Je commence cet par une contextualisation des pratiques somatiques, en retraçant de loin leur histoire en lien avec la danse.
Au début du 20é siècle, des formateurs tels Mabel Todd met les bases d’une pédagogie et d’une écologie corporelle qui s’appuient sur l’étude concomitante de la physique, de la mécanique, de l’anatomie et de la physiologie. En prenant appui sur les travaux scientifiques de son époque, Todd centre son analyse sur la place des principes d’équilibre des forces dans l’économie corporelle et sur la détermination de la forme par la fonction, en tant que loi du développement organique”. Ainsi pour elle, l’analyse des rapports entre forme et fonction explique la forme, celle-ci en étant le reflet des principes mécaniques relayant les ``lois universelles” de la physique. Dans son livre ``The thinking body”, sa méthodologie est fondée sur des procédures de visualisation des images mentales, en amont de toute exécution du mouvement. Son objectif est d’intervenir sur les mécanismes inconscients qui régissent la motricité en travaillant sur la représentation la plus précise du mouvement pendant que celui là soit accompli:
\begin{quote}
``L’imagination libère de la puissance. Lorsqu’on apprend consciemment à se servir d’images motivantes pour conditionner les réactions motrices adéquates, il faut connaître précisément trois choses : où cela se passe, dans quelle direction et selon quel désir. Quand les conditions sont réunies, le mouvement peut avoir lieu. ``Ça bouge”, alors, exactement comme ``il neige”, ``il pleut” ou ``il grêle”. Les muscles obéissant instantanément à la pensée, l’action adaptée survient. Le degré de précision et d’aisance sera fonction de la netteté de la réponse imaginée ou de son importance vitale ou non. Autrement dit, la pulsion émotionnelle ou l’adhésion à une idée conditionne un type précis de mouvement, tout comme la condensation est l’un des préalables importants à la pluie ou à la neige.”
\end{quote}
Toujours sur les muscles en lien avec ses observations sur la forme, elle identifie le mouvement comme sensation globale analogue à la fonction des muscles pour expliquer la compréhension qu’elle a de cette partie du corps:
\begin{quote}
``We have no objective phenomenal experience of our muscles. All that we are aware of and can judge by our other senses is the movement as a whole, and our sensation of movement is therefore referred to the whole movement and not the individual muscles.”
\end{quote}
Si à l’époque où Todd écrivait son livre, les muscles obéissant instantanément à la pensée, les dernières découvertes en neurosciences confirment que la plupart des opérations impliquées dans le contrôle de nos mouvements corporelles, comme la plupart des sensations qui initient un mouvement réflexe en particulier, sont de nature inconsciente. D’où vient alors cette pensée et comment des sens comme la proprioception sont en charge, autant des sensations de nos organes, que des fonctions régulatrices en lien avec les muscles. Par exemple, lorsque nous nous penchons en avant, nous faisons presque instantanément un mouvement en arrière afin de préserver notre équilibre. Comment comprendre cette vitesse avec laquelle opère notre corps pendant qu’il utilise des mouvements anticipateurs? Tout cela sans que notre pensée le détermine. Que dire alors des processus d’apprentissage comme celui de la conduite auto ou d’un nouveau type de danse? \textbf{Une nouvelle capacité motrice devient automatique une fois apprise et exécutée un nombre suffisamment des fois}. Si la plupart d’entre nous, ne sommes pas capables d’identifier l’instance de notre cerveau qui s’occupe de ce type d’apprentissage, celui-ci a lieu dans notre corps, donc c’est un processus organique constitutif de notre identité.
Pour le neurophysiologiste Alain Bertoz, la perception est une action simulée, n’étant pas seulement
\begin{quote}
``une interprétation des messages sensoriels: elle est contrainte par l’action, elle est simulation interne de l’action, elle est jugement et prise de décision, elle est anticipation des conséquences de l’action.”
\end{quote}
Toujours pour Bertoz, les modèles internes de la réalité physique ne sont pas seulement d’opérateurs mathématiques mais des vrais neurones dont les propriétés sont accordés au monde physique. Analyser le mouvement du point de vue neurologique nous permet de mieux comprendre notre spécificité et les processus physiologiques ayant lieu à l’intérieur de nous:
\begin{quote}
``L’analyse du mouvement permet donc de découvrir les solutions trouvées au cours de l’évolution pour anticiper les conséquences de l’action et simplifier le contrôle des gestes.”
\end{quote}
\textbf{Le plus que cette connaissance du corps humain s’élargit grâce à des disciplines comme les neurosciences, le plus c’est compliqué d’adapter ces principes à des technologies}. Par exemple en robotique le problème de degrés de liberté (ie le nombre d’articulations dont un corps organique dispose) reste un défi pour les ingénieurs qui les désignent:
\begin{quote}
``Les centaines de degrés de liberté qui caractérisent l’organisation anatomique et dynamique du squelette de la plupart des animaux et de l’homme, auraient rendu le contrôle du mouvement impossible si au cours de l’évolution n’étaient apparues des mécaniques par l’organisation de la géométrie du squelette, mais aussi le nombre de degrés de liberté que le cerveau doit contrôler. Les roboticiens, qui à ce jour, ne sont toujours pas capables de réaliser des machines de la complexité du moindre insecte, savent à quel point tous les ordinateurs sont vite saturés, à la fois en capacité de calcul et en rapidité, par les quelques degrés de liberté des robots qu’ils essaient de construire.”
\end{quote}
Bertoz va plus loin quant à la complexité des systèmes vivants et à l’intégration de ces principes dans des systèmes technologiques, en faisant référence au terme de \textbf{synérgie}:
\begin{quote}
``Le mot synergie vient de syn (ensemble) et ergos (travail). Ce concept a été proposé par Bernstein pour appuyer l’idée que, le système nerveux ne peuvent contrôler toutes les degrés de liberté, l’évolution a sélectionné un répertoire de mouvements simples ou complexes, que nous pouvons appeler ``mouvements naturels”, et qui impliquent des groupes de muscles et de membres travaillant (ergos) ensemble (syn). Nous avons d’ailleurs mentionné plus haut les contraintes qu’exerce le squelette sur le nombre de mouvements possibles à chaque articulation. Ce répertoire n’est d’ailleurs pas très large. Il suffit de contempler une danseuse pour constater l’extraordinaire pauvreté du répertoire moteur dont elle dispose. C’est la combinaison dans le temps et l’espace de ces éléments et les jeux de partenaires qui font à la fois le génie du chorégraphe et la richesse expressive de la danse.”
\end{quote}
Il me semble pertinent d’appliquer ce processus de synergie à notre façon de travailler, dans la mesure où cela va nous aider à mieux comprendre les incompatibilités des langages et des pratiques entre les différentes disciplines que nous adressons et leurs enjeux.
Les critiques et philosophes spécialistes en danse ont longuement analysé l’émergence du geste dansé, selon le contexte socio-culturel et l’époque quand cela a eu lieu. Pour ce qu’il y a de la danse contemporaine, \textbf{la pratique de l’improvisation}, vue comme geste libre et libérée du dogmatisme de la technique du danseur, a suscité une révolution longuement attendue. Comme le remarque Anne Boissiére dans son livre ``Approche philosophique du geste dansé”, ce geste semble s’inventer par lui-même dans l'intention de se produire sans intention immédiate ou point de départ. Un geste qui n’a pas eu besoin des explications pour s'auto suffire:
\begin{quote}
La danse dans sa nouveauté et sa vie propre, confronte la pensée esthétique à ses propres limites; elle n’est pas seulement un art du geste mais un art qui fait geste, contre les risques d’enlisement d’une pensée esthétique trop sure d’elle même. L'émancipation de la danse vis-à-vis d'autres arts oblige à reconsidérer la définition de l’art dans sa dimension multiple, c'est-à dire le rapport moderne qui lie l’art à ses genres.(...) La question de l’improvisation apparaît centrale pour penser le geste dansé, dans la mesure où celui-ci, dans sa liberté, semble ne plus devoir emprunter à un quelconque modèle mais procéder de soi, dans une impulsion et un dynamisme internes affranchis de tout point d’appui, de toute extériorité. L’improvisation n’est plus une variation sur des schémas préexistants, elle a une valeur constituante. Elle tisse une forme en acte à laquelle rien ne préexiste, une forme s’inventant à partir d’elle-même, dans une sorte de point zéro ou de commencement absolu qui lui donne son évidence et sa pureté. Il y a, à l’origine du mouvement libre, une opération de réduction qui n’est pas sans relation avec ce qu’il faut bien appeler le miracle de la danse que nous voyons opérer sous nos yeux. Quel est ce néant, ce vide, qui est au travail de façon invisible et manifeste dans la danse ?
\end{quote}
Selon Jeremy Damian, les pratiques somatiques sont nées en 1976, lorsque Hanna fonde la revue textit{Somatics Magazine -Journal of the Bodily Arts and Sciences} dont le thématique s’oriente autour des études sur le corps expérientiel et ses expériences personnels -(ie. the study of the body through the personnel experiential perspective). Pour lui, les recherches sur le corps sont souvent prisonnières d’un débat entre une interprétation d’inspiration phénoménologique et une interprétation tirée de la sémiotique : textbf{le corps comme expérience versus le corps comme signe}.
Pour aller plus loin, l'anthropologue Thomas J. Csordas déclare vouloir établir une synthèse de ces deux approches. Il focalise son attention sur ce qu’il nomme les``modes somatiques d’attention” (\textbf{somatic modes of attention}), définis comme des``manières culturellement élaborées d’être présent à et avec son corps (\textbf{ways of attending to and with one’s body)}. Csordas souligne également l'importance des environnements qui incluent la présence``incorporée” des autres. L'originalité de son approche vient de l'insistance de temoigner sur l’élaboration culturelle d’engagements sensoriels portant à la fois sur une personne, un corps et son environnement. Cela produit un ``milieu intersubjectif”, médiée par une perspective somatique qui ouvre une autre ``image du corps que celle que renvoie le miroir.”
A son tour, Violetta Salvatierra évoque dans sa thèse, le contexte d’apparition de l’éducation somatique en France:
\begin{quote}
``Elle arrive ainsi en France des États-Unis, en passant par le Québec, importée par des praticien·nes de la méthode Feldenkrais. Hanna essaye de forger à travers celle-ci une définition du corps, opérante dans ces pratiques, qui serait en rupture épistémologique avec la conception dualiste du corps/esprit et distincte ainsi du corps objectivable de la médecine (body) ; appréhendé dans sa dimension holistique et systémique, et attaché au corps vécu à la première personne, le terme``soma”, dans la définition de Thomas Hanna, fait référence au ``corps perçu de l'intérieur” et ``la somatique” est définie comme ``l'art et la science des processus d'intéraction synergétique entre la conscience, le fonctionnement biologique et l'environnement”. Par la suite, d'autres théoricien·nes ont proposé d'autres termes et notions pour désigner le champ d'expériences mobilisé par ces pratiques, tels que la ``soma-esthétique”,proposé par le philosophe Richard Shusterman, dont les travaux dans le domaine se révèlent fort normatifs”.
\end{quote}
Une autre optique rapproche les pratiques somatiques d'une certaine forme d'écologie. Ce point de vue est défendu par la chercheuse Laurence Jay, selon qui elles conviennent à chaque contexte spécifique d’une personne, en encourageant une forte affirmation de sa subjectivité. S’adressent au corps-sujet dans une approche psycho-phénoménologique, le corps est identifié par des caractéristiques communes avec le domaine du vivant, donc en homéostasie, pour assurer une survie permanente:
\begin{quote}
``Il est pensé comme un tout. Il ne s’agit pas d’un amas de parties disjointes, mais d’un système organisé de façon dynamique et en équilibre complexe, interdépendant dans chaque mouvement, chaque fonction, chaque échange d’énergie et d’information. Il ne s’agit pas d’une vision mécaniste qui sépare le haut et le bas, la matière et le processus, le soi et les autres, le soi et l’environnement, la pensée et les émotions. C’est une pensée systémique, un point de vue corps-sujet-monde. Ce point de vue rejoint les théories écologiques et systémiques et permet d’imaginer une écologie corporelle, en actes.”
Pour mieux expliquer la dynamique qui opère entre la danse et les pratiques somatiques,je m'interroge sur la façon dont ces techniques structurent la corporéité ainsi que l'expérience phénoménologique du cors et ses sensations, lorsqu’elles sont employés comme exercices d'échauffement et entraînement régulier. Lorsqu’un danseur apprend une technique de danse, son corps est capable de reproduire les mouvements et de se mouvoir presque de façon automatique, selon les contraintes de cette technique. Lorsqu'il s’approprie une pratique somatique, cela est plus difficile à prouver, le danseur n’ayant pas d’autre preuve à son appui que les traces de cette expérience à l’intérieur de son propre corps. Ainsi l’intériorité et l'expérience sensible du danseur trouvent leur place dans l'expérience kinesthésique:
\begin{quote}
``Si toute technique de danse5 est affaire d’un programme systématique d’instructions, venant façonner le corps perçu à l’image d’un corps idéal, via la médiation d’un corps démonstratif (Foster, 1992) ; si les injonctions à faire et à sentir, et corrélativement, les actions et les perceptions produites (Cazemajou, 2013), relatent implicitement un modèle déterminé de corporéité ; peut-on dire la même chose pour les somatiques?”
Lors des stages et ateliers de danse, j’ai eu l'occasion de me former et d'acquérir des compétences orientées autour de ma propre intériorité. Mais chaque expérience du corps et son vécu est difficilement traduisible pour les autres. Pour mieux témoigner de cet état, le philosophe Bruno Latour explicite dans son essai ``How to talk about the body” ce qu’il entend par le fait d'avoir un corps:
\begin{quote}
``To have a body is to learn to be affected, meaning ‘effectuated’, moved, put into motion by other entities, humans or non-humans. If you are not engaged in this learning you become insensitive, dumb, you drop dead. Equipped with such a ‘patho-logical’ definition of the body, one is not obliged to define an essence, a substance (what the body is by nature), but rather, I will argue, an interface that becomes more and more describable as it learns to be affected by more and more elements. The body is thus not a provisional residence of something superior – an immortal soul, the universal or thought – but what leaves a dynamic trajectory by which we learn to register and become sensitive to what the world is made of. Such is the great virtue of this definition: there is no sense in defining the body directly, but only in rendering the body sensitive
Pour revenir au terme de somatique, du grec \textit{soma -corps ressenti, vécu de l'intérieur} et faire la distinction entre ses différentes approches, je m’appuie principalement sur les observations d’Isabelle Ginot. Dans l'ouvrage collectif ``Penser les somatiques avec Feldenkrais” elle mentionne la motivation du chercheur Thomas Hanna de réunir sous le terme générique de somatiques une panoplie de pratiques afin de souligner leurs principes communs:
\begin{quote}
``une conception holistique du sujet (où corps, pensée, affects, émotions sont indissociables), un instrumentarium savant de techniques gestuelles, manuelles et tactiles, une place centrale accordée à l’expérience subjective via un travail approfondi sur la perception en général, et en particulier sur le sens kinesthésique (celui qui nous permet de savoir dans quelle position nous sommes, si nous sommes stables ou en train de bouger, quelle est la position de nos membres même si nous ne les voyons pas…). Au-delà de ces principes communs, ces techniques sont multiples, elles puisent dans des croyances et des savoirs divers selon leur époque, et surtout, elles inventent et diffusent des imaginaires du corps et des gestes bien différents les uns des autres.”
\end{quote}
Ginot propose une classification selon les critères de l’analyste du mouvement Hubert Godard orientés autour de l'expérience collective ou individuelle. Souvent dans les séances collectives, le praticien propose des explorations sans illustrer le mouvement, afin que chacun puisse explorer sa propre sensibilité esthétique et contraintes physiologiques. Lors des séances individuelles, le praticien propose un guidage à partir du toucher, parfois guidant par la parole une prise de conscience de son sujet. Celui-ci observe les effets du relâchement des blocages musculaires sur ses gestes, les variations de son propre poids selon les changements de posture et découvre grâce à des représentations internes, des parties auparavant méconnues de lui-même appelés par Godard ``des zones organiques profondes”:
``Certaines travaillent à partir d’une cartographie des tissus et de leurs caractéristiques biologiques — fascias, muscles, peau, os, viscères — et pensent le changement du geste et de la posture primordialement à partir des changements conduits dans ces tissus ; d’autres, telle la méthode Feldenkrais qui nous intéressera ici, s’appuient avant tout sur la construction des coordinations, soit la façon dont chacun de nous a appris (et peut réapprendre) à composer ses gestes dans l’espace et le temps jusqu’à ce que ce répertoire de nouvelles habitudes gestuelles compose la texture même de sa vie, et garde la plasticité nécessaire pour des changements ultérieurs. D’autres encore privilégient le travail sur la perception… Elles se pratiquent en séances collectives ou individuelles, passent très souvent par un travail sur le toucher (un des nombreux tabous concernant le corps en Occident), se définissent soit comme ``éducatives” soit comme ``thérapeutiques”, ou encore les deux à la fois.”
Depuis 2014, j’ai pratiqué plusieurs disciplines en lien avec la pensée du corps et l’intelligence du mouvement. Je définis ici \textit{intelligence du mouvement} selon Jay pour laquelle il s’agit principalement de:
\begin{quote}
``la faculté qu’a le corps à sentir, ressentir, réguler, équilibrer, décider, agir pour exprimer la vie qui l’anime c’est-à-dire le sujet. L’intelligence du mouvement habite le corps tout entier, pas seulement le cerveau. Le cerveau est informé et informe et l’intelligence du mouvement dialogue avec la pensée. Nous avons appris à considérer notre corps comme une machine, à faire en sorte de le contrôler le plus efficacement possible, à le gérer comme un lieu d’entrée sortie, à l’espérer plus silencieux qu’expressif, pour finalement somatiser lorsque notre corps exprime l’inexprimé.”
