse principale est qu’en comprenant ” et en anticipant les intentions humaines, un robot peut s’engager plus activement dans l’interaction avec un humain. Pour faciliter une synchronisation du couple, leurs études se concentrant sur la qualité des mouvements corporels [92] soulignent l’importance d’ une analyse poussée des capteurs de mouvement (MoCap). Une autre étude plus récente[93] utilise un robot enseignant la danse, pour évaluer les compétences nécessaires lors des processus d’apprentissage HRI, basées sur le contrôle de l’impédance adaptative et le retour haptique. Le robot effectue un mouvement continu d’adaptation à la dynamique de l’interaction, tandis que l’humain assume le rôle de suiveur. Dans ce contexte particulier, est le mouvement une clé pour l’acceptation des robots dans les œuvres d’art en tant que catégorie à part, spécifique à leur propre fonctionnement - ni propre aux humain, ni propre à des objets, mais quelque chose entre les deux? Je continue cette exploration d’Art Robotique avec deux artistes qui ont influencé la recherche scientifique à travers leur pratique tout au long de leur vie. Tous les deux ont imaginé des installations et des performances où les dispositifs automatisés questionnent la capacité des robots à transgresser les problématiques inter-espèces et éventuellement acquérir de l’individualité” ou une personnalité propre. Commençons tout d’abord avec Stelarc et son Articulated Head ” (2010), devenu ensuite Thinking Head Attention Model and Behavior System ” ou THAMBS [94]. Comparé au Bory, Stelarc a adapté l’utilisation d’un bras robotique industriel Fanuc LR Mate 200ic avec un écran de 17 pouces monté sur le robot pour créer un rendu 3D de sa tête, devenue tête prothétique. Le système contient également un ensemble de capteurs comprenant de la localisation auditive, de la vision stéréo ainsi qu’une vision monoculaire pour faciliter une connaissance détaillée de la situation et de son environnement. Cette forme de présence qui simule une prise de conscience, confrontée au paradoxe ghost in the shell” des robots d’Ishiguro, s’échappe de peu aux critères de la vallée de l’étrangeté, puisqu’il s’agit d’une machine peu réaliste, presque non-anthropomorphe et donc pas d’un humanoïde réaliste. Ceci dit, dans [95] Hertah mentionne comment le robot a surpris (pour ne pas dire effrayé) le personnel du laboratoire où ils travaillaient, en pleine nuit. Entré en mode veille en raison de son inactivité, le robot a rapidement réagi dans le noir, lancant un "Bonjour" enthousiaste à un employé qui effectuait son ronde de nuit. Alors que l’interaction homme-robot s’est produite de façon accidentelle, la réaction du gardien a été d’avoir peur, prouvant une fois de plus que les humains craignent les robots quand ils sont imprévisibles. Dans une autre étude portant sur le rôle du toucher dans les constructions empathiques avec les robots et leur impact sur la santé [96], des chercheurs ont associé à un moniteur affichant un visage humain, un dispositif doté de deux degrés de liberté simulant une main capable de pression. L’ensemble avait certaines limitations techniques, car les participants devaient tenir la main du robot en continu pendant les essais. Différents scénarios d’interaction ont été proposés pour analyser si le toucher combiné avec la parole ou les expressions faciales, peuvent améliorer la relation avec un agent artificiel. Il a été conclu que le toucher peut entraîner une interaction robotique réconfortante et emphatique, quel que soit le contexte des signaux multimodaux qui expriment un état d’affection. En ce qui concerne les critères qui relèvent de l’étrangeté sociale mentionnés plus haut, je remarque un détail intéressant. La littérature [97] offre de riches possibilités d’ expression dans le HRI. Cependant Stelarc a toujours vu son corps comme un prolongement des systèmes opérationnels”. En utilisant des prothèses et des exosquelettes qui actionnent ses mouvements, il s’estompe face à la technologie. Dans ses œuvres, c’est l’humain (et non le robot) qui devient étrange. Presque dans une approche contre-culturelle, Stelarc a réussi à inverser le rapport à la technologie en l’intégrant dans son corps [26], [98] à travers des dispositifs très originaux, comme son troisième bras ou les pattes d’araignée. Le travail de Ken Rinaldo, artiste et chercheur intéressé par l’hybridation homme-machine (ce qu’on appelle aujourd’hui bionique avancée) apparaît dans la meme lignée. Son installation robotique Enteric Consciousness ” (2010) est un exemple de biotechnologie, dont les principes sont similaires aux celles des projets d’Eduardo Kac [28]. Dès 1993 l’artiste crée une installation pour que des vrais poissons explorent l’environnement humain en pilotant un aquarium automatisé [26] -sorte d’un robot piloté par des poissons. Semblable à la performance "A-Positive" de Kac mentionnée auparavant, Rinaldo est un pionnier dans le domaine de la biotechnologie. Dans sa contribution intitulée : Trans-Species Interfaces : A Manifesto for Symbiogenesis ” [99], is décrit son dernier travail comme une interface entre un récipient en verre symbolisant un estomac rempli avec des cultures bactériennes vivantes et une langue robotique de taille humaine capable de masser l’utilisateur lorsque la flore bactérienne est en bonne santé. En utilisant des analogies entre le doigt (comme extension du cerveau humain) et la langue (en tant que prolongement du système nerveux entérique), Rinaldo propose une expérience corporelle synesthésique. Son dispositif n’est pas un robot en soi, mais plutôt un environnement robotique pour faciliter l’interactivité entre l’homme et les machines, par l’intermédiaire du contact physique. La spécificité de chacun de ces exemples est qu’ils défient le concept d’anthropomorphisme [100], [101] chez les robots. Probablement ces deux artistes ont voulu créer des prototypes pour des nouveaux espaces robotiques propres à la création artistique. Profitant de ce contexte innovant, j’aimerais avancer la projection anthropologique suivante. Pour une grande majorité des humains, les robots