Je commence cet par une contextualisation des pratiques somatiques, en retraçant de loin leur histoire en lien avec la danse.
Au début du 20é siècle, des formateurs tels Mabel Todd met les bases d’une pédagogie et d’une écologie corporelle qui s’appuient sur l’étude concomitante de la physique, de la mécanique, de l’anatomie et de la physiologie. En prenant appui sur les travaux scientifiques de son époque, Todd centre son analyse sur la place des principes d’équilibre des forces dans l’économie corporelle et sur la détermination de la forme par la fonction, en tant que loi du développement organique”. Ainsi pour elle, l’analyse des rapports entre forme et fonction explique la forme, celle-ci en étant le reflet des principes mécaniques relayant les ``lois universelles” de la physique. Dans son livre ``The thinking body”, sa méthodologie est fondée sur des procédures de visualisation des images mentales, en amont de toute exécution du mouvement. Son objectif est d’intervenir sur les mécanismes inconscients qui régissent la motricité en travaillant sur la représentation la plus précise du mouvement pendant que celui là soit accompli:
\begin{quote}
``L’imagination libère de la puissance. Lorsqu’on apprend consciemment à se servir d’images motivantes pour conditionner les réactions motrices adéquates, il faut connaître précisément trois choses : où cela se passe, dans quelle direction et selon quel désir. Quand les conditions sont réunies, le mouvement peut avoir lieu. ``Ça bouge”, alors, exactement comme ``il neige”, ``il pleut” ou ``il grêle”. Les muscles obéissant instantanément à la pensée, l’action adaptée survient. Le degré de précision et d’aisance sera fonction de la netteté de la réponse imaginée ou de son importance vitale ou non. Autrement dit, la pulsion émotionnelle ou l’adhésion à une idée conditionne un type précis de mouvement, tout comme la condensation est l’un des préalables importants à la pluie ou à la neige.”
\end{quote}
Toujours sur les muscles en lien avec ses observations sur la forme, elle identifie le mouvement comme sensation globale analogue à la fonction des muscles pour expliquer la compréhension qu’elle a de cette partie du corps:
\begin{quote}
``We have no objective phenomenal experience of our muscles. All that we are aware of and can judge by our other senses is the movement as a whole, and our sensation of movement is therefore referred to the whole movement and not the individual muscles.”
\end{quote}
Si à l’époque où Todd écrivait son livre, les muscles obéissant instantanément à la pensée, les dernières découvertes en neurosciences confirment que la plupart des opérations impliquées dans le contrôle de nos mouvements corporelles, comme la plupart des sensations qui initient un mouvement réflexe en particulier, sont de nature inconsciente. D’où vient alors cette pensée et comment des sens comme la proprioception sont en charge, autant des sensations de nos organes, que des fonctions régulatrices en lien avec les muscles. Par exemple, lorsque nous nous penchons en avant, nous faisons presque instantanément un mouvement en arrière afin de préserver notre équilibre. Comment comprendre cette vitesse avec laquelle opère notre corps pendant qu’il utilise des mouvements anticipateurs? Tout cela sans que notre pensée le détermine. Que dire alors des processus d’apprentissage comme celui de la conduite auto ou d’un nouveau type de danse? \textbf{Une nouvelle capacité motrice devient automatique une fois apprise et exécutée un nombre suffisamment des fois}. Si la plupart d’entre nous, ne sommes pas capables d’identifier l’instance de notre cerveau qui s’occupe de ce type d’apprentissage, celui-ci a lieu dans notre corps, donc c’est un processus organique constitutif de notre identité.
Pour le neurophysiologiste Alain Bertoz, la perception est une action simulée, n’étant pas seulement
\begin{quote}
``une interprétation des messages sensoriels: elle est contrainte par l’action, elle est simulation interne de l’action, elle est jugement et prise de décision, elle est anticipation des conséquences de l’action.”
\end{quote}
Toujours pour Bertoz, les modèles internes de la réalité physique ne sont pas seulement d’opérateurs mathématiques mais des vrais neurones dont les propriétés sont accordés au monde physique. Analyser le mouvement du point de vue neurologique nous permet de mieux comprendre notre spécificité et les processus physiologiques ayant lieu à l’intérieur de nous:
\begin{quote}
``L’analyse du mouvement permet donc de découvrir les solutions trouvées au cours de l’évolution pour anticiper les conséquences de l’action et simplifier le contrôle des gestes.”
\end{quote}
\textbf{Le plus que cette connaissance du corps humain s’élargit grâce à des disciplines comme les neurosciences, le plus c’est compliqué d’adapter ces principes à des technologies}. Par exemple en robotique le problème de degrés de liberté (ie le nombre d’articulations dont un corps organique dispose) reste un défi pour les ingénieurs qui les désignent:
\begin{quote}
``Les centaines de degrés de liberté qui caractérisent l’organisation anatomique et dynamique du squelette de la plupart des animaux et de l’homme, auraient rendu le contrôle du mouvement impossible si au cours de l’évolution n’étaient apparues des mécaniques par l’organisation de la géométrie du squelette, mais aussi le nombre de degrés de liberté que le cerveau doit contrôler. Les roboticiens, qui à ce jour, ne sont toujours pas capables de réaliser des machines de la complexité du moindre insecte, savent à quel point tous les ordinateurs sont vite saturés, à la fois en capacité de calcul et en rapidité, par les quelques degrés de liberté des robots qu’ils essaient de construire.”
\end{quote}
Bertoz va plus loin quant à la complexité des systèmes vivants et à l’intégration de ces principes dans des systèmes technologiques, en faisant référence au terme de \textbf{synérgie}:
\begin{quote}
``Le mot synergie vient de syn (ensemble) et ergos (travail). Ce concept a été proposé par Bernstein pour appuyer l’idée que, le système nerveux ne peuvent contrôler toutes les degrés de liberté, l’évolution a sélectionné un répertoire de mouvements simples ou complexes, que nous pouvons appeler ``mouvements naturels”, et qui impliquent des groupes de muscles et de membres travaillant (ergos) ensemble (syn). Nous avons d’ailleurs mentionné plus haut les contraintes qu’exerce le squelette sur le nombre de mouvements possibles à chaque articulation. Ce répertoire n’est d’ailleurs pas très large. Il suffit de contempler une danseuse pour constater l’extraordinaire pauvreté du répertoire moteur dont elle dispose. C’est la combinaison dans le temps et l’espace de ces éléments et les jeux de partenaires qui font à la fois le génie du chorégraphe et la richesse expressive de la danse.”
\end{quote}
Il me semble pertinent d’appliquer ce processus de synergie à notre façon de travailler, dans la mesure où cela va nous aider à mieux comprendre les incompatibilités des langages et des pratiques entre les différentes disciplines que nous adressons et leurs enjeux.
Les critiques et philosophes spécialistes en danse ont longuement analysé l’émergence du geste dansé, selon le contexte socio-culturel et l’époque quand cela a eu lieu. Pour ce qu’il y a de la danse contemporaine, \textbf{la pratique de l’improvisation}, vue comme geste libre et libérée du dogmatisme de la technique du danseur, a suscité une révolution longuement attendue. Comme le remarque Anne Boissiére dans son livre ``Approche philosophique du geste dansé”, ce geste semble s’inventer par lui-même dans l'intention de se produire sans intention immédiate ou point de départ. Un geste qui n’a pas eu besoin des explications pour s'auto suffire:
\begin{quote}
La danse dans sa nouveauté et sa vie propre, confronte la pensée esthétique à ses propres limites; elle n’est pas seulement un art du geste mais un art qui fait geste, contre les risques d’enlisement d’une pensée esthétique trop sure d’elle même. L'émancipation de la danse vis-à-vis d'autres arts oblige à reconsidérer la définition de l’art dans sa dimension multiple, c'est-à dire le rapport moderne qui lie l’art à ses genres.(...) La question de l’improvisation apparaît centrale pour penser le geste dansé, dans la mesure où celui-ci, dans sa liberté, semble ne plus devoir emprunter à un quelconque modèle mais procéder de soi, dans une impulsion et un dynamisme internes affranchis de tout point d’appui, de toute extériorité. L’improvisation n’est plus une variation sur des schémas préexistants, elle a une valeur constituante. Elle tisse une forme en acte à laquelle rien ne préexiste, une forme s’inventant à partir d’elle-même, dans une sorte de point zéro ou de commencement absolu qui lui donne son évidence et sa pureté. Il y a, à l’origine du mouvement libre, une opération de réduction qui n’est pas sans relation avec ce qu’il faut bien appeler le miracle de la danse que nous voyons opérer sous nos yeux. Quel est ce néant, ce vide, qui est au travail de façon invisible et manifeste dans la danse ?
\end{quote}
Selon Jeremy Damian, les pratiques somatiques sont nées en 1976, lorsque Hanna fonde la revue textit{Somatics Magazine -Journal of the Bodily Arts and Sciences} dont le thématique s’oriente autour des études sur le corps expérientiel et ses expériences personnels -(ie. the study of the body through the personnel experiential perspective). Pour lui, les recherches sur le corps sont souvent prisonnières d’un débat entre une interprétation d’inspiration phénoménologique et une interprétation tirée de la sémiotique : textbf{le corps comme expérience versus le corps comme signe}.
