thesis_archive/sections/partie_1.tex

3145 lines
268 KiB
TeX
Raw Blame History

This file contains invisible Unicode characters

This file contains invisible Unicode characters that are indistinguishable to humans but may be processed differently by a computer. If you think that this is intentional, you can safely ignore this warning. Use the Escape button to reveal them.

This file contains Unicode characters that might be confused with other characters. If you think that this is intentional, you can safely ignore this warning. Use the Escape button to reveal them.

\part{Contexte théorique: La danse pour raconter le corps}
\chapter*{Pratiques somatiques et quête de lintelligence sensorielle}
\addcontentsline{toc}{chapter}{Introduction}
Les critiques et philosophes spécialistes en danse ont longuement analysé lémergence du geste dansé, selon le contexte socio-culturel et lépoque quand cela a eu lieu. Pour ce quil y a de la danse contemporaine, la pratique de limprovisation, vue comme geste libre et libérée du dogmatisme de la technique du danseur, a suscité une révolution longuement attendue. Comme le remarque Anne Boissiére dans son livre “Approche philosophique du geste dansé”, ce geste semble “sinventer par lui-même, sans aucune origine ni intention immédiate autre que celle de se manifester”. Un geste qui na pas eu besoin des explications pour s'auto suffire:
La danse dans sa nouveauté et sa vie propre, confronte la pensée esthétique à ses propres limites; elle nest pas seulement un art du geste mais un art qui fait geste, contre les risques denlisement dune pensée esthétique trop sure delle meme. L'émancipation de la danse vis-à-vis des autres arts oblige à reconsidérer la définition de lart dans sa dimension multiple, c'est-à dire le rapport moderne qui lie lart à ses genres.(...) La question de limprovisation apparaît centrale pour penser le geste dansé, dans la mesure où celui-ci, dans sa liberté, semble ne plus devoir emprunter à un quelconque modèle mais procéder de soi, dans une impulsion et un dynamisme internes affranchis de tout point dappui, de toute extériorité. Limprovisation nest plus une variation sur des schémas préexistants, elle a une valeur constituante. Elle tisse une forme en acte à laquelle rien ne préexiste, une forme sinventant à partir delle-même, dans une sorte de point zéro ou de commencement absolu qui lui donne son évidence et sa pureté. Il y a, à lorigine du mouvement libre, une opération de réduction qui nest pas sans relation avec ce quil faut bien appeler le miracle de la danse que nous voyons opérer sous nos yeux. Quel est ce néant, ce vide, qui est au travail de façon invisible et manifeste dans la danse ?
\chapter{Pratiques somatiques et quête de lintelligence sensorielle
} \label{chap:tire-chapitre}
\section{Les multiples facettes des pratiques somatiques}
Selon Jeremy Damian, cette discipline est née en 1976, lorsque Hanna fonde la revue “Somatics Magazine -Journal of the Bodily Arts and Sciences” dont le thématique soriente autour des études sur le corps expérientiel et ses expériences personnels -(ie. the study of the body through the personnel experiential perspective):
``Dune manière générale, les recherches sur le corps sont souvent prisonnières dune alternative infernale entre une tentation dinspiration phénoménologique et une tentation sémiotique : le corps comme expérience et le corps comme signe. Lanthropologue Thomas J. Csordas déclare vouloir établir une synthèse de ces deux approches. Il réalise bien plus que cela en portant son attention sur ce quil nomme les``modes somatiques dattention” (somatic modes of attention), quil définit comme des``manières culturellement élaborées dêtre présent à et avec son corps (ways of attending to and with ones body) dans des environnements qui incluent la présence``embodied” dautres”. Son originalité vient de son insistance à rendre compte de lélaboration culturelle dengagements sensoriels portant à la fois sur une personne, un corps et son environnement, ou un``milieu intersubjectif”, en ajoutant à ces descriptions une perspective somatique qui ouvre une autre``image” du corps que celle que renvoie le miroir.”
Dans sa thèse, Violetta Salvatierra rappelle le contexte dapparition de léducation somatique en France:``Elle arrive ainsi en France des États-Unis, en passant par le Québec, importée par des praticien·nes de la méthode Feldenkrais. Hanna essaye de forger à travers celle-ci une définition du corps, opérante dans ces pratiques, qui serait en rupture épistémologique avec la conception dualiste du corps/esprit et distincte ainsi du corps objectivable de la médecine (body) ; appréhendé dans sa dimension holistique et systémique, et attaché au corps vécu à la première personne, le terme``soma”, dans la définition de Thomas Hanna, fait référence au ``corps perçu de l'intérieur” et ``la somatique” est définie comme ``l'art et la science des processus d'intéraction synergétique entre la conscience, le fonctionnement biologique et l'environnement”. Par la suite, d'autres théoricien·nes ont proposé d'autres termes et notions pour désigner le champ d'expériences mobilisé par ces pratiques, tels que la ``soma-esthétique”,proposé par le philosophe Richard Shusterman, dont les travaux dans le domaine se révèlent fort normatifs”.
Selon la chercheuse Laurence JAY, il y a une certaine écologie dans les pratiques somatiques. Sadressent au corps sujet dans une approche psycho-phénoménologique, elles conviennent au contexte spécifique dune personne, en encourageant une forte affirmation de sa subjectivité. Le corps est identifié par des caractéristiques communes avec le domaine du vivant, donc en homéostasie, pour assurer une survie permanente: “Il est pensé comme un tout. Il ne sagit pas dun amas de parties disjointes, mais dun système organisé de façon dynamique et en équilibre complexe, interdépendant dans chaque mouvement, chaque fonction, chaque échange dénergie et dinformation. Il ne sagit pas dune vision mécaniste qui sépare le haut et le bas, la matière et le processus, le soi et les autres, le soi et lenvironnement, la pensée et les émotions. Cest une pensée systémique, un point de vue corps-sujet-monde. Ce point de vue rejoint les théories écologiques et systémiques et permet dimaginer une écologie corporelle, en actes.”
Pour mieux expliquer la dynamique qui opère entre la danse et les pratiques somatiques, nous nous interrogeons sur la façon dont ces techniques structurent la corporéité lorsquelles sont employés comme exercices d'échauffement et entraînement. Lorsquun danseur apprend une technique de danse, son corps est capable de reproduire les mouvements et de se mouvoir selon les contraintes de cette technique. Lorsqu'il sapproprie une pratique somatique, cela est plus difficile à prouver, le danseur nayant pas dautre preuve à son appui que les traces de cette expérience à lintérieur de son propre corps. Ainsi lintériorité et l'expérience sensible du danseur deviennent un outil dans l'expérience kinesthésique:
Si toute technique de danse5 est affaire dun programme systématique dinstructions, venant façonner le corps perçu à limage dun corps idéal, via la médiation dun corps démonstratif (Foster, 1992) ; si les injonctions à faire et à sentir, et corrélativement, les actions et les perceptions produites (Cazemajou, 2013), relatent implicitement un modèle déterminé de corporéité ; peut-on dire la même chose pour les somatiques ?
Lors des stages et ateliers de professionnalisation, jai eu l'occasion de me former et d'acquérir des compétences orientées autour de ma propre intériorité. Mais l'expérience de mon corps et son vécu est difficilement traduisible pour les autres. Pour mieux témoigner de cet état le philosophe Bruno Latour explicite dans son essai “How to talk about the body” ce quil entend par le fait d'avoir un corps:
“To have a body is to learn to be affected, meaning effectuated, moved, put into motion by other entities, humans or non-humans. If you are not engaged in this learning you become insensitive, dumb, you drop dead. Equipped with such a patho-logical definition of the body, one is not obliged to define an essence, a substance (what the body is by nature), but rather, I will argue, an interface that becomes more and more describable as it learns to be affected by more and more elements. The body is thus not a provisional residence of something superior an immortal soul, the universal or thought but what leaves a dynamic trajectory by which we learn to register and become sensitive to what the world is made of. Such is the great virtue of this definition: there is no sense in defining the body directly, but only in rendering the body sensitive
to what these other elements are. By focusing on the body, one is immediately or rather, mediately directed to what the body has become aware of.”
Pour revenir au terme de somatique, du grec “soma” (corps ressenti, vécu de l'intérieur) et faire la distinction entre ses différentes approches, je mappuie également sur les observations dIsabelle Ginot qui dans son livre “Penser les somatiques avec Feldenkrais” mentionne la motivation du chercheur Thomas Hanna de réunir sous le terme générique de somatiques une panoplie de pratiques afin de souligner leurs principes communs: “une conception holistique du sujet (où corps, pensée, affects, émotions sont indissociables), un instrumentarium savant de techniques gestuelles, manuelles et tactiles, une place centrale accordée à lexpérience subjective via un travail approfondi sur la perception en général, et en particulier sur le sens kinesthésique (celui qui nous permet de savoir dans quelle position nous sommes, si nous sommes stables ou en train de bouger, quelle est la position de nos membres même si nous ne les voyons pas…). Au-delà de ces principes communs, ces techniques sont multiples, elles puisent dans des croyances et des savoirs divers selon leur époque, et surtout, elles inventent et diffusent des imaginaires du corps et des gestes bien différents les uns des autres.”
Plus loin, Ginot propose une classification selon les critères de lanalyste du mouvement Hubert Godard orientés autour de l'expérience collective ou individuelle.
Souvent dans les séances collectives, le praticien propose des explorations sans illustrer le mouvement, afin que chacun puisse explorer sa propre sensibilité esthétique et contraintes physiologiques. Lors des séances individuelles, le praticien propose un guidage à partir du toucher, parfois guidant par la parole une prise de conscience de son sujet. Celui-ci observe les effets du relâchement des blocages musculaires sur ses gestes, les variations de son propre poids selon les changements de posture et découvre grâce à des représentations internes, des parties auparavant méconnues de lui-même appelés par Godard ``des zones organiques profondes”:
``Certaines travaillent à partir dune cartographie des tissus et de leurs caractéristiques biologiques — fascias, muscles, peau, os, viscères — et pensent le changement du geste et de la posture primordialement à partir des changements conduits dans ces tissus ; dautres, telle la méthode Feldenkrais qui nous intéressera ici, sappuient avant tout sur la construction des coordinations, soit la façon dont chacun de nous a appris (et peut réapprendre) à composer ses gestes dans lespace et le temps jusquà ce que ce répertoire de nouvelles habitudes gestuelles compose la texture même de sa vie, et garde la plasticité nécessaire pour des changements ultérieurs. Dautres encore privilégient le travail sur la perception… Elles se pratiquent en séances collectives ou individuelles, passent très souvent par un travail sur le toucher (un des nombreux tabous concernant le corps en Occident), se définissent soit comme ``éducatives” soit comme ``thérapeutiques”, ou encore les deux à la fois.”
Depuis 2014, jai pratiqué plusieurs disciplines en lien avec la pensée du corps et lintelligence du mouvement. Nous définissons ici lintelligence du mouvement selon Jay pour laquelle il sagit principalement de “la faculté qua le corps à sentir, ressentir, réguler, équilibrer, décider, agir pour exprimer la vie qui lanime cest-à-dire le sujet. Lintelligence du mouvement habite le corps tout entier, pas seulement le cerveau. Le cerveau est informé et informe et lintelligence du mouvement dialogue avec la pensée. Nous avons appris à considérer notre corps comme une machine, à faire en sorte de le contrôler le plus efficacement possible, à le gérer comme un lieu dentrée sortie, à lespérer plus silencieux quexpressif, pour finalement somatiser lorsque notre corps exprime linexprimé.”
Concernant mes propres expériences kinesthésiques et le travail de ``prise de conscience” du corps, ma motivation principale est le lâcher prise lors des moments d'improvisation. Les outils que jai retenus lors des sessions d'apprentissage servent principalement à affiner ma concentration et ma facilité de mouvement. La plupart des méthodes que jai pu expérimenter, visent l'utilisation dune quantité d'effort appropriée pour une activité particulière, libérant les tensions de mon corps pour avoir plus d'énergie à utiliser ailleurs. Bien que la communauté des pratiquants puisse parler des effets thérapeutiques de ces pratiques, il ne s'agit pas des traitements proprement parler, mais plutôt d'une volonté de rééducation de l'esprit et du corps en libérant des tensions et blocages.
\clearpage
\subsection{B.M.C}\label{sec:elements-basiques}
En me rapprochant des pédagogies du corps orientés vers la recherche dun équilibre entre le système nerveux sympathique et le système nerveux parasympathique, j'ai découvert entre outre la méthode Body Mind Centering lors de sessions de training physique pour le théâtre du Soleil en tant quassistante décor pour leur spectacle MacBeth à la Cartoucherie de Vincennes. Avec d'autres stagiaires nous nous réunissons le matin pour pratiquer des exercices déveil corporel.
La Body-Mind Centering a été créée à la fin des années 70 par Bonnie Bainbridge Cohen, danseuse, ergothérapeute et ancienne choréologue en notation Laban. Cette pratique oriente la perception vers un étude expérientielle de l'anatomie et de la physiologie du corps classés dans des systèmes. Cest à la fois une expérience cognitive de compréhension et une expérience phénoménologique de vécu et d'intégration expérientielle qui interroge les dynamiques psychophysique de la perception. Le développement du mouvement est étudié de point de vue ontogenetic ( du stade d'embryon au stade adulte) mais aussi de point de vue (en tant qu' évolution progressive des espèces dans le règne animal- la marche des amphibiens évolue en marche bipède des mammifères par exemple).
Cette pratique corporelle largement utilisée est appliqué non seulement dans la danse mais aussi dans de nombreux types de travail corporel, psychothérapie, yoga ou musique. Avant tout, BMC est ``une étude expérientielle basée sur l'incarnation et l'application de principes anatomiques, physiologiques, psychophysiques et développementaux multiples, utilisant le mouvement, le toucher, la voix et l'esprit” (Cohen 1993 : s.p.). Cette étude explore une prise de conscience dans les divers systèmes du corps- liquides, tissus, organes, squelette, sens, le système neuroendocrinien- pour orienter une action basée sur la perception.
Cohen exprime l'intérêt quelle porte au développement en tant que processus de travail mais aussi devenir du corps:
``Development is not a linear process but occurs in overlapping waves with each stage containing elements of all the others. Because each previous stage underlies and supports each successive stage, any skipping, interrupting, or failing to complete a stage of development can lead to alignment/ movement problems, imbalances within the body systems, and problems in perception, sequencing, organization, memory, creativity and communication.“
Dans son livre ``Sensing, feeling and acting”, elle explique son intention de faciliter l'accès à “une connaissance nouvelle en provenance de soi” et ainsi résoudre la dichotomie corps-esprit. Cela est structuré autour de trois concepts-clé quelle appelle lalphabet de mouvement: ``les réflexes primitifs en lien avec les mouvements spontanés et leur relation avec les mouvements intégrés, les réactions de redressement par rapport à la gravité et les réponses d'équilibration pour garder notre centre de masse en équilibre et rester débout”. Un quatrième concept intitulé Basic Neuro Cellular Patterns synthétise ces derniers, en organisant une classification de modèles en lien avec le développement phylogenetic et ontogenetic du mouvement.
Il faut également préciser quen BMC le terme ``somatique” est pensé en opposition avec celui de psychique, avec un fort intérêt pour les mouvements réflexes et la façon dont le système nerveux périphérique s'organise. Pour clarifier la distinction entre mouvement réflexe et mouvement réflexive, Cohen affirme:
``When a movement becomes reflexive, would you say that the experience goes from sensing to feeling? Yes it gets into the blood. I feel the reflexes have a lot to do with the blood, with emotional expressions”.
De plus, la qualité de mouvement de chaque individu est influencée par la manière dont le mental se manifeste dans le corps lorsquil bouge. Un alignement harmonieux entre différents systèmes se fait par un ajustement perpétuel entre action et cognition. Les supports d'exploration en BMC sont constitués de nos sens mais aussi de notre imagination: mouvement, toucher, voix et état d'esprit, nouvelles organisations du corps dans sa dynamique et dans sa posture, tissus, cellules et organes du corps. Parmi ces systèmes, nous mentionnons le système squelettique- structure de soutien qui répartit notre poids sur la terre, en lien avec la gravité.
Le système des organes est pour la communauté BMC plutôt connecté à nos émotions et à notre façon de les exprimer. Le système endocrinien est vu comme métaphore de notre intuition et s'exprime dans nos moments forts tandis que le système de muscles exprime notre vitalité et notre puissance. Le système nerveux à son tour est un support de la mémoire de nos expériences et perceptions. Lorsque le mental incorpore cette structure, il facilite l'apprentissage de nouvelles expériences basées sur lintuition et la créativité.
Pour les praticiens BMC, lorsqu'un système est sur-stimulé ou déséquilibré, il peut devenir la source de blessures, de maladies ou de détresse émotionnelle et psychologique. Pour équilibrer cela, l'imaginaire biologique du BMC stimule une prise en conscience du fonctionnement du corps pour les personnes qui se font guidées durant ces sessions. Cependant, comme le décrit lanthropologue Jeremy Damien dans sa thèse, lors de son expérience BMC en danse amateur avec le collectif les Zélées, les danseurs ont du mal à se représenter et entrer en relation avec certains systèmes. Le système lymphatique avec les attributs désignés par les praticiens tels la clarté et la finesse induit en erreur les danseurs, au point où lauteur se demande si cela relève dune réalité du corps ou plutôt dune métaphore à intégrer de façon subjective. Nous remarquons ici encore une fois des ambiguïtés en lien avec des concepts pluridisciplinaires. La signification du mot ``lymphe” dans le domaine de la médecine nest pas la même lors dun atelier de danse. Au-delà de la pré-supposée dimension thérapeutique de certaines pratiques, que Damien rapproche, en tant quanthropologue, à des rituels et formes dauto-suggestion collectives, nous nous intéressons aux effets de ces pratiques sur limagination des danseurs et leur capacité de produire des mouvements nouveaux. Pour citer Cohen : ``when we are talking about blood or lymph or any physical substances, we are not only talking about substances but about states of consciousness and processes inherent within them. We are relating our experiences to these maps, but the maps are not the experience”.
Pour porter cette réflexion plus loin, Carla Bottiglieri cite à son tour la philosophe et chorégraphe allemande Petra Sabisch pour qui: ``le mouvement est porté par une sorte de conjecture : il est lexpression exacte de lindétermination de la relation entre sensation et imagination. Sans cette inspiration spéculative dans le jeu co-immanent entre le fond kinesthésique et les procédures imaginatives de production de limage, il ny aurait pas de spécifications par rapport aux qualités du mouvement. La relation indéterminée entre sensation et imagination devient un rapport singulier : elle produit une différence dans la qualité du mouvement, sans pour autant épuiser la virtualité de leur relation.”
Entrer dans cette dimension imaginaire implique la sollicitation de notre sens de la proprioception. Cela part de l'hypothèse que chaque tissu de notre corps a sa propre vibration et résonance. La qualité du toucher dans BMC est ainsi basée sur la compréhension expérientielle de ces données. En parallèle, les praticiens peuvent prendre conscience d'une partie du corps en étudiant des images, des textes ou des livres d'anatomie pour mieux la visualiser. Ainsi la manière dexploration la plus directe en BMC est un mélange entre le toucher et la visualisation des parties du corps pour arriver à un état de somatisation. Cet état est défini ici comme une prise de conscience directe des sensations, ressentis et perceptions qui se dégagent de la partie du corps sur laquelle nous nous focalisons. Lors de cette étape de somatisation en BMC, un échange d'informations bidirectionnel a lieu entre les cellules du corps et le cerveau. Comme le toucher et le mouvement sont parmi les premiers sens que nous expérimentons lors de notre naissance cela renvoie à des sensations plus anciennes de notre corps et aussi des processus de re-mémorisation.
Un autre concept employé par cette méthode est le centrage, décrit la Carla Bottiglieri de la façon suivante:
``Dautre part, lopération de centrage renvoie métaphoriquement aux gestes manuels du potier, qui tourne largile autour du vide, pour donner forme à un vase. Moulage ou modulation 17 ? Le centrage, écrit Cohen, nest ni la recherche daboutissement dune forme, ni un lieu darrivée, mais un ``équilibre dynamique qui fluctue autour dun point en déplacement constant” 18. Il peut ainsi sinitier en nimporte quel point, se propager vers nimporte quelle direction : plusieurs centres, donc, comme autant de foyers possibles damorce et damplification. Jajouterai que ce mouvement est le processus continu dune relation où les termes séchangent, ou se permutent : body et mind ne relèvent pas de deux ontologies distinctes, bien plutôt, ils instancient deux bordures, ou deux faces dune limite topologique où formes et forces saffectent mutuellement, se répètent et se différent, adviennent les unes aux autres, deviennent.”
Comme cette technique est en constant renouvellement et amélioration, dernièrement un autre concept-clé a été développé, qui est celui de la conscience et de lembodiment cellulaire - ``a state in which all cells have equal opportunity for expression, receptivity and cooperation. Attuning ourselves to our cellular consciousness brings us to a state in which we can find the ground from which flows the intricate manifestations of our physical, physiological and spiritual being.” Cependant Cohen ne mentionne pas ses applications en danse et la filiation avec le travail de la chorégraphe américaine Deborah Hay que nous allons mentionner plus loin. Si pour Cohen ``cellular consciousness is awakening the cells to themselves, which the brain cannot do.” pour Hay cela relève dun état méditatif pour convoquer des états de présence que nous allons discuter plus tard dans notre étude.
Faire l'expérience de ma propre anatomie et de son propre fonctionnement psychologique, a augmenté mon sentiment didentité artistique. Dans mon propre laboratoire expérimental sur la conscience corporelle jai eu loccasion daméliorer ma pratique et choisir ce qui mieux correspond à mes intentions, en interprétant à ma façon cette discipline kinesthésique de l'anatomie et aspects physiologiques de l'incarnation.
Ainsi jai utilisé le BMC comme point de départ afin de développer une meilleure compréhension des sensations de mon corps et de l'action exprimée dans le mouvement et le toucher, pour activer une forme de conscience propre à chaque endroit et ainsi faire émerger une danse spontanée, propre à son vécu.
\subsection{Feldenkreis}\label{sec:elements-basiques}
De cette manière, jai découvert la méthode Feldenkrais lors des cours hebdomadaires à luniversité Sorbonne Nouvelle. Cette méthode mise en place par Moshé Feldenkrais revisite le mouvement des articulations de chaque corps, laissant à chacun la possibilité dêtre plus autonome et confiant lorsquil bouge à sa façon. Elle permet de se focaliser sur les sensations internes pour voir comment exécuter des mouvements plus facilement, en comprenant la quantité d'efforts nécessaires pour exécuter un mouvement de façon efficace. Elle visa à restaurer la capacité à bouger lors des accidents et à reprendre des habitudes de mouvement naturelles. En remarquant son propre mouvement, chaque participant a la possibilité d'être plus autonome et en confiance lors de ses déplacements dans lespace. Les cours Feldenkrais sont connus sous le nom de cours de prise de conscience par le mouvement. Semblables aux pratiques corporelles type Tai Chi, elles utilisent des mouvements lents pour faciliter la concentration du pratiquant sur des effets de maîtrise de sa force ou sa flexibilité.
La chercheuse Sylvie Frotin mentionne comment cette pratique contribue au processus de subjectivation en valorisant le corps-sujet plutôt que le corps-objet. En invitant, par exemple, une personne ``à déterminer la position optimale pour exécuter un mouvement en sappuyant sur son ressenti plutôt que sur des standards esthétiques arbitraires” 3. Différents exercices basés sur la perception du corps en mouvement (et la conscience de la respiration 4 ) permettent aux participant.e.s de prendre conscience de leurs habitudes corporelles. ``Lapprentissage consiste à éveiller les zones danesthésie sensorielle et à élargir les types de sensation possible”.
Ainsi la méthode Feldenkrais aide à coordonner différentes parties du corps ensemble, encourageant l'expression des ressentis et des émotions pour une intégration holistique du corps et de l'esprit. Conscience du mouvement et conscience de la respiration vont ensemble, dans lapproche défendue par cette pratique somatique :
``Léducateur somatique adhère à lidée quune fonction sensori-motrice entravée affecte lensemble de la personne. Réciproquement, toute amélioration dune fonction améliorera éventuellement lentièreté de la personne. Par exemple, face à une personne présentant une respiration déficiente, le professeur pourra donc proposer diverses activités de mouvements pour que la personne chemine vers un mouvement diaphragmatique ample et pleinement fonctionnel, puisquil sait quun diaphragme apaisé est accompagné de cognitions moins anxiogènes. (…) Ressentir sa solidité osseuse, ressentir une expansion de sa respiration, sentir son regard souvrir, pour ne citer que ces quelques exemples, sont la manifestation physique dune confiance en soi ou, inversement pourrions-nous dire, la confiance en soi est la manifestation psychologique dune solidité osseuse, dune expansion de sa respiration ou dun regard ouvert.”
Les positions utilisées dans Feldenkrais telles que la pose au sol, visent à réduire leffet de la gravité sur le corps. Cela encourage la hanche à s'ouvrir pour faciliter des actions comme la marche et la course et améliore la mobilité des mouvements et aide à soulager les tensions et les tensions sur les articulations.
Ce sont des exercices collectifs structurés autour dun thème, dont lobjectif est davoir une prise de conscience sur son propre mouvement. Autre que les instructions de position et de mouvement, le praticien donne des indications perceptives ( sur quoi concentrer son attention) et conceptuelles (pourquoi cette méthode ne sillustre pas, pourquoi on cherche le moindre effort). Les exercices du recueil ``Awareness Through Movement (PCM)” peuvent etre liés aux travaux de F. Varela sur l'autopoïèse.
Dans son article ``Que faisons nous et à quoi ça sert” Isabelle Ginot témoigne des changements qui opèrent dans le corps et la manière de les évaluer. Plus loin nous allons discuter le lien de ces pratiques au concept émergeant ``dimage de son corps” et schéma corporel:
À la fin dune séance de ``”Prise de conscience par le mouvement”, lexpérience la plus courante est celle dun changement très sensible dans la perception de la posture debout (des appuis, de lalignement, de la hauteur, de lespace autour…)et de la marche ou de divers mouvements quotidiens proposés à lexploration en guise de conclusion de la séance. Ce changement peut être ressenti plus ou moins durablement, et sa perception peut être en partie consciente et spécifique (par exemple ``mon poids est plus égal entre les deux pieds”) et en partie confuse (``je me sens différent/e”)(...)Si ce changement persiste dans la durée, il deviendra ``plus habituel” ou, selon lexpression de Feldenkrais, intégré. Ce qui signifiera que mon poids sera désormais plus au centre de mes deux pieds quauparavant, mais que je ne le remarquerai plus. La nouvelle organisation gravitaire sera devenue ``pré-noétique”, elle aura intégré le schéma corporel.
\subsection{Viewpoints}\label{sec:elements-basiques}
Une autre méthode que jai intégrée dans mon approche expérimentale d'entraînement est la technique ViewPoints.
Approche structurelle du processus de composition et de mise en scène, Viewpoints est issue dune méthode inventée par lartiste de théâtre Mary Overlie dans les années 70. Son objectif est de stimuler la créativité et linspiration en utilisant des points de vue pour focaliser la concentration et ordonner la façon de travailler. Cette méthode a été ensuite adaptée par les metteuses en scène Anne Bogart et Tina Landau autour de neuf points de vue ``physiques” et de 5 points de vue ``vocaux”. L'apprentissage de cette méthode sest fait à travers des sessions d'expérimentations pratiques avec le collectif de metteurs en scène Open Source. En tant quoutil de mise en scène, le ViewPoints revisite la hiérarchie traditionnelle entre metteur en scène et acteurs. Les acteurs sont considérés comme des participants actifs dans la création globale du spectacle. Leur attention est focalisée sur différents éléments de la performance (tempo, durée, geste, relation spatiale). Cela part de la supposition que sils sont ouverts à leur environnement scénique, cherchant à convoquer leur instinct sur le plateau, ils peuvent créer un mouvement et une composition scéniques dynamique. Dans une intervention lors dune conférence sur cette technique, une de ses fondatrices, Anne Bogart affirme : ``Dans le travail de Viewpoints, rien n'est inventé tout est une réponse.”
Pour aller plus loin, ce qui m'intéresse dans cette technique est son rapport à la danse, définie au sens large de mouvement : “What is dance? they asked. If an elephant swings its trunk, is it dance? If a person walks across the stage, is that dance?” Parmi les principes employés, la réponse kinesthésique est un type de mouvement selon lequel un geste spontané surgit en réponse à lenvironnement extérieur- par exemple, parfois nous nous levons instantanément quand quelquun ouvre une porte ou nous grattons la tête si quelquun nous pose une question difficile. Ce principe permet danalyser le geste selon deux critères : - gestes comportementaux (ceux que nous employons dans notre vie quotidienne, qui font écho à des situations de vie) et gestes expressifs (ceux qui expriment une émotion et répondent à des besoins dabstractisation). Appliquer ces observations au fonctionnement dune machine, ma permis de voir si des gestes expressifs peuvent lui être propres ou pas.
Entre philosophie pratique du travail, approche d'entraînement ou technique dimprovisation, Viewpoints propose une discipline du corps dans l'espace et le temps. Les éléments tangibles - points de vue- selon lesquels les participants concentrent leur attention fournissent un ensemble de tâches pour libérer l'imagination. Souvent la logique systématique de cette approche aide les praticiens à remettre en question leur perception et s' investir dans une pratique créative qui exige action et exploration, et à déconstruire, réorganiser et reconstruire des partitions et des séquences dans la poursuite d'un théâtre viscéral et visuel.
Larticle (citer Dennis) rend compte des expériences des étudiants en danse qui utilisent cette méthode. L'auteur interroge les exigences de l'apprentissage incarné du mouvement à partir de multiples positions dun sujet - observateur / participant / créateur / réflecteur / acteur.