sont, du moins actuellement, hors de portée. Ils pourraient les rencontrer dans les médias ou lors d’un événement spécifique, mais pas interagir directement avec eux dans un contexte privé. Ainsi, les robots peuvent apparaître comme différents (au sens d’un nature inconnue ”) par rapport aux autres humains, des animaux domestiques ou des dispositifs automatisés que nous connaissons dans notre vie courante. Autant les imaginer descendants d’animaux sauvages, par leur rareté et leur comportement peu connu. En supposant maintenant que l’interaction physique entre les humains et les animaux sauvages a principalement été provoquée par les premiers (puisque les animaux domestiques ont été inoculés la nécessité d’interagir avec les humains pour survivre), comment un robot (ou système robotique) qui a trouvé sa propre spécificité et son capacité d’agir, interagissait avec nous? Le craindrons-nous, comme nous continuons à craindre les animaux sauvages que nous n’avons pas réussi à apprivoiser ? Dans [20], les chercheurs ont conçu un outil appelé ‘The Haptic Créature", pour étudier les effets affectifs du toucher en HRI. Équipé d’un actionneur et des divers capteurs de pression, température et vibrations, ce robot explore le potentiel thérapeutique du toucher, partageant certaines caractéristiques animales comme moyen d’exprimer un comportement affectif. \subsection{Les enjeux des derniers décennies} L’histoire est cyclique et nous avons vu par le passé que des archétypes et des leitmotivs se recyclent dans l’imaginaire collectif. Igor Stravinsky a composé "Le Sacre du Printemps, l’une des œuvres musicales les plus influentes du 20ème siècle. Cent ans après la première houleuse du ballet de Diaghilev, le réalisateur Italien Roméo Castelucci reçoit une commande pour adapter l’original. La performance Le sacre du printemps ” (2014) confirme le début d’une nouvelle tendance dans le milieu de la performance artistique, coupant net avec les pratiques traditionnelles et installant une esthétique de la disparition ” sur scène [104]. Paradoxalement, le public présent lors de cette première n’a pas été contrarié quand les robots ont pris le contrôle d’une scène vide. Cela n’était pas la première fois dans un contexte artistique. Des nombreux artistes ont déjà envisagé l’idée de remplacer l’humain avec des robots sur scène, l’un d’entre eux il y a déjà cent ans [105]. Penny’s "Petit Mal" ou Verdonk’s robot maladroit entre autres, sont des exemples plus récents de robots agissant seuls sur un plateau. La différence réside ici dans le fait que les robots remplacent les interprètes, ils ne jouent pas leur propre rôle ”, comme nous l’avons vu dans la section précédente. Dans une scénographie apocalyptique sans humains sur scène, des os de vache devenus poudre pour les engrais, pourraient symboliser un avenir lointain sans des danseurs réels. Les bras robotiques et les machines suspendus au plafond, répandent cette poudre au rythme de la musique de Stravinsky diffusée sur les haut-parleurs. La technologie facilite l’invention d’un nouveau langage artistique, tandis que la mythologie humaine est modifiée pour correspondre à de nouveaux défis. Les spectateurs assimilent ces codes avec moins d’étonnement qu’il y a soixante ans. Habitués à côtoyer ” les robots, pour citer Laumond, ils sympathisent avec leur "faire", tout en assister à la représentation. De même, dans le spectacle Nobody is an island ” (2021), le chorégraphe Wayne McGregor défie le potentiel d’empathie d’une machine en mettant en place un écosystème hybride entre deux performeurs et une sculpture automatisée créée par le groupe Random International. La dynamique de cette rencontre tourne autour des possibilités d’expression de la machine qui est capable d’identifier la présence humaine et de réagir. Son design métallique pointu n’invite pas nécessairement à l’interaction, cependant à travers ses mouvements et ses gestes doux, les interprètes sont capables de s’approcher d’elle de manière affectueuse ”. Un autre type de déconstruction des codes dans l’installation Female Figure ” (2014) de Jordan Wolfsen. L’artiste a conçu une femme-robot qui exécute une danse lubrique devant un miroir, tandis qu’elle est attaché à une tige horizontale perçant son torse. Son apparence est similaire à un sex-toy [44] avec les yeux couverts par un masque de sorcière, provoquant des sentiments mêlés de désir et de répulsion chez les spectateurs. Fixant les visiteurs et se regardant dansant, ce robot remet en cause le concept de prise de conscience de la prise de conscience ” [106] – en abordant des questions sur l’émancipation féminine du regard masculin ” et sur la manière dont la sexualité est abordée dans notre société de consommation [107]. Pour aller plus loin sur cette question d’apparence, des visiteurs de Disney’s Animal Kingdom sont déçus parce que les vrais animaux ne sont pas aussi réalistes que les versions animatroniques vues dans Disney World [9], [108]. Je me demande alors si l’exposition excessive à des silhouettes hyper-sexualisées pourrait altérer la vision des humains de la sexualité et de la séduction d’une manière analogique? Trente ans plus tôt, White et Kikuka, entre autres, ont exploré la sexualité d’une façon parodique. Mais est-ce que leur façon de considérer la sexualité a été spécifique à leur époque? J’aimerais croire que cela a été spécifique aux limites technologiques auxquelles ils étaient confrontés. De nos jours, puisque l’industrie pornographique a accéléré le développement des robots et dispositifs animatroniques sexualisés réalistes [109] [110], les artistes ont également commencé à considérer ces robots hors de leur contexte. Pour questionner la notion de sexualité à travers une œuvre, les spectateurs sont moins préoccupés par la sexualité du robot, qu’ils sont avec la sexualité en tant que phénomène social. Dans cette idée, tout ce qui est créé par nous, musique nosu sommes humains, finit par remettre en question des aspects humains. Idéalement, l’art devrait assurer un contexte neutre - où les deux questions anthropocentriques et technocentriques sont