Concernant mes propres expériences kinesthésiques et le travail de ``prise de conscience” de mon propre corps, j'ai remarqué que cela est plus facilement traduisible en mots, lors des moments de lâcher prise en improvisation. Les outils que j’ai retenus lors des sessions d'apprentissage servent principalement à affiner ma concentration et la facilité de mouvement. La plupart des méthodes que j’ai pu expérimenter, visent l'utilisation d’une quantité d'effort appropriée pour une activité particulière, libérant les tensions du corps pour avoir plus d'énergie à utiliser ailleurs. Bien que la communauté des pratiquants puisse parler des effets thérapeutiques de ces pratiques, j'aimerais clarifier cet aspect.
Pour moi et probablement pour des autres praticiens, il ne s'agit pas des traitements proprement parler, mais plutôt d'une volonté de rééducation de l'esprit et du corps en libérant des tensions et blocages.
En me rapprochant des ces pratiques, j'ai découvert entre outre la méthode Body Mind Centering lors de sessions d'entraînement physique au théâtre du Soleil. En 2014, j'ai été en stage à la Cartoucherie de Vincennes en tant qu’assistante décor pour le spectacle MacBeth. Avec d'autres stagiaires, nous nous réunissons le matin pour pratiquer des exercices d’éveil corporel.
Cette pédagogie du corps est orienté vers la recherche d’un équilibre entre le système nerveux sympathique et le système nerveux parasympathique. Plus tard j'ai eu l'occasion d'approfondir et mieux me renseigner sur ses principes.
La Body-Mind Centering a été créée à la fin des années 70 par Bonnie Bainbridge Cohen, danseuse, ergothérapeute et ancienne choréologue en notation Laban. Son approche se focalise sur la perception individuelle, lors des études expérientiellse de l'anatomie et de la physiologie du corps. Elle utilise des systèmes pour définir plusieurs niveaux d'exploration sensorielle. Cela donne suite à un mélange d'expérience cognitive de compréhension et expérience phénoménologique d'intégration expérientielle du corps. Un des objectifs de cette pratique est d'agrandir les dynamiques psycho-physiques de la perception. Ainsi le développement du mouvement est étudié à l'échelle de son développement ontogenetique (de l'embryon à l'adulte) et comme évolution progressive des espèces dans le règne animal (la marche des amphibies a évolué en marche bipède des mammifères).
Avant tout, BMC est une étude expérientielle basée sur l'incarnation qui a un interet pour le développement en tant que processus de travail mais aussi devenir du corps:
\begin{quote}
``Development is not a linear process but occurs in overlapping waves with each stage containing elements of all the others. Because each previous stage underlies and supports each successive stage, any skipping, interrupting, or failing to complete a stage of development can lead to alignment/ movement problems, imbalances within the body systems, and problems in perception, sequencing, organization, memory, creativity and communication.“
\end{quote}
Cette pratique corporelle est largement utilisée non seulement dans la danse mais aussi dans de nombreux types de travail corporel, psycho-thérapie, yoga ou musique. A travers le mouvement et le toucher, les praticiens explorent des principes anatomiques et physiologiques multiples. Cela favorise une prise de conscience des divers systèmes du corps- liquides, tissus, organes, squelette, le système neuro-endocrinien pour orienter une action basée sur la perception.
\begin{itemize}
\item Parmi ces systèmes, nous mentionnons le système squelettique- structure de soutien qui répartit notre poids sur la terre, en lien avec la gravité.
\item Le système des organes est pour la communauté BMC plutôt connecté à nos émotions et à notre façon de les exprimer.
\item Le système endocrinien est vu comme métaphore de notre intuition et s'exprime dans nos moments forts tandis que le système de muscles exprime notre vitalité et notre puissance.
\item Le système nerveux à son tour est un support de la mémoire de nos expériences et perceptions. Lorsque le mental incorpore cette structure, il facilite l'apprentissage de nouvelles expériences basées sur l’intuition et la créativité.
\end{itemize}
Pour les praticiens BMC, lorsqu'un système est sur-stimulé ou déséquilibré, il peut devenir la source de blessures, de maladies ou de détresse émotionnelle et psychologique. Pour équilibrer cela, l'imaginaire biologique du BMC stimule la prise en conscience du fonctionnement du corps lors des sessions guidées. Cependant, comme le décrit l’anthropologue Jeremy Damien dans sa thèse, lors de son expérience BMC en danse amateur avec le collectif \textit{Les Zélées}, les danseurs ont du mal à se représenter et entrer en relation avec certains systèmes. Le système lymphatique avec les attributs désignés par les praticiens tels ``la clarté” et ``la finesse” induit en erreur les danseurs, au point où l’auteur se demande si cela relève d’une réalité du corps ou plutôt d’une métaphore à intégrer de façon subjective. C'est important de remarque ici encore une fois des ambiguïtés en lien avec des concepts pluridisciplinaires. La signification du mot ``lymphe” dans le domaine de la médecine n’est pas la même lors d’un atelier de danse. En tant qu’anthropologue, Damien rapproche la pré-supposée dimension thérapeutique de certaines pratiques, à des rituels et formes d’auto-suggestion collectives. Pour ma part, je m'interroge sur les effets de ces pratiques sur l’imagination des danseurs, sur leur capacité de produire des mouvements ``nouveaux”. La réponse vient de Cohen pour qui:
\begin{quote}
``when we are talking about blood or lymph or any physical substances, we are not only talking about substances but about states of consciousness and processes inherent within them. We are relating our experiences to these maps, but the maps are not the experience”.
\end{quote}
Pour porter cette réflexion plus loin, Carla Bottiglieri cite à son tour la philosophe et chorégraphe allemande Petra Sabisch pour qui:
\begin{quote}
``le mouvement est porté par une sorte de conjecture : il est l’expression exacte de l’indétermination de la relation entre sensation et imagination. Sans cette inspiration spéculative dans le jeu co-immanent entre le fond kinesthésique et les procédures imaginatives de production de l’image, il n’y aurait pas de spécifications par rapport aux qualités du mouvement. La relation indéterminée entre sensation et imagination devient un rapport singulier : elle produit une différence dans la qualité du mouvement, sans pour autant épuiser la virtualité de leur relation.”
\end{quote}
Dans son livre ``Sensing, feeling and acting”, Cohen explique son intention de faciliter l'accès à ``une connaissance nouvelle en provenance de soi” et ainsi résoudre la dichotomie corps-esprit. Cela est structuré autour de trois concepts-clé qu’elle appelle l’alphabet de mouvement:
\begin{quote}
``les réflexes primitifs en lien avec les mouvements spontanés et leur relation avec les mouvements intégrés, les réactions de redressement par rapport à la gravité et les réponses d'équilibration pour garder notre centre de masse en équilibre et rester débout”.
\end{quote}
Un quatrième concept intitulé \textit{Basic Neuro Cellular Patterns} synthétise ces derniers, en organisant une classification de modèles en lien avec le développement phylogenetic et ontogenetic du mouvement. Il faut également préciser qu’en BMC le terme ``somatique” est pensé en opposition avec celui de ``psychique”, avec un fort intérêt pour les mouvements réflexes et la façon dont le système nerveux périphérique s'organise. Pour clarifier le mouvement réflexe, Cohen affirme:
``When a movement becomes reflexive, would you say that the experience goes from sensing to feeling? Yes it gets into the blood. I feel the reflexes have a lot to do with the blood, with emotional expressions”.
Selon BMC, la manière de bouger de chaque individu est influencée par la façon dont le mental se manifeste dans le corps lorsqu’il bouge. Lorsqu'il y a un ajustement perpétuel entre action et cognition, il y a également un alignement harmonieux entre différents systèmes. Comme déjà précisé, les supports d'exploration sont constitués de nos sens mais aussi de notre imagination.
Entrer dans cette dimension imaginaire implique la sollicitation \textbf{du sens de la proprioception}. Cela part de l'hypothèse que chaque tissu de notre corps a sa propre vibration et résonance. La qualité du toucher dans BMC est ainsi basée sur la compréhension expérientielle de ces données. En parallèle, les praticiens peuvent prendre conscience d'une partie du corps en étudiant des images, des textes ou des livres d'anatomie pour mieux les visualiser. Une des formes d’exploration le plus directes repose sur un mélange entre le toucher et la visualisation des parties du corps pour arriver à un état de somatisation. Cet état est défini comme une prise de conscience directe des sensations et perceptions qui se dégagent de la partie du corps sur laquelle nous nous focalisons. Il est suggéré que, ors de cette étape de somatisation en BMC, un échange d'informations bi-directionnel a lieu entre les cellules du corps et le cerveau. Le toucher et le mouvement sont parmi les premiers sens que nous expérimentons lors de notre naissance. Ainsi cela renvoie à des processus de re-mémorisation des sensations plus anciennes de notre corps.
``D’autre part, l’opération de centrage renvoie métaphoriquement aux gestes manuels du potier, qui tourne l’argile autour du vide, pour donner forme à un vase. Moulage ou modulation 17 ? Le centrage, écrit Cohen, n’est ni la recherche d’aboutissement d’une forme, ni un lieu d’arrivée, mais un ``équilibre dynamique qui fluctue autour d’un point en déplacement constant” 18. Il peut ainsi s’initier en n’importe quel point, se propager vers n’importe quelle direction : plusieurs centres, donc, comme autant de foyers possibles d’amorce et d’amplification. J’ajouterai que ce mouvement est le processus continu d’une relation où les termes s’échangent, ou se permutent : body et mind ne relèvent pas de deux ontologies distinctes, bien plutôt, ils instancient deux bordures, ou deux faces d’une limite topologique où formes et forces s’affectent mutuellement, se répètent et se différent, adviennent les unes aux autres, deviennent.”
Puisque cette technique est en constant renouvellement et amélioration, dernièrement un autre concept-clé a été développé.
La conscience et l’embodiment cellulaire représentent:
\begin{quote}
``a state in which all cells have equal opportunity for expression, receptivity and cooperation. Attuning ourselves to our cellular consciousness brings us to a state in which we can find the ground from which flows the intricate manifestations of our physical, physiological and spiritual being.” Cependant Cohen ne mentionne pas ses applications en danse et la filiation avec le travail de la chorégraphe américaine Deborah Hay que nous allons mentionner plus loin. Si pour Cohen ``cellular consciousness is awakening the cells to themselves, which the brain cannot do.”
\end{quote}
A son tour, la chorégraphe Deborah Hay emploie ces concepts pour évoquer un état méditatif dans lequel des états de présence. Je vais aborder la façon dont je m'approprie ces éléments dans ma pratique, plus tard dans notre étude.
Cependant j'aimerais préciser que faire l'expérience de ma propre anatomie et de son fonctionnement psychologique, a augmenté mon sentiment d’identité artistique en tant que danseuse. Lors de mes laboratoires de recherche sur la conscience corporelle, j’ai eu l’occasion d’améliorer ma pratique et choisir ce qui mieux correspond à mes intentions, en interprétant à ma façon cette approche kinesthésique de l'anatomie humaine.
A ce jour, je pense avoir utilisé le BMC comme point de départ afin de développer une meilleure compréhension des sensations de mon corps et de l'action exprimée par le mouvement et le toucher. Cela m'a permis d'activer une forme de conscience propre à chaque partie de mon corps et ainsi faire émerger une danse spontanée, propre à ce vécu.
Cette méthode développé par Moshé Feldenkrais revisite le mouvement des articulations de chaque corps, laissant à chacun la possibilité d’être plus autonome et confiant lorsqu’il bouge à sa façon. Ces cours sont connus sous le nom des ``cours de prise de conscience par le mouvement”. Pareil aux autres pratiques somatiques, elle permet de se focaliser sur les sensations internes, pour voir comment exécuter des mouvements plus souples. La méthode Feldenkrais vise à restaurer la capacité de bouger lors des accidents et à reprendre des habitudes de mouvement naturelles, en comprenant la quantité d'efforts nécessaires pour exécuter un mouvement de façon efficace. De cette façon, chaque participant a la possibilité d'être plus autonome et en confiance lors de ses déplacements dans l’espace. Proche de pratiques corporelles comme le Tai Chi, Feldenkrais utilise des mouvements lents pour faciliter la concentration du pratiquant sur des effets de maîtrise de sa force ou de sa flexibilité.
J’ai découvert la méthode Feldenkrais lors des cours hebdomadaires à l’université Sorbonne Nouvelle. La chercheuse Sylvie Frotin mentionne comment cette pratique contribue au processus de subjectivation en valorisant \textbf{le corps-sujet plutôt que le corps-objet}. En invitant, par exemple, une personne ``à déterminer la position optimale pour exécuter un mouvement en s’appuyant sur son ressenti plutôt que sur des standards esthétiques arbitraires”3\cite{Frottin}. Différents exercices basés sur la perception du corps en mouvement ou sur la conscience de la respiration, permettent aux participants de prendre conscience de leurs habitudes corporelles. Ainsi en Feldenkreis, ``l’apprentissage consiste à éveiller les zones d’anesthésie sensorielle et à élargir les types de sensation possible”\cite{Frottin}.
Plus généralement, la méthode Feldenkrais aide à coordonner différentes parties du corps ensemble, encourageant l'expression des ressentis et des émotions pour une intégration holistique du corps et de l'esprit.
Dans l’approche défendue par cette pratique somatique, souvent onscience du mouvement et conscience de la respiration vont ensemble:
``L’éducateur somatique adhère à l’idée qu’une fonction sensori-motrice entravée affecte l’ensemble de la personne. Réciproquement, toute amélioration d’une fonction améliorera éventuellement l’entièreté de la personne. Par exemple, face à une personne présentant une respiration déficiente, le professeur pourra donc proposer diverses activités de mouvements pour que la personne chemine vers un mouvement diaphragmatique ample et pleinement fonctionnel, puisqu’il sait qu’un diaphragme apaisé est accompagné de cognitions moins anxiogènes. (…) Ressentir sa solidité osseuse, ressentir une expansion de sa respiration, sentir son regard s’ouvrir, pour ne citer que ces quelques exemples, sont la manifestation physique d’une confiance en soi ou, inversement pourrions-nous dire, la confiance en soi est la manifestation psychologique d’une solidité osseuse, d’une expansion de sa respiration ou d’un regard ouvert.”
Les positions utilisées dans Feldenkrais telles \textit{la pose au sol}, visent à réduire l’effet de la gravité sur le corps. Cela encourage la hanche à s'ouvrir pour faciliter des actions comme la marche et la course et améliore la mobilité des mouvements et aide à soulager les tensions et les tensions sur les articulations.
Ce sont des exercices collectifs structurés autour d’un thème, dont l’objectif est d’avoir une prise de conscience sur son propre mouvement. Autre que les instructions sur la façon de bouger, le praticien donne des indications perceptives - sur quoi concentrer son attention et conceptuelles -pourquoi cette méthode ne s’illustre pas, pourquoi elle cherche le moindre effort.
\textbf{
Les exercices du recueil ``Awareness Through Movement (PCM)” peuvent etre liés aux travaux de F. Varela sur l'autopoïèse}
Praticienne Feldenkreis, Isabelle Ginot témoigne également des changements qui opèrent dans le corps et les différentes manière de les évaluer.
À la fin d’une séance de ``Prise de conscience par le mouvement”, l’expérience la plus courante est celle d’un changement très sensible dans la perception de la posture debout- comprendre quels appuis, observer son alignement, son hauteur et l’espace autour. En guise de conclusion de la séance, la marche et divers mouvements quotidiens sont proposés à l’exploration. Chaque changement peut être ressenti plus ou moins durablement et surtout différemment. Chaque perception est spécifique- par exemple un élève ressent son poids reparti différemment entre ses deux pieds. Un autre est confuse ou soulagée par la découverte de nouvelles postures. Quand un changement persiste d'une séance à l'autre, il deviendra plus habituel ou, selon l’expression de Feldenkrais - ``intégré”. Ce qui signifiera par exemple que le poids du corps est mieux réparti qu’auparavant, sans que l'élève le remarque. Cette nouvelle organisation gravitaire aura intégré le schéma corporel de la personne.
Une autre méthode que j’ai intégrée dans mon approche expérimentale d'entraînement est la technique ViewPoints. Cette technique structurelle des processus de composition et de la mise en scène, est issue d’une méthode inventée par l’artiste de théâtre Mary Overlie dans les années 70. Son objectif est de stimuler la créativité et l’inspiration en utilisant des points de vue pour focaliser la concentration et ordonner la façon de travailler. Elle a été ensuite adaptée par les metteuses en scène Anne Bogart et Tina Landau autour de neuf points de vue ``physiques” et de 5 points de vue ``vocaux”. Pour moi, l'apprentissage de ViewPoints s’est fait à travers des sessions d'expérimentations pratiques avec le collectif de metteurs en scène Open Source. En tant qu’outil de mise en scène, le ViewPoints revisite la hiérarchie traditionnelle entre metteur en scène et acteurs. Les acteurs sont considérés comme des participants actifs dans la création globale du spectacle. Leur attention est focalisée sur différents éléments de la performance -rythme, durée, geste, relation spatiale. L’article \cite{Dennis} rend compte des expériences des étudiants en danse qui utilisent cette méthode. L'auteur interroge les exigences de cette méthode suite aux multiples positions du sujet. Il est à la fois observateur, participant, créateur, témoin et acteur.
Cela part de la supposition que si les acteurs sont ouverts à leur environnement scénique, ils peuvent créer un mouvement et une composition scéniques dynamique. Dans un entretien lors d’une conférence sur cette technique, une de ses fondatrices, Anne Bogart affirme que rien n'est inventé, pour cette pratique, mais que tout est venu comme une réponse concerte à des besoins de plateau.