Pour aller plus loin, l'anthropologue Thomas J. Csordas déclare vouloir établir une synthèse de ces deux approches. Il focalise son attention sur ce qu’il nomme les``modes somatiques d’attention” (\textbf{somatic modes of attention}), définis comme des``manières culturellement élaborées d’être présent à et avec son corps (\textbf{ways of attending to and with one’s body)}. Csordas souligne également l'importance des environnements qui incluent la présence``incorporée” des autres. L'originalité de son approche vient de l'insistance de temoigner sur l’élaboration culturelle d’engagements sensoriels portant à la fois sur une personne, un corps et son environnement. Cela produit un ``milieu intersubjectif”, médiée par une perspective somatique qui ouvre une autre ``image du corps que celle que renvoie le miroir.”
A son tour, Violetta Salvatierra évoque dans sa thèse, le contexte d’apparition de l’éducation somatique en France:
\begin{quote}
``Elle arrive ainsi en France des États-Unis, en passant par le Québec, importée par des praticien·nes de la méthode Feldenkrais. Hanna essaye de forger à travers celle-ci une définition du corps, opérante dans ces pratiques, qui serait en rupture épistémologique avec la conception dualiste du corps/esprit et distincte ainsi du corps objectivable de la médecine (body) ; appréhendé dans sa dimension holistique et systémique, et attaché au corps vécu à la première personne, le terme``soma”, dans la définition de Thomas Hanna, fait référence au ``corps perçu de l'intérieur” et ``la somatique” est définie comme ``l'art et la science des processus d'intéraction synergétique entre la conscience, le fonctionnement biologique et l'environnement”. Par la suite, d'autres théoricien·nes ont proposé d'autres termes et notions pour désigner le champ d'expériences mobilisé par ces pratiques, tels que la ``soma-esthétique”,proposé par le philosophe Richard Shusterman, dont les travaux dans le domaine se révèlent fort normatifs”.
\end{quote}
Une autre optique rapproche les pratiques somatiques d'une certaine forme d'écologie. Ce point de vue est défendu par la chercheuse Laurence Jay, selon qui elles conviennent à chaque contexte spécifique d’une personne, en encourageant une forte affirmation de sa subjectivité. S’adressent au corps-sujet dans une approche psycho-phénoménologique, le corps est identifié par des caractéristiques communes avec le domaine du vivant, donc en homéostasie, pour assurer une survie permanente:
\begin{quote}
``Il est pensé comme un tout. Il ne s’agit pas d’un amas de parties disjointes, mais d’un système organisé de façon dynamique et en équilibre complexe, interdépendant dans chaque mouvement, chaque fonction, chaque échange d’énergie et d’information. Il ne s’agit pas d’une vision mécaniste qui sépare le haut et le bas, la matière et le processus, le soi et les autres, le soi et l’environnement, la pensée et les émotions. C’est une pensée systémique, un point de vue corps-sujet-monde. Ce point de vue rejoint les théories écologiques et systémiques et permet d’imaginer une écologie corporelle, en actes.”
Pour mieux expliquer la dynamique qui opère entre la danse et les pratiques somatiques,je m'interroge sur la façon dont ces techniques structurent la corporéité ainsi que l'expérience phénoménologique du cors et ses sensations, lorsqu’elles sont employés comme exercices d'échauffement et entraînement régulier. Lorsqu’un danseur apprend une technique de danse, son corps est capable de reproduire les mouvements et de se mouvoir presque de façon automatique, selon les contraintes de cette technique. Lorsqu'il s’approprie une pratique somatique, cela est plus difficile à prouver, le danseur n’ayant pas d’autre preuve à son appui que les traces de cette expérience à l’intérieur de son propre corps. Ainsi l’intériorité et l'expérience sensible du danseur trouvent leur place dans l'expérience kinesthésique:
\begin{quote}
``Si toute technique de danse5 est affaire d’un programme systématique d’instructions, venant façonner le corps perçu à l’image d’un corps idéal, via la médiation d’un corps démonstratif (Foster, 1992) ; si les injonctions à faire et à sentir, et corrélativement, les actions et les perceptions produites (Cazemajou, 2013), relatent implicitement un modèle déterminé de corporéité ; peut-on dire la même chose pour les somatiques?”
Lors des stages et ateliers de danse, j’ai eu l'occasion de me former et d'acquérir des compétences orientées autour de ma propre intériorité. Mais chaque expérience du corps et son vécu est difficilement traduisible pour les autres. Pour mieux témoigner de cet état, le philosophe Bruno Latour explicite dans son essai ``How to talk about the body” ce qu’il entend par le fait d'avoir un corps:
\begin{quote}
``To have a body is to learn to be affected, meaning ‘effectuated’, moved, put into motion by other entities, humans or non-humans. If you are not engaged in this learning you become insensitive, dumb, you drop dead. Equipped with such a ‘patho-logical’ definition of the body, one is not obliged to define an essence, a substance (what the body is by nature), but rather, I will argue, an interface that becomes more and more describable as it learns to be affected by more and more elements. The body is thus not a provisional residence of something superior – an immortal soul, the universal or thought – but what leaves a dynamic trajectory by which we learn to register and become sensitive to what the world is made of. Such is the great virtue of this definition: there is no sense in defining the body directly, but only in rendering the body sensitive
Pour revenir au terme de somatique, du grec \textit{soma -corps ressenti, vécu de l'intérieur} et faire la distinction entre ses différentes approches, je m’appuie principalement sur les observations d’Isabelle Ginot. Dans l'ouvrage collectif ``Penser les somatiques avec Feldenkrais” elle mentionne la motivation du chercheur Thomas Hanna de réunir sous le terme générique de somatiques une panoplie de pratiques afin de souligner leurs principes communs:
\begin{quote}
``une conception holistique du sujet (où corps, pensée, affects, émotions sont indissociables), un instrumentarium savant de techniques gestuelles, manuelles et tactiles, une place centrale accordée à l’expérience subjective via un travail approfondi sur la perception en général, et en particulier sur le sens kinesthésique (celui qui nous permet de savoir dans quelle position nous sommes, si nous sommes stables ou en train de bouger, quelle est la position de nos membres même si nous ne les voyons pas…). Au-delà de ces principes communs, ces techniques sont multiples, elles puisent dans des croyances et des savoirs divers selon leur époque, et surtout, elles inventent et diffusent des imaginaires du corps et des gestes bien différents les uns des autres.”
\end{quote}
Ginot propose une classification selon les critères de l’analyste du mouvement Hubert Godard orientés autour de l'expérience collective ou individuelle. Souvent dans les séances collectives, le praticien propose des explorations sans illustrer le mouvement, afin que chacun puisse explorer sa propre sensibilité esthétique et contraintes physiologiques. Lors des séances individuelles, le praticien propose un guidage à partir du toucher, parfois guidant par la parole une prise de conscience de son sujet. Celui-ci observe les effets du relâchement des blocages musculaires sur ses gestes, les variations de son propre poids selon les changements de posture et découvre grâce à des représentations internes, des parties auparavant méconnues de lui-même appelés par Godard ``des zones organiques profondes”:
``Certaines travaillent à partir d’une cartographie des tissus et de leurs caractéristiques biologiques — fascias, muscles, peau, os, viscères — et pensent le changement du geste et de la posture primordialement à partir des changements conduits dans ces tissus ; d’autres, telle la méthode Feldenkrais qui nous intéressera ici, s’appuient avant tout sur la construction des coordinations, soit la façon dont chacun de nous a appris (et peut réapprendre) à composer ses gestes dans l’espace et le temps jusqu’à ce que ce répertoire de nouvelles habitudes gestuelles compose la texture même de sa vie, et garde la plasticité nécessaire pour des changements ultérieurs. D’autres encore privilégient le travail sur la perception… Elles se pratiquent en séances collectives ou individuelles, passent très souvent par un travail sur le toucher (un des nombreux tabous concernant le corps en Occident), se définissent soit comme ``éducatives” soit comme ``thérapeutiques”, ou encore les deux à la fois.”
Depuis 2014, j’ai pratiqué plusieurs disciplines en lien avec la pensée du corps et l’intelligence du mouvement. Je définis ici \textit{intelligence du mouvement} selon Jay pour laquelle il s’agit principalement de:
\begin{quote}
``la faculté qu’a le corps à sentir, ressentir, réguler, équilibrer, décider, agir pour exprimer la vie qui l’anime c’est-à-dire le sujet. L’intelligence du mouvement habite le corps tout entier, pas seulement le cerveau. Le cerveau est informé et informe et l’intelligence du mouvement dialogue avec la pensée. Nous avons appris à considérer notre corps comme une machine, à faire en sorte de le contrôler le plus efficacement possible, à le gérer comme un lieu d’entrée sortie, à l’espérer plus silencieux qu’expressif, pour finalement somatiser lorsque notre corps exprime l’inexprimé.”
Concernant mes propres expériences kinesthésiques et le travail de ``prise de conscience” de mon propre corps, j'ai remarqué que cela est plus facilement traduisible en mots, lors des moments de lâcher prise en improvisation. Les outils que j’ai retenus lors des sessions d'apprentissage servent principalement à affiner ma concentration et la facilité de mouvement. La plupart des méthodes que j’ai pu expérimenter, visent l'utilisation d’une quantité d'effort appropriée pour une activité particulière, libérant les tensions du corps pour avoir plus d'énergie à utiliser ailleurs. Bien que la communauté des pratiquants puisse parler des effets thérapeutiques de ces pratiques, j'aimerais clarifier cet aspect.