abordées - mais sa réception est biaisée car les spectateurs d’une œuvre éprouvent leur propre individualité et subjectivité en l’admirant. En sélectionnant ces œuvres où le contact physique avec les robots n’était pas privilégié selon les contextes respectifs, il y a toujours les mêmes questions ontologiques concernant notre relation avec eux qui persistent. Comme déjà évoqué, souvent dans les propositions artistiques les plus fortes les humains engagent un contact physique avec les robots. Par exemple dans la performance "Sayonara" (2010) l’une des performances de Hiroshi Ishiguro, Geminoid caresse la joue d’une femme qui pleure. Alors que dans le spectacle Spillikin ” (2017) du Pipeline Theatre, un androïde tient la main d’une vieille dame, pour la consoler de la perte de son mari. Le robot, construit par Engeneering Arts company au Royaume-Uni est un ancêtre” de l’Ameca Android, impressionnant par le hyper-réalisme de ses expressions faciales. La même technologie sera utilisée plus tard pour développer Ai-Da, le premier robot-artiste au monde. En analysant ces exemples, le récit autour de l’interaction théâtrale aide à créer et maintenir un environnement sûr pour les robots. Alors qu’en danse, comme nous l’avons vu plus haut, les chorégraphes se mettent en danger, se produisant avec des robots industriels dans des séquences de mouvement dangereuses. Cette tendance a légèrement changé, lorsque la société française Aldebaran Robotics a développé un robot de 58cm appelé NAO, facile à programmer et accessible. Des chorégraphes comme Bianca Li ou Emmanuelle Grangier ont travaillé avec ce robot d’une manière moins démonstrative. Dans la performance de Li, "Robot" (2013), l’un des danseurs aide un NAO à se tenir debout, tandis que d’autres NAO entrent en synchronie avec huit danseurs déguisés en robots. Quant au travail de Grangier, passionnée par la rencontre avec l’arbitraire, nous découvrons une apologie des bugs techniques. Dans Link Human/Robot ” (2015), on peut voir un NAO trébuchant sur une danseuse et plus tard la serrant dans ses bras. Suivant des questions analogues, le travail School of Moon ” (2016) du chorégraphe français Eric Minh Cuong Castaing se concentre sur la manière dont les humains pourraient cohabiter avec des robots. La force de sa proposition réside dans la double nature de la forme - quelque part entre art visuel et objet chorégraphique. Coproduit par le Ballet National de Marseille, il implique la collaboration avec le roboticien Thomas Peyruse qui a configuré cinq robots NAO et deux Poppy pour les différents étapes du projet- le travail a été présenté sous divers formats qui ont conduit à des moments performatifs dans des centres d’art et des écoles. L’artiste a mis en scène des enfants, danseurs et robots de petite taille avec l’intention de représenter un communauté post-humaniste où les humains et les robots performent ensemble des rituels sacrés. L’attention est portée sur la perception et les mouvements lents grâce au mapping vidéo en direct. Les enfants apparaissent imiter les robots de manière délicate, suggérant une possible complicité avec eux. À un moment donné, une fille tenant un faux pistolet le pointe vers un robot. Ce geste ambivalent illustre à la fois un appel à la destruction mais aussi une forme de résignation face aux possibilités et capacités infinies de la machine. Un autre projet qui attire notre attention est My Square Lady ” (2015). Cette production d’opéra implique un robot Myon dotée d’une forme de conscience proprioceptive et de la rétroaction sensorimotrice, qui lui permettent d’improviser pendant la représentation. A travers sa participation dans le spectacle, il nous fait comprendre assez vite que son principal objectif est de comprendre la musique et les émotions humaines. Il est amené à exprimer ses limites sur scène, forçant les interprètes à s’adapter à son comportement. Son processus d’apprentissage est authentique et se déroule dans des conditions réelles[105]. Hild Manfred, le chercheur qui a configuré le robot avec ses collègues du Laboratoire de Recherche en Neurorobotique de l’Université Humboldt de Berlin, est également présent sur scène pendant le spectacle. Plus tard l’humanoïde modulaire est démantelé pendant que des chanteurs, des musiciens et des chercheurs passent les parties de son corps de l’une à l’autre. Ce geste est effectué de manière calme et douce par rapport aux performances bruyantes vingt ans auparavant. Probablement la problématique est restée la même depuis soixante ans et nous projetons toujours inconsciemment de détruire les robots par peur qu’ils nous détruisent en premier. Néanmoins l’attitude globale envers les robots a légèrement changé, les humains étant plus résilients sur le plan conscient. De plus, ce robot capable d’être démonté et réassemblé pendant la performance, présente des caractéristiques fonctionnelles sur scène, différents du corps humain et ses limites[11]. Le projet "Scary Beauty ” (2018) en première mondiale au Musée National des Sciences Émergentes et de l’Innovation (Miraikan) au Japon est un autre exemple de projet d’opéra, impliquant cette fois un chef d’orchestre androïde. Le projet est né de la collaboration entre le compositeur Keiichiro Shibuya et l’androïde Alter 2, initialement construit dans le laboratoire de Hiroshi Ishiburo de l’Université d’Osaka et programmé par l’équipe de Takashi Ikegami à l’Université de Tokyo. Le robot a une apparence étrange- mains et visage couverts de silicone, actionneurs à vue, sans sexe ni âge- et est équipé d’un système pneumatique. Il a été conçu pour s’adapter aux mouvements délicats propres aux conducteurs d’opéra. Après plusieurs essais, l’équipe a choisi de se concentrer sur la répétitivité des mouvements de haut en bas de l’épaule, plutôt que sur les mouvements de ses bras et mains. Résultat ainsi une performance synchronisée où les musiciens suivant les indications de l’androïde, jouent différemment d’un concert à l’autre. Pareil aux journaux du début du XXe siècle qui ont poussé Nishimura à imaginer Gakutensoku, les robots sont intensivement diffusés dans le