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\chapter*{Introduction Générale}
\addcontentsline{toc}{chapter}{Introduction Générale}
\markboth{Introduction Générale}{Introduction Générale}
\textit{Il paraît que ça passe par le corps, mais par un corps qui aurait tout juste commencé à sindividuer, et qui nen finirait pas dindividuer en lui quoi, au juste ? des lieux, ou des foyers de sensibilité, des êtres : à force dêtre nommé de tant de façons, ça finit par exister.}
C. Bottiglieri
Au croisement entre danse et robotique, ce projet de recherche-création vise à construire des installations performatives qui portent une réflexion sur les formes de conscience artificielle (CA) et leur lien avec la créativité. À travers l'expressivité du corps organique du danseur et les principes d'embodied cognition du corps mécanique des robots, notre objectif est de confronter le réel aux limites de la perception, afin d'en dégager une écriture plurielle hybride où l'homme sappuie sur la machine pour mieux se connaître et mieux anticiper ses projections dans cette relation. Ainsi ce projet de thèse- Danser avec les robots : le corps performatif et la « conscience artificielle »- traite des interactions homme-robot dans des contextes artistiques. Doctorante invitée au Laboratoire d'informatique, de robotique et de microélectronique de Montpellier (LIRMM), jai eu l'occasion danalyser les possibilités dinteraction artistique dun robot humanoïde HRP-4 ainsi que de comprendre le fonctionnement dun robot QT, un robot Pepper et un bras industriel Franka. Ayant la création comme activité de recherche, le projet est centré sur un travail transdisciplinaire qui consiste à imaginer différentes possibilités d'interaction physique avec des robots utilisés dans la recherche. Dans une démarche scientifique, je cherche à théoriser cette pratique de danse avec des machines en mettant les bases dun langage chorégraphique inédit influencé par des pratiques somatiques et par ce que la littérature appelle ``la pensée du corps” ou la ``conscience du mouvement”, proche des écrits et dexpérimentations des artistes tel Anna Halprin, Deborah Hay, Nadia Vadori-Gauthier et Lia Rodrigues, parmi autres.
Mont postulat part de ce que Hubert Godard identifié comme ``des mythologies du corps en mouvement”, en espérant identifier leur contrepoids technologique dans les robots du laboratoire LIRMM:
``Chaque individu, chaque groupe social, dans une résonance avec son environnement, crée et subit ses mythologies du corps en mouvement, qui façonnent ensuite les grilles fluctuantes, conscientes ou non conscientes, en tout cas actives, de la perception. La danse est le lieu par excellence qui donne à voir les tourbillons où saffrontent ces forces de lévolution culturelle, qui tend à produire et en même temps à contrôler ou même à censurer les nouvelles attitudes de lexpression de soi et de limpression de lautrui.”
Le chercheur et analyste en danse fait appel au concept de pré-mouvement comme langage non conscient de la posture:
“Tout un système de muscles dit gravitaires, dont laction échappe pour un grande part à la conscience vigile et à la volonté, est chargé dassurer notre posture; ce sont eux qui maintiennent notre équilibre et qui nous permettent de nous tenir debout sans avoir à y penser. Il se trouve que ces muscles sont aussi ceux qui enregistrent nos changements détat affectif et émotionnel. Ainsi, toute modification de notre posture aura une incidence sur notre état émotionnel, et réciproquement tout changement affectif entraînera une modification, même imperceptible, de notre posture.”
Parcours et contexte
Cette thèse en danse et robotique confirme mon parcours pluridisciplinaire à la rencontre des arts et de la science. Titulaire dune diplôme en ingénierie de systèmes à lEcole Polytechnique de Timisoara et dun master en phénoménologie de la religion à l'Université de lOuest Timisoara en Roumanie, je suis arrivée en France pour poursuivre des études en art, notamment un master professionnel ``Mise en scène et dramaturgie” à l'université Paris Nanterre. En parallèle avec mes études, jai intégré des ateliers et stages de professionnalisation avec Mathieu Bauer, Ricci Forte, Silvia Costa, Odin Teatret, le Théâtre du Soleil ainsi que des résidences de création autour du numérique, en participant à l'atelier La Scène numérique, mené par Robert Faguy aux Laboratoires Lantiss de l'université de Laval à Québec. Lors de ce séjour au Canada, nous avons travaillé sur les nouvelles formes performatives et l'usage de la technologie dans le spectacle vivant. Cela ma permis dimaginer ce projet de recherche-création orienté autour des robots et leur impact sur scène. Après ma formation en mise en scène, jai travaillé comme assistante de Heiner Goebbels pour son ``Anthology of Sounds \& Spaces" à Bogota, ainsi qu'interprète et assistante à la mise en scène pour Michel Cerda pour son spectacle “La Source des Saints” en tournée en France entre 2018 et 2020. Jai également mis les bases de la compagnie Desiderate, imaginée comme laboratoire d'expérimentation artistique.
Nayant pas eu une formation conventionnelle en danse, mon approche sinspire de techniques et disciplines variées ainsi que des rencontres faites tout au long de projets. Pour construire des séquences de mouvement adaptées à des besoins artistiques, je mappuie sur les mouvements naturels du corps et de son vécu, proche de ce que des autres praticiens ont défini comme éducation somatique, pensée du corps et intelligence sensorielle. Loin des critères esthétisants, mon objectif est de chercher des mouvements inspirés par le vécu somatique du corps, identifier lendroit et le moment où son ressenti et son autonomie engendrent de la créativité pour performer sur scène. Depuis 2014, je me forme à la danse à travers des stages de Gaga avec Ohad Naharin et Batscheva Dance Company, buto avec Atsoushi Takenouchi, des techniques ViewPoints, Body Mind Centering, Feldenkrais, mime corporelle et OpenFloor Medicine. Dans le cadre de ce doctorat jai eu loccasion d'intégrer plusieurs sessions de travail dans le studio de danse de la chorégraphe française Mathilde Monnier. Pendant ces résidences, lors de laboratoires et des sessions d'expérimentation autour du corps, je cherche à développer ma présence, mon ancrage, ma spontanéité et réactivité. Ayant un intérêt particulier pour les expériences phénoménologiques et les processus dindividuation, j'intègre ces concepts dans des projets performatifs arts/science dont la démarche se situe entre la dramaturgie du corps et les nouveaux médias.
\textbf{Desiderate}
L'idée de travailler avec les robots et interroger leur potentiel créatif est venue pour continuer mes envies de recherche et d'expérimentation avec la technologies au sein de la compagnie DESIDERATE dont je suis la directrice artistique. Créé en 2015, Desidératé est un lieu de rencontres pluridisciplinaires, un rassemblement dartistes œuvrant dans différentes disciplines - la danse, le théâtre, les arts numériques. Depuis 2017, la compagnie a été accueillie en résidence à Anis Gras-le lieu de l'autre à Arcueil pour le projet jeune création Les sept Princesses” de M. Maeterlinck et le projet danse et nouvelles technologies “En attendant que la vie passe…” . Je suis également artiste résidente au DOC! dans Paris 19éme où jai participé à la création des projets performatifs “Ne pas penser quau fond de moi cest Hiroshima et “Jai décidé de plus me laver” en tant que membre fondatrice du collectif C.B.F.
textebf{Interroger le réel par les nouveaux technologies}
A partir des laboratoires d'expérimentation et de création des formes hybrides qui interrogent notre expérience du réel, le dernier projet de la compagnie- ``En attendant que la vie passe…” (2019) a été labellisée lors de la saison croisée France- Roumanie, organisée par l'Institut Culturel Français. Ce spectacle prend comme point de départ ``La Métamorphose>> de Franz Kafka où un employé en burn-out vit avec ses parents et sa sœur, sans trouver une issue à ses malheurs. Un matin il se réveille avec lapparence dun insecte, dans limpossibilité physique daller au travail. Son patron vient le chercher à la maison. Impuissants et perdus face à cette situation, les membres de sa famille lenferment dans sa chambre, puis le négligent jusquà sa disparition. A travers les corps, les gestes et la danse, les spectateurs sont plongés dans un univers dystopique marqué par labsurdité de travailler dans une société où tout fonctionne autour de la rentabilité et où les compromis étouffent lenvie de vivre. En contrepoint, le sentiment dautodérision et le rire apparaissent comme une réponse légitime à des questions existentielles sans réponse. Par lusage des nouvelles technologies, nous avons cherché à actualiser lécriture de Kafka à l'ère du numérique rapprochant la figure de linsecte à celle de drone. Lorsque des androïdes et robots humanoïdes satisferont nos fantasmes dimmortalité, nos corps seront remplacés par des dispositifs robotisés, drones, prothèses bioniques etc. Dans ce contexte nous semble important de confronter le corps à ses propres limites, à lépuisement.