Pour moi et probablement pour des autres praticiens, il ne s'agit pas des traitements proprement parler, mais plutôt d'une volonté de rééducation de l'esprit et du corps en libérant des tensions et blocages.
En me rapprochant des ces pratiques, j'ai découvert entre outre la méthode Body Mind Centering lors de sessions d'entraînement physique au théâtre du Soleil. En 2014, j'ai été en stage à la Cartoucherie de Vincennes en tant qu’assistante décor pour le spectacle MacBeth. Avec d'autres stagiaires, nous nous réunissons le matin pour pratiquer des exercices d’éveil corporel.
Cette pédagogie du corps est orienté vers la recherche d’un équilibre entre le système nerveux sympathique et le système nerveux parasympathique. Plus tard j'ai eu l'occasion d'approfondir et mieux me renseigner sur ses principes.
La Body-Mind Centering a été créée à la fin des années 70 par Bonnie Bainbridge Cohen, danseuse, ergothérapeute et ancienne choréologue en notation Laban. Son approche se focalise sur la perception individuelle, lors des études expérientiellse de l'anatomie et de la physiologie du corps. Elle utilise des systèmes pour définir plusieurs niveaux d'exploration sensorielle. Cela donne suite à un mélange d'expérience cognitive de compréhension et expérience phénoménologique d'intégration expérientielle du corps. Un des objectifs de cette pratique est d'agrandir les dynamiques psycho-physiques de la perception. Ainsi le développement du mouvement est étudié à l'échelle de son développement ontogenetique (de l'embryon à l'adulte) et comme évolution progressive des espèces dans le règne animal (la marche des amphibies a évolué en marche bipède des mammifères).
Avant tout, BMC est une étude expérientielle basée sur l'incarnation qui a un interet pour le développement en tant que processus de travail mais aussi devenir du corps:
\begin{quote}
``Development is not a linear process but occurs in overlapping waves with each stage containing elements of all the others. Because each previous stage underlies and supports each successive stage, any skipping, interrupting, or failing to complete a stage of development can lead to alignment/ movement problems, imbalances within the body systems, and problems in perception, sequencing, organization, memory, creativity and communication.“
\end{quote}
Cette pratique corporelle est largement utilisée non seulement dans la danse mais aussi dans de nombreux types de travail corporel, psycho-thérapie, yoga ou musique. A travers le mouvement et le toucher, les praticiens explorent des principes anatomiques et physiologiques multiples. Cela favorise une prise de conscience des divers systèmes du corps- liquides, tissus, organes, squelette, le système neuro-endocrinien pour orienter une action basée sur la perception.
\begin{itemize}
\item Parmi ces systèmes, nous mentionnons le système squelettique- structure de soutien qui répartit notre poids sur la terre, en lien avec la gravité.
\item Le système des organes est pour la communauté BMC plutôt connecté à nos émotions et à notre façon de les exprimer.
\item Le système endocrinien est vu comme métaphore de notre intuition et s'exprime dans nos moments forts tandis que le système de muscles exprime notre vitalité et notre puissance.
\item Le système nerveux à son tour est un support de la mémoire de nos expériences et perceptions. Lorsque le mental incorpore cette structure, il facilite l'apprentissage de nouvelles expériences basées sur l’intuition et la créativité.
\end{itemize}
Pour les praticiens BMC, lorsqu'un système est sur-stimulé ou déséquilibré, il peut devenir la source de blessures, de maladies ou de détresse émotionnelle et psychologique. Pour équilibrer cela, l'imaginaire biologique du BMC stimule la prise en conscience du fonctionnement du corps lors des sessions guidées. Cependant, comme le décrit l’anthropologue Jeremy Damien dans sa thèse, lors de son expérience BMC en danse amateur avec le collectif \textit{Les Zélées}, les danseurs ont du mal à se représenter et entrer en relation avec certains systèmes. Le système lymphatique avec les attributs désignés par les praticiens tels ``la clarté” et ``la finesse” induit en erreur les danseurs, au point où l’auteur se demande si cela relève d’une réalité du corps ou plutôt d’une métaphore à intégrer de façon subjective. C'est important de remarque ici encore une fois des ambiguïtés en lien avec des concepts pluridisciplinaires. La signification du mot ``lymphe” dans le domaine de la médecine n’est pas la même lors d’un atelier de danse. En tant qu’anthropologue, Damien rapproche la pré-supposée dimension thérapeutique de certaines pratiques, à des rituels et formes d’auto-suggestion collectives. Pour ma part, je m'interroge sur les effets de ces pratiques sur l’imagination des danseurs, sur leur capacité de produire des mouvements ``nouveaux”. La réponse vient de Cohen pour qui:
\begin{quote}
``when we are talking about blood or lymph or any physical substances, we are not only talking about substances but about states of consciousness and processes inherent within them. We are relating our experiences to these maps, but the maps are not the experience”.
\end{quote}
Pour porter cette réflexion plus loin, Carla Bottiglieri cite à son tour la philosophe et chorégraphe allemande Petra Sabisch pour qui:
\begin{quote}
``le mouvement est porté par une sorte de conjecture : il est l’expression exacte de l’indétermination de la relation entre sensation et imagination. Sans cette inspiration spéculative dans le jeu co-immanent entre le fond kinesthésique et les procédures imaginatives de production de l’image, il n’y aurait pas de spécifications par rapport aux qualités du mouvement. La relation indéterminée entre sensation et imagination devient un rapport singulier : elle produit une différence dans la qualité du mouvement, sans pour autant épuiser la virtualité de leur relation.”
\end{quote}
Dans son livre ``Sensing, feeling and acting”, Cohen explique son intention de faciliter l'accès à ``une connaissance nouvelle en provenance de soi” et ainsi résoudre la dichotomie corps-esprit. Cela est structuré autour de trois concepts-clé qu’elle appelle l’alphabet de mouvement:
\begin{quote}
``les réflexes primitifs en lien avec les mouvements spontanés et leur relation avec les mouvements intégrés, les réactions de redressement par rapport à la gravité et les réponses d'équilibration pour garder notre centre de masse en équilibre et rester débout”.
\end{quote}
Un quatrième concept intitulé \textit{Basic Neuro Cellular Patterns} synthétise ces derniers, en organisant une classification de modèles en lien avec le développement phylogenetic et ontogenetic du mouvement. Il faut également préciser qu’en BMC le terme ``somatique” est pensé en opposition avec celui de ``psychique”, avec un fort intérêt pour les mouvements réflexes et la façon dont le système nerveux périphérique s'organise. Pour clarifier le mouvement réflexe, Cohen affirme:
``When a movement becomes reflexive, would you say that the experience goes from sensing to feeling? Yes it gets into the blood. I feel the reflexes have a lot to do with the blood, with emotional expressions”.
Selon BMC, la manière de bouger de chaque individu est influencée par la façon dont le mental se manifeste dans le corps lorsqu’il bouge. Lorsqu'il y a un ajustement perpétuel entre action et cognition, il y a également un alignement harmonieux entre différents systèmes. Comme déjà précisé, les supports d'exploration sont constitués de nos sens mais aussi de notre imagination.
Entrer dans cette dimension imaginaire implique la sollicitation \textbf{du sens de la proprioception}. Cela part de l'hypothèse que chaque tissu de notre corps a sa propre vibration et résonance. La qualité du toucher dans BMC est ainsi basée sur la compréhension expérientielle de ces données. En parallèle, les praticiens peuvent prendre conscience d'une partie du corps en étudiant des images, des textes ou des livres d'anatomie pour mieux les visualiser. Une des formes d’exploration le plus directes repose sur un mélange entre le toucher et la visualisation des parties du corps pour arriver à un état de somatisation. Cet état est défini comme une prise de conscience directe des sensations et perceptions qui se dégagent de la partie du corps sur laquelle nous nous focalisons. Il est suggéré que, ors de cette étape de somatisation en BMC, un échange d'informations bi-directionnel a lieu entre les cellules du corps et le cerveau. Le toucher et le mouvement sont parmi les premiers sens que nous expérimentons lors de notre naissance. Ainsi cela renvoie à des processus de re-mémorisation des sensations plus anciennes de notre corps.
``D’autre part, l’opération de centrage renvoie métaphoriquement aux gestes manuels du potier, qui tourne l’argile autour du vide, pour donner forme à un vase. Moulage ou modulation 17 ? Le centrage, écrit Cohen, n’est ni la recherche d’aboutissement d’une forme, ni un lieu d’arrivée, mais un ``équilibre dynamique qui fluctue autour d’un point en déplacement constant” 18. Il peut ainsi s’initier en n’importe quel point, se propager vers n’importe quelle direction : plusieurs centres, donc, comme autant de foyers possibles d’amorce et d’amplification. J’ajouterai que ce mouvement est le processus continu d’une relation où les termes s’échangent, ou se permutent : body et mind ne relèvent pas de deux ontologies distinctes, bien plutôt, ils instancient deux bordures, ou deux faces d’une limite topologique où formes et forces s’affectent mutuellement, se répètent et se différent, adviennent les unes aux autres, deviennent.”
Puisque cette technique est en constant renouvellement et amélioration, dernièrement un autre concept-clé a été développé.