média. Leurs technologies deviennent open source sur les plateformes de développement pour créer des robots conformes qui peuvent se déplacer et interagir avec une grande précision. Pour cela, les chercheurs poussent leur inspiration dans les concepts et les découvertes de différentes disciplines. Que cela est fait pour valoriser l’humain ou relever des défis scientifiques - les robots sont conçus pour correspondre et peut-être surpasser les attentes des humains. Si je reviens à la projection anthropologique proposée auparavant en imaginant le corps modulaire du robot Myon, je trouve intéressant d’imaginer des designs robotiques qui surprennent les tendances actuelles. Des artistes nonconventionnels héritiers de la tradition cyberpunk, comme l’Italien Marco Donnarumma ou la chanteuse néerlandaise d’origine iranienne Svedaliza, passent leur temps dans des laboratoires afin de développer leurs propres outils et aborder d’une façon originelle ces questions. En parallèle, des artistes consacrées continuent à réfléchir à la place que les robots occupent dans nos vies. Tous s’imaginent les formes les plus extrêmes et les scénarios les plus paradoxaux de co-habitation avec les robots. Inferno ”(2015) de Bill Vorn et Louis-Philippe Demers en fait partie, en mettant en scène le côté sauvage, indompté, de la technologie. Cette performance d’une soixantaine de minutes s’inspire de la représentation des différents niveaux de l’enfer décrit dans l’œuvre éponyme de Dante. Trente-six bénévoles parmi les spectateurs ont la possibilité d’expérimenter les limites de leur corps, en abandonnant leur contrôle moteur à des dispositifs robotiques type exo-squelettes pneumatiques qu’ils portent pendant la performance. Par son esthétique, Inferno ” pourrait être inclus dans la classification performances des métaux ” [28] que j’ai décrite précédemment. Au-delà de la peur de perdre le contrôle de son corps, ici l’humain plonge dans les possibilités de la machine, comme pour éprouver ses propres limites. Lors de cette performance, les artistes ont observé qu’il y a un moment où les performeurs s’en remettaient à la machine pour s’engager dans des mouvements exploratoires qui vont au-delà de la chorégraphie originale [115]. A travers cet exemple, j’observe un autre changement concernant la complicité entre l’homme et les robots. Nous pouvions difficilement imaginer la même adhésion du public à l’invitation de Demers et Vorn, sans passer par les propositions artistiques antérieures. Il fallait que des artistes comme Marcel Li Antunez Roca testent sur eux-mêmes ces technologies vingt ans plus tôt, afin de les rendre accessibles aux participants. Puisque les artistes rêvent au moment où des robots pourraient devenir créatifs, les roboticiens considèrent également la créativité comme un aspect important de l’autonomie des robots [52], [116], [117]. En 2019, Ai-Da (le premier robot humanoïde artiste au monde) a eu une intervention publique pour définir sa démarche artistique qui utilise la peinture comme moyen d’expression. Même si Ai-Da a été conçue avec des algorithmes d’IA complexes pour rendre son bras robotique capable de toucher et de peindre, nous ne pouvons pas parler de sa spécificité puisque son rôle est d’imiter à la perfection les artistes humains. Probablement des gens autour d’elle, tout en écoutant son discours comme s’ ils écoutent le discours de n’importe quel artiste, sont moins intéressés par le contact physique - comme ils le feraient, par exemple, en touchant Helpless Robot ou tenant dans leurs bras Heart Robot. De plus, les moments où Ai-Da est capable de feedback verbal "spontané", sont plutôt maladroits et imprécis. Alors que le robot déclare qu’il crée de l’art avec d’autres artistes humains, nous devons garder à l’esprit que dans les exemples précédents où des robots et des humains co-créant ensemble à travers la musique, les techniques d’improvisation ont été bien préparés à l’avance. Par conséquent, il pourrait y avoir peu de place pour la liberté et la spontanéité dans cette quête d’autonomie à travers la créativité. Dans une tentative originale de répondre à ces questions, une équipe de scientifiques du Canada ont décidé de mettre en place une expérience où les humains interagissent seuls avec un robot auto-stoppeur. Ils ont ainsi conçu HitchBot - un véritable aventurier qui voyage en auto-stop, sans pouvoir se déplacer mais doté de l’expression orale, de la reconnaissance vocale et des interactions visuelles limitées. Proche du design de Heart Robot, il n’est pas assisté par ses développeurs lorsqu’il interagit avec les humains. Pour être autonome, il repose sur une batterie solaire, de l’ Internet mais aussi des bonnes intentions des personnes qui le prennent dans leur voiture. Ses concepteurs n’ont pas contrôlé à distance HitchBot, ils ont seulement vérifié son itinéraire lors d’un premier voyage de 26 jours au Canada (documenté toutes les 20 min par une caméra envoyant des photos de son expérience). Suite à une forte médiatisation du projet, le robot a ensuite participé à des expériences de voyage en Europe. En 2015, il est même arrivé aux États-Unis mais peu de temps après a fini par être démantelé [118] et abandonné près d’une autoroute. Inspirée par cette histoire, la metteuse en scène française Linda Blanchet a créé en 2019 le spectacle "Killing robots". Le projet aborde des questions d’éthique concernant les robots, mêlant documentaire et fiction. J’aimerais souligner le fait que HitchBot ne fait pas partie de la catégorie des robots capables des effets d’inquiétante étrangeté, puisqu’il n’est pas un robot hyperréaliste. Il n’avait certainement pas une grande autonomie, ni de l’agence et, comme dans le cas du projet "Heart Robot", il comptait sur l’empathie humaine pour compenser sa vulnérabilité -ne pas pouvoir bouger ou faire des gestes, à moins d’être porté par des humains. C’était une créature plutôt vulnérable ” qui, dans une certaine mesure, pourrait être comparée au robot aveugle que Louis Philippe Demers a créé en 2013. Ce robot, fixé à une table, est composé de deux bras mécaniques montés sur la même