Le laboratoire de robotique et microélectronique de Montpellier (LIRMM)
En mars 2021 je suis arrivée au Laboratoire d'informatique, de robotique et de microélectronique de Montpellier- LIRMM-, sous lencadrement de prof. Abderrahmane Kheddar de l'équipe Interactive Digital Humans (IDH) pour étudier les robots humanoïdes. Initié dans les années 2000, le Humanoid Robotics Project (HRP) est un projet de développement des robots conçus pour collaborer avec les humains, parrainé par le ministère japonais de l'Économie, du Commerce et de l'Industrie (METI), dirigé par Kawada Industries et soutenu par l'Institut national des sciences et technologies industrielles avancées (AIST) et Kawasaki Heavy Industries. Aboutissement d'une décennie de R\&D, le HRP-4 est l'un des humanoïdes les plus avancés dans sa gamme, connu pour effectuer des mouvements remarquablement naturels. Cependant le niveau de programmation de ce type de robot est très complexe. Dabord il nécessite des connaissances préalables en langage C++ ou Python et Linux, ensuite la maîtrise de interfaces comme ROS, MCRTC et GitHub.
\textbf{Le projet artistique Co-évolution, Co-création et improvisation Homme-Machine (CECCI-H2M)}
Le CECCI-H2M est un projet interdisciplinaire et international conçu sous la forme dune coopération scientifique et artistique. Il entend explorer des modes de transcription artistique de concepts tels que la co-évolution comportementale, la co-création et limprovisation chorégraphique autour du thème de la dépendance/co-dépendance entre des humains et des entités artificielles (robot ou système virtuel évolutif). Il interroge la manière de mettre en place des relations de symbiose entre des systèmes en interaction, afin quils puissent cohabiter ensemble. Jai travaillé en tant qu'ingénieur détudes de ce projet en 2021 et 2022. Ma mission a été dinterroger la manière de représenter une relation de co-création sur scène à travers une performance entre un danseur, un Robot HRP (Humanoid Robotics Project) et un Ecosystème Virtuel Evolutif (EVE) qui les entoure.
Le projet a bénéficié de plusieurs étapes de résidence au Centre des Arts dEnghien-les-Bains. En juillet 2021, lors de notre première phase du projet, nous avons travaillé avec une version simplifiée du robot -une animata Arduino construite pour des déplacements aléatoires dans lespace. Cette étape nous a permis de tester linteraction avec un prototype doté dun comportement involontaire. Lors des improvisations sur le plateau, nous avons cherché un terrain d'entente entre lintelligence du corps humain, la réponse du corps machinal de lanimat et la réactivité de l'environnement virtuel. L'influence de ces éléments artificiels sur lexpression corporelle du performeur, ainsi que les mouvements de lanimat, sa fragilité et sa dimension réduite, ont provoqué une interaction instinctive, en marge dune construction rationnelle basée sur de la réciprocité.
Quelques mois plus tard, la deuxième phase du projet nous a permis de projeter les mouvements du robot virtuel HRP-4 sur la performeuse afin de tester une forme de mimétisme gestuel et aussi dapprofondir les concepts d'altérité et dautonomie des dispositifs robotiques. Les qualités de “sauvage” ainsi que la notion d “Umwelt” ont accompagné cette recherche artistique. Après quelques tests avec le robot virtuel, nous avons pu constater à quel point le virtuel reste une manifestation mystérieuse qui suscite limagination des artistes. Cela nest possible qu'à partir de l'interprétation du virtuel comme une altérité, un différent, en manifestant une autonomie sensible à la perception du performeur. Cela nous a également permis de réfléchir aux contraintes suite à lintégration des éléments virtuels et réels dans un projet performatif. Comme une négociation entre les solutions software et les dispositifs hardware, lillusion du réel versus limaginaire virtuel et la place que chacune de ces dimensions occupe sur le plateau, représentent une phase importante de notre projet.
Lors des prochaines étapes du projet, nous avons mis l'accent sur la spécificité du robot HRP-4. Pour sa programmation, jai dû d'abord étudier ses mouvements mécaniques, leur potentiel artistique en termes d'expressivité, de contraintes et de libertés. Leffet de présence dun robot humanoïde sur scène a suscité des questionnements en lien avec l'altérité de sa figure mécanique et le concept de uncanny produit par ses mouvements remarquablement naturels. Les différences entre l'organicité du corps humain et l' artificialité du robot deviennent une source dinspiration, voire une matière à détourner, pour imaginer de nouvelles formes décriture corporelle en vue dune improvisation performative entre les deux.
En 2022 le travail de programmation du robot HRP4 a été réalisé en deux temps. Dabord une familiarisation avec les systèmes MoCap utilisés par l'équipe du laboratoire et l installation de plugins qui nous ont permis que les séquences de mouvement soient simulées avec le robot virtuel. Ensuite, des tests avec le robot HRP réel ont été réalisés en mars 2022. Ces tests ont facilité la mise en place dune séquence de mouvements sur une chaise. Ce choix de faire s'asseoir le robot sur la chaise est le résultat de nos réflexions sur les contraintes d'équilibre du robot, lors des séances d'improvisation. La réalisation la plus simple, pensée avec les ingénieurs de l'équipe de prof. Kheddar, a été l'organisation de ces séquences dans de programmes de type F.S.M (Finite State Machines) qui permettent une meilleure organisation des transitions entre différentes postures.
Ainsi jai pu créer des simulations de séquences de mouvements sur un robot virtuel comme hypothèse de recherche pour une chorégraphie mimétique. Dans un premier temps, jai décidé de rapprocher la figure du robot à celle dun danseur de slow, réalisant quelques tests dinteraction réelle avec la version physique du HRP-4. Ensuite jai effectué un travail de gestes inspirés par les postures de dirigeants politiques, pour voir dans quelle mesure les postures de pouvoir sont incarnées par des gestuelles et non par des attitudes. Le pouvoir que nous leur désignons est parfois le pouvoir de fascination que leur potentiel exerce sur nous, sans s'en rendre compte. Dans cette configuration centrée sur la fascination d'un objet inanimé, nous avons voulu comprendre dans quelle mesure le mouvement et les gestes dansés deviennent vecteurs d'influence.
Une autre séquence de mouvements a été préparée pour la troisième résidence de création au Centre des Arts dEnghien Les Bains. Pour cela, jai codé une séquence de mouvement sur la chaise qui dure approximativement 2 minutes. A lintérieur de cette séquence, les états sont enchaînés selon une règle inspirée par la quatrième itération de lalgorithme de la courbe du Dragon. Pour correspondre aux quatre postures choisis initialement, nous avons opéré une conversion entre les états de la courbe du dragon et les états F.S.M. Pour la performance ``Le mythe de l'Immorta" présentée lors de notre sortie de résidence, un travail de synchronisation avec les sons produites par Hui-Tin Hong a été fait ultérieurement. Une autre s``équence de code, cette fois en montrant le robot commencer à applaudir a été rajoutée. Ainsi le robot virtuel est apparu dans deux moments différents de la performance- au départ sur une chaise pour présenter sa danse et à la fin début pour applaudir les spectateurs. Le rythme de certains mouvements a été modifié pour correspondre avec la musique. Une pause de six secondes a été introduite dans la séquence pour marquer un moment darrêt: le robot virtuel tourne sa tête pour regarder le public. Ce geste a été interprété par les spectateurs comme une façon d évaluer la danse des performeuses.