Cherchant à convoquer l'instinct sur le plateau, ce qui m'intéresse dans cette technique est son rapport à la danse, définie au sens large comme mouvement:
\begin{quote}
``What is dance? they asked. If an elephant swings its trunk, is it dance? If a person walks across the stage, is that dance?”
\end{quote}
Parmi les principes employés, \textbf{la réponse kinesthésique} est un type de mouvement selon lequel un geste spontané surgit en réponse à l’environnement extérieur. Des exemples de réponses kinesthésiques apparaissent lorsque nous nous levons instantanément quand quelqu’un ouvre une porte ou nous grattons la tête si quelqu’un nous pose une question difficile.
Ce principe permet d’analyser le geste selon deux critères:
\begin{itemize}
\item gestes comportementaux: ceux que nous employons dans notre vie quotidienne, qui font écho à des situations de vie
\item gestes expressifs: ceux qui expriment une émotion et répondent à des besoins d’abstractisation
\end{itemize}
Appliquer ces observations au fonctionnement d’une machine, m’a permis de voir si des gestes expressifs peuvent lui être propres ou pas.
Entre philosophie pratique du travail, méthode d'entraînement ou technique d’improvisation, Viewpoints aide à mieux structurer le corps dans l'espace et le temps de la représentation. Ses éléments tangibles sont des points de vue selon lesquels les participants concentrent leur attention. Ils fournissent un ensemble d'outils qui libèrent l'imagination. Au plus lus large, l'approche systématique de cette méthode aide également les praticiens à remettre en question leur perception. Cela les permet de s'investir dans une pratique créative qui exige action et exploration pour déconstruire et réorganiser un théâtre viscéral et visuel.
Une autre type d’exploration sensorielle que j’ai eu l’occasion de découvrir est la danse Butō, lors de mes stages avec Atsushi Takenouchi entre 2013 et 2015. Cette pratique devenue un style de danse japonaise d'avant-garde est également un mode de vie. Elle diffère à la fois de la danse traditionnelle japonaise et de la danse occidentale moderne. Créé par Tatsumi Hijikata et Kazuo Ohno probablement en réaction aux événements de la Seconde Guerre mondiale, elle explore des thèmes tabous de la société. Ainsi cette danse convoque des images grotesques avec des mouvements corporels parfois lents, parfois compulsifs toujours en lien avec le soi.
Haruchika Noguchi (1911 - 1976), \textbf{inventeur du concept thérapeutique de Seitai}, developpe ensuite \textit{Katsugen Undo} comme pratique complémentaire au butô. Katsugen Undo part du postulat que nous avons tendance à nous concentrer sur des énergies excessives qui inhibent nos systèmes d'autorégulation, altérant ainsi nos fonctions physiques, mentales et émotionnelles. Cette pratique est un exercice dynamique destiné à soulager le stress, à détoxifier le corps et à l'amener à un équilibre naturel et sain. Elle laisse libre cours aux mouvements involontaires du système nerveux autonome, en améliorant l'endurance et la flexibilité de l'organisme.
Ensuite début 2020 je suis allée en Israël pour expérimenter le Gaga Movement, dont la pédagogie encourage le lâcher prise et le bien être des danseurs. Mouvement de danse non-conventionnelle, cette pratique a été développée par le directeur artistique de la Batsheva Dance Company, Ohad Naharin. Lors d’un accident au dos dans les années 90, il s'est lancé dans un processus de recherche corporelle avec des personnes sans expérience en danse. Ces expérimentations ont donné place au laboratoire Gaga/people étant ensuite demandés comme training régulier par les danseurs de sa compagnie, donnant suite aux cycles Gaga/dancers. Selon le contexte, cette technique a plusieurs déclinaisons: training pour renforcer le corps et le préparer physiquement en termes de souplesse et d'endurance, échauffement avant les répétitions et outil d’exploration pour cultiver la créativité.
Dans son article- ``The Phenomenology of the Body Schema and Contemporary Dance Practice: The Example of \textit{Gaga}”, la chercheuse Anna Foultier décrit les modalités de travail des danseurs du 21e siècle, devenus entrepreneurs de leur propre corps et technicité:
``En raison des tendances chorégraphiques et artistiques ainsi que de la difficulté croissante pour les danseurs d'obtenir des contrats plus longs, la danseuse est devenue une \textit{entrepreneure} censée façonner sa formation, s'adapter à divers styles et pratiques chorégraphiques et souvent fournir du matériel de mouvement aux pièces avec lesquelles elle travaille. Que cela soit perçu comme libérant l'agence et l'autorité de la danseuse sur son travail ou comme un accommodement à un contexte sociétal marqué par le néolibéralisme où La qualité marchande est un impératif, le danseur contemporain a une approche éclectique où l'entraînement peut varier du ballet, moderne, jazz, capoeira, pilates ou yoga à la natation ou à la course. Dans le monde de la danse post-postmoderne, l'accent n'est plus mis sur le moulage du corps dans une certaine forme, comme dans le ballet classique, ou sur le démantèlement des habitudes afin de découvrir des modèles de mouvement naturels, comme dans la danse moderne, mais plutôt sur la déconstruction et le remodelage continus du corps.”
Dans les cours de Gaga que j’ai pris, l'enseignant et les participants sont en constant mouvement. Les participants reçoivent plusieurs types d’instructions: lever ses bras comme s'ils ont un poids lourd sur le dos, les soulever et les laisser tomber en étant recouvert par du miel, sentir ses bras légers comme une plume, tomber au sol avec la même vitesse que les bras qui tombent, etc. L'objectif de Gaga est d'ouvrir de nouvelles possibilités d'exploration dans le corps et ainsi confronter les anciennes habitudes afin de développer une conscience du corps et une écoute intérieure.
\textit{Le Shaking} vu ici comme tremblement volontaire du corps est une pratique somatique que nous pouvons observer dans les animaux lorsqu’ils secouent leur corps après un événement dangereux qui a sollicité leur instinct de survie. Les éthologues ont identifié trois mécanismes de défense comme formes de réaction immédiate chez les animaux: s’en fuir, se battre ou se figer - le célebre \textit{fight, flee or freez}. Parmi les trois la réponse ``se figer” (en anglais \textit{freeze}) est un mécanisme de survie qui protège l’animal en danger en inhibant et immobilisant son corps face à la douleur. C’est le cas de la vidéo du bison entouré par des lions qui dévient tout d’un coup mou et arrête de se débattre dans la bouche du crocodile, pour s’enfouir deux secondes après que les lions commencent à leur tour attaquer le crocodile pour disputer leur proie.\textbf{mettre lien}
Une fois inhibés, les mécanismes de défense produites par le corps, comme l'adrénaline, restent stockés à l’intérieur et une fois le danger passé, les animaux vont secouer leur corps pour les libérer.
Les exercices de libération des tensions aident le corps à accéder à des schémas musculaires profonds de stress et de tension, voire de traumatismes pour certains chercheurs (citer). Elles activent un mécanisme réflexe naturel de tremblement ou de vibration qui libère la tension musculaire, calmant le système nerveux. Lorsque ce mécanisme de secousses musculaires et vibrations est activé de façon volontaire, le corps est encouragé à revenir à un état d'équilibre.
J’ai décidé d’utiliser et ensuite adapter cette technique lors de mes échauffements de danse car cette méthode n’a pas spécifiquement pour but de se concentrer sur soi et de ralentir le fil des pensées, mais plutôt de ``libérer” le corps de ses tensions et privilégier le sentiment de lâcher-prise. Cette technique peut fonctionner particulièrement bien pour tous ceux et celles qui ont beaucoup de mal à rester sans bouger et à mettre leurs pensées en pause. Actuellement des thérapeutes utilisent des techniques de shaking pour réduire les effets du stress traumatique (PTSD).
David Berceli, est auteur de trois livres traduits en 15 langues.
Il est psychologue et activiste humanitaire américain qui travaille dans les domaines de la réduction du stress suite à des traumatismes. Dés la fin des années 1990, Berceli a travaillé en Extrême-Orient et en Afrique dans des zones de conflit. Suite à cette expérience du terrain, il a remarqué à quel point les secousses étaient une réponse universelle au traumatisme. Ces expériences l’ont mené à la création d'un ensemble d'exercices de libération de tension et de traumatisme appelés \textit{Tension and Trauma Releasing Exercises(TRE)}. Sa carrière universitaire comprend un diplôme en travail social (PhD), en travail social clinique (MA), en théologie (MA), ainsi qu'en études du Moyen-Orient (MA). L’objectif de sa thérapie est de trouver des moyens pour calmer le système nerveux avec l’aide de ce qu'il défine comme \textit{Self Induced Therapeutic Tremors (SUTT)} pour un état de détente et repos parasympathiques profond. Sa méthode est basée sur une approche neurophysiologique intégrative qui utilise l' homéostasie pour décharger de façon mécanique la tension physique du corps.
Selon des études (citer), pratiquer le ``shaking” en tant que protocole de mouvement au moins entre 5 et 15 minutes à la fois, permettrait d’activer le système nerveux parasympathique, ce qu’indique au corps de se détendre. Cette communication directe entre nos muscles, nos membres et notre système nerveux central permet de relâcher certaines tensions, tout en activant un sens de présence dans le corps.
Un autre outil que Berceli combine avec sa technique est la méditation de la pleine conscience pour réguler les émotions en augmentant le lien avec le corps et sa sensorialité. La pleine conscience encourage l'acceptation plutôt que l'évitement des expériences traumatiques et diminue la rumination sur des événements passés ou futurs qui peuvent épuiser notre énergie. Une première étude pilote qui mesure le stress chez 21 professionnels de la santé en Afrique du Sud, avant et après une utilisation de la méthode TRE pendant 8 semaines, montre les effets de cette méthode \cite{Bercelli}.
Tout d'abord, je me familiarise avec la pièce où je suis et la surface sur laquelle mon corps s’appuie, afin que mon système nerveux soit détendu et habitué à son environnemt. Je ferme les yeux et écoute les bruits autour de moi, du plus lointain au plus proche. Je touche les surfaces autour de moi, en insistant sur les textures. Une fois ce type d’exercice sensoriel fini, je commence par faire quelques exercices préparatoires tels que des étirements type yoga ou pilates pour fatiguer mes muscles. L’objectif est de privilégier un état de lacher- prise, pour l'étape suivante. Ensuite je m'allonge sur le dos, la plante des pieds jointe, les genoux pliés sur le côté. Je compte jusqu'au 150 pendant que je ramène mes genoux l'un vers l'autre et je maintiens la position. Je répète cette étape jusq'au quand mes genoux se touchent.
Petit à petit, je sens les muscles de ma cuisse se fatiguer. Pour Berceli, cette phase représente les shakes ou les tremblements. Au fur et à mesure que mes genoux s’approchent, les tremblements deviennent plus évidents et je peux les sentir remonter le long de mes jambes ou ma colonne vertébrale. Après vingt minutes, alors que mes genoux sont maintenant presque collés l'un à l’autre, je saccade le bas de mon corps presque d'une façon comique.
Pour prolonger l'expérience, je m'allonge sur le dos et prends quelques minutes pour expirer bruyamment. Lorsque je me sens détendue,je m'asseoir sur mes talons. Je prends quelques respirations, puis je réfléchis à mon ressenti et à comment intégrer cette expérimentation dans mes recherches corporelles.
Dans son livre ``Histoire de la danse” (1933) Curt Sachs parle de la danse comme le premier-né des arts:
\begin{quote}
``La musique et la poésie s'écoulent dans le temps ; les arts plastiques et l'architecture modèlent l'espace. Mais la danse vit à la fois dans l'espace et le temps. Avant de confier ses émotions à la pierre, au verbe, au son, l'homme se sert de son propre corps pour organiser l'espace et pour rythmer le temps”.
Pour prouver que la danse apporte une dimension sotériologique depuis toujours, il liste les danses à contre coups et les danses extatiques des peuples primitifs. Un siècle après ces observations, cette dimension thérapeutique des danses reste toujours d’actualité. Des méthodes d’éducation somatique développent autant de moyens pour dépasser nos dissonances cognitives et comprendre l’intelligence du corps. Cependant il est important de souligner que dans notre contexte, ce qui nous intéresse est la façon dont ces méthodes ont pu accompagner les danseurs et praticiens en danse dans leur l’intention de renouveler les formes d’expression de cet art.
L’histoire de la danse moderne et son renouvellement de formes à partir du début du 20e siècle, commence avec l'américaine Loïe Fuller et sa \textit{Danse Serpentine}, faite de spirales et de volutes de voiles. Égérie de l'avant-garde artistique de la Belle Epoque, elle libère le corps et met en place les bases de l’abstraction en danse. Complémentaire à cette approche est la démarche mise en place par François Delsarte (1811-1871) professeur de chant qui développe entre 1840 et 1870 une théorie de l’expression fondée sur des correspondances entre geste et émotion. Par le biais du dramaturge américain Steele Mackaye, inscrit à ses cours à Paris, les danseurs des Etats Unis vont prendre connaissance du système mis en place par Delsarte, donnant place à un mouvement appelé \textit{delsartisme} d'après le nom de son inventeur. L’influence de Delsartre va marquer tout une génération de danseurs modernes en Amérique tels Ruth Saint Denis(1879-1968) et Ted Shawn(1891-1972).\smallskip\vfill
Quelques années plus tard c’est le tour de l’allemande Mary Wigmann de promouvoir la danse libre et de présenter sa \textit{Danse de la Sorcière} ou \textit{Hexentanz} en 1914. Selon Hubert Godard, il y avait dans sa démarche deux concepts-clé:
\begin{quote}
``une travaillant l’imaginaire, l’autre le contraignant par une idéologie (le nazi), infléchissant l’organisation tonico-gravitaire qui anticipe et accompagne tout geste, toute attitude corporelle.”
\end{quote}
Ce courant international, initié entre autres par Isadora Duncan (1877-1927) influença de nombreux chorégraphes et marqua les débuts de la danse moderne. Le solo de danse de Wigman rompt avec la tradition classique par des gestes brusques, une posture au sol et des bras tendus. Avec l'accompagnement de percussions, son apparence de possédée convoque une dimension sensorielle de la danse, centrée sur une expérience de l'intimité et de connexion à soi. Tandis qu' à la même époque a Paris, l‘ukrainien Vaslav Nijinski va plus loin dans le rapport a la sensorialité en simulant une masturbation pendant \textit{L'après-midi d’un faune}.\smallskip\vfill
Quelque décennies plus tard, Martha Graham développe une pédagogie basée sur l'opposition entre contraction et libération, avec l’aide des cycles de respiration. Considérée comme fondatrice de la danse contemporaine, son travail a inspiré les générations de chorégraphes de fin de XXéme siècle. Toujours dans les années 1940, Merce Cunningham et John Cage ont développé un concept radicalement nouveau en préparant la musique et la danse indépendamment, au sein d'une même performance. Ainsi les mouvements des danseurs ne sont plus liés aux rythmes, à l'humeur et à la structure de la musique. Chaque forme d'art existe de façon autonome dans un espace et un temps partagés. Dans une autre partie du monde, cette fois le Japon, Tatsumi Hijikata (1928-1986) et Kazuo Ōno (1906-2010) development la danse de butō nourris par les avant-gardes artistiques européennes comme l'expressionnisme allemand et le surréalisme. Née dans les années 1960, cette danse marque une rupture avec les arts vivants traditionnels du nô et du kabuki, en s’inspirant de bouddhisme et de croyances shintô. Les remous socio-politiques qui secouèrent le Japon à cette époque, notamment les événements tragiques d'Hiroshima et de Nagasaki de 1945, donnent forme à cette danse sensorielle basée sur l’introspection de ses protagonistes. \smallskip\vfill
Une autre figure incontournable dans l'historie de la danse est Pina Bausch(1940-2009) danseuse et chorégraphe allemande. Fondatrice de la compagnie Tanztheater Wuppertal, elle rompt définitivement avec les formes de danse conventionnelles en introduisant le concept de danse-théâtre ou Tanztheater sur la scène allemande et internationale. Au début, des spectacles tel \textit{Le Sacre du printemps}(1975) ont suscité de nombreuses critiques, avant de devenir une référence dans l'histoire de la danse postmoderne. Sur un sol recouvert de terre, danseurs et danseuses s’opposent, en se livrant à une lutte sauvage et poétique couverts de boue et de sueur. Cette lutte marque le sacrifice de l’élue, comme dans le rituel païen du chef-d’œuvre de Stravinsky. En allant jusqu'à l'épuisement, la danse se libère ainsi de son rapport à la représentation en développant de nouvelles normes esthétiques. Presque à la même époque, Carolyn Carlson, née le 7 mars 1943 à Oakland en Californie, danse pieds nus à l'Opéra Garnier à Paris et ouvre un laboratoire de recherche sur le mouvement en invitant des danseurs amateurs à rejoindre sa recherche. Tandis qu’Anne Teresa De Keersmaeker crée \textit{Rosas danst Rosas} en 1983- pièce pour quatre danseuses et quatre mouvements, dont le titre donne le nom de sa compagnie. L’utilisation presque radicale de la musique de Steve Reich et Thierry De Mey, comme support premier de sa composition chorégraphique, ainsi que le recours aux motifs géométriques (cercles, courtes spirales, diagonales impeccables) comme base pour les mouvements, distinguent le travail de Keersmaeker des autres chorégraphes de sa génération.\smallskip\vfill
Le travail sur une chaise, la répétition et l'épuisement du corps sont également des éléments clés de sa démarche. Quelques années plus tard, au contrepoids entre l'Amérique et l’Israël, Ohad Naharin renouvelle avec les traditions et les chants traditionnels juifs. Dans \textit{Echad Mi Yodea}(1990), des danseurs assis sur des chaises, en train de trembler de façon répétitive évoquent des moments de dévotion dans une synagogue. Des piles de vêtements jetés par terre peuvent renvoyer a des photographies de l'Holocauste. Des danseurs qui se déchaînent à travers la chorégraphie. Leur lutte pourrait être interprétée comme une résistance et un impasse suite à la construction d'Israël, mais aussi comme un dépassement de soi de l'artiste-créateur.\smallskip\vfill
Le début du 21ème siècle continue cette tradition de la danse libérée de formes, de croisement de disciplines et des pratiques que cela soit chant, art martiaux, arts plastiques ou nouvelles technologies. Souvent lors des spectacles avec plusieurs danseurs sur le plateau, nous nous habituons à voir pousser les limites de la physicalité, sans oublier l’histoire de la danse et ses traditions, auxquelles la plupart des chorégraphes que je cite rendent hommage. Dans son chef d'œuvre \textit{In Spite of Wishing and Wanting}(1999), Wim Vandekeybus imagine une performance sur le désir primordial et la tension entre le familier et l'étrange. Sur scène que des hommes. Leurs mouvements frôlent la férocité, la sauvagerie et la naïveté. Des séquences de danse envoûtantes sur une bande sonore sensuelle de David Byrne, donnent l’impression que les danseurs sont possédés par quelque chose ou quelqu'un. La peur et le désir de se transformer en quelque chose d’autre, représentent un thème central dans le travail de Vandekeybus.\smallskip\vfill
Un autre projet qui traite du rapport que nous avons à la composition de la danse et la façon de la représenter est \textit{Synchronous Objects for One Flat Thing}(2010). La collaboration entre William Forsythe et l'Ohio State University est basée sur le traitement des informations numériques, spatiales ou temporelles à partir de vidéos de l'œuvre de danse \textit{One Flat Thing} de Forsythe ou des performeurs dansent sur et avec des tables. Leurs mouvements se synchronisent selon une série d’ indices internes. Une fois la danse enregistrée sous différentes perspectives, les données ont servi pour créer d'autres médias, événements et objets. Par exemple, un objet synchrone développé par Ola Ahlqvist dans le département de géographie de l'Université d'Ohio, montre la densité du mouvement des danseurs. Cella prend la forme d’un paysage topographique avec des montagnes colorées représentant les endroits ou chacun passait la plupart de son temps lors de la danse.\smallskip\vfill
Dans la même lignée, le spectacle \textit{The Great Tammer}(2017) du chorégraphe grec Dimitris Papaioannou traite du rapport que les danseurs ont au corps, en s’inspirant de la sculpture et la peinture classique. Son travail a une forte composante plastique et repose sur une dilatation du temps. L'expérience qu’il propose aux spectateurs est sensorielle- des corps qui se démembrent pour se reconstituer en nouvelles images sur le plateau. Ce questionnement du corps est partagé, mais traité dans une approche différente par la chorégraphe brésilienne Lia Rodrigues. Ses créations transgressent plusieurs formes dont celle du rituel performée. Son spectacle \textit{Furia}(2018) met en scène des moments extatiques en danse et des corps démembrés. Similaire au travail de Vandekeybus, nous pouvons croire les danseurs possédés. Leur présence convoque de l'émotion brute et transmet au spectateur une envie de partager la danse qui s'opère devant ses yeux.