base. J’ai délibérément choisi de clore cet état d’art avec lui, même si sa mise en scène est très basique. Je suis convaincue de la force de la proposition qui réside dans ce cadre simple. Dans un espace théâtral peu éclairé, le robot explore délicatement le visage de la personne assise devant lui. Ce geste est ce que les humains aveugles sont censés faire lorsqu’ils reconnaissent les personnes ou les objets autour d’eux [106]. Dans certaines versions de l’installation, un miroir de taille moyenne (comme dans l’œuvreFemale Figure" de Wolfsen) est placé derrière le robot - permettant aux visiteurs de s’observer pendant l’interaction. Ainsi, le milieu artistique garantit un espace sûr pour l’expérimentation. Les spectateurs finissent par se laisser toucher par le robot. Le différence entre les expériences de Demers et la triste fin de HitchBot est qu’aucune convention artistique n’a été établie avec les utilisateurs de HitchBot [119]. Des études sociales confirment que les gens sont plus susceptibles d’attribuer de la raison et des états mentaux aux robots, plutôt que des états émotionnels ou des sentiments [120]. En retournant à nos observations initiales, une fois de plus le contexte de la scène artistique apparaît comme un environnement sûr et neutre pour apprendre à connaître les robots. Il y a vingt ans, les roboticiens imaginaient un processus irréversible concernant notre transformation en machines [12]. Cependant, certains ont réfuté cette hypothèse, insistant sur le fait qu’aucun robot ne pourra prendre le contrôle de nos vies, puisque nous aurions tous déjà muté le moment où les robots auraient atteint la Singularité. Comme l’art a presque toujours anticipé les transformations dans nos sociétés, parfois sans même s’en rendre compte, peut-être que des œuvres post-humanistes sont étroitement liées à cette intuition. Comme dans les spéculations en robotique, ces œuvres pourraient annoncer un point de non-retour pour nos perspectives en tant qu’espèces. Au fur et à mesure que les deux disciplines évoluent, nos croyances en l’avenir changent également. Les lignes deviennent floues et ce n’est pas très clair où les humains et les robots se rencontreront en fin d’Anthropocène [36], [102], [103]. Si les robots vont coloniser les villes actuelles ou hybrider les modèles familiaux posthumains [36], l’art robotique contemporain pourrait-il concilier la projection fataliste concernant notre cohabitation avec les machines ou est-ce reflétant simplement un porte-parole transhumaniste ? Si l’art devait être inutile, alors comment pourrait-elle éviter le piège de la prédiction de la domination de la technologie sur l’humanité? Le sujet de l’adversité envers les robots, présent dans les premiers exemples où les robots étaient manipulés par la force ou la violence, se dissout lentement dans les prémisses post-humaines d’un monde en mutation. Quels gestes seraient appropriés dans ce contexte? Devons-nous concentrer notre attention sur des manières douces d’interagir avec les robots au lieu de s’amuser à les démonter ? Cela éviterait-il la condition prédéterminée des humains qui les créent et donc établissent sans vouloir une relation de concurrence ou de domination avec eux ? IV. DISCUSSION Dans la plupart des exemples de cet état d’art, les humains considèrent les robots et leurs spécificités avec les critères d’évaluation spécifiques aux œuvres d’art. Pour résumer notre prémisse initiale, j’ai avancé l’idée que les robots peuvent être mieux perçus et compris à travers les représentations artistiques. A. L’analyse des œuvres robotiques citées L’analyse actuelle couvre des informations sur une quarantaine d’œuvres d’art robotique. Cette liste n’est certainement pas exhaustive, encore restreinte à des interactions qui présentent une proximité directe ou proche du contact physique avec les robots. Qu’il s’agisse d’installations interactives (20%), des études d’art robotique (12%) ou des performances (68%), ces œuvres traitent des sujets liés à la société (35 %), au domaine du vivant et à la biologie (9 %) ou un mélange entre des deux (9 %), ainsi que la musique (12 %), la danse (23 %) ou une combinaison entre les deux (12 %). Comme vu plus haut, l’apparence est un facteur important pour facilliter la comprehension de la spécificité des robots. Les robots ou les dispositifs robotiques déployés sont majoritairement anthropomorphes (65%) variant d’une majorité des dispositifs de taille humaine (59 %) à des plus petits (26 %) ou plus grands (15%) que l’échelle humaine. Suite à la projection anthropologique sur les robots comme animaux sauvages, dans certains essais scientifiques [121] les répondants décrivent les robots collaboratifs comme étant similaires aux animaux. L’une des raisons peut etre l’attribution et l’execution des tâches simples par les robots. D’autres sujets invoquent l’auto- dépréciation humaine par rapport aux performances du robot [121] indépendamment de son apparence. Proche des modèles de corporeité humaine pour les robots, l’anthropomorphisme est compris ici comme une faculté d’attribuer des caractéristiques humaines à des objets inanimés, animaux et autres en vue de nous aider à rationaliser leur actions ” [101]. Autrement dit, en projetant notre interprétation sur les actions des robots, nous leur délèguons une présence anthropomorphique, quelle que soit leur apparence. Cela pourrait augmenter l’acceptation des robots dans la société, avec l’aide de l’art. Comme vu précédemment et également mentionné dans [122], les robots pourraient déclencher encore plus des réactions empathiques parmi les spectateurs à travers de la mise en scène, puisqu’ils interprétent les recits subjectivement et aiment donner des sens cachés aux actions de ce derniers. D’autre part, le concept de robot-centered HRI ” développé dans [34] met l’accent sur la vision du robot en tant que créature, "c’est-à-dire, une entité autonome qui poursuit ses propres objectifs sur la base de ses motivations, ses pulsions et ses émotions. ” De plus, l’interaction avec les gens lui sert à répondre à certains de ses besoins ” (tels qu’identifiés