La conscience et l’embodiment cellulaire représentent:
\begin{quote}
``a state in which all cells have equal opportunity for expression, receptivity and cooperation. Attuning ourselves to our cellular consciousness brings us to a state in which we can find the ground from which flows the intricate manifestations of our physical, physiological and spiritual being.” Cependant Cohen ne mentionne pas ses applications en danse et la filiation avec le travail de la chorégraphe américaine Deborah Hay que nous allons mentionner plus loin. Si pour Cohen ``cellular consciousness is awakening the cells to themselves, which the brain cannot do.”
\end{quote}
A son tour, la chorégraphe Deborah Hay emploie ces concepts pour évoquer un état méditatif dans lequel des états de présence. Je vais aborder la façon dont je m'approprie ces éléments dans ma pratique, plus tard dans notre étude.
Cependant j'aimerais préciser que faire l'expérience de ma propre anatomie et de son fonctionnement psychologique, a augmenté mon sentiment d’identité artistique en tant que danseuse. Lors de mes laboratoires de recherche sur la conscience corporelle, j’ai eu l’occasion d’améliorer ma pratique et choisir ce qui mieux correspond à mes intentions, en interprétant à ma façon cette approche kinesthésique de l'anatomie humaine.
A ce jour, je pense avoir utilisé le BMC comme point de départ afin de développer une meilleure compréhension des sensations de mon corps et de l'action exprimée par le mouvement et le toucher. Cela m'a permis d'activer une forme de conscience propre à chaque partie de mon corps et ainsi faire émerger une danse spontanée, propre à ce vécu.
Cette méthode développé par Moshé Feldenkrais revisite le mouvement des articulations de chaque corps, laissant à chacun la possibilité d’être plus autonome et confiant lorsqu’il bouge à sa façon. Ces cours sont connus sous le nom des ``cours de prise de conscience par le mouvement”. Pareil aux autres pratiques somatiques, elle permet de se focaliser sur les sensations internes, pour voir comment exécuter des mouvements plus souples. La méthode Feldenkrais vise à restaurer la capacité de bouger lors des accidents et à reprendre des habitudes de mouvement naturelles, en comprenant la quantité d'efforts nécessaires pour exécuter un mouvement de façon efficace. De cette façon, chaque participant a la possibilité d'être plus autonome et en confiance lors de ses déplacements dans l’espace. Proche de pratiques corporelles comme le Tai Chi, Feldenkrais utilise des mouvements lents pour faciliter la concentration du pratiquant sur des effets de maîtrise de sa force ou de sa flexibilité.
J’ai découvert la méthode Feldenkrais lors des cours hebdomadaires à l’université Sorbonne Nouvelle. La chercheuse Sylvie Frotin mentionne comment cette pratique contribue au processus de subjectivation en valorisant \textbf{le corps-sujet plutôt que le corps-objet}. En invitant, par exemple, une personne ``à déterminer la position optimale pour exécuter un mouvement en s’appuyant sur son ressenti plutôt que sur des standards esthétiques arbitraires”3\cite{Frottin}. Différents exercices basés sur la perception du corps en mouvement ou sur la conscience de la respiration, permettent aux participants de prendre conscience de leurs habitudes corporelles. Ainsi en Feldenkreis, ``l’apprentissage consiste à éveiller les zones d’anesthésie sensorielle et à élargir les types de sensation possible”\cite{Frottin}.
Plus généralement, la méthode Feldenkrais aide à coordonner différentes parties du corps ensemble, encourageant l'expression des ressentis et des émotions pour une intégration holistique du corps et de l'esprit.
Dans l’approche défendue par cette pratique somatique, souvent onscience du mouvement et conscience de la respiration vont ensemble:
``L’éducateur somatique adhère à l’idée qu’une fonction sensori-motrice entravée affecte l’ensemble de la personne. Réciproquement, toute amélioration d’une fonction améliorera éventuellement l’entièreté de la personne. Par exemple, face à une personne présentant une respiration déficiente, le professeur pourra donc proposer diverses activités de mouvements pour que la personne chemine vers un mouvement diaphragmatique ample et pleinement fonctionnel, puisqu’il sait qu’un diaphragme apaisé est accompagné de cognitions moins anxiogènes. (…) Ressentir sa solidité osseuse, ressentir une expansion de sa respiration, sentir son regard s’ouvrir, pour ne citer que ces quelques exemples, sont la manifestation physique d’une confiance en soi ou, inversement pourrions-nous dire, la confiance en soi est la manifestation psychologique d’une solidité osseuse, d’une expansion de sa respiration ou d’un regard ouvert.”
Les positions utilisées dans Feldenkrais telles \textit{la pose au sol}, visent à réduire l’effet de la gravité sur le corps. Cela encourage la hanche à s'ouvrir pour faciliter des actions comme la marche et la course et améliore la mobilité des mouvements et aide à soulager les tensions et les tensions sur les articulations.
Ce sont des exercices collectifs structurés autour d’un thème, dont l’objectif est d’avoir une prise de conscience sur son propre mouvement. Autre que les instructions sur la façon de bouger, le praticien donne des indications perceptives - sur quoi concentrer son attention et conceptuelles -pourquoi cette méthode ne s’illustre pas, pourquoi elle cherche le moindre effort.
\textbf{
Les exercices du recueil ``Awareness Through Movement (PCM)” peuvent etre liés aux travaux de F. Varela sur l'autopoïèse}
Praticienne Feldenkreis, Isabelle Ginot témoigne également des changements qui opèrent dans le corps et les différentes manière de les évaluer.
À la fin d’une séance de ``Prise de conscience par le mouvement”, l’expérience la plus courante est celle d’un changement très sensible dans la perception de la posture debout- comprendre quels appuis, observer son alignement, son hauteur et l’espace autour. En guise de conclusion de la séance, la marche et divers mouvements quotidiens sont proposés à l’exploration. Chaque changement peut être ressenti plus ou moins durablement et surtout différemment. Chaque perception est spécifique- par exemple un élève ressent son poids reparti différemment entre ses deux pieds. Un autre est confuse ou soulagée par la découverte de nouvelles postures. Quand un changement persiste d'une séance à l'autre, il deviendra plus habituel ou, selon l’expression de Feldenkrais - ``intégré”. Ce qui signifiera par exemple que le poids du corps est mieux réparti qu’auparavant, sans que l'élève le remarque. Cette nouvelle organisation gravitaire aura intégré le schéma corporel de la personne.
Une autre méthode que j’ai intégrée dans mon approche expérimentale d'entraînement est la technique ViewPoints. Cette technique structurelle des processus de composition et de la mise en scène, est issue d’une méthode inventée par l’artiste de théâtre Mary Overlie dans les années 70. Son objectif est de stimuler la créativité et l’inspiration en utilisant des points de vue pour focaliser la concentration et ordonner la façon de travailler. Elle a été ensuite adaptée par les metteuses en scène Anne Bogart et Tina Landau autour de neuf points de vue ``physiques” et de 5 points de vue ``vocaux”. Pour moi, l'apprentissage de ViewPoints s’est fait à travers des sessions d'expérimentations pratiques avec le collectif de metteurs en scène Open Source. En tant qu’outil de mise en scène, le ViewPoints revisite la hiérarchie traditionnelle entre metteur en scène et acteurs. Les acteurs sont considérés comme des participants actifs dans la création globale du spectacle. Leur attention est focalisée sur différents éléments de la performance -rythme, durée, geste, relation spatiale. L’article \cite{Dennis} rend compte des expériences des étudiants en danse qui utilisent cette méthode. L'auteur interroge les exigences de cette méthode suite aux multiples positions du sujet. Il est à la fois observateur, participant, créateur, témoin et acteur.
Cela part de la supposition que si les acteurs sont ouverts à leur environnement scénique, ils peuvent créer un mouvement et une composition scéniques dynamique. Dans un entretien lors d’une conférence sur cette technique, une de ses fondatrices, Anne Bogart affirme que rien n'est inventé, pour cette pratique, mais que tout est venu comme une réponse concerte à des besoins de plateau.
Cherchant à convoquer l'instinct sur le plateau, ce qui m'intéresse dans cette technique est son rapport à la danse, définie au sens large comme mouvement:
\begin{quote}
``What is dance? they asked. If an elephant swings its trunk, is it dance? If a person walks across the stage, is that dance?”
\end{quote}
Parmi les principes employés, \textbf{la réponse kinesthésique} est un type de mouvement selon lequel un geste spontané surgit en réponse à l’environnement extérieur. Des exemples de réponses kinesthésiques apparaissent lorsque nous nous levons instantanément quand quelqu’un ouvre une porte ou nous grattons la tête si quelqu’un nous pose une question difficile.
Ce principe permet d’analyser le geste selon deux critères:
\begin{itemize}
\item gestes comportementaux: ceux que nous employons dans notre vie quotidienne, qui font écho à des situations de vie
\item gestes expressifs: ceux qui expriment une émotion et répondent à des besoins d’abstractisation
\end{itemize}
Appliquer ces observations au fonctionnement d’une machine, m’a permis de voir si des gestes expressifs peuvent lui être propres ou pas.
Entre philosophie pratique du travail, méthode d'entraînement ou technique d’improvisation, Viewpoints aide à mieux structurer le corps dans l'espace et le temps de la représentation. Ses éléments tangibles sont des points de vue selon lesquels les participants concentrent leur attention. Ils fournissent un ensemble d'outils qui libèrent l'imagination. Au plus lus large, l'approche systématique de cette méthode aide également les praticiens à remettre en question leur perception. Cela les permet de s'investir dans une pratique créative qui exige action et exploration pour déconstruire et réorganiser un théâtre viscéral et visuel.