Anna Halprin est une danseuse et chorégraphe américaine qui a beaucoup influencé la danse contemporaine. Dans sa pratique elle intègre des principes somatiques, en se focalisant sur des impulsions internes et un état de \textit{grounding}(connexion) avec soi-même. Pour elle, il existe un phénomène d'interdépendance entre mouvement, sentiment et association interne du mouvement- vu comme représentation mentale.
Son travail influencé par sa propre expérience du cancer, l’a amenée à créer avec des victimes de préjugés raciales, des personnes atteintes de maladies incurables comme le Sida et le cancer. Elle a intégré les principes de sa pédagogie lors des ateliers de danse à grande échelle, avec beaucoup de participants. Les dernières années de sa vie, elle cultive un lien entre la danse et la spiritualité.
Dans un entretien avec Ilene A. Serlin\cite{Serlin}, elle évoque sa première professeure de danse et l'impacte que cela a eu sur sa carrière:
\begin{quote}
``Margareth 'Doubler was my true mentor, and she provided the best dance education I possibly could have had. She was a biologist by training, which gave her the foundation to approach dance from a different perspective than what was being taught by others as dance. She taught me to view dance from a scientific as well as philosophical and aesthetic point of view. She used to say,``Teach the objective principles of dance and this will enable your students to subjectify their experience.`` What she gave me was a great gift. She taught me to cultivate my own creative expression rather than imitate someone else's style.”
\end{quote}
Pour Halprin il y a une équivalence entre le fait d'être incorporé- \textit{embodied}- et la spiritualité. Une des danses qu’elle avait mis en place c’est ce cycle de danses planétaires, ou plusieurs milliers de personnes dansent ensemble sur plusieurs continents:
\begin{quote}
``I created \textit{Circle the Earth} with a different approach because I want to make dance as accessible as possible to everyone. I want to create dances that anybody can do, and I want to return people to an awareness of movement that I believe is one of our most essential birthrights.(...)I think dance happens to be my particular language; it always has been. Any medium can be anybody’s language; dance just happens to be mine. It’s been a way that has pointed me to directions that I could not preconceive, and that's been the adventure. It was a risk- taking for me. You know, I didn’t know I was going to be doing a dance about reclaiming a mountain.(...)This way of working is now called the expressive arts approach, although it wasn’t called expressive art in those days. I was able to envision a kind of dance that had a purpose, a healing purpose, a societal purpose, an environmental purpose. I never considered myself a therapist, although I might be referred to as a therapist. I consider myself simply a dancer. I began to think of these dances I was making as rituals. I found that the word ritual enabled me to move more consciously into the realm of dancing for the people, dancing for change.”
\end{quote}
Cette danse a été d’abord performée un dimanche de Pâques, en pleine nature, sur une montagne où elle avait déjà l’habitude de danser. Halprin relate comment avec son groupe de participants, ils sont descendus du sommet de la montagne, après avoir accueilli le lever du soleil. Ils ont ensuite formé un cercle en dansant juste en dessous du sommet, pour pouvoir regarder dans les quatre directions. Chaque direction avait sa propre symbolique: le Sud est l'endroit d'où vient la vie, le Nord est l'endroit d'où vient la mort, et l'Ouest est l'endroit où va la lumière et l'Est est l'endroit d'où vient la lumière. Après avoir fait cela, les danseurs partagent leur expérience, par petits groupes. En remémorant une de ses expériences de \textit{Danse Planétaire}, Halprin évoque le souvenir d’un participant qu’elle connaissait, qui était en larmes, profondément ému après l'expérience. En écoutant son récit, elle a compris que son ami a eu une prise de conscience soudaine des aspects spirituels de sa vie. Souvent parmi les participants, la recherche de la spiritualité peut donner l’impression de quelque chose de spécial, d'inatteignable. Cependant son ami a trouvé un moment d’illumination en lien avec son travail. Il a pris conscience de la relation qu’il avait avec ses employés au restaurant, de la façon dont il traitait ses collègues, de la façon dont ils avaient l'habitude d’ interagir et de coopérer. Pour lui, cette expérience d’appartenir à un groupe relevait de la spiritualité.
\smallskip
L'élément principal dans l'approche de la danse d’Anna Halprin est son usage du mouvement naturel, intrinsèque au vécu quotidien du danseur. Ce type de mouvement structure l’expression et l'expérience de chaque corps. Dans son ’approche \textit{Taking Part} Halprin parle de deux étapes:
\begin{itemize}
\item La première a lieu pour apprendre un langage commun à partir du corps, par l’usage des mouvements naturels. Les archétypes du corps reflètent et influencent les archétypes de la vie de chaque personne. Pour elle, le corps humain a des multiples dimensions: énergétique, physique, émotionnelle, mentale et spirituelle.
\item La deuxième étape est un outil pour libérer la créativité collectivement pensée en lien avec les Cycles RSVP. Cette méthode de Cycles RSVP a été développée par son mari Lawrence Halprin dans les années 70 pour le projet Circle the Earth afin que chaque participant amène son vécu et histoire de vie dans le projet. Les Cycles RSVP se basent sur quatre principes: R parle de ressources (matériaux à disposition), S en anglais Scores représente les partitions comme celles de musique, V parle de de la valeur des actions (plus spécifiquement l'appréciation, le feedback et la valeur qui accompagne le processus de création), alors que P vient de Performance ou l'implémentation des partitions.
Deborah Hay est danseuse, chorégraphe, écrivaine et enseignante. Son travail se concentre sur des projets de danse postmodernes impliquant des danseurs peu formés, sur un accompagnement musical fragmenté. Son style de danse est défini par des mouvements ordinaires, sous la forme des partitions. Hay est l'une des fondatrices du Judson Dance Theater- collectif de danseurs, compositeurs et artistes visuels qui se sont produits entre 1962 et 1964, à la Judson Memorial Church à Greenwich Village en Manhattan. Les artistes impliqués dans ce collectif sont reconnus pour avoir déconstruit la pratique et la théorie de la danse moderne. Sur son site, Hay décrit l’influence de ses débuts dans la compagnie de Merce Cunningham. Lors d’une tournée au Japon en 1964, elle rencontre le théâtre Noh et incorpore dans sa pratique l'extrême lenteur, le minimalisme et la suspension des mouvements dans sa chorégraphie post-Cunningham.\smallskip
En 1966, Hay et d'autres artistes travaillent avec les experts en informatique des Bell Labs, dans des performances collaboratives intitulées \textit{Evenings: Theatre and Engineering}. Lors de cette collaboration, elle participe à la performance : \textit{Studies in Perception 1} de Ken Knowlton et Leon Harmon. Une photo de Hay, nue allongée avec l’un de premiers ordinateurs de Bell, est alors imprimée dans le New York Times puis exposée lors de l'une des premières expositions d'art informatique - ``The Machine as Seen at the End of the Mechanical Age” au Museum of Modern Art de New York à la fin de l’année 1968.\smallskip
Après ces expériences, elle quitte New York pour s’installer à Vermont en 1970. Éloignée du monde de l'avant-garde artistique new-yorkaise, elle crée\textit{Ten Circle Dances}- une pièce jouée dix soirs consécutifs sans public.
L'écriture a une place fondamentale à l'intérieur de son processus de création:
``What my body can do is limited. This is not a bad thing because how I choreograph frees me from those limitations. Writing is then how I reframe and understand the body through my choreography.”
Son premier livre, \textit{Moving Through the Universe in Bare Feet}(1975), contient ses observations tirées de cette expérience. Puis en 1976, Hay déménage du Vermont à Austin, au Texas, où elle commence à développer un ensemble de pratiques chorégraphiques autour du concept intitulé \textit{playing awake} ou \textit{jeu éveillé} qui engageaient l'interprète à plusieurs niveaux de perception à la fois. Cette méthode chorégraphique a été d’abord enseignée lors des ateliers pour d'interprètes et danseurs non formés, donnant suite à des performances publiques ultérieurement. Son deuxième livre, \textit{Lamb at the Altar: The Story of a Dance}(1994), documente le processus créatif utilisé lors de cette période.\smallskip
Dans les années 1990, Hay se concentre presque exclusivement sur des danses solo, développées avec des principes de \textit{playing awake}, sa méthode chorégraphique expérimentale. Ces œuvres comprennent \textit{The Man Who Grew Common in Wisdom}(1989), \textit{Voilà} (1995), \textit{The Other Side of O}(1998), transmises ensuite à des interprètes renommés aux États-Unis, en Europe et en Australie.\smallskip
Son troisième livre \textit{My Body, The Buddhist}, est publié par la suite à Wesleyan University Press en 2000. Ce livre contient ses réflexions sur le bouddhisme et les leçons qu'elle a apprises en portant une attention particulière à son corps pendant qu'elle dansait. Le concept de \textit{mémoire cellulaire} est également décrit dans son livre.
Dans sa thèse \textit{Dance in the light of neuroscience : sharing the experience of Deborah Hay's performance : her work and reflections}, Gabriela Karolczak part du postulat que la danse est une expérience partagée entre un danseur et un spectateur, enracinée dans le mécanisme neurologique des neurones miroirs. Pour elle, les point d'interrogation en danse dont les neurosciences peuvent apporter des éléments de réponse, visent la validité écologique des expériences vécues. Le travail de Hay et la façon dont elle témoigne de ses observations empiriques à travers des décennies de pratique, transforment ses spectateurs en participants actifs à ses questionnements. D’ailleurs le credo artistique de Hay est défini de façon suivante:
\begin{quote}
``Without it being my intention, dance has become a medium for the study and application of detachment. Actually, I prefer the term dis-attachment because it implies a more active role in letting go. The balance between loyalty and dis-attachment to that loyalty, sensually and choreographically, is how the practice of dance remains alive for me.”- December 2010
Comme l'affirme Violeta Salvatierra dans sa thèse, outre les pratiques somatiques et l'improvisation dansée, un troisième champ de ressources pour les savoirs gestuels de cette thèse, est celui de l'analyse du geste:
``Également nommée``approche qualitative de l'analyse du mouvement” (j'utiliserai ces deux expressions indistinctement), l'analyse du geste a été développée par Hubert Godard, Odile Rouquet et d'autres danseur·ses en France depuis les années 1980, et partage des racines communes avec les techniques somatiques, dont elle se nourrit. Elle regroupe également des savoirs en biomécanique et en anatomie du mouvement humain, en relation avec des savoirs pédagogiques. Elle est historiquement reliée à la constitution de la discipline de l’analyse fonctionnelle du mouvement du corps dansé (dérivée de celle antérieurement connue sous l’appellation de``kinésiologie de la danse”), et travaille, comme les méthodes somatiques, avec lesquelles elle partage de nombreux enjeux, sur la plasticité sensorimotrice et sur la capacité de moduler les différents paramètres qui colorent la qualité expressive du geste.”
Avant l’apparition du numérique, archiver la danse par écrit a été une manière de garder intacte le patrimoine culturel de chaque époque. Si le mouvement humain partage avec la musique les caractéristiques propres à cette dernière - hauteur, force, durée, rythme- l’expression corporelle comporte en plus un aspect tridimensionnel particulièrement difficile à rendre en deux dimensions. Bien que la danse s’écrit et se lit sur des partitions depuis le Moyen ge, le XXe siècle a apporté de l’innovation dans ce domaine. Pour décrire la fluidité du mouvement, déterminer sa durée et sa dynamique dans l'espace, ainsi que les singularités de l'interprète, les chorégraphes et chercheurs ont recours à des systèmes de notation plus complexes. Ainsi les plus connus outils d'analyse et de transcription de la danse traduisent les mouvements de manière spécifique en utilisant des notations musicales et des silhouettes, des symboles abstraits, des lettres ou des abréviations. Leur objectif est d’améliorer et répertorier les performances dansées dans la culture occidentale.
Le système de notation Laban, appelé aussi la cinétographie Laban, est un système d’écriture et d’analyse du mouvement du corps humain publié en 1928 par le chorégraphe et pédagogue hongrois Rudolf Laban. Selon Goddard, ``l’impuissance à saisir par notre organisation linguistique le sens profond du mouvement” a amenée Laban vers la mise au point de son système de notation. Sous le nom de Laban Movement Analysis, il développera ultérieurement \textit{la choreutique} ou harmonie du corps dans l'espace et \textit{l'eukinétique} ou étude de la dynamique du mouvement. Ces principes opposent pour Goddard ``pensée motrice et pensée en mots”.\smallskip
Les principaux symboles de ce système sont les signes de direction avec leur durée et orientation, classifiés en formes et motifs pour déterminer la partie du corps concernée par le mouvement. Le placement des signes sur la portée donne une simultanéité des mouvements (lecture horizontale) et une succession (lecture verticale). Les distances, les relations avec des partenaires ou avec des objets, les micro-mouvements ou encore le dessin des déplacements au sol sont indiqués par des signes spécifiques.
Laban définit également \textit{la kinésphère} comme un espace imaginaire personnel placé autour d'une personne et accessible directement via ses membres tendus dans toutes les directions, jusqu'au bout des doigts et des pieds. Dans une kinésphère, les changements de forme peuvent être statiques- comme les changements de posture ou dynamiques- comme la manière dont le corps évolue activement d'un point à un autre dans l'espace. Ce concept clé dans l'analyse du mouvement est étroitement lié à la qualité du mouvement, définie en lien avec la notion de qualité de la forme dans une chorégraphie.
Apparu à Londres en 1955 sous le nom de Benesh Movement Notation, ce système de notation a été créé par Rudolf Benesh, musicien et mathématicien. Ainsi l’objectif de la notation Benesh est de codifier de façon concise par l'écriture, tous les mouvements possibles du corps humain - à la manière d'une partition de musique. Autre que l’analyse de mouvement chorégraphique, cette notation sera utilisée conjointement dans le domaine de l’ergonomie, de la médecine et de l’anthropologie de la danse. Entre autres, la notation Banesh fait partie d'un projet pilote réalisé avec le Centro di Educazione Motoria de Florence en 1967. Cela permet d’analyser les déficiences musculaires et contribue au traitement des enfants souffrant de paralysie cérébrale. Des physiothérapeutes basés en Suède et au Japon étudieront également le potentiel de la notation comme outil d’observation clinique et d’analyse pour le suivi des patients. Cependant la notation Benesh est principalement utilisée aujourd'hui comme outil d'enregistrement des créations chorégraphiques. La maîtrise de la grammaire pour l’analyse du mouvement est claire et simple: lu de haut en bas, les cinq lignes du cadre de notation coïncident avec les positions de la tête, des épaules, de la taille, des genoux et des pieds.