par le concepteur du robot et modélisé par l’architecture de contrôle interne); par exemple, les besoins sociaux sont satisfaits par l’interaction, même si l’interaction n’implique aucune tâche particulière ”. Intéressant de mentionner comment, selon une autre étude [8], un robot utilisé dans une œuvre d’art doit également être présenté comme un dispositif utile pour être mieux accepté dans le monde occidental. Puisqu’il a été souligné plus haut que le but de l’art est surtout de créer du sens, il y a peu de place pour des robots utilitaires dans les travaux sélectionnés - preuve que les robots sont considérés comme autonomes à travers l’art. De plus, en raison de la perspective interdisciplinaire des projets d’art robotique, l’auteur est susceptible de traiter sur scène ou dans d’autres contextes artistiques, des sujets qui sont moins présents dans la société, puisque ses conventions et ses contraintes seront moins présentes aussi. Suivant cette idée, il semble que non seulement l’apparence, mais aussi le comportement - impliquant les gestes et les mouvements de robots - sont importants. Ainsi les chercheurs soutiennent que l’incarnation (l’embodiment) est un aspect clé pour l’interaction HRI [39]. De plus, une incarnation au plus prés de la nature [5] est souvent citée comme nécessaire pour réaliser une interaction sociale significative. Ainsi selon la littérature [2], les robots peuvent être : socialement évocateurs, socialement réceptifs et sociables. Dans [54], Dautenhahn mentionne également les robots socialement situés - entourés d’un environnement social qu’ils perçoivent et auxquels ils réagissent. Comme défini dans [3], un robot interactif nécessite des capacités spécifiques : il va pouvoir exprimer et percevoir des émotions, communiquer dans un dialogue complexe, apprendre et reconnaître les modèles d’autres agents". Par leur fonction, les projets artistiques facilitent ce type de comportement et nous avons vu dans nos exemples que les robots au design particulier comme par exemple Telenoid R1 ” ou hyper-réalistes comme "Ai-Da", peuvent facilement interagir lors des divers événements sociaux comme les foires d’art et les galeries. Avec 38% des œuvres présentées dans l’espace public : dans les rues (par exemple, "Miyata Jiro", "Petit Mal") ainsi que lors des événements publiques ou dans les laboratoires (par exemple, "Telenoid R1", "Heart Robot" entre autres), il semble que l’Art Robotique n’ait pas de espace de représentation prédisposé. Dans le même temps, faire des robots qui réagissent à leur environnement, plus disponibles pour interagir avec les passants, pourrait améliorer l’opinion publique sur leur autonomie. Qu’il s’agisse d’une illusion ou pas, les robots sur scène suivent des critères d’interaction sociale. Dans la meme lignée, des études [117] montrent comment la créativité globale s’améliore lors des interactions avec des robots sociaux. Revenant aux exemples précédents, il est important de comprendre que le fait de créer des projets artistiques avec des robots sociaux inspirés par la figure de Gakutensoku pourrait éventuellement apaiser les craintes technocentriques actuelles sur la robotique, afin de faciliter leur acceptation. Alors que les humains se comprennent mieux grâce aux developpements dans les sciences cognitives, la figure du robot devient également plus complexe. Dans [101], Duffy soutient que peut-être le la version synthétique numérique mécaniste de l’homme ” n’est qu’une représentation de l’idée de l’homme. D’autres études [5], [77], [123] considèrent les robots de type humain les meilleurs outils pour identifier quel type de comportement et d’actions sont perçus comme propres à notre espace et importants pour notre developpement. Reste à comprendre quel comportement et attitude nous attendons des robots en situation de représentation. De même, le langage corporel et le comportement pourraient compenser les éventuels effets d’étrangeté causés par la manque des expressions faciales des artefacts [124], de la même manière que les modèles dynamiques [125] aident à identifier les affects humains dans le mouvement. Puisque la communication tactile a un contenu informatif proche de la communication visuelle et vocale, les usagers recherchent naturellement l’interaction par le toucher et s’attendent même que un jour les robots d’apparence inanimée peuvent répondre à leur stimulation tactile [17]. En conséquence, de plus en plus de roboticiens conçoivent des dispositifs d’identification par le toucher, sur toute ou presque toute la surface du robot [126], également définie comme peau artificielle” [127]. Plusieurs types d’interactions corporelles qui font appel à ce type de stimulations tactiles, contribuent à une meilleure perception des robots [15]–[17]. Même si peu de robots que j’ai mentionné, ont été délibérément conçus pour ce type d’interaction tactile, cet aspect a été intuitivement abordé dans certaines œuvres d’art [66], [99], [128]. Concernant l’interaction physique, alors que la majorité des oeuvres (82%) impliquent une certaine forme d’interaction physique(29 %) ou de toucher (53 %), le type de contact avec le corps entier prévalait (41 %), suivi des contacts ponctuels (20,5 %) et des contact avec les membres (12%). Dans cette mesure, la mise en œuvre des concepts de neuroscience comme le schéma corporel ” chez les robots peut augmenter leurs capacités d’interaction. Les recherches dans [49] soulignent l’importance de ce concept dans la planification et le contrôle de mouvement. Quant aux technologies employés : 24 % impliquent des téléopérations, 14 % divers types de logiciels commercialisés, 6% de biotechnologies tandis que 56% sont des solutions sur mesure. Ainsi mieux developper la mobilité des robots pourrait nous aider à comprendre des concepts paradoxaux comme celui de ghost in the shell ”, de l’étrangeté sociale ” ou le syndrome de Frankenstein ” expliquant comment la peur et la fascination pour les robots coexistent dans notre imaginaire, quelle que soit leur apparence et comportement. Alors que 62 % des robots et appareils robotiques sont conçus exclusivement