Une autre type d’exploration sensorielle que j’ai eu l’occasion de découvrir est la danse Buto, lors de mes stages avec Atsushi Takenouchi entre 2013 et 2015. Cette pratique devenue un style de danse japonaise d'avant-garde est également un mode de vie. Elle diffère à la fois de la danse traditionnelle japonaise et de la danse occidentale moderne. Créé par Tatsumi Hijikata et Kazuo Ohno probablement en réaction aux événements de la Seconde Guerre mondiale, elle explore des thèmes tabous de la société. Ainsi cette danse convoque des images grotesques avec des mouvements corporels parfois lents, parfois compulsifs toujours en lien avec le soi.
Haruchika Noguchi (1911 - 1976), \textbf{inventeur du concept thérapeutique de Seitai}, developpe ensuite \textit{Katsugen Undo} comme pratique complémentaire au butô. Katsugen Undo part du postulat que nous avons tendance à nous concentrer sur des énergies excessives qui inhibent nos systèmes d'autorégulation, altérant ainsi nos fonctions physiques, mentales et émotionnelles. Cette pratique est un exercice dynamique destiné à soulager le stress, à détoxifier le corps et à l'amener à un équilibre naturel et sain. Elle laisse libre cours aux mouvements involontaires du système nerveux autonome, en améliorant l'endurance et la flexibilité de l'organisme.
Ensuite début 2020 je suis allée en Israël pour expérimenter le Gaga Movement, dont la pédagogie encourage le lâcher prise et le bien être des danseurs. Mouvement de danse non-conventionnelle, cette pratique a été développée par le directeur artistique de la Batsheva Dance Company, Ohad Naharin. Lors d’un accident au dos dans les années 90, il s'est lancé dans un processus de recherche corporelle avec des personnes sans expérience en danse. Ces expérimentations ont donné place au laboratoire Gaga/people étant ensuite demandés comme training régulier par les danseurs de sa compagnie, donnant suite aux cycles Gaga/dancers. Selon le contexte, cette technique a plusieurs déclinaisons: training pour renforcer le corps et le préparer physiquement en termes de souplesse et d'endurance, échauffement avant les répétitions et outil d’exploration pour cultiver la créativité.
Dans son article- ``The Phenomenology of the Body Schema and Contemporary Dance Practice: The Example of \textit{Gaga}”, la chercheuse Anna Foultier décrit les modalités de travail des danseurs du 21e siècle, devenus entrepreneurs de leur propre corps et technicité:
En raison des tendances chorégraphiques et artistiques ainsi que de la difficulté croissante pour les danseurs d'obtenir des contrats plus longs, la danseuse est devenue une ``entrepreneure” censée façonner sa formation, s'adapter à divers styles et pratiques chorégraphiques et souvent fournir du matériel de mouvement aux pièces avec lesquelles elle travaille. Que cela soit perçu comme libérant l'agence et l'autorité de la danseuse sur son travail ou comme un accommodement à un contexte sociétal marqué par le néolibéralisme où La qualité marchande est un impératif, le danseur contemporain a une approche éclectique où l'entraînement peut varier du ballet, moderne, jazz, capoeira, pilates ou yoga à la natation ou à la course. Dans le monde de la danse post-postmoderne, l'accent n'est plus mis sur le moulage du corps dans une certaine forme, comme dans le ballet classique, ou sur le démantèlement des habitudes afin de découvrir des modèles de mouvement naturels, comme dans la danse moderne, mais plutôt sur la déconstruction et le remodelage continus du corps.
Dans les cours de Gaga que j’ai pris, l'enseignant et les participants sont en constant mouvement. Les participants reçoivent plusieurs types d’instructions: lever ses bras comme s'ils ont un poids lourd sur le dos, les soulever et les laisser tomber en étant recouvert par du miel, sentir ses bras légers comme une plume, tomber au sol avec la même vitesse que les bras qui tombent, etc. L'objectif de Gaga est d'ouvrir de nouvelles possibilités d'exploration dans le corps et ainsi confronter les anciennes habitudes afin de développer une conscience du corps et une écoute intérieure.
\textit{Le Shaking} vu ici comme tremblement volontaire du corps est une pratique somatique que nous pouvons observer dans les animaux lorsqu’ils secouent leur corps après un événement dangereux qui a sollicité leur instinct de survie. Les éthologues ont identifié trois mécanismes de défense comme formes de réaction immédiate chez les animaux: s’en fuir, se battre ou se figer - le célebre \textit{fight, flee or freez}. Parmi les trois la réponse ``se figer” (en anglais \textit{freeze}) est un mécanisme de survie qui protège l’animal en danger en inhibant et immobilisant son corps face à la douleur. C’est le cas de la vidéo du bison entouré par des lions qui dévient tout d’un coup mou et arrête de se débattre dans la bouche du crocodile, pour s’enfouir deux secondes après que les lions commencent à leur tour attaquer le crocodile pour disputer leur proie.\textbf{mettre lien}
Une fois inhibés, les mécanismes de défense produites par le corps, comme l'adrénaline, restent stockés à l’intérieur et une fois le danger passé, les animaux vont secouer leur corps pour les libérer.
Les exercices de libération des tensions aident le corps à accéder à des schémas musculaires profonds de stress et de tension, voire de traumatismes pour certains chercheurs (citer). Elles activent un mécanisme réflexe naturel de tremblement ou de vibration qui libère la tension musculaire, calmant le système nerveux. Lorsque ce mécanisme de secousses musculaires et vibrations est activé de façon volontaire, le corps est encouragé à revenir à un état d'équilibre.
J’ai décidé d’utiliser et ensuite adapter cette technique lors de mes échauffements de danse car cette méthode n’a pas spécifiquement pour but de se concentrer sur soi et de ralentir le fil des pensées, mais plutôt de ``libérer” le corps de ses tensions et privilégier le sentiment de lâcher-prise. Cette technique peut fonctionner particulièrement bien pour tous ceux et celles qui ont beaucoup de mal à rester sans bouger et à mettre leurs pensées en pause. Actuellement des thérapeutes utilisent des techniques de shaking pour réduire les effets du stress traumatique -PTSD.
David Berceli, est auteur de trois livres traduits en 15 langues.
Il est psychologue et activiste humanitaire américain qui travaille dans les domaines de la réduction du stress suite à des traumatismes. Dés la fin des années 1990, Berceli a travaillé en Extrême-Orient et en Afrique dans des zones de conflit. Suite à cette expérience du terrain, il a remarqué à quel point les secousses étaient une réponse universelle au traumatisme. Ces expériences l’ont mené à la création d'un ensemble d'exercices de libération de tension et de traumatisme appelés \textit{Tension and Trauma Releasing Exercises(TRE)}. Sa carrière universitaire comprend un diplôme en travail social (PhD), en travail social clinique (MA), en théologie (MA), ainsi qu'en études du Moyen-Orient (MA). L’objectif de sa thérapie est de trouver des moyens pour calmer le système nerveux avec l’aide de ce qu'il défine comme \textit{Self Induced Therapeutic Tremors (SUTT)} pour un état de détente et repos parasympathiques profond. Sa méthode est basée sur une approche neurophysiologique intégrative qui utilise l' homéostasie pour décharger de façon mécanique la tension physique du corps.
Selon des études (citer), pratiquer le ``shaking” en tant que protocole de mouvement au moins entre 5 et 15 minutes à la fois, permettrait d’activer le système nerveux parasympathique, ce qu’indique au corps de se détendre. Cette communication directe entre nos muscles, nos membres et notre système nerveux central permet de relâcher certaines tensions, tout en activant un sens de présence dans le corps.
Un autre outil que Berceli combine avec sa technique est la méditation de la pleine conscience pour réguler les émotions en augmentant le lien avec le corps et sa sensorialité. La pleine conscience encourage l'acceptation plutôt que l'évitement des expériences traumatiques et diminue la rumination sur des événements passés ou futurs qui peuvent épuiser notre énergie. Une première étude pilote qui mesure le stress chez 21 professionnels de la santé en Afrique du Sud, avant et après une utilisation de la méthode TRE pendant 8 semaines, montre les effets de cette méthode \citer{Bercelli}.
Tout d'abord, je me familiarise avec la pièce où je suis et la surface sur laquelle mon corps s’appuie, afin que mon système nerveux soit détendu et loin d’un état d’alerte. Je ferme les yeux et écoute les bruits autour de moi, du plus lointain au plus proche. Une fois ce type d’exercice sensoriel fini, je commence par faire quelques exercices préparatoires tels que des étirements type yoga ou pilates pour fatiguer mes muscles. L’objectif est d'être détendu et moins en contrôle pour que les tremblements puissent venir plus facilement.
Ensuite je m'allonge sur le dos dans une pose papillon, la plante des pieds jointe, les genoux pliés sur le côté. Chaque deux minutes, je ramène mes genoux l'un vers l'autre et je maintiens la position.
Bientôt, je sens l'intérieur des muscles de ma cuisse se fatiguer, avec un léger tremblement. Pour Berceli, cette phase représente les shakes. Au fur et à mesure que mes genoux s’approchent, les tremblements deviennent plus forts et je peux les sentir remonter le long de ma colonne vertébrale. Après vingt minutes, alors que mes genoux sont maintenant presque collés l'un à l’autre, les tremblements sont difficiles à ignorer- je vacille et me saccade presque d'une facon comique.