La notation de mouvement Eshkol-Wachman est un système d'enregistrement de mouvement développé en Israël par la chorégraphe Noa Eshkol et l'architecte Abraham Wachman. Apparu en 1958, ce système a été créé pour la danse, afin de permettre aux chorégraphes et aux danseurs de reconstituer tout type de mouvement de danse contemporaine dans son intégralité. En comparaison avec la plupart des systèmes de notation et analyse de mouvement, Eshkol-Wachman est destinée à noter n'importe quel type de mouvement- sur papier ainsi que sur l’ordinateur. Grâce à cela, il est utilisé dans de nombreux domaines, notamment la danse, la médecine ou l’éthologie. Des observations psychomotrices, cognitives et socio-émotionnelles en lien avec l'apprentissage de ce système, ont encouragé les chercheurs à mettre en place des études pilote quant à leur impact sur des phénomènes de coordination de mouvement \cite{art EShkol} qui pourraient servir comme moyen de détection des formes d’autisme.
``Eshkol-Wachman Movement Notation is a thinking tool that can teach people the art of observation, i.e. encourage them to aspire for the ultimate level of seeing. It does so by organizing the ‘material’ known as movements of the human body in relatively simple categories, thereby allowing us an insight (in-sight) into the complexity of this phenomenon as a whole.”
Ainsi, dans la notation Eshkol-Wachman le corps est divisé en articulations où chaque paire d'articulations définit un segment de ligne. Chaque système articulé des axes tient compte des relations spatiales et des changements de relations entre les parties du corps. Le résultat est un processus analytique, entre le corps, l’espace et le temps dans un référentiel sphérique où les directions et les trajectoires de chaque partie du corps sont répertoriées. Quand une extrémité d'un segment de ligne est maintenue dans une position fixe, ce point est le centre de la sphère dont le rayon est la longueur du segment de ligne. Les positions de l'extrémité libre sont définies comme deux valeurs de coordonnées sur la surface de cette sphère, analogues à la latitude et à la longitude d’un globe mais écrites sous la forme des fractions avec le nombre vertical écrit au-dessus du nombre horizontal.
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L’interprétation que nous donnons au concept de CA est pensée en lien avec des réflexions éthiques en lien avec l'avènement de la technologie. Puisque des disciplines tels la psychologie, la neurologie et les neurosciences ou la philosophie, n’arrivent pas à se mettre d’accord sur ce que le terme ``conscience” humaine désigne, imaginer son équivalent artificiel reste ici une simple projection artistique. Cependant les artefacts qui la contiennent, leur spécificité et capacités sont des paramètres que j'ai pu étudier de prêt, en mettant en avant leur degré d’intelligence et d’adaptation. Je souligne que ces termes, selon le domaine où elles opèrent, ont des significations spécifiques.
Dans le cas de l’ordinateur par exemple, un des avantages est sa grande capacité d’analyse de masses des données. Cependant l’accumulation continuelle des données, identifiée actuellement sous le nom de ``big data”, pose des problèmes d’analyse. Aucune machine n’est capable d’interpréter des données sans l’aide de l’humain qui configure en amont les critères de l’analyse. Pour un concepteur, la phase où l’algorithme apprend puis s’entraîne pour s’améliorer, reste opaque. Nous assistons à des comportements et phénomènes stochastiques de la machine et leur effet sur la compréhension de l’humain.
Par cette thèse, mon but est d'interroger la façon dont les robots influencent des nouvelles formes d’expressivité corporelle dans une performance, par la suite des accidents qui surgissent dans ce type d’interaction.}
Pour témoigner de la difficulté de nommer les termes qui concernent ce chapitre, et les appartenances que chaque champ réclame, nous introduisons la définition de l’artiste Simon Penny qui dans son anthologie \textit{Making sense: cognition, computing, art and embodiment}, énumère les quelques définitions en lien avec la cognition:
\begin{quote}
``Confusion arises when discussing cognition, because several schools of thought
Au début du XXe siècle, entre un vision matérialiste du monde et son contrepoids marqué par le dualisme corps-esprit, des chercheurs tels Raymond Ruyer (citer papier Ruyer) ou Bergson (citer matière et mémoire) expliquent l’activité cognitive par la réalité physiologique du cerveau et son lien avec le corps. Ainsi Ruyer
affirmait que ``c’est du cerveau réel, de sa subjectivité, que naissent les sensations”, alors que pour Bergson le cerveau est un instrument en relation avec le corps (citer Andrieu) dont le mouvement est compris par la mécanique.
Dans notre contexte spécifique, cette conscience du corps, de son vécu immanent continent un savoir non-réfléchi et involontaire qui peut se cultiver par des pratiques somatiques et d’éveil corporel. Notre démarche est d’attribuer au mouvement une place primordiale dans la constitution de la conscience et de l’être en général.
J'ai choisi de présenter le concept de cognition sous l’angle d'une théorie nouvelle - \textit{The 4E Cognition Theory} dont les débats actuels se concentrent sur le lieu où se trouve la cognition et son lien avec la perception et l’action.
Les caractéristiques principales de cette théorie se déclinent en quatre types de cognition:
Une des prémisses de cette théorie est que l’activité perceptive-motrice est constitutive pour la cognition (citer). Pour plus de clarté, dans la suite de cette thèse, je préfère faire référence à ces termes dans leur langue d'origine.
La théorie 4E de la cognition défend l’hypothèse que la cognition est plus qu’un modèle cartésien d’opération dans le cerveau. L’idée que le cerveau est similaire à un ordinateur, met en avant des phénomènes cognitifs entièrement déterminés par leur rôle fonctionnel. Cependant dans la théorie 4E de la cognition, les phénomènes cognitifs sont étudiés en lien avec leur environnement. Des processus comme les détails biologiques et physiologiques du corps d’un agent, définies comme des processus extra-crâniens, sont analysés en lien avec son environnement naturel actif.
Dans les prochaines pages, un sub-chapitre de notre étude porte sur la cognition incarnée - donc \textit{embodied}. Les désaccords entre les comportementalistes et les cognitivistes quant à ses caractéristiques, la situent au cœur des préoccupation actuelles en neurosciences. Dans notre contexte, cette propriété de la cognition d’être incorporée signifie être causalement dépendante de processus extracorporels qui ont lieu dans l’environnement.
Un autre sous-chapitre traite de \textbf{l’enaction}, vue par le neurologue Francesco Varela comme thèse sur la continuité entre la vie et l’esprit.
\smallskip
L’approche traditionnelle de la cognition se concentre sur la compréhension rationnelle des processus neuronaux. En échange, la théorie de la cognition 4E vise l'observation et la compréhension instinctive d'une action incarnée dans le corps. Cette théorie propose une vision nouvelle sur la complexité des phénomènes cognitifs. Ainsi ces phénomènes sont étudiés sous un angle physiologique, suivant les avancements dans plusieurs domaines connexes.
Dans son introduction au livre dédié à cette théorie\cite{Menary}, la position intégrationniste du philosophe Richard Menary offre une nouvelle contribution à l’approche incarnée et intégrée. Pour lui, les systèmes cognitifs fonctionnent grâce à l’intégration des fonctions neuronales et corporelles avec des fonctions de représentation mentales.
Les préoccupations actuelles marquent une rupture avec la vision traditionnelle du cognitivisme, centré autour de représentations et calculs mentaux.
Ce courant apparu dans les années 1950, a été promu entre outre par les recherches de Jean Piaget sur la biologie du développement et sur les découvertes en cybernétique, établie comme alternative à une science de l’esprit par Varela:
Les modèles théoriques et pratiques inspirés par le cognitivisme, parmi lesquels le constructivisme, placent les mécanismes de construction active des savoirs au centre de leur préoccupation. A son tour, le cognitivisme hérite des approchés précédentes- la préoccupation pour le comportement, à la place des processus internes de cerveau, comme processus d’acquisition de savoirs.
états intentionnels qui ont des propriétés causales (ie. désirs, intentions), sont physiquement possibles et capables d'induire un comportement. Pour expliquer cela, Valera utilise la notion de \textit{calcul symbolique} où les calculs sont définis comme opérations sur des symboles qui respectent ou sont contraints par des valeurs sémantiques. Cependant il souligne combien c'est important de se rappelle qu’un ordinateur ne fonctionne que sur la forme physique des symboles qu’il calcule; il n’a pas accès à leur valeur sémantique. Avec le temps, l’idée que la logique ne suffit pas pour simuler et comprendre le fonctionnement du cerveau (car son fonctionnement est distributif) a fait émerger de points de vue contradictoires sur le cognitivisme.
Le concept d’affecte est également important pour les études en lien avec la théorie 4E de la cognition.
L’émotion est vue ici comme une affectivité située, pour qui la cognition n’est pas un processus quantifiable, similaire à un modèle informatique. Au contraire, tout affecte nécessite un type incarné et situé de cognition.\smallskip
Dés la petite enfance, jusqu'aux situations sociales sophistiquées qui caractérisent l’âge adulte, les processus emphatiques complexifier la compréhension que nous avons de nous-mêmes et notre environnement. Ainsi nous remarquons que ce n’est pas seulement le sentiment conscient d’émotion qui est important. Des processus affectifs inconscients comme la faim ou la fatigue, la douleur ou le plaisir jouent un rôle tout aussi important, et peuvent biaiser la perception.
Pour interroger cette place des affectes dans la construction de l'expérience du réel, la chercheuse Branka Zei Pollermann introduit \textit{un modèle unifié de cognition} basé sur les théories de Jean Piaget, Ludwig von Bertalanffy et Louis J. Prieto. Ce modèle stipule que les espaces affectives (ie. \textit{affected spaces}) facilitent des comportements adaptatifs lors des processus cognitifs.
Ses observations s'appuient sur la \textbf{théorie générale des systèmes}, qui trouve aujourd’hui de multiples applications. La modélisation des organismes humains, appelés \textit{systèmes ouverts} par
Ludwig von Bertalanffy, intéresse également certains roboticiens et nous allons détailler cela dans les prochaines pages.
De l'autre coté, L.J Prieto base sa théorie autour du concept de \textit{praxis} -vu comme action intentionnelle- et la façon dont cela structure la cognition. Il identifie
``une caractéristique qui semble apparaître toujours dans la connaissance scientifique et qui ne se retrouve pas, en revanche, dans la connaissance non scientifique, à savoir l’explicitation des concepts avec lesquels la connaissance en question opère.”
Alors que Jean Piaget identifie deux concepts-clé pour caractériser
l’interaction des systèmes dites intelligentes avec l’environnement. Le premier est le concept d’\textit{assimilation des schémas de comportement préexistant} et
l’autre le concept d’\textit{adaptation}. Concept clé en robotique, la capacité d'adaptation est considérée ici comme moment d’équilibre entre deux états, évoquant un sentiment de plaisir quand cet équilibre atteint. Selon la théorie de Piaget, l’intelligence humaine se développe avec l’âge, passant par plusieurs étapes parmi lesquelles: l’intelligence
\item l’intelligence opérationnelle concrète tel comme
définie par Jean Piaget (entre 7 et 12 ans)
et
\item l’intelligence propre à la résistance cognitive, appelée \textit{intelligence opérationnelle formelle}(de
l’adolescence à l’âge adulte)
\end{itemize}
Cette dernière permet le raisonnement scientifique et l’apprentissage des valeurs et normes sociales.
Dans son analyse \textit{A unified model of cognition, emotion and action}, Pollermann montre comment le comportement adaptatif d’un système est assuré par les cinq critères suivants:
\item C. réguler les ressources internes (pour les
humains il s’agit d’ ajustements au niveau somatique et neuroendocrin) \item D. transformer les actions choisies en modèles de comportement \item E. évaluer le rendu
(perception, procession de l’information et mémoire)
De façon analogique, ces critères correspondent aussi aux propriétés des émotions. Cela est traduit par des attributs comme la \textit{valence}(critère A et E via des stimuli extérieurs), \textit{la capacité d’activation}(critère C et D, selon les feedback de sous-systèmes) et \textit{la potence}(correspondant au critère B). Plus loin en parlant des émotions, Pollermann cite le neuropsychologist Douglas Watt pour qui lorsque les paramètres de base dépassent les variations connues, l’état est ressenti et interprété comme émotionnel:
\begin{quote}
``When internal physiological states are outside a desirable range, both visceral sensations and action dispositions are activated.”
A mon tour, je m'interroge sur le rôle des représentations mentales en lien avec ces observations. Sur scène, les performeurs convoquent leur imaginaire. Leur vécu experientiel vient s'associer à des émotions nouvelles, qu'ils vivent seulement en partie- \textit{des simulacre d'émotions}. Cet aspect est proche de celui des robots, pour qui les émotions n'existent pas véritablement.
Dans les années 1990, Varela, Thompson et Rosch écrivent \textit{The Embodied Mind- Cognitive Science and Human Experience} pour faire un état de lieu des caractéristiques des sciences cognitives. Plus précisément ils analysent la façon dont le cerveau, le corps et l’environnement sont intégrés dans la cognition. Ils lient l’avènement de cette discipline à celle de la cybernétique, en lui associant plusieurs découvertes qui ont influencé à leur tour d’autre domaines. Parmi ces domaines, il est important de mentionner l’utilisation de la logique mathématique pour modéliser le système nerveux en neurosciences et ensuite l’utilisation des algorithmes pour définir une IA en informatique. Plus tard, cela a également contribué à la mise en pratique de la théorie des systèmes en ingénierie, à la théorie du contrôle en robotique et aux premiers exemples de systèmes auto-organisés, et ainsi de suite. L'impact de sciences cognitives sur d'autres domaines de connaissance dans les prochaines années, reste non-négligeable.
Les approches et directions sont différentes selon le modèle théorique qu’elles utilisent comme point d’origine. Lors des dernières décennies, cette discipline a suscité beaucoup de débats entre les prises de position fonctionnelles des neurobiologistes(qui ignorent le rôle du corps), les phénoménologues et philosophes qui visent un vécu expérientiel.
La théorie 4E de la cognition est considérée par la communauté scientifique comme la plus récente tentative de structurer ces approches et renouveler les avancées théoriques du début de XXe siècle.
C’est également important de remarquer le fait que ces nouveaux paradigmes et concepts ont également facilité l’apparition des nouvelles disciplines comme:
\item la philosophie de l’esprit, en anglais \textit{philosophy of mind}, dont la question centrale est la relation entre corps, esprit et leur ancrage dans l’environnement,
\item l’épistémologie, du grec \textit{épistemos} qui veut dire science et \textit{logos} qui veut dire discours, dont l’objet est l’analyse critique d’une science en particulier, du point de vue de son évolution, sa valeur, et sa portée scientifique et philosophique.
Au sens large, elles ont également contribué à l'avènement des disciplines connexes, tels \textbf{les études sur la conscience}, dont les débats et arguments ont suivi de prêt ceux sur la cognition.
Les chercheurs Chris D. Frith et Thomas Metzinger\cite{livre metzinger} avancent l’idée que la conscience en tant qu’expérience subjective, influence certains comportements. Ils abordent la question de la conscience du point de vue de la théorie de l’évolution, en précisant que sa présence, détectée chez certains animaux et humains, implique un ``certain avantage évolutif”. Ils identifient la relation perception-action-cognition
comme cadre d’exploration pour les expériences subjectives:
\begin{quote}
``conscious
experience could then be a single, generative model of reality including a mode
of the self as currently acting, perceiving, and thinking.” (friston, p.194)
\end{quote}
Dans le livre \textit{4E Cognition: Historical Roots, Key Concepts, and Central Issues}, Albert Newen, Shaun Gallagher, and Leon De Bruin offrent une perspective globale sur ces questions. Le chapitre \textit{Brain–Body–Environment Coupling and Basic Sensory} explore le concept d’intentionnalité propre à cette approche. Ainsi, l’hypothèse selon laquelle la perception est orientée vers l’action, conduit à considérer l’intentionnalité motrice comme facteur qui la facilité :
\begin{quote}
``The notion that perception is action-oriented leads to a consideration of a very basic motor intentionality —a concept that derives from phenomenology (e.g., Merleau-Ponty 2012), but that can also be found in pragmatists such as John Dewey. As Robert Brandom notes, citing Dewey, \textit{the most fundamental kind of intentionality (in the sense of directedness toward objects) is the practical involvement with objects exhibited
by a sentient creature dealing skillfully with its world}(2008, p. 178). This captures a form of intentionality that is built into skillful bodily movement in tandem with environmental demands.”
\end{quote}
Pour moi, ce genre d’intentionnalité qui n'est pas le résultat d’un processus mental, peut devenir représentatif pour le geste dansé, mais aussi pour les robots. Alternativement, la notion d’incarnation, telle qu’elle est définie dans la théorie 4E, nécessite un couplage complexe entre cerveau, corps et environnement. D'une façon analogue, ce couplage est aussi la base de tout système robotique où les processus de computation internes sont en lien direct avec l’environnement.
Souvent nous disons qu’un organisme vivant est \textbf{conscient lorsqu’il est éveillé}. Quelle sera alors le qualificatif pour les robots ou d’autres types d’organismes artificiels?
Nous partons de l’hypothèse que pour les organismes vivants, chacun a son propre ressenti concernant sa conscience. Si pour l’intelligence, des propriétés tels : calcul mental, apprentissage et mémoire arrivent à mieux la définir, nous avons vu plus haut que pour la conscience ce qui est important c’est l’expérience subjective immédiate ou la \textit{qualia}.
En parallèle avec l’intelligence, des processus comme la perception et la motricité sensorielle, la capacité de prédire l’environnement ou de témoigner des comportements complexes, structurent notre imaginaire autour de cette notion. Étant donné l’imprécision des concepts et la multiplicité des points de vue selon les disciplines, il semble peu probable que nous nous mettions d’accord sur une seule définition de la conscience dans notre étude.