pour les artistes, 20% sont personnalisés à partir des robots industriels et le reste de 18% sont des robots industriels très peu modifiés. [101] suggère qu’une fois que les robots domestiques progressent du statut outil à celui de compagnon au travers différents environnements et contextes comme l’art, leur rôle et leurs interactions changent aussi sensiblement. De plus, d’après [129], plus les caractéristiques corporelles sont des copies identiques du fonctionnement humain, plus les robots sont jugées comme autonomes et adaptifs. D’autre part [130] illustre comment l’apparence humaine peut contribuer à induire des sentiments négatifs chez les utilisateurs. Des catégories comme "incarnation de l’organisme" [52] où la cognition se produit dans toute organisme et "incarnation de l’organisme" [52] où la cognition ne peut se produire que dans des corps vivants, amplifient le débat sur l’incarnation la plus optimale concernant les robots. En s’appuyant sur les aspects technologiques des représentations du corps, les chercheurs espèrent identifier quelles propriétés du schéma corporel biologique que nous avons mentionné plus tôt, pourraient être transférés aux robots pour les rendre plus adaptatifs et résilients (certaines études comme [131], [132] relient ces propriétés à l’aisance collaborative41). D’après [128], toute morphologie peut conduire à différentes perceptions de causalité et d’intention, tandis que le mouvement est considéré comme un facteur prioritaire dans le perception du comportement et de l’autonomie d’un agent [19]. Parmi les œuvres mentionnés, 38 % sont des dispositifs robotiques mobiles, oeuvrant sur des surfaces scéniques d’environ 100 m2 pour 35% d’entre eux, plus de 500 m2 (tout en se produisant dans les rues et divers espaces non-conventionnelles) pour 9% des cas et moins de 5 m2 pour 56% d’entre eux. Cette majorité de robots mobiles qui interagissent dans de petites surfaces, souligne la necessité d’un contact étroit avec les robots. Néanmoins, cette zone d’interaction varie de plusieurs centimètres (dans le cas du "The Blind Robot" par exemple) à plusieurs milliers de milles lorsque le robot voyage avec des gens (comme dans le cas de "HitchBot") - révélant la proxémie (proxemics) comme un facteur important qui pourrait influencer àl’avenir les interactions H2R. Pour l’instant les androïdes hyper réalistes ont une base fixe et ne peuvent pas encore se déplacer, en attendant que les technologies émergentes impliquant de la MoCap et les alorithmes qui favorisent la marche, sont intorduits à leurs capacités. Dans une étude [133] impliquant deux robots Wakamaru, les chercheurs ont employé la distance sociale comme indicateur pour comprendre l’acceptation des robots par des utilisateurs. Les résultats confirment que l’expérience utilisateur peut être améliorée lorsque le robot superviseur est proche et le robot subordonné est distant par rapport à l’utilisateur. Chose intéressante et le fait que, loin des prédictions initiales, les performances des participants semblent se détériorer lorsque le robot est trop proche, quelle que soit sa distance d’action. Évidemment ceci est un étude scientifique dont l’objectif est loin de celui des œuvres artistiques, où, au contraire, un contact proche peut renforcer la complicité entre les interprètes et les robots, du moins du point de vue des spectateurs. Puisque les espaces où l’interaction a lieu lors de ces performances ou installations varient de plusieurs mètres ("Helpless robot") à des centaines de mètres carrés mètres ("My Square Lady"), il me paraît que l’interaction renforce le sentiment de complicité avec les robots, à condition que la convention artistique soit adaptée en fonction de l’objectifde l’œuvre, le thème et son contexte de la représentation. B. Limites Un aspect important confirmé tout au long de cette enquête est que très peu d’informations (41%) ont été fournies sur la stratégie de contrôle et les spécifications de sécurité des robots employés lors des performances artistiques. Des oeuvres utilisant des robots industriels qui ne sont pas certifiés pour l’évaluation des risques, mettent la vie des artistes et des spectateurs en péril. Ainsi c’est important de mentionner que l’industrie du divertissement s’adapte partiellement à ces règles et réglementations, tandis que les robots industriels doivent se conformer à des procédures de sécurité très strictes. Lorsqu’un robot est employé lors des événements largement diffusés, comme par exemple lors du concours Eurovision en 2016 le chorégraphe Fredrik Benke ”Rydman a du respecter un cahier de charges et des restrictions importantes. Pareil pour la Tournée Timeless ” de l’artiste internationale Mylene Farmer en 2013. La distance entre les interprètes et le robots est très grande. Plus récemment, des normes comme l’ISO/TS 15066 et l’ISO 102101845 qui assurent la cohérence des caractéristiques essentielles telles que la sécurité et la fiabilité des cobots devient très importante pour les contextes de travail en dehors de l’industrie. Avec 53% des robots ou dispositifs robotiques étant le moteur de l’interatcion et 15 % supplémentaires ayant à la fois le rôle de suiveur et de leader dans les œuvres d’art, il est important de prendre en considération les procédures de sécurité et les contraintes techniques de déploiement des robots dans des environnements complexes. J’aimerais également souligner que même si les robots jouaient un rôle principal (76 %) dans le cadre de l’œuvre d’art, la plupart des rôles de leader/suiveur qui leur étaient assignés étaient en fait des interactions simulées, bien répétées à l’avance, prouvant que les technologies actuelles sont moins performantes que ce que les humains imaginent. Lorsque j’ai mentionnés au début de cette analyse les craintes au sujet du potentiel destructeur de la technologie et la maniere dont cela va modifier nos vies – il reste toujours l’espoir qu’une sécurité et éthique renforcée sont les facteurs clé pour améliorer l’impacte de la technologie sur nos vies, commencant par les projets artistiques. En conséquence, les perspectives enrichissantes