\textbf{Le robot comme possible partenaire sur scène}
Le robot en tant qu'objet scénique est à la fois un élément contraignant de notre recherche-création, à la fois il suscite de nombreux fantasmes et projections. Nous avons tous interagit d'une forme ou une autre avec une machine intelligente dans nos vies privées, cela n'a pas empêché notre curiosité se déployer encore plus et s'imaginer ce qu'il pourrait se passer le jour où un robot sera autonome. Au moins sur scène, lieu d'expérimentation de toute possibilité, nous essayons de comprendre dans quelle mesure son corps dévient performatif. Mon rôle est d'imaginer une interaction improvisée avec, de solliciter dans mon corps autant que dans le sien des possibilités de convergence et d'expression artistique. Le moyen dexpression choisi est la danse, vu comme écriture corporelle et langage non-verbal. Ainsi pendant deux ans, j'ai eu l'opportunité de l'observer de loin et de prêt chez lui, dans son laboratoire. D'imaginer et préparer des séquences de danse avec. Ensuite j'ai appris petit à petit à le programmer pour lui permettre de s'exprimer. Dans ma quête sur lautonomie de lartificiel, la notion du “sauvage” a été évoquée en marge d'une construction consensuelle dinteractions Homme-Robot. Cette notion désigne le fait quun robot doté dautonomie pourrait être non apprivoisée sur scène, et que le performeur y verrait une perte de contrôle pour arriver à un compromis cognitif, tel un terrain d'entente, entre sa créativité, son intuition et les “réactions” du robot.
Résidences dessai et laboratoires d'expérimentation
En parallèle, des autres moments de recherche en écriture corporelle sont possibles grâce à la mise à disposition du studio de répétition de la chorégraphe Mathilde Monnier à Montpellier. Une recherche sur le lien entre son et mouvement a été mise en place pour continuer les expérimentations Arduino précédentes. Ainsi avec laide du logiciel PureData nous avons créé un prototype de capteur EmG pour convertir le signal électrique des muscles en du son aléatoire. Ce prototype, testé lors dune résidence artistique à la Halle Tropismes a Montpellier, a été présenté dans le cadre du Module Pédagogique Innovant Objets Magiques, conçu en collaboration avec Isadora Télés de Castro pour le projet CECCI-H2M dans le cadre du dispositif Artec. Des laboratoire de recherche inspirés par mes expériences déducation somatique ainsi que par lutilisation des techniques de shaking, constituent une boîte aux outils pour rechercher une corporéité autre sur le plateau.
\textbf{Champs de recherche}
Champs de recherche
Dans les expériences de réalité augmentée, ainsi que dans les états de conscience altérée, nous expérimentons le réel d'une façon inouïe. Cependant aujourd'hui il nous est difficile de définir le concept du réel d'une seule et unique façon. Pour le psychanalyste Jacques Lacan, nous ne pouvons pas du tout définir ce concept car le réel soppose à la réalité et échappe à limaginaire. Pour Lacan, ``le Réel, cest ce qui est strictement impensable. (...) Le réel a un statut particulier, du fait que l'on ne l'atteint pas. Le réel est inaccessible." La conscience de soi, étudiée plus largement à partir des recherches phénoménologiques de Martin Heidegger, est un terme difficile à saisir et à interpréter. De plus, traduire cette expérience de la conscience à la réalité physique de la machine est un défi. Lors des projets entre neurosciences et robotique, plusieurs aspects de l'état conscient: l'autonomie motrice, l'attention, la mémoire, l'imagination ont été étudiés et modélisés dans des programmes informatiques, pour générer des systèmes type <<conscience artificielle>>. Par ce projet de recherche-création, nous aimerions travailler avec des robots capables d'auto-analyser, planifier et improviser leur comportement dans une situation d'interaction avec un performeur. Développer une CA dans un robot signifie donc concevoir un programme capable d'interagir avec le monde extérieur et avec l'humain pour que le robot puisse se construire des représentations dexpériences sensibles, voire subjectives, identifiées par les neurosciences cognitives comme qualia. Comme l'ont déjà remarqué les chercheurs de ce domaine, une CA doit pouvoir avoir la capacité d'éprouver le concept Dasein de Heidegger, ou tout simplement prouver du fait d'être là de manière subjective. Le chercheur Tom Ziemke, spécialiste dans la recherche de formes incarnées de conscience ou embodied cognition parle de la relation entre l'IA incarnée dans des dispositifs physiques et la biologie synthétique. Selon lui, un programme qui assure une relation entre le robot et son environnement via des capteurs et actionneurs, représente une forme d'IA incarnée. Son travail, inspiré par F.J. Varela, lie l'intelligence à l'état d'autopoïèse comme façon d'organiser la vie. Ziemke se demande si la conscience est essentiellement liée au domaine du vivant, ou si tout système autonome autoréférentiel est capable d'une forme de conscience.
Actuellement, les interactions multimodales (geste/visage/parole/toucher) sont les formes d'interaction naturelle homme-machine les plus abouties, l'appui central étant lextérieur de la machine, son corps. Pour Bruno Latour le corps humain est défini par sa relation avec lextérieur. Ce penseur démystifie le dualisme corps-intellect et parle de lapprentissage de l'intellect (et de la conscience) à travers les sens. Il utilise la métaphore de léducation des sens olfactifs pour illustrer ses propos. De façon similaire, Guy Hoffman, codirecteur du IDC Media Invention Lab, travaille depuis quelques années sur l'expressivité des robots. Il a intégré des principes de design graphique et de l'improvisation théâtrale afin de rendre ses robots plus humains par leurs mouvements et leurs gestes.
Parallèlement, des artistes comme Heiner Goebbels ou Aurélien Bory utilisent, dans des spectacles comme Stifter's Dinge (2007) ou Sans Objet (2009), les dernières technologies pour provoquer des expériences sensorielles et convoquer le réel sur leur plateau. Dans ``Sans Objet” par exemple, le performeur se retrouve devant un bras de robot industriel:
« En dehors de tout but, de toute fonction, la danse entre le corps de lhomme et celui de la machine donne lieu à un théâtre mécanique sur le terrain du sensible, entre la fragilité de lhumain et la puissance du bras métallique articulé. Placé au centre, au milieu dun vide, complètement sorti de son contexte industriel, le robot devient inutile. Et dans sa fonction perdue ne nous rappellerait-il pas la nature de lart : être absolument sans objet ?»
Plus précisément il danse avec et à côté du bras industriel pour trouver sa place. Alors que dans “Stifter's Dinge”, il ny a pas de performer sur scène, les cinq pianos de Heiner Goebbels deviennent les performeurs dune musique envoûtante. Chaque artiste dispose de son langage unique, de son propre univers. Il communique sa sensibilité par des mouvements, des sons ou des images laissant le choix d'interprétation au spectateur. De la même façon, un robot nest pas mis en scène, il y est sur scène avec les performeurs ou seul. Par ce fait, il permet au spectateur de composer sa propre histoire et de donner une nouvelle signification à lexpérience vécue, tout comme un performeur humain le fait.
\textbf{Le corps performatif à la lisière de pratiques somatiques et developpements technologiques}
Le corps humain en tant que sujet se retrouve à la lisère de plusieurs disciplines et paradigmes de notre société. Beaucoup de personnes font de la chirurgie plastique pour correspondre à des normes de beauté irréelles, d'autres pensent capacité augmentée et biohacking. Dans la quête du sens à lère de l'Anthropocène, le corps semble une coquille vide en attente de connexion avec d'autres objets connectés. Cependant la danse comme forme d'expression artistique est une pratique qui n'a pas beaucoup changé avec le temps. De nombreuses façons de danser liées à des formes expressives archaïques tels les rituels se sont recyclés en formes performatives artistiques. En cela la danse apparaît comme un geste qui résiste à lhistoire de notre civilisation et aux tendances du moment, les surpassant.