\subsection{Buto}\label{sec:elements-basiques}
Une autre type dexploration sensorielle que jai eu loccasion de découvrir est la danse Buto, lors de mes stages avec Atsushi Takenouchi entre 2013 et 2015. Cette pratique vue comme un style de danse japonaise d'avant-garde mais aussi comme un mode de vie, diffère à la fois de la danse traditionnelle japonaise et de la danse occidentale moderne. Créé par Tatsumi Hijikata et Kazuo Ohno probablement en réaction aux événements de la Seconde Guerre mondiale, afin dexplorer des thèmes tabous, cette danse convoque des images grotesques avec des mouvements corporels parfois lents, parfois compulsifs toujours en lien avec le soi. Katsugen Undo, une pratique développée par Haruchika Noguchi (1911 - 1976) - inventeur du concept thérapeutique Seitai- est une pratique complémentaire au butô. Katsugen Undo part du postulat que nous avons tendance à nous concentrer sur des énergies excessives qui inhibent nos systèmes d'autorégulation, altérant ainsi nos fonctions physiques, mentales et émotionnelles. Cette pratique est un exercice dynamique destiné à soulager le stress, à détoxifier le système et à amener les énergies du corps à un équilibre naturel et sain. Elle vise à y parvenir en laissant libre cours aux mouvements involontaires du système nerveux autonome, en soulageant le stress et en améliorant l'endurance et la flexibilité de l'organisme.
Ensuite début 2020 je suis allée en Israël pour expérimenter le Gaga Movement- dont la pédagogie encourage le lâcher prise et le bien être des danseurs. Mouvement de danse non-conventionnelle, cette pratique a été développée par le directeur artistique de la Batsheva Dance Company, Ohad Naharin qui lors dun accident au dos dans les années 90, s'est lancé dans un processus de recherche corporelle avec des personnes sans expérience en danse. Ces expérimentations ont donné place au laboratoire Gaga/people étant ensuite demandés comme training régulier par les danseurs de sa compagnie, donnant suite aux cycles Gaga/dancers. Selon le context, cette technique a plusieurs déclinaisons: training pour renforcer le corps et le préparer physiquement en termes de souplesse et d'endurance, échauffement avant des répétitions et outil dexploration pour cultiver sa créativité.
Dans son article, The Phenomenology of the Body Schema and Contemporary Dance Practice: The Example of “Gaga”, la chercheuse Anna Foultier décrit les modalités de travail des danseurs du 21e siècle, devenus entrepreneurs de leur propre corps et technicité:
En raison des tendances chorégraphiques et artistiques ainsi que de la difficulté croissante pour les danseurs d'obtenir des contrats plus longs, la danseuse est devenue une ``entrepreneure” censée façonner sa formation, s'adapter à divers styles et pratiques chorégraphiques et souvent fournir du matériel de mouvement aux pièces avec lesquelles elle travaille. Que cela soit perçu comme libérant l'agence et l'autorité de la danseuse sur son travail ou comme un accommodement à un contexte sociétal marqué par le néolibéralisme où La qualité marchande est un impératif, le danseur contemporain a une approche éclectique où l'entraînement peut varier du ballet, moderne, jazz, capoeira, pilates ou yoga à la natation ou à la course. Dans le monde de la danse post-postmoderne, l'accent n'est plus mis sur le moulage du corps dans une certaine forme, comme dans le ballet classique, ou sur le démantèlement des habitudes afin de découvrir des modèles de mouvement naturels, comme dans la danse moderne, mais plutôt sur la déconstruction et le remodelage continus du corps.
Dans les cours de Gaga que jai pris, l'enseignant et les participants sont en constant mouvement. Les participants reçoivent plusieurs types d instructions: lever ses bras comme s'il y a un poids lourd sur le dos, les soulever et les laisser tomber en étant recouvert par du miel, sentir ses bras légers comme une plume, tomber au sol avec la même vitesse que les bras qui tombent, etc. L'objectif de Gaga est d'ouvrir de nouvelles possibilités d'exploration dans le corps et ainsi confronter les anciennes habitudes afin de développer la conscience du corps et l'écoute intérieure.
\section{Le Shaking comme outil de travail}\label{sec:elements-basiques}
Le Shaking vu ici comme tremblement volontaire du corps est une pratique somatique que nous pouvons observer dans les animaux lorsquils secouent leur corps après un événement dangereux qui a sollicité leur instinct de survie. Les éthologues ont identifié trois mécanismes de défense comme formes de réaction immédiate chez les animaux: sen fuir, se battre ou se figer (fight, flee or freeze). La réponse “se figer” (freeze) est un mécanisme de survie qui protège lanimal en danger en inhibant et immobilisant son corps face à la douleur. Cest lexemple avec le bison entouré par des lions qui dévient tout dun coup mou et arrête de se débattre dans la bouche du crocodile, pour senfouir deux secondes après que les lions commencent à leur tour attaquer le crocodile pour disputer leur proie. Une fois inhibés, les mécanismes de défense produites par le corps, comme l'adrénaline, restent stockés à lintérieur et une fois le danger passé, les animaux vont secouer leur corps pour les libérer.
Jai décidé dutiliser et ensuite adapter cette technique lors de mes échauffements de danse car cette méthode na pas spécifiquement pour but de se concentrer sur soi et de ralentir le fil des pensées, mais plutôt de ``libérer” le corps de ses tensions et privilégier le sentiment de lâcher-prise. Cette technique peut fonctionner particulièrement bien pour tous ceux et celles qui ont beaucoup de mal à rester sans bouger et à mettre leurs pensées en pause. Actuellement des thérapeutes utilisent des techniques de shaking pour réduire les effets du stress traumatique -PTSD.
Les exercices de libération des tensions aident le corps à accéder à des schémas musculaires profonds de stress et de tension, voire de traumatismes pour certains chercheurs (citer). Elles activent un mécanisme réflexe naturel de tremblement ou de vibration qui libère la tension musculaire, calmant le système nerveux. Lorsque ce mécanisme de secousses musculaires et vibrations est activé de façon volontaire, le corps est encouragé à revenir à un état d'équilibre
\subsection{Contexte}\label{sec:elements-basiques}
David Berceli, Ph.D. est auteur et praticien dans les domaines de la réduction du stress suite à des traumatismes. Psychologue et activiste humanitaire américain, il a travaillé en Extrême-Orient et en Afrique dans des zones de conflit à la fin des années 1990 et a remarqué à quel point les secousses étaient une réponse universelle au traumatisme. Ces expériences lont mené à la création d'un ensemble d'exercices de libération de tension et de traumatisme appelés Tension and Trauma Releasing Exercises(TRE). Il est l'auteur de trois livres qui ont depuis été traduits en 15 langues. Sa carrière universitaire comprend un diplôme en travail social (PhD), en travail social clinique (MA), en théologie (MA), en études du Moyen-Orient (MA). Lobjectif de sa thérapie est de calmer le système nerveux avec laide de ce qu'il défine comme Self Induced Therapeutic Tremors (SUTT) pour un état de détente et repos parasympathiques profond. Sa méthode est basée sur une approche neurophysiologique intégrative qui utilise l' homéostasie pour décharger de façon mécanique la tension physique du corps.
Selon des études (citer), pratiquer le ``shaking” en tant que protocole de mouvement au moins entre 5 et 15 minutes à la fois, permettrait dactiver le système nerveux parasympathique, ce quindique au corps de se détendre. Cette communication directe entre nos muscles, nos membres et notre système nerveux central permet de relâcher certaines tensions, tout en activant un sens de présence dans le corps.
Un autre outil que Berceli combine avec sa technique est la méditation de la pleine conscience pour réguler les émotions en augmentant le lien avec le corps et sa sensorialité. La pleine conscience encourage l'acceptation plutôt que l'évitement des expériences traumatiques et diminue la rumination sur des événements passés ou futurs qui peuvent épuiser notre énergie. Une première étude pilote qui mesure le stress chez 21 professionnels de la santé en Afrique du Sud, avant et après une utilisation de la méthode TRE pendant 8 semaines, montre les effets de cette méthode citer.
\subsection{Exemple dexploration sensorielle avec du shaking inspiré par la technique TRE}\label{sec:elements-basiques}
Tout d'abord, je me familiarise avec la pièce où je suis et la surface sur laquelle mon corps sappuie, afin que mon système nerveux soit détendu et loin dun état dalerte. Je ferme les yeux et écoute les bruits autour de moi, du plus lointain au plus proche. Une fois ce type dexercice sensorial fini, je commence par faire quelques exercices préparatoires tels que des étirements type pilates pour fatiguer les muscles. Lobjectif est d'être moins en contrôle pour que les tremblements puissent venir plus facilement.
Ensuite je m'allonge sur le dos dans une pose papillon, la plante des pieds jointe, les genoux pliés sur le côté. Chaque deux minutes, je ramène mes genoux l'un vers l'autre et je maintiens. Bientôt, je sens l'intérieur des muscles de ma cuisse s'engager et il y a un léger tremblement- pour Berceli ce sont les shakes qui sortent. Au fur et à mesure que mes genoux sapprochent, les tremblements deviennent plus forts et je peux les sentir remonter le long de ma colonne vertébrale. Après dix minutes, alors que mes genoux sont maintenant presque collés l'un à lautre, les tremblements sont difficiles à ignorer- je vacille et me saccade presque comiquement.
Pour intégrer l'expérience je m'allonge sur le dos et prends quelques minutes pour me détendre avant de m'asseoir sur mes talons. Je prends quelques respirations, puis je réfléchis à mon ressenti et à comment intégrer cette expérimentation dans mes recherches corporelles.
\section{Renouvellement des approches chorégraphiques dans lhistoire de la danse }\label{sec:elements-basiques}
Dans son livre “Histoire de la danse” (1933) Curt Sachs parle de la danse comme le premier-né des arts: ``La musique et la poésie s'écoulent dans le temps ; les arts plastiques et l'architecture modèlent l'espace. Mais la danse vit à la fois dans l'espace et le temps. Avant de confier ses émotions à la pierre, au verbe, au son, l'homme se sert de son propre corps pour organiser l'espace et pour rythmer le temps”. Pour prouver que la danse apporte une dimension sotériologique partout dans le monde et depuis toujours, il liste les danses à contre coups et les danses extatiques des peuples primitifs. Un siècle après ces observations, la dimension thérapeutique des danses reste toujours dactualité. Des méthodes déducation somatique développent autant de moyens pour dépasser nos dissonances cognitives et comprendre lintelligence du corps. Cependant il est important de souligner que dans notre contexte, ce qui nous intéresse est la façon dont ces méthodes ont pu accompagner les danseurs et praticiens en danse dans leur lintention de renouveler les formes dexpression de cet art.
Lhistoire de la danse moderne et son renouvellement de formes à partir du début du 20e siècle, commence avec l'américaine Loïe Fuller et sa ``Danse serpentine”, faite de spirales et de volutes de voiles. Égérie de l'avant-garde artistique de la Belle Epoque, elle libère le corps et met en place les bases de labstraction en danse. Complémentaire à cette approche est la démarche mise en place par François Delsarte (1811-1871) professeur de chant qui développe entre 1840 et 1870 une théorie de lexpression fondée sur des correspondances entre geste et émotion. Par le biais du dramaturge américain Steele Mackaye, inscrit à ses cours à Paris, les danseurs des Etats Unis vont prendre connaissance du système mis en place par Delsarte, donnant place à un mouvement appelé “delsartisme” d'après le nom de son inventeur. Linfluence de Delsartre va marquer tout une génération de danseurs modernes en Amérique tels Ruth Saint Denis (1879-1968) et Ted Shawn (1891-1972).
Quelques années plus tard cest le tour de lallemande Mary Wigmann de promouvoir la danse libre et de présenter sa ``Danse de la Sorcière” ou ``Hexentanz” en 1914. Selon Hubert Godard, il y avait dans sa démarche deux conceptions “une travaillant limaginaire, lautre le contraignant par une idéologie (le nazi), infléchissant lorganisation tonico-gravitaire qui anticipe et accompagne tout geste, toute attitude corporelle”
Ce courant international, initié entre autres par Isadora Duncan (1877-1927) influença de nombreux chorégraphes et marqua les débuts de la danse moderne. Le solo de danse de Wigman rompt avec la tradition classique par des gestes brusques, une posture au sol et des bras tendus. Avec l'accompagnement de percussions, son apparence de possédée convoque une dimension sensorielle de la danse, centrée sur une expérience de l'intimité et de connexion à soi. Tandis qu' à la même époque a Paris, lukrainien Vaslav Nijinski va plus loin dans le rapport a la sensorialité en simulant une masturbation pendant ``L'après-midi dun faune”. Quelque décennies plus tard, Martha Graham développe une pédagogie basée sur l'opposition entre contraction et libération, avec laide des cycles de respiration. Considérée comme fondatrice de la danse contemporaine, son travail a inspiré les générations de chorégraphes de fin de XXéme siècle. Toujours dans les années 1940, Merce Cunningham et John Cage ont développé un concept radicalement nouveau en préparant la musique et la danse indépendamment, au sein d'une même performance. Ainsi les mouvements des danseurs ne sont plus liés aux rythmes, à l'humeur et à la structure de la musique. Chaque forme d'art existe de façon autonome dans un espace et un temps partagés. Dans une autre partie du monde, cette fois le Japon, Tatsumi Hijikata (1928-1986) et Kazuo Ōno (1906-2010) development la danse de butō nourris par les avant-gardes artistiques européennes comme l'expressionnisme allemand et le surréalisme. Née dans les années 1960, cette danse marque une rupture avec les arts vivants traditionnels du nô et du kabuki, en sinspirant de bouddhisme et de croyances shintô. Les remous socio-politiques qui secouèrent le Japon à cette époque, notamment les événements tragiques d'Hiroshima et de Nagasaki de 1945, donnent forme à cette danse sensorielle basée sur lintrospection de ses protagonistes. Une autre figure incontournable de l'expression corporelle est Pina Bausch(1940-2009) danseuse et chorégraphe allemande. Fondatrice de la compagnie Tanztheater Wuppertal, elle rompt définitivement avec les formes de danse conventionnelles en introduisant le concept de danse-théâtre ou Tanztheater sur la scène allemande et internationale. Au début, des spectacles tel ``Le Sacre du printemps” (1975) ont suscité de nombreuses critiques, avant de devenir une référence dans l'histoire de la danse postmoderne. Sur un sol recouvert de terre, danseurs et danseuses sopposent en se livrant à une lutte sauvage et poétique couverts de boue et de sueur. Cette lutte marque le sacrifice de lÉlue, comme dans le rituel paien du chef-dœuvre de Stravinsky. En allant jusqu'à l'épuisement, la danse se libère ainsi de son rapport à la représentation en développant de nouvelles normes esthétiques. Presque à la même époque, Carolyn Carlson, née le 7 mars 1943 à Oakland en Californie, danse pieds nus à l'Opéra Garnier à Paris et ouvre un laboratoire de recherche sur le mouvement en invitant des danseurs amateurs à rejoindre sa recherche. Tandis quAnne Teresa De Keersmaeker crée ``Rosas danst Rosas” en 1983, pièce pour quatre danseuses et quatre mouvements, dont le titre donne le nom de sa compagnie. Lutilisation presque radicale de la musique de Steve Reich et Thierry De Mey, comme support premier de sa composition chorégraphique, ainsi que le recours aux motifs géométriques (cercles, courtes spirales, diagonales impeccables) comme base pour les mouvements, distinguent le travail de Keersmaeker des autres chorégraphes de sa génération. Le travail sur une chaise, la répétition et l'épuisement du corps sont également des éléments clés de sa démarche. Quelques années plus tard, au contrepoids entre l'Amérique et lIsraël, Ohad Naharin renouvelle avec les traditions et les chants traditionnels juifs. Dans ``Echad Mi Yodea” (1990), des danseurs assis sur des chaises, en train de trembler de façon répétitive évoquent des moments de dévotion à la synagogue. Des piles de vêtements jetés par terre peuvent renvoyer a des photographies de l'Holocauste. Les danseurs peinent à travers la chorégraphie et leur lutte pourrait être interprétée comme un hommage à la construction d'Israël mais aussi comme un dépassement de soi.
Le début du 21ème siècle continue cette tradition de la danse libérée de formes, de croisement de disciplines et des pratiques que cela soit chant, art martiaux, arts plastiques ou nouvelles technologies. Souvent lors des spectacles avec plusieurs danseurs sur le plateau, nous nous habituons à voir pousser les limites de la physicalité, sans oublier lhistoire de la danse et ses traditions, auxquelles la plupart des chorégraphes que je cite rendent hommage. Dans le chef d'œuvre ``In Spite of Wishing and Wanting” (1999) Wim Vandekeybus a imaginé une performance sur le désir primordial et la tension entre le familier et l'étrange. Sur scène que des hommes. Leurs mouvements frôlent la férocité, la sauvagerie et la naïveté. Des séquences de danse envoûtantes sur la bande sonore sensuelle de David Byrne, donnent limpression que les danseurs sont possédés par quelque chose ou quelqu'un. La peur et le désir de se transformer en quelque chose dautre représentent un thème central dans le travail de Vandekeybus.
Un projet qui traite du rapport que nous avons à la composition de la danse et la façon de la représenter est ``Synchronous Objects for One Flat Thing” (2010). La collaboration entre William Forsythe et l'Ohio State University est basée sur le traitement des informations numériques, spatiales ou temporelles à partir de vidéos de l'œuvre de danse ``One Flat Thing” de Forsythe ou des performeurs dansent sur et avec des tables. Leurs mouvements se synchronisent selon une série d indices internes. Une fois la danse enregistrée sous différentes perspectives, les données ont servi pour créer d'autres médias, événements et objets. Par exemple, un objet synchrone développé par Ola Ahlqvist dans le département de géographie de l'Ohio State montre la densité du mouvement des danseurs - sous la forme dun paysage topographique avec des montagnes colorées représentant les endroits ou chacun passait la plupart de son temps lors de la danse. Dans la même lignée, le spectacle ``The Great Tammer” (2017) du chorégraphe grec Dimitris Papaioannou traite du rapport que les danseurs ont au corps, en sinspirant de la sculpture et la peinture classique. Son travail a une forte composante plastique et repose sur une dilatation du temps. L'expérience quil propose aux spectateurs est sensorielle- des corps qui se démembrent pour se reconstituer en nouvelles images sur le plateau. Ce questionnement du corps est partagé, mais traité dans une approche différente par la chorégraphe brésilienne Lia Rodrigues. Ses créations transgressent plusieurs formes dont celle du rituel performée. Son spectacle ``Furia” (2018) met en scène des moments extatiques en danse et corps démembrés. Similaire au travail de Vandekeybus, nous pouvons croire les danseurs possédés. Leur présence convoque de l'émotion brute et transmet au spectateur une envie de partager la danse qui s'opère devant ses yeux.
\subsection{Anna Halprin- The Taking part process
}\label{sec:elements-basiques}
Anna Halprin est une danseuse et chorégraphe américaine qui a beaucoup influencé la danse contemporaine. Dans sa pratique elle intègre des principes somatiques, en se focalisant sur des impulsions internes et un état de grounding (connexion) avec soi-même. Pour elle, il existe un phénomène d'interdépendance entre mouvement, sentiment et association interne du mouvement (vu comme représentation mentale).
Son travail influencé par sa propre expérience du cancer la amenée à travailler avec des victimes de préjugés raciales, des personnes atteintes de maladies incurables comme le Sida et le cancer. Elle a intégré les principes de sa pédagogie lors des ateliers de danse en grande communauté. Son travail des dernières années de sa vie, atteste dun lien entre la danse et la spiritualité. Dans un entretien avec Ilene A. Serlin(citer), elle évoque sa première professeure de danse et l'impacte que cela a eu sur sa carrière:
``Margareth 'Doubler was my true mentor, and she provided the best dance education I possibly could have had. She was a biologist by training, which gave her the foundation to approach dance from a different perspective than what was being taught by others as dance. She taught me to view dance from a scientific as well as philosophical and aesthetic point of view. She used to say,``Teach the objective principles of dance and this will enable your students to subjectify their experience.`` What she gave me was a great gift. She taught me to cultivate my own creative expression rather than imitate someone else's style.”
Pour Halprin il y a une équivalence entre le fait d'être incorporé (embodied) et la spiritualité. Une des danses quelle avait mis en place cest ce cycle de danses planétaires, ou plusieurs milliers de personnes dansent ensemble sur plusieurs continents:
``I created``Circle the Earth” with a different approach because I want to make dance as accessible as possible to everyone. I want to create dances that anybody can do, and I want to return people to an awareness of movement that I believe is one of our most essential birthrights.(...)I think dance happens to be my particular language; it always has been. Any medium can be anybodys language; dance just happens to be mine. Its been a way that has pointed me to directions that I could not preconceive, and that's been the adventure. It was a risk- taking for me. You know, I didnt know I was going to be doing a dance about reclaiming a mountain.(...)This way of working is now called the expressive arts approach, although it wasnt called expressive art in those days. I was able to envision a kind of dance that had a purpose, a healing purpose, a societal purpose, an environmental purpose. I never considered myself a therapist, although I might be referred to as a therapist. I consider myself simply a dancer. I began to think of these dances I was making as rituals. I found that the word ritual enabled me to move more consciously into the realm of dancing for the people, dancing for change.“
Cette danse a été dabord performée un dimanche de Pâques, en pleine nature, sur une montagne où elle avait déjà lhabitude de danser. Avec son groupe de participants, ils sont descendus du sommet de la montagne, après avoir accueilli le lever du soleil. Ils ont ensuite formé un cercle en dansant juste en dessous du sommet, pour pouvoir regarder dans les quatre directions. Chaque direction avait sa propre symbolique: le Sud est l'endroit d'où vient la vie, le Nord est l'endroit d'où vient la mort, et l'Ouest est l'endroit où va la lumière et l'Est est l'endroit d'où vient la lumière. Après avoir fait cela, les danseurs partagent leur expérience, par petits groupes. En remémorant une de ses expériences de Danse Planétaire, Halprin évoque le souvenir dun participant quelle connaissait qui était en larmes, profondément ému par quelque chose. En écoutant son récit, elle a compris que son ami a eu une prise de conscience soudaine des aspects spirituels de sa vie. Comme souvent parmi les participants, la recherche de la spiritualité peut donner limpression de quelque chose de spécial, d'inatteignable. Cependant son ami a trouvé un moment dillumination en lien avec son travail. Il a pris conscience de la relation quil avait avec ses employés au restaurant, de la façon dont il traitait ses collègues, de la façon dont ils avaient l'habitude d interagir et de coopérer. Pour lui, cette expérience dappartenir à un groupe relevait de la spiritualité.
L'élément principal dans l'approche de la danse dAnna Halprin est son usage du mouvement naturel, intrinsèque au vécu quotidien du danseur. Ce type de mouvement structure lexpression et l'expérience de chaque corps. Dans son approche``Taking Part” Halprin parle de deux étapes. La première a lieu pour apprendre un langage commun à partir du corps, par lusage des mouvements naturels. Les archétypes du corps reflètent et influencent les archétypes de la vie de chaque personne. Pour elle, le corps humain a des multiples dimensions: énergétique, physique, émotionnelle, mentale et spirituelle.
La deuxième étape est un outil pour libérer la créativité collectivement pensée en lien avec les Cycles RSVP. Cette méthode de Cycles RSVP a été développée par son mari Lawrence Halprin dans les années 70 pour le projet Circle the Earth afin que chaque participant amène son vécu et histoire de vie dans le projet. Les Cycles RSVP se basent sur quatre principes: R parle de ressources (matériaux à disposition), S en anglais Scores représente les partitions comme celles de musique, V parle de de la valeur des actions (plus spécifiquement l'appréciation, le feedback et la valeur qui accompagne le processus de création), alors que P vient de Performance ou l'implémentation des partitions.
\subsection{Deborah Hay ou playing awake
}\label{sec:elements-basiques}
``What my body can do is limited. This is not a bad thing because how I choreograph frees me from those limitations. Writing is then how I reframe and understand the body through my choreography.” — Deborah Hay
Deborah Hay est danseuse, chorégraphe, écrivaine et enseignante. Son travail se concentre sur des projets de danse postmodernes impliquant des danseurs non formés, un accompagnement musical fragmenté sur des mouvements ordinaires exécutés sous la forme des partitions. Elle est l'une des fondatrices du Judson Dance Theater- collectif de danseurs, compositeurs et artistes visuels qui se sont produits entre 1962 et 1964, à la Judson Memorial Church à Greenwich Village en Manhattan. Les artistes impliqués dans ce collectif sont reconnus pour avoir déconstruit la pratique et la théorie de la danse moderne. Sur son site, Hay décrit linfluence de ses débuts dans la compagnie de Merce Cunningham. Lors dune tournée au Japon en 1964, elle rencontre le théâtre Noh et incorpore dans sa pratique l'extrême lenteur, le minimalisme et la suspension des mouvements dans sa chorégraphie post-Cunningham. En 1966, Hay et d'autres artistes travaillent avec les experts en informatique des Bell Labs, dans des performances collaboratives intitulées ``Evenings: Theatre and Engineering”. Lors de cette collaboration, elle participe à la performance : ``Studies in Perception 1” de Ken Knowlton et Leon Harmon. Une image de Hay, nue allongée avec lun de premiers ordinateurs de Bell, est alors imprimée dans le New York Times puis exposée lors de l'une des premières expositions d'art informatique - ``The Machine as Seen at the End of the Mechanical Age” au Museum of Modern Art de New York à la fin de lannée 1968.
Après ces expériences, elle quitte New York pour sinstaller à Vermont en 1970. Éloignée du monde de l'avant-garde artistique new-yorkaise, elle crée``Ten Circle Dances”- une pièce jouée dix soirs consécutifs sans public. Son premier livre,``Moving Through the Universe in Bare Feet (1975)”, contient ses observations tirées de cette expérience. Puis en 1976, Hay déménage du Vermont à Austin, au Texas, où elle commence à développer un ensemble de pratiques chorégraphiques autour du concept intitulé``playing awake” ( jouant éveillée) qui engageaient l'interprète à plusieurs niveaux de perception à la fois. Cette méthode chorégraphique a été dabord enseignée lors des ateliers pour des interprètes et danseurs non formés, donnant suite à des performances publiques par la suite. Son deuxième livre, “Lamb at the Altar: The Story of a Dance” (1994), documente le processus créatif utilisé lors de cette période.
Dans les années 1990, Deborah Hay se concentre presque exclusivement sur des danses solo, développées avec des principes de``playing awake”- sa méthode chorégraphique expérimentale. Ces œuvres comprennent``The Man Who Grew Common in Wisdom” (1989),``Voilà” (1995),``The Other Side of O” (1998), transmises ensuite à des interprètes renommés aux États-Unis, en Europe et en Australie.``My Body, The Buddhist”, son troisième livre, est publié par la suite à Wesleyan University Press en 2000. Ce livre contient ses réflexions sur le bouddhisme et les leçons qu'elle a apprises en portant une attention particulière à son corps pendant qu'elle dansait. Le concept de``mémoire cellulaire” est également décrit dans son livre.
Dans sa thèse``Dance in the light of neuroscience : sharing the experience of Deborah Hay's performance : her work and reflections”, Gabriela Karolczak par du postulat que la danse est une expérience partagée entre un danseur et un spectateur, enracinée dans le mécanisme neurologique des neurones miroirs. Pour elle, les problèmes liés aux neurosciences de la danse visent la validité écologique des expériences vécues. Le travail de Hay, la façon dont elle témoigne de ses observations empiriques à travers les décennies de sa pratique, nous rendent des participants actifs de ses questionnements et du soulagement offert par cette pratique. Dailleurs le credo artistique de Hay est défini de façon suivante:
``Without it being my intention, dance has become a medium for the study and application of detachment. Actually, I prefer the term dis-attachment because it implies a more active role in letting go. The balance between loyalty and dis-attachment to that loyalty, sensually and choreographically, is how the practice of dance remains alive for me.”- December 2010
\section{Notations de danse}\label{sec:elements-basiques}
Comme l'affirme Violeta Salvatierra dans sa thèse, outre les pratiques somatiques et l'improvisation dansée, un troisième champ de ressources pour les savoirs gestuels de cette thèse, est celui de l'analyse du geste:
``Également nommée``approche qualitative de l'analyse du mouvement” (j'utiliserai ces deux expressions indistinctement), l'analyse du geste a été développée par Hubert Godard, Odile Rouquet et d'autres danseur·ses en France depuis les années 1980, et partage des racines communes avec les techniques somatiques, dont elle se nourrit. Elle regroupe également des savoirs en biomécanique et en anatomie du mouvement
humain, en relation avec des savoirs pédagogiques. Elle est historiquement reliée à la constitution de la discipline de lanalyse fonctionnelle du mouvement du corps dansé (dérivée de celle antérieurement connue sous lappellation de``kinésiologie de la danse”), et travaille, comme les méthodes somatiques, avec lesquelles elle partage de nombreux enjeux, sur la plasticité sensorimotrice et sur la capacité de moduler les différents paramètres qui colorent la qualité expressive du geste.”
Avant lapparition du numérique, archiver la danse par écrit a été une manière de garder intacte le patrimoine culturel de chaque époque. Si le mouvement humain partage avec la musique les caractéristiques propres à cette dernière - hauteur, force, durée, rythme- lexpression corporelle comporte en plus un aspect tridimensionnel particulièrement difficile à rendre en deux dimensions. Bien que la danse sécrit et se lit sur des partitions depuis le Moyen ge, le XXe siècle a apporté de linnovation dans ce domaine. Pour décrire la fluidité du mouvement, déterminer sa durée et sa dynamique dans l'espace, ainsi que les singularités de l'interprète, les chorégraphes et chercheurs ont recours à des systèmes de notation plus complexes. Ainsi les plus connus outils d'analyse et de transcription de la danse traduisent les mouvements de manière spécifique en utilisant des notations musicales et des silhouettes, des symboles abstraits, des lettres ou des abréviations. Leur objectif est daméliorer et répertorier les performances dansées dans la culture occidentale.
\subsection{La notation Laban
}\label{sec:elements-basiques}
Le système de notation Laban, appelé aussi la cinétographie Laban, est un système décriture et danalyse du mouvement du corps humain publié en 1928 par le chorégraphe et pédagogue hongrois Rudolf Laban. Selon Goddard, “limpuissance à saisir par notre organisation linguistique le sens profond du mouvement “ a amenée laban vers la mise au point de son système de notation. Sous le nom de Laban Movement Analysis, il développera ultérieurement la choreutique (harmonie du corps dans l'espace) et l'eukinétique (étude de la dynamique du mouvement)- opposant “pensée motrice et pensée en mots”. Les principaux symboles de ce système sont les signes de direction avec leur durée et orientation, classifiés en formes et motifs pour déterminer la partie du corps concernée par le mouvement. Le placement des signes sur la portée donne la simultanéité des mouvements (lecture horizontale) et leur succession (lecture verticale). Les distances, les relations avec des partenaires ou avec des objets, les micro-mouvements ou encore le dessin des déplacements au sol sont indiqués par des signes spécifiques.