Pour intégrer l'expérience je m'allonge sur le dos et prends quelques minutes pour me détendre avant de m'asseoir sur mes talons. Je prends quelques respirations, puis je réfléchis à mon ressenti et à comment intégrer cette expérimentation dans mes recherches corporelles.
Dans son livre “Histoire de la danse” (1933) Curt Sachs parle de la danse comme le premier-né des arts: ``La musique et la poésie s'écoulent dans le temps ; les arts plastiques et l'architecture modèlent l'espace. Mais la danse vit à la fois dans l'espace et le temps. Avant de confier ses émotions à la pierre, au verbe, au son, l'homme se sert de son propre corps pour organiser l'espace et pour rythmer le temps”. Pour prouver que la danse apporte une dimension sotériologique partout dans le monde et depuis toujours, il liste les danses à contre coups et les danses extatiques des peuples primitifs. Un siècle après ces observations, la dimension thérapeutique des danses reste toujours d’actualité. Des méthodes d’éducation somatique développent autant de moyens pour dépasser nos dissonances cognitives et comprendre l’intelligence du corps. Cependant il est important de souligner que dans notre contexte, ce qui nous intéresse est la façon dont ces méthodes ont pu accompagner les danseurs et praticiens en danse dans leur l’intention de renouveler les formes d’expression de cet art.
L’histoire de la danse moderne et son renouvellement de formes à partir du début du 20e siècle, commence avec l'américaine Loïe Fuller et sa ``Danse serpentine”, faite de spirales et de volutes de voiles. Égérie de l'avant-garde artistique de la Belle Epoque, elle libère le corps et met en place les bases de l’abstraction en danse. Complémentaire à cette approche est la démarche mise en place par François Delsarte (1811-1871) professeur de chant qui développe entre 1840 et 1870 une théorie de l’expression fondée sur des correspondances entre geste et émotion. Par le biais du dramaturge américain Steele Mackaye, inscrit à ses cours à Paris, les danseurs des Etats Unis vont prendre connaissance du système mis en place par Delsarte, donnant place à un mouvement appelé “delsartisme” d'après le nom de son inventeur. L’influence de Delsartre va marquer tout une génération de danseurs modernes en Amérique tels Ruth Saint Denis (1879-1968) et Ted Shawn (1891-1972).
Quelques années plus tard c’est le tour de l’allemande Mary Wigmann de promouvoir la danse libre et de présenter sa ``Danse de la Sorcière” ou ``Hexentanz” en 1914. Selon Hubert Godard, il y avait dans sa démarche deux conceptions “une travaillant l’imaginaire, l’autre le contraignant par une idéologie (le nazi), infléchissant l’organisation tonico-gravitaire qui anticipe et accompagne tout geste, toute attitude corporelle”
Ce courant international, initié entre autres par Isadora Duncan (1877-1927) influença de nombreux chorégraphes et marqua les débuts de la danse moderne. Le solo de danse de Wigman rompt avec la tradition classique par des gestes brusques, une posture au sol et des bras tendus. Avec l'accompagnement de percussions, son apparence de possédée convoque une dimension sensorielle de la danse, centrée sur une expérience de l'intimité et de connexion à soi. Tandis qu' à la même époque a Paris, l‘ukrainien Vaslav Nijinski va plus loin dans le rapport a la sensorialité en simulant une masturbation pendant ``L'après-midi d’un faune”. Quelque décennies plus tard, Martha Graham développe une pédagogie basée sur l'opposition entre contraction et libération, avec l’aide des cycles de respiration. Considérée comme fondatrice de la danse contemporaine, son travail a inspiré les générations de chorégraphes de fin de XXéme siècle. Toujours dans les années 1940, Merce Cunningham et John Cage ont développé un concept radicalement nouveau en préparant la musique et la danse indépendamment, au sein d'une même performance. Ainsi les mouvements des danseurs ne sont plus liés aux rythmes, à l'humeur et à la structure de la musique. Chaque forme d'art existe de façon autonome dans un espace et un temps partagés. Dans une autre partie du monde, cette fois le Japon, Tatsumi Hijikata (1928-1986) et Kazuo Ōno (1906-2010) development la danse de butō nourris par les avant-gardes artistiques européennes comme l'expressionnisme allemand et le surréalisme. Née dans les années 1960, cette danse marque une rupture avec les arts vivants traditionnels du nô et du kabuki, en s’inspirant de bouddhisme et de croyances shintô. Les remous socio-politiques qui secouèrent le Japon à cette époque, notamment les événements tragiques d'Hiroshima et de Nagasaki de 1945, donnent forme à cette danse sensorielle basée sur l’introspection de ses protagonistes. Une autre figure incontournable de l'expression corporelle est Pina Bausch(1940-2009) danseuse et chorégraphe allemande. Fondatrice de la compagnie Tanztheater Wuppertal, elle rompt définitivement avec les formes de danse conventionnelles en introduisant le concept de danse-théâtre ou Tanztheater sur la scène allemande et internationale. Au début, des spectacles tel ``Le Sacre du printemps” (1975) ont suscité de nombreuses critiques, avant de devenir une référence dans l'histoire de la danse postmoderne. Sur un sol recouvert de terre, danseurs et danseuses s’opposent en se livrant à une lutte sauvage et poétique couverts de boue et de sueur. Cette lutte marque le sacrifice de l’Élue, comme dans le rituel paien du chef-d’œuvre de Stravinsky. En allant jusqu'à l'épuisement, la danse se libère ainsi de son rapport à la représentation en développant de nouvelles normes esthétiques. Presque à la même époque, Carolyn Carlson, née le 7 mars 1943 à Oakland en Californie, danse pieds nus à l'Opéra Garnier à Paris et ouvre un laboratoire de recherche sur le mouvement en invitant des danseurs amateurs à rejoindre sa recherche. Tandis qu’Anne Teresa De Keersmaeker crée ``Rosas danst Rosas” en 1983, pièce pour quatre danseuses et quatre mouvements, dont le titre donne le nom de sa compagnie. L’utilisation presque radicale de la musique de Steve Reich et Thierry De Mey, comme support premier de sa composition chorégraphique, ainsi que le recours aux motifs géométriques (cercles, courtes spirales, diagonales impeccables) comme base pour les mouvements, distinguent le travail de Keersmaeker des autres chorégraphes de sa génération. Le travail sur une chaise, la répétition et l'épuisement du corps sont également des éléments clés de sa démarche. Quelques années plus tard, au contrepoids entre l'Amérique et l’Israël, Ohad Naharin renouvelle avec les traditions et les chants traditionnels juifs. Dans ``Echad Mi Yodea” (1990), des danseurs assis sur des chaises, en train de trembler de façon répé
Le début du 21ème siècle continue cette tradition de la danse libérée de formes, de croisement de disciplines et des pratiques que cela soit chant, art martiaux, arts plastiques ou nouvelles technologies. Souvent lors des spectacles avec plusieurs danseurs sur le plateau, nous nous habituons à voir pousser les limites de la physicalité, sans oublier l’histoire de la danse et ses traditions, auxquelles la plupart des chorégraphes que je cite rendent hommage. Dans le chef d'œuvre ``In Spite of Wishing and Wanting” (1999) Wim Vandekeybus a imaginé une performance sur le désir primordial et la tension entre le familier et l'étrange. Sur scène que des hommes. Leurs mouvements frôlent la férocité, la sauvagerie et la naïveté. Des séquences de danse envoûtantes sur la bande sonore sensuelle de David Byrne, donnent l’impression que les danseurs sont possédés par quelque chose ou quelqu'un. La peur et le désir de se transformer en quelque chose d’autre représentent un thème central dans le travail de Vandekeybus.
Un projet qui traite du rapport que nous avons à la composition de la danse et la façon de la représenter est ``Synchronous Objects for One Flat Thing” (2010). La collaboration entre William Forsythe et l'Ohio State University est basée sur le traitement des informations numériques, spatiales ou temporelles à partir de vidéos de l'œuvre de danse ``One Flat Thing” de Forsythe ou des performeurs dansent sur et avec des tables. Leurs mouvements se synchronisent selon une série d’ indices internes. Une fois la danse enregistrée sous différentes perspectives, les données ont servi pour créer d'autres médias, événements et objets. Par exemple, un objet synchrone développé par Ola Ahlqvist dans le département de géographie de l'Ohio State montre la densité du mouvement des danseurs - sous la forme d’un paysage topographique avec des montagnes colorées représentant les endroits ou chacun passait la plupart de son temps lors de la danse. Dans la même lignée, le spectacle ``The Great Tammer” (2017) du chorégraphe grec Dimitris Papaioannou traite du rapport que les danseurs ont au corps, en s’inspirant de la sculpture et la peinture classique. Son travail a une forte composante plastique et repose sur une dilatation du temps. L'expérience qu’il propose aux spectateurs est sensorielle- des corps qui se démembrent pour se reconstituer en nouvelles images sur le plateau. Ce questionnement du corps est partagé, mais traité dans une approche différente par la chorégraphe brésilienne Lia Rodrigues. Ses créations transgressent plusieurs formes dont celle du rituel performée. Son spectacle ``Furia” (2018) met en scène des moments extatiques en danse et corps démembrés. Similaire au travail de Vandekeybus, nous pouvons croire les danseurs possédés. Leur présence convoque de l'émotion brute et transmet au spectateur une envie de partager la danse qui s'opère devant ses yeux.