Pour interroger le corps performatif des machines, nous nous rapportons dabord au corps du danseur. Pour cela nous analysons les différentes postures que le danseur occupe dans l'histoire récente de la danse. Ces postures interrogent la place du danseur inspirés par des pratiques somatiques, celle du danseur libre ou libéré dans la danse postmoderne des années 70, celle du “danseur piéton” des performances du début de 21e siècle:
“Ainsi, les danseurs piétons incarnent une distance critique avec la norme du corps dansant, mais aussi de nouvelles poétiques du geste ; non entraînés, ils sont plus « naturels », leur geste est supposé plus authentique ou plus spontané. Plus encore, « non danseurs », ils appartiennent mieux au corps social, ils sont « plus dans le monde » que les danseurs normaux, plus imprégnés de la culture commune, et à ce titre « représentatifs » de nous-mêmes, leur public. La présence des corps piétons sur nos scènes serait donc par nature doublement subversive, sopposant dune part à des normes esthétiques du corps dansant et des œuvres chorégraphiques ; et dautre part, à lordre social qui prétend séparer les artistes des gens ordinaires, contribuant à transformer le monde en apportant les savoirs et lexpérience artistique à ceux que nos sociétés en priveraient. On aura compris que ces « corps piétons » ne sont pas piétons par eux-mêmes, mais en tant que contraste avec le corps normal du danseur : sans la référence à celui-ci, peut-être seraient-ils tout simplement invisibles.”
Nous rappelons les remarques dIsabelle Ginot sur lopposition entre un danseur piéton et un danseur virtuose (dans le sens danseur inscrit dans un courant esthétique), quelle désigne comme une fiction à double mythe : le mythe dun « corps naïf », en marge de toute convention esthétique en contradiction avec celui dun « danseur marqué par le stigmate de sa virtuosité>>. Cependant la catégorie « danseur virtuose » ou « danseur normal » ne peut pas correspondre à une réalité tangible puisque il nous paraît impossible de déterminer les critères selon lesquels un danseur de Cunningham, un danseur de Wim Wandekeybus, un danseur de Pina Bausch est le plus virtuose.
Notre recherche identifie les robots comme potentiels candidats à la catégorie de danseurs piétons. En occupant la scène contemporaine avec leurs identités polymorphes et leurs contraintes technologiques, nous essayons de comprendre comment les robots sociaux peuvent prétendre à un tel statut.
\textbf{Problématiques}
Nous partons du postulat que l'intelligence humaine dépend du corps et du mouvement et que «le corps a un rôle crucial dans la constitution de l'identité et la conscience de soi». L'interaction sensori-motrice d'un système peut déterminer son degré d'intelligence. En mettant en place des études inspirées par des découvertes en neuroscience et robotique, ce projet de recherche-création questionne les limites des ces interactions sur scène et leur impact sur des concepts tels que la CA et le corps performatif.
Si les robots nont pas encore manifesté une intention réelle pour faire de lart, les artistes les amènent sur scène pour raconter une histoire ou adresser des problématiques sociétales. Leur motivation et volonté de travailler avec des machines part d'un phénomène dactualité, pour préconiser des spéculations sur un avenir plus ou moins proche. Cependant la réception de ces œuvres a lieu indépendamment de leur propos, selon la sensibilité du spectateur ou son vécu mais aussi selon les contraintes que ce type de démarche implique (production artistique versus projet scientifique).
Revenons cependant à notre point de départ- le lien entre la conscience et le corps et leurs correspondants technologiques. Si lobjectif d'une CA est d'imiter le cerveau humain, faire danser des robots sur un plateau nous permet de vérifier si une conscience artificielle est seulement un état dans lequel la machine imite le comportement humain, ou si elle est capable dexpériences perceptives propres qui font émerger des nouvelles formes dexpressivité dans le performeur. Nous pourrions peut-être supposer que pour un robot, le fait de manifester sa sensibilité au monde revient au fait dêtre sur un plateau.
Confronter l'intelligence du corps du performeur à l'intelligence du fonctionnement du robot pour trouver, à travers des mouvements, une intelligence symbiotique de deux, ouvre de nouvelles formes de collaboration homme-machine. La danse et les éducateurs somatiques nous semblent alors des contextes appropriés pour interroger cette possibilité, sans attendre une réponse rationnelle, mais plutôt instinctive. Dans ce contexte, comment l'intelligence propre à la machine peut-elle être saisie par l'humain? Comment l'homme et la machine pourraient-ils se retrouver sur un terrain autre que celui de la pensée rationnelle ?
Ça ne peut pas s'expliquer, il faut le vivre pour le comprendre.
Les praticiens d'éducation somatique peuvent répondre, au moins partiellement, à cette question. Dans sa thèse, l'anthropologue Jeremy Damian explicite son initiation à des pratiques somatiques en tant que danseur amateur. Au-delà de ses réserves quant aux dérives sectaires de ce type de pratiques, il analyse les “pour” et les “contre” des théories sur le savoir empirique du corps, dans un contexte artistique. Ainsi Damian intègre un collectif artistique pour récréer un spectacle de danse à partir de la méthode Body Mind Centering. Avant dadopter complètement ces méthodes, il s'interroge sur la spécificité de la production des savoirs du champ somatique et leur légitimité en tant que science. Il sappuie sur les observations des autres chercheurs, tels Isabelle Ginot, pour illustrer la tendance de la parole somatique à faire de la spéculation scientifique :
``Détachés de leur contexte dincorporation (embodiment) les discours somatiques […] courent chargés des poids dinnombrables idéologies : le naturel (voire lanimal), le transcendant (voire le religieux), la différence biologique des sexes, les hiérarchies culturelles (...)Rarement, montre Isabelle Ginot, il est fait appel aux sciences pour introduire du doute ou situer les pratiques somatiques dans des controverses scientifiques. Plus encore, poursuit-elle, bien que lon espère de lui, le discours scientifique sera demblée confronté aux récits fondateurs de ceux qui sont à la base de ces pratiques et dont on hésite à les appeler des « inventeurs », des « découvreurs », des « créateurs » ou des « expérimentateurs »: « La perspective ultime du récit somatique, son point de fuite, cest toujours un récit somatique antérieur, dont le point dorigine indépassable serait lhistoire personnelle (la biographie ou autobiographie) du fondateur.”
Dans son article ``Que faisons nous et à quoi ça sert”, Ginot est cependant moins radicale, reconnaissant la difficulté de sa double posture (en tant que philosophe et praticienne dune méthode somatique) lorsquil faut justifier la apparténence scientifique à un autre domaine:
``Lorsquil sagit dintroduire ces pratiques dans un contexte institutionnel, notamment médico-social, cette difficulté est encore redoublée : non seulement la description de la pratique semble toujours insatisfaisante, non seulement elle arrive dans un contexte qui na aucune culture de pratiques corporelles comparables, mais encore elle doit être médiatisée par les professionnels, chargés de la retraduire auprès des usagers. Ce problème de ``communication”, selon le jargon interne à linstitution, nest pas le seul : la double question ``Que faites-vous, et à quoi ça sert ?” devient plus problématique encore lorsquelle est posée par les experts, ou sur le ton de lexpertise (notamment par les professionnels à qui de telles pratiques ont parfois été imposées, et qui ne les accueillent pas toujours très volontiers).”
Bien comprendre les nuances qui transforment les principes des pratiques somatiques en formes dart ou en science, implique savoir où et à qui sadresser pour mieux cibler son argumentaire. Pour Ginot, définir une méthode somatique comme une pratique holistique qui peut tout guérir, risque de discréditer la démarche scientifique des autres disciplines, alors que rentrer dans la logique spécialisée des professionnels de différents domaines, fragmente les objectifs de la pratique en la rendant adaptable à plusieurs enjeux et donc à aucun.