Laban définit également la kinésphère comme un espace imaginaire personnel placé autour de la personne et accessible directement par ses membres, jusqu'au bout des doigts et des pieds tendus dans toutes les directions. Ainsi les changements de forme peuvent être statiques (changements de postures) ou dynamiques- ce qui définit ensuite la notion de qualité de la forme, comme la manière dont le corps évolue activement d'un point à un autre de l'espace. Ce concept est étroitement lié à la qualité perçue du mouvement, concept clé dans les analyses de mouvement.
\subsection{La notation Benesh}\label{sec:elements-basiques}
Apparu à Londres en 1955 sous le nom de Benesh Movement Notation, ce système de notation a été créé par Rudolf Benesh, musicien et mathématicien. Ainsi lobjectif de la notation Benesh est de codifier de façon concise par l'écriture tous les mouvements possibles du corps humain - à la manière d'une partition de musique. Autre que lanalyse de mouvement chorégraphique, cette notation sera utilisée conjointement dans le domaine de lergonomie, de la médecine et de lanthropologie de la danse. Parmi autres un projet pilote, réalisé avec le Centro di Educazione Motoria de Florence en 1967 où la notation Benesh permet danalyser les déficiences musculaires, contribue au traitement des enfants souffrant de paralysie cérébrale. Ensuite des physiothérapeutes basés en Suède et au Japon étudieront et exploiteront le potentiel de la notation comme outil dobservation clinique et danalyse pour le suivi des patients. Cependant la notation Benesh est principalement utilisée comme outil d 'enregistrement des créations chorégraphiques. La maîtrise de la grammaire pour lanalyse du mouvement est claire et simple: lu de haut en bas, les cinq lignes du cadre de notation coïncident avec les positions de la tête, des épaules, de la taille, des genoux et des pieds.
\subsection{La notation Eshkol-Wachman}\label{sec:elements-basiques}
La notation de mouvement Eshkol-Wachman est un système d'enregistrement de mouvement développé en Israël par la chorégraphe Noa Eshkol et l'architecte Abraham Wachman. Apparu en 1958, ce système a été créé pour la danse, afin de permettre aux chorégraphes et aux danseurs de reconstituer tout type de mouvement de danse contemporaine dans son intégralité. En comparaison avec la plupart des systèmes de notation et analyse de mouvement, Eshkol-Wachman est destinée à noter n'importe quel type de mouvement, sur papier ainsi que sur lordinateur. Grâce à cela, il est utilisé dans de nombreux domaines, notamment la danse, la médecine ou léthologie.
Des observations psychomotrices, cognitives et socio-émotionnelles en lien avec l'apprentissage de ce système, ont encouragé les chercheurs à mettre en place des études pilote quant à leur impact sur des phénomènes de coordination de mouvement (citer art EShkol) qui pourraient servir comme moyen de détection des formes dautisme.(citer art EShkol)
Selon son fondateur, Noa Eshkol ce système est également un outil d'apprentissage qui peut aider les gens à regarder differement le mouvement:
“Eshkol-Wachman Movement Notation is a thinking tool that can teach people the art of observation, i.e. encourage them to aspire for the ultimate level of seeing. It does so by organizing the material known as movements of the human body in relatively simple categories, thereby allowing us an insight (in-sight) into the complexity of this phenomenon as a whole.”
Ainsi, dans la notation Eshkol-Wachman le corps est divisé en articulations où chaque paire d'articulations définit un segment de ligne. Chaque système articulé des axes tient compte des relations spatiales et des changements de relations entre les parties du corps. Le résultat est un processus analytique, entre le corps, lespace et le temps dans un référentiel sphérique où les directions et les trajectoires de chaque partie du corps sont répertoriées. Quand une extrémité d'un segment de ligne est maintenue dans une position fixe, ce point est le centre de la sphère dont le rayon est la longueur du segment de ligne. Les positions de l'extrémité libre sont définies comme deux valeurs de coordonnées sur la surface de cette sphère, analogues à la latitude et à la longitude dun globe mais écrites sous la forme des fractions avec le nombre vertical écrit au-dessus du nombre horizontal.
\paragraph{Un paragraph d'example}
Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. Sed eget erat tortor. Mauris iaculis congue nibh ac sollicitudin. Aliquam aliquam velit eu aliquet tincidunt. Vestibulum lacus ipsum, feugiat at feugiat id, auctor quis nisl. Maecenas ultricies sagittis convallis. Curabitur at velit ut odio condimentum fringilla.
\subsection{Références}
Une références contenant le nom de l'élément ciblé~: \autoref{sec:elements-basiques} ou encore vers \autoref{chap:tire-chapitre}.
Une réference affichant seulement l'indice de l'élément ciblé~: \ref{sec:elements-basiques} ou encore vers \ref{chap:tire-chapitre}.
\subsection{Citations}
Un site web \cite{3DAnimationPipeline2019}, un live \cite[12]{adamsGameMechanicsAdvanced2012}, un papier \cite{allyFrameworkUnderstandingFactors2005}, une thèse \cite[10]{george-mollandCollaborationAuCoeur2007}, un film \cite{blomkampAdamMirror2017}
\subsection{Glossaires}
Voici un exemple d'acronyme \gls{bdd} et de glossaire \gls{dataflow} définis dans \verb|glossaire.tex|. Au deuxieme appel, les acronymes gardent leur formes courte, par exemple : \gls{bdd}. La définition des termes du glossaires apparait en footnote à leur première utilisation. Pour désactiver ce comportement, mettre la propriété \verb|enablef| à \verb|true|. Exemple avec \gls{mastering}.
\subsection{Figures}
\begin{figure}[h!]
\centering
\includegraphics[width=3cm]{example-image-a}
\caption{Une figure simple.}
\end{figure}
\begin{figure}[h!]
\centering
\begin{subfigure}[b]{0.40\columnwidth}
\centering
\includegraphics[width=3cm]{example-image-a}
\caption{Sous figure 1}
\label{subfig:sr-iteration-1}
\end{subfigure}
\hspace{1mm}
\begin{subfigure}[b]{0.40\columnwidth}
\centering
\includegraphics[width=3cm]{example-image-a}
\caption{Sous figure 2}
\label{subfig:sr-iteration-2}
\end{subfigure}
\vspace{2mm}
\caption{Une figure contenant plusieurs sous-figures.}
\end{figure}
%\begin{figure}[h!]
% \centering
% \includesvg[inkscapelatex=false, width=5cm]{svg_sample.svg}
% \caption{Une figure basé directement sur un fichier SVG.}
%\end{figure}
\chapter{Perception du corps et du mouvement dans la robotique}
\textit{Affective schemas remain unconscious when not matched with accommodation.} J. Piaget
\section{Approche cognitiviste pour la compréhension du corps}
\textbf{Types de cognition}
Pour témoigner de la difficulté de nommer les termes qui concernent ce chapitre,
et les appartenances que chaque auteur réclame, nous introduisons la définition
de lartiste Simon Penny qui dans son anthologie Making sense: cognition,
computing, art and embodiment, énumère les quelques définitions en lien avec la
cognition :
“Confusion arises when discussing cognition, because several schools of thought
have quite different interpretations. As noted in part I, the autopoietic
conception of cognition is incompatible with the cognitivist conception (which
is derived from Anglo-American analytic philosophy, though ana­lytic
philosophers have accused cognitivists of being a bit sloppy). Continen­tal
philosophers (phenomenologists) draw distinctions differently. When Lakoff and
Johnson talk about the cognitive unconscious, their conceptions of the conscious
and unconscious diverge from Freudian ideas. One reason for this confusion of
terminology is precisely the condition of the paradigm shift itself. Neologisms
(some of them clunky) and borrowings from other languages abound because
existing language is built around dualist concepts. New language is needed.
Maturana and Varela coine autopoiesis. Gibson invented affordance. Likewise
umwelt and enactivim and other terms are now part of a new vocabulary.”(Penny
Making sense P. 195)
Au début du XXe siècle, entre un vision matérialiste et son contrepoids marqué
par le dualisme corps-esprit, des chercheurs tels Raymond Ruyer (citer papier
Ruyer) ou Bergson (citer matière et mémoire) expliquent lactivité cognitive
par la réalité physiologique du cerveau et son lien avec le corps. Ainsi Ruyer
affirmait que “cest du cerveau réel, de sa subjectivité, que naissent les
sensations”, alors que pour Bergson le cerveau est un instrument en relation
avec le corps (citer Andrieu) dont le mouvement est compris par la mécanique.
Toujours pour Ruyer: “Le cerveau nest pas un instrument, une machine à
fabriquer la conscience, la subjectivité. Comment une machine le pourrait-elle?
Tout lorganisme est, en soi, subjectivité. Le cerveau est un instrument à
transporter, appliquer la conscience primaire de lorganisme à la tâche
dorganisation du monde extérieur…le cerveau est le lieu de lorganisme par où
passent les circuits externes, la fabrication des outils et des machines, la
création des oeuvres dart, des institutions sociales, lorganisation et
lentretien de tous les produits de la culture. Le cerveau est en nous comme une
partie embryonnaire conservée. (...) Le “je” psychologique et cortical est le
résultat dun devenir mais second car il côtoie lorganique de sa mémoire
corporelle. Cette coexistence est une intégration plutot quun emboîtement, car
lactivité de la conscience ne peut être séparée de son tissu vivant, se
définissant ainsi comme une conscience sensorielle” (citer Andrieu p.10)
Dans notre contexte spécifique, cette conscience du corps, de son vécu immanent
continent un savoir non-réfléchi et involontaire qui peut se cultiver par des
pratiques somatiques et déveil corporel. Notre démarche est dattribuer au
mouvement une place primordiale dans la constitution de la conscience et de
lêtre en général.
\subsection{La théorie 4E de la cognition or The 4E cognition theory}
%https://www.researchgate.net/publication/280447321_Introduction_to_the_Special_Issue_on_4E_Cognition
Nous présentons le concept de cognition sous langle de la théorie 4E dont les
débats actuels se concentrent sur le lieu où se trouve la cognition et son lien
avec la perception et laction.Une des prémisses de cette théorie est que
lactivité perceptive-motrice est constitutive pour la cognition (citer).
La théorie 4E de la cognition défend lhypothèse selon laquelle la cognition est
plus quun modèle cartésien dopération dans le cerveau. Lidée que le cerveau
est similaire à un ordinateur, promeut les phénomènes cognitifs entièrement
déterminés par leur rôle fonctionnel. Cependant dans la théorie 4E de la
cognition, les phénomènes cognitifs sont étudiés en lien avec leur
environnement. Des processus comme les détails biologiques et physiologiques du
corps dun agent, définies comme des processus extra-crâniens, sont analysés
dans son environnement naturel actif. Cela donne suite à deux hypothèses
danalyse: selon lhypothèse forte, les processus cognitifs sont essentiellement
produites lors des processus extra-crâniens ; alors que pour lhypothèse faible,
ils y sont seulement à moitié résultats des processus extra-crâniens. Ces
processus extra-crâniens sont à leur tour corporels (selon la dichotomie
cerveau-corps) ou extracorporels (impliquant un couplage
cerveau-corps-environnement).
Le livre offre des précisions concernant les caractéristiques centrales de la
théorie 4E, basée sur: la cognition incarnée ou incorporée (embodied), la
cognition ancrée (embedded),la cognition énactée (enacted) et la cognition
étendue (extended).
Dans les prochaines pages, un sub-chapitre de notre étude porte sur la cognition
incarnée, dont les désaccords entre les comportementalistes et les
cognitivistes, la situent au cœur des débats en neurosciences. Dans notre
contexte, cette propriété de la cognition dêtre incorporée signifie être
causalement dépendante de processus extracorporels qui ont lieu dans
lenvironnement proche du corps. Un autre sous-chapitre traite de lenaction,
vue par le neurologue Francesco Varela comme thèse sur la continuité entre la
vie et lesprit.
Lapproche traditionnelle de la cognition se concentre sur les processus
neuronaux, alors que la théorie de la cognition 4E vise plutôt laction
incarnée dans le corps. Cette théorie amène des nouvelles façons dintégrer la
complexité des phénomènes cognitifs. Ces phénomènes sont étudiés sous un angle
physiologique, suivant les avancements dans plusieurs domaines connexes. Dans
son introduction au livre dédié à cette théorie (cite Menary), la position
intégrationniste du philosophe Richard Menary offre une nouvelle contribution à
lapproche incarnée et intégrée. Pour lui, les systèmes cognitifs fonctionnent
grâce à lintégration des fonctions neuronales et corporelles avec les fonctions
de représentation.
\subsection{Cognitivisme}
La théorie 4E de la cognition marque également une rupture avec la vision
traditionnelle du cognitivisme- centrée autour de représentations et calculs
mentaux. Ce courant apparu dans les années 1950 a été promu entre outre par les
recherches de Jean Piaget sur la biologie du développement et sur les
découvertes en cybernétique, établie comme alternative à une science de lesprit
selon Varela:
“The central intuition behind cognitivism is that intelligence—human
intelligence included—so resembles computation in its essential characteristics
that cognition can actually be defined as computations of symbolic
representations. Clearly this orientation could not have emerged without the
basis laid during the previous decade. The main difference was that one of the
many original, tentative ideas was now promoted to a full-blown hypothesis, with
a strong desire to set its boundaries apart from its broader, exploratory, and
interdisciplinary roots, where the social and biological sciences figured
preeminently with all their multifarious complexity.” (Varela P. 40)
Les modèles théoriques et pratiques inspirés par cognitivisme, comme le
constructivisme, placent les mécanismes de construction active des savoirs et
lapprentissage au centre de leur préoccupation. A son tour, le cognitivisme
hérite des approchés précédentes la préoccupation pour le comportement, à la
place des processus internes de cerveau, comme processus dacquisition de
savoirs. Un des questionnements du cognitivisme est de démontrer comment les
états intentionnels qui ont des propriétés causales (désirs, intentions), sont
physiquement possibles et capables de provoquer un comportement. Pour expliquer
cela, Valera utilise la notion de calcul symbolique où les calculs sont définis
comme opérations sur des symboles qui respectent ou sont contraints par ces
valeurs sémantiques. Cependant il souligne quun ordinateur ne fonctionne que
sur la forme physique des symboles quil calcule; il na pas accès à leur valeur
sémantique. Avec le temps, lidée que la logique ne suffit pas pour simuler et
comprendre le fonctionnement du cerveau, dont le fonctionnement est distributif,
a fait émerger de points de vue contradictoires sur le cognitivisme.
Dans le livre “4E Cognition: Historical Roots, Key Concepts, and Central
Issues”, Albert Newen, Shaun Gallagher, and Leon De Bruin offrent une
perspective globale de la théorie 4E de la cognition. Leur chapitre
“BrainBodyEnvironment Coupling and Basic Sensory” explore le concept
dintentionnalité propre à cette approche. Ainsi, lhypothèse selon laquelle la
perception est orientée vers laction, conduit à considérer lintentionnalité
motrice comme facteur qui la facilité : “The notion that perception is
action-oriented leads to a consideration of a very basic motor intentionality —a
concept that derives from phenomenology (e.g., Merleau-Ponty 2012), but that can
also be found in pragmatists such as John Dewey. As Robert Brandom notes, citing
Dewey, the “most fundamental kind of intentionality (in the sense of
directedness toward objects) is the practical involvement with objects exhibited
by a sentient creature dealing skillfully with its world” (2008, p. 178). This
captures a form of intentionality that is built into skillful bodily movement in
tandem with environmental demands.” Pour nous, ce genre dintentionnalité qui ne
part pas le résultat dun processus mental, est représentatif pour létat
dintentionnalité de geste dansé, mais aussi des robots. Alternativement, la
notion dincarnation, telle quelle est définie dans la théorie 4E, nécessite un
couplage complexe entre le cerveau, le corps et lenvironnement. Ce couplage est
la base de tout système robotique où les processus internes sont en lien direct
avec lenvironnement.
Le role de laffecte Le concept daffecte est également au cœur des études sur
la cognition dans la théorie 4E où lémotion est vue comme une affectivité
située. Dans cette acceptation, la cognition nest pas un processus
quantifiable, similaire à un modèle informatique. Laffect nécessite une
conception incarnée et située de la cognition. Les processus empathiques de la
petite enfance ou les situations sociales sophistiquées qui caractérisent lâge
adulte, donnent une dimension plus complexe à ce phénomène. Ainsi nous
remarquons que ce nest pas seulement le sentiment conscient démotion qui est
important. Les processus affectifs inconscients comme la faim ou la fatigue, la
douleur ou le plaisir jouent un rôle tout aussi important, et peuvent biaiser la
perception.
De façon similaire, la chercheuse Branka Zei Pollermann introduit “le modèle
unifié de cognition” basé sur les théories de Jean Piaget, Ludwig von
Bertalanffy et Louis J. Prieto . Ce modèle stipule que les espaces affectives
(affected spaces) facilitent des comportements adaptatifs lors des processus
cognitifs.
La théorie générale des systèmes trouve aujourdhui de multiples applications.
La modélisation des organismes humains, appelés comme “systèmes ouverts” par
Ludwig von Bertalanffy , intéresse les roboticiens également et nous allons
détailler cela dans les prochaines pages.
L.J Prieto (1975) base sa théorie autour du concept de praxis (vu comme action
intentionnelle) et la façon dont cela structure la cognition. Il identifie “une
caractéristique qui semble apparaître toujours dans la connaissance scientifique
et qui ne se retrouve pas, en revanche, dans la connaissance non scientifique, à
savoir lexplicitation des concepts avec lesquels la connaissance en question
opère.”
Alors que Jean Piaget identifie deux concepts-clé pour caractériser
linteraction des systèmes dites intelligentes avec lenvironnement. Le premier
est le concept d assimilation des schémas de comportement préexistant et
lautre le concept dadaptation- considéré comme moment déquilibre entre deux
états, évoquant un sentiment de plaisir si cet équilibre atteint.
Selon la théorie de Piaget, lintelligence humaine se développe avec lâge
passant par plusieurs étapes parmi lesquelles: lintelligence
logico-mathématique, musicale, spatiale, corporelle-kinesthésique,
interpersonnelle et ainsi de suite. Le chercheur Olivier Houdé, specialiste en
developpement cognitif, complète cette théorie (citer Houdé), en situant trois
phases de lintelligence humaine modélisés dans des algorithmes: lintelligence
sensori-motrice (avant 6 ans), lintelligence opérationnelle concrète tel comme
définie par Jean Piaget (entre 7 et 12 ans) et lintelligence propre à la
résistance cognitive, nommé intelligence opérationnelle formelle (de
ladolescence à lâge adulte) permettant le raisonnement scientifique et l
apprentissage des valeurs et normes sociales.
Dans son analyse “A unified model of cognition, emotion and action”, Pollermann
montre comment le comportement adaptatif dun système est défini par sa capacité
de correspondre aux cinq critères suivants: “A.sentir lenvironnement externe et
interne, interpréter puis stocker linformation B. utiliser la mémoire et les
signaux perceptives pour décider C. réguler les ressources internes( pour les
humains il sagit d ajustements au niveau somatique et neuroendocrin) D.
transformer les actions choisies en modèles de comportement E. evaluer le rendu
(perception, procession de linformation et mémoire)”
De façon analogique, ces critères correspondent à des propriétés des émotions,
caractérisées par des attributs comme la valence (critère A et E via des stimuli
extérieurs), la capacité dactivation (critère C et D, selon les feedback de
sous-systèmes) et la potence (correspondant au critère B). Plus loin en parlant
des émotions, Pollermann cite le neuropsychologist Douglas Watt pour qui lorsque
les paramètres de base dépassent les variations connues, létat est ressenti et
interprété comme émotionnel: “When internal physiological states are outside a
desirable range, both visceral sensations and action dispositions are
activated.”
Les auteurs se questionnent également sur le rôle des représentations mentales
concernant cette théorie.
Dans les années 1990, Varela, Thompson et Rosch écrivent “The Embodied Mind-
Cognitive Science and Human Experience” pour faire un état de lieu des
caractéristiques des sciences cognitives, plus précisément la façon dont le
cerveau, le corps et lenvironnement sont intégrés dans la cognition. Ils lient
lavènement de cette discipline à celle de la cybernétique, en lui associant
plusieurs découvertes qui ont influencé à leur tour dautre domaines parmi
lesquelles nous mentionnons: lutilisation de la logique mathématique pour
modéliser le système nerveux en neuroscience, linvention des machines et
algorithmes pour traiter de linformation et définir une intelligence
artificielle, des mises en pratique de la théorie des systèmes en ingénierie
par la théorie du contrôle en robotique, les premiers exemples de systèmes
auto-organisés, etc.
Concernant les prochaines étapes dans les sciences cognitives, les approches et
directions sont différentes selon le modèle théorique quelles réclament comme
point dorigine. Lors des dernières décennies, ces disciplines ont suscité
beaucoup de débats entre les prises de position fonctionnelles des
neurobiologistes qui ignorent le rôle du corps et les phénoménologues et
philosophes qui visent le vécu expérientiel. La théorie de 4E est vue par la
communauté scientifique comme la plus récente tentative de structurer ces
approches et renouveler les avancées théoriques du début de XXe siècle. Cest
également important de remarquer le fait que ces nouveaux paradigmes et concepts
ont également engendré lapparition des nouvelles disciplines comme la
philosophie de lesprit (de langlais : philosophy of mind) dont la question
centrale est la relation entre corps et esprit et leur ancrage dans
lenvironnement, ou la philosophie des sciences (de langlais : philosophy of
mind) qui étudie la nature même de lactivité scientifique et ses spécificités
et lépistémologie (du grec épistemos-”science” et logos “ discours”), dont
lobjet est lanalyse critique dune science en particulier, du point de vue de
son évolution, sa valeur, et sa portée scientifique et philosophique. Cest
également important de mentionner leur impact sur des disciplines connexes, tels
les études sur la conscience, dont les débats et arguments ont suivi de pret
ceux sur la cognition.
\section{Types de conscience}
Souvent nous disons quun organisme vivant est conscient lorsquil est éveillé.
Quelle sera alors le qualificatif pour les robots ou dautres types dorganismes
artificiels?
Nous partons de lhypothèse que pour les organismes vivants, chacun a son
propre ressenti concernant la conscience. Si pour lintelligence, des propriétés
tels : calcul mental, apprentissage et mémoire arrivent à mieux définir ses
propriétés, nous avons vu plus haut que pour la conscience ce qui est important
cest lexpérience subjective immédiate- le qualia. En parallèle avec
lintelligence, des processus comme la perception et la motricité sensorielle,
la capacité de prédire lenvironnement ou de témoigner des comportements
complexes, structurent notre imaginaire autour de cette notion. Étant donné
limprécision des concepts et la multiplicité des points de vue selon les
disciplines, il semble peu probable que nous nous mettions daccord sur une
seule définition de la conscience dans notre étude. Ce qui nous intéresse
cependant est de comprendre dans quelle mesure le dualisme corps-esprit et le
matérialisme trouvent un écho dans lexercice artistique que nous imaginons Cet
exercice prend appui sur plusieurs concepts propres à chaque vision (dualiste ou
moniste) dans une tentative de les homogénéiser.
Puisque les débats sur la conscience, comme ceux sur la cognition se heurtent
toujours à des questions de définition, nous allons tenter définir ce terme
selon différentes disciplines. La plus importante est la vision
neuroscientifique et neurobiologique du terme.
Pour cela nous nous appuyons sur la littérature (citer livre Firston et art Anil
Seth). Selon les critères que les chercheurs emploient, il existent différentes
propriétés de la conscience.
Un premier critère est celui du niveau de conscience, propre aux créatures
vivantes- ce niveau varie entre plusieurs étapes parmi lesquelles les états
végétatifs, les états de sommeil sans rêve et létat déveil conscient vif)/.
Le deuxième est de se concentrer sur le contenu de la conscience et ainsi avoir
une connaissance réflexive de son propre état mental. Si pour les créatures
vivantes, il existe des sortes de “stimuli autoréférentiels” (citer paper
vanhaudenhuyse) (comme le fait de suivre son reflet dans le miroir) pour
détecter son propre niveau de conscience, pour les machines ce phénomène na pas
encore pu être implémenté. Larticle (citer paper vanhaudenhuyse) propose un
schéma qui détaille la corrélation entre le niveau déveil et la conscience de
soi et de lenvironnement. Ainsi nous apprenons quil existe des variations
entre létat végetatif (propre aux patients réveillés dune coma sans état de
conscience détectée)caractérisé par des mouvements réflexes, et létat de
conscience minimale ou le patient est capable de comportements incohérents mais
reproductibles et soutenus, montrant de signes clairs de conscience de leur
environnement et deux mêmes. Plus loin les auteurs font la distinction entre la
conscience et la conscience de soi, en listant les propriétés de la conscience
de soi: “ la conscience quil existe dautres consciences que la nôtre; notre
capacité de répondre adéquatement à des stimuli de lenvironnement; notre
aptitude à reconnaître notre corps comme étant lenôtre; la métaconscience nous
permet de comprendre nos comportements et ceux des autres en terme de désirs
etcroyances; la connaissance que nous avons de nous-mêmes comme le narrateur de
notre propre vie” (paper vanhaudenhuyse p.529)
Cependant lorsque identifiés grâce à la neuro-imagerie fonctionnelle, les
processus autoréférentiels semblent présents seulement lors des états déveil
actif. Dans la même mesure, lors des états de conscience altérés dont
lévolution nest pas linéaire, le rapport à lenvironnement est déterminant.
Nous nous demandons alors quelle analogie appliquer sur notre étude de cas ?
Il existe ensuite un autre type de classification selon la nature
phénoménologique de la conscience et son accessibilité, suivant les recherches
du philosophe Ned Block qui différencie la conscience phénoménologique (comment
une certaine expérience est perçue par le sujet) de celle définie comme
conscience daccès (disponible pour des processus cognitifs comme le langage).
Block décrit les deux de la façon suivante: "Phenomenal consciousness is
experience; the phenomenally conscious aspect of a state is what it is like to
be in that state. The mark of access-consciousness, by contrast, is availability
for use in reasoning and rationally guiding speech and action." (citer Block)
Ainsi la conscience phénoménale résulte dexpériences sensorielles et de notre
perception mélangeant de sensations comme louïe ou lodorat, des sensations
type douleur ou perceptions type proprioception, ainsi que des émotions tel la
peur, parmi autres. A lopposée, la conscience daccès est disponible pour une
utilisation dans le raisonnement et pour le contrôle conscient direct de
laction et de la parole. Pour Block, la « rapportabilité » de la conscience
daccès est dune grande importance pratique. Selon lui, la conscience daccès
doit être « représentative » car seul le contenu représentatif peut figurer dans
le raisonnement. Des exemples de conscience daccès sont les pensées, les
croyances et les désirs.
Une conséquence directe de cette classification de Block qui divise la
conscience en deux types, est le fait de considérer lesprit comme résultant de
processus fondamentalement logiques et ainsi modélisable dun point de vue
algorithmique. Cette vision computationnelle de lesprit implique également que
la conscience peut être modélisée par un programme informatique. Pour détailler,
sa tentative de décrire une certaine conscience comme une conscience phénoménale
ne peut pas réussir à identifier une catégorie distincte détats conscients.
Comme mentionné ci-dessus, Block estime que la conscience phénoménale et la
conscience daccès interagissent normalement, mais il est possible davoir une
conscience daccès sans conscience phénoménale. En particulier, Block croit
comme Dennet que les zombies (entendu ici comme des androïdes) sont possibles et
quun robot qui est de point de vue informatique identique à une personne,
pourrait exister tout en nayant aucune conscience phénoménale. Cependant à la
différence de Dannet, Block affirme quil existe des expériences conscientes
difficilement traduisibles par des algorithmes. Pour lui, lexistence de ces
expériences relève « du problème difficile » de la conscience.
Parmi les théories des sciences cognitives qui identifient les états
psychologiques à des processus neurophysiologiques, la théorie de lidentité
esprit-cerveau est apparue dans les années 1960. Pour les partisans de cette
hypothèse, les états mentaux et les états du cerveau sont numériquement
identiques. Lidée que les pensées et notre esprit résident exclusivement dans
des processus neurophysiologiques étant une perspective naturaliste, les
neurosciences nous permettent de comprendre en quoi certaines structures et
certains processus neurophysiologiques du cerveau sont prédictibles par des
machines. Cependant, les phénomènes mentaux sont multiples et chaque individu
les traduit différemment dans sa personnalité. Nos perceptions, sensations,
désirs, et croyances sont influencés par notre contexte socio-culturel. Pour les
anticiper par des prédictions, les scientifiques doivent faire appel à d autres
méthodes et théories. Un courant dérivé de cette théorie de lidentité
esprit-cerveau est linstrumentalisme, mis en place par le philosophe et penseur
Daniel Dannett. Cette théorie considère les modèles scientifiques comme des
instruments, nous permettant danalyser et modéliser les phénomènes pour ensuite
les devancer par des prédictions. Ses positions concernant le libre arbitre et
la conscience ont suscité beaucoup de controverses. Ainsi dans son livre
“Consciousness Explained” (1991) il explique comment la conscience est le
résultat des processus cognitives et physiologiques dans le cerveau. Son
analogie de la conscience vue comme un article académique coécrit par une
poignée de scientifiques explique comment plusieurs processus mentaux peuvent
exister simultanément dans le cerveau, sans forcément se connaître l un
lautre. Ce principe correspond à un état où plusieurs brouillons coexistent
simultanément et indépendamment de chaque contribution- attestant lexistence
du papier principal. En extrapolant ces principes au terme de conscience, il nie
cependant lexistence de qualia, vu comme expérience subjective directe et
personnelle. Des philosophes tels John Searle ont suggéré quil y a quelque
chose de fondamental dans lexpérience subjective qui ne peut pas être capturé
par les programmes informatiques conventionnels. Dans une de leurs
correspondances, Searle réponds à ses arguments de la façon suivante:
“To make explicit the differences between conscious events and, for example,
mountains and molecules, I said consciousness has a first-person or subjective
ontology. By that I mean that conscious states only exist when experienced by a
subject and they exist only from the first-person point of view of that subject.
Such events are the data which a theory of consciousness is supposed to explain.