Anna Halprin est une danseuse et chorégraphe américaine qui a beaucoup influencé la danse contemporaine. Dans sa pratique elle intègre des principes somatiques, en se focalisant sur des impulsions internes et un état de grounding (connexion) avec soi-même. Pour elle, il existe un phénomène d'interdépendance entre mouvement, sentiment et association interne du mouvement (vu comme représentation mentale).
Son travail influencé par sa propre expérience du cancer l’a amenée à travailler avec des victimes de préjugés raciales, des personnes atteintes de maladies incurables comme le Sida et le cancer. Elle a intégré les principes de sa pédagogie lors des ateliers de danse en grande communauté. Son travail des dernières années de sa vie, atteste d’un lien entre la danse et la spiritualité. Dans un entretien avec Ilene A. Serlin(citer), elle évoque sa première professeure de danse et l'impacte que cela a eu sur sa carrière:
``Margareth 'Doubler was my true mentor, and she provided the best dance education I possibly could have had. She was a biologist by training, which gave her the foundation to approach dance from a different perspective than what was being taught by others as dance. She taught me to view dance from a scientific as well as philosophical and aesthetic point of view. She used to say,``Teach the objective principles of dance and this will enable your students to subjectify their experience.`` What she gave me was a great gift. She taught me to cultivate my own creative expression rather than imitate someone else's style.”
Pour Halprin il y a une équivalence entre le fait d'être incorporé (embodied) et la spiritualité. Une des danses qu’elle avait mis en place c’est ce cycle de danses planétaires, ou plusieurs milliers de personnes dansent ensemble sur plusieurs continents:
``I created``Circle the Earth” with a different approach because I want to make dance as accessible as possible to everyone. I want to create dances that anybody can do, and I want to return people to an awareness of movement that I believe is one of our most essential birthrights.(...)I think dance happens to be my particular language; it always has been. Any medium can be anybody’s language; dance just happens to be mine. It’s been a way that has pointed me to directions that I could not preconceive, and that's been the adventure. It was a risk- taking for me. You know, I didn’t know I was going to be doing a dance about reclaiming a mountain.(...)This way of working is now called the expressive arts approach, although it wasn’t called expressive art in those days. I was able to envision a kind of dance that had a purpose, a healing purpose, a societal purpose, an environmental purpose. I never considered myself a therapist, although I might be referred to as a therapist. I consider myself simply a dancer. I began to think of these dances I was making as rituals. I found that the word ritual enabled me to move more consciously into the realm of dancing for the people, dancing for change.“
Cette danse a été d’abord performée un dimanche de Pâques, en pleine nature, sur une montagne où elle avait déjà l’habitude de danser. Avec son groupe de participants, ils sont descendus du sommet de la montagne, après avoir accueilli le lever du soleil. Ils ont ensuite formé un cercle en dansant juste en dessous du sommet, pour pouvoir regarder dans les quatre directions. Chaque direction avait sa propre symbolique: le Sud est l'endroit d'où vient la vie, le Nord est l'endroit d'où vient la mort, et l'Ouest est l'endroit où va la lumière et l'Est est l'endroit d'où vient la lumière. Après avoir fait cela, les danseurs partagent leur expérience, par petits groupes. En remémorant une de ses expériences de Danse Planétaire, Halprin évoque le souvenir d’un participant qu’elle connaissait qui était en larmes, profondément ému par quelque chose. En écoutant son récit, elle a compris que son ami a eu une prise de conscience soudaine des aspects spirituels de sa vie. Comme souvent parmi les participants, la recherche de la spiritualité peut donner l’impression de quelque chose de spécial, d'inatteignable. Cependant son ami a trouvé un moment d’illumination en lien avec son travail. Il a pris conscience de la relation qu’il avait avec ses employés au restaurant, de la façon dont il traitait ses collègues, de la façon dont ils avaient l'habitude d’ interagir et de coopérer. Pour lui, cette expérience d’appartenir à un groupe relevait de la spiritualité.
L'élément principal dans l'approche de la danse d’Anna Halprin est son usage du mouvement naturel, intrinsèque au vécu quotidien du danseur. Ce type de mouvement structure l’expression et l'expérience de chaque corps. Dans son ’approche``Taking Part” Halprin parle de deux étapes. La première a lieu pour apprendre un langage commun à partir du corps, par l’usage des mouvements naturels. Les archétypes du corps reflètent et influencent les archétypes de la vie de chaque personne. Pour elle, le corps humain a des multiples dimensions: énergétique, physique, émotionnelle, mentale et spirituelle.
La deuxième étape est un outil pour libérer la créativité collectivement pensée en lien avec les Cycles RSVP. Cette méthode de Cycles RSVP a été développée par son mari Lawrence Halprin dans les années 70 pour le projet Circle the Earth afin que chaque participant amène son vécu et histoire de vie dans le projet. Les Cycles RSVP se basent sur quatre principes: R parle de ressources (matériaux à disposition), S en anglais Scores représente les partitions comme celles de musique, V parle de de la valeur des actions (plus spécifiquement l'appréciation, le feedback et la valeur qui accompagne le processus de création), alors que P vient de Performance ou l'implémentation des partitions.
``What my body can do is limited. This is not a bad thing because how I choreograph frees me from those limitations. Writing is then how I reframe and understand the body through my choreography.” — Deborah Hay
Deborah Hay est danseuse, chorégraphe, écrivaine et enseignante. Son travail se concentre sur des projets de danse postmodernes impliquant des danseurs non formés, un accompagnement musical fragmenté sur des mouvements ordinaires exécutés sous la forme des partitions. Elle est l'une des fondatrices du Judson Dance Theater- collectif de danseurs, compositeurs et artistes visuels qui se sont produits entre 1962 et 1964, à la Judson Memorial Church à Greenwich Village en Manhattan. Les artistes impliqués dans ce collectif sont reconnus pour avoir déconstruit la pratique et la théorie de la danse moderne. Sur son site, Hay décrit l’influence de ses débuts dans la compagnie de Merce Cunningham. Lors d’une tournée au Japon en 1964, elle rencontre le théâtre Noh et incorpore dans sa pratique l'extrême lenteur, le minimalisme et la suspension des mouvements dans sa chorégraphie post-Cunningham. En 1966, Hay et d'autres artistes travaillent avec les experts en informatique des Bell Labs, dans des performances collaboratives intitulées ``Evenings: Theatre and Engineering”. Lors de cette collaboration, elle participe à la performance : ``Studies in Perception 1” de Ken Knowlton et Leon Harmon. Une image de Hay, nue allongée avec l’un de premiers ordinateurs de Bell, est alors imprimée dans le New York Times puis exposée lors de l'une des premières expositions d'art informatique - ``The Machine as Seen at the End of the Mechanical Age” au Museum of Modern Art de New York à la fin de l’année 1968.
Après ces expériences, elle quitte New York pour s’installer à Vermont en 1970. Éloignée du monde de l'avant-garde artistique new-yorkaise, elle crée``Ten Circle Dances”- une pièce jouée dix soirs consécutifs sans public. Son premier livre,``Moving Through the Universe in Bare Feet (1975)”, contient ses observations tirées de cette expérience. Puis en 1976, Hay déménage du Vermont à Austin, au Texas, où elle commence à développer un ensemble de pratiques chorégraphiques autour du concept intitulé``playing awake” ( jouant éveillée) qui engageaient l'interprète à plusieurs niveaux de perception à la fois. Cette méthode chorégraphique a été d’abord enseignée lors des ateliers pour des interprètes et danseurs non formés, donnant suite à des performances publiques par la suite. Son deuxième livre, “Lamb at the Altar: The Story of a Dance” (1994), documente le processus créatif utilisé lors de cette période.
Dans les années 1990, Deborah Hay se concentre presque exclusivement sur des danses solo, développées avec des principes de``playing awake”- sa méthode chorégraphique expérimentale. Ces œuvres comprennent``The Man Who Grew Common in Wisdom” (1989),``Voilà” (1995),``The Other Side of O” (1998), transmises ensuite à des interprètes renommés aux États-Unis, en Europe et en Australie.``My Body, The Buddhist”, son troisième livre, est publié par la suite à Wesleyan University Press en 2000. Ce livre contient ses réflexions sur le bouddhisme et les leçons qu'elle a apprises en portant une attention particulière à son corps pendant qu'elle dansait. Le concept de``mémoire cellulaire” est également décrit dans son livre.