A ce point dans notre enquête, il nous semble outil de tenter une définition des pratiques somatiques en danse en retraçant un peu leur histoire.
Elles commencent au début du 20é siècle avec des formateurs tels Mabel Todd qui dans son livre ``The thinking body”, met les bases dune pédagogie et dune écologie corporelle qui sappuient sur létude concomitante de la physique, de la mécanique, de lanatomie et de la physiologie. En prenant appui sur les travaux scientifiques de son époque, Todd centre son analyse sur la place des principes déquilibre des forces dans léconomie corporelle et sur la détermination de la forme par la fonction, en tant que loi du développement organique”. Ainsi pour elle, lanalyse des rapports entre forme et fonction explique la forme, celle-ci en étant le reflet des principes mécaniques relayant les ``lois universelles” de la physique. Sa méthodologie est fondée sur des procédures de visualisation des images mentales, en amont de toute exécution du mouvement. Son objectif est dintervenir sur les mécanismes inconscients qui régissent la motricité en travaillant sur la représentation la plus précise du mouvement pendant que celui là soit accompli :
``Limagination libère de la puissance. Lorsquon apprend consciemment à se servir dimages motivantes pour conditionner les réactions motrices adéquates, il faut connaître précisément trois choses : où cela se passe, dans quelle direction et selon quel désir. Quand les conditions sont réunies, le mouvement peut avoir lieu. ``Ça bouge”, alors, exactement comme ``il neige”, ``il pleut” ou ``il grêle”. Les muscles obéissant instantanément à la pensée, laction adaptée survient. Le degré de précision et daisance sera fonction de la netteté de la réponse imaginée ou de son importance vitale ou non. Autrement dit, la pulsion émotionnelle ou ladhésion à une idée conditionne un type précis de mouvement, tout comme la condensation est lun des préalables importants à la pluie ou à la neige.”
Toujours sur les muscles en lien avec ses observations sur la forme, elle identifie le mouvement comme sensation globale analogue à la fonction des muscles pour expliquer la compréhension quelle a de cette partie du corps :
``We have no objective phenomenal experience of our muscles. All that we are aware of and can judge by our other senses is the movement as a whole, and our sensation of movement is therefore referred to the whole movement and not the individual muscles.”
Si à lépoque où Todd écrivait son livre, les muscles obéissant instantanément à la pensée, les dernières découvertes en neurosciences confirment que la plupart des opérations impliquées dans le contrôle de nos mouvements corporelles, comme la plupart des sensations qui initient un mouvement réflexe en particulier, sont de nature inconsciente. Doù vient alors cette pensée et comment des sens comme la proprioception sont en charge, autant des sensations de nos organes, que des fonctions régulatrices en lien avec les muscles. Par exemple, lorsque nous nous penchons en avant, nous faisons presque instantanément un mouvement en arrière afin de préserver notre équilibre. Comment comprendre cette vitesse avec laquelle opère notre corps pendant qu'il utilise des mouvements anticipateurs ? Tout cela sans que notre pensée le détermine. Que dire alors des processus d'apprentissage comme celui de la conduite auto ou d'un nouveau type de danse? Une nouvelle capacité motrice devient automatique une fois apprise et exécutée un nombre suffisamment des fois. Si la plupart dentre nous, nous ne sommes pas capables didentifier linstance de notre cerveau qui soccupe de ce type d'apprentissage, celui-ci a lieu dans notre corps, donc cest un processus organique constitutif de notre identité.
Pour le neurophysiologiste Alain Bertoz, la perception est une action simulée, nétant pas seulement ``une interprétation des messages sensoriels: elle est contrainte par laction, elle est simulation interne de laction, elle est jugement et prise de décision, elle est anticipation des conséquences de laction.“ Ainsi pour lui, les modèles internes de la réalité physique qui ne sont pas seulement d'opérateurs mathématiques mais des vrais neurones dont les propriétés sont accordés au monde physique. Analyser le mouvement du point de vue neurologique nous permet de mieux comprendre notre spécificité et les processus physiologiques ayant lieu à l'intérieur de nous:
``Lanalyse du mouvement permet donc de découvrir les solutions trouvées au cours de lévolution pour anticiper les conséquences de laction et simplifier le contrôle des gestes.”
Le plus que cette connaissance du corps humain sélargit grâce à des disciplines comme les neurosciences, le plus cest compliqué dadapter ces principes à des technologies. Par exemple en robotique le problème de degrés de liberté (ie le nombre darticulations dont un corps organique dispose) reste un défi pour les ingénieurs qui les désignent:
``Les centaines de degrés de liberté qui caractérisent lorganisation anatomique et dynamique du squelette de la plupart des animaux et de lhomme, auraient rendu le contrôle du mouvement impossible si au cours de lévolution nétaient apparues des mécaniques par lorganisation de la géométrie du squelette, mais aussi le nombre de degrés de liberté que le cerveau doit contrôler. Les roboticiens, qui à ce jour, ne sont toujours pas capables de réaliser des machines de la complexité du moindre insecte, savent à quel point tous les ordinateurs sont vite saturés, à la fois en capacité de calcul et en rapidité, par les quelques degrés de liberté des robots quils essaient de construire.”
Bertoz va plus loin quant à la complexité des systèmes vivants et à lintégration de ces principes dans des systèmes technologiques, en faisant référence au terme de synérgie:
``Le mot synergie vient de syn (ensemble) et ergos (travail). Ce concept a été proposé par Bernstein pour appuyer lidée que, le système nerveux ne peuvent contrôler toutes les degrés de liberté, lévolution a sélectionné un répertoire de mouvements simples ou complexes, que nous pouvons appeler “mouvements naturels”, et qui impliquent des groupes de muscles et de membres travaillant (ergos) ensemble (syn). Nous avons dailleurs mentionné plus haut les contraintes quexerce le squelette sur le nombre de mouvements possibles à chaque articulation. Ce répertoire nest dailleurs pas très large. Il suffit de contempler une danseuse pour constater lextraordinaire pauvreté du répertoire moteur dont elle dispose. Cest la combinaison dans le temps et l'espace de ces éléments et les jeux de partenaires qui font à la fois le génie du chorégraphe et la richesse expressive de la danse. “
Il nous semble pertinent dappliquer ce processus de synergie à notre façon de travailler, dans la mesure où cela va nous aider à mieux comprendre les incompatibilités des langages et des pratiques entre les différentes disciplines que nous adressons et leurs enjeux.
\textbf{Objectifs et enjeux du projet}
Ce projet cherche à établir des synergies entre des hypothèses sur lexistence de la CA et son impact sur la danse, par la mise en place des interactions robot-performer. Il vise une amélioration des capacités cognitives et interactives des robots en analysant l'influence de la créativité sur la perception humaine. Du point de vue de la danse et de la mise en scène, ce projet vise à travailler sur la simulation et le contrôle des fonctions motrices en programmant d'abord des robots virtuels, puis réels pour analyser et adapter leur mouvement au comportement du performeur. Le mélange des corps organiques et corps synthétiques aboutissant à de nouvelles formes de compositions et dinteractions scéniques, nous conduira à examiner en quoi et jusquoù les critères de lesthétique (pour l'art) et de la technique (pour la robotique) peuvent être transgressés.