Ce qui m'intéresse plutôt, est de comprendre dans quelle mesure le dualisme corps-esprit et le matérialisme trouvent un écho dans l’exercice artistique que nous imaginons. Cet exercice prend appui sur plusieurs concepts propres à chaque vision (dualiste ou moniste) dans une tentative de les homogénéiser.
selon différentes disciplines. La plus pertinente, pour notre contexte, est la vision
neuroscientifique du terme, puisqu'elle clarifie les enjeux en art et en robotique à la fois.
Pour cela nous nous appuyons sur la littérature\cite{livre Firston et art Anil Seth}. Selon les critères que les chercheurs emploient, il existent différentes propriétés de la conscience.
\textbf{La conscience et ses propretés}
Un premier critère est celui du niveau de conscience, propre aux créatures vivantes- ce niveau varie entre plusieurs étapes parmi lesquelles les états végétatifs, les états de sommeil sans rêve et l’état d’éveil conscient vif.
Le deuxième se concentre sur le contenu de la conscience ou ce que cela veut dire d'avoir une connaissance \textit{réflexive} de son propre état mental. Si pour les créatures
vivantes, il existe des sortes de ``stimuli autoréférentiels”\cite{paper vanhaudenhuyse} - propres au fait de suivre son reflet dans le miroir. Évidement qu'à l'heure actuelle, ce phénomène n’est implémenté dans les machines. v
Vanhaudenhuyse propose une schéma qui détaille la corrélation entre le niveau d’éveil et la conscience de soi et de l’environnement.
\textbf{rajout schema}
Ainsi nous apprenons qu’il existe des variations entre l’état végetatif (propre aux patients réveillés d’une coma sans état de
conscience détectée) caractérisé par des mouvements réflexes, et l’état de minimal de conscience où le patient est capable de comportements incohérents mais reproductibles et soutenus. Dans cet état minimal de conscience, le patient peut manifester des signes clairs de conscience de leur environnement et d’eux mêmes. Le même étude fait la distinction entre la conscience et la conscience de soi, en listant les propriétés de la conscience de soi:
\begin{quote}
``la conscience qu’il existe d’autres consciences que la nôtre; notre capacité de répondre adéquatement à des stimuli de l’environnement; notre aptitude à reconnaître notre corps comme étant le nôtre; la métaconscience, nous permettent de comprendre nos comportements et ceux des autres en terme de désirs
et croyances; la connaissance que nous avons de nous-mêmes comme le narrateur de notre propre vie.” (paper vanhaudenhuyse p.529)
processus autoréférentiels semblent présents seulement lors des états d’éveil actif. Dans la même mesure, lors des états de conscience altérés dont l’évolution n’est pas linéaire, le rapport à l’environnement est déterminant.
\textbf{
Je me demander alors quelle analogie appliquer à notre étude de cas- des robots actifs ou des robots en transe?}
Le papier\cite{friston p. 195} liste également des propriétés de la conscience: avoir un contenu phénoménal spécifique, être en contact direct avec la réalité et pas ses représentations, être instantanée. La conscience dévient alors un aspect direct et privé de la vie mentale de chacun, puisque cela nous est impossible de faire l’expérience d’une autre conscience que la nôtre. Nous pouvons faire cependant l’expérience d’une subjectivité, en écoutant le ressenti d’une autre personne.
phénoménologique de la conscience et son accessibilité. Ainsi Block différencie la \textit{conscience phénoménologique}- comment
une certaine expérience est perçue par le sujet- de celle définie comme \textit{conscience d’accès}-disponible pour des processus cognitifs comme le langage.
for use in reasoning and rationally guiding speech and action.” (citer Block)
\end{quote}
Ainsi la conscience phénoménale résulte d’expériences sensorielles et de notre perception mélangeant de sensations comme l’ouïe ou l’odorat, des sensations
type douleur ou perceptions type proprioception, ainsi que des émotions tel la peur, parmi autres.
A l’opposée, la conscience d’accès est disponible pour une
utilisation dans le raisonnement et pour le contrôle conscient direct de l’action et de la parole. Des exemples de conscience d’accès sont les pensées, les croyances et les désirs.
Pour Block, la \textit{rapportabilité}, qu'il définit comme propriété de la conscience
d’accès, a une grande importance pratique. Selon lui, la conscience d’accès
doit être \textit{représentative} car seul le contenu représentatif peut figurer dans le raisonnement.
Une conséquence directe de cette classification de Block, est le fait de considérer l’esprit comme résultant de
processus fondamentalement logiques et ainsi \textit{modélisable} d’un point de vue algorithmique.
Cette vision computationnelle de l’esprit, implique également que
\textbf{
la conscience peut être modélisée par un programme informatique}. En regardant de plus prés, ce qu'il décrit comme conscience phénoménale ne suppose pas une catégorie distincte d’états conscients. Comme mentionné ci-dessus, Block estime que la conscience phénoménale et la conscience d’accès interagissent normalement, mais il est possible d’avoir une conscience d’accès sans conscience phénoménale. Plus exactement, il croit
comme Daniel Dennet\cite{Dennet} que \textbf{les zombies} sont possibles et qu’un androïde - qui est de point de vue informatique identique à une personne- pourrait exister tout en n’ayant aucune conscience phénoménale. Cependant à la différence de Dannet, Block affirme qu’il existe des expériences conscientes
difficilement traduisibles par des algorithmes. Pour lui, l’existence de ces expériences relève ``du problème difficile” de la conscience, dont nous allons détailler plus bas les enjeux.
psychologiques à des processus neurophysiologiques, \textit{la théorie de l’identité esprit-cerveau} est apparue dans les années 1960. Pour les partisans de cette hypothèse, les états mentaux et les états du cerveau sont numériquement
des processus neurophysiologiques étant une perspective naturaliste, les neurosciences permettent de comprendre en quoi certaines structures et certains processus neurophysiologiques du cerveau, peuvent être prédictibles par des machines.
Cependant, nous savons aujourd'hui que les phénomènes mentaux sont multiples. Chaque individu les traduit différemment dans sa personnalité. Nos perceptions, sensations, désirs et croyances sont influencés par notre contexte socio-culturel. Pour les
anticiper par des prédictions, les scientifiques doivent faire appel à plusieurs méthodes et théories expérimentales.
Un courant dérivé de cette théorie de l’identité esprit-cerveau est \textit{l’instrumentalisme}, mis en place par le philosophe et penseur Daniel Dannett. Cette théorie considère les modèles scientifiques comme des instruments, nous permettant d’analyser et modéliser les phénomènes pour ensuite les devancer par des prédictions. Ses positions concernant le libre arbitre et
la conscience ont suscité beaucoup de controverses.
Dans son livre le plus connu, \textit{Consciousness Explained} (1991), il explique comment la conscience est le
résultat des processus cognitives et physiologiques dans le cerveau. Il évoque une analogie de la conscience similaire à un article académique coécrit par une poignée de scientifiques\cite{Dennet}. Par cela, il explique comment plusieurs processus mentaux peuvent exister simultanément dans le cerveau, sans forcément se connaître l’un l’autre. Ce principe correspond à un état où plusieurs brouillons coexistent
simultanément et indépendamment de chaque contribution- attestant l’existence du papier principal. En extrapolant ces principes au terme de conscience, il nie cependant l’existence de \textit{qualia}, vu comme expérience subjective directe et
personnelle.\smallskip
En contrepoids, des philosophes comme John Searle considèrent qu’il y a quelque
appelé \textit{the Chinese Room Argument}, où une personne enfermée dans une chambre
communique avec l’extérieur via des messages écrites en chinois, sans comprendre les symboles du dictionnaire mis à sa disposition. Ce fonctionnement est similaire aux algorithmes de traduction qui exécutent des équivalences entre des mots, sans saisir leur sens.
Dans son article ``Facing Up to the Problem of Consciousness”, le philosophe David J. Chalmers met en avant les difficultés lorsque nous essayons de définir la conscience. Pour lui il s’agit d’un terme ambigu en référence à des phénomènes complexes, et propose de diviser les objectifs en deux catégories- le problème facile de la conscience et le problème difficile de
Chalmers illustre les phénomènes qui correspondent à cet état. Pour lui un état mental est conscient lorsqu’il est décrit par des mots, ou lorsqu’il est
accessible comme ressenti interne. Un système est conscient de certaines informations lorsqu’il traite et intègre cette information, puis modifie son comportement en conséquence. De la même façon, une action est consciente quand
elle est délibérée.
Alors que \textit{le problème difficile de la conscience} atteste de
l’incapacité de modéliser certaines expériences subjectives et leur vécu. Pour citer Chalmers:
\begin{quote}
``Is undeniable that some organisms are subjects of experience.
perplexing. Why is it that when our cognitive systems engage in visual and auditory information-processing, we have visual or auditory experience: the quality of deep blue, the sensation of middle C? How can we explain why there is something it is like to entertain a mental image, or to experience an emotion?
It is widely agreed that experience arises from a physical basis, but we have no good explanation of why and how it arises. Why should physical processing give rise to a rich inner life at all? It seems objectively unreasonable that it
Son argumentation va plus loin, en donnant l’exemple de la perception visuelle. Cet exemple est aussi évoqué lorsque il s'agit des \textit{qualia}. Chalmers décrit comment les formes
d’ondes électromagnétiques empiétant sur la rétine, sont discriminées et catégorisées par un système visuel pour que cette catégorisation est vécue comme la sensation de vif rouge. Ensuite, il montre comment l’expérience consciente
qui survient lorsque ces fonctions sont exécutées, est difficile à expliquer et vérifier - correspondant à ce que la communauté philosophique a défini comme une sorte de ``lacune explicative entre les fonctions et l’expérience”. Il propose
que les théories sur la conscience traitent l’expérience comme partie intégrante:
``I suggest that a theory of consciousness should take experience as fundamental. We know that a theory of consciousness requires the addition of something fundamental to our ontology, as everything in physical theory is compatible with the absence of consciousness. We might add some entirely new nonphysical feature, from which experience can be derived, but it is hard to see what such a feature would be like. More likely, we will take experience itself
Crick and Koch (1990) suggest that 40-Hz oscillations may be the neural correlate of consciousness, whereas Libet (1993) suggests that temporally-extended neural activity is central. If we accept the principle of coherence, the most direct physical correlate of consciousness is awareness: the
process whereby information is made directly available for global control. The different specific hypotheses can be interpreted as empirical suggestions about
how awareness might be achieved. For example, Crick and Koch suggest that 40-Hz oscillations are the gateway by which information is integrated into working memory and thereby made available to later processes. Similarly, it is natural to suppose that Libet’s temporally extended activity is relevant precisely
because only that sort of activity achieves global availability.”
\end{quote}
Pareil au Chalmers, Block croit que nous pouvons avoir des expériences conscientes qui ne sont pas traduisibles par des algorithmes de calcul. Un exemple de conscience phénoménale discuté par Block est un bruit fort que nous ne remarquons pas
consciemment parce que nous faisons attention à autre chose. Dans sa classification, le fait d’entendre le bruit (puisque nous ne pouvons pas couvrir notre oreille comme la paupière) relève de la conscience phénoménale alors que le fait de ne pas s’en rendre compte relève de la conscience d’accès. Cela suggère que ce type de conscience phénoménale décrite par Block, est basée sur une activité cérébrale classifiée comme inconsciente donc difficilement modélisée par des algorithmes de calcul.
\textbf{Le rôle de l’introspection}
L’introspection peut nous permettre d’être conscients
des processus mentaux qui semblent avoir une séquence linéaire comme la production de la parole ou des lignes de raisonnement. Elle agit également lors des actes artistiques. Pendant la phase de création, un artiste sonde son imaginaire pour clarifier ses intuitions. Lorsque nous faisons référence à l’exemple de Block, c’est intéressant de mentionner un possible scénario où la
personne aurait prêté attention au bruit auparavant ignoré, comme un type d’expérience subjective, à la limite de la conscience d’accès, pour ensuite déterminer à partir de quand le bruit est devenu conscient. Cette introspection liée à un stimulus extérieur, trouve son équivalent dans l’acte d’introspection
de l’artiste qui veut mieux comprendre sa démarche. La distinction de Block entre conscience phénoménale et conscience d’accès a des implications importantes pour les neuroscientifiques et les informaticiens qui cherchent à
modéliser une conscience artificielle dans des dispositifs tels les robots. Mais une fois cette intention exprimée, comment pouvons-nous savoir si l’algorithme a produit une conscience semblable à celle de l’homme? Dans la même mesure, produire ces expériences subjectives de la conscience phénoménale dans des
robots implique des considérations éthiques. Heureusement le moyen pour doter rationnellement les machines de nos expériences personnelles, parfois irrationnelles, n’est pas encore à notre portée. Selon les avancées des sciences cela pourra se faire par des mécanismes non informatiques. Même si la communauté
scientifique est divisée et de nombreux neuro-biologistes et informaticiens estiment que les philosophes sont trop pessimistes quant aux capacités des algorithmes à modéliser la conscience humaine, il est important de comprendre nos motivations et intentions face à cela. \smallskip
Peu importe ce que nous identifions
comme processus physiques qui génèrent la conscience, tant que nous ne pouvons pas comprendre comment ils se manifestent dans chaque individualité nous ne comprendrons pas leur impact une fois réalisée. Mais une fois cela fait, il reste toujours un problème de vérification car en construisant des machines qui
fonctionnent comme nous, nous n’avons aucun moyen de savoir si le rendu biologique suffit pour une expérience intérieure interne. En d’autre termes, comment pouvons-nous savoir si un robot a une conscience phénoménale alors que notre moyen actuel pour déterminer cela dans les humains passe par le vécu expérientiel?
D’autres philosophes tels Thomas Nagel affirment qu’il est impossible de déterminer les points communs entre une expérience directe, évoquée à la première personne et les descriptions à la troisième personne des expériences passées qui forment à leur tour des modèles. Dans son article ``What Is It Like
to Be a Bat?”(1974) traduit en français par ``Qu’est-ce que cela veut dire d’être un chauve-souri?”, le philosophe décrit la conscience comme un phénomène partagé par beaucoup des organismes vivants (notamment les mammifères dont le chauve-souris). Nagel fait une distinction entre conscience et perception sensorielle. Pour lui, ce que tous les organismes partagent, c’est ce qu’il appelle le \textit{caractère subjectif de l’expérience}. Cette nature subjective bloque toute tentative d’expliquer la conscience par des moyens objectifs comme dn neurosciences ou en robotique. L’auteur a choisi la métaphore des chauves-souris en raison de leur appareil sensoriel originel. En effet, les chauves-souris utilisent l’écholocalisation pour naviguer et percevoir des objets, cette méthode de perception étant similaire à la vision des humains. L’auteur affirme que des humains dotés de sens similaires, ne peuvent pas cependant expérimenter l’état d’esprit d’une chauve-souris, puisque leur cerveau ne s’est pas développé comme celui d’une chauve-souris dès sa naissance. En échange des comportements de type voler, naviguer en sonar ou se
suspendre à l’envers comme une chauve-souris, faciliteront des expériences proches de ce qu’une chauve-souris peut vivre. \smallskip
Cette hypothèse est évoqué avec d'autres mots par Simon Penny qui met en avant le concept de \textit{spécificité des
capacités sensorielles}, dans le chapitre ``The biology of cognition” de son livre \textit{Making Sense}(2019). Pour appuyer cela, il cite le travail du biologiste Jacob Von Uexkull, au début du XXe siècle :
``Von Uexkull argued that the experiential world of a creature is
specific to that species, given to it by virtue of its particular suite of sensorimotor capabilities. He called this the creature’s umwelt, which we might translate as life-world or experience-world. Put simply, in sensory experience, there is no objective world out there. By this logic, mind and world are
simultaneously cocreated. Different species do not share umwelts, even if they happen to be physically colocated. Umwelts may intersect, like Venn diagrams, in which case different species can identify similar things. Creatures may cohabit the same place and be unaware of each other because their umwelts
do not intersect due to differences of scale, sensory capability, and so on. Some animals construct their umwelts via senses, others do not have—such as the infrared sensing of some snakes, the echolocation of bats, the electro-sensing
Pour résumer sa pensée, les environnements sensoriels de la plupart des organises vivants sont spécifiques, sans qu'une espèce puisse faire l'expérience de la spécificité de l'autre.
En contrepoids, pour ce qu'il y a de l'espèce humaine, les \textit{qualia} témoignent de nos expériences uniques à l'échelle individuelle.
Pour complexifier encore plus cette donnée, il est aussi possible d’avoir une conscience phénoménale et d’accéder à la conscience d’accès indépendamment, bien qu’en général, les deux interagissent. Tant que différentes perspectives ne s'accordent pas sur ces observations, la conscience restera un tabou qui fascine.
Dans son article, ``Consciousness: The last 50 years.” le neuroscientifique Anil K. Seth souligne le caractère interdisciplinaire des études sur la conscience et
la volonté de tisser des ponts entre les expériences phénoménologiques et le fonctionnement neuronal. Pour lui, l’expérience phénoménologique ne peut pas
la conscience, en tant que phénomène neurologique et identifie une première étape entre 1960 et 1990. Après les découvertes en études comportementales, les scientifiques mettent les bases d’une nouvelle approche en sciences cognitives. Cette approche, atteste l’existence d’un état mental interne qui opère une modulation entre réponse et stimulation nerveuse. D'une façon prédictible, cela provoquera beaucoup de débats à l'intérieur de la communauté scientifique. Seth cite entre autres le psychologue Stuart Sutherland qui affirmait en 1989:
Tandis que des autres chercheurs se heurtent aux limites de leurs hypothèses théoriques lorsqu'ils cherchent à modéliser une unité de la conscience. Il note la contribution de Michael Gazzaniga et ses observations en lien avec les hémisphères cérébraux (alternant des processus cognitifs entre l’hémisphère
La deuxième étape dans l’évolution des études sur la conscience commence dans les années 1990 et continue jusqu’au moment présent. Cette période est marqué par les études de Christoph Koch dont le papier ``Towards a neurobiological theory of
consciousness” offre une nouvelle perspective quant à ``the hard problem of consciousness”. Ses recherchent visent une simulation neurobiologique de la conscience, comme processus purement physiologique. Seth mentionne également Karl Friston
dont le principe d’énergie libre, en angalis- \textit{Free Energy Principle- FEP} renforce l’hypothèse que la perception est influencée par l’action, au niveau neuronal.
Devenu entre-temps principe normatif qui décrit les systèmes adaptatifs capables d’auto-organisation, le FEP suscite des nombreux prises de positions à l'intérieur de la communauté scientifique. Pour ce qu'il y a de ce travail; faut mentionner le travail de Friston en lien avec le concept de représentation ou modification interne propre aux organismes vivants\cite{pezzulo et sims}
Toward Action-Oriented Views in Cognitive Science}(2016), résultat d’une semaine de débats entre neurologues, psychologues et philosophes, Anil Seth décrit une nouvelle approche dans les sciences cognitives qui vise le rôle de l’action dans
les processus cognitives et implicitement la conscience. A l’opposé des représentations internes suite au calcul mental, l’action favorise une vision énactée-\textit{enacted}, ancrée -\textit{embedded} et incorporée-\textit{embodied} de systèmes
cognitifs.
Pour Seth, cete distinction, marque \textit{une tournure pragmatique} dans l’évolution de ces sciences et leur vécu expérientiel associé. Avec ses collègues, ils
établissent quatre approche théoriques clé, pour mieux définir leur cadre:
Le philosophe et psychologue Zoltan Torey, décrit dans son livre ``The crucible of consciousness”(2009) la difficulté des scientifiques d’argumenter l’existence de la conscience, au-delà du formalisme mathématico-logique. Pour lui le formalisme
est seulement une spécification des opérations et transactions neuronales dans le cerveau. Ces opérations deviennent des instances de protocoles pour des machines. Mais, comme le remarque Roger Penrose, que Torey cite:
\begin{quote}
``Algorithms themselves never ascertain truths. It would be as easy to make an algorithm
Ces ``discriminants externes” sont pour Torey, la preuve même que les systèmes gouvernés par ce formalisme sont incomplets. De plus, il extrapole sa démonstration à tout système formel- mathématique, logique ou philosophie analytique. Il précise que un cerveau qui a généré ces formalismes par des opérations mentales, ne peut pas être modélisée en programmes informatiques- puisque cet ordinateur ne génère pas d'autres systèmes à son tour.
Cela rejoint, au moins en partie, la visions de Michel Bitbol pour qui l’expérience phénoménologique de la conscience ne peut pas être vérifié par des critères objectives:
``Nous n’avons rigoureusement aucun critère nous permettant de savoir, ni même de deviner, qu’un artéfact fabriqué par nous est ou n’est pas doté de conscience phénoménale. Il est vrai que nous pourrions tomber dessus par hasard, et mettre en place les conditions d’une conscience phénoménale sans le faire exprès; mais dans ce cas, nul signe, pas le plus petit indice, ne nous permettrait de savoir que nous avons réussi (ou de savoir le contraire). C’est ce que signale à juste titre le neurobiologiste Jesse Prinz: \textit{À quel degré de proximité avec le
cerveau humain un ordinateur doit-il parvenir, avant que nous puissions dire qu’il est probablement conscient? Il n’y a aucune manière de répondre à cette question.}”
Dans le monde des machines, les résultats le plus concluants pour illustrer des processus mentaux, sont dans le domaine de l’intelligence artificielle. Pour aller plus loin, des chercheurs \cite{art multitudes} s'intérrogent sur la façon dont notre société s’est emparé du phénomène de l’intelligence artificielle, notamment sa branche connexionniste avec ses prédictions calculées et des ouvriers à la tâche qui nourrissent des algorithmes de machine learning (ML).
Puisque cela se répercute dans toutes les domaines de nos vies, ils prônent une culture critique de l’IA, et les biais statistiques que cela engendre, en prenant conscience du fait que ``nous sommes les sens et la conscience des
machines”.
Ainsi la perspective d’une \textit{weak AI}, où les programmes simulent et modélisent la pensée humaine, prédomine celle de \textit{strong AI}, où les programmes ``pensent” par elles-mêmes.
De la même manière, le neurologue Stanislas Dehaene considère que les processus inconscients, sont la preuve que la conscience ne peut-pas être modélisée:
\begin{quote}
``We cannot be conscious of what we are not conscious of. This truism has deep consequences. Because we are blind to our unconscious processes, we tend to underestimate their role in our mental life. However, cognitive neuroscientists developed various means of presenting images or sounds without inducing any
conscious experience and then used behavioral and brain imaging to probe their processing depth(...) Subliminal digits, words, faces, or objects can be invariantly recognized and influence motor, semantic, and decision levels of
processing. Neuroimaging methods reveal that the vast majority of brain areas can be activated nonconsciously.”
\cite{What is consciousness, and could machines have
it? Stanislas Dehaene, Lau H, Kouider S, revue Science, 2017}
\end{quote}
Pour mieux illustrer le concept d’intelligence artificielle, nous faisons référence aux raisonnements de la philosophe Catherine Malabou. Pour elle, il s’agit d’une relation de coopération entre humain et machine:
``J’ai refusé dès le début de me placer dans l’optique d’une compétition entre homme et machine. C’est la façon de voir la plus courante, je la laisse à d’autres et préfère tenter d’ouvrir une autre voie. En effet, choisir la compétition, c’est perdre à tous les coups. Car la mise en concurrence homme-machine est un faux problème. Pour de multiples raisons. J’en évoquerai une seule ici. Croire qu’il existe une réalité humaine intacte de toute aliénation technologique est une illusion qui s’effondre facilement dès que l’on prend en compte le fait que le cerveau humain – parlons de lui puisque c’est bien de lui qu’il s’agit – s’est développé épigénétiquement dans son interaction avec les artefacts. Leroi-Gourhan l’explique magnifiquement. Du silex à la cybernétique, le mécanisme de l’interaction est le même. Notre cerveau ne peut fonctionner qu’à se mettre au dehors, à prolonger son système par des prothèses (cf. \textit{l’exorganologie} de Bernard Stiegler), au point qu’il est impossible de faire la part, dans l’évolution cérébrale des hommes depuis la préhistoire, entre nature et technique. Un cerveau qui ne serait pas prolongé par des artifices serait un cerveau mort.”
Malabou souligne la distinction entre le concept philosophique d’intellect et celui d’intelligence, dont l’apparition est plutôt liée au Bergson et au développement de la psychologie expérimentale en fin de XIXe siècle.
Elle défend un point de vue matérialiste selon lequel:
\begin{quote}
``l’esprit, l’entendement, disons toutes les fonctions intellectuelles, comme on voudra les appeler, sont étroitement dépendantes des bases matérielles et organiques sur lesquelles elles reposent. Ayant beaucoup travaillé sur le cerveau, je suis convaincue qu’il n’existe pas de lieu séparé qui abriterait les opérations mentales et cognitives, elles dérivent toutes de processus neuronaux. Il est donc impossible de ne pas associer intelligence et cerveau.”
\end{quote}
Cependant, réduire l’intelligence humaine a du calcul mathématique et des termes quantitatifs, n’a pas de sens
pour elle, sauf si ce calcul invente les concepts sur lesquels il résonne. Plus spécifiquement, elle propose comme définition minima de l’intelligence \textit{l’invention de son objet}.
Dans un entretien avec Catherine Malabou, le cinéaste Ariel Kyrou cite le livre \textit{Cerveau augmenté, homme diminué} (2016) du philosophe Miguel Benasayag pour qui:
\begin{quote}
``la pensée n’est pas déposée dans les réseaux de neurones comme un software figé installé dans le hardware. Elle est distribuée dans le corps et dans le milieu, dans l’échange entre l’un et l’autre, ainsi que dans l’histoire – s’inscrivant ainsi dans une évolution complexe qui n’a aucun rapport avec celle des versions successives de logiciels enrichis de nouvelles lignes de code informatique (2.0,2.1, 2.12, etc.).”
\end{quote}
Pour Kyrou l’aboutissement de tout cela sera une IA qui
arrive par elle-même à définir son sujet de recherche. Puis il évoque ce qu’il identifie comme différences entre sa pensée et celle de Malabou, notamment du point de vue des conséquences que les avancées de la recherche en IA apporteront. Il évoque également ce qu’ils partagent comme opinions autour de
trois axes:
\begin{quote}
``la façon dont les \textit{techniques}, du silex à l’écriture et
dorénavant au monde numérique, contribuent à fabriquer et à faire évoluer notre cerveau, comme l’ont montré l’archéologue et ethnologue André Leroi-Gourhan et sur un registre philosophique selon moi déterminant Bernard Stiegler; la nécessité d’éviter tout réductionnisme, d’où qu’il vienne, qu’il se veuille
scientifique, psychologique ou philosophique; et enfin l’importance cruciale de laisser grandes ouvertes les portes du futur, c’est-à-dire de ne jamais réduire l’avenir à une voie unique, qui serait connue d’avance des \textit{sachant} de toutes
façon de traiter l’information basée sur des calculs à des machines, tandis que l’intelligence artificielle symbolique traite cette information par la manipulation de symboles en explorant des données massives sur le comportement humain.
La perspective théorique que dans un futur plus ou
moins lointain, un autre type d’intelligence- plurielle, imprévisible et complémentaire à l’intelligence humaine- verra le jour, nous réconforte.
Entre ce qu’il a été défini comme \textit{l’IA symbolique}, \textit{l’IA numérique} et la polarité entre ces deux approches exclusives - une alternative comme le concept d' \textit{intelligence extensive}(IE) où ``Extended Intelligence” en anglais- vise l’amélioration des capacités humaines en interaction avec des agents non-humains. Plus concrètement, en lieu d’être en compétition directe avec l’intelligence humaine, l’IE cherche à la sublimer. Cette approche utilise l’erreur comme outil d’apprentissage et intègre des principes de \textit{slow science}\cite{i.stingers} pour permettre à l’humain de mieux intégrer les données de son environnemt pour coopérer avec la machine. En cherchant des analogies dans notre contexte particulier qui est le domaine de l’art, il est plus facile de se concentrer sur cet aspect de l’erreur comme outil d’apprentissage et donner place à l’expressivité de la machine. Les enjeux sont moins importants.
Comme nous avons vu auparavant, le début des années 1990 est marqué par la publication de plusieurs ouvrages comme celles de Brooks, Dreyfus et Varela, Thompson \& Rosch sur une possible conscience des machines. Autour de \textbf{embodied cognition}, la communauté scientifique met ensemble des théories en sciences cognitives, informatique et phénoménologie. Une des derniers tendances est le rapprochement avec l’autonomie biologique et la subjectivité comme nouvelle interprétation de de la cognition incarnée\cite{Ziemke AI}.
L'artiste et chercheur Simon Penny va plus loin dans l’appréhension du phénomène de la conscience:
``Cognition is held not to occur (exclusively) in the head or necessarily in some immaterial space of logical manipulation of symbolic tokens. These approaches propose, in different ways, that cognition is embodied; integrated with non-neural bodily tissues; or extends into artifacts, the designed environment,social systems, and cultural networks (...) We cannot meaningfully
speak of intelligence as occurring exclusively inside the skull, connecting to the body and the world via mechanistic sensors and effectors. On the contrary, cognition is biologically material and embodied, and discussing it outside such contexts is of dubious value. Furthermore, cognition is dynamic; it occurs as a
temporally ongoing relational engagement with architectures, artifacts, tools, language, human (and interspecies) relationships, and social systems.(...)The
computer is a machine for manipulating symbols. The world is not symbols; we turn the world into symbols for the computer. Humans are the analog to digital interface between the world and the internet. The world remains outside the computer and outside the symbolic, but under the hegemony of the digital, the conflation of the products of computing with the world, bizarrely, goes
unremarked.”
\end{quote}
Simon Penny in Making Sense: Cognition, Computing, Art, and
Dans son livre \textit{How the body shapes the mind} (2006), le philosophe Shaun Gallagher avance l’idée que la compréhension scientifique et phénoménologique du corps est essentielle pour comprendre des phénomènes tels que la conscience ou la
cognition. Son approche vise à développer un vocabulaire commun inspiré par:
\begin{quote}
``les processus cérébraux en neurosciences, les expressions comportementales en psychologie, les préoccupations de conception en intelligence artificielle et en robotique, et les débats sur l’expérience incarnée dans la phénoménologie et la philosophie de l’esprit”.
\end{quote}
Gallagher analyse des phénomènes tels l’apprentissage de nouveau-nés par l’imitation, la conscience de soi, le libre
arbitre, la cognition sociale et l’intersubjectivité, la perception intermodale pour en citer quelques-unes des thématiques abordées. Il aborde ces sujets au travers des concepts comme \textit{l'image corporelle} et {le schéma corporel},
la proprioception et \textbf{la théorie de l’enactivisme}.
Une de ses hypothèses est la théorie de l’ancrage physique, ou en
anglais \textit{the physical grounding hypothesis} (PGH). Cette théorie stipule que le contenu et le fonctionnement de l’esprit
sont fondés sur les propriétés physiques et l’expérience incarnée de l’agent. Loin de promouvoir l’influence du physique sur le mental, Gallagher souligne la complexité des facteurs impliquées dans toute explication adéquate de la cognition.
Entre outre le chercheur présente le rôle du schéma corporel dans une gamme de fonctions cognitives perceptives, parmi lesquelles la différenciation de soi et des autres.
Plus loin, il décrit le concept de schéma corporel et sa différence par rapport à l’image corporelle. Ainsi dans son acceptation, \textbf{le schéma corporel} est un système de capacités sensori-motrices, englobant tous les aspects non-conscients du contrôle moteur, y compris les processus sous-corticaux, pré-moteurs et moteurs dans le cerveau. Il mentionne également les systèmes d’information nécessaires au bon fonctionnement de ces processus. Il distingue le concept de schéma corporel de celui \textbf{d’image corporelle} vu comme résultat
des expériences perceptives du corps. Gallagher distingue les différences entre les deux termes au niveau conceptuel, mais aussi au niveau empirique donnant l’exemple d’un patient qui dans un état de négligence ne se préoccupe de son image de soi pour se laver ou s’habiller. Cependant ses capacités motrices
telles que la marche ou les tâches bimanuelles telles restent intactes et il les exerce. Cela montre que même si l’image corporelle est altérée ou endommagée, le schéma corporel reste intact.
De même, les sujets qui ont perdu un membre ont la capacité de le ressentir\cite{the limb phanom theory}.
Plus loin, Gallagher illustre le cas des malformations congénitales, où le membre fantôme est signalé quelques années
après la naissance, d’habitude après une intervention chirurgicale, un accident ou un autre événement corporel important. Ainsi la probabilité qu’un schéma corporel ou une image corporelles soient innés, est très réduite. Dans les cas
de membres fantômes, des informations contradictoires entre la proprioception(qui pourrait indiquer la présence d’un membre) et la vision (qui l’infirme) se basent sur la vision.
Les paradigmes sur l’énaction, en anglais \textbf{the enactive theory}, ont émergé avec la publication
du livre \textit{The Embodied Mind} (1992) que nous avons déjà mentionné plus haut. Ainsi nous découvrons que les expériences perceptives ne sont pas des événements internes dans notre tête, mais plutôt des actions que nous produisons à travers notre exploration sensorimotrice de l’ environnement.
Dans leur livre \textit{How the body shapes the way we think} (2006), Rolf Pfeifer et Josh Bongard soulignent l’importance de la morphologie du corps et ainsi de l’embodiment, sur l’intelligence d’un système. Leur point de départ est le fonctionnement humain qu’ils extrapolent aux machines, avec l’idée que \textbf{pour être
intelligent, nous avons besoin d’un corps physique}:
``One of the most elementary capacities of any creature is categorization: the ability to make distinctions in the real world. If we cannot distinguish food from nonfood, dangerous from safe objects and situations, our parents from other people, or our home from the rest of the world, we are not going to survive for
very long. Likewise, robots incapable of making basic distinctions, e.g., a household robot that cannot distinguish garbage from antiques, a vacuum cleaner
from a dishwasher, or pets from babies will not be very useful. We will attempt to demonstrate that the formation of such categories is very directly determined by our embodiment, i.e., our morphology and the material properties of our body.
Morphology includes the shape of the body, the kinds of limbs and where they are attached, the kinds of sensors (eyes, ears, nose, skin for touch and temperature, mouth for taste) and where on the body they are found. By material properties we mean, for example, the deformability of the fingertips and of the skin, or the elasticity of the muscle-tendon system. When interacting with the
real world, the body is stimulated in very particular ways, and this stimulation provides, in a sense, the raw material for the brain to work with. As we will see later, this raw material can be used to create categories—cups, apples, pets, people—that describe the environment in a natural way.”
Le chercheur Tom Ziemke, professeur en cognitive system spécialiste dans la recherche de formes incarnées de conscience ou en anglais \textit{embodied cognition} parle de la relation entre l’IA incarnée dans des dispositifs physiques et la biologie synthétique. Selon lui, un programme qui assure une relation entre le robot et son environnement via des capteurs et actionneurs, représente une forme d’IA incarnée. Son travail, inspiré par F.J.
Varela, lie l’intelligence à l’état \textbf{d’autopoiese} comme façon d’organiser la vie. Ziemke se demande si la conscience est essentiellement liée au domaine du vivant, ou \textbf{si tout système autonome auto-référentiel est capable d’une forme de conscience}.
``All animals, humans, and robots have to comply with the fact that there is gravity and friction, and that locomotion requires energy: there is simply no way out of it. But adapting to these constraints and exploiting them in particular ways opens up the possibility of walking, running, drinking from a cup, putting dishes on a table, playing soccer, or riding a bicycle. Diversity
means that the agent can perform many different types of behavior so that he—or she or it—can react appropriately to a given situation. An agent that only walks, or only plays chess, or only runs is intuitively considered less intelligent than one that can also build toy cars out of a Lego kit, pour beer into a glass, and give a lecture in front of a critical audience. Learning,
which is mentioned in many definitions of intelligence, is a powerful means for increasing behavioral diversity over time.” (Rolf Pfeifer et Josh Bongard p.16)
Indépendamment des multiples perspectives et définitions impliquées dans le concept d’intelligence, ce que Pfeifer et Bongard considèrent intuitivement comme \textit{intelligent} est investi par deux caractéristiques: la capacité d’adaptation et la diversité. Plus concrètement, les agents intelligents se
conforment toujours aux exigences physiques et les règles sociales de leur environnement, et exploiter ces règles pour produire différents comportements selon le contexte:
``Ce processus de reconnaissance de soi est de plus en plus étudié en robotique pour mimer le développement des capacités motrices et d’interaction sociale chez l’enfant. Mais de telles corrélations statistiques entre ce qui est perçu par les caméras du robot et ses ordres moteurs peuvent être calculées sans une quelconque notion de conscience de soi. Ici, la mesure du degré d’information
intégrée dans le programme informatique du robot apporterait une réponse quantitative et précise sur le degré de conscience attendu en lien avec un tel processus.”
prof. Raja Chatila, ISIR et le test du miroir, 2016
\end{quote}
Prof. Asada supervise également des études sur le développement de l’empathie artificielle et le rôle de la \textit{contagion émotionnelle} dans la mimique motrice.
Il implémente des processus de cognition que les bébés développent dans leurs premiers mois, à des robots artificiels. L’évolution corporelle et la croissance des humains est pour lui un des concepts clé de la robotique cognitive.
\begin{quote}
``Cognitive Developmental Robotics aims at understanding human cognitive developmental process by synthetic or constructive approaches. Its core ideas are \textit{physical embodiment} and \textit{social interaction} that enable information
structuring through interactions with the environment, including other agents.”
prof. Minoru Asada, SISReCPost-cognitivisme
\end{quote}
\subsection{Behavior-based robotics(BBR)}
La robotique basée sur le comportement s’inspire des systèmes biologiques et souvent du monde animal (comme le comportement des insectes) pour construire des dispositifs réactifs à l’environnement. Un des caractéristiques les plus importantes de cette discipline est \textit{l’adaptabilité} des systèmes qui en font partie. Ainsi, les robots basés sur le comportement sont moins dotés avec de la puissance de calcul pour réaliser des actions et leur comportement émerge des interactions qu’ils ont avec l’environnement. Le type d’intelligence artificielle qui opère dans ces systèmes est inspiré par la branche de
l’IA faible. Leur programmation contient un set de base de comportements spécifiques, selon l’environnement où ils opèrent et les problèmes qu’ils doivent résoudre.
Quand un comportement n’est pas adapté à un contexte particulier, ils s’appuient sur des erreurs pour améliorer leur modèle interne.
Le fondateur de cette discipline est Rodney Brooks, qui par ses expérimentations au Massachusetts Institute of Technology, dans les années 1980, a mis les bases de la robotique basée sur le comportement. Ses premiers robots, construits à roues et à pattes, ont été construits suite à ses observations des
comportements anthropomorphiques - éviter un obstacle, s’approcher d’une source de lumière, chercher à économiser sa batterie lors de longs trajets etc.
Une des influences de Brooks est le travail de neurophysiologiste et pionnier de la robotique W. Gray Walter. Fin des années 1940, Gray Walter a développé un certain nombre de robots simples basés sur des comportements ressemblant à des
animaux. Ces prototypes de robots ont aidé Gray Walter à mieux comprendre le fonctionnement du cerveau des animaux, par des modèles simples de leurs opérations de base. Les plus connus sont Elmer et Elsie (abréviation de ELectro MEchanical Robots, Light Sensitive), recouverts d’une coque en plastique
transparent similaire aux tortues. Enfant, Brooks a lu son livre \textit{The Living Brain}, pour ensuite construire ses propres prototypes.
Connu pour sa critique de l’IA symbolique, Brooks voit la logique et le raisonnement comme des processus mentaux propres aux humains. Au lieu de se focaliser sur le traitement des symboles, les représentations internes et la cognition, il propose de construire des modèles basés sur l’interaction avec le
monde réel. Ces modèles ont inspiré les théories sur l’incorporation et l ’intelligence incarnée.\hfill
\textbf{Schema distributed intelligence Brooks}
À leur tour, ces théories ont donné suite à des innovations dans le domaine de l’intelligence artificielle au cours des trois dernières décennies. Selon\cite{Ziemke}, l’approche de l’intelligence incarnée, en anglais \textit{embodied AI} s’est imposée comme une méthodologie fiable pour comprendre la cognition et ainsi résoudre les problèmes fondamentaux et paradoxes de l’IA traditionnelle tels \textit{The Chinese Room Argument} mentionné plus haut.
\textbf{Le libre arbitre vs ``the readiness potential”}
Pour aller plus loin et illustrer leur point de vue sur la dualité corps-esprit, ils citent l’expérience du neurologue Benjamin Libet qui, avec ses collègues, s'intéressent aux phénomènes qui opérant dans le cerveau au moment où une action intentionnelle a lieu. Plus spécifiquement, l’expérience demande aux participants de bouger leur doigt spontanément, quand ils veulent. En parallèle,
ils regardent une horloge avec un point de lumière tournant, afin d’indiquer l’endroit où est le point sur l’horloge lorsqu’ils prennent leur décision consciente de vouloir exécuter un mouvement de doigt.\smallskip
Pendant ces instructions, Liebt et son équipe analysent l’activité cérébrale avec des capteurs d’électroencéphalographie (EEG) et mesurent le mouvement réel des doigts avec des capteurs électromyographiques (EMG). Leurs résultats prouvent
que le début de l’activité cérébrale commence plus d’une demi-seconde avant le mouvement réel des doigts et plus de 300 ms avant que les sujets ne prennent conscience qu’ils veulent bouger leur doigt. Ils définissent alors le facteur de
\textit{readiness potential} (potentiel de préparation) - pour illustrer le fait que la volonté consciente de bouger le doigt se produit un intervalle significatif après le début de l’activité cérébrale pertinente. Cette expérience démontre que
le concept de libre arbitre est plus complexe à définir que ce que nous entendons par \textit{décisions consciente} et influe sur les débats actuels concernant l’intelligence artificielle. Si 40 ans après cette expérience, il nous est toujours difficile de modéliser le facteur de \textit{readiness potential} , rendre des
robots capables de prendre des décisions \textit{conscientes} reste un défi.\smallskip
Cependant cela n’empêche pas la communauté scientifique d’imaginer d’ autres pistes d’exploration et hypothèses de recherche.
l’environnement. Si un agent ou un système a un corps physique ( en anglais \textit{is embedded}, il est soumis aux lois de la physique qui impliquent de s’habituer à la gravité et aux forces de friction, ainsi qu’à l’approvisionnement en énergie pour survivre. Ainsi cela pose de nouveaux défis pour ce qu’il y a de capacité d’adaptation et des multiples négociations entre les calculs internes et des actions directes:
\begin{quote}
``the real importance of embodiment comes from the interaction between physical
Pour illustrer cela, ils font une comparaison entre l’action d’attraper un verre par un humain et par un robot. Si pour l’humain, le tissu de ses bout des doigts s’adapte à la forme du verre, le calcul de forces à appliquer se fait en conséquence. Cependant pour une main de robot le tissu est rigide, il n’y a pas
cette possibilité d’adaptation et plus souvent le verre se casse car la force appliquée n’est pas la bonne. Ainsi ils argumentent l’hypothèse que l’intelligence humaine est distribuée dans tout le corps, et pas que dans le cerveau.
``The idea behind this approach can be summarized by the slogan that perceiving is a way of acting; or more precisely, \textit{what we perceive is determined by what we do (or what we know how to do}. In other words, it is claimed that perception is a skillful mode of exploration of the environment which draws on an implicit understanding of sensorimotor regularities, that is, perception is
constituted by a kind of bodily know-how. In general, the sensorimotor account emphasizes the importance of action in perception. The capacity for action is not only needed in order to make use of sensorimotor skills, it is also a necessary condition for the acquisition of such skills since “only through self
-movement can one test and so learn the relevant patterns of sensorimotor dependence” . Accordingly, for perception to be constituted it is not sufficient for a system to simply undergo an interaction with its environment, since the exercise of a skill requires an intention and an agent (not necessarily a ‘homunculus’) that does the intending. In other words, the dynamic sensorimotor approach needs a notion of selfhood or agency which is the locus of intentional action in the world.”
Qu’il s’agisse d’un objet mobile avec une source d’énergie, programmé pour \textit{sentir} et \textit{interagir} avec son environnement\cite{A. Mayor, Gods and robots: myths, machines} ou d’un agent capable de percevoir son environnement par des capteurs et d'agir sur cet environnement par l’intermédiaire d’effecteurs, les robots font l'objet de multiple définitions.
l’intelligence artificielle\cite{ Pfeifer et Bongard}, les robots influencent notre sens du réel et la réalité depuis quelques décennies déjà. Indépendamment du fait qu’ils exécutent du travail utile pour les humains comme imaginé initialement par l’écrivain tcheque qui a donné leur nom\cite{kopek}, leur place dans notre société est désormais acquise. Pour l'instant, nous attendons de ces robots qu’ils exécutent des actions précises. Cependant il est possible qu’un jour, ils seront capables de nous surprendre en proposant des idées ou des comportements inattendus.
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L’état d’art de ce chapitre se concentre sur le lien entre le mouvement du corps humain, l’appréhension des enjeux que cela engendre pour la robotique puis l’incorporation ou l’embodiment\cite{} acquis à travers la danse, dans le
contexte des spectacles avec des robots\cite{38–41}. Dans son livre \textit{La robotique
: une récidive d’Héphaïstos!}(2012) Jean-Paul Laumond décrit la controverse entre la science- ``dont l’objectif est de déduire” par rapport à la technologie- ``préoccupé davantage par le faire ” et les observations empiriques. Pour lui, la robotique est née de la tension entre ces deux approches contemporaines, inspirées des lois naturelles. Néanmoins ces deux disciplines s’inspirent à leur tour de la physique, de la biologie, des neurosciences, de la psychologie et d’autres théories complémentaires. Ainsi, la robotique peut être considérée comme un moyen de comprendre et de mettre en œuvre la complexité du vivant, à travers un
mélange des savoirs-faire et des pratiques.\smallskip
Dans une démarche parallèle, proche d’une approche sociologique, cette complexité du vivant pourrait être appréhendée
aussi par l’art, comme discipline\cite{44} à travers ``ses intentions spéculatives et provocatrices”\cite{43}. L’artiste Simon Penny utilise la dichotomie entre une
forme de savoir qui réside dans l’abstraction et une autre qui réside dans la réalité concrète du monde\cite{43} pour introduire un concept émergent qu’il a
intitulé la \textbf{robotique culturelle}. Ce concept met en avant le lien entre les robots et les sociétés dans lesquelles ces derniers évoluent. Si dans les premiers chapitres nous avons pu comprendre le contexte artistique que cette thèse défend, le
présent chapitre traite du rapport du corps dans la robotique
Le terme biomécanique regroupe la biologie comme science du vivant et la mécanique comme science physique d’étude du mouvement- entre ses déformations et ses états d’équilibre. Au sens large, cette discipline étudie la physiologie du mouvement dans le corps humain avec ses fonctions et ses propriétés respectives.
Des disciplines comme la robotique, la médecine ou le design s’appuient sur des principes de biomécanique pour mieux construire leurs hypothèses de recherche.
Dans le domaine artistique, les danseurs et les metteurs en scène se sont également intéressés à la biomécanique pour développer leurs pratiques.
La biomécanique a aussi donné nom à une discipline enseignée par le metteur en scène russe Vsevolod Emilievitch Meyerhold. Cette discipline fait son apparition au début du XXe siècle et cultive une conscience de soi dans l’espace ainsi qu’un travail plastique et rythmique de l’acteur. Inspirée entre autres par la
commedia dell’arte et du travail des danseuses Isadora Duncan et Loïe Fuller, cette méthode d’entraînement physique permet aux acteurs de développer leur coordination et leur sens du rythme sur le plateau.
à la tradition théâtrale- l’épée, la cape ou la canne. Par ces partitions rigoureuses, l’acteur est censé comprendre l’importance des différents éléments du corps les uns par rapport aux autres. Un exemple que Meyerhold citait lors de ses exercices fait référence à l’importance des détails- quand le petit doigt
bouge, le corps entier doit supporter ce mouvement, pour rendre le petit doigt visible jusqu’au fond de la salle.
La plupart de ces exercices se font en groupe, même si elles ne requièrent qu’une seule personne pour les pratiquer.
Lorsqu’une personne finit sa pratique, le reste du groupe reprend la totalité de l’étude une seconde fois, pour enrichir les variations de propositions. ``Le
poignard” et ``La gifle” sont deux études qui s’exécutent en paire, pour
``Le travail physique de l’acteur, découpé en segments
d’actions précisément délimités dans l’espace et dans le temps se caractérise encore par un montage de matériaux hétérogènes unifiés par le rythme de l’action et l’ironie de l’acteur : combinaison de techniques appartenant à différents métiers du spectacle, de registres vocaux variés, création d’une sorte d’acteur collectif. Les meilleurs comédiens ont l’équilibre des funambules, le tronc monté sur ressorts des jongleurs, l’audace des acrobates, le coup de poing du boxeur, le cri du ventriloque.”
\end{quote}
En alternant travail individuel et travail collectif, les acteurs acquièrent des bases solides d’interaction et une bonne capacité d’adaptation aux formats et
expériences. Comme le souligne Mel Gordon dans son article sur Meyerhold\cite{Gordon}, pour le metteur en scène russe la fonction du théâtre est d’abord sociale afin d’éduquer et de promouvoir la reconstruction socialiste et
scientifique de son pays.
Lorsque Stalin s’empare du pouvoir,la plupart des
secteurs de la société soviétique traversent des processus rapides de collectivisation et d’industrialisation. Les théâtres, puis plus généralement la culture, perdent progressivement leurs moyens et la liberté d’expression.\smallskip
D’autres méthodes s’inventent. Le metteur en scène russe voit les troupes de travailleurs semi-professionnels comme un outil pour éduquer les masses. Pour améliorer sa formation d’acteurs, il applique des principes ou des méthodologies scientifiques à la mode dans l’industrie soviétique, à ses fondements théoriques. Parmi ces méthodologies, le Taylorisme est le résultat des
observations de l’ingénieur américain Frederick Winslow Taylor (1856-1915) sur la gestion scientifique du travail et de la productivité. Au début des années 1910, sa méthode est largement appliquée dans l’industrie, notamment en Europe
et en Russie. Après avoir visité des usinés et examiné leurs chaînes de production, l’ingénieur est arrivé à la conclusion que les mouvements physiques des travailleurs influencent le rendement de la production. Lorsqu’il exécute une tâche répétitive, un travailleur s’engage, souvent sans s’en rendre compte,
dans des mouvements superflus qui diminuent son efficacité. Pour Taylor, il est question de trouver les mouvements et les gestes les plus efficaces, dans ce qu’il a appelé \textit{une économie du mouvement}. Pour faire cela, il a dû prendre en
considération des facteurs comme les rythmes de travail et l’équilibre des postures. Toujours pour Gordon, les idées de Meyerhold croisent également celles de la psychologie fonctionnelle- dont le psychologue William James a mis les
bases, ainsi que celles du béhaviorisme. Entre autres James considère la conscience et ses états transitoires comme directement liés au corps physique, alors que certains schémas d’activité musculaire suscitent des états émotionnels
équivalents. En Russie à la même époque, des médecins comme Vladimir Bekhterev ou Ivan Pavlov ont aussi entamé des recherches sur les comportements et le conditionnement des réflexes humains. Selon leurs observations, tout comportement humain peut s’expliquer par l’histoire des interactions de l’individu avec son environnement.
Pour comprendre comment mettre en scène les robots, je commence mon analyse avec les problématiques liées à la représentation du corps dans les propositions scéniques contemporaines.
En danse aussi, une certaine partie de la communauté artistique, semble œuvrer à une compréhension phénoménologique de l’expérience de l’incarnation. Les danseurs et chorégraphes proches de ce mouvement, s’intéressent à la conscience du corps
ainsi qu’à l’évolution des formes de corporéité avec l’émergence des principes neuroscientifiques et somatiques. Le livre \textit{Disjunctive Captures of the Body and
Movement}\cite{Bojana}(2015) interroge les formes de corporéité qui donnent une façon propre d’habiter le corps. Pour cela, Bojana
cite des choreographs tels Ingvartsen et Jefta VanDinther ou Eszter Salamon pour qui la danse est avant tout un lieu d’expérimentation. Elle questionne l’expérience subjective du mouvement, tout comme des chercheurs comme Stamatia
Portanova qui travaille sur les nouvelles technologies et leur impact sur la danse\cite{Stamatia}. Dans le chapitre \textit{Can objects be processes?}, Portanova se demande comment le geste dansé peut s’échapper à la linéarité du temps et faire émerger un contenu original, atemporel. Dans le contexte d’une monde dominé par les ordinateurs et les sciences computationnelles, elle désigne
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