In my account of consciousness I start with the data; Dennett denies the
existence of the data. To put it as clearly as I can: in his book, Consciousness
Explained, Dennett denies the existence of consciousness. He continues to use
the word, but he means something different by it. For him, it refers only to
third-person phenomena, not to the first-person conscious feelings and
experiences we all have. For Dennett there is no difference between us humans
and complex zombies who lack any inner feelings, because we are all just complex
zombies.”
Un des arguments le plus fameux que Searle avance dans leur débat est celui
appelé the Chinese Room Argument, où une personne enfermée dans une chambre
communique avec lextérieur en chinois, sans comprendre les symboles chinois. Ce
fonctionnement est similaire aux algorithmes de traduction qui exécutent des
équivalences entre des mots, sans saisir leur sens.
\subsection{The hard problem of consciousnes}
Dans son article, “Facing Up to the Problem of Consciousness” le philosophe
David J. Chalmers affirme quil ny a pas quun seul problème lorsque nous
essayons de définir la conscience. Pour lui il sagit dun terme ambigu en
référence à des phénomènes différents, et propose de diviser les objectifs en
deux catégories- le problème facile de la conscience et le problème difficile de
la conscience. Le problème facile de la conscience continent les hypothèses qui
pourront trouver leurs solutions dans lavenir immédiat- notamment les processus
neurophysiologiques dans le cerveau et lintelligence sensorielle du corps qui
donnent accès à des explications des capacités et des fonctions cognitives.
Chalmers illustre les phénomènes qui correspondent à cet état. Pour lui un état
mental est conscient lorsquil est décrit par des mots, ou lorsquil est
accessible comme ressenti interne. Un système est conscient de certaines
informations lorsquil traite et intègre cette information, puis modifie son
comportement en conséquence. De la même façon, une action est consciente quand
elle est délibérée. Alors que le problème difficile de la conscience atteste de
lincapacité de modéliser certaines expériences subjectives et leur vécu. Pour
citer Chalmers: “Is undeniable that some organisms are subjects of experience.
But the question of how it is that these systems are subjects of experience is
perplexing. Why is it that when our cognitive systems engage in visual and
auditory information-processing, we have visual or auditory experience: the
quality of deep blue, the sensation of middle C? How can we explain why there is
something it is like to entertain a mental image, or to experience an emotion?
It is widely agreed that experience arises from a physical basis, but we have no
good explanation of why and how it arises. Why should physical processing give
rise to a rich inner life at all? It seems objectively unreasonable that it
should, and yet it does.”(Chalmers p.3) Son argumentation va plus loin, en
donnant lexemple de la perception visuelle. Il décrit comment les formes
dondes électromagnétiques empiétant sur la rétine, sont discriminées et
catégorisées par un système visuel pour que cette catégorisation est vécue comme
la sensation de vif rouge. Ensuite, il montre comment lexpérience consciente
qui survient lorsque ces fonctions sont exécutées, est difficile à expliquer et
vérifier - correspondant à ce que la communauté philosophique a défini comme une
sorte de “lacune explicative entre les fonctions et lexpérience”. Il propose
que les théories sur la conscience traitent lexpérience comme partie
intégrante: “I suggest that a theory of consciousness should take experience as
fundamental. We know that a theory of consciousness requires the addition of
something fundamental to our ontology, as everything in physical theory is
compatible with the absence of consciousness. We might add some entirely new
nonphysical feature, from which experience can be derived, but it is hard to see
what such a feature would be like. More likely, we will take experience itself
as a fundamental feature of the world, alongside mass, charge, and
space-time.”(Chalmers p.14) En anglais le terme de conscience permet une
déclinaison en deux instances, celle de conscience comme vécu expérientiel et
celui dawareness ou forme de réceptivité caractérisé par le principe de la
cohérence: “Various specific hypotheses have been put forward. For example,
Crick and Koch (1990) suggest that 40-Hz oscillations may be the neural
correlate of consciousness, whereas Libet (1993) suggests that
temporally-extended neural activity is central.If we accept the principle of
coherence, the most direct physical correlate of consciousness is awareness: the
process whereby information is made directly available for global control. The
different specific hypotheses can be interpreted as empirical suggestions about
how awareness might be achieved. For example, Crick and Koch suggest that 40-Hz
oscillations are the gateway by which information is integrated into working
memory and thereby made available to later processes. Similarly, it is natural
to suppose that Libets temporally extended activity is relevant precisely
because only that sort of activity achieves global availability.” Pareil au
Chalmers, Block croit que nous pouvons avoir des expériences conscientes qui ne
sont pas traduisibles par des algorithmes de calcul. Un exemple de conscience
phénoménale discuté par Block est un bruit fort que nous ne remarquons pas
consciemment parce que nous faisons attention à autre chose. Dans sa
classification, le fait dentendre le bruit (puisque nous ne pouvons pas couvrir
notre oreille comme la paupière) relève de la conscience phénoménale alors que
le fait de ne pas sen rendre compte relève de la conscience daccès. Cela
suggère que ce type de conscience phénoménale décrite par Block, est basée sur
une activité cérébrale classifiée comme inconsciente donc difficilement
modélisable par des algorithmes de calcul.
Le rôle de lintrospection Lintrospection peut nous permettre dêtre conscients
des processus mentaux qui semblent avoir une séquence linéaire comme la
production de la parole ou des lignes de raisonnement. Elle agit également lors
des actes artistiques. Pendant la phase de création, un artiste sonde son
imaginaire pour clarifier ses intuitions. Lorsque nous faisons référence à
lexemple de Block, cest intéressant de mentionner un possible scénario où la
personne aurait prêté attention au bruit auparavant ignoré, comme un type
dexpérience subjective, à la limite de la conscience daccès, pour ensuite
déterminer à partir de quand le bruit est devenu conscient. Cette introspection
liée à un stimulus extérieur, trouve son équivalent dans lacte dintrospection
de lartiste qui veut mieux comprendre sa démarche. La distinction de Block
entre conscience phénoménale et conscience daccès a des implications
importantes pour les neuroscientifiques et les informaticiens qui cherchent à
modéliser une conscience artificielle dans des dispositifs tels les robots. Mais
une fois cette intention exprimée, comment pouvons-nous savoir si lalgorithme
a produit une conscience semblable à celle de lhomme? Dans la même mesure,
produire ces expériences subjectives de la conscience phénoménale dans des
robots implique des considérations éthiques. Heureusement le moyen pour doter
rationnellement les machines de nos expériences personnelles, parfois
irrationnelles, nest pas encore à notre portée. Selon les avancées des sciences
cela pourra se faire par des mécanismes non informatiques. Même si la communauté
scientifique est divisée et de nombreux neuro-biologistes et informaticiens
estiment que les philosophes sont trop pessimistes quant aux capacités des
algorithmes à modéliser la conscience humaine, il est important de comprendre
nos motivations et intentions face à cela. Peu importe ce que nous identifions
comme processus physiques qui génèrent la conscience, tant que nous ne pouvons
pas comprendre comment ils se manifestent dans chaque individualité nous ne
comprendrons pas leur impacte une fois réalisée. Mais une fois cela fait, il
reste toujours un problème de vérification car en construisant des machines qui
fonctionnent comme nous, nous navons aucun moyen de savoir si le rendu
biologique suffit pour une expérience intérieure interne. En dautre termes,
comment pouvons-nous savoir si un robot a une conscience phénoménale alors que
notre moyen actuel pour déterminer cela dans les humains passe par le vécu
expérientiel?
Dautres philosophes tels Thomas Nagel affirment quil est impossible de
déterminer les points communs entre une expérience directe, évoquée à la
première personne et les descriptions à la troisième personne des expériences
passées qui forment à leur tour des modèles. Dans son article "What Is It Like
to Be a Bat?" (1974) traduit en français par “ Quest-ce que cela veut dire
dêtre un chauve-souri?”, le philosophe décrit la conscience comme un phénomène
partagé par beaucoup des organismes vivants (notamment les mammifères dont le
chauve-souris), dans le même temps faisant une distinction entre conscience et
perception sensorielle. Pour lui, ce que tous les organismes partagent, cest ce
quil appelle le « caractère subjectif de lexpérience ». Cette nature
subjective bloque toute tentative dexpliquer la conscience par des moyens
objectifs comme les neurosciences ou la robotique. Lauteur a choisi la
métaphore des chauves-souris en raison de leur appareil sensoriel originel. En
effet, les chauves-souris utilisent lécholocalisation pour naviguer et
percevoir des objets, cette méthode de perception étant similaire à la vision
des humains. Lauteur affirme que les humains dotés de sens similaires ne
peuvent pas cependant expérimenter létat desprit dune chauve-souris, puisque
leur cerveau ne sest pas développé comme celui dune chauve-souris dès sa
naissance. En échange des comportements de type voler, naviguer en sonar ou se
suspendre à lenvers comme une chauve-souris, faciliteront des expériences
similaires à ce quune chauve-souris peut vivre. Cette hypothèse est évoqué avec
des autres mots par Penny qui mentionne lorigine du concept de spécificité des
capacités sensorielles, dans son chapitre “The biology of cognition”. Ainsi
Penny mentionne le travail du biologiste Jacob Von Uexkull, au début du XXe
siècle : “Von Uexkull argued that the experiential world of a creature is
specific to that species, given to it by virtue of its particular suite of
sensorimotor capabilities. He called this the creatures umwelt, which we might
translate as life-world or experience-world. Put simply, in sensory experience,
there is no objective world "out there." By this logic, mind and world are
simultaneously cocreated. (...)Different species do not share umwelts, even if
they happen to be physi­cally colocated. Umwelts may intersect, like Venn
diagrams, in which case different species can identify similar things. Creatures
may cohabit the same "place" and be unaware of each other because their umwelts
do not inter­sect, due to differences of scale, sensory capability, and so on.
Some animals construct their umwelts via senses others do not have—such as the
infra­red sensing of some snakes, the echolocation of bats, the electro-sensing
of platypus and some weakly electric fish, and the magneto-sensing of the
hammerhead shark.” (penny making sense p. 17
Ainsi selon les capacités sensorielles de chacun, il est possible davoir une
conscience phénoménale et daccéder à la conscience daccès indépendamment, bien
quen général, les deux interagissent.
Le papier (citer friston p. 195) liste également les propriétés de la
conscience: avoir un contenu phénoménal spécifique, être en contact direct avec
la réalité et pas ses représentations, être instantanée. La conscience dévient
alors un aspect direct et privé de la vie mentale de chacun, puisque cela nous
est impossible de faire lexpérience dune autre conscience que la nôtre. Nous
pouvons faire cependant lexpérience dune subjectivité, en écoutant le ressenti
dune autre personne.
Dans son article, “Consciousness: The last 50 years.” le neuroscientifique Anil
K. Seth souligne le caractère interdisciplinaire des études sur la conscience et
la volonté de tisser des ponts entre les expériences phénoménologiques et le
fonctionnement neuronal. Pour lui, lexpérience phénoménologique ne peut pas
exister sans lancrage du corps dans son environnement - en anglais “ an
environment embedded embodiment processes”. Seth trace lhistoire des études sur
la conscience , en tant que phénomène neurologique identifiant une première
étape entre 1960 et 1990. Ainsi, après un intérêt particulier pour des études
comportementales, les scientifiques mettent les bases dune nouvelle science
cognitive. Cette science atteste lexistence dun état mental interne qui fait
la médiation entre réponse et stimulation et qui fait beaucoup de polémique à
son époque. Seth cite entre autres le psychologue Stuart Sutherland qui
affirmait en 1989 : “Consciousness is a fascinating but elusive phenomenon. It
is impossible to specify what it is, what it does, or why it evolved. Nothing
worth reading has been written on it. “ Tandis que des autres chercheurs quil
cite, se heurtent aux limites de leurs recherches respectives quant à lunité de
la conscience. Il note la contribution de Michael Gazzaniga sur le fait que
possiblement la conscience se manifeste à travers plusieurs processus selon les
hémisphères cérébraux (alternant des processus cognitifs entre lhémisphère
droit et gauche). Aussi celle de Benjamin Libert qui fait des expériences en
lien avec le libre arbitre et les mouvements volontaires.
La deuxième étape dans lévolution des études sur la conscience commence dans
les années 1990 jusquau moment présent. Cette période est marqué par les études
de Christoph Koch dont le papier “Towards a neurobiological theory of
consciousness” inspirent la voie de ce quaujourdhui sappelle “the hard
problem of consciousness” ou la simulation neurobiologique de la conscience
comme processus purement physiologique. Seth mentionne également Karl Friston
dont le principe dénergie libre (Free Energy Principle- FEP) renforce
lhypothèse que la perception est influencée par laction, au niveau neuronal.
Devenu entre-temps principe normatif qui décrit les systèmes adaptatifs capables
dauto-organisation, le FEP est sujet à des nombreux débats dans la communauté
scientifique, notamment en lien avec le concept de représentation ou
modification interne propre aux organismes vivants (cite pezzulo et sims) .
\subsection{Relation conscience-action}
Dans le chapitre “Whats the use of consciousness” du livre The Pragmatic Turn
Toward Action-Oriented Views in Cognitive Science, résultat dune semaine de
débats entre neurologues, psychologues et philosophes, Anil Seth décrit une
nouvelle approche dans les sciences cognitives qui vise le rôle de laction dans
les processus cognitives et implicitement la conscience. A lopposé des
représentations internes suite au calcul mental, laction favorise une vision
énactée (enacted), ancrée (embedded) et incorporée (embodied) de systèmes
cognitifs. Pour Seth, cela marque une tournure pragmatique dans lévolution de
ces sciences et leur vécu expérientiel associé. Avec ses collègues, ils
établissent quatre approche théoriques clé, pour mieux définir leur cadre: 1/ le
cerveau Baesyian (Baesyian brain) - cette approche définit la perception comme
un processus dinférence des signaux sensorielles; elle définit aussi le rôle
des erreurs comme moyen daffiner cette inférence 2/ la contingence
sensori-motrice (sensorimotor contingency- SMC)- pour cette approche, la
perception est une capacité dengagement dans lenvironnement qui saméliore
avec le temps 3/ le système de control adaptatif-distributif(distributed
adaptive control- DAC)- envisage le cerveau comme outil incorporé en relation
avec lenvironnement 4/ lautonomie énactée est un principe qui stipule
limportance de lautonomie et de lauto-organisation pour la cognition, en lien
avec le travail du neurologue Francesco Varela.
Une de leurs questions principales est “Comment laction structure la conscience
et quest ce que détermine la cognition de laction?”(cite page 262)
Schema of theoretical frameworks qui ont servi comme discussions pour la
relation action-conscience. P 266 Frist
\subsection{La boucle perception-action-cognition}
Toujours dans le même chapitre, les chercheurs Chris D. Frith et Thomas
Metzinger partent de lidée que la conscience en tant quexpérience subjective,
influence certains comportements. Ainsi ils abordent la question de la
conscience du point de vue de la théorie de lévolution, en précisant que sa
présence, détectée chez certains animaux et humains, implique un “certain
avantage évolutif”. Ils identifient la relation perception-action-cognition
comme cadre dexploration pour les expériences subjectives: “conscious
experience could then be a single, generative model of reality including a mode
of the self as currently acting, perceiving, and thinking.” (friston, p.194)
Dans le monde des machines, les résultats les plus concluants pour illustrer des
processus mentaux sont dans le domaine de lintelligence artificielle. Avant de
comprendre ce quest la conscience artificielle, nous nous appuyons sur les
résultats et les problématiques propres à ce domaine.
\subsection{Homéostasie physiologique, IA et autopoièse}
Le philosophe et psychologue Zoltan Torey, décrit dans son livre “The crucible
of consciousness” la difficulté des scientifiques dargumenter lexistence de
la conscience, au-delà du formalisme mathématico-logique. Pour lui le formalisme
est seulement une spécification des opérations et transactions neuronales dans
le cerveau. Ces opérations deviennent des instances de protocoles pour des
machines. Mais, comme le remarque Roger Penrose, que Torey cite: “Algorithms
themselves never ascertain truths. It would be as easy to make an algorithm
produce nothing but falsehood as it would be to make it produce truths. One
needs external insights to decide the validity or otherwise of an algorithm.”
Ces “discriminants externes” sont pour Torey, la preuve même que les systèmes
gouvernés par ce formalisme sont incomplets. De plus, il extrapole sa
démonstration à tout système formel- mathématique, logique ou philosophie
analytique, en précisant que le cerveau qui a généré ces formalismes par des
opérations mentales ne peut pas être modélisé par un ordinateur- puisque que cet
ordinateur ne génère pas des autres systemes à son tour.
Cela rejoint, au moins en partie, la visions de Michel Bitbol pour qui
lexpérience phénoménologique de la conscience ne peut pas être vérifié par des
critères:
“ nous navons rigoureusement aucun critère nous permettant de savoir, ni même
de deviner, quun artéfact fabriqué par nous est ou nest pas doté de conscience
phénoménale. Il est vrai que nous pourrions tomber dessus par hasard, et mettre
en place les conditions dune conscience phénoménale sans le faire exprès; mais
dans ce cas, nul signe, pas le plus petit indice, ne nous permettrait de savoir
que nous avons réussi (ou de savoir le contraire). Cest ce que signale à juste
titre le neurobiologiste Jesse Prinz : « À quel degré de proximité avec le
cerveau humain un ordinateur doit-il parvenir, avant que nous puissions dire
quil est probablement conscient ? Il ny a aucune manière de répondre à cette
question. »” La conscience artificielle : Une critique pensée et vécue. Michel
Bitbol Archives Husserl, France Chroniques Phénoménologiques, 2018
Pour aller plus loin, des chercheurs (citer art multitudes) sintérrogent sur la
façon dont notre société sest emparé du phénomène de lintelligence
artificielle, notamment sa branche connexionniste avec ses prédictions calculées
et des ouvriers à la tâche qui nourrissent des algorithmes de machine learning.
Puisque cela se répercute dans toutes les domaines de nos vies, ils prônent une
culture critique de lIA, et les biais statistiques que cela engendre, en
prenant conscience du fait que “nous sommes les sens et la conscience des
machines”. Ainsi la perspective dune “weak AI” (où les programmes simulent et
modélisent la pensée humaine), prédomine celle de “strong AI”(où les programmes
“pensent” par elles-mêmes).
De la même manière, le neurologue Stanislas Dehaene considère que les processus
inconscients, sont la preuve que la conscience ne peut-pas être modélisée: “We
cannot be conscious of what we are not conscious of”. This truism has deep
consequences. Because we are blind to our unconscious processes, we tend to
underestimate their role in our mental life. However, cognitive neuroscientists
developed various means of presenting images or sounds without inducing any
conscious experience and then used behavioral and brain imaging to probe their
processing depth(...) Subliminal digits, words, faces, or objects can be
invariantly recognized and influence motor, semantic, and decision levels of
processing. Neuroimaging methods reveal that the vast majority of brain areas
can be activated nonconsciously.” What is consciousness, and could machines have
it? Stanislas Dehaene, Lau H, Kouider S, revue Science, 2017
Pour mieux illustrer le concept dintelligence artificielle, nous faisons
référence aux raisonnements de la philosophe Catherine Malabou. Pour elle, il
sagit dune relation de coopération entre humain et machine:
“Jai refusé dès le début de me placer dans loptique dune compétition entre
homme et machine. Cest la façon de voir la plus courante, je la laisse à
dautres et préfère tenter douvrir une autre voie. En effet, choisir la
compétition, cest perdre à tous les coups. Car la mise en concurrence
homme/machine est un faux problème. Pour de multiples raisons. Jen évoquerai
une seule ici. Croire quil existe une réalité humaine intacte de toute
aliénation technologique est une illusion qui seffondre facilement dès que lon
prend en compte le fait que le cerveau humain parlons de lui puisque cest
bien de lui quil sagit sest développé épigénétiquement dans son interaction
avec les artefacts. Leroi-Gourhan lexplique magnifiquement. Du silex à la
cybernétique, le mécanisme de linteraction est le même. Notre cerveau ne peut
fonctionner quà se mettre au dehors, à prolonger son système par des prothèses
(cf. « lexorganologie » de Bernard Stiegler), au point quil est impossible de
faire la part, dans lévolution cérébrale des hommes depuis la préhistoire,
entre nature et technique. Un cerveau qui ne serait pas prolongé par des
artifices serait un cerveau mort.”
Malabou souligne la distinction entre le concept philosophique dintellect et
celui dintelligence, dont lapparition est plutôt liée au Bergson et au
développement de la psychologie expérimentale en fin de XIXe siècle. Elle
défend un point de vue matérialiste selon lequel: “lesprit, lentendement,
disons toutes les fonctions intellectuelles, comme on voudra les appeler, sont
étroitement dépendantes des bases matérielles et organiques sur lesquelles elles
reposent. Ayant beaucoup travaillé sur le cerveau, je suis convaincue quil
nexiste pas de lieu séparé qui abriterait les opérations mentales et
cognitives, elles dérivent toutes de processus neuronaux. Il est donc impossible
de ne pas associer intelligence et cerveau.” Cependant, réduire lintelligence
humaine a du calcul mathématique et des termes quantitatifs, na pas de sens
pour elle, sauf si ce calcul invente les concepts sur lesquels il résonne. Plus
spécifiquement, elle propose comme définition minima de lintelligence
“linvention de son objet”.
Dans un entretien avec Catherine Malabou, le cinéaste Ariel Kyrou cite le livre
“Cerveau augmenté, homme diminué” du philosophe Miguel Benasayag pour qui « la
pensée nest pas déposée dans les réseaux de neurones comme un software figé
installé dans le hardware. Elle est distribuée dans le corps et dans le milieu,
dans léchange entre lun et lautre, ainsi que dans lhistoire sinscrivant
ainsi dans une évolution complexe qui na aucun rapport avec celle des versions
successives de logiciels enrichis de nouvelles lignes de code informatique (2.0,
2.1, 2.12, etc.). » Pour Kyrou laboutissement de tout cela sera une IA qui
arrive par elle-même à définir son sujet de recherche. Puis il évoque ce quil
identifie comme différences entre sa pensée et celle de Malabou, notamment du
point de vue des conséquences que les avancées de la recherche en IA
apporteront. Il évoque également ce quils partagent comme opinions autour de
trois axes: “la façon dont les « techniques », du silex à lécriture et
dorénavant au monde numérique, contribuent à fabriquer et à faire évoluer notre
cerveau, comme lont montré larchéologue et ethnologue André Leroi-Gourhan et
sur un registre philosophique selon moi déterminant Bernard Stiegler ; la
nécessité déviter tout réductionnisme, doù quil vienne, quil se veuille
scientifique, psychologique ou philosophique ; et enfin limportance cruciale de
laisser grandes ouvertes les portes du futur, cest-à-dire de ne jamais réduire
lavenir à une voie unique, qui serait connue davance des « sachant » de toutes
obédiences.”(citer Kyrou) La perspective théorique que dans un futur plus ou
moins lointain, un autre type dintelligence- plurielle, imprévisible et
complémentaire à lintelligence humaine- verra le jour. Ainsi lintelligence
artificielle connexionniste transpose le modèle des réseaux de neurones et leur
façon de traiter linformation basée sur des calculs à des machines, tandis que
lintelligence artificielle symbolique traite cette information par la
manipulation de symboles en explorant des données massives sur le comportement
humain.
Hémisphère droite comme symbole de la créativité Hémisphère gauche comme symbole
de la pensée analytique
\section{Embodiment. Body schema vs. Body image}
Le début des années 1990 est marqué par la publication de plusieurs ouvrages
comme celles de Brooks, Dreyfus et Varela, Thompson \& Rosch. Plusieurs de ces
ouvrages mentionnent le terme de cognition incarnée- Embodied Cognition qui
englobe des notions en sciences cognitives, informatique et phénoménologie mais
aussi linguistique et mysticisme oriental parmi autres. TRente ans plus tard,
lartiste et chercheur Simon Penny va plus loin dans lappréhension du phénomène
de la conscience en le liant à celui de la cognition:
“Cognition is held not to occur (exclusively) in the head or necessarily in some
immaterial space of logical manipulation of symbolic tokens. These approaches
propose, in different ways, that cognition is embodied; integrated with
non-neural bodily tissues; or extends into artifacts, the designed
environment,social systems, and cultural networks (...) We cannot meaningfully
speak of intelligence as occurring exclusively inside the skull, connecting to
the body and the world via mechanistic sensors and effectors. On the contrary,
cognition is biologically material and embodied, and discussing it outside such
contexts is of dubious value. Furthermore, cognition is dynamic; it occurs as a
temporally ongoing relational engagement with architectures, artifacts, tools,
language, human (and interspecies) relationships, and social systems. (...) The
computer is a machine for manipulating symbols. The world is not symbols; we
turn the world into symbols for the computer. Humans are the analog to digital
interface between the world and the internet. The world remains outside the
computer and outside the symbolic, but under the hegemony of the digital, the
conflation of the products of computing with the world, bizarrely, goes
unremarked.” Simon Penny in Making Sense: Cognition, Computing, Art, and
Embodiment (2019)
\subsection{How the body shapes the mind}
Dans son livre, Gallagher présente le rôle du schéma corporel dans une gamme de
fonctions cognitives perceptives, parmi lesquelles la différenciation de soi et
des autres. “In the beginning, that is, at the time of our birth, our human
capacities for perception and behavior have already been shaped by our movement.
Prenatal bodily movement has already been organized along the lines of our own
human shape, in proprioceptive and cross-modal registrations, in ways that
provide a capacity for experiencing a basic distinction between our own embodied
existence and everything else. As a result, when we first open our eyes, not
only can we see but also our vision, imperfect as it is, is already attuned to
those shapes that resemble our own shape. More precisely and quite literally, we
can see our own possibilities in the faces of others. The infant, minutes after
birth, is capable of imitating the gesture that it sees on the face of another
person. It is thus capable of a certain kind of movement that foreshadows
intentional action, and that propels it into a human world. “ (p.1)
Dans son livre “How the body shapes the mind”, le philosophe Shaun Gallagher
avance lidée que la compréhension scientifique et phénoménologique du corps
est essentielle pour comprendre des phénomènes tels que la conscience ou la
cognition. Son approche vise à développer un vocabulaire commun inspiré par
“les processus cérébraux en neurosciences, les expressions comportementales en
psychologie, les préoccupations de conception en intelligence artificielle et en
robotique, et les débats sur lexpérience incarnée dans la phénoménologie et la
philosophie de lesprit”. Entre outre, son livre traite des phénomènes tels
lapprentissage de nouveau-nés par limitation, la conscience de soi, le libre
arbitre, la cognition sociale et lintersubjectivité, la perception intermodale
pour en citer quelques-unes des thématiques abordées. Gallagher aborde ces
sujets au travers des concepts comme limage corporelle et le schéma corporel,
la proprioception et la théorie de lenactivisme. Une de ses hypothèses est la
théorie de lancrage physique ou the physical grounding hypothesis (PGH) en
anglais. Cette théorie stipule que le contenu et le fonctionnement de lesprit
sont fondés sur les propriétés physiques et lexpérience incarnée de lagent.
Loin de promouvoir linfluence du physique sur le mental, Gallagher souligne la
complexité des facteurs impliquées dans toute explication adéquate de la
cognition.
Plus loin, le chercheur décrit le concept de schéma corporel et sa différence
par rapport à limage corporelle. Ainsi dans son acceptation le schéma corporel
est un système de capacités sensori-motrices, englobant tous les aspects
non-conscients du contrôle moteur, y compris les processus sous-corticaux,
pré-moteurs et moteurs dans le cerveau. Il mentionne également les systèmes
dinformation nécessaires au bon fonctionnement de ces processus. Il distingue
le concept de schéma corporel de celui dimage corporelle vu comme résultat
des expériences perceptives du corps. Gallagher distingue les différences entre
les deux termes au niveau conceptuel, mais aussi au niveau empirique donnant
lexemple dun patient qui dans un état de négligence ne se préoccupe de son
image de soi pour se laver ou shabiller. Cependant ses capacités motrices
telles que la marche ou les tâches bimanuelles telles restent intactes et il les
exerce. Cela montre que même si limage corporelle est altérée ou endommagée, le
schéma corporel reste intact.
De même, les sujets qui ont perdu un membre ont la capacité de le ressentir
(citer the limb phanom theory). Plus loin, Gallagher illustre le cas des
malformations congénitales, où le membre fantôme est signalé quelques années
après la naissance, dhabitude après une intervention chirurgicale, un accident
ou un autre événement corporel important. Ainsi la probabilité quun schéma
corporel ou une image corporelles soient innés, est très réduite. Dans les cas
de membres fantômes, des informations contradictoires entre la proprioception
(qui pourrait indiquer la présence dun membre) et la vision (qui linfirme) se
basent sur la vision.
\subsection{Théories sur lenaction}
Les paradigmes sur lénaction (enactive theory) ont émergé avec la publication
du livre The Embodied Mind que nous avons déjà mentionné plus haut. Cette
théorie stipule que les expériences perceptives ne sont pas des événements
internes dans notre tête, mais plutôt des actions que nous produisons à travers
notre exploration sensorimotrice de l environnement. Dernièrement les sciences
cognitives se sont orientées vers lautonomie biologique et la subjectivité
comme concepts clés de la cognition incarnée (cite Ziemke AI).
\subsection{Anthropomorphism. Animacy and animacy}
Pourquoi lintelligence a besoin dun corps ?
Dans leur livre “How the body shapes the way we think, Rolf Pfeifer et Josh
Bongard soulignent limportance de la morphologie du corps et ainsi de
lembodiment sur lintelligence dun système. Leur point de départ est le
fonctionnement humain quils extrapolent aux machines, avec lidée que pour être
intelligent, nous avons besoin dun corps physiques:
“One of the most elementary capacities of any creature is categorization: the
ability to make distinctions in the real world. If we cannot distinguish food
from nonfood, dangerous from safe objects and situations, our parents from other
people, or our home from the rest of the world, we are not going to survive for
very long. Likewise, robots incapable of making basic distinctions, e.g., a
household robot that cannot distinguish garbage from antiques, a vacuum cleaner
from a dishwasher, or pets from babies will not be very useful. We will attempt
to demonstrate that the formation of such categories is very directly determined
by our embodiment, i.e., our morphology and the material properties of our body.