Mon parcours professionnel est pluridisciplinaire: jai travaillé en tant quingénieur de systèmes, ayant obtenu en parallèle un master de phénoménologie et un master professionnel de mise en scène. Par le biais de mon activité artistique, je m'intéresse à la danse et plus spécifiquement au geste spontané à travers différentes techniques dexpression corporelle. Dans le cadre du dispositif Idefi CréaTIC, j'ai eu l'occasion dapprofondir les méthodologies d'analyse des mouvements de gestes avec des capteurs, lors du séminaire La scène numérique au Laboratoire Lantiss de l'Université Laval de Québec. Mon expérience d'ingénieur pour une multinationale française et mes connaissances en programmation Java Plateforme Eclipse et C++, mont permis de comprendre les outils et les interfaces utilisés dans le laboratoire de robotique où jai effectué mes recherches mais aussi danalyser la cinématique et la cinétique des mouvements humains avec des capteurs type PerceptionNeuron et XSens. Outre mon activité de création des spectacles, jai mis en place des partenariats pour des démonstrations déquipement de la robotique industrielle, en participant à des événements autour de l'Intelligence Artificielle. C'est ainsi que les enjeux sociétaux de la robotique sont devenus une source d'inspiration pour mes expérimentations artistiques. Mes projets de danse partent d'une recherche sur des gestes quotidiens, afin de raconter comment le corps est éprouvé par la technologie dont limpact pourrait ``robotiser” nos modes de fonctionnement.
Pour aller plus loin, ma démarche questionne lendroit où la danse inspirée par des pratiques somatiques et génératrice de gestes spontanés est un outil pour comprendre et saisir le réel de la technologie, dune façon sensible. Dans le cadre de cette thèse, ces éléments de mon parcours nous aideront à analyser si le fait de conférer à des robots la capacité de générer des mouvements associés à des sensations ou émotions, s'apprête à des expérimentations sensorielles artificielle ou pas. Plus particulièrement, un de mes objectifs est de voir comment la façon de représenter le corps performatif est traitée dans la robotique - par exemple en capturant des gestes spontanés avec l'aide des capteurs et en les implémentant dans des robots. Un enjeux plus complexe à mettre en place est celui de programmer des robots qui improvisent en direct leurs mouvements en interaction avec un performeur.
Couramment les algorithmes de machine learning (ML) apprennent ce que définit leur base de données. Il y a toujours un écart entre ce que les algorithmes apprennent à reconnaître sur demande et le comportement autonome que nous imaginons pour eux. Pour entraîner son programme de ML, il faut classifier et ordonner des données, l'accompagner dans le processus dapprentissage et interpréter ses résultats. Cependant le principe d'apprentissage non-supervisé incite les programmes à apprendre tout seuls, sans la supervision humaine. Reste à voir si dans les prochaines années un robot sera capable de développer des initiatives particulières, indépendamment de ses concepteurs. Dans son livre ``En attendant les robots”, le chercheur Antonio Casilli fait remarquer que dans un programme qui traite des données aléatoires pour trouver des solutions à des problèmes, les résultats sont surprenants quand il s'agit du caractère spontané de prédiction fait par celles-ci. Cela donne évidemment place à des réflexions éthiques. Pour le physicien et philosophe Alexei Grinbaum, les éventuelles dérives autour de l'IA peuvent être anticipés avec l'aide du hasard: ``les projections anthropomorphiques sont inévitables, parce que la machine imite l'homme et qu'elle apprend à partir des données que celui-ci produit. Elle est donc soumise aux biais et aux erreurs que ces données contiennent. (...) Faire du hasard une valeur, c'est permettre à la machine de se soustraire à cette posture morale et au jugement qui l'accompagne.” L'interprétation que nous donnons au concept de CA est pensée en lien avec ces réflexions éthiques. Puisque des disciplines tels la psychologie, la neurologie et les neurosciences ou la philosophie, narrivent pas à se mettre d'accord sur ce que le terme ``conscience” humaine désigne, imaginer son équivalent artificiel reste une simple projection artistique. Cependant les artifacts qui la contiennent, leur spécificité et capacités sont des paramètres que nous pouvons étudier de prêt en mettant en avant leur degré dintelligence et dadaptation, bien que ces termes selon le domaine où elles opèrent ont des significations spécifiques.
Dans le cas de lartefact ordinateur, un de ses avantages est sa grande capacité d'analyse de masses de données. Cependant l'accumulation continuelle des données, identifiée actuellement sous le nom de “big data”, pose des problèmes danalyse. Aucune machine n'est capable dinterpréter des données sans l'aide de l'humain qui configure les critères de l'analyse. Pour un concepteur, la phase où lalgorithme apprend puis sentraîne pour s'améliorer, reste opaque. Nous assistons à des comportements et phénomènes stochastiques de la machine et leur effet sur la compréhension de lhumain. Des concepts plus avancés comme lintelligence artificielle, font l'objet des débats et scissions au sein de la communauté de développeurs. Entre ce quil a été défini comme lIA symbolique et lIA numérique et la polarité entre ces approches exclusives déclarée dès ses origines- une alternative comme le concept d'intelligence extensive (IE) où ``Extended Intelligence” - vise l'amélioration des capacités humaines danalyse. Plus concrètement, en lieu dêtre en compétition directe avec l'intelligence humaine, l'IE cherche à la sublimer. Cette nouvelle discipline utilise l'erreur comme outil dapprentissage et intègre des principes de slow science pour permettre à l'humain de mieux analyser les données et coopérer avec la machine. En cherchant des analogies dans notre contexte particulier qui est le domaine de l'art, il est plus facile de se concentrer sur cet aspect de l'erreur comme outil d'apprentissage et donner place à l'expressivité de la machine.Les enjeux sont moins importants. Ainsi nous pouvons imaginer comment les robots peuvent influencer des nouvelles formes d'expressivité corporelle dans une performance, par la suite des accidents qui surgissent dans ce type dinteraction.
\textbf{Methodologie}
Tout travail de recherche-création sinscrit dans un parcours de croisement de disciplines et de pratiques. Dans notre cas, les disciplines sont elles-mêmes résultantes de plusieurs sous-domaines. Que cela soit le cas de la danse inspirée par des pratiques somatiques - elles mêmes originaires de rapprochements entre plusieurs domaines comme la kinésiologie, la biomécanique et l'ergothérapie- ou de la robotique -influencée par des disciplines comme linformatique, l'électronique ou la mécanique- nos démarches s'appuient sur des études en neurosciences, philosophie, arts et robotique. Le terrain de nos expérimentations varie entre des laboratoires et halles de robotique, des studios de danse et des lieux qui accueillent des dispositifs performatifs.
Pour faire dialoguer arts et science, nous avons mis en place une double méthodologie nécessitant une adaptation continuelle à des principes et des savoir-faire propres à chaque discipline. Des termes ou concepts appartenant à un domaine ont nécessité un travail dexplication quant à sa signification dans lautre. Pour témoigner de cette difficulté, prenons par exemple, le mot ``mouvement” au cœur de nos expériences pratiques. Ce mot a une signification très précise en robotique. Le mouvement dun robot implique un déplacement dans lespace, alors que pour la danse cela peut se traduire par des expérimentations perceptibles en étant immobile, à lintérieur de son corps pour les pratiques somatiques.
Notre processus de travail collaboratif artistique implique un ajustement constant a des envies, curiosités et contraintes technologiques. Tandis que le travail avec des ingénieurs est formel et nécessite des précisions concrètes.Pour définir nos hypothèses de recherche nous avons cherché à correspondre tant aux postulats de la robotique (avoir des caractéristiques mesurables et quantifiables dans une logique d'implémentation scientifique), quaux envies et intuitions artistiques qui visent un renouvellement de formes de la danse à l'ère du numérique.
Ainsi nous sommes rapprochées de l'intelligence kinésique comme expérience du mouvement au-delà de la compréhension corticale pour inventer des fictions sensor- motrices dans des robots. Plusieurs scénarios d'interaction ont été analysés et discutés avec léquipe de prof. Kheddar, Interactive Digital Humans. Face à la pensée cartésienne de lingénieur, lartiste peine à justifier son ressenti, son intuition. La créativité serait-elle un calcul mathématique, facilement paramétrable?