Dans sa thèse``Dance in the light of neuroscience : sharing the experience of Deborah Hay's performance : her work and reflections”, Gabriela Karolczak par du postulat que la danse est une expérience partagée entre un danseur et un spectateur, enracinée dans le mécanisme neurologique des neurones miroirs. Pour elle, les problèmes liés aux neurosciences de la danse visent la validité écologique des expériences vécues. Le travail de Hay, la façon dont elle témoigne de ses observations empiriques à travers les décennies de sa pratique, nous rendent des participants actifs de ses questionnements et du soulagement offert par cette pratique. D’ailleurs le credo artistique de Hay est défini de façon suivante:
``Without it being my intention, dance has become a medium for the study and application of detachment. Actually, I prefer the term dis-attachment because it implies a more active role in letting go. The balance between loyalty and dis-attachment to that loyalty, sensually and choreographically, is how the practice of dance remains alive for me.”- December 2010
Comme l'affirme Violeta Salvatierra dans sa thèse, outre les pratiques somatiques et l'improvisation dansée, un troisième champ de ressources pour les savoirs gestuels de cette thèse, est celui de l'analyse du geste:
``Également nommée``approche qualitative de l'analyse du mouvement” (j'utiliserai ces deux expressions indistinctement), l'analyse du geste a été développée par Hubert Godard, Odile Rouquet et d'autres danseur·ses en France depuis les années 1980, et partage des racines communes avec les techniques somatiques, dont elle se nourrit. Elle regroupe également des savoirs en biomécanique et en anatomie du mouvement
humain, en relation avec des savoirs pédagogiques. Elle est historiquement reliée à la constitution de la discipline de l’analyse fonctionnelle du mouvement du corps dansé (dérivée de celle antérieurement connue sous l’appellation de``kinésiologie de la danse”), et travaille, comme les méthodes somatiques, avec lesquelles elle partage de nombreux enjeux, sur la plasticité sensorimotrice et sur la capacité de moduler les différents paramètres qui colorent la qualité expressive du geste.”
Avant l’apparition du numérique, archiver la danse par écrit a été une manière de garder intacte le patrimoine culturel de chaque époque. Si le mouvement humain partage avec la musique les caractéristiques propres à cette dernière - hauteur, force, durée, rythme- l’expression corporelle comporte en plus un aspect tridimensionnel particulièrement difficile à rendre en deux dimensions. Bien que la danse s’écrit et se lit sur des partitions depuis le Moyen ge, le XXe siècle a apporté de l’innovation dans ce domaine. Pour décrire la fluidité du mouvement, déterminer sa durée et sa dynamique dans l'espace, ainsi que les singularités de l'interprète, les chorégraphes et chercheurs ont recours à des systèmes de notation plus complexes. Ainsi les plus connus outils d'analyse et de transcription de la danse traduisent les mouvements de manière spécifique en utilisant des notations musicales et des silhouettes, des symboles abstraits, des lettres ou des abréviations. Leur objectif est d’améliorer et répertorier les performances dansées dans la culture occidentale.
Le système de notation Laban, appelé aussi la cinétographie Laban, est un système d’écriture et d’analyse du mouvement du corps humain publié en 1928 par le chorégraphe et pédagogue hongrois Rudolf Laban. Selon Goddard, “l’impuissance à saisir par notre organisation linguistique le sens profond du mouvement “ a amenée laban vers la mise au point de son système de notation. Sous le nom de Laban Movement Analysis, il développera ultérieurement la choreutique (harmonie du corps dans l'espace) et l'eukinétique (étude de la dynamique du mouvement)- opposant “pensée motrice et pensée en mots”. Les principaux symboles de ce système sont les signes de direction avec leur durée et orientation, classifiés en formes et motifs pour déterminer la partie du corps concernée par le mouvement. Le placement des signes sur la portée donne la simultanéité des mouvements (lecture horizontale) et leur succession (lecture verticale). Les distances, les relations avec des partenaires ou avec des objets, les micro-mouvements ou encore le dessin des déplacements au sol sont indiqués par des signes spécifiques.
Laban définit également la kinésphère comme un espace imaginaire personnel placé autour de la personne et accessible directement par ses membres, jusqu'au bout des doigts et des pieds tendus dans toutes les directions. Ainsi les changements de forme peuvent être statiques (changements de postures) ou dynamiques- ce qui définit ensuite la notion de qualité de la forme, comme la manière dont le corps évolue activement d'un point à un autre de l'espace. Ce concept est étroitement lié à la qualité perçue du mouvement, concept clé dans les analyses de mouvement.
Apparu à Londres en 1955 sous le nom de Benesh Movement Notation, ce système de notation a été créé par Rudolf Benesh, musicien et mathématicien. Ainsi l’objectif de la notation Benesh est de codifier de façon concise par l'écriture tous les mouvements possibles du corps humain - à la manière d'une partition de musique. Autre que l’analyse de mouvement chorégraphique, cette notation sera utilisée conjointement dans le domaine de l’ergonomie, de la médecine et de l’anthropologie de la danse. Parmi autres un projet pilote, réalisé avec le Centro di Educazione Motoria de Florence en 1967 où la notation Benesh permet d’analyser les déficiences musculaires, contribue au traitement des enfants souffrant de paralysie cérébrale. Ensuite des physiothérapeutes basés en Suède et au Japon étudieront et exploiteront le potentiel de la notation comme outil d’observation clinique et d’analyse pour le suivi des patients. Cependant la notation Benesh est principalement utilisée comme outil d 'enregistrement des créations chorégraphiques. La maîtrise de la grammaire pour l’analyse du mouvement est claire et simple: lu de haut en bas, les cinq lignes du cadre de notation coïncident avec les positions de la tête, des épaules, de la taille, des genoux et des pieds.
La notation de mouvement Eshkol-Wachman est un système d'enregistrement de mouvement développé en Israël par la chorégraphe Noa Eshkol et l'architecte Abraham Wachman. Apparu en 1958, ce système a été créé pour la danse, afin de permettre aux chorégraphes et aux danseurs de reconstituer tout type de mouvement de danse contemporaine dans son intégralité. En comparaison avec la plupart des systèmes de notation et analyse de mouvement, Eshkol-Wachman est destinée à noter n'importe quel type de mouvement, sur papier ainsi que sur l’ordinateur. Grâce à cela, il est utilisé dans de nombreux domaines, notamment la danse, la médecine ou l’éthologie.
Des observations psychomotrices, cognitives et socio-émotionnelles en lien avec l'apprentissage de ce système, ont encouragé les chercheurs à mettre en place des études pilote quant à leur impact sur des phénomènes de coordination de mouvement (citer art EShkol) qui pourraient servir comme moyen de détection des formes d’autisme.(citer art EShkol)
Selon son fondateur, Noa Eshkol ce système est également un outil d'apprentissage qui peut aider les gens à regarder differement le mouvement:
“Eshkol-Wachman Movement Notation is a thinking tool that can teach people the art of observation, i.e. encourage them to aspire for the ultimate level of seeing. It does so by organizing the ‘material’ known as movements of the human body in relatively simple categories, thereby allowing us an insight (in-sight) into the complexity of this phenomenon as a whole.”
Ainsi, dans la notation Eshkol-Wachman le corps est divisé en articulations où chaque paire d'articulations définit un segment de ligne. Chaque système articulé des axes tient compte des relations spatiales et des changements de relations entre les parties du corps. Le résultat est un processus analytique, entre le corps, l’espace et le temps dans un référentiel sphérique où les directions et les trajectoires de chaque partie du corps sont répertoriées. Quand une extrémité d'un segment de ligne est maintenue dans une position fixe, ce point est le centre de la sphère dont le rayon est la longueur du segment de ligne. Les positions de l'extrémité libre sont définies comme deux valeurs de coordonnées sur la surface de cette sphère, analogues à la latitude et à la longitude d’un globe mais écrites sous la forme des fractions avec le nombre vertical écrit au-dessus du nombre horizontal.
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L’interprétation que nous donnons au concept de CA est pensée en lien avec ces réflexions éthiques. Puisque des disciplines tels la psychologie, la neurologie et les neurosciences ou la philosophie, n’arrivent pas à se mettre d’accord sur ce que le terme ``conscience” humaine désigne, imaginer son équivalent artificiel reste une simple projection artistique. Cependant les artifacts qui la contiennent, leur spécificité et capacités sont des paramètres que j'ai pu étudier de prêt, en mettant à avant leur degré d’intelligence et d’adaptation (bien que ces termes selon le domaine où elles opèrent ont des significations spécifiques).
Dans le cas de l’artefact ordinateur, un des avantages est sa grande capacité d’analyse de masses des données. Cependant l’accumulation continuelle des données, identifiée actuellement sous le nom de ``big data”, pose des problèmes d’analyse. Aucune machine n’est capable d’interpréter des données sans l’aide de l’humain qui configure les critères de l’analyse. Pour un concepteur, la phase où l’algorithme apprend puis s’entraîne pour s’améliorer, reste opaque. Nous assistons à des comportements et phénomènes stochastiques de la machine et leur effet sur la compréhension de l’humain. Des concepts plus avancés comme l’intelligence artificielle, font l’objet des débats et scissions au sein de la communauté de développeurs. Entre ce qu’il a été défini comme l’IA symbolique et l’IA numérique et la polarité entre ces approches exclusives déclarée dès ses origines- une alternative comme le concept d’intelligence extensive (IE) où ``Extended Intelligence” - vise l’amélioration des capacités humaines d’analyse. Plus concrètement, en lieu d’être en compétition directe avec l’intelligence humaine, l’IE cherche à la sublimer. Cette nouvelle discipline utilise l’erreur comme outil d’apprentissage et intègre des principes de slow science pour permettre à l’humain de mieux analyser les données et coopérer avec la machine. En cherchant des analogies dans notre contexte particulier qui est le domaine de l’art, il est plus facile de se concentrer sur cet aspect de l’erreur comme outil d’apprentissage et donner place à l’expressivité de la machine.Les enjeux sont moins importants. Ainsi nous pouvons imaginer comment les robots peuvent influencer des nouvelles formes d’expressivité corporelle dans une performance, par la suite des accidents qui surgissent dans ce type d’interaction.
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