Morphology includes the shape of the body, the kinds of limbs and where they are
attached, the kinds of sensors (eyes, ears, nose, skin for touch and
temperature, mouth for taste) and where on the body they are found. By material
properties we mean, for example, the deformability of the fingertips and of the
skin, or the elasticity of the muscle-tendon system. When interacting with the
real world, the body is stimulated in very particular ways, and this stimulation
provides, in a sense, the raw material for the brain to work with. As we will
see later, this raw material can be used to create categories—cups, apples,
pets, people—that describe the environment in a natural way.” (How the body,
p.2) Indépendamment des multiples perspectives et définitions impliquées dans le
concept d intelligence, ce que Pfeifer et Bongard considèrent intuitivement
comme intelligent est investi par deux caractéristiques: la capacité
dadaptation et la diversité. Plus concrètement, les agents intelligents se
conforment toujours aux exigences physiques et les règles sociales de leur
environnement, et exploiter ces règles pour produire différents comportements
selon le contexte:
“All animals, humans, and robots have to comply with the fact that there is
gravity and friction, and that locomotion requires energy: there is simply no
way out of it. But adapting to these constraints and exploiting them in
particular ways opens up the possibility of walking, running, drinking from a
cup, putting dishes on a table, playing soccer, or riding a bicycle. Diversity
means that the agent can perform many different types of behavior so that he—or
she or it—can react appropriately to a given situation. An agent that only
walks, or only plays chess, or only runs is intuitively considered less
intelligent than one that can also build toy cars out of a Lego kit, pour beer
into a glass, and give a lecture in front of a critical audience. Learning,
which is mentioned in many definitions of intelligence, is a powerful means for
increasing behavioral diversity over time.” (Rolf Pfeifer et Josh Bongard p.16)
\subsection{Le libre arbitre vs “the readiness potential”}
Pour aller plus loin et illustrer leur point de vue sur la dualité corps-esprit,
ils citent lexpérience du neurologue Benjamin Libet qui, avec ses collègues,
investigue les phénomènes qui opérant dans le cerveau au moment où une action
intentionnelle a lieu. Plus spécifiquement, lexpérience demande aux
participants de bouger leur doigt spontanément, quand ils veulent. En parallèle,
ils regardent une horloge avec un point de lumière tournant, afin dindiquer
lendroit où est le point sur lhorloge lorsquils prennent leur décision
consciente de vouloir exécuter un mouvement de doigt. Pendant ces
instructions, Liebt et son équipe analysent lactivité cérébrale avec des
capteurs délectroencéphalographie (EEG) et mesurent le mouvement réel des
doigts avec des capteurs électromyographiques (EMG). Leurs résultats prouvent
que le début de lactivité cérébrale commence plus dune demi-seconde avant le
mouvement réel des doigts et plus de 300 ms avant que les sujets ne prennent
conscience quils veulent bouger leur doigt. Ils définissent alors le facteur de
“readiness potential” (potentiel de préparation) - pour illustrer le fait que
la volonté consciente de bouger le doigt se produit un intervalle significatif
après le début de lactivité cérébrale pertinente. Cette expérience démontre que
le concept de libre arbitre est plus complexe à définir que ce que nous
entendons par “décisions consciente” et influe sur les débats actuels concernant
lintelligence artificielle. Si 40 ans après cette expérience, il nous est
toujours difficile de modéliser le facteur de “readiness potential” , rendre des
robots capables de prendre des décisions “conscientes” reste un défi. Cependant
cela nempêche pas la communauté scientifique dimaginer d autres pistes
dexploration et hypothèses de recherche.
Une de ces pistes réside dans limportance de linteraction avec
lenvironnement. Si un agent ou un système à un corps physique (is embedded), il
est soumis aux lois de la physique qui impliquent de shabituer à la gravité et
aux forces de friction, ainsi quà lapprovisionnement en énergie pour survivre.
Ainsi cela pose de nouveaux défis pour ce quil y a de capacité dadaptation et
des multiples négociations entre les calculs internes et des actions directes:
“the real importance of embodiment comes from the interaction between physical
processes and what we might want to call information processes. In biological
agents, this concerns the relation between physical actions and neural
processing—or, to put it somewhat casually, between the body and the brain. The
equivalent in a robot would be the relation between the robots actions and its
control program.” (Rolf Pfeifer et Josh Bongard p.18)
Pour illustrer cela, ils font une comparaison entre laction dattraper un verre
par un humain et par un robot. Si pour lhumain, le tissu de ses bout des doigts
sadapte à la forme du verre, le calcul de forces à appliquer se fait en
conséquence. Cependant pour une main de robot le tissu est rigide, il ny a pas
cette possibilité dadaptation et plus souvent le verre se casse car la force
appliquée nest pas la bonne. Ainsi ils argumentent lhypothèse que
lintelligence humaine est distribuée dans tout le corps, et pas que dans le
cerveau.
Concernant la capacité de robots dentreprendre des actions, traduit ici comme
détermination de langlais agency, Ziemke affirme:
“The idea behind this approach can be summarized by the slogan that perceiving
is a way of acting; or more precisely, “what we perceive is determined by what
we do (or what we know how to do)” . In other words, it is claimed that
perception is a skillful mode of exploration of the environment which draws on
an implicit understanding of sensorimotor regularities, that is, perception is
constituted by a kind of bodily know-how. In general, the sensorimotor account
emphasizes the importance of action in perception. The capacity for action is
not only needed in order to make use of sensorimotor skills, it is also a
necessary condition for the acquisition of such skills since “only through self
-movement can one test and so learn the relevant patterns of sensorimotor
dependence” . Accordingly, for perception to be constituted it is not sufficient
for a system to simply undergo an interaction with its environment, since the
exercise of a skill requires an intention and an agent (not necessarily a
homunculus) that does the intending. In other words, the dynamic sensorimotor
approach needs a notion of selfhood or agency which is the locus of intentional
action in the world.” (Ziemke IA p. 473)
Pour continuer cette idée, le chercheur se demande si les boucles
sensorimotrices disposent des moyens conceptuels pour distinguer les actions
intentionnelles dun agent autonome des mouvements accidentels .
\section{LEffet du mouvement et du toucher sur lacceptation des robots }
Quil sagisse dun objet mobile avec une source dénergie, programmé pour «
sentir » et « interagir » avec son environnement (cite A. Mayor, Gods and
robots: myths, machines) ou dun agent capable de percevoir son environnement
par des capteurs et agissant sur cet environnement par lintermédiaire
deffecteurs (selon la définition de Russell et Norvig dans leur sur papier
lintelligence artificielle citée par Pfeifer et Bongard), les robots ont fait
immersion dans notre réalité depuis quelques décennies déjà. Indépendamment du
fait quils exécutent du travail utile pour les humains comme imaginé
initialement par lécrivain tcheque qui a donné leur nom (cite kopek), leur
place dans notre société est désormais acquise. Cependant, nous attendons de ces
robots quils fassent précisément ce que nous voulons quils fassent, avec
lespoir quun jour ils seront capables de nous surprendre en proposant des
idées ou des comportements inattendus par eux-mêmes.
\subsection{La robotique basée sur le comportement. Behavior-based robotics (BBR)}
La robotique basée sur le comportement sinspire des systèmes biologiques et
souvent du monde animal (comportement des insectes) pour construire des
dispositifs réactifs à lenvironnement. Un des caractéristiques les plus
importantes de cette discipline est ladaptabilité des systèmes qui en font
partie. Ainsi, les robots basés sur le comportement (BBR) sont moins dotés avec
de la puissance de calcul pour réaliser des des actions et leur comportement
émerge des interactions quils ont avec lenvironnement. Le type dintelligence
artificielle qui opère dans ces systèmes est inspiré par la branche faible de
lAI. Leur programmation contient un set de base de comportements spécifiques,
selon lenvironnement où ils opèrent et les problèmes quils doivent résoudre.
Quand un comportement nest pas adapté à un contexte particulier, ils
sappuient sur des erreurs pour améliorer leur modèle interne.
Le fondateur de cette discipline est Rodney Brooks, qui par ses expérimentations
au Massachusetts Institute of Technology, dans les années 1980, a mis les bases
de la robotique basée sur le comportement. Ses premiers robots, construits à
roues et à pattes, ont été construits suite à ses observations des
comportements anthropomorphiques - éviter un obstacle, sapprocher dune source
de lumière, chercher à économiser sa batterie lors de longs trajets etc.
Une des influences de Brooks est le travail de neurophysiologiste et pionnier de
la robotique W. Gray Walter. Fin des années 1940, Gray Walter a développé un
certain nombre de robots simples basés sur des comportements ressemblant à des
animaux. Ces prototypes de robots ont aidé Gray Walter à mieux comprendre le
fonctionnement du cerveau des animaux, par des modèles simples de leurs
opérations de base. Les plus connus sont Elmer et Elsie (abréviation de ELectro
MEchanical Robots, Light Sensitive), recouverts dune coque en plastique
transparent similaire aux tortues. Enfant, Brooks a lu son livre- The Living
Brain, pour ensuite construire ses propres prototypes.
Connu pour sa critique de lIA symbolique, Brooks voit la logique et le
raisonnement comme des processus mentaux propres aux humains. Au lieu de se
focaliser sur le traitement des symboles, les représentations internes et la
cognition, il propose de construire des modèles basés sur linteraction avec le
monde réel. Ces modèles ont inspiré les théories sur lincorporation
(embodiment) et l intelligence incarnée.
Schema distributed intelligence Brooks; À leur tour, ces théories ont donné
suite à des innovations dans le domaine de lintelligence artificielle au cours
des trois dernières décennies. Selon (cite Ziemke), lapproche de lintelligence
incarnée (embodied AI) sest imposée comme une méthodologie fiable pour
comprendre la cognition et ainsi résoudre les problèmes fondamentaux et
paradoxes de lIA traditionnelle tels The Chinese Room Argument mentionné plus
haut.
\subsection{Cognitive developmental robotics}
“Ce processus de reconnaissance de soi est de plus en plus étudié en robotique
pour mimer le développement des capacités motrices et dinteraction sociale chez
lenfant. Mais de telles corrélations statistiques entre ce qui est perçu par
les caméras du robot et ses ordres moteurs peuvent être calculées sans une
quelconque notion de conscience de soi. Ici, la mesure du degré dinformation
intégrée dans le programme informatique du robot apporterait une réponse
quantitative et précise sur le degré de conscience attendu en lien avec un tel
processus.” prof. Raja Chatila, ISIR et le test du miroir, 2016
Prof. Asada supervise également des études sur le développement de lempathie
artificielle et le rôle de la “contagion émotionnelle” dans la mimique motrice.
Il implémente des processus de cognition que les bébés développent dans leurs
premiers mois, à des robots artificiels. Lévolution corporelle et la croissance
des humains est pour lui un des concepts clé de la robotique cognitive.
“Cognitive Developmental Robotics aims at understanding human cognitive
developmental process by synthetic or constructive approaches. Its core ideas
are "physical embodiment" and "social interaction" that enable information
structuring through interactions with the environment, including other agents.”
prof. Minoru Asada, SISReCPost-cognitivisme
\subsection{Artificial emotions and sociable robots}
\subsection{Symmetry and synchrony }
Le
rôle du mouvement sur la conscience de soi Le chercheur Tom Ziemke, professeur
en cognitive system spécialiste dans la recherche de formes incarnées de
conscience ou embodied cognition parle de la relation entre lIA incarnée dans
des dispositifs physiques et la biologie synthétique. Selon lui, un programme
qui assure une relation entre le robot et son environnement via des capteurs et
actionneurs, représente une forme dIA incarnée. Son travail, inspiré par F.J.
Varela, lie lintelligence à létat d autopoiese comme façon dorganiser la
vie. Ziemke se demande si la conscience est essentiellement liée au domaine du
vivant, ou si tout système autonome auto-référentiel est capable dune forme de
conscience.
\clearpage
\section*{Conclusion}
Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. Sed eget erat tortor. Mauris iaculis congue nibh ac sollicitudin. Aliquam aliquam velit eu aliquet tincidunt. Vestibulum lacus ipsum, feugiat at feugiat id, auctor quis nisl. Maecenas ultricies sagittis convallis. Curabitur at velit ut odio condimentum fringilla. Ut consequat eget arcu vitae pharetra. Pellentesque quam quam, luctus at ipsum non, accumsan ultrices ipsum. Integer dictum, leo et ornare viverra, enim massa tristique est, aliquam porta odio arcu non lectus. Maecenas posuere, ante sed congue blandit, nisi quam aliquet enim, in vehicula eros metus vitae quam. Nam lacinia malesuada lorem, at mattis risus mattis interdum. Nullam ac sapien nec quam ultrices dictum vitae eu erat. Curabitur a leo a lorem mollis volutpat. Duis volutpat porta nulla in convallis. Mauris sed accumsan nisl, ac efficitur nisl.
\clearpage
\chapter{Robots sur scène}
3. Robots sur scène
3.1 Biomechanics 3.2 Faire danser les robots 3.3 Différents
formats et expériences
Létat dart de ce chapitre se concentre sur le lien entre le mouvement du corps
humain, lappréhension des enjeux que cela engendre pour la robotique puis
lincorporation ou lembodiment (citer) acquis à travers la danse, dans le
contexte des spectacles avec des robots [38][41]. Dans son livre "La robotique
: une récidive dHéphaïstos !” [42] Jean-Paul Laumond décrit la controverse
entre la science- dont lobjectif est de déduire” par rapport à la technologie
- préoccupé davantage par le faire ” et les observations empiriques. Pour lui,
la robotique est née de la tension entre ces deux approches contemporaines qui
correspondent à une phénoménologie de la robotique ”, pour citer Laumond,
différente de la robotique inspirée des lois naturelles, regroupés sous le terme
de bio-robotique ”. Néanmoins ces deux disciplines sinspirent à leur tour de
la physique, de la biologie, des neurosciences, de la psychologie et dautres
théories complémentaires. Ainsi, la robotique peut être considérée comme un
moyen de comprendre et de mettre en œuvre la complexité du vivant, à travers un
mélange des savoirs-faire et des pratiques. Dans une démarche parallèle, proche
dune approche sociologique, la complexité du vivant pourrait être appréhendée
aussi par lart, comme discipline [44] à travers ses intentions spéculatives
et provocatrices ” [43]. Lartiste Simon Penny utilise la dichotomie entre une
forme de savoir qui réside dans labstraction et une autre qui réside dans la
réalité concrète du monde [43] pour introduire un concept émergent quil a
intitulé la robotique culturelle ”. Ce concept met en avant le lien entre les
robots et les sociétés dans lesquelles ces derniers évoluent. Si dans les
premiers chapitres nous avons pu comprendre le contexte artistique que cette
thèse défend, le suivant chapitre traite du rapport au corps dans la robotique
et les éventuels enjeux que cela soulève.
3.1 La biomécanique comme façon dappréhender le corps
Le terme biomécanique regroupe la biologie comme science du vivant et la
mécanique comme science physique détude du mouvement- entre ses déformations et
ses états déquilibre. Au sens large, cette discipline étudie la physiologie du
mouvement dans le corps humain avec ses fonctions et ses propriétés respectives.
Des disciplines comme la robotique, la médecine ou le design sappuient sur des
principes de biomécanique pour mieux construire leurs hypothèses de recherche.
Dans le domaine artistique, les danseurs et les metteurs en scène se sont
également intéressés à la biomécanique pour développer leurs pratiques.
3.1.1. Meyerhold et son approche sociologique
La biomécanique a aussi donné nom à une discipline enseignée par le metteur en
scène russe Vsevolod Emilievitch Meyerhold. Cette discipline fait son apparition
au début du XXe siècle et cultive une conscience de soi dans lespace ainsi
quun travail plastique et rythmique de lacteur. Inspirée entre autres par la
commedia dellarte et du travail des danseuses Isadora Duncan et Loïe Fuller,
cette méthode dentraînement physique permet aux acteurs de développer leur
coordination et leur sens du rythme sur le plateau.
En comparaison avec dautres éléments du théâtre, Meyerhold considérait le
mouvement scénique comme un des moyens dexpression les plus puissants. Ainsi
il dirige entre 1914 et 1917, dans son studio à Pétersbourg une série détudes
de pantomime accompagnées au piano. Parmi ces exercices- Les Deux Smeraldina”,
Le poignard” ou La gifle”- reposent sur des activités corporelles comme le
bond ou la chute ainsi que des éléments dacrobatie avec différents objets liés
à la tradition théâtrale- lepée, la cape ou la canne. Par ces partitions
rigoureuses, lacteur est censé comprendre limportance des différents éléments
du corps les uns par rapport aux autres. Un exemple que Meyerhold citait lors de
ses exercices fait référence à limportance des détails- quand le petit doigt
bouge, le corps entier doit supporter ce mouvement, pour rendre le petit doigt
visible jusquau fond de la salle. La plupart de ces exercices se font en
groupe, même si elles ne requièrent quune seule personne pour les pratiquer.
Lorsquune personne finit sa pratique, le reste du groupe reprend la totalité de
létude une seconde fois, pour enrichir les variations de propositions. Le
poignard” et La gifle” sont deux études qui sexécutent en paire, pour
travailler la coordination et la précision entre les partenaires. Lélément clé
de la pratique de Meyerhold est ainsi le corps de lacteur, considéré comme un
matériau à travailler individuellement mais aussi collectivement comme laffirme
Béatrice Picon-Vallin: Le travail physique de lacteur, découpé en segments
dactions précisément délimités dans lespace et dans le temps se caractérise
encore par un montage de matériaux hétérogènes unifiés par le rythme de laction
et lironie de lacteur : combinaison de techniques appartenant à différents
métiers du spectacle, de registres vocaux variés, création dune sorte d
acteur collectif ”. Les meilleurs comédiens ont léquilibre des funambules, le
tronc monté sur ressorts des jongleurs, laudace des acrobates, le coup de poing
du boxeur, le cri du ventriloque.[a]
En alternant travail individuel et travail collectif, les acteurs acquièrent des
bases solides dinteraction et une bonne capacité dadaptation aux formats et
expériences. Comme le souligne Mel Gordon dans son article sur Meyerhold (citer
Gordon[b]), pour le metteur en scène russe la fonction du théâtre est dabord
sociale afin déduquer et de promouvoir la reconstruction socialiste et
scientifique de son pays. Lorsque Stalin sempare du pouvoir,la plupart des
secteurs de la société soviétique traversent des processus rapides de
collectivisation et dindustrialisation. Les théâtres, puis plus généralement la
culture, perdent progressivement leurs moyens et la liberté dexpression.
Dautres méthodes sinventent. Le metteur en scène russe voit les troupes de
travailleurs semi-professionnels comme un outil pour éduquer les masses. Pour
améliorer sa formation dacteurs, il applique des principes ou des méthodologies
scientifiques à la mode dans lindustrie soviétique, à ses fondements
théoriques. Parmi ces méthodologies, le Taylorisme est le résultat des
observations de lingénieur américain Frederick Winslow Taylor (1856-1915) sur
la gestion scientifique du travail et de la productivité. Au début des années
1910, sa méthode est largement appliquée dans lindustrie, notamment en Europe
et en Russie. Après avoir visité des usinés et examiné leurs chaînes de
production, lingénieur est arrivé à la conclusion que les mouvements physiques
des travailleurs influencent le rendement de la production. Lorsquil exécute
une tâche répétitive, un travailleur sengage, souvent sans sen rendre compte,
dans des mouvements superflus qui diminuent son efficacité. Pour Taylor, il est
question de trouver les mouvements et les gestes les plus efficaces, dans ce
quil a appelé une économie du mouvement". Pour faire cela, il a dû prendre en
considération des facteurs comme les rythmes de travail et léquilibre des
postures. Toujours pour Gordon, les idées de Meyerhold croisent également celles
de la psychologie fonctionnelle- dont le psychologue William James a mis les
bases, ainsi que celles du béhaviorisme. Entre autres James considère la
conscience et ses états transitoires comme directement liés au corps physique,
alors que certains schémas dactivité musculaire suscitent des états émotionnels
équivalents. En Russie à la même époque, des médecins comme Vladimir Bekhterev
ou Ivan Pavlov ont aussi entamé des recherches sur les comportements et le
conditionnement des réflexes humains. Selon eux tout comportement humain peut
sexpliquer par lhistoire des interactions de lindividu avec son
environnement.
En sinspirant de ces observations, Meyerhold les applique à sa méthode
dentraînement physique des acteurs. Les effets de ce processus sont ressentis
lors des spectacles dont le rythme des acteurs est proche dune chorégraphie. Si
le décor est souvent inspiré par le courant constructiviste - dont la
philosophie repose sur laustérité et les motifs non-figuratifs, les
déplacements des acteurs dessinent des parcours géométriques à la façon dune
danse des motifs. Ces parcours dépendent du nombre pair ou impair des acteurs.
Ils créent des constellations dans lespace qui donnent aux spectateurs la
sensation dune mécanisation des processus artistiques.
Dune façon avant-gardiste et engagée, Meyerhold a dédié son travail à la lutte
des classes, aux problèmes sociaux, en espérant contribuer à la création dun
nouveau type humain. Le culte de personnalité et les dérives du régime
totalitaire stalinien ont fait que son théâtre soit fermé en 1938 et le metteur
en scène exécuté en 1940, malgré le fait quil soutenait pleinement les idées
communiste.
3.2 Faire danser les robots
3.2.1 Nouvelles formes de corporéité sur scène Pour comprendre comment mettre
en scène les robots, je commence mon analyse avec les problématiques liées à la
représentation du corps dans les propositions scéniques contemporaines.
Une certaine partie de la communauté artistique de la danse semble œuvrer à une
compréhension phénoménologique de lexpérience de lincarnation. Les danseurs et
chorégraphes proches de ce mouvement, sintéressent à la conscience du corps
ainsi quà lévolution des formes de corporéité avec lémergence des principes
neuroscientifiques et somatiques. Le livre Disjunctive Captures of the Body and
Movement” (citer Bojana[c]) interroge des formes de corporéité qui défient la
subjectivité pour donner une façon propre dhabiter le corps. Pour cela, Bojana
cite des choreographs tels Ingvartsen et Jefta VanDinther ou Eszter Salamon pour
qui la danse est avant tout un lieu dexpérimentation. Elle questionne
lexpérience subjective du mouvement, tout comme des chercheurs comme Stamatia
Portanova qui travaille sur les nouvelles technologies et leur impact sur la
danse (citer Stamatia[d]). Dans le chapitre Can objects be processes?”,
Portanova se demande comment le geste dansé peut séchapper à la linéarité du
temps et faire émerger un contenu original, atemporel. Dans le contexte dune
monde dominé par les ordinateurs et les sciences computationnelles, elle désigne
le glitch comme facteur perturbateur, capable de transgresser les lois physiques
et de provoquer une faille anachronique: ...the appearance of the new takes the
form of a glitch, an interruption of the continuous relational chain between
past and future, the moment when past data are valued and particular ideas are
selected in an occasion of experience, in order to determine what the future
occasion will be. Son hypothesis se construit autour du travail de William
Forsythe. Le spectacle One Flat Thing, reproduced (2000) a comme lobjet
Synchronous Objects for One Flat Thing reproduced” - un site vidéo créé par la
compagnie de danse Forsythe en collaboration lUniversité dOhio comme outil
unconventional de visualisation des paramètres chorégraphiques. Les paramètres
captés lors du mouvement des danseurs sont transposés en données statistiques en
lien avec la musique, larchitecture, ou la géographie - pour explorer sous un
autre ongle les possibilités de composition entre le mouvement et lespace. Le
site Synchronous Objects ne peut pas reproduire la chorégraphie à posteriori,
malgré la multitude des données capturées et linfinité des possibilités de
représentation- puisque le temps de la performance est unique dans sa
temporalité. Pour Stamatia, lanalogie avec le glitch trouve son correspondant
dans linstantanéité du présent quand chaque mouvement répétée en dehors de la
représentation, donne suite à une œuvre inédite et éphémère.
Défis chorégraphiques dans la représentation du corps
Les œuvres chorégraphiques que Bojana analyse ne remplacent pas les danseurs par
des agents non-humains ou des systèmes numériques comme dans létude de
Portanova. En échange, elles mettent en scène le corps comme support physique du
mouvement, à la lisière entre expérience subjective et objective. Bojana insiste
sur la manière dont la relation entre le corps et le mouvement est rendue
impersonnelle, dé-subjectivé, mais aussi dé-objectivé sur la base dune
perturbation délibérée entre sujet et objet.
Pour mieux définir ces concepts, dans son optique la subjectivation traite le
corps comme une source dexpression de soi. Ainsi par le mouvement jaillit
lenvie du corps dexprimer son expérience émotionnelle intérieure. A linverse,
lobjectivation restreint le corps à un simple instrument darticulation
physique, dont le mouvement se fait en ” et pour ” lui-même.
Dès les premières pages de son livre, Bojana nous introduit au concept deleuzien
de reconnaissance où le corps et le mouvement se situent dans des relations
dinterdépendance. Lidentité subjective du danseur est reflétée et représentée
dans lidentité objective du mouvement. Cela laide à mieux définir un corps en
mouvement et comprendre les facteurs qui facilitent ce processus de symbiose.
Déconstruire le corps humain signifie également construire une multiplicité de
corps à partir de ses membres. Par le fait déviter lunification dune seule
figure reconnaissable dans sa forme et son image, le corps est objectivé. Comme
Bojana le souligne dans son livre, le partitionner pour recomposer ses parties
dans un processus de devenir, laisse apparaître des nouveaux corps différents
et méconnaissables.
En ce qui concerne mon contexte particulier de spectacles avec des robots, je
réfléchis aux deux - corps et mouvement - en contrepoids avec la machine.
Lorsque les danseurs réalisent une synthèse entre le corps et le mouvement, les
machines deviennent la structure qui anime un corps hybride en mouvement”.
Cette objectivation opère à plusieurs niveaux, physique et phénoménologique,
avec pour seul indicateur pour lexpressivité humaine.
Deleuze et Guattari voient ce résultat hybride des objets détachées et des corps
réorganisés, comme un processus perpétuel:
Partial objects are only apparently derived from (prélevés sur) global persons;
they are really produced by being drawn from (prélevés sur) a flow or a
nonpersonal hyle, with which they re-establish contact by connecting themselves
to other partial objects. (AO: 46)[e]
Ces constats, des véritables défis chorégraphiques, ont encouragé Bojana à
regarder de plus prêt les performances qui adressent ces problèmes sur le
plateau.
Le spectacle Nvsbl” (2006) dEster Salomon met en scène quatre performeuses
gravitant à partir de quatre coins de la scène vers le centre- parcourant 5,5
mètres pendant une période denviron 80 minutes. La trajectoire quelles
effectuent est si alambiquée et prolongée dans la durée que ni les spectateurs
ni les interprètes narrivent à saisir complètement le déplacement dans
lespace. Alors que les spectateurs peuvent enregistrer la transformation
rétrospectivement - en détournant le regard puis en regardant en arrière pour
vérifier sil y a eu un avancement - cette expérience reste en dessous du seuil
de perception (Sabisch 2011 : 186).
Pour parler de son projet, la chorégraphe cite la critique Peggy Phelan pour
qui toute performance à sa propre réalité. Cette réalité existe seulement
pendant le temps de la représentation:
…Our visual perception therefore does not provide us with a complete picture
or idea of reality. Nevertheless, we use visible reality as an effect of
reality in order to construct our image of reality.”
Lors de la création du Nvsbl”, la chorégraphe hongroise sest inspirée des
techniques somatiques comme le Body Mind Centering, mentionné dans le chapitre
antérieur. Lors de la représentation, tous les paramètres par lesquels le
mouvement est habituellement perçu et reconnu sont suspendus (citer Bojana).
Aucun élément corporel ne peut être distingué comme initiateur du mouvement,
puisque chaque performeuse est impliquée dans un mouvement perpétuel qui opère à
son intérieur. Les chercheurs (citer Invisibility and Oscillation: The Processes
of Looking in Eszter Salamons Nvsbl) évoquent le concept de regard oscillatoire
(oscillating gaze) pour faire référence au mouvement dattention qui sollicité
le spectateur pour regarder autrement ce que se déploie devant ses yeux. Des
nombreuses parties du corps sengagent simultanément dans un processus de
dépliage de formes, comme un corps vivant laisse entrevoir son statut dobjet.
Un deuxième travail mentionné par Bojana fait référence à la manière de créer
avec des objets et des dispositifs moins technologiques. Elle prend comme
exemple le spectacle Its in the air” (2008) par Ingvartsen and Jefta
VanDinther dont il est question de réinventer le corps et ses limites dans un
contexte où les lois physiques sont transgressées. Ce spectacle où un homme et
une femme performent sur deux trampolines géantes, sorganise autour de
plusieurs rencontres mouvement-machine. Le mouvement reste partagée entre le
corps et le trampoline, entre le volontarisme de laction et le lâcher-prise de
la personne qui subisse le rebond:
We are not looking for what we can do on a trampoline but rather for what a
trampoline can do for us . . . . By introducing the trampolines as a resistance
to the movement production we force ourselves to reconsider everything we know
about the dancing body, in relation to weight, shape, gravity, direction, rhythm
and phrasing. (Ingvartsen and van Dinther 2007: 1)
Les deux performeurs multiplient les possibilités dexpression, alternant entre
le lâcher prise et la maîtrise totale du geste, un corps tonique et un corps
mou, un saut haut et un saut très bas. Le rythme de leurs sauts donne
limpression dun visionnage des images cinématographiques à la façon de
Muybridge. Le corps apparaît comme une figure, à la fois humaine, animale et
mécanique, en compétition avec la gravité. Sa désubjectivation en relation avec
des trampolines, montre comment des dispositifs techniques moins complexes que
les robots peuvent nous interpeller tout autant.
3.2.2 La corporéité des robots
Au cours des dernières décennies, des chercheurs dans différents domaines de la
robotique ont étayé limportance du mouvement[10] dans la mise en place des
interactions avec les robots. Pour la grande majorité dentre eux, le contrôle
optimal est le facteur clé pour améliorer tout travail collaboratif homme-robot.
Leur objectif est de générer des commandes motrices adaptées à plusieurs
contextes et contraintes. Certaines études mesurent leffet de limitation sur
le HRI [19] alors que dautres se concentrent sur limprovisation et
lapprentissage par renforcement. A notre échelle, cette recherche-création
sattache à comprendre comment la perception du mouvement peut augmenter la
complicité avec les systèmes artificiels. De manière large, elle interroge la
façon dont le comportement et le mouvement définissent la capacité dagence et
lautonomie des robots- concepts que nous allons aborder dans les prochains
chapitres.