Similaire au ressenti des artistes-chercheurs en éducation somatique, jai dû faire le chemin inverse du repli sur soi pour mieux comprendre. Des mots intraduisibles pour justifier la nécessité de mettre en scène des robots, tels des pantins sur des fils invisibles. Ces pantins je les ai côtoyés de près, chez eux, dans leur laboratoire. Je me suis habitué à leur présence, à leur façon d'être manipulés et mis en veille lorsque létude scientifique prend fin. Reste à trouver le chemin du langage pour courter lécart d'incompréhension avec les ingénieurs et les ramener sur scène. Que deviendront-ils là-bas et comment cette expérience sera vécue à lintérieur de mon propre corps? Dans la pratique somatique des micro-changements opèrent pendant et après l'expérience. Le témoignage de Carla Bottigliari dan son article ``Les trames du fond : fabriques et usages des imaginaires somatiques” décrit très bien ce processus. La transformation ressentie dans le corps du danseur pourrait correspondre à la transformation de l'artefact en partenaire de plateau, seulement si celui-ci pourrait sexprimer et décider de son gré:
``Quelque chose, peut-être, resterait de lexpérience, dans un coin de la mémoire corporelle : une émotion, une densité chromatique différente dans lespace ambiant, une fraîcheur ou une torpeur, un questionnement ou une stupéfaction, une sensation davoir une colonne, davoir des pieds ou au contraire, de ne les avoir guère, de nêtre que sol et espace. Et encore, peut-être, limpression dun visage défait, dun dévisagement, dun sourire depuis los, comme lon dirait du sourire du chat du Cheshire, ou dun regard qui revient de très loin tes yeux sont revenus/ dun pays arbitraire1 , dintervalles plus longs entre les sons, comme si le lointain nen finissait plus de sétaler. Un monde. Le même, mais pas tout à fait”.
Ce moment difficilement traduisible résultat dune l'expérience somatique, correspond à une concentration de perception à un niveau périphérique, tout en étant le contraire dune concentration proprement parler. Cela pourrait se rapprocher comme vécu, de ce que nous identifions comme présence attentionnelle diffuse. En danse cela se produit au niveau de la proprioception, sans que cela signifie que le danseur ``se voit danser”. Au contraire, le danseur est immergé dans son expérience sensorielle de danse, tout en gardant une attention périphérique à son environnement.
\textbf{Le journal de bord- outil transversal et archive}
Nos problématiques et hypothèses se heurtent aux aléas de la pluridisciplinarité. En raison de contraintes ou incompréhensions des approches, le processus de travail lors de notre projet de recherche-création implique une temporalité non linéaire. Un journal de bord rythme les aller-retour et hésitations de ma démarche.
Ces aller-retour entre des expériences et des observations donnent suite à des nouvelles initiatives et questionnements. La difficulté de notre processus est dimposer à cela une dynamique propre aux projets de création. Dans ce type de fonctionnement collectif, la complémentarité des acteurs est fondamentale. Chaque membre doit être au clair avec sa propre identité professionnelle et son champ de compétences pour mieux recueillir et partager des informations qui enrichissent les échanges. Une décision suite aux contraintes dun domaine, nest pas forcément pertinente pour lautre.
Ainsi nos formes de production se déclinent, selon le contexte, en journées détude, transmission de connaissances théoriques sous la forme des articles ou des cours et sorties de résidence. Lors de derniers trois années nous avons organisé une journée détude et trois sorties de résidence au Centre des Arts dEnghien-les-Bains dans le cadre du projet CECCI-H2M, un séminaire de recherche autour du concept de lâcher-prise et lintelligence sensorielle avec le collectif Open Source à Anis Gras en janvier 2023, deux ateliers de recherche corporelle avec les élèves du cours de danse du Lycée Mercy à Montpellier en novembre et décembre 2022, un cours sur la perception et lesthétique du mouvement pour les élèves de master de lécole Mines ParisTech à Paris en octobre 2021.Test labo ?
Ces expérimentations ont été accompagnées par trois hypothèses de recherche que nous allons détailler dans les prochaines pages.
\textbf{H1}\textit{Quel type d'intelligence sensorielle pouvons-nous transmettre aux robots dans des contextes artistiques? Est-ce la conscience du mouvement une capacité qui rend les robots plus adaptatifs et réceptifs lors des improvisations avec les humains?}
Lintelligence sensorielle est un concept apparu lors des pratiques somatiques de fin de 19é siècle qui commence à intéresser les chercheurs des domaines comme la psychologie et les neurosciences. Similaire au débat entre lIA numérique et lIA symbolique, pour une partie des neuroscientifiques, les processus mentaux sont des processus de computation et de représentation dans le cerveau, vu comme ordinateur. Pour d' autres l'importance du corps sensoriel est déterminante et ils cherchent à mettre en avant un lien entre la perception, nos capacités cognitives et notre corps. Dans la robotique, pour définir l'intelligence, il est parfois question de mimétisme et de compréhension des systèmes biologiques qui sadaptent. Ainsi des roboticiens imaginent des bio-robots qui explorent leur environnement dune façon autonome, sans le recours au calcul informatique. L'idée que le corps et ses interactions avec l'environnement contribuent au développement dune cognition intégrée, plus large, est suffisamment séduisante pour que des chercheurs et des artistes imaginent ses applications dans le mode réel. Ces dernières années, plusieurs laboratoires prestigieux de robotique ont mis en place des études scientifiques pour comprendre ce type dintelligence. Cependant le terrain dexploration est vaste et des artistes sexpriment également sur le sujet(citations).
Les robots sont omniprésents dans les sociétés technologiques. Au Japon ils font partie intégrante du quotidien des personnes (citations). En Europe, leur utilité prime dabord, les rendant indispensables dans la plupart des industries. Ils suscitent néanmoins beaucoup de curiosité lorsqu'ils sont présents à des événements tels des salons de robotique. En France, de plus de plus des festivals dédiés aux arts numériques (citer festivals) présentent des œuvres interactives et performances avec des robots (citer oeuvres).
Le caractère innovant de notre démarche réside dans le fait dappliquer des principes dintelligence sensorielle à des intéractions avec les robots. Tester lincidence des facteurs comme lattention, la synchronie et la précision des mouvements imités pour témoigner des états de présence et de réception dans des contextes de collaboration artistique est peu étudié par la communauté scientifique actuellement.
Au-delà des expériences esthétiques et intentions artistiques, les danses inspirées par des pratiques somatiques invitent les chercheurs en neuroscience et robotique à penser différemment le corps. Lors des expérimentations dimprovisation en danse, lhumain réagit de façon spontanée, laissant sexprimer les émotions à travers des mouvements. Des choreographs tels Anna Halprin et Deborah Hay ont longuement étudié ce type de mouvements, leur impact sur lintention artistique du chorégraphe ainsi que leur capacité de témoigner dun état de présence ``autre”, dans le sens plus réceptif à son environnement, plus précis et conscient de ses actes. Pareil aux systèmes dintelligence distribuée, les danses somatiques laissent parler le corps et les émotions à travers les senses. La façon dont ces sens interagissent avec l'environnement permet au corps d'être plus présent/aware et précis dans ses intéractions. Les paradigmes liés à lintelligence sensorielle nous poussent à penser différemment la relation entre corps et esprit, avant de la léguer aux robots. Des nouveaux concepts tels que ``schéma corporel/ body schema” ou “cognition incarnée/ embodied cognition” complexifient notre savoir et la mécanique de nos intentions. Cela nous permet daffiner notre capacité d'auto-réflexion, dinterroger notre savoir empirique direct, en utilisant la danse comme objet détude.
Dans notre recherche-création nous souhaitons évaluer le rôle de la conscience de mouvement- définie ici comme kinesthésie en lien avec la proprioception et lintroception- en interaction de danse avec des robots. Notre intention est de savoir si une connaissance approximative de ce type, gouvernée par des lois sensorielles éloignées de calculs mentaux conscients, trouve un fonctionnement analogue dans un organisme artificiel et dans quelle mesure cela le rend plus réceptif à des interactions avec des humains. Dans notre contexte artistique, nous considérons ce type dintelligence sensorielle en parallèle avec des notions telles le lâcher-prise et la capacité dimprovisation des humains. Ainsi la proprioception nous permet de cartographier notre environnement sans aucun calcul mental préalable, tandis que lintroception où nos sens sont aiguillés, moins parasités par les processus mentaux en arrière-plan, clarifient la perception que nous avons de nous-mêmes et notre organisation interne, nous rendant plus disponibles à des interactions avec notre environnement.