de la nouvelle robotique, l’IA et les capteurs intelligents, accompagnées d’une éthique interdisciplinaire forte [119], [134] [130], apporteront à la création artistique des raisons d’appassement quant aux préoccupations actuelles concernant la sécurité et les risques, tout en améliorant les possibilités d’interaction non simulées, en temps réel. C. Perspectives futures dans les technologies robotiques émergentes Cet état d’art orientée autour de l’interaction homme-robot en contact proche releve à quel point les artistes ne sont peut-être pas conscients des subtilités technologiques actuelles développées dans les laboratoires, dont certains déjà déployés dans les industries. Ils ne soint moins au courant des certifications appropriées en matière de cobotique et de sécurité. En absence d’une méthodologie officielle, les artistes invités à exploiter le plein potentiel de la technologie, décident de l’utiliser avec parcimonie. C’est le cas de chorégraphies de renommée internationale comme le Suédois Pontus Lidberg ou la Canadienne Isabelle Van Grimde qui ont développé des projets utilisant des algorithmes en machine learning (ML), autour des rencontres entre une intelligence humaine et une artificielle sur scène. Comprendre les effets de la proximité et l’utiliser avec justesse dans robotique reste un défi et au moins pour l’art les possibilités de création sont infinies. A travers cette synthèse, j’ai tente fournir une liste non exhaustive de ces possibilités, ainsi que de possibles convergences entre plusieurs domaines et leur lien avec l’industrie, une fois que des prototypes attirent l’attention des scientifiques. De même, les artistes pourraient utiliser des techniques de reconnaissance des émotions issues des neurosciences et de la psychologie cognitive. Des capteurs physiologiques comme la reponse galvanique cutanée (GSR), l’électromyographie (EMG), la fréquence de la réspiration (RR), la fréquence cardiaque (FC) et l’électroencéphalographie (EEG) peut être portés et utilisés par les artistes pour fabriquer des robots conscients des émotions des artistes et construire une œuvre interactive à partir de ces bases. Des domaines comme la robotique de développement élargissent notre compréhension de phénomenes tels la synchronie [135] pour mieux décoder des signaux non verbaux appropriés quand les robots doivent intégrer des éléments externes pour intéragir avec les humains. \section*{Conclusion} Cette analyse révèle que les attentes et les angoisses envers les robots sont également présentes dans les œuvres d’art robotiques, quel que soit de leur thème, leurs contraintes techniques ou leur design. Dans nos écosystèmes sociaux complexes, il n’est souvent pas facile de distinguer les raisons qui génèrent l’un ou l’autre. Quant à l’exemple du HitchBot, aprés l’analyse des denriers données le concernnat, ses créateurs n’ont pas pu déterminer pourquoi le robot a été démantelé. Ils ont décide d’arrêter le projet et ne pas réparer HitchBot. Peut-être des prochaines études sociologiques ou anthropologiques pourrait determiner si sa destruction a été causée par un acte inconscient de peur de la part de quelqu’un qui ne voulait pas comprendre les robots. Certes est qu’à la fin du XXIe siècle, l’Art et la Robotique vont entreprendre des transformations majeures, laissant place à l’imagination quant à leur possible relation et impact dans nos vies. Dans [142], les autheurs affirment que l’intelligence originaire des primates a évolué pour résoudre des problèmes sociaux et seulment plus tard a été étendue à des problèmes extérieurs du domaine social comme la technologie. Depuis il est important de se rappeller que l’intelligence du robot est "conçue et exploité dans la mesure du possible pour se conformer aux lois, droits fondamentaux, libertés, y compris de la vie privée ” [6]. En réfléchissant à ces questions, les roboticiens, les artistes et les universitaires posent les bases d’une éthique envers les machines [120] pour que "des robots personnifiés et d’autres systèmes informatiques incarnés peuvent représenter une nouvelle catégorie ontologique. ” Pour cela [134], concevent les humains, pas les machines, comme le principal agents responsables dans l’équation. Compte tenu de ce principe éthique dans l’évolution de l’intelligence, applicable à la fois aux systèmes naturels et artificiels [142], j’imagine avec impatience la contribution de la robotique sociale et de l’art à la culture générale. Si les artistes inspirent le développement de la robotique ou l ‘inverse, les deux disciplines continueront de surprendre nos attentes pour lors des prochaines années. Tout au long de cette analyse,j’ai eu tendance à croire que les robots pourraient trouver à travers l’art, une condition indomptée ” [8] avant leur conception humaine. Idéalement notre relation avec eux pourrait s’améliorer à l’aide d’expérimentations artistiques centrés sur l’interaction de contact proche ainsi que le toucher [143]. Puisque les robots ne sont pas capables d’intentions jusqu’à présent, nous ne pouvons que espérer mieux nous comprendre [144] nous-mêmes en tant qu’espèce, en les observant eux nous imiter. \clearpage \chapter*{Conclusion de la partie I} \addcontentsline{toc}{chapter}{Conclusion} Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. Sed eget erat tortor. Mauris iaculis congue nibh ac sollicitudin. Aliquam aliquam velit eu aliquet tincidunt. Vestibulum lacus ipsum, feugiat at feugiat id, auctor quis nisl. Maecenas ultricies sagittis convallis. Curabitur at velit ut odio condimentum fringilla. Ut consequat eget arcu vitae pharetra. Pellentesque quam quam, luctus at ipsum non, accumsan ultrices ipsum. Integer dictum, leo et ornare viverra, enim massa tristique est, aliquam porta odio arcu non lectus. Maecenas posuere, ante sed congue blandit, nisi quam aliquet enim, in vehicula eros metus vitae quam. Nam lacinia malesuada lorem, at mattis risus mattis interdum. Nullam ac sapien nec quam ultrices dictum vitae eu erat. Curabitur a leo a lorem mollis volutpat. Duis volutpat porta nulla in convallis. Mauris sed accumsan nisl, ac efficitur nisl.