Pour programmer [f]des robots qui dansent, il faut trouver des analogies entre
les symboles abstraits des ordinateurs et les signaux physiques des corps en
mouvement. Selon le roboticien Jean-Pierre Laumont, un mouvement est perçu par
les autres dès son achèvement dans lespace physique (citer livre Laumont). Pour
lui, toute analyse du mouvement humain, traduisible aux robots, se concentre sur
la relation entre lespace physique et lespace corporel. Les roboticiens sont
confrontés à ces questions quand ils modélisent un espace physique comme
lespace opérationnel dans lequel les actions du robot sont exprimées, alors que
lespace du corps est, pour eux, lespace de contrôle ou lespace de
configuration du système robotique considéré.
Leur travail se concentre sur la prise en compte des informations cinématiques
dun mouvement tout comme sur les informations dynamiques - par exemple les
forces de contact avec lenvironnement lors dun mouvement. La dynamique permet
entre autres, de contrôler la stabilité du robot pour générer des mouvements
fluides et sûrs. Comparativement à la biomécanique, qui permet daffiner
linteraction du corps humain avec son environnement, la dynamique est un
critère important pour observer la qualité dun mouvement et mesurer sa
performance. Ainsi les humains, comme les animaux, utilisent des forces de
contact pour générer du mouvement et se tenir debout face à la gravité. Pour
cela, ils effectuent des tâches complexes où ils adaptent leur corps à
lenvironnement de façon spontanée. La communauté scientifique à formalisé cette
propriété innée dans la théorie des primitives de mouvement dynamique (en
anglais Dynamic Movement Primitives ou DMP).
Pour programmer des mouvements similaires à une danse, il faut les décomposer
dans une séquence de mouvements élémentaires, basée à son tour sur des
primitives de mouvements dynamiques. Lorsquil sagit de modéliser les processus
psycho-somatiques ou les émotions qui déterminent une danse, les choses
deviennent en général compliquées. Des avancées en neurosciences sintéressent à
ce type de défis (citer études).
À cet égard, chaque mouvement peut être modélisé sous la forme dune équation
mathématique qui respecte les lois physiques. Cette équation est à son tour
traduite en langage de programmation. Des modèles mathématiques sous-jacents à
lanalyse de la dynamique du mouvement humain correspondent à des modèles
descriptifs basés sur une multitude de variables mécaniques. Dans ce sens, les
équations de mouvement ont une terminologie spécifique, selon leur domaine
dutilisation. De façon générale, elles décrivent le mouvement dun objet
physique selon les lois de la mécanique newtonienne.[g] Ce mouvement peut être
représenté sous la forme de coordonnées sphériques, cylindriques ou
cartésiennes. Il comprend laccélération de lobjet en fonction de sa position,
de sa vitesse, de sa masse et les variables connexes. Selon Laumond, en
robotique une équation de mouvement est définie comme un moyen de comprendre la
relation qui varie entre le temps pour un mouvement spécifique, le moment des
forces appliquées sur lenvironnement et les forces générées par les muscles et
transmises par couples articulaires.
Pour les humains, la capacité de combiner et dadapter des unités de mouvement
de base en tâches complexes, se produit par la coordination entre des muscles et
des articulations. Puisque le corps humain dispose dapproximativement 700
muscles, 360 articulations et 206 os (citer livre Tozsten), le même mouvement
peut être réalisé en activant différentes parties du corps. Définir le mouvement
à partir des multiples stratégies possibles dévient encore plus compliqué
lorsque nous prenons en compte la spécificité de chaque individu. Cette
spécificité est souvent observée lors des séances déducation somatique où
lintuition et le ressenti du praticien comptent plus que les statistiques et
les équations mathématiques. Néanmoins une fois une hypothèse émise, elle doit
être vérifiée scientifiquement pour pouvoir être validée et acceptée par la
communauté scientifique. Cest en cela quun travail intuitif et instinctif en
danse contemporaine est parfois difficilement transposée en robotique.
En fonction des mesures disponibles et de la partie du corps qui initie le
mouvement humain, différentes approches peuvent être envisagées. Certaines
études [12, 13] se concentrent seulement sur le mouvement des extrémités ou du
torse, ce que correspond au task-space ou lespace des tâches en robotique [11].
En effet, la plus grande partie du corps humain est le torse; représentant en
moyenne 43 % du poids corporel total alors que les cuisses, le bas des jambes et
les pieds constituent les 37% restants du poids total - suivis par les membres
supérieurs (13%) et la tête et le cou (7%) (citer Tzeren). Une approche plus
pratique est celle où les robots humanoïdes imitent des mouvements de danse
capturés lors des démonstrations humaines. La simulation numérique du système
musculo-squelettique humain permet de travailler avec un grand nombre de données
expérimentales. La capacité de traiter ces données de façon itérative en temps
réel dépend de la fréquence denregistrement. Les roboticiens utilisent des
techniques de Motion Capture [h]combinées à des technologies comme le Learning
from Paradigme [112] qui propose des modèles pour faciliter la danse- tels la
cinématique inverse ou les modèles de contrôle prédictif- ainsi que de la
dynamique inversée de lespace opérationnel [113] (OSID). Lobjectif de ces
technologies est denregistrer et générer des mouvements avec un coût de calcul
optimal. Une grande majorité des projets artistiques actuels font appel à des
robots préprogrammés par des humains pour répondre à des signaux spécifiques et
se comporter dune certaine manière. Sur scène, le fardeau des mouvements
synchrones qui garantissent linteraction repose sur la réactivité et
ladaptabilité de lartiste. En danse par exemple, le performeur doit garder le
tempo, ce qui ne lui laisse que très peu de possibilités dimprovisation. De
plus, il na pas le droit à des erreurs, car le robot continuerait alors à
exécuter son programme quels que soient les événements imprévus qui se déroulent
en parallèle. Cette situation est généralement évitée grâce à un opérateur
humain disponible pour prendre le contrôle du robot à distance. En utilisant les
technologies de suivi existantes comme des capteurs XSENS, lartiste peut se
connecter directement au robot, pendant que ses mouvements sont analysés en
temps réel. Alternativement, ses mouvements peuvent être utilisés pour contrôler
le mouvement du robot ou déclencher des changements de rôle. Dautres techniques
basées sur la reconnaissance thermique ou la vision et le suivi haptique du
mouvement humain, font lobjet des études en cours qui pourront éventuellement
inspirer la communauté artistique. En 2012, lors dun spectacle de danse de 10
minutes avec un robot HRP-2 et un danseur de hip-hop, lhumain a embrassé
lhumanoïde sur scène. Les mouvements ont été calculés grâce au modèle OSID
développé par LAAS. Le geste du danseur- ouvrant ses bras devant lhumanoïde-
peut être interprété rétrospectivement comme une réaction empathique dabandon
devant la machine, une invitation pour devenir amis, ou bien lacte de
reconnaître un vieil ami. Une fois interpellé, le robot a attendu quelques
secondes -probablement dû à un délai de temps de traitement de linformation-
avant douvrir ses bras pour faire un câlin à lhumain. Chaque spectateur
projette sa propre interprétation concernant le message du spectacle et
finalement les deux interprètes ont des motivations indépendantes lun de
lautre. Si dans le cas de lhumain cest clair que son action a été déterminée
et conscience, dans le cas du robot, nous nous imaginons quil a été programmé
pour répondre à un comportement spécifique. Dans [114] Nakaoka et al. avancent
lidée quune version améliorée des robots HRP peut générer une "technologie de
contenu" innovante à partir des technologies MoCap à lorigine des animations de
personnages vidéo. Pour rendre cela possible, les développements technologiques
ont été combinés avec le feedback des utilisateurs quotidiens afin de mieux
comprendre leurs attentes. Dans ce sens, le robot HRP-4C (léquivalent féminin
de HRP-4) a chanté et présenté une danse lors dune performance au DC-EXPO 2010,
en utilisant linterface Choréonoïde pour programmer ses mouvements. Tout en
mettant en œuvre les mouvements de danse dun chorégraphe très connu apprécié
par le public japonais, léquipe a travaillé sur de nouvelles possibilités de
mouvement propres aux robots. En adaptant le sens artistique des idées aux
contraintes techniques du robot et linverse, ils ont proposé un projet innovant
avec un robot réaliste qui sest confondu parmi des danseuses humaines habillées
et maquillées de façon identique. Ceci est un exemple de robot qui imite à la
perfection un humain. Je suis loin de mes intuitions concernant la spécificité
des robots comme espèces à part entière, mais les prochaines pages nous aideront
à étudier de plus prêt ce phénomène. Dans Les corps multiples dune machine
performative ” [45] Louis Philippe Demers utilise le terme de machine
performative ” pour illustrer une qualité des corps mécaniques dotées dune
saveur de vivacité ”. Pour lui, les expérimentations artistiques [46] avec les
robots sont des exemples réussies dincorporation, grâce aux concepts comme le
body- schema ” [48] [50] pour mieux implémenter dans les robots les
fonctionnalités du vivant. Sa vision de lincorporation [51][54] ouvre de
nouvelles possibilités dexpression pour les artistes et les formes dart
hybride. Dans la même idée, dautres chercheurs affirment que le comportement
est le facteur le plus important dans lavancement de la robotique [19]. Cela
nous amène, à notre tour, à considérer le rôle des émotions dans la constitution
dun comportement. Dans mon contexte particulier de la danse, analyser les
changements dans la conception et la configuration des projets dart robotique,
maide à mieux comprendre les possibilités dinteraction physique lors dune
performance live. HRI a beaucoup évolué au cours des dernières années.
Actuellement il se décline dans des sous-domaines comme Natural HRI mettant en
œuvre des émotions artificielles dans les robots, grâce aux modèles de
classification hybrides multimodaux [136] et de lapprentissage robotique
interactif. Il est probable quau fur et à mesure que la compréhension de
nous-mêmes sélargisse, ces machines deviendront plus complexes également. Par
lutilisation de telles technologies, lartiste nest plus astreint à un choix
binaire de suivre ou pas les cues des robots pré-programmés. De tels rôles
peuvent être modulés comme dans [137], [138]. Au lieu dexécuter des mouvements
préprogrammés, les robots peuvent être contrôlés en ligne par les mouvements de
lartiste et même par les émotions de celui-ci, en temps réel. Des nouveaux
espaces centralisés de contrôle multi-robot et multi-objet [139] pourraient
également offrir la possibilité de manipuler plusieurs robots à la fois par un
seul artiste ou combiner le contrôle de plusieurs robots par plusieurs artistes.
Grâce aux techniques récentes de ML, les robots pourraient apprendre directement
des mouvements artistiques en observant lhumain, puis proposer des
améliorations en temps réel sur scène. Dautres modèles qui utilisent
lapprentissage par renforcement [140] sont actuellement en cours de
développement, apprenant aux robots à créer leur propre carte de réseaux sociaux
et comportements afférents[141], tout en interagissant avec les humains.
3.3 Différents formats de présentation Les projets artistiques avec des robots
visent des interactions multimodales. Sur scène, ces interactions privilégient
un contact physique avec des humains, facilité par des gestes, de la voix ou du
toucher. Généralement le message transmis par ces œuvres est la nécessité de
rapprocher les robots et les humains. Cette idée émerge à la fin des années
1960, quand un nouveau genre alliant lart et les machines fait son apparition
sur la scène artistique: lArt Robotique. Initialement motivées par des rêves
personnels en lien avec des défis scientifiques, les premiers projets
artistiques impliquent des robots construits sur mesure, inspirés par les
automates. Au fur au mesure que la technologie avance, ces robots vont devenir à
leur tour plus complexes, capables de nous émouvoir et nous surprendre. Pour
cette synthèse, je vais donc commencer par les dispositifs maladroits des
années 1980, suivis par les expériences bioniques avec des exosquelettes une
décennie plus tard et les bras robotiques industriels en parallèle avec les
humanoïdes sophistiqués des dernières décennies. Cette progression suit de près
lévolution des développements technologiques dans la recherche en robotique,
qui sest souvent prêtée à des collaborations avec d autres disciplines pour
élargir et questionner ses directions. A ce stade de mon état dart, il me
paraît intéressant de proposer une analyse globale du rôle de lart robotique
dans la réconciliation des projections fatalistes concernant notre cohabitation
avec les machines. Cela me semble également intéressant dinvestiguer dans
quelle mesure cet art peut devenir un miroir pour refléter des spéculations
transhumanistes, selon sa réception dans lespace publique et les médias.
Lorsque nous regardons la littérature contemporaine (citer art) des roboticiens,
des artistes et des neuroscientifiques sont en cours détablir les prémisses
dune nouvelle éthique pour les robots et les développements technologiques,
afin dempêcher les éventuelles dérives sur le sujet. Les œuvres sélectionnées
informent la robotique sociale des possibilités dinteraction originales, tout
en témoignant dune relation complexe avec les machines, qui date déjà depuis
presque un siècle. Quelque part lart robotique, à linstar des sciences
traditionnelles comme la biologie ou la psychologie, peut faciliter une
meilleure compréhension de nous-mêmes et nos attentes vis-à-vis des robots. Si
la robotique sociale développe actuellement des machines incroyables, les robots
sous diverses formes et fonctionnalités, sont de plus en plus présents dans
notre vie quotidienne et nos cultures. La technologie est essentielle pour
définir ce que les humains sont, du moins dans notre tradition occidentale, où
la convergence entre lhomme et la machine est à la fois séduisante et
repoussante. En contrepartie, la culture japonaise entretient une certaine
distance avec la technologie, expliquant pourquoi les robots sont moins
problématiques ” là-bas, et comment ils ont été apprivoisés ” (citer) avant
dêtre intégrés dans la société. Ce qui mintéresse, en observant différents
formats et expériences artistiques, est de comprendre comment les robots
pourraient trouver à travers lart, une condition indomptée ”, avant leur
industrialisation et en dehors leur commercialisation à grande échelle. Cette
sélection représente seulement un échantillon des œuvres dart robotique en lien
avec la scène. Lorsquelles sont mentionnées par les artistes eux-mêmes ou la
littérature, les spécifications techniques offrent un aperçu important sur les
défis et les limites de ce type de processus de recherche-création. A ma
connaissance, il ny a pas actuellement une méthodologie officielle sur la
manière dont lArt Robotique doit être évaluée, cette synthèse sappuie donc sur
des méthodes quantitatives utilisées dans les études existantes [19], [20] et
est complété par les retours artistiques des auteurs ou les archives des
processus de création et de réception. Le format des œuvres peut aller des
sculptures et installations cinématiques, aux spectacles, performances et
improvisations en direct. Pour mieux comprendre leur évolution, elles sont
mentionnées en ordre chronologique. À cela, jai pensé rajouter également les
apparitions dans le média où des robots se présentent en tant que maîtres
spirituels ou artistes qui prônent un autre type de culture de divertissement
(citer), afin de voir comment le rapport à la scène est influencé par ce format.
De cette manière une caractéristique importante de cet étude, repose sur
lhypothèse que les interactions homme-robot au contact rapproché [13], [14],
cest-à-dire lutilisation de gestes et dinterfaces haptiques [15][18], peut
améliorer la façon dont les robots sociaux sont acceptés par les utilisateurs
non expérimentés. Mon objectif est donc de voir comment ce processus
dapprivoisement opère dans des contextes artistiques et culturelles et quest
ce que pourrait être son opposé - défini ici comme une condition indomptée ”
ou sauvage des robots. Dans les prochaines pages, janalyse la spécificité des
robots présentés dans les œuvres sélectionnées, puis jappréhende les facteurs
qui ont influencé le développement de lArt Robotique. Pour argumenter ce
processus, je mappuie sur une première partie qui précise le contexte dans
lequel la robotique et lart aurait pu se rencontrer, leur lien commun et la
façon dont elles se sont inspirées réciproquement. Souvent, limpact des œuvres
sélectionnées a facilité des découvertes en robotique sociale. Puisque les
projets artistiques impliquant les robots ont été soumis à des contraintes
technologiques (i.e. choix de matériaux influençant le message de lœuvre
dart), je regarde comment ceux-ci sont considérés tout au long des processus de
création et comment ils ont été mis en scène.[i]
3.3.1 Comment les robots sont apparus Lorsque nous pensons à des robots, nous
imaginons des dispositifs intelligents, autonomes du point de vue de
lalimentation, programmés pour ressentir ” et interagir ” avec nous et
lenvironnement [21]. En contrepoids, lart veut faciliter laccès à la
dimension sensorielle de notre existence. Pour faire cela, les artistes misent
sur laffect (voir les sentiments du public) à travers une manipulation
astucieuse de qualités tangibles ” [22 citation penny anglais]. Dune manière
prédictible, la définition de chaque terme est soumise à des évolutions
permanentes, prouvant leur importance dans les préoccupations courantes de notre
société. Interroger ces transformations dans le contexte de lArt Robotique,
aide à déterminer leur caractère dans les prochaines années.
Pas si loin du monde de lart, la fascination pour des artefacts et des machines
qui pourraient éventuellement devenir "vivants", a longtemps peuplé les rêves
des humains. Quelques-uns de ces artefacts- les automates- ont été identifiés
par des chercheurs [23], [21] comme vecteurs du développement technologique de
nos sociétés. La définition du terme Automata sous-entend lexistence des
dispositifs mécaniques qui se déplacent de manière autonome sans être
directement manipulés par des humains. Remontant lhistoire pour identifier
leurs origines, nous remarquons lexistence dappareils mécaniques mobiles
autonomes à Alexandrie vers le IVe siècle av. J.-C. [21] ainsi lutilisation des
gardiens robotiques automatisés ” en bois, conçus à lépoque du roi indien
Ajatasatru de Magadha un siècle plus tard [21]. Quelque temps plus tard, le
polymathe Ismail al-Jazari - suronmé "le père de la robotique" parmi les
roboticiens daujourdhui - a construit plusieurs automates humanoïdes pendant
la période islamique du XIIIe siècle. Trois siècles plus tard Léonard de Vinci
aurait présenté à la cour de Milan son chevalier mécanique. Dès le XVIIIe
siècle, Jacques de Vaucanson présente lors des salons et des expositions
privées, des inventions comme son célèbre "joueur de flûte" avec des poumons
artificiels, ainsi que un canard qui pouvait manger, déféquer et flotter sur
leau [23] comme son double animal ” [24]. Selon [25] et [24], Vaucason aurait
même été mandaté par le roi Louis XV pour construire secrètement un androïde de
taille humaine vraisemblable dans les plus petits détails à des fonctions
biologiques du corps humain - respiration, circulation, digestion, mouvement.
Compte tenu des limitations techniques et matérielles de cette période, ce
projet a malheureusement dû échouer. Vers la même époque, Wolfgang von Kempelen
trompe son public en cachant un vrai humain dans son automate joueur déchecs
appelé Le Turc", en invitant les nobles à défier les capacités
intellectuelles ” de sa machine. Un siècle plus tard, des inventions pratiques
comme le phonographe ou le Cinématographe des frères Lumière confirment
lintérêt des spectateurs pour un goût du spectacle inspiré par la science,
mettant en avant des machines ressemblant à des humains et éventuellement des
robots. Lhistoire de la robotique est étroitement liée à celle dart [26], la
sculpture anthropomorphe et la marionnette influençant la robotique plus que le
design des ordinateurs. La différence entre les automates et les robots sociaux,
indépendamment de leur utilisation ou de leur forme, est que les premiers sont
des artefacts uniques, créés à la main ” [27] alors que les derniers sont
produits en masse, de façon automatisée.
Gakutensoku, une nouvelle race ? Au début du XXe siècle, lécrivain tchèque
Karel Capek écrit R.U.R.- Rossumovi Univerzalni Roboti (Les Robots Universels de
Rossum) - une pièce de théâtre sur des créatures artificielles travaillant en
usine. Ces créatures appelées "roboti" étaient facilement confondus avec les
humains en raison de leur forme et de leurs capacités. Conçus pour remplacer le
travail humain, ils apparaissent capables de réfléchir par eux-mêmes. Dabord
heureux de travailler pour les humains, ils finissent par prendre conscience de
leur état et décident de se rebeller contre les humains. Puisque cela peut
potentiellement provoquer leur propre extinction [28], ils changent de
perspective et décident de sauver lavenir de lhumanité. Le texte gagne
rapidement en notoriété et est traduit dans plus de trente langues à la fin du
1923 [27]. Le terme robot ” [29] est désormais employé pour désigner des
androïdes et des automates ("robota" signifiant travail forcé ” en tchèque).
Le nom du créateur des robots - Rossum [30] - pourrait renvoyer au mot tchèque
rozum ” signifiant raison ”, sagesse ” ou "bon sens" [31]. Dans cette
interprétation, les créatures de Capek correspondaient à des serfs apportent
la raison aux humains ”. Aujourdhui seulement le terme robot ” [32], [26]
désigne ce que nous appelons des machines programmables autonomes. Leurs
applications se sont diversifiées[33], [34] (impactant des domaines comme la
médecine, laéronautique, le militaire) et notre interaction avec les robots et
leur impact à long terme sur nos vies [4] est en pleine expansion [35]. R.U.R. a
été diffusé dans le monde entier et a conduit à différentes réactions parmi ses
spectateurs. Au Japon, le spectacle a été présenté en 1924 sous le titre de
Jinzo Ningen ” (Homme Artificiel)[36]. Quatre ans plus tard, Makoto Nishimura-
un biologiste marin sans aucune connaissance préalable en mécanique ni en
ingénierie - a décidé de construire de toutes pièces une créature autonome
équivalente, quil a nommée Gakutensoku ” . Ce terme traduit par apprendre
des règles de nature ” vient en réponse aux médias de lépoque où les machines
sont dépeintes comme des "serviteurs" des humains. Ainsi naît le premier robot
fabriqué au Japon, selon son créateur "le premier membre dune nouvelle espèce,
dont le but est dinspirer les humains et de faciliter lévolution humaine en
élargissant nos horizons intellectuels ” [37]. A partir de ce premier exemple,
cest intéressant dimaginer comment les robots pourraient devenir un jour une
race à part entière, capables dautonomie et dune forme de conscience
artificielle”. Cette thèse traite des exemples qui apportent les pour” et les
contre” dune telle projection, avec lart comme terrain idéal
dexpérimentations.
3.3.2 LArt Robotique du début de XXème siècle à nos jours Avant les années 2000
Au début du 20ème siècle, les artistes se sont intéressés à la cinétique et les
sculptures en mouvement. Après les machines de Jean Tinguely [26] et de Marcel
Duchamps, lartiste coréen Nam June Paik crée loeuvre Robot K-456 (1964) -
probablement le 1er robot humanoïde à être utilisé dans un projet artistique.
Son nom vient de lœuvre de Mozart Concerto numéro 456 pour piano n° 18 en Si
bémol majeur ”, témoignant des liens entre la musique et la robotique. Ce
prototype de robot télécommandé sur 20 canaux, a été construit au Japon par
Shuya Abe [55] pour être présenté lors dun festival annuel davant-garde à New
York. Lors de son apparition publique, le robot K-456 a marché dans les rues de
New York pour diffuser lenregistrement du discours du président John F.
Kennedy. Il a également été impliqué dans une série dactions type happenings,
comme celle dans laquelle il fait semblant de déféquer devant des passants. Plus
tard, dévenu célebre par à son utilisation de la vidéo et des médias de
lépoque, Paik crée une oeuvre où Merce Cunningham est dedoublé en train de
dancer sur des fonds de couleur qui alternent entre bleu, blanc et transparent.
Cette œuvre intitulée Merce by Merce by Paik (1973) confirme les intuitions de
lartiste quant à limpact des moyens technologiques sur la perception humaine.
Ainsi il nous fait perdre le focus de la perception du mouvement dansé, en
jouant avec lenvironnement qui contient le danseur (citer Stamatia). Le projet
K-456 reste toujours en cours et vingt ans plus tard, le robot prend part à une
simulation daccident intitulée La première catastrophe du 21e siècle ”. Cette
fois une voiture conduite par lartiste Bill Anastasi [56] lui rentre dedans en
traversant la route. Dans ce premier exemple, nous soulignons lintention de
lartiste de provoquer des interactions physiques et de donner lillusion des
processus physiologiques propres au robot, similaire au Canard de Vaucanson. Les
spectateurs de cette performance assistent à une rencontre entre deux machines
où un robot actionné par un humain (la voiture) heurte un autre. Leur rencontre
conduit à la destruction du premier, projetant, sans probablement vouloir, une
relation de confrontation entre les humains et les robots, avec des robots qui
combattent pour dominer la race humaine. Ce scénario menaçant des robots
destructifs a été réitéré tout au long des années suivantes. Lors des
représentations données par Survival Research Laboratories, des machines souvent
à grande échelle rivalisent pour sentre-détruire [26], [57]. A la même époque,
les artistes Bill Vorn et Louis Philippe Demers dépeignaient les robots comme
des animaux sauvages se contestant un cube de métal (qui représente un morceau
de viande) dans Au bord du chaos ” (1995). Dans sa performance "A- positif ”
(1997) [58] Eduardo Kak est littéralement connecté à un robot, à travers une
aiguille intraveineuse qui transfuse son propre sang à la machine, afin
dallumer avec loxygène du liquide[28] la flamme dun dispositif électronique.
Lacte pourrait être interprété comme une métaphore pour alimenter la machine,
la nourrir. Cela peut aussi signifier une tentative de le rendre humain, voir
comment sa réalité physique peut ou pas transgresser les lois biologiques du
vivant. Cette association de sang et de métal, du vivant et de lartificiel, à
son lorigine dans la littérature du début de 19e siècle alors que des écrivains
comme Mary Shelley, préconisent ce que les chercheurs ont depuis identifié comme
le syndrome de Frankenstein ” [8], [59]. En analysant les facteurs [10] qui
influencent lacceptation des robots humanoïdes, les chercheurs travaillent pour
mieux expliquer nos attentes envers ceux-ci. De façon similaire, plusieurs films
[11], [60] mettent en scène des humains artificiels et des études sociologiques
[61], [62] pour examiner comment lattitude envers ces robots est influencée par
leur antériorité et popularité dans le média. Bien que certains artistes
expulsent des pulsions morbides dans leurs projets dart robotique, dautres se
concentrent sur des émotions moins destructrices. Une approche originale est
dutiliser lennui et lépuisement comme forme de résistance face aux capacités
infinies de la machine. Lœuvre Helpless Robot" de Norman White (1987) [63] est
un exemple. Après presque un décennie des recherches, il developpe des robots
capables de ce quil définit comme de "la santé mentale artificielle" et dans
une certaine mesure des robots antisociaux ” [28]. Avec le sentiment de
lennui comme point de départ, il a créé un robot qui suivait les gens présents
à sa performance. Ce robot soupirait de temps en temps et sarrêtait lorsque
quelquun lui donnait trop dinstructions. La prochaine version est un tronc
pyramidal denviron 2m de haut, conscient de son propre mouvement et du
mouvement autour de lui. Ce robot sarrêtait puis demandait aux visiteurs de le
tourner, étant capable dexprimer pas moins de 512 instructions vocales [26].
Après quun humain répondait à sa requête, il se plaignait en disant que le
virage devrait être plus précis, obligeant le visiteur à le retoucher, afin
dajuster son emplacement encore et encore. Il est important de noter que
linteraction physique entre le robot et lutilisateur est initiée dans ce cas
par le robot. Dautres expérimentations artistiques, comme par exemple Heart
Robot ” de David McGoran (2008) décrit dans les pages suivantes, sappuient sur
un constat similaire. Les robots qui demandent de laide à des humains [64],
ont plus de chances dengager un contact physique avec eux et peut-être dêtre
acceptés ” dans la société. Plus tard, Norman White participe à une
collaboration avec sa collègue artiste Laura Kikuka. Lœuvre, intitulée Them
fucking robots ” (1988) [63], met en place une performance live où deux robots
-mâle et femelle- simulent une relation sexuelle avec des voix enregistrées, des
pistons et des fluides mécaniques pour caricaturer une forme de copulation
biologique. Les deux artistes se sont mis daccord sur leurs artefactes sans se
voir et nont convenu en amont que sur certaines spécifications techniques 10
comme la dimension de leur robots. Je note ici lutilisation du thème de la
sexualité comme prétexte pour provoquer et éventuellement amuser le public. Les
robots nexprimant ni des traits humains érotiques, ni de la séduction. Le titre
de la performance est proche dun "jeu de mots dénonçant un cri de sectarisme
contre une minorité déjà détestée” [28]. Même type de promiscuité chez Marcel Li
Antunez Roca dont le premier travail intitulé Epizoo ”(1994), met en scène
linterprète qui à la discrétion des spectateurs son propre corps. Ainsi son
nez, ses fesses, ses pectoraux, sa bouche ou ses oreilles sont contrôlés en live
sur le plateau, via un exosquelette pneumatique. Vêtue uniquement dun string,
Roca se tient debout sur la plateforme circulaire tournante de sa performance,
tel un cobaye. Pendant ce temps son corps et ainsi les quelques éléments
scéniques (lumière, son) sont contrôlés avec une souris par les spectateurs. De
même, en utilisant les écrans dordinateurs, des parties de son corps nu
seraient rassemblées dans une imagerie fétichiste. Cela conduit finalement au
développement dun des concepts clés de Roca - "la méta-membrane [65] ” par
laquelle lartiste est transformé en une interface entre lœuvre dart et son
public, grace à la technologie. Membres dune scène artistique émergente qui
veut couper les traditions, afin dy établir un nouveau courant, Antunez Roca et
Kac résument leurs idées dans un manifeste [66] où ils déclarent entre autres
que "les microprocesseurs sont aussi importants dans lart robotique que les
brosses, peinture, et les toiles sont en peinture ”. Faisant référence à ces
projets artistiques, Dixon emploie les termes de "camp art" et de "performances
métalliques" pour définir une sub-catégorie de lArt Robotique spécifique des
années 80 et 90, où la chair et la mécanique se mélangent dans des associations
kitsch. Ces œuvres dart provocatrices et parfois violentes soutiennent que
"lhumanisation des machines et la déshumanisation des humains ” sont
implacables, avant de prôner un retour à la nature salvatrice [28]. Cest
important de noter quà ce stade de lexpérimentation, la fascination humaine
pour la technologie est étroitement liée à un sentiment indéfini dimpuissance
traduit par la moquerie, la promiscuité ou la violence. Une tentative de
transformer ces peurs et fascinations” [28] en quelque chose de plus
métaphysique, mais toujours soucieux de la rencontre entre le corps humain et la
machine, lœuvre Petit Mal ”(1995) de Simon Penny met en scène un robot
complètement autonome. Ce robot va sentir et explorer son espace tout en
suscitant des réactions ludiques chez les visiteurs [67]. Lobjectif de Penny
est de donner limpression dune intelligence et dun comportement spécifiques
qui ne sont ni anthropomorphes ni zoomorphes, mais propre à sa forme physique
et nature électronique ” [44]. Cela donnait aussi limpression dêtre plus
intelligent quil ne létait en réalité. Lartiste a créé un robot capable
dimiter le comportement humain, soulignant limportance de ce quil définit
comme "un mimesis dynamique" - le robot se déplaçant comme les humains, sans
avoir réellement une forme humaine. Sur son site, Penny décrit Petit Mal" comme
un "anti- robot ”dotée dune autonomie denviron 12 heures, ce qui représente
beaucoup compte tenu de lépoque de sa construction. Pour le construire,
lartiste utilise le modèle dun double pendule comme générateur de mouvement
auquel il rajoute des mouvements hésitants et des petits gestes pour renforcer
lidée dautonomie et de libre arbitre. Penny remarque également que parmi tous
les utilisateurs, les jeunes enfants seraient extrêmement curieux de le
connaître, tandis que les adolescents agissent de façon indifférente [67]. Dans
une autre approche, lartiste japonais Momoyo Torimitsu performe Miyata Jiro ”
(1997) dans les rues de New York [68]. Habillée en infirmière, lartiste assiste
un robot humain réaliste représentant un dhomme daffaires. Ce qui choque les
passants est que le robot rampe sur son ventre tandis que linfirmière le suit
pour remplacer de temps en temps les batteries qui lalimentent - pour
lanecdote des batteries de motocyclette stockées dans les fesses du robot. Ce
robot basique a un mécanisme de déplacement assez simple mais à cause de son
apparence réaliste, provoque un sentiment de mal à laise en sa présence [69].
Encore une fois, linteraction physique robot-performer est facilitée par la
mise en scène du robot dans une position de vulnérabilité par rapport à
lhumain. Cette fois le message artistique sadresse aux humains, qui par leur
addiction au travail, sautomatisent”. Pareil aux exemples de "Robot K-456" ou
"Petit Mal", je souligne la présence du robot dans les rues, dans lespace
public, à la place des musées (où le robot serait davantage contemplé) ou du
laboratoire (où le robot serait un simple outil de recherche pour des tâches
industrielles). Des champs comme la "robotique située" [70] se concentrent sur
la façon dont les robots sont perçues dans des environnements complexes. En
comparaison avec un laboratoire, la personne qui interagit avec le robot dans
une école ou un hôpital ne remarquera pas ses limites techniques, étant plus
préoccupée par les indices de son comportement social.
Première décennie du XXIe siècle Autour de la première décennie du 21e siècle,
des chercheurs avancent lhypothèse quenviron 55% de la communication humaine
est basée sur du comportement non-verbal [71]. Bientôt, les artistes deviennent
intéressés par les robots et les machines qui "sexpriment" à travers des
mouvements et des gestes à la place des signaux sonores. Comme mentionné
précédemment, "Heart Robot" (2008) marque une transition dans la façon dont les
robots sont présentés dans lespace publique. Cette fois, les machines bruyantes
et métalliques sont remplacées par une petite marionnette hybride capable de
toucher et être touchée. Marionnettiste lui-même ainsi que roboticien, Goran met
au défi la perception culturelle des robots grace aux émotions artificielles et
à lintelligence sociale. Son robot ne peut pas marcher mais présente une forme
de respiration simulée, du pouls avec un affichage LED type "cœur" sur sa
poitrine et des clignotements. Ses yeux fonctionnent en quatre modes : endormi,
somnolent, éveillé et surpris. Ses mains ont trois doigts et un pouce pour
saisir d autres mains. Somme toute, cette créature assez fragile, de la taille
dun enfant, soppose à limage des robots puissants de la littérature de
Science Fiction. Il simule la respiration pour exprimer un état émotionnel
détendu. Les résultats de [20] montrent comment dans une certaine mesure, la
mise en œuvre des capacités de toucher dans les interactions avec les robots a
un potentiel thérapeutique sur les humains. Goran a présenté "Heart Robot ” lors
de foires et dévénements culturels non liés à la robotique. La plupart des
utilisateurs adultes qui lont touche ou tenu dans leurs bras ont ressenti un
certain sentiment dempathie [72] pour lui. Cependant, certains enfants et
adolescents ont manifesté des réactions agressives et un enfant a donné un coup
de poing au robot en face, pour voir comment il réagirait [64]. Cet exemple,
plutôt une exception dans laccueil du "Heart Robot", prouve que la fascination
des humains pour les robots pourrait être enracinée dans un sentiment ambivalent
de peur et dadmiration généré par nos propres limites et projections en tant
quespèce, face à une potentielle autre. Pour revenir au robot Gakutensoku créé
par Nishimura, il est important de se rappeler que cela dépend surtout de nous,
humains, si les robots réfutent nos peurs les plus profondes, ou simplement les
confirment. Jai mentionné la peur et leffet détrangeté [69] que la présence
des robots peut avoir sur nous. Jaimerais donc par la suite analyser le travail
de Hiroshi Ishiguro avec lœuvre "Telenoid R1" (2010). Professeur duniversité
et chercheur sur des robots humanoïdes hyper-réalistes, il est le créateur de
"Geminoid HI" (2006)15- un androïde copie identique de lui-même [73]. Lobjectif
de la recherche dIshiguro est denseigner lexpérience humaine aux androïdes.
Par ce projet présenté lors du Festival Ars Electronica, il a conçu un robot
téléopéré de petite taille, sans membres et qui pouvait manifester son
engagement quà travers des mimiques et du retour vocal. En comparaison avec
Heart Robot" il a provoqué des réactions distinctes. Puisquil était piloté par
un opérateur humain, ce robot a été capable de passer dune langue à lautre
très rapidement, donnant limpression dêtre un "fantôme dans la machine" -
concept expliqué dans [74] comme indépendant de la machine elle-même (plutôt un
produit de linfluence des machines sur lenvironnement). Cela peut aussi
rappeler en quelque sorte des robots de proximité de Demers [46] et de son
intention de rendre crédibles des agents peu crédibles. Plus probablement les
démonstrations délocution ou dadaptabilité des robots motivent peu les
interactions physiques des spectateurs. La peur de lhumain dêtre contrôlé par
un robot surpuissant augmente au fur et à mesure que le robot exprime plus
dagence et dautonomie. Cependant dans un étude avec des personnes âgées [75],
des chercheurs de léquipe dIshiguro ont remarqué quen étreignant spontanément
Telenoid R1, les humains éprouvent de la sympathie pour lui. Toujours selon
larticle, cela peut éventuellement sexpliquer par le fait que les personnes
âgées ignorent le sens du concept de robot télé-opéré. De façon similaire,
dautres robots dIshiguro ont participé à des projets de théâtre lors des
collaborations avec le metteur en scène Oriza Hirata [76]. Sur scène laccent
est mis sur lintrigue narrative donc les robots jouent leur propre rôle [77] et
ils sont acceptés ” dans leur singularité. Leffet détrangeté diminue par
conséquence.
Pour aller plus loin sur ces considérations, le chercheur Guy Hoffman introduit
le concept "détrangeté sociale" [78] en relation avec les robots sociaux et
leur compagnie. Selon lui, les robots de compagnie peuvent déclencher des
troubles psychologiques importants, selon la fragilité et le profil émotionnel
des usagers. Dans ce contexte, les conventions scéniques peuvent devenir
lenvironnement approprié pour que lintelligence des robots exerce sans
contraintes sa spécificité.
Parmi les formes performatives, la danse est celle qui exige beaucoup de contact
physique. Nous avons vu plus haut comment les paradigmes liés à la
représentation du corps en mouvement impactent les nouvelles créations
scéniques. A la fin des années 1960, des chorégraphes comme Deborah Hay, Steve
Paxton ou Lucinda Childs ont collaboré avec les experts en informatique des Bell
Labs, pour danser avec des machines pendant les événements E.A.T. (Expériences
en art et technologie). Presque à la même époque, Merce Cunningham utilisait
lordinateur pour créer des outils chorégraphiques [79] qui génèrent des
mouvements artificiels. Plus récemment, avec le développement des robots
industriels, les chorégraphes ont commencé à les inviter sur scène. Cela a
motivé les chercheurs à améliorer encore plus leur mouvement et capacités [80]
dadaptation. Parmi les pionniers des projets de la danse robotique, jaimerais
mentionner deux artistes qui ont choisi de mettre des machines
non-anthropomorphes sur scène. Le premier est la performance Sans objet ”
(2009) dAurélien Bory, où deux danseurs impressionnants par leur précision,
exécutent des acrobaties sur un bras industriel de General Motors [83]. Face à
la taille du robot, ils ressembleraient à des insectes qui sautaient sur une
branche darbre. A lopposé la série Actor ” (2008-2010) de Kris Verdonk
[81], [82] présente le spectacle Dancer 3 ” où la scène est vide, à
lexception dun petit robot maladroit qui a du mal à se tenir débout. Chaque
fois il retombe, sans jamais céder à son objectif, endurant inlassablement ce
processus dessais et derreurs. Comme la séquence se répète, des bips sonores
choisis par Verdonk donnent limpression dune voix avec des soupirs de la part
du robot. Les spectateurs projettent une attitude empathique envers lui, comme
ils le font probablement avec les danseurs de Bory- bien que ceux-ci se mettent
en danger pour escalader le bras robotique. Certaines questions importantes
autour de lautomatisme et de lautonomie émergent de ces deux exemples. Que se
passerait-il si le petit robot abandonne ” ses essais ? Ou si le robot géant
décidait de secouer les humains qui pendent dessus ? Pourquoi le manque de
maîtrise du deuxième robot impressionne tout autant que la précision des
danseurs du premier exemple? Probablement parce-quun corps non-humain en
mouvement
La persévérance dun robot dans sa maladresse ou sa précision et endurance
élevées (qui sont évidemment des comportements pré-programmés ) sont à lopposé
dune figure humaine imparfaite qui vacille dans son indécision et incertitude.
Fascinées par la haute précision et la froideur automatique ” des robots
industriels, des chorégraphes émergents comme le Finlandais Thomas Freundlich,
la Britannique Merritt Moore ou lAméricaine Catie Cuan continuent de défier
leur potentiel créatif sur scène. Parmi dautres, le travail du chorégraphe
taïwanais Huang Li, intitulé Huang Yi \& KUKA” impressionne par sa délicatesse
et sa puissance. Le lartiste a mis plusieurs années à shabituer à la
programmation dun bras KUKA par lui-même [84]. La performance quil propose a
eu plusieurs versions depuis 2012, une seule minute de chorégraphie du robot
nécessitant 10 à 20 heures de programmation. Sur une musique classique de Joshua
Roman, lhomme et la machine interchangent des rôles. À la fois, le robot
manipule complètement le corps de linterprète, en le touchant tendrement. La
fluidité de ses mouvements illustre les progrès réalisés par lindustrie
robotique des dernières années. Encore une fois, il paraît que les machines
peuvent exprimer tout leur potentiel sur scène, là où la rencontre avec les
humains est libérée du contexte productif de lindustrie. Pour souligner cette
observation, je mappuie sur le commentaire de Bory concernant son propre
travail, pour qui un robot industriel hors de son contexte devient aussi
inutile comme tout geste artistique devrait lêtre ” citer Bory. Ceci est
valable dans dautres disciplines artistiques, par exemple en musique. Pour
appuyer cela je mentionne Shimon live impro jazz performance ” (2009) de Guy
Hoffman. Ici la machine est extraite de son contexte industriel et conçue
exclusivement pour un jam dimprovisation jazz. Shimon est un robot-joueur de
marimba capable dimproviser, conçu par Hoffman qui est lui-même musicien. Le
chercheur a utilisé une approche gestuelle pour son expression musicale, avec
des alternances entre des mouvements lents et rapides, des gestes grands et
petits pour travailler sa virtuosité. Comme dans la danse, chaque geste est
divisé en plusieurs phases qui se succèdent [85]. Pour modéliser les imprévus du
temps réel et faciliter des moments synchronisés non scénarisés lorsquils
jouent ensemble, Hofmann a utilisé une méthode danticipation spécifique au
théâtre. Pour lui, les roboticiens devraient sen inspirer plus par des
techniques de formation dacteurs comme le monologue intérieur continuel ”
lors de la conception des robots capables de comportements reactifs[86]. En
travaillant avec des systèmes robotiques orientés vers laction et la
perception, Hoffman a obtenu des mouvements rapides plus adaptés - son but étant
datteindre quelque chose proche de la "réactivité intuitive" dun robot. Dans
une approche connexe, lUniversité Waseda conçoit également des robots qui
improvisent de la musique en temps réel avec des partenaires humains. Lune de
leurs premières expériences dimprovisation est le Waseda Flutist Robot”
(2008), un prototype ayant subi plusieurs améliorations depuis les années 1990
[87], probablement version raffinée de lAutomate de Vaucanson du 18éme siècle.
Cependant la musique nimplique pas un contact physique entre interprètes, mis à
part un contact étroit avec les instruments de musique. Néanmoins le niveau de
complicité lors dune improvisation musicale est suffisamment élevé pour établir
quelque chose semblable à une interaction physique, puisque le robot et lhumain
ont un statut égal lors dune improvisation. Cette parité pourrait également
être maintenue et peut-être améliorée pour limprovisation dansée, lorsque les
mouvements des robots ont une qualité de réponse similaire à celle des
danseurs. Au début des années 2000, le compositeur Japonais Suguru Goto a
construit des systèmes où les gestes des robots peuvent modifier en temps réel
le processus scénique[88]. Son prototype Body Suit ”, créé par Patrice Pierrot
en 1997, a été initialement utilisé pour contrôler le son et les images générés
par un ordinateur sur scène. En 2003, son prochain projet Robotic Music ”
associant 5 robots à percussion, permet à un interprète doté dun Body Suit ”
dimproviser en live via 12 capteurs de flexion, avec les percussions
acoustiques robotisées ”, du son et de la lumière. Semblable à une musique
dimprovisation électroacoustique qui offre une grande liberté dexpression, le
comportement des robots ainsi que leur interactivité avec les autres partenaires
de scène stimulent limagerie artistique des spectateurs. La panorama des
possibilités dexpression artistique des robots continue avec un projet de
recherche de lUniversité du Tohoku [89][91] qui développe des robots qui
dansent. Leur lhypothèse principale est quen comprenant ” et en anticipant
les intentions humaines, un robot peut sengager plus activement dans
linteraction avec un humain. Pour faciliter une synchronisation du couple,
leurs études se concentrant sur la qualité des mouvements corporels [92]
soulignent limportance d une analyse poussée des capteurs de mouvement
(MoCap). Une autre étude plus récente[93] utilise un robot enseignant la danse,
pour évaluer les compétences nécessaires lors des processus dapprentissage HRI,
basées sur le contrôle de limpédance adaptative et le retour haptique. Le robot
effectue un mouvement continu dadaptation à la dynamique de linteraction,
tandis que lhumain assume le rôle de suiveur. Dans ce contexte particulier, est
le mouvement une clé pour lacceptation des robots dans les œuvres dart en tant
que catégorie à part, spécifique à leur propre fonctionnement - ni propre aux
humain, ni propre à des objets, mais quelque chose entre les deux? Je continue
cette exploration dArt Robotique avec deux artistes qui ont influencé la
recherche scientifique à travers leur pratique tout au long de leur vie. Tous
les deux ont imaginé des installations et des performances où les dispositifs
automatisés questionnent la capacité des robots à transgresser les
problématiques inter-espèces et éventuellement acquérir de lindividualité” ou
une personnalité propre. Commençons tout dabord avec Stelarc et son
Articulated Head ” (2010), devenu ensuite Thinking Head Attention Model and
Behavior System ” ou THAMBS [94]. Comparé au Bory, Stelarc a adapté
lutilisation dun bras robotique industriel Fanuc LR Mate 200ic avec un écran
de 17 pouces monté sur le robot pour créer un rendu 3D de sa tête, devenue tête
prothétique. Le système contient également un ensemble de capteurs comprenant de
la localisation auditive, de la vision stéréo ainsi quune vision monoculaire
pour faciliter une connaissance détaillée de la situation et de son
environnement. Cette forme de présence qui simule une prise de conscience,
confrontée au paradoxe ghost in the shell” des robots dIshiguro, séchappe de
peu aux critères de la vallée de létrangeté, puisquil sagit dune machine peu
réaliste, presque non-anthropomorphe et donc pas dun humanoïde réaliste. Ceci
dit, dans [95] Hertah mentionne comment le robot a surpris (pour ne pas dire
effrayé) le personnel du laboratoire où ils travaillaient, en pleine nuit. Entré
en mode veille en raison de son inactivité, le robot a rapidement réagi dans le
noir, lancant un "Bonjour" enthousiaste à un employé qui effectuait son ronde de
nuit. Alors que linteraction homme-robot sest produite de façon accidentelle,
la réaction du gardien a été davoir peur, prouvant une fois de plus que les
humains craignent les robots quand ils sont imprévisibles. Dans une autre étude
portant sur le rôle du toucher dans les constructions empathiques avec les
robots et leur impact sur la santé [96], des chercheurs ont associé à un
moniteur affichant un visage humain, un dispositif doté de deux degrés de
liberté simulant une main capable de pression. Lensemble avait certaines
limitations techniques, car les participants devaient tenir la main du robot en
continu pendant les essais. Différents scénarios dinteraction ont été proposés
pour analyser si le toucher combiné avec la parole ou les expressions faciales,
peuvent améliorer la relation avec un agent artificiel. Il a été conclu que le
toucher peut entraîner une interaction robotique réconfortante et emphatique,
quel que soit le contexte des signaux multimodaux qui expriment un état
daffection. En ce qui concerne les critères qui relèvent de létrangeté sociale
mentionnés plus haut, je remarque un détail intéressant. La littérature [97]
offre de riches possibilités d expression dans le HRI. Cependant Stelarc a
toujours vu son corps comme un prolongement des systèmes opérationnels”. En
utilisant des prothèses et des exosquelettes qui actionnent ses mouvements, il
sestompe face à la technologie. Dans ses œuvres, cest lhumain (et non le
robot) qui devient étrange. Presque dans une approche contre-culturelle, Stelarc
a réussi à inverser le rapport à la technologie en lintégrant dans son corps
[26], [98] à travers des dispositifs très originaux, comme son troisième bras ou
les pattes daraignée. Le travail de Ken Rinaldo, artiste et chercheur intéressé
par lhybridation homme-machine (ce quon appelle aujourdhui bionique avancée)
apparaît dans la meme lignée. Son installation robotique Enteric Consciousness
” (2010) est un exemple de biotechnologie, dont les principes sont similaires
aux celles des projets dEduardo Kac [28]. Dès 1993 lartiste crée une
installation pour que des vrais poissons explorent lenvironnement humain en
pilotant un aquarium automatisé [26] -sorte dun robot piloté par des poissons.
Semblable à la performance "A-Positive" de Kac mentionnée auparavant, Rinaldo
est un pionnier dans le domaine de la biotechnologie. Dans sa contribution
intitulée : Trans-Species Interfaces : A Manifesto for Symbiogenesis ” [99],
is décrit son dernier travail comme une interface entre un récipient en verre
symbolisant un estomac rempli avec des cultures bactériennes vivantes et une
langue robotique de taille humaine capable de masser lutilisateur lorsque la
flore bactérienne est en bonne santé. En utilisant des analogies entre le doigt
(comme extension du cerveau humain) et la langue (en tant que prolongement du
système nerveux entérique), Rinaldo propose une expérience corporelle
synesthésique. Son dispositif nest pas un robot en soi, mais plutôt un
environnement robotique pour faciliter linteractivité entre lhomme et les
machines, par lintermédiaire du contact physique. La spécificité de chacun de
ces exemples est quils défient le concept danthropomorphisme [100], [101] chez
les robots. Probablement ces deux artistes ont voulu créer des prototypes pour
des nouveaux espaces robotiques propres à la création artistique. Profitant de
ce contexte innovant, jaimerais avancer la projection anthropologique suivante.
Pour une grande majorité des humains, les robots sont, du moins actuellement,
hors de portée. Ils pourraient les rencontrer dans les médias ou lors dun
événement spécifique, mais pas interagir directement avec eux dans un contexte
privé. Ainsi, les robots peuvent apparaître comme différents (au sens dun
nature inconnue ”) par rapport aux autres humains, des animaux domestiques ou
des dispositifs automatisés que nous connaissons dans notre vie courante. Autant
les imaginer descendants danimaux sauvages, par leur rareté et leur
comportement peu connu. En supposant maintenant que linteraction physique entre
les humains et les animaux sauvages a principalement été provoquée par les
premiers (puisque les animaux domestiques ont été inoculés la nécessité
dinteragir avec les humains pour survivre), comment un robot (ou système
robotique) qui a trouvé sa propre spécificité et son capacité dagir,
interagissait avec nous? Le craindrons-nous, comme nous continuons à craindre
les animaux sauvages que nous navons pas réussi à apprivoiser ? Dans [20], les
chercheurs ont conçu un outil appelé The Haptic Créature", pour étudier les
effets affectifs du toucher en HRI. Équipé dun actionneur et des divers
capteurs de pression, température et vibrations, ce robot explore le potentiel
thérapeutique du toucher, partageant certaines caractéristiques animales comme
moyen dexprimer un comportement affectif.
Ces dernières années
Lhistoire est cyclique et nous avons vu par le passé que des archétypes et des
leitmotivs se recyclent dans limaginaire collectif. Igor Stravinsky a composé
"Le Sacre du Printemps, lune des œuvres musicales les plus influentes du 20ème
siècle. Cent ans après la première houleuse du ballet de Diaghilev, le
réalisateur Italien Roméo Castelucci reçoit une commande pour adapter
loriginal. La performance Le sacre du printemps ” (2014) confirme le début
dune nouvelle tendance dans le milieu de la performance artistique, coupant net
avec les pratiques traditionnelles et installant une esthétique de la
disparition ” sur scène [104]. Paradoxalement, le public présent lors de cette
première na pas été contrarié quand les robots ont pris le contrôle dune scène
vide. Cela nétait pas la première fois dans un contexte artistique. Des
nombreux artistes ont déjà envisagé lidée de remplacer lhumain avec des robots
sur scène, lun dentre eux il y a déjà cent ans [105]. Pennys "Petit Mal" ou
Verdonks robot maladroit entre autres, sont des exemples plus récents de robots
agissant seuls sur un plateau. La différence réside ici dans le fait que les
robots remplacent les interprètes, ils ne jouent pas leur propre rôle ”, comme
nous lavons vu dans la section précédente. Dans une scénographie apocalyptique
sans humains sur scène, des os de vache devenus poudre pour les engrais,
pourraient symboliser un avenir lointain sans des danseurs réels. Les bras
robotiques et les machines suspendus au plafond, répandent cette poudre au
rythme de la musique de Stravinsky diffusée sur les haut-parleurs. La
technologie facilite linvention dun nouveau langage artistique, tandis que la
mythologie humaine est modifiée pour correspondre à de nouveaux défis. Les
spectateurs assimilent ces codes avec moins détonnement quil y a soixante ans.
Habitués à côtoyer ” les robots, pour citer Laumond, ils sympathisent avec
leur "faire", tout en assister à la représentation. De même, dans le spectacle
Nobody is an island ” (2021), le chorégraphe Wayne McGregor défie le potentiel
dempathie dune machine en mettant en place un écosystème hybride entre deux
performeurs et une sculpture automatisée créée par le groupe Random
International. La dynamique de cette rencontre tourne autour des possibilités
dexpression de la machine qui est capable didentifier la présence humaine et
de réagir. Son design métallique pointu ninvite pas nécessairement à
linteraction, cependant à travers ses mouvements et ses gestes doux, les
interprètes sont capables de sapprocher delle de manière affectueuse ”. Un
autre type de déconstruction des codes dans linstallation Female Figure ”
(2014) de Jordan Wolfsen. Lartiste a conçu une femme-robot qui exécute une
danse lubrique devant un miroir, tandis quelle est attaché à une tige
horizontale perçant son torse. Son apparence est similaire à un sex-toy [44]
avec les yeux couverts par un masque de sorcière, provoquant des sentiments
mêlés de désir et de répulsion chez les spectateurs. Fixant les visiteurs et se
regardant dansant, ce robot remet en cause le concept de prise de conscience
de la prise de conscience ” [106] en abordant des questions sur lémancipation
féminine du regard masculin ” et sur la manière dont la sexualité est abordée
dans notre société de consommation [107]. Pour aller plus loin sur cette
question dapparence, des visiteurs de Disneys Animal Kingdom sont déçus parce
que les vrais animaux ne sont pas aussi réalistes que les versions
animatroniques vues dans Disney World [9], [108]. Je me demande alors si
lexposition excessive à des silhouettes hyper-sexualisées pourrait altérer la
vision des humains de la sexualité et de la séduction dune manière analogique?
Trente ans plus tôt, White et Kikuka, entre autres, ont exploré la sexualité
dune façon parodique. Mais est-ce que leur façon de considérer la sexualité a
été spécifique à leur époque? Jaimerais croire que cela a été spécifique aux
limites technologiques auxquelles ils étaient confrontés. De nos jours, puisque
lindustrie pornographique a accéléré le développement des robots et dispositifs
animatroniques sexualisés réalistes [109] [110], les artistes ont également
commencé à considérer ces robots hors de leur contexte. Pour questionner la
notion de sexualité à travers une œuvre, les spectateurs sont moins préoccupés
par la sexualité du robot, quils sont avec la sexualité en tant que phénomène
social. Dans cette idée, tout ce qui est créé par nous, musique nosu sommes
humains, finit par remettre en question des aspects humains. Idéalement, lart
devrait assurer un contexte neutre - où les deux questions anthropocentriques et
technocentriques sont abordées - mais sa réception est biaisée car les
spectateurs dune œuvre éprouvent leur propre individualité et subjectivité en
ladmirant. En sélectionnant ces œuvres où le contact physique avec les robots
nétait pas privilégié selon les contextes respectifs, il y a toujours les mêmes
questions ontologiques concernant notre relation avec eux qui persistent.
Comme déjà évoqué, souvent dans les propositions artistiques les plus fortes les
humains engagent un contact physique avec les robots. Par exemple dans la
performance "Sayonara" (2010) lune des performances de Hiroshi Ishiguro,
Geminoid caresse la joue dune femme qui pleure. Alors que dans le spectacle
Spillikin ” (2017) du Pipeline Theatre, un androïde tient la main dune vieille
dame, pour la consoler de la perte de son mari. Le robot, construit par
Engeneering Arts company au Royaume-Uni est un ancêtre” de lAmeca Android,
impressionnant par le hyper-réalisme de ses expressions faciales. La même
technologie sera utilisée plus tard pour développer Ai-Da, le premier
robot-artiste au monde.
En analysant ces exemples, le récit autour de linteraction théâtrale aide à
créer et maintenir un environnement sûr pour les robots. Alors quen danse,
comme nous lavons vu plus haut, les chorégraphes se mettent en danger, se
produisant avec des robots industriels dans des séquences de mouvement
dangereuses. Cette tendance a légèrement changé, lorsque la société française
Aldebaran Robotics a développé un robot de 58cm appelé NAO, facile à programmer
et accessible. Des chorégraphes comme Bianca Li ou Emmanuelle Grangier ont
travaillé avec ce robot dune manière moins démonstrative. Dans la performance
de Li, "Robot" (2013), lun des danseurs aide un NAO à se tenir debout, tandis
que dautres NAO entrent en synchronie avec huit danseurs déguisés en robots.
Quant au travail de Grangier, passionnée par la rencontre avec larbitraire,
nous découvrons une apologie des bugs techniques. Dans Link Human/Robot ”
(2015), on peut voir un NAO trébuchant sur une danseuse et plus tard la serrant
dans ses bras. Suivant des questions analogues, le travail School of Moon ”
(2016) du chorégraphe français Eric Minh Cuong Castaing se concentre sur la
manière dont les humains pourraient cohabiter avec des robots. La force de sa
proposition réside dans la double nature de la forme - quelque part entre art
visuel et objet chorégraphique. Coproduit par le Ballet National de Marseille,
il implique la collaboration avec le roboticien Thomas Peyruse qui a configuré
cinq robots NAO et deux Poppy pour les différents étapes du projet- le travail a
été présenté sous divers formats qui ont conduit à des moments performatifs dans
des centres dart et des écoles. Lartiste a mis en scène des enfants, danseurs
et robots de petite taille avec lintention de représenter un communauté
post-humaniste où les humains et les robots performent ensemble des rituels
sacrés. Lattention est portée sur la perception et les mouvements lents grâce
au mapping vidéo en direct. Les enfants apparaissent imiter les robots de
manière délicate, suggérant une possible complicité avec eux. À un moment donné,
une fille tenant un faux pistolet le pointe vers un robot. Ce geste ambivalent
illustre à la fois un appel à la destruction mais aussi une forme de résignation
face aux possibilités et capacités infinies de la machine. Un autre projet qui
attire notre attention est My Square Lady ” (2015). Cette production dopéra
implique un robot Myon dotée dune forme de conscience proprioceptive et de la
rétroaction sensorimotrice, qui lui permettent dimproviser pendant la
représentation. A travers sa participation dans le spectacle, il nous fait
comprendre assez vite que son principal objectif est de comprendre la musique et
les émotions humaines. Il est amené à exprimer ses limites sur scène, forçant
les interprètes à sadapter à son comportement. Son processus dapprentissage
est authentique et se déroule dans des conditions réelles[105]. Hild Manfred, le
chercheur qui a configuré le robot avec ses collègues du Laboratoire de
Recherche en Neurorobotique de lUniversité Humboldt de Berlin, est également
présent sur scène pendant le spectacle. Plus tard lhumanoïde modulaire est
démantelé pendant que des chanteurs, des musiciens et des chercheurs passent les
parties de son corps de lune à lautre. Ce geste est effectué de manière calme
et douce par rapport aux performances bruyantes vingt ans auparavant.
Probablement la problématique est restée la même depuis soixante ans et nous
projetons toujours inconsciemment de détruire les robots par peur quils nous
détruisent en premier. Néanmoins lattitude globale envers les robots a
légèrement changé, les humains étant plus résilients sur le plan conscient. De
plus, ce robot capable dêtre démonté et réassemblé pendant la performance,
présente des caractéristiques fonctionnelles sur scène, différents du corps
humain et ses limites[11]. Le projet "Scary Beauty ” (2018) en première mondiale
au Musée National des Sciences Émergentes et de lInnovation (Miraikan) au Japon
est un autre exemple de projet dopéra, impliquant cette fois un chef
dorchestre androïde. Le projet est né de la collaboration entre le compositeur
Keiichiro Shibuya et landroïde Alter 2, initialement construit dans le
laboratoire de Hiroshi Ishiburo de lUniversité dOsaka et programmé par
léquipe de Takashi Ikegami à lUniversité de Tokyo. Le robot a une apparence
étrange- mains et visage couverts de silicone, actionneurs à vue, sans sexe ni
âge- et est équipé dun système pneumatique. Il a été conçu pour sadapter aux
mouvements délicats propres aux conducteurs dopéra. Après plusieurs essais,
léquipe a choisi de se concentrer sur la répétitivité des mouvements de haut en
bas de lépaule, plutôt que sur les mouvements de ses bras et mains. Résultat
ainsi une performance synchronisée où les musiciens suivant les indications de
landroïde, jouent différemment dun concert à lautre. Pareil aux journaux du
début du XXe siècle qui ont poussé Nishimura à imaginer Gakutensoku, les robots
sont intensivement diffusés dans le média. Leurs technologies deviennent open
source sur les plateformes de développement pour créer des robots conformes qui
peuvent se déplacer et interagir avec une grande précision. Pour cela, les
chercheurs poussent leur inspiration dans les concepts et les découvertes de
différentes disciplines. Que cela est fait pour valoriser lhumain ou relever
des défis scientifiques - les robots sont conçus pour correspondre et peut-être
surpasser les attentes des humains. Si je reviens à la projection
anthropologique proposée auparavant en imaginant le corps modulaire du robot
Myon, je trouve intéressant dimaginer des designs robotiques qui surprennent
les tendances actuelles. Des artistes nonconventionnels héritiers de la
tradition cyberpunk, comme lItalien Marco Donnarumma ou la chanteuse
néerlandaise dorigine iranienne Svedaliza, passent leur temps dans des
laboratoires afin de développer leurs propres outils et aborder dune façon
originelle ces questions. En parallèle, des artistes consacrées continuent à
réfléchir à la place que les robots occupent dans nos vies. Tous simaginent les
formes les plus extrêmes et les scénarios les plus paradoxaux de co-habitation
avec les robots. Inferno ”(2015) de Bill Vorn et Louis-Philippe Demers en fait
partie, en mettant en scène le côté sauvage, indompté, de la technologie. Cette
performance dune soixantaine de minutes sinspire de la représentation des
différents niveaux de lenfer décrit dans lœuvre éponyme de Dante. Trente-six
bénévoles parmi les spectateurs ont la possibilité dexpérimenter les limites de
leur corps, en abandonnant leur contrôle moteur à des dispositifs robotiques
type exo-squelettes pneumatiques quils portent pendant la performance. Par son
esthétique, Inferno ” pourrait être inclus dans la classification
performances des métaux ” [28] que jai décrite précédemment. Au-delà de la peur
de perdre le contrôle de son corps, ici lhumain plonge dans les possibilités de
la machine, comme pour éprouver ses propres limites. Lors de cette performance,
les artistes ont observé quil y a un moment où les performeurs sen remettaient
à la machine pour sengager dans des mouvements exploratoires qui vont au-delà
de la chorégraphie originale [115]. A travers cet exemple, jobserve un autre
changement concernant la complicité entre lhomme et les robots. Nous pouvions
difficilement imaginer la même adhésion du public à linvitation de Demers et
Vorn, sans passer par les propositions artistiques antérieures. Il fallait que
des artistes comme Marcel Li Antunez Roca testent sur eux-mêmes ces technologies
vingt ans plus tôt, afin de les rendre accessibles aux participants. Puisque les
artistes rêvent au moment où des robots pourraient devenir créatifs, les
roboticiens considèrent également la créativité comme un aspect important de
lautonomie des robots [52], [116], [117]. En 2019, Ai-Da (le premier robot
humanoïde artiste au monde) a eu une intervention publique pour définir sa
démarche artistique qui utilise la peinture comme moyen dexpression. Même si
Ai-Da a été conçue avec des algorithmes dIA complexes pour rendre son bras
robotique capable de toucher et de peindre, nous ne pouvons pas parler de sa
spécificité puisque son rôle est dimiter à la perfection les artistes humains.
Probablement des gens autour delle, tout en écoutant son discours comme s ils
écoutent le discours de nimporte quel artiste, sont moins intéressés par le
contact physique - comme ils le feraient, par exemple, en touchant Helpless
Robot ou tenant dans leurs bras Heart Robot. De plus, les moments où Ai-Da est
capable de feedback verbal "spontané", sont plutôt maladroits et imprécis. Alors
que le robot déclare quil crée de lart avec dautres artistes humains, nous
devons garder à lesprit que dans les exemples précédents où des robots et des
humains co-créant ensemble à travers la musique, les techniques dimprovisation
ont été bien préparés à lavance. Par conséquent, il pourrait y avoir peu de
place pour la liberté et la spontanéité dans cette quête dautonomie à travers
la créativité. Dans une tentative originale de répondre à ces questions, une
équipe de scientifiques du Canada ont décidé de mettre en place une expérience
où les humains interagissent seuls avec un robot auto-stoppeur. Ils ont ainsi
conçu HitchBot - un véritable aventurier qui voyage en auto-stop, sans pouvoir
se déplacer mais doté de lexpression orale, de la reconnaissance vocale et des
interactions visuelles limitées. Proche du design de Heart Robot, il nest pas
assisté par ses développeurs lorsquil interagit avec les humains. Pour être
autonome, il repose sur une batterie solaire, de l Internet mais aussi des
bonnes intentions des personnes qui le prennent dans leur voiture. Ses
concepteurs nont pas contrôlé à distance HitchBot, ils ont seulement vérifié
son itinéraire lors dun premier voyage de 26 jours au Canada (documenté toutes
les 20 min par une caméra envoyant des photos de son expérience). Suite à une
forte médiatisation du projet, le robot a ensuite participé à des expériences de
voyage en Europe. En 2015, il est même arrivé aux États-Unis mais peu de temps
après a fini par être démantelé [118] et abandonné près dune autoroute.
Inspirée par cette histoire, la metteuse en scène française Linda Blanchet a
créé en 2019 le spectacle "Killing robots". Le projet aborde des questions
déthique concernant les robots, mêlant documentaire et fiction. Jaimerais
souligner le fait que HitchBot ne fait pas partie de la catégorie des robots
capables des effets dinquiétante étrangeté, puisquil nest pas un robot
hyperréaliste. Il navait certainement pas une grande autonomie, ni de lagence
et, comme dans le cas du projet "Heart Robot", il comptait sur lempathie
humaine pour compenser sa vulnérabilité -ne pas pouvoir bouger ou faire des
gestes, à moins dêtre porté par des humains. Cétait une créature plutôt
vulnérable ” qui, dans une certaine mesure, pourrait être comparée au robot
aveugle que Louis Philippe Demers a créé en 2013. Ce robot, fixé à une table,
est composé de deux bras mécaniques montés sur la même base. Jai délibérément
choisi de clore cet état dart avec lui, même si sa mise en scène est très
basique. Je suis convaincue de la force de la proposition qui réside dans ce
cadre simple. Dans un espace théâtral peu éclairé, le robot explore délicatement
le visage de la personne assise devant lui. Ce geste est ce que les humains
aveugles sont censés faire lorsquils reconnaissent les personnes ou les objets
autour deux [106]. Dans certaines versions de linstallation, un miroir de
taille moyenne (comme dans lœuvreFemale Figure" de Wolfsen) est placé derrière
le robot - permettant aux visiteurs de sobserver pendant linteraction. Ainsi,
le milieu artistique garantit un espace sûr pour lexpérimentation. Les
spectateurs finissent par se laisser toucher par le robot. Le différence entre
les expériences de Demers et la triste fin de HitchBot est quaucune convention
artistique na été établie avec les utilisateurs de HitchBot [119]. Des études
sociales confirment que les gens sont plus susceptibles dattribuer de la raison
et des états mentaux aux robots, plutôt que des états émotionnels ou des
sentiments [120]. En retournant à nos observations initiales, une fois de plus
le contexte de la scène artistique apparaît comme un environnement sûr et neutre
pour apprendre à connaître les robots. Il y a vingt ans, les roboticiens
imaginaient un processus irréversible concernant notre transformation en
machines [12]. Cependant, certains ont réfuté cette hypothèse, insistant sur le
fait quaucun robot ne pourra prendre le contrôle de nos vies, puisque nous
aurions tous déjà muté le moment où les robots auraient atteint la Singularité.
Comme lart a presque toujours anticipé les transformations dans nos sociétés,
parfois sans même sen rendre compte, peut-être que des œuvres post-humanistes
sont étroitement liées à cette intuition. Comme dans les spéculations en
robotique, ces œuvres pourraient annoncer un point de non-retour pour nos
perspectives en tant quespèces. Au fur et à mesure que les deux disciplines
évoluent, nos croyances en lavenir changent également. Les lignes deviennent
floues et ce nest pas très clair où les humains et les robots se rencontreront
en fin dAnthropocène [36], [102], [103]. Si les robots vont coloniser les
villes actuelles ou hybrider les modèles familiaux posthumains [36], lart
robotique contemporain pourrait-il concilier la projection fataliste concernant
notre cohabitation avec les machines ou est-ce reflétant simplement un
porte-parole transhumaniste ? Si lart devait être inutile, alors comment
pourrait-elle éviter le piège de la prédiction de la domination de la
technologie sur lhumanité? Le sujet de ladversité envers les robots, présent
dans les premiers exemples où les robots étaient manipulés par la force ou la
violence, se dissout lentement dans les prémisses post-humaines dun monde en
mutation. Quels gestes seraient appropriés dans ce contexte? Devons-nous
concentrer notre attention sur des manières douces dinteragir avec les robots
au lieu de samuser à les démonter ? Cela éviterait-il la condition
prédéterminée des humains qui les créent et donc établissent sans vouloir une
relation de concurrence ou de domination avec eux ?
IV. DISCUSSION Dans la plupart des exemples de cet état dart, les humains
considèrent les robots et leurs spécificités avec les critères dévaluation
spécifiques aux œuvres dart. Pour résumer notre prémisse initiale, jai avancé
lidée que les robots peuvent être mieux perçus et compris à travers les
représentations artistiques. A. Lanalyse des œuvres robotiques citées Lanalyse
actuelle couvre des informations sur une quarantaine dœuvres dart robotique.
Cette liste nest certainement pas exhaustive, encore restreinte à des
interactions qui présentent une proximité directe ou proche du contact physique
avec les robots. Quil sagisse dinstallations interactives (20%), des études
dart robotique (12%) ou des performances (68%), ces œuvres traitent des sujets
liés à la société (35 %), au domaine du vivant et à la biologie (9 %) ou un
mélange entre des deux (9 %), ainsi que la musique (12 %), la danse (23 %) ou
une combinaison entre les deux (12 %). Comme vu plus haut, lapparence est un
facteur important pour facilliter la comprehension de la spécificité des robots.
Les robots ou les dispositifs robotiques déployés sont majoritairement
anthropomorphes (65%) variant dune majorité des dispositifs de taille humaine
(59 %) à des plus petits (26 %) ou plus grands (15%) que léchelle humaine.
Suite à la projection anthropologique sur les robots comme animaux sauvages,
dans certains essais scientifiques [121] les répondants décrivent les robots
collaboratifs comme étant similaires aux animaux. Lune des raisons peut etre
lattribution et lexecution des tâches simples par les robots. Dautres sujets
invoquent lauto- dépréciation humaine par rapport aux performances du robot
[121] indépendamment de son apparence. Proche des modèles de corporeité humaine
pour les robots, lanthropomorphisme est compris ici comme une faculté
dattribuer des caractéristiques humaines à des objets inanimés, animaux et
autres en vue de nous aider à rationaliser leur actions ” [101]. Autrement dit,
en projetant notre interprétation sur les actions des robots, nous leur
délèguons une présence anthropomorphique, quelle que soit leur apparence. Cela
pourrait augmenter lacceptation des robots dans la société, avec laide de
lart. Comme vu précédemment et également mentionné dans [122], les robots
pourraient déclencher encore plus des réactions empathiques parmi les
spectateurs à travers de la mise en scène, puisquils interprétent les recits
subjectivement et aiment donner des sens cachés aux actions de ce derniers.
Dautre part, le concept de robot-centered HRI ” développé dans [34] met
laccent sur la vision du robot en tant que créature, "cest-à-dire, une entité
autonome qui poursuit ses propres objectifs sur la base de ses motivations, ses
pulsions et ses émotions. ” De plus, linteraction avec les gens lui sert à
répondre à certains de ses besoins ” (tels quidentifiés par le concepteur du
robot et modélisé par larchitecture de contrôle interne); par exemple, les
besoins sociaux sont satisfaits par linteraction, même si linteraction
nimplique aucune tâche particulière ”. Intéressant de mentionner comment, selon
une autre étude [8], un robot utilisé dans une œuvre dart doit également être
présenté comme un dispositif utile pour être mieux accepté dans le monde
occidental. Puisquil a été souligné plus haut que le but de lart est surtout
de créer du sens, il y a peu de place pour des robots utilitaires dans les
travaux sélectionnés - preuve que les robots sont considérés comme autonomes à
travers lart. De plus, en raison de la perspective interdisciplinaire des
projets dart robotique, lauteur est susceptible de traiter sur scène ou dans
dautres contextes artistiques, des sujets qui sont moins présents dans la
société, puisque ses conventions et ses contraintes seront moins présentes
aussi. Suivant cette idée, il semble que non seulement lapparence, mais aussi
le comportement - impliquant les gestes et les mouvements de robots - sont
importants. Ainsi les chercheurs soutiennent que lincarnation (lembodiment)
est un aspect clé pour linteraction HRI [39]. De plus, une incarnation au plus
prés de la nature [5] est souvent citée comme nécessaire pour réaliser une
interaction sociale significative. Ainsi selon la littérature [2], les robots
peuvent être : socialement évocateurs, socialement réceptifs et sociables. Dans
[54], Dautenhahn mentionne également les robots socialement situés - entourés
dun environnement social quils perçoivent et auxquels ils réagissent. Comme
défini dans [3], un robot interactif nécessite des capacités spécifiques : il
va pouvoir exprimer et percevoir des émotions, communiquer dans un dialogue
complexe, apprendre et reconnaître les modèles dautres agents". Par leur
fonction, les projets artistiques facilitent ce type de comportement et nous
avons vu dans nos exemples que les robots au design particulier comme par
exemple Telenoid R1 ” ou hyper-réalistes comme "Ai-Da", peuvent facilement
interagir lors des divers événements sociaux comme les foires dart et les
galeries. Avec 38% des œuvres présentées dans lespace public : dans les rues
(par exemple, "Miyata Jiro", "Petit Mal") ainsi que lors des événements
publiques ou dans les laboratoires (par exemple, "Telenoid R1", "Heart Robot"
entre autres), il semble que lArt Robotique nait pas de espace de
représentation prédisposé. Dans le même temps, faire des robots qui réagissent à
leur environnement, plus disponibles pour interagir avec les passants, pourrait
améliorer lopinion publique sur leur autonomie. Quil sagisse dune illusion
ou pas, les robots sur scène suivent des critères dinteraction sociale. Dans la
meme lignée, des études [117] montrent comment la créativité globale saméliore
lors des interactions avec des robots sociaux. Revenant aux exemples précédents,
il est important de comprendre que le fait de créer des projets artistiques avec
des robots sociaux inspirés par la figure de Gakutensoku pourrait éventuellement
apaiser les craintes technocentriques actuelles sur la robotique, afin de
faciliter leur acceptation. Alors que les humains se comprennent mieux grâce aux
developpements dans les sciences cognitives, la figure du robot devient
également plus complexe. Dans [101], Duffy soutient que peut-être le la version
synthétique numérique mécaniste de lhomme ” nest quune représentation de
lidée de lhomme. Dautres études [5], [77], [123] considèrent les robots de
type humain les meilleurs outils pour identifier quel type de comportement et
dactions sont perçus comme propres à notre espace et importants pour notre
developpement. Reste à comprendre quel comportement et attitude nous attendons
des robots en situation de représentation. De même, le langage corporel et le
comportement pourraient compenser les éventuels effets détrangeté causés par la
manque des expressions faciales des artefacts [124], de la même manière que les
modèles dynamiques [125] aident à identifier les affects humains dans le
mouvement. Puisque la communication tactile a un contenu informatif proche de la
communication visuelle et vocale, les usagers recherchent naturellement
linteraction par le toucher et sattendent même que un jour les robots
dapparence inanimée peuvent répondre à leur stimulation tactile [17]. En
conséquence, de plus en plus de roboticiens conçoivent des dispositifs
didentification par le toucher, sur toute ou presque toute la surface du robot
[126], également définie comme peau artificielle” [127]. Plusieurs types
dinteractions corporelles qui font appel à ce type de stimulations tactiles,
contribuent à une meilleure perception des robots [15][17]. Même si peu de
robots que jai mentionné, ont été délibérément conçus pour ce type
dinteraction tactile, cet aspect a été intuitivement abordé dans certaines
œuvres dart [66], [99], [128]. Concernant linteraction physique, alors que la
majorité des oeuvres (82%) impliquent une certaine forme dinteraction
physique(29 %) ou de toucher (53 %), le type de contact avec le corps entier
prévalait (41 %), suivi des contacts ponctuels (20,5 %) et des contact avec les
membres (12%). Dans cette mesure, la mise en œuvre des concepts de neuroscience
comme le schéma corporel ” chez les robots peut augmenter leurs capacités
dinteraction. Les recherches dans [49] soulignent limportance de ce concept
dans la planification et le contrôle de mouvement. Quant aux technologies
employés : 24 % impliquent des téléopérations, 14 % divers types de logiciels
commercialisés, 6% de biotechnologies tandis que 56% sont des solutions sur
mesure. Ainsi mieux developper la mobilité des robots pourrait nous aider à
comprendre des concepts paradoxaux comme celui de ghost in the shell ”, de
létrangeté sociale ” ou le syndrome de Frankenstein ” expliquant comment la
peur et la fascination pour les robots coexistent dans notre imaginaire, quelle
que soit leur apparence et comportement. Alors que 62 % des robots et appareils
robotiques sont conçus exclusivement pour les artistes, 20% sont personnalisés à
partir des robots industriels et le reste de 18% sont des robots industriels
très peu modifiés. [101] suggère quune fois que les robots domestiques
progressent du statut outil à celui de compagnon au travers différents
environnements et contextes comme lart, leur rôle et leurs interactions
changent aussi sensiblement. De plus, daprès [129], plus les caractéristiques
corporelles sont des copies identiques du fonctionnement humain, plus les robots
sont jugées comme autonomes et adaptifs. Dautre part [130] illustre comment
lapparence humaine peut contribuer à induire des sentiments négatifs chez les
utilisateurs. Des catégories comme "incarnation de lorganisme" [52] où la
cognition se produit dans toute organisme et "incarnation de lorganisme" [52]
où la cognition ne peut se produire que dans des corps vivants, amplifient le
débat sur lincarnation la plus optimale concernant les robots. En sappuyant
sur les aspects technologiques des représentations du corps, les chercheurs
espèrent identifier quelles propriétés du schéma corporel biologique que nous
avons mentionné plus tôt, pourraient être transférés aux robots pour les rendre
plus adaptatifs et résilients (certaines études comme [131], [132] relient ces
propriétés à laisance collaborative41). Daprès [128], toute morphologie peut
conduire à différentes perceptions de causalité et dintention, tandis que le
mouvement est considéré comme un facteur prioritaire dans le perception du
comportement et de lautonomie dun agent [19]. Parmi les œuvres mentionnés, 38
% sont des dispositifs robotiques mobiles, oeuvrant sur des surfaces scéniques
denviron 100 m2 pour 35% dentre eux, plus de 500 m2 (tout en se produisant
dans les rues et divers espaces non-conventionnelles) pour 9% des cas et moins
de 5 m2 pour 56% dentre eux. Cette majorité de robots mobiles qui interagissent
dans de petites surfaces, souligne la necessité dun contact étroit avec les
robots. Néanmoins, cette zone dinteraction varie de plusieurs centimètres (dans
le cas du "The Blind Robot" par exemple) à plusieurs milliers de milles lorsque
le robot voyage avec des gens (comme dans le cas de "HitchBot") - révélant la
proxémie (proxemics) comme un facteur important qui pourrait influencer
àlavenir les interactions H2R.
Pour linstant les androïdes hyper réalistes ont une base fixe et ne peuvent pas
encore se déplacer, en attendant que les technologies émergentes impliquant de
la MoCap et les alorithmes qui favorisent la marche, sont intorduits à leurs
capacités. Dans une étude [133] impliquant deux robots Wakamaru, les chercheurs
ont employé la distance sociale comme indicateur pour comprendre lacceptation
des robots par des utilisateurs. Les résultats confirment que lexpérience
utilisateur peut être améliorée lorsque le robot superviseur est proche et le
robot subordonné est distant par rapport à lutilisateur. Chose intéressante et
le fait que, loin des prédictions initiales, les performances des participants
semblent se détériorer lorsque le robot est trop proche, quelle que soit sa
distance daction. Évidemment ceci est un étude scientifique dont lobjectif est
loin de celui des œuvres artistiques, où, au contraire, un contact proche peut
renforcer la complicité entre les interprètes et les robots, du moins du point
de vue des spectateurs. Puisque les espaces où linteraction a lieu lors de ces
performances ou installations varient de plusieurs mètres ("Helpless robot") à
des centaines de mètres carrés mètres ("My Square Lady"), il me paraît que
linteraction renforce le sentiment de complicité avec les robots, à condition
que la convention artistique soit adaptée en fonction de lobjectifde lœuvre,
le thème et son contexte de la représentation. B. Limites Un aspect important
confirmé tout au long de cette enquête est que très peu dinformations (41%) ont
été fournies sur la stratégie de contrôle et les spécifications de sécurité des
robots employés lors des performances artistiques. Des oeuvres utilisant des
robots industriels qui ne sont pas certifiés pour lévaluation des risques,
mettent la vie des artistes et des spectateurs en péril. Ainsi cest important
de mentionner que lindustrie du divertissement sadapte partiellement à ces
règles et réglementations, tandis que les robots industriels doivent se
conformer à des procédures de sécurité très strictes. Lorsquun robot est
employé lors des événements largement diffusés, comme par exemple lors du
concours Eurovision en 2016 le chorégraphe Fredrik Benke ”Rydman a du
respecter un cahier de charges et des restrictions importantes. Pareil pour la
Tournée Timeless ” de lartiste internationale Mylene Farmer en 2013. La
distance entre les interprètes et le robots est très grande. Plus récemment, des
normes comme lISO/TS 15066 et lISO 102101845 qui assurent la cohérence des
caractéristiques essentielles telles que la sécurité et la fiabilité des cobots
devient très importante pour les contextes de travail en dehors de lindustrie.
Avec 53% des robots ou dispositifs robotiques étant le moteur de linteratcion
et 15 % supplémentaires ayant à la fois le rôle de suiveur et de leader dans les
œuvres dart, il est important de prendre en considération les procédures de
sécurité et les contraintes techniques de déploiement des robots dans des
environnements complexes. Jaimerais également souligner que même si les robots
jouaient un rôle principal (76 %) dans le cadre de lœuvre dart, la plupart des
rôles de leader/suiveur qui leur étaient assignés étaient en fait des
interactions simulées, bien répétées à lavance, prouvant que les technologies
actuelles sont moins performantes que ce que les humains imaginent. Lorsque jai
mentionnés au début de cette analyse les craintes au sujet du potentiel
destructeur de la technologie et la maniere dont cela va modifier nos vies il
reste toujours lespoir quune sécurité et éthique renforcée sont les facteurs
clé pour améliorer limpacte de la technologie sur nos vies, commencant par les
projets artistiques. En conséquence, les perspectives enrichissantes de la
nouvelle robotique, lIA et les capteurs intelligents, accompagnées dune
éthique interdisciplinaire forte [119], [134] [130], apporteront à la création
artistique des raisons dappassement quant aux préoccupations actuelles
concernant la sécurité et les risques, tout en améliorant les possibilités
dinteraction non simulées, en temps réel. C. Perspectives futures dans les
technologies robotiques émergentes Cet état dart orientée autour de
linteraction homme-robot en contact proche releve à quel point les artistes ne
sont peut-être pas conscients des subtilités technologiques actuelles
développées dans les laboratoires, dont certains déjà déployés dans les
industries. Ils ne soint moins au courant des certifications appropriées en
matière de cobotique et de sécurité. En absence dune méthodologie officielle,
les artistes invités à exploiter le plein potentiel de la technologie, décident
de lutiliser avec parcimonie. Cest le cas de chorégraphies de renommée
internationale comme le Suédois Pontus Lidberg ou la Canadienne Isabelle Van
Grimde qui ont développé des projets utilisant des algorithmes en machine
learning (ML), autour des rencontres entre une intelligence humaine et une
artificielle sur scène. Comprendre les effets de la proximité et lutiliser avec
justesse dans robotique reste un défi et au moins pour lart les possibilités de
création sont infinies. A travers cette synthèse, jai tente fournir une liste
non exhaustive de ces possibilités, ainsi que de possibles convergences entre
plusieurs domaines et leur lien avec lindustrie, une fois que des prototypes
attirent lattention des scientifiques. De même, les artistes pourraient
utiliser des techniques de reconnaissance des émotions issues des neurosciences
et de la psychologie cognitive. Des capteurs physiologiques comme la reponse
galvanique cutanée (GSR), lélectromyographie (EMG), la fréquence de la
réspiration (RR), la fréquence cardiaque (FC) et lélectroencéphalographie (EEG)
peut être portés et utilisés par les artistes pour fabriquer des robots
conscients des émotions des artistes et construire une œuvre interactive à
partir de ces bases. Des domaines comme la robotique de développement
élargissent notre compréhension de phénomenes tels la synchronie [135] pour
mieux décoder des signaux non verbaux appropriés quand les robots doivent
intégrer des éléments externes pour intéragir avec les humains.
V.CONCLUSION Cette analyse révèle que les attentes et les angoisses envers les
robots sont également présentes dans les œuvres dart robotiques, quel que soit
de leur thème, leurs contraintes techniques ou leur design. Dans nos écosystèmes
sociaux complexes, il nest souvent pas facile de distinguer les raisons qui
génèrent lun ou lautre. Quant à lexemple du HitchBot, aprés lanalyse des
denriers données le concernnat, ses créateurs nont pas pu déterminer pourquoi
le robot a été démantelé. Ils ont décide darrêter le projet et ne pas réparer
HitchBot. Peut-être des prochaines études sociologiques ou anthropologiques
pourrait determiner si sa destruction a été causée par un acte inconscient de
peur de la part de quelquun qui ne voulait pas comprendre les robots. Certes
est quà la fin du XXIe siècle, lArt et la Robotique vont entreprendre des
transformations majeures, laissant place à limagination quant à leur possible
relation et impact dans nos vies. Dans [142], les autheurs affirment que
lintelligence originaire des primates a évolué pour résoudre des problèmes
sociaux et seulment plus tard a été étendue à des problèmes extérieurs du
domaine social comme la technologie. Depuis il est important de se rappeller que
lintelligence du robot est "conçue et exploité dans la mesure du possible pour
se conformer aux lois, droits fondamentaux, libertés, y compris de la vie privée
” [6]. En réfléchissant à ces questions, les roboticiens, les artistes et les
universitaires posent les bases dune éthique envers les machines [120] pour que
"des robots personnifiés et dautres systèmes informatiques incarnés peuvent
représenter une nouvelle catégorie ontologique. ” Pour cela [134], concevent les
humains, pas les machines, comme le principal agents responsables dans
léquation. Compte tenu de ce principe éthique dans lévolution de
lintelligence, applicable à la fois aux systèmes naturels et artificiels [142],
jimagine avec impatience la contribution de la robotique sociale et de lart à
la culture générale. Si les artistes inspirent le développement de la robotique
ou l inverse, les deux disciplines continueront de surprendre nos attentes pour
lors des prochaines années. Tout au long de cette analyse,jai eu tendance à
croire que les robots pourraient trouver à travers lart, une condition
indomptée ” [8] avant leur conception humaine. Idéalement notre relation avec
eux pourrait saméliorer à laide dexpérimentations artistiques centrés sur
linteraction de contact proche ainsi que le toucher [143]. Puisque les robots
ne sont pas capables dintentions jusquà présent, nous ne pouvons que espérer
mieux nous comprendre [144] nous-mêmes en tant quespèce, en les observant eux nous imiter.
\chapter*{Conclusion de la partie I}
\addcontentsline{toc}{chapter}{Conclusion}
Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. Sed eget erat tortor. Mauris iaculis congue nibh ac sollicitudin. Aliquam aliquam velit eu aliquet tincidunt. Vestibulum lacus ipsum, feugiat at feugiat id, auctor quis nisl. Maecenas ultricies sagittis convallis. Curabitur at velit ut odio condimentum fringilla. Ut consequat eget arcu vitae pharetra. Pellentesque quam quam, luctus at ipsum non, accumsan ultrices ipsum. Integer dictum, leo et ornare viverra, enim massa tristique est, aliquam porta odio arcu non lectus. Maecenas posuere, ante sed congue blandit, nisi quam aliquet enim, in vehicula eros metus vitae quam. Nam lacinia malesuada lorem, at mattis risus mattis interdum. Nullam ac sapien nec quam ultrices dictum vitae eu erat. Curabitur a leo a lorem mollis volutpat. Duis volutpat porta nulla in convallis. Mauris sed accumsan nisl, ac efficitur nisl.