Nous nous interrogeons à notre tour sur le type de conscience corporelle que nous pouvons déléguer aux robots lors des improvisations en danse. En espérant que ce type de réflexion suscitera un intérêt de la part de la communauté scientifique, nous mettons en place des sessions d'expérimentation avec différents dispositifs automatisés, pour comprendre leur impact sur les mouvements spontanés et la façon dont le corps humain réagit en situation d'improvisation avec un tel dispositif. Ainsi modéliser des états inspirés par la conscience du mouvement pour les transmettre aux robots, nous aidera à mieux comprendre si la danse avec les robots est influencée par les caractéristiques des robots tels que la taille ou la forme, le rythme et la nature des mouvements. De façon connexe, cela pourra donner suite à des études plus complexes sur lintelligence sensorielle humaine et son équivalent artificiel.
\textbf{H2}\textit{Est-ce que l'interaction avec les robots engendre des états créatifs?
Est-ce que leur corps est performatif? Sont les émotions un concept clé pour le développement de la performativité?}
Un des objectifs de cette thèse est d'investiguer les facteurs qui déclenchent la créativité en état d'improvisation avec des robots. Nous partons du postulat que létat de créativité est influencé par des processus émotionnels et que leur modélisation dans des systèmes autonomes type robots nécessite un travail préalable de mise en situation, similaire à la mise en scène.
La présence des robots sur un plateau de théâtre suscite beaucoup de curiosité parmi les spectateurs. Les émotions que les acteurs ou performeurs éprouvent sont peu partagées par leurs compagnons artificiels. Dans nos expérimentations, nous nous interrogeons sur les possibilités d'expression des robots, pour comprendre comment la créativité peut émerger dans des situations d'interaction entre humains et non-humains.
Depuis quelques décennies, les interactions multimodales des robots ont beaucoup été étudiées par la communauté scientifique (citer). Cependant, à ce jour les robots sont peu capables dutiliser leurs six sens simultanément comme les humains le font. Ainsi leur capacité dinteragir et simuler des émotions est une modélisation réduite des processus de cognition et de perception humaine. Lors de nos expérimentations nous nous demandons si en situation d'interaction avec un partenaire non-humain, l'artiste réagit différemment par rapport à un partenaire humain. Nous questionnons la présence de dispositifs robotisés hors de leur contexte scientifique (que cela soit social, académique ou industriel) pour évaluer leur potentiel esthétique sur scène. Du point de vue de la réception de ce type dœuvre artistique, nous nous intéresserons à l'effet de ces formes sur la perception du spectateur: quest ce quil a retenu du type d'interaction quil a vu, quels sont les éléments déclencheurs et auxquels niveau ils opèrent.
Les danses influencées par des pratiques somatiques considèrent le vécu du corps et les émotions comme des concepts clé pour le développement de la performativité. En tant que danseuse, jaimerais comprendre comment provoquer des états “autres” définis par des mouvements spontanés/involontaires lors de l'improvisation avec un robot humanoïde ou industriel. En confrontant le spectateur à ce type d'expérience, je cherche à produire une coupure dans la linéarité de son vécu pour y associer plusieurs clés d'interprétation.
Lors de sessions d'improvisation, je me demande comment définir la créativité dans ce type d'interaction. Peut-être que le robot, vu comme partenaire et pas comme outil, a influencé mon inspiration plus quun partenaire humain laurait fait. Il y a probablement plusieurs critères à tenir en compte pour définir le cadre de notre interaction et son effet réel, au-delà de mon expérience immédiate sur scène.
Tout dabord je minterroge sur l'apparence de celui-ci - si humanoid ou non, ainsi que sa taille et façon de se déplacer. Lors de mon séjour au LIRMM jai eu lopportunité d' improviser avec le robot humanoïde HRP-4 et le bras industriel Franka Panda. Lors de ces “tentatives” de danse en laboratoire avec chacun dentre eux, jai pu constater dans quelle mesure ces facteurs ont un impact sur ma créativité et disponibilité d'improvisation. Lorsque le robot Panda a effectué des mouvements différents de celles propres à ma morphologie, mon imagination sest prêté à un jeu de dépersonnalisation. Jai pu mimaginer une autre physicalité à mon tour, avec des gestes méconnus qui résonnaient plus avec ce que la machine devant moi éprouvait, quavec ce que je sentais. Lors d'une autre session de travail avec un petit animata en carton, jai pu réduire aussi la perception de mon propre corps pour ressentir des sensations nouvelles et midentifier à ce que lanimat devant moi me proposait dexplorer.
Mes observations traitent également de la différence entre une présence virtuelle et une présence physique des robots. Lorsque jai effectué les mêmes séquences de mouvement avec les avatars virtuels des robots, quelque chose de lordre dune image en mouvement sest figé, ouvrant un espace de rêverie et de liberté de proposition. En échange, la présence physique des robots sest imposée en moi comme un corps autre- quelque chose détrange et dinconnu que jai voulu dabord connaitre avant de pouvoir danser avec.
Les différentes incorporations mont aussi fait comprendre dans quelle mesure lanthropomorphisme joue un rôle important dans la projection des narrations entre les deux partenaires: humain et non-humain. En effet, leur façon de bouger similaire à la mienne ma permis dempathiser plus vite. Ainsi nous avons mis en place des études qui questionnent comment lanthropomorphisme encourage une fluidité dans l interaction homme-robot et par quoi est facilité un processus créatif, une fois quil est mis en place.
H3 Comment serait-il possible de définir et mesurer un état de conscience dans les artefacts ? Existe-t-il un état sauvage propre aux robots ?
Les artistes dialoguent avec des machines sur scène pour créer une expérience perceptive et sensorielle pour eux et pour les spectateurs. Pour certains chercheurs (citation), l'intelligence humaine dépend du corps et du mouvement et la capacité de retour sensori-motrice d'un système peut déterminer son degré d'intelligence. En se proposant de mettre en place des études similaires sur scène, cette thèse analyse plusieurs formes dinteraction artistique avec les robots. Notre intention est de vérifier comment le robot imite le comportement humain et comment, à travers des contraintes mécaniques et des erreurs de hardware, il simule dexpériences perceptives propres. A leur tour, ces expériences font émerger des nouvelles formes dexpressivité dans son partenaire humain. Nous estimons que ces formes d'expressivité concernant les robots-mêmes, permettent à lhumain d'identifier dans leur comportement quelque chose proche d'un état sauvage, difficile à anticiper ou à décrypter.
Pareil aux spécialistes en éthologie qui observent le fonctionnement des animaux sauvages, nous nous interrogeons sur la façon dont l'intelligence propre à la machine est saisie par l'humain. Lobjectif de ces analyses est de comprendre jusquau où l'humain sadapte aux robots, en testant des séquences de mouvement conçues pour mettre à l'épreuve l'autonomie des systèmes interactifs intelligents. En effet, nous aimerions également comprendre comment utiliser l'aléatoire de ce type de comportement pour générer du spectaculaire sur le plateau. Une de nos perspectives, est d'implémenter des mouvements réflexes dans des robot humanoïde et dimproviser avec -suivant des principes déducation somatique en lien avec “la conscience du mouvement”- pour ensuite analyser limpact de cette interaction sur lexpressivité artistique des performeurs humains. Au sens plus large, nous aimerions comprendre en quoi les mouvements réflexes et les comportements imprévus influencent notre perception et notre état conscient lorsque nous dansons. Ces observations appuient l'hypothèse que notre expressivité corporelle se transforme par des états de lâcher prise et constitueront des bases pour un vocabulaire scénique inédit